CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Cet article présente les principaux résultats d’une radiographie [1] de la population des journalistes français au 1er janvier 2000, c’est-à-dire celle des 31 903 journalistes français détenteurs de la carte professionnelle 1999, réalisée grâce au concours de la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels (CCIJP).

2La CCIJP [2] est un organe professionnel paritaire créé par la loi du 29 mars 1935 portant statut du journaliste professionnel qui attribue la carte professionnelle, symbole de l’appartenance des journalistes à ce groupe. Les critères retenus pour l’attribution de cette carte sont, pour l’essentiel, relatifs aux revenus (tirer le principal de ses ressources de son activité journalistique), à l’activité (collaborer à une ou plusieurs rédactions) et au statut des entreprises (agences de presse et assimilées, entreprises de presse et assimilées).

3Si l’obtention de la carte de presse crée symboliquement l’appartenance à un groupe ainsi unifié, celui de journaliste professionnel, cette unité apparente est relativement trompeuse. En effet, l’analyse des différentes données [3] qui permettent de construire le profil sociodémographique et professionnel des journalistes fait apparaître des facteurs de différenciation qui s’opposent assez fortement à ce que cette dénomination de « journaliste professionnel » peut avoir d’unificateur. Quatre éléments sont des facteurs significatifs de différenciation au sein de la profession : la situation professionnelle, le média d’exercice, le sexe et la formation.

Des conditions d’exercice de l’activité très variables

4Premier facteur de différenciation entre les journalistes, la situation professionnelle dans l’entreprise définie par le statut, la fonction, la qualification et le revenu mensuel brut, tous éléments qui sont fortement corrélés au média d’exercice.

Tableau 1

Répartition de la population des journalistes en fonction du statut – Total, femmes et hommes – 1999a

Tableau 1
Statut Effectifs En% Femmes (%) Hommes (%) Journaliste titulaire 22 644 71 67,1 73,5 Journaliste stagiaire a 1 785 5,6 7 4,7 Directeur 483 1.5 0,6 2,1 Total Journaliste 24 912 78,1 74,7 80,3 Pigiste titulaire 4 863 15,2 17,2 13,9 Pigiste stagiaire 856 2,7 3,4 2,2 Total Pigiste 5 709 17,9 20,6 16,1 Demandeur d’emploi 1 281 4 4,7 3,6 % et effectifs 31 903 100 100 100 12 546 (39 %) 19 447 (61 %)

Répartition de la population des journalistes en fonction du statut – Total, femmes et hommes – 1999a

a. Tout nouvel entrant dans la profession relève de la position de « stagiaire » pendant deux ans. Toutefois les diplômés des écoles reconnues ne sont stagiaires qu’un an et certaines spécialisations techniques (photographe par exemple ou JRI) permettent l’accès direct à la position de titulaire.

5Le statut est un élément distinctif important car il divise le groupe entre journalistes pigistes (18,4 % des journalistes en activité) exerçant souvent leur activité dans un cadre précaire (CDD ou rémunération à la copie) et journalistes salariés mensualisés (81,6 %) bénéficiant d’une plus grande stabilité de l’emploi.

6Au-delà de l’écart entre la relative sécurité dont bénéficient les salariés mensualisés et la précarité réelle que vivent les pigistes, la différence principale entre ces deux catégories statutaires est le montant du revenu mensuel brut. Le revenu médian [4] des pigistes est estimé à 11 700 F brut mensuel alors que celui des salariés est estimé à 18 700 F, soit 7 000 F d’écart.

7Même si pour une fraction importante, le passage par le statut de pigiste est une situation temporaire, certains journalistes font des « carrières » de pigistes. En effet, plus de 35 % des pigistes ont une ancienneté professionnelle supérieure à 10 ans, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas pu, ou n’ont pas souhaité, être intégrés dans une entreprise avec un statut stable. Pour les pigistes, l’accès à des positions hiérarchiques intéressantes ou prestigieuses, et aux revenus associés, est pratiquement impossible.

8Atteindre une position hiérarchique d’encadrement, elle-même susceptible d’une évolution tout au long de la carrière, est un autre élément de différenciation : 38 % des salariés ont des responsabilités de gestion d’équipes, mais seulement 3 % des pigistes. Cet accès à des fonctions d’encadrement discrimine aussi fortement les femmes. Les postes dits « base » correspondent, en général, à des activités de terrain et concernent 62 % des salariés mensualisés et 97 % des pigistes.

9Les métiers des journalistes, au-delà de la dénomination collective commune, sont très variés contribuant à l’hétérogénéité des situations professionnelles observables. La typologie de la CCIJP en recense plus de 300 qui ont été ramenées à une trentaine, en conformité avec les typologies classiques de la convention collective et des barèmes de salaires [5]. La catégorie la plus nombreuse est celle de « rédacteur-reporter » qui représente 45 % des effectifs d’ensemble mais 65,4 % des « journalistes base ». Cette catégorie même est assez floue, ce qui correspond aussi à la polyvalence croissante des journalistes entre desk et terrain. Parmi les fonctions d’encadrement, c’est celle de rédacteur en chef-rédacteur en chef ad joint qui domine, avec 12,5 % des effectifs mais 40 % des « journalistes cadres ».

Tableau 2

Qualifications – Parts des pigistes et des salariés mensualisés

Tableau 2
Journalistes « cadres » Pigistes Salariés mensualisés % de l’ensemble des journalistes Rédacteur en chef 1,8 98,2 7,7 Rédacteur en chef adjoint 4,2 95,8 4,8 Chef de service 0,9 99,1 4,9 Grand reporter 0,8 99,2 3,2 Chef de rubrique 1,0 99,0 2,9 Chef d’édition 1,9 98,1 1,6 Chef d’agence 0,0 100,0 1,5 Directeur 0,0 100,0 1,5 Directeur de la rédaction 1,2 98,8 1,1 Secrétaire général de rédaction 0,9 99,1 1,0 1er Secrétaire de rédaction 0,9 99,1 0,7 Directeur artistique 4,1 95,9 0,5 Directeur de la publication 0,0 100,0 0,1 Total « cadres » 2,8 38,0 31,4
Tableau 2
Journalistes « base » Pigistes Salariés mensualisés % de l’ensemble des journalistes Rédacteur-reporter 29,1 70,9 44,8 Secrétaire de rédaction 7,5 92,5 8,9 Reporter photographe 47,2 52,8 4,8 Rédacteur graphiste 9,5 90,5 3,8 Journaliste reporter d’images 35,8 64,2 2,9 Rédacteur réviseur 25,1 74,9 0,7 Présentateur 26,8 73,2 0,6 Dessinateur 59,5 40,5 0,4 Iconographe 10,2 89,8 0,3 Maquettiste 11,6 88,4 0,3 Rédacteur en chef technique 0,0 100,0 0,3 Infographiste 9,1 90,9 0,1 Envoyé spécial permanent 0,0 100,0 0,1 Documentaliste 0,0 100,0 0,1 Autres 28,3 71,7 0,4 Total « base » 97,2 62,0 68,3 Rappel ensemble des journalistes (% et effectifs) 18,6 % 5 640 81,4 % 24 685 100 % 30 325

Qualifications – Parts des pigistes et des salariés mensualisés

(en % de chaque qualification) – 1999

10Ces métiers variés s’exercent sous des statuts différents. Ceux de dessinateurs, de reporters photographes et de journalistes reporters d’images s’exercent de façon significative, entre 50 % et 35 %, sous le statut de pigiste. D’autres métiers rassemblent une part de pigistes moindre, mais supérieure à la moyenne, entre 29 % (rédacteur-reporter) et 25 % (rédacteur-réviseur). En revanche, les métiers techniques de la mise en page (secrétariat de rédaction, maquette et graphisme) s’exercent majoritairement sous le statut de salarié mensualisé.

La mosaïque des médias d’exercice

11Le média d’exercice est le deuxième facteur de différenciation. En effet, le paysage médiatique français est très diversifié, qu’il s’agisse des supports (presse ou audiovisuel ou télématique), de la périodicité (du pluriquotidien des médias audiovisuels et télématiques à la multitude des périodicités de la presse), des contenus (de la presse spécialisée traitant de tous les sujets imaginables aux radios et télévisions généralistes) ou de la couverture géographique des médias (radios locales, hebdomadaires départementaux, grands quotidiens régionaux ou grands médias nationaux, agences internationales).

12La presse écrite fait travailler l’essentiel des journalistes avec 72,82 %, très loin devant l’audiovisuel (21 % avec 12,4 % pour la télévision et 8,5 % pour la radio) et les agences (6 %).

13Ceci correspond de façon assez logique à la structure du marché caractérisé, en particulier, par un très grand nombre d’entreprises de presse et de titres. Les statistiques de la Direction du Développement des Médias [6] dénombrent plus de 3 460 titres, dont la plupart sont des périodiques portant sur des sujets très différents, et concernant soit les amateurs, soit les professionnels. Ceci explique que la presse spécialisée fasse travailler environ 33 % de l’ensemble des journalistes. Il faut également noter que c’est en presse spécialisée que l’on trouve les tirages les plus élevés, supérieurs à un million d’exemplaires (presse de télévision et presse féminine).

14On ne dénombre qu’à peine une centaine de quotidiens, dont à peine une dizaine ayant une couverture nationale. Les quotidiens régionaux ont une diffusion très supérieure à celle des quotidiens nationaux mais aussi des rédactions très nombreuses : ils font travailler plus de 20 % de l’ensemble des journalistes contre seulement 7,5 % pour les quotidiens nationaux.

15Les entreprises de télévision [7], en particulier celles susceptibles de faire travailler des équipes importantes de journalistes sont peu nombreuses : il s’agit surtout des cinq grandes chaînes nationales hertziennes (3,5 % des journalistes), de quelques chaînes régionales (en particulier FR 3) ou locales et de quelques chaînes d’information. En radio, la situation est identique. Certes il existe plus de 1 200 stations [8] de radio mais 50 % sont des radios associatives et 22 % des radios musicales où l’information est quasi absente. Restent alors surtout les radios du groupe Radio-France, les grandes stations commerciales (RTL, Europe 1 ou RMC) et les grands réseaux nationaux (NRJ) qui emploient 3,3 % des journalistes.

16Tous ces médias n’ont pas les mêmes pratiques de recrutement et de gestion de leurs effectifs. C’est ainsi que la part des pigistes dans les rédactions est très variable en fonction des secteurs médiatiques [9].

Tableau 3

Pigistes et salariés permanents – Part dans les effectifs des médias (en % de chaque média) – 1999

Tableau 3
Pigistes Salariés mensualisés Ensemble des journalistes Agences photographiques 42,7 57,4 0,9 Télévisions régionales 31,7 68,3 5,5 Autres télévisions 30,2 69,8 3,3 Presse spécialisée grand public 26,3 73,7 21 Radios nationales 23,6 76,9 3,3 Presse magazine d’information générale 22,8 77,2 5,3 Télévisions nationales 21,9 78,1 3,5 Autres agences 19,1 80,9 2,1 Presse quotidienne nationale 19,6 80,4 7,4 Presse spécialisée technique et professionnelle 17,1 82,9 11,7 Radios locales 16 84 5,3 Presse institutionnelle 14,7 85,3 4,2 Agences mondiales d’information 10,1 89,9 3,1 Presse quotidienne régionale 6,8 93,2 20,1 Presse régionale non quotidienne 6,1 93,9 3,1 Effectif total et en % 5 640 (18,6 %) 24 685 (81,4 %) 30 325 (100 %)

Pigistes et salariés permanents – Part dans les effectifs des médias (en % de chaque média) – 1999

17Le groupe des pigistes est surreprésenté dans les agences photographiques, dans les chaînes de télévision, les radios nationales et la presse magazine, généraliste ou spécialisée grand public (45 à 22 % des effectifs).

18Ces secteurs ont une gestion spécifique de leur personnel journaliste. Dans les agences photographiques, les photographes sont rarement salariés permanents. Dans l’audiovisuel et surtout la télévision régionale (31,7 % de pigistes), les pigistes représentent véritablement un volant de main-d’œuvre flexible, plus souple à gérer et qui permet de compléter les effectifs sans engager l’entreprise. La presse d’information générale (presse quotidienne, nationale et régionale, et presse magazine) et les agences internationales comptent la plus grande part de salaries mensualises (81 à 94 %) et un pourcentage significatif de cadres (entre 28 et 34 % des effectifs).

19Les écarts de rémunération accentuent les différences selon les medias. Les quotidiens nationaux, l’audiovisuel national, les grandes agences mondiales et la presse magazine d’information générale proposent a leurs salaries des rémunérations plus élevées : 50 % d’entre eux ont des salaires bruts mensuels compris entre 15 000 F et 25 000 F et 30 % des salaires supérieurs à 25 000 F.

20Au-delà des éléments de structure de la profession, ce sont les spécificités même de chacun des medias et de chacune des entreprises qui créent des différences entre les journalistes. Ces indicateurs conditionnent fortement la pratique quotidienne de l’activité journalistique, en particulier la culture propre à chaque entreprise et la variété des pratiques de recrutement.

Des disparités femmes – hommes importantes

21Les différences observables dans les situations professionnelles des femmes et des hommes, combinées aux écarts d’âges, renforcent l’hétérogénéité du groupe.

22En 1999, parmi les 31 903 détenteurs de la carte de presse, on compte 39 % de femmes et 61 % d’hommes [10], soit un taux d’activité féminine légèrement inferieur a celui de l’ensemble de la population active française. En revanche ce taux de féminisation est proche de celui que l’INSEE donne en 1999 pour l’ensemble des « cadres et professions intellectuelles supérieures » avec 34,4 % de femmes et 65,6 % d’hommes.

23L’âge moyen du groupe est de 42 ans et l’âge médian de 41 ans. Les femmes sont proportionnellement plus jeunes que les hommes : 57 % des femmes ont moins de 40 ans contre seulement 44,5 % des hommes.

24Plus jeunes, les femmes journalistes sont globalement moins avancées dans la carrière. Si 66,4 % de l’effectif total des journalistes a une ancienneté inferieure ou égale à 15 ans (soit une entrée dans la profession entre 1985 et 1999), la comparaison des anciennetés entre les femmes journalistes et les hommes journalistes confirme la relative jeunesse des femmes journalistes. En effet, 31,3 % des femmes journalistes ont une ancienneté égale ou inferieure à 5 ans, pour seulement 23 % des hommes ; 55,5 % des femmes ont une ancienneté inferieure à 10 ans pour seulement 42 % des hommes.

25Le facteur âge n’est toutefois qu’un facteur explicatif partiel de la plus faible représentation des femmes journalistes dans les postes d’encadrement.

Tableau 4

Fonctions « cadre » – « base » des journalistes – Répartition femmes-hommes (en %) – 1999

Tableau 4
« Cadre » « Base » Total journalistes Femmes 23,8 76,2 11 774 (38,8) Hommes 36,7 83,3 18 551 (61,2) Rappel ensemble journalistes (31,7 %) (63,3 %) 30 325

Fonctions « cadre » – « base » des journalistes – Répartition femmes-hommes (en %) – 1999

26Les journalistes femmes ne sont que 23,8 % à être cadres (10 points de moins que leur part dans l’ensemble du groupe) alors que les hommes sont 36,7 % ; 9 % des journalistes femmes occupent un poste de rédacteur en chef ou de rédacteur en chef technique pour 15 % des journalistes hommes.

27Cette moindre présence dans les fonctions d’encadrement est également due au fait que les femmes sont proportionnellement plus nombreuses à être pigistes (21,6 %) que les hommes (16,7 %) : le statut de pigiste ne permet pas de s’insérer facilement dans une logique de carrière avec progression hiérarchique.

28De plus, l’observation des différents métiers du journalisme montre que certains sont nettement féminins et d’autres nettement masculins.

29Les journalistes femmes sont très présentes dans deux métiers, rédacteur-reporter (44,2 %) et secrétaire de rédaction (58,7 %) ; alors que les hommes journalistes sont surreprésentés dans les métiers du reportage : 84,5 % des reporters photographes, 74,9 % des grands reporters et 88,6 % des journalistes reporters d’images. Là encore, il faut rappeler le prestige qui s’attache au reportage, et en particulier au reportage « images », photo et vidéo.

Tableau 5

Qualifications des journalistes – Répartition femmes-hommes (en %) – 1999

Tableau 5
Femmes Hommes Total journalistes Rédacteurs-reporters 44,2 55,8 13 731 (44,8 %) Secrétaires de rédaction 58,7 41,3 2 730 (13,5 %) Reporters photographes 11,4 88,6 1 463 (4,8 %) Grands reporters 25,2 74,9 970 (3,2 %) Journalistes reporters d’images 15,5 84,5 955 (2,9 %) Rappel ensemble journalistes (38,8 %) (61,2)

Qualifications des journalistes – Répartition femmes-hommes (en %) – 1999

30Si on considère 40 ans comme un âge pivot, on constate là encore des variations importantes dans la part respective des femmes et des hommes dans chacun des métiers.

Tableau 6

Part des moins de 40 ans dans les métiers observés – femmes, hommes, ensemble (en % de chaque groupe et chaque sexe)

Tableau 6
Femmes (entre 20 et 40 ans) en % Hommes (entre 20 et 40 ans) en % Ensemble journalistes Rédacteurs-reporters 67 60 44,8 Journalistes reporters d’images 74 61 2,9 Reporters photographes 65 45 4,8 Secrétaires de rédaction 52 37 13,5 Grands reporters 33 22 3,2 Rappel ensemble journalistes 38,8 % 61,2 % 100 %

Part des moins de 40 ans dans les métiers observés – femmes, hommes, ensemble (en % de chaque groupe et chaque sexe)

31À l’exception des grands reporters, profession qui apparaît relativement âgée, ce qui correspond au fait qu’on y accède après une longue expérience du terrain, les métiers spécifiés dans les tableaux précédents comportent tous une part relative plus importante de jeunes femmes que de jeunes hommes, avec des variations significatives selon les métiers.

32Les métiers de rédacteurs-reporters et de journalistes reporters d’images (JRI) sont des métiers jeunes, puisque les moins de 40 ans dominent : toutefois la part des femmes y est légèrement supérieure (67 et 74 %) à celle des hommes (60 %). Ces deux métiers sont largement ouverts aux journalistes débutants, l’activité de rédacteur-reporter en représentant l’activité dominante. Par ailleurs le métier de JRI est un métier relativement récent (une vingtaine d’années) et qui accueille aussi beaucoup de jeunes journalistes. En revanche, parmi les reporters photographes et les secrétaires de rédaction, la part des femmes de moins de 40 ans est nettement plus élevée que les hommes de moins de 40 ans : le rajeunissement de ces professions passe semble-t-il par leur féminisation.

33Des différences assez nettes entre les femmes et les hommes apparaissent également dans la répartition par médias.

Tableau 7

Répartition des journalistes en activité par média – Ensemble, femmes et hommes (en % de chaque média) – 1999

Tableau 7
Femmes Hommes Total journalistes Presse spécialisée grand public 51,7 48,3 6 381 (21 %) Presse quotidienne régionale 26,4 73,6 6 099 (20,1 %) Presse spécialisée technique et professionnelle 51,6 48,4 3 534 (11,6 %) Presse quotidienne nationale 38,6 61,4 2 243 (7,4 %) Télévisions régionales 27,2 72,8 1 075 (5,5 %) Presse magazine d’information générale 42,3 57,7 1 608 (5,3 %) Radios locales 35,0 65,1 1 605 (5,3 %) Presse institutionnelle 45,3 54,7 1 283 (4,2 %) Télévisions nationales 30,3 69,7 1 075 (3,5 %) Autres télévisions 35,4 64,6 991 (3,3 %) Radios nationales 32,0 68,0 985 (3,3 %) Presse régionale non quotidienne 32,9 67,1 934 (3,1 %) Agences mondiales d’information 31,0 69,0 928 (3,1 %) Autres agences 32,3 67,7 634 (2,1 %) Agences photographiques 26,9 73,1 279 (0,9 %) Rappel ensemble journalistes 38,8 % 61,2 % 30 325

Répartition des journalistes en activité par média – Ensemble, femmes et hommes (en % de chaque média) – 1999

34D’une façon générale, les journalistes femmes sont plus présentes dans la presse écrite que dans l’audiovisuel. Encore leur répartition au sein des grandes catégories de la presse est-elle, elle aussi, assez différente de celle de leurs collègues hommes : elles sont majoritaires (plus de 51 % des effectifs) dans la presse spécialisée (grand public et technique et professionnelle) et assez nombreuses en presse magazine d’information générale (42,3 %) et en presse institutionnelle (45,9 %). Les journalistes hommes sont nettement majoritaires dans l’audiovisuel et plus largement dans les grands médias nationaux ou internationaux (agences) d’information générale. Ces médias sont par ailleurs considérés comme les plus prestigieux.

35Les journalistes exerçant en presse spécialisée, radio et télévision sont globalement plus jeunes que ceux qui exercent en presse quotidienne, en presse magazine d’information générale et en agences.

36Ces écarts statutaires et fonctionnels, ces différences d’insertion sur le marché des médias expliquent que les journalistes femmes perçoivent aussi des revenus moindres : 56 % des femmes touchent entre 10 000 F et 20 000 F mensuels bruts pour seulement 46 % des hommes. Autre exemple : 5 % des femmes touchent plus de 30 000 F mensuels bruts contre 12 % des hommes. Les femmes sont en effet nettement moins représentées dans les fonctions d’encadrement, où l’on trouve aussi les salaires les plus élevés.

37Le salaire médian masculin est de 19 300 F mensuels bruts, mais le salaire médian féminin n’est que de 16 700 F, soit un écart de 15,6 %. En revanche les différences de revenus entre les femmes pigistes et les hommes pigistes sont moins marquées. La tranche de revenus des piges la plus fréquente est celle des 5 000/10 000 F mensuels bruts ; elle concerne 39 % des femmes et 34,2 % des hommes.

38Plus jeunes, ayant moins d’ancienneté, les journalistes femmes ont donc une situation professionnelle relativement discriminée par rapport aux journalistes hommes. Elles sont plus nombreuses dans des statuts précaires, dans des métiers moins qualifiés, et dans des catégories de presse considérées comme beaucoup moins prestigieuses que leurs collègues masculins.

Un groupe original : les titulaires de la carte de presse diplômés des écoles agréées

39Le quatrième facteur important de différenciation à l’intérieur du groupe est celui de la formation. Ne font l’objet de cette analyse que les seuls diplômés d’une école professionnelle agréée titulaires de la carte 1999, aucune autre donnée sur la formation des journalistes n’étant disponible dans la base de données de la CCIJP.

40Ces journalistes issus des formations agréées par la Convention collective des journalistes sont nettement plus jeunes (52 % ont entre 26 et 35 ans contre 30,3 % pour l’ensemble). L’observation des lieux de naissance et de résidence montre une présence plus importante de la province : 75,5 % sont nés en région contre 63,9 % pour l’ensemble et 42,3 % travaillent en région contre 39,7 %. Il faut d’ailleurs noter l’existence d’une relation entre les lieux de naissance et la localisation des écoles de formation, dont cinq sur huit reconnues en 1999 sont installées en province.

41Leur situation professionnelle diffère également de celle de l’ensemble des journalistes. Plus jeunes ils sont logiquement plus nombreux à être pigistes (19,6 % contre 18,4 % pour l’ensemble). Mais pour eux, le statut de pigiste (à la pige ou en CDD) n’est qu’une étape dans leur parcours. Très peu de pigistes diplômés des formations agréées (12,5 % contre 40 % pour l’ensemble des journalistes) ont plus de 40 ans.

42L’analyse de la présence des diplômés des écoles agréées par secteurs d’activité permet de mesurer leur place relative dans les effectifs des différents secteurs médiatiques. Ceci permet également d’identifier l’avantage relatif que représente le passage par une formation reconnue pour accéder aux médias considérés comme les plus prestigieux.

Tableau 8

Journalistes diplômés des écoles agréées titulaires de la carte 1999 – Présence dans les effectifs des médias (en % de l’ensemble des actifs)

Tableau 8
Diplômés des écoles agréées % de l’ensemble des actifs du média En % de l’ensemble des journalistes Télévisions régionales 28,5 5,5 Radios nationales 26,1 3,3 Agences mondiales d’information 26 3,1 Télévisions nationales 21,6 3,5 Autres télévisions 16,9 3,3 Presse quotidienne nationale 15,7 7,4 Internet 15,2 0,2 Presse quotidienne régionale 13,1 20,1 Radios locales 12,2 5,3 Autres Agences 11,8 2,1 Presse magazine d’information générale 10,4 5,3 Presse institutionnelle 7,3 4,2 Presse spécialisée technique et professionnelle 6 11,7 Presse spécialisée grand public 5,8 21 Presse régionale non quotidienne 4 3,1 Agences photographiques 2,5 0,9 Rappel effectif total et en% 3 810 12,2 % 30 619 100 %

Journalistes diplômés des écoles agréées titulaires de la carte 1999 – Présence dans les effectifs des médias (en % de l’ensemble des actifs)

43Dans les télévisions régionales, les radios, les agences mondiales, ils représentent plus du quart des effectifs (28,5 à 26 %), soit le double de leur présence moyenne dans l’ensemble de la population active des journalistes (12,2 %). Ils sont également assez fortement représentés dans les télévisions nationales (21,6 %) et les « autres télévisions » (16,9 %) et dans la presse quotidienne nationale (15,7 %) et régionale (13,1 %). Dans les radios locales, les « autres agences » et la presse magazine leur présence correspond à leur part dans l’ensemble du groupe des journalistes.

44En revanche dans les autres secteurs, presses spécialisées, agences photographiques et presse régionale non quotidienne leur présence est moindre puisqu’ils ne représentent que 2,5 à 7,3 % des effectifs.

45Le passage par une école agréée semble rendre l’accès aux médias réputés les plus prestigieux (agences, audiovisuel et presse quotidienne) plus aisé.

46Les journalistes femmes sont effectivement un peu plus nombreuses (12,7 %) que les hommes (11,4 %) à être passées par une école reconnue et ce phénomène s’accentue : les effectifs des écoles ont tendance à se féminiser. Et quand elles sont issues d’une école professionnelle agréée, elles sont proportionnellement plus nombreuses dans l’audiovisuel et dans les grands médias nationaux ou régionaux d’information générale. Le passage par une école de journalisme agréée par la profession représente un avantage réel pour les femmes journalistes en termes de carrière.

47Les journalistes diplômés des écoles agréées occupent donc, en général, des positions apparemment plus favorables que la moyenne des journalistes. Cela se traduit bien sûr par des éléments matériels mesurables (accès à des positions cadres plus facile, revenus plus élevés) mais aussi des éléments symboliques, à savoir l’accès aux médias qui occupent le haut d’une hiérarchie implicite dont les critères d’organisation seraient d’une part la visibilité nationale ou internationale et d’autre part la proximité au monde politique.

48Cette analyse des données statistiques de la CCIJP confirme donc l’hétérogénéité de la profession, qui apparaît relativement éclatée et moins unie qu’on ne le croit. Certes, comme tout professionnel, le journaliste prend en compte les contraintes structurelles, « objectives » du marché de l’emploi, la réalité des formes d’organisation des rédactions dans les médias. Mais il introduit également sa propre dynamique, ses attentes, ses désirs, tout ce qui relève d’une approche très individualisée de son activité professionnelle [11]

49L’analyse statistique n’offre qu’une photographie globale de la profession, mais les situations individuelles sont loin d’être aussi « prédéterminées » que ce qu’elle suggère car ces positions individuelles s’expliquent aussi par les dimensions subjectives qui ont présidé, pour chaque journaliste, au choix de cette profession et à la façon dont, ensuite, cette carrière et ses conditions d’exercice sont perçues et gérées.

Notes

  • [1]
    Devillard, V., Lafosse, M.-E., Leteinturier, C., Rieffel, R., Les Journalistes français à l’aube de l’an 2000. Profils et parcours, Paris, éd. Panthéon-Assas, LGDJ, 2001, 169 p.
  • [2]
    Site de la CCIJP [www.ccijp.org].
  • [3]
    Les données présentées ici concernent l’ensemble des journalistes titulaires de la carte de presse 1999, ce qui ne recouvre pas totalement l’ensemble de ceux qui exercent des fonctions journalistiques.
  • [4]
    Le revenu médian est celui qui divise en deux groupes égaux la population observée.
  • [5]
    Cf. site [www.snj.fr].
  • [6]
    Direction du développement des médias, Tableaux statistiques de la presse. Édition 2001, Documentation française, 2001, 145 p.
  • [7]
    Service juridique et technique de l’information et de la communication, Indicateurs statistiques de l’audiovisuel, 1999.
  • [8]
    Service juridique et technique de l’information et de la communication, Indicateurs statistiques de la radio, 1999, 102 p.
  • [9]
    Ruellan, D., Marchetti, D., Devenir journalistes. Sociologie de l’entrée sur le marché du travail, Paris, La Documentation française, 166 p.
  • [10]
    La population active française est composée de 44,5 % de femmes et de 55,5 % d’hommes.
  • [11]
    Leteinturier, C., « Devenir cadre dirigeant journaliste dans les médias français », in Rieffel, R., et Watine, T., (dir.), Les Mutations du journalisme. Comparaison France-Québec, Paris, éd. Panthéon-Assas, 2002, p. 119-156.
Français

La radiographie des 3 1 903 journalistes titulaires de la carte de presse 2000 montre la très grande hétérogénéité du groupe, reliée à quatre facteurs principaux de différenciation : la situation professionnelle (statut, qualification, revenus), le média d’exercice, le sexe et la formation professionnelle initiale. 18 % des journalistes sont pigistes et ils travaillent surtout en presse spécialisée et en télévision régionale. Si la presse fait travailler 73 % des journalistes, les journalistes salariés (78 % des actifs) sont davantage concentrés dans les grands médias nationaux d’information générale, où les possibilités de carrières sont plus ouvertes. Les disparités entre les femmes et les hommes restent très sensibles, tant sur le plan de l’âge, que du statut ou de la rémunération. Dans l’ensemble, le passage par une école professionnelle agréée par la Convention collective des journalistes (12 % de l’effectif) représente, autant pour les femmes que pour les hommes, un avantage en terme de carrière : plus forte présence dans les grands médias nationaux, accès plus large à des postes d’encadrement.

Mots-clés

  • journalisme
  • qualification professionnelle
  • féminisation
  • recrutement
  • carrière
Christine Leteinturier
Christine Leteinturier, maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication à l’université Panthéon-Assas, Institut Français de Presse, auteur de diverses études sur les professionnels de l’information, dont L’Identité professionnelle des documentalistes, le cas des médias, ADBS, 1996 ; et Les journalistes français à l’aube de l’an 2000. Profils et parcours, en collaboration avec V. Devillard, M.-F. Lafosse et R. Rieffel.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 08/09/2014
https://doi.org/10.4267/2042/9315
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