CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les journalistes sont apparemment les grands vainqueurs de ce demi-siècle. Et ce pour quatre raisons liées : aux valeurs, à la technique, à l’économie et à la culture.

2Pour les valeurs, le changement est considérable, même si on l’oublie trop souvent. Dans l’affrontement Est-Ouest, les valeurs de liberté et démocratie l’ont emporté. La liberté de la presse est devenue l’horizon de la communauté internationale, et même si elle n’est pas toujours respectée, loin s’en faut, la valeur en est acceptée. Ce sont les régimes autoritaires et dictatoriaux qui doivent maintenant se justifier. Presque partout même, au prix parfois de leur vie, les journalistes travaillent dans le monde. La deuxième victoire, après celle des idées, est celle des techniques. Les satellites, la radio, la télévision et Internet permettent maintenant de produire et d’envoyer des informations, presque en temps réel, de n’importe quel coin du monde. Impensable il y a encore trente ans. Le village global, pour l’information-presse, est devenu une réalité. La mondialisation de l’information, surtout pour les pays du Nord, est l’un des changements les plus spectaculaires des trente dernières années. La troisième rupture est économique. Les industries de l’information et de la communication sont en pleine expansion au plan mondial. Les quatre plus grandes multinationales ne sont-elles pas les industries de la communication dans lesquelles on trouve à la fois des journaux, des radios, des télévisions, des maisons d’édition, du cinéma, de la musique, des logiciels ? Dans toutes ces industries, la presse joue un rôle certain et les emplois existent. Le nombre de journalistes au monde, et particulièrement dans les pays occidentaux, a presque triplé en deux générations. Cela ne veut pas dire que le métier s’exerce facilement, car les pressions sont proportionnelles à l’élargissement du champ de l’information et aux concentrations, fusions et restructurations de plus en plus nombreuses, mais cela veut dire au moins que c’est un secteur dynamique qui permet d’absorber – ce qui a toujours été sa force – des individus venant d’horizons différents. Enfin, quatrième victoire, d’ordre culturel. Les journalistes sont un peu les héros des temps modernes. En tout cas fortement identifiés et valorisés par rapport aux hommes politiques, entrepreneurs, enseignants… Ils sont omniprésents dans la vie publique, culturelle et politique. Tout accès à la communication passe par eux, ce qui leur confère un pouvoir réel. D’autant que l’idée de liberté, de contre-pouvoir, d’information est au cœur de la culture contemporaine et les journalistes en sont le symbole.

3Néanmoins, toutes ces victoires posent de redoutables défis à une profession inévitablement fragile parce que composée d’individus. D’autant que les journalistes travaillent sur l’information, qui n’est jamais une donnée naturelle, mais une donnée construite par des hommes, à destination d’autres hommes, et dont personne ne sait jamais comment elle est reçue. Les journalistes ont donc apparemment du pouvoir, ils en ont d’ailleurs, mais leur action est beaucoup plus difficile qu’ils ne le croient, ou même le disent. Et surtout leur légitimité s’effrite presque proportionnellement à leur visibilité. L’un des risques est de confondre la visibilité, et parfois le prestige dont ils sont l’objet, avec la réalité de leur métier. En dehors de la technique, qui s’est considérablement améliorée, leur métier n’est pas plus simple qu’hier. L’élargissement et la diversification du champ de l’information, se traduisent par des pressions croissantes. Et comme l’information est devenue une marchandise et un enjeu de pouvoir, il est évident que les journalistes sont alors au cœur des conflits.

4Quant aux publics récepteurs, ils sont, avec le temps, de plus en plus sceptiques et critiques à l’égard de l’information, et donc à l’égard des journalistes. Ceux-ci sont donc à la fois les héros de la modernité, mais des héros fragiles, non seulement du fait de leur métier, qui reste d’interface, mais aussi à cause de réformes, qu’ils n’arrivent pas à faire. Le triomphe de l’information, visible ; dans l’économie de l’information ; l’idéologie des nouvelles technologies de l’information et le thème de la société de l’information pourraient, paradoxalement, conduire à un effritement de la légitimité journalistique. La visibilité journalistique n’est pas synonyme de légitimité et la prétention excessive de l’élite journalistique, en Occident, n’améliore pas les choses.

5En réalité, la profession est confrontée à cinq défis qui sont autant liés à la victoire d’une certaine conception de l’information qu’aux contradictions d’une profession qui, pour l’instant, a surfé sur les mutations qui lui ont été favorables, plutôt qu’elle n’a essayé de les maîtriser.

Informer n’est plus communiquer

6Hier, les deux étaient synonymes. Les techniques de production, diffusion, réception de l’information étaient si contraignantes que toute information était reçue, et la plupart du temps acceptée par les publics. À cette difficulté technique, s’ajoutait la rareté de l’information. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Grâce à la technique, un nombre considérable d’informations circule dans tous les sens. Cela rompt la chaîne traditionnelle émetteur-message-récepteur qui fonde la communication. Les journalistes sont beaucoup moins certains qu’hier, dans un univers saturé d’informations, que leurs informations seront acceptées. Cela révèle l’autonomie du récepteur, on y reviendra, mais aussi le décalage entre les domaines de la réalité sur lesquels existe une grande quantité d’information, et ceux sur lesquels il n’y a pas beaucoup d’information. Non seulement le volume d’information repose la question de la communication, c’est-à-dire de son acceptation par les publics, mais elle révèle aussi les disproportions entre les domaines saturés d’informations et ceux sur lesquels on ne sait rien. Non seulement il y a des inégalités dans le traitement de l’information, mais en outre l’abondance d’information ne suscite pas forcément davantage de confiance à l’égard des journalistes.

7Il n’y a plus de lien direct entre information et communication, et entre les deux, le récepteur est de plus en plus actif.

8La communication n’est plus « naturelle », il faut la construire. Or les journalistes, dans leur vision du monde, avaient tendance à valoriser la problématique de l’information et à dévaloriser celle de la communication, réduite le plus souvent au commerce, au marketing ou à la publicité. L’information était noble, la communication douteuse. Aujourd’hui, non seulement il n’y a pas d’information possible, quel que soit le support, sans une stratégie de communication, mais de plus le problème de la communication, c’est-à-dire des conditions d’acceptation par les publics, devient crucial, par le simple fait de l’élargissement du champ de l’information. Plus il y a d’informations sur des sujets mondiaux, liées à de multiples cultures, accessibles sur de multiples supports, plus la question de leur acceptation par les publics, eux-mêmes de plus en plus nombreux, est importante.

9C’est la victoire même de l’information qui remet la question de la communication au centre du rapport information-communication.

10Produire et transmettre ne suffit plus à informer. Informer suppose de prendre en compte la problématique du récepteur, tout en sachant que cette prise en compte a ses limites. En effet, l’information ne peut pas être faite seulement en fonction du destinataire, sinon c’est la liberté d’information qui est en cause ! Informer, la plupart du temps, c’est bousculer les idées reçues. Le journaliste est ici prisonnier un peu de sa victoire : il y a beaucoup plus d’information, mais les publics n’imputent pas forcément aux journalistes la chance de pouvoir accéder à plus d’information. Les vrais « créateurs » d’information sont peu nombreux, essentiellement les journalistes d’agence, et les autres journalistes répliquent ou complètent, ou remettent ces informations dans une autre forme.

11La vitesse de circulation pose aussi un problème nouveau. Hier, l’information circulait lentement. Aujourd’hui tout circule très vite, empêchant bien souvent les publics de prendre le temps de comprendre. Cela oblige donc à un effort considérable de pédagogie. Et le risque est évidemment celui de la saturation, car beaucoup d’informations, surtout dans les pays démocratiques, sont « en boucle ». La même chose est répétée pendant quelques jours, par tous les médias, avant de disparaître de la même manière dans tous les médias. Et la concurrence, féroce, entre médias et journalistes, au lieu de diversifier les sujets, conduit souvent au contraire à un certain conformisme.

12Le résultat est à la fois abondance et répétition. La vitesse de production de l’information et son volume croissant laissent entière l’autre question, celle de la compréhension du monde. L’information ne suffit pas à « dissoudre » la complexité du monde. C’est pourquoi les journalistes doivent absolument compléter leur travail, en faisant appel aux autres professions, universitaires, spécialistes, experts qui peuvent compléter la logique de l’information par celle de la connaissance. Les connaissances sont aujourd’hui le complément indispensable de l’information. À condition que chacun reste à sa place. Les journalistes doivent rendre compréhensibles les événements d’un monde compliqué et instable. Les universitaires et les spécialistes doivent fournir les clés de la connaissance et de la culture pour essayer d’interpréter ces informations. Les connaissances, avec leur épaisseur historique, permettent en général de donner une certaine perspective à la logique événementielle.

L’emprise de l’économie

13Globalement, le secteur de l’information et de la communication est un secteur en pleine expansion économique, mais davantage du côté des possibilités offertes par les systèmes d’information liés aux nouvelles technologies et aux réseaux à haut débit, que du côté des médias traditionnels. Si la radio peut être lucrative, la télévision l’est moins, la presse quotidienne très peu, la presse magazine et spécialisée beaucoup plus. Autrement dit, c’est à la fois un secteur dans lequel il y a beaucoup d’argent en circulation et où l’économie stricte de l’information-presse reste fragile. Mais les journalistes, depuis une génération, participent de cette logique économique d’expansion où les phases de concentration – restructuration – destruction se font souvent au niveau mondial, comme on l’a vu, avec AOL-Time-Warner ; Beertelsman ; Vivendi entre 2000 et 2002. La spéculation autour du Nasdacq a symbolisé le fait que l’information est devenue une marchandise. Elle a toujours été une marchandise, mais elle était aussi une valeur politique. Le grand changement, accéléré par les nouvelles technologies, est que l’information est devenue encore un peu plus une marchandise. Au point de se demander si l’information-presse n’est pas en train de devenir la caution de l’information marchandise…

14Difficile pour les journalistes de se repérer dans ce gigantesque malstrom économique. Ils en bénéficient souvent, sur le plan professionnel, même si les conditions d’emplois restent précaires, et même si le milieu perçoit, confusément, ce glissement de logique où l’économie s’impose de plus en plus, modifiant le cœur du métier. Pour l’instant, c’est plutôt le silence. Non seulement l’information change de registre, passant d’une référence politique à une référence économique, mais, de plus, les journalistes n’ont pas la culture économique pour se situer dans ce nouveau champ de forces. Ils ont une culture politique, liée à deux siècles de batailles pour la démocratie dans tous les pays du monde, mais ils l’ont beaucoup moins pour l’économie. Non seulement l’économie mondiale de l’information et de la communication leur échappe complètement, car ils sont des pions rachetés et revendus au gré des restructurations ou des enjeux politiques, militaires, financiers, mais en plus ils ne savent pas toujours comment réagir. Même si à l’occasion des fusions, restructurations, ils arrivent, pour le moment, individuellement, à « s’en sortir ». Et souvent beaucoup plus « l’élite » du métier que les autres, mais c’est hélas cette élite que tout le monde voit. Les journalistes bénéficient à la fois de cette considérable croissance de l’économie de l’information et de la communication et ne peuvent guère la maîtriser. Pire, ils sentent bien que leur métier devrait les obliger à être beaucoup plus vigilants et critiques à l’égard de cette économie mondiale, dont ils sont à la fois acteurs et observateurs.

15Dans quelques années, après quelques catastrophes et restructurations retentissantes, la culture politique de l’économie de l’information existera. Pour l’instant, les faits vont plus vite que les capacités d’analyse et d’action. D’autant, encore une fois, que les journalistes ne sont pas sinistrés comme, les mineurs ou les sidérurgistes, le furent, il y a moins de trente ans. Et les discours syndicaux existants, qui pourraient constituer un contre-pouvoir, sont eux aussi en difficulté car l’échelle des problèmes, la nature même des enjeux a considérablement changé, et en très peu de temps. À la décharge des journalistes, on peut remarquer que le monde académique qui pourrait, par ses connaissances, compenser la difficulté, pour les journalistes à analyser leur propre situation, est lui aussi, pris de surprise par la vitesse des événements. Et surtout, on retrouve ici le caractère récent de l’émergence du champ de connaissance de l’information et de la communication, comme enjeu de la mondialisation. L’explosion de la communication, en trente ans a beaucoup plus fasciné les acteurs qu’elle n’a suscité de désir de connaissance. Le résultat ? La difficulté, pour tout le monde, à prendre de la distance, par rapport à la loi d’airain de l’argent.

16Le problème est d’autant plus délicat qu’il s’agit d’une profession fragile, individualiste, sur laquelle s’exercent facilement les pressions, et qui ne dispose même pas de la base arrière sécurisante des entreprises que représentent les journaux, les radios, les télévisions, pour résister, car celles-ci peuvent être rachetées du jour au lendemain. Le secteur public offre plus de sécurité, mais curieusement les professionnels ne le mettent pas en avant, comme si eux-mêmes n’en étaient pas fiers.

17Le décalage entre la forte culture politique des journalistes, et leur faible culture économique nécessaire pour préserver leur place et leur autonomie, dans un secteur en pleine restructuration, est accentué par ce changement de statut de l’information dont on ne parle pas assez. Il y a d’une part une réalité de l’information devenue une marchandise dans une économie généralisée de la société de l’information, et d’autre part la subsistance d’un discours classique, et important, sur la liberté de la presse. Comme si le changement de statut de l’information, dans l’économie, n’avait pas d’impact sur la conception de l’information-presse, ou comme si on pouvait réduire cette question de l’information, devenue marchandise, à la problématique classique de la liberté politique de l’information.

18Hier, l’information était avant tout une valeur politique, et elle était finalement vendue à un prix relativement modeste. Aujourd’hui, c’est l’inverse. L’information est abondante, mais vendue de plus en plus chère aux publics destinataires de plus en plus ciblés, car on est passé d’une conception politique à une conception économique de l’information. Il y a d’ailleurs un paradoxe. Soit l’information est de plus en plus chère, soit elle est gratuite, avec l’essor de la presse gratuite. Ce qui, dans les deux cas, illustre le changement du cadre de référence. La presse écrite est confrontée, à la gratuité, et à l’opposé, pour les systèmes d’information, on voit une segmentation des marchés et la montée des prix. Il y a d’une part une économie de l’information qui se met en place au plan mondial, et qui tend à faire payer de plus en plus cher toutes les informations rares ou utiles, et il y a d’autre part, sous couvert de « démocratie », en réalité d’économie de la publicité, la tendance à développer des journaux gratuits. Dans les deux cas, c’est le même phénomène. C’est le concept d’information politique, liée à une bataille d’émancipation qui est battu en brèche. L’information payante ramène à l’idée du lien qui existe depuis toujours entre information et pouvoir. L’information gratuite à la dévalorisation du concept même d’information citoyenne. Dans les deux cas, on assiste à une banalisation et à un changement de statut de l’information.

19C’est non seulement la culture critique pour se situer face aux enjeux économiques de la profession qui manque, mais c’est aussi le moyen d’éviter que la nature même de l’activité journalistique qui est de produire le plus possible d’informations, compréhensibles, et bon marché, pour le plus grand nombre possible d’individus, qui ne soit finalement remise en cause par la nouvelle économie de l’information.

20L’abondance d’information ne veut donc pas dire forcément information moins chère. C’est même le contraire puisque, entre temps, on est passé d’une conception politique de l’information à une conception économique de celle-ci.

Valoriser le statut de l’information-presse

21Le changement de statut de l’information va obliger les journalistes, à définir les critères déontologiques qui permettent de valider une information-presse. Si tout le monde peut mettre n’importe quoi sur Internet et y accéder, il faut bien que le public puisse distinguer rapidement l’information labellisée par des professionnels, les journalistes de l’information, de celle produite et distribuée par tous ceux qui ont un accès à Internet.

22Labelliser l’information-presse par rapport à toutes les autres informations est un impératif catégorique. À côté de l’information-presse, on trouve l’information-service en pleine expansion dans le monde entier, et qui est probablement le principal atout des nouvelles technologies ; l’information-institutionnelle très bien gérée par les acteurs économiques et politiques qui ont compris la nécessité d’être présents dans l’espace public ; l’information-connaissance liée à toutes les bases de données et aux systèmes d’information professionnels qui vont croître, au fur et à mesure des échanges et de la croissance d’une économie de la connaissance au niveau mondial. Aujourd’hui, tout est information, dans la « société de l’information », mais on comprend vite qu’il ne s’agit pas de la même information selon que l’on parle de la bourse, de l’économie, des services, du savoir, de la culture, de la politique !

23Non seulement il faut préserver une information universelle, bon marché, liée au statut de citoyen, mais il faut, en plus, que ces mêmes citoyens distinguent facilement les informations validées par les professionnels de la presse que sont les journalistes de toutes les autres informations produites par les acteurs de la société où la dimension de conviction, ou d’intérêt, l’emporte sur la déontologie de l’information-presse. Le problème pour les journalistes est de redéfinir, et de défendre suffisamment nettement des critères de distinction pour protéger l’information la plus fragile, celle qui est liée au statut de la presse.

24C’est l’information-presse qui dérange depuis toujours et pour toujours. Même si, évidemment, à côté d’elle, peuvent exister d’autres informations et connaissances aussi, importantes pour le fonctionnement de la société. Distinguer l’information-presse de tous les autres types d’information est indispensable pour l’avenir de l’information. Comme il est nécessaire, dans un registre voisin, de distinguer les connaissances produites par le monde académique de toutes celles qui sont produites par les acteurs et les institutions. L’idée n’est pas que l’information-presse soit systématiquement meilleure que les autres, ou que les connaissances universitaires soient également de meilleure qualité que les connaissances produites par d’autres acteurs. Simplement l’information-presse et la connaissance universitaire, chacune dans leur domaine, constituent des points de repères indispensables pour comprendre le monde. Il suffit de voir les enjeux économiques et politiques mondiaux du « E-learning » pour comprendre qu’il ne s’agit pas là de débats « académiques ». Si le E-Business se régulera un jour, l’enjeu du E-learning est beaucoup plus considérable. Arriver à faire croire que des machines interactives sont plus performantes que des êtres humains, tout simplement parce que les élèves « seraient » autonomes devant les claviers ouvre des marchés gigantesques pour l’éducation au niveau mondial. Le même glissement, vers une conception technique et économique de l’information-presse est tout à fait possible. En réalité, les journalistes et le monde enseignant ont les mêmes valeurs à défendre : éviter que l’information-presse et la connaissance ne deviennent que des marchandises. On le voit avec le Web, la commercialisation des moteurs de recherche, des forums et des enjeux économiques autours des mots clés et les liens hypertextes.

25Pour défendre le statut de l’information-presse, les journalistes doivent s’allier avec les archivistes, documentalistes qui, dans l’économie de l’information, jouent un rôle considérable. Sans eux, les journalistes ne peuvent plus faire leur travail, tant ils sont submergés par le volume de l’information. Le pôle journaliste-documentaliste pourra plus facilement distinguer les autres types d’information, notamment tout ce qui concerne le publi-reportage et les multiples formes d’informations institutionnelles. Les journalistes doivent aussi réfléchir à leur lien avec les différents métiers de la communication. Certes, ces métiers n’ont pas le même rapport à l’information et à la communication que les journalistes, mais les journalistes, contrairement à leur discours, se servent beaucoup des services des métiers de relation et de communication, sans beaucoup les connaître et les reconnaître. La frontière entre les différents types d’information, et de métiers, n’est pas toujours facile à tracer. Cela devrait obliger les journalistes, au lieu d’utiliser largement les services de communication des acteurs politiques et institutionnels, sans le dire toujours, à réfléchir au contraire ensemble aux rôles respectifs des uns et des autres.

26Ce travail sur les différents types d’information obligera aussi les journalistes, et leur organisation syndicale, à augmenter les liens avec le milieu universitaire au sens large. Les uns et les autres regardent la même réalité, mais avec un regard différent. Et plus il y a d’informations et de connaissances, de toute nature, plus les journalistes ont besoin des repères, et de la connaissance universitaire. Cela oblige à deux changements. D’abord accroître la compétence technique des journalistes. Dans une société complexe, les journalistes doivent bénéficier de formation professionnelle permanente pour augmenter leur compétence. Comment faire de l’information si l’on dépend des acteurs ? Et d’autre part, cela passe aussi par la prise de conscience que la plupart des acteurs ont appris à utiliser, voire à « manier » les médias. Logique de l’information, et logique de la connaissance sont complémentaires pour essayer de rendre compte d’un monde dont les frontières ne cessent de s’élargir, où les événements politiques sont de plus en plus nombreux, ainsi que les acteurs et les institutions intervenant sur ce même monde.

27À vrai dire, face à l’explosion de l’information, et de son marché, la préservation du statut de l’information-presse comme enjeu politique de la démocratie passe par la constitution d’une sorte de triangle : journaliste-documentaliste-universitaire.

L’émergence du récepteur, et le rapport au public

28Plus il y a d’information, plus le rôle du récepteur devient central, car contrairement à ce que l’on a longtemps cru, et qui a été invalidé par les faits, le récepteur n’est jamais passif. Il sélectionne, trie, hiérarchise, accepte, refuse, et plus il est exposé à un flux croissant d’information, plus il se tiendra à distance. Les journalistes ne doivent pas écrire en fonction des publics, mais ils ne peuvent non plus ignorer la capacité active que ceux-ci ont, d’accepter ou de refuser l’information.

29Le public d’aujourd’hui, plus éduqué et informé, est donc plus critique à l’égard de l’information et des journalistes. Ce qui va obliger beaucoup plus les journalistes à tenir compte de la diversité culturelle des récepteurs. C’est un des plus gros enjeux politiques de la mondialisation de l’information. L’information bâtie sur un modèle occidental est aujourd’hui distribuée dans le monde entier, de manière identique, sans tenir compte des diversités culturelles. Comme si tout le monde avait la même conception de l’information. Comme si tout le monde avait la même conception de la liberté, du rapport au pouvoir, de la hiérarchie, du droit de critique. Il suffit déjà de se rendre compte des différentes conceptions de l’information existant au sein de l’Europe et entre celle-ci et les États-Unis ! L’Occident, un peu arrogant, s’imagine qu’il détient, pour le monde entier, la vérité de ce qu’est l’information, et la liberté de l’information, tout simplement parce que c’est en Europe que ces concepts essentiels ont été inventés entre le xviiie et le xixe siècles et que l’Europe les a exportés dans le monde entier. Parfois pour de bonnes raisons, parfois pour de moins bonnes…

30Le Sud, après avoir été demandeur, à juste titre, d’informations, se retournera contre l’Occident en lui reprochant une vision unilatérale du monde. La critique de l’impérialisme culturel de l’information occidentale est un enjeu majeur pour l’avenir. Il faut se rappeler que le problème avait déjà été posé en 1980 à l’Unesco à l’occasion du débat sur le Nomic (Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication). Les pays du Tiers-monde, appuyés par l’URSS à l’époque, avaient déjà dénoncé la domination culturelle en matière d’information, du Nord sur le Sud. L’Occident avait gagné, en rappelant que de toute façon l’URSS et la plupart des pays du Sud n’étaient pas suffisamment eux-mêmes démocratiques pour faire des leçons de démocratie. Vingt ans après, le déséquilibre du flux d’information Nord/Sud est encore plus grand. Et l’URSS n’est plus là comme grand méchant ! En outre, la mondialisation de l’information, à laquelle on assiste depuis vingt ans, montre non seulement le déséquilibre Nord/Sud, mais surtout combien l’Occident – et en cela l’Europe ne se distingue pas assez des États-Unis – n’est pas assez sensible aux différences culturelles.

31Le 11 septembre illustre ce conflit et il suffit de voir comment l’information sur cette tragédie du Nord a été faite au Sud pour comprendre l’importance du fossé qui se creuse. Ce n’est pas parce que la plupart des États s’opposent au terrorisme qu’ils partagent, par ailleurs, notre conception de l’information et de la démocratie, car chez nous les deux sont liés.

32Le modèle occidental de l’information est contesté. Il faudra demain organiser une cohabitation entre plusieurs valeurs de l’information, de telle sorte que l’information occidentale, aujourd’hui la plus libre, et la plus pluraliste, ne fasse pas l’objet d’un rejet, le Sud n’y voyant que la trace d’un impérialisme culturel. Les techniques d’information sont mondiales, l’information n’est pas mondiale, le citoyen n’est pas mondial. C’est cette contradiction qu’il faut maintenant gérer. En sachant qu’en trente ans, partout dans le monde, la culture de l’information s’est considérablement développée. C’est d’ailleurs le bénéfice de cette liberté croissante de l’information, mais la conséquence doit en être une attention, beaucoup plus forte, aux diversités culturelles. Or l’Occident a tendance à confondre le fait que ses informations sont de plus en plus accessibles dans le monde, avec le fait que le monde partage sa conception de l’information… Là aussi, il va falloir faire l’apprentissage de la diversité culturelle. Pas de liberté de l’information demain sans une réflexion sur la diversité culturelle. Ce qui oblige les journalistes à un considérable effort de connaissances et de cultures, afin d’intégrer dans leur approche de la réalité d’autres visions du monde que la leur. C’est évidemment les journalistes américains qui sont aujourd’hui les plus concernés par cet impératif catégorique d’un élargissement des visions du monde, et de la prise en compte du point de vue de l’autre. Malheureusement, les journalistes américains ont souvent, comme leur pays, beaucoup de difficultés à s’ouvrir et à respecter d’autres cultures que la leur.

33La dimension universelle de l’information et du travail journalistique passe aujourd’hui par l’acceptation d’un relativisme historique pour permettre aux autres cultures d’appréhender cette information occidentale, en général, la plus libre, sans la rejeter. L’universalisme de l’information occidentale passe par un relativisme historique pour ne pas être l’objet d’un rejet. Non que l’occident doive abandonner sa philosophie de la liberté et de l’information, mais qu’il évite de croire qu’elle est « naturellement » meilleure. Et qu’il fasse un effort pour comprendre d’autres systèmes de valeurs, afin que s’établisse ainsi un dialogue interculturel favorable à tous.

34Ce dialogue interculturel, et l’obligation d’organiser la cohabitation culturelle au niveau mondial sont un des enjeux politiques majeurs du xxie siècle. Et d’ailleurs toutes les entreprises mondialisées vont y être rapidement confrontées, et seront obligées de consacrer beaucoup de temps et d’argent pour que leurs objectifs, leurs fonctionnements, leurs managements, soient acceptés dans tous les pays. Les marchés et les bourses peuvent être « en ligne », pas les hommes et les cultures qui sont au bout des réseaux. Pendant trente ans, on a été fasciné par les performances techniques, on va réaliser que le plus difficile est du côté des hommes. Plus les distances physiques diminuent, plus les distances culturelles augmentent. Et dans ce gigantesque aggiornamento à venir, la manière dont sera discutée la liberté de l’information sera un chantier-test pour ces problèmes interculturels fondamentaux de l’avenir.

35Le paradoxe est que les journalistes, pour faire leur travail, ont besoin d’une certaine « inconscience », et ne pas trop prendre en compte les autres visions du monde qui concurrencent la leur et leur travail. Mais ils vont y être obligés par les réactions de méfiance qu’ils vont rencontrer.

36Les journalistes sont sur le fil du rasoir : obéir à leur conception de l’information ; rester indépendants ; faire honnêtement leur travail ; tenir compte de la diversité culturelle, sans s’y soumettre. Ils ne réalisent pas assez hélas, comment aujourd’hui ils sont peu populaires dans les pays occidentaux. Et demain ailleurs. Le risque est qu’ils soient rejetés, comme sont rejetés aujourd’hui les hommes politiques, au motif de l’incapacité à comprendre le monde dont ils parlent. Les journalistes ont été longtemps protégés du rejet dont, pour de bonnes et de mauvaises raisons, les hommes politiques ont été l’objet. Demain ils peuvent être l’objet du processus identique de rejet.

La grandeur du métier de journaliste

37Plus il y a de professionnels de l’information, plus il faut spécifier le métier de journaliste qui, à partir des événements, construit des informations à destination du public, le plus large possible. Car la légitimité du journaliste tient au lien très fort qui existe, entre son métier, et la démocratie de masse. C’est par rapport à une certaine éthique de l’information, et avec la possibilité d’intervenir sur tous les aspects de la réalité, qu’existe ce métier, aussi fragile que la liberté de la presse. Et son pouvoir ne vient, en définitive, que de la confiance accordée par le public. Si l’objectivité est depuis toujours impossible, l’honnêteté par contre reste un idéal à privilégier. Et de plus en plus.

38Cela oblige à ne pas imposer, on l’a vu, de la même manière dans le monde, le modèle de la liberté de l’information, tel que nous le vivons en Occident. Les journalistes ne peuvent plus faire comme si le modèle occidental de l’information et de la presse était unanimement partagé et accepté. C’était à peu près vrai il y a trente ans, ça ne l’est plus. Il suffit de voir l’évolution des deux chaînes d’information américaines. CNN n’arrive pas à se départir d’une vision strictement américaine de l’information, et du monde. Fox News, sa concurrente qui maintenant la dépasse avec une conception discutable du journalisme, joue l’entertainment et la provocation. D’ailleurs, il faudra au plus vite multiplier les chaînes d’information mondiales, comme la chaîne francophone par exemple, afin de mieux s’ouvrir aux diversités culturelles.

39Caractériser le métier, c’est aussi distinguer les différents types d’activités liées à l’information et à la presse. Et surtout oser rappeler que « l’élite journalistique » que l’on rencontre dans chaque pays ne correspond qu’à une partie de la profession. C’est cette élite qui est le plus souvent rejetée, car les citoyens y voient une collusion avec toutes les autorités, une certaine arrogance et sûreté de soi, finalement contradictoires avec un métier où la modestie est sans doute la valeur la plus importante à défendre. Car le journaliste voit, souvent, en premier, l’irrationalité du monde et de l’Histoire. Et les publics, de plus en plus attentifs à cette réalité, supportent mal de voir le comportement de plus en plus content de lui de cette minorité de journalistes qui confondent le fait de « voir » les grands de ce monde, avec le fait d’en faire partie. La proximité des décideurs de tous ordres devrait les rendre de plus en plus modestes. On assiste au contraire au mouvement inverse depuis trente ans. Les publics le voient et le supportent de moins en moins. Rappeler que l’écrasante majorité des journalistes n’a pas de rapport avec ce petit milieu aurait probablement un effet positif. Pourquoi les journalistes ne se distinguent pas de ceux qui sont souvent devenus la caricature du métier en en devenant l’élite ? Les journalistes d’agence, par exemple, si essentiels à la production de toute l’information mondiale, n’ont rien à voir avec la médiatisation de cette élite, ni la plupart du temps, les journalistes correspondants à l’étranger. Le rappeler permet de montrer les multiples facettes d’un métier à la fois en expansion, et fragile.

40Critiquer un certain élitisme est donc important, comme faire des comparaisons sur les différentes manières d’exercer le métier selon les pays et les cultures, ou bien reconnaître certaines erreurs dans les enquêtes et l’information. Ne pas se transformer en justiciers et en alliés complices de la justice est aussi une piste à suivre surtout dans les pays occidentaux, où la presse a volontiers tendance, à l’imitation du modèle américain, à se poser en quatrième pouvoir et non en contre-pouvoir. Dans le même ordre d’idées, il faudrait réduire le nombre de livres plus ou moins vite écrits par les journalistes, qui encombrent les librairies et sont évidemment mieux traités par les journalistes dans les autres médias. Tout cela crée, non seulement une injustice, mais aussi le sentiment, désagréable, que les journalistes veulent à la fois avoir le monopole de l’information et celui des idées. Pourquoi les journalistes médiatisent-ils encore plus les journalistes qui sont déjà très médiatisés ?

41De même, faudrait-il que les journalistes, en Occident, desserrent l’étau des sondages. Pas un jour, dans la presse, sans un sondage. Comme s’il n’y avait que l’information quantitative. Mais les journalistes, en privilégiant à l’excès les sondages, réduisent leur travail d’enquête, leur liberté d’esprit critique et confortent le sentiment qu’un individu, ou une rédaction, ne peuvent avoir raison, contre une information quantifiée. C’est toute la dimension qualitative du métier qui est en cause dans le glissement d’une activité journalistique qui, en dehors de la stricte couverture des événements, se réduit de plus en plus à un commentaire des sondages. De même faut-il de la part des journalistes un peu plus de réflexion. Non seulement ils ne font jamais l’autocritique qu’ils réclament par ailleurs à tous les autres acteurs de la société, mais ils confondent aussi souvent logique d’enquête avec goût des révélations. La fameuse référence au « journalisme d’investigation » a bon dos pour cautionner des pratiques proches de la dénonciation. Bref, il y a souvent loin des mots, des références et des discours à la réalité, et les journalistes ne voient pas que les publics voient. Ou plutôt, la plus grande majorité des journalistes, en ne se désolidarisant pas, de certains de leurs confrères, au nom d’un corporatisme dont ils sont victimes, nourrissent l’agacement croissant des publics à l’égard de ce métier, au demeurant magnifique, et indispensable. Quant aux différents milieux professionnels, culturels, qui doivent accéder aux médias, ils se gardent bien de toute réflexion critique, de peur de subir le boycottage de ceux qui en tenant les leviers des médias, commandent assez directement l’accès à l’espace public…

42D’une certaine manière, c’est l’idéal du journaliste américain comme idéal de la profession qui est à interroger, surtout depuis le 11 septembre où le monde entier a compris que la presse américaine, si prompte à donner des leçons de professionnalisme à tous, succombait, tout autant que les autres journalistes du monde, aux réactions nationalistes et à l’autocensure.

43C’est la diversité du métier de journaliste qu’il faut mettre en avant. Si l’attitude par rapport à l’information est relativement identique dans le monde, la manière de l’exercer varie beaucoup selon les supports, les cultures et les contextes. Il faut faire un travail de recensement et de caractérisation des différentes manières d’exercer le métier. À condition, bien sûr, de spécifier à chaque fois ce qui relève de la logique journalistique.

44En réalité, la mondialisation de l’information va obliger les journalistes du Nord à une certaine réserve, car les confrères du Sud, et avec eux tous ceux qui accèdent de plus en plus aux informations, réalisent que la liberté de l’information n’est pas si naturellement garantie au Nord. Certes, il y a moins de dictateurs, mais les liens entre l’économie, la politique, les finances et les enjeux économiques du secteur de l’information sont tels que les journalistes du Nord doivent devenir plus modestes. Ils n’ont pas, sur leur propre secteur, la rigueur d’investigation qu’ils affichent par ailleurs pour d’autres secteurs d’activités. Et si, par exemple, le travail que réalise « Reporters sans Frontières » est indispensable, c’est aussi à condition qu’il intègre un certain relativisme culturel, sans lequel la défense d’une certaine universalité de l’information risquerait bien de se transformer en une simple défense de l’occidentalisme.

45Le résultat favorable de la mondialisation de l’information est d’obliger à diversifier les rôles et comportements des journalistes, et à retrouver une certaine retenue qui, finalement, ramène le travail du journaliste sur l’enquête, qui est le centre de son métier.

46Mais cela passe par un effort sérieux de formation. À la fois pour mieux comprendre les enjeux de la mondialisation de l’information, les réalités et contradictions des sociétés occidentales et pour s’ouvrir aux autres sociétés et cultures. Le journaliste n’est ni un justicier, ni un compagnon du pouvoir, ni un politique, ni un universitaire en culotte courte.

47Pour ma part, cela fait des années qu’à la fois je défends ce métier, indispensable à la démocratie, j’en rappelle sa fragilité, au-delà de son apparente victoire, et réfléchis aux moyens d’en renforcer le statut et les liens, avec des professions dont les valeurs sont proches. J’en ai parlé dans de nombreux livres, L’information demain. De la presse écrite aux nouveaux métiers (1979) ; La folle du logis (1983) ; Terrorisme à la une : médias, terrorisme et démocratie (1987) ; War Game, L’information et la guerre (1991) ; La dernière utopie. Naissance de l’Europe démocratique (1993) ; Penser la communication (1997) ; Internet et après. Une théorie critique des nouveaux médias (1999).

48Dans un monde saturé d’informations, de rumeurs et de mensonges, le rôle du journaliste, visant à déchiffrer le monde et les événements, pour essayer de les expliquer au plus grand nombre, est fondamental. Entre l’action et la connaissance, leur métier, centré sur une information validée par eux, est déterminant. Cette fonction de médiateur est encore plus importante aujourd’hui qu’hier car l’espace de la communication est plus vaste, et les enjeux de paix et de guerre, liés aux incompréhensions et mensonges, encore plus nombreux.

49C’est du côté de la vérité que les journalistes se situent. À condition d’assumer, avec retenue, leur rôle. Défendre la fragilité, et le caractère indispensable du journaliste dans un univers saturé d’information, est une des batailles culturelles les plus importantes à mener. Les journalistes doivent à la fois se rapprocher de tous ceux qui, comme les documentalistes et universitaires, partagent les mêmes valeurs de vérité et de connaissance, tout en préservant nettement la spécificité de leur rôle.

50C’est en distinguant plus nettement les trois logiques fondamentales, de l’information, de la connaissance et de l’action que l’on peut aussi contribuer à défendre et refonder le métier de journaliste, si indispensable à la démocratie. Le comble serait que, au moment où les valeurs de la démocratie n’ont finalement jamais été autant présentes dans le monde, que l’un des métiers qui en est le symbole, sans en être le seul, se voit progressivement délégitimé.

51Au-delà des performances techniques, des mirages ou des réalités de l’économie de l’information, l’essentiel reste bien, ce lien entre information et journalisme. L’information n’existe jamais en soi ; elle est toujours le résultat d’une construction, discutable, par des hommes qui, tel Fabrice à Waterloo, voyant le spectacle fou du monde, essayent de le comprendre pour l’expliquer à d’autres hommes, innombrables, et invisibles. C’est cette chaîne, finalement fragile, entre les événements, l’information, les journalistes et le public qui font l’intérêt de ce métier. Sa grandeur ? Les valeurs qu’il incarne et qui permettent, comme pour la démocratie, d’en critiquer les erreurs, ou les dérives, au nom même des valeurs qui le portent, pour l’améliorer. Les journalistes, avec quelques autres, sont les fantassins de la démocratie.

Dominique Wolton
Dominique Wolton, directeur de recherche au CNRS, Laboratoire Communication et Politique. Directeur de l’UPS Information, Communication et Enjeux scientifiques. Directeur de la revue Hermès. CNRS, Paris.
Mis en ligne sur Cairn.info le 08/09/2014
https://doi.org/10.4267/2042/9312
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