1La diversité et la multiplicité des modes d’organisation sont à la base de la formation historique brésilienne, marquée et modelée par une profonde polyphonie. Autrement dit, la multiplicité est dans la société à l’intérieur de son tissu, elle est un état de la société. Cette structure sociale irréductible à une unité globale fixe et immuable, a été très bien perçue par Duvignaud quand il dit que le Brésil « est, certes, une nation, et ceux qui l’habitent s’affirment brésiliens, mais la multiplicité des groupes et des solidarités originales ne se fond point dans une image globale qui serait abstraite et vague » car dans ce pays « le vécu collectif résiste à la réduction » puisqu’une « surabondance affective, sensuelle, passionnelle accompagne le commerce des hommes, de la violence à la tendresse – qui défie souvent les statistiques ou les classifications » (1992, p. 7-8). Dans le même sens vont les observations de Febvre : « Terre immense, et c’est déjà un merveilleux problème, celui d’une pareille unité politique et culturelle maintenue depuis cinq siècles, sans effondrements, de Porto Alegre à Belém (ce qui veut dire de Gibraltar à Stockholm) et des limites du Pérou à Recife (soit, à peu près, de Paris à Moscou). Terre immense, compacte, puissamment continentale ». De Rio de Janeiro « l’enchanteresse » il fait un bond à São Paulo « la dévorante ». Un vol d’avion et voilà Belo Horizonte « qui pousse dans la brousse, tout jalonné, des avenues, des places, des quartiers entiers qui jailliront du sol, demain ». Au Minas Gérais il retrouve « ce Brésil de l’or qui n’est plus. Tant d’exquises cités ». Ce n’est pas tout : « Voici Recife encore, ses aspects vénitiens, ses magnifiques colonnades de cocotiers au long d’une mer étonnamment verte – qui vit jadis se traîner sur elle “gonflées comme des ventres de femmes enceintes”, tant de nefs chargées de dépouilles orientales que les Lords du Sucre se disputaient entre eux... ». Après, « de relais en relais, au long d’une bande saturée d’histoire coloniale » il trouve Goiania, avec « son marché rempli d’odeurs fortes et de nourritures exotiques ». Le constat : « Autant de villes, autant de mondes ». Le survol de l’immensité est le seul moyen pour passer de l’un à l’autre car il y a « tant de Brésils dans ce Brésil... Et cependant, que d’autres Brésils encore ! » La conclusion : « Voir tout cela, posséder tout cela, on n’en finira pas. Et, sitôt la promenade terminée, il faudrait la recommencer. Avec de bonnes boussoles, car tout aurait changé dans l’intervalle » (1974, p. 12-13).
2Et tout cela marche ? Bien sûr. Comment ? Ce qui fait du Brésil, le Brésil est le métissage, force sociale d’assemblage des éléments hétéroclites et contradictoires qui forment la société, jusqu’au brouillage des différences et des distinctions figées. Vecteur du mouvement, de la mobilité, de la plasticité et de la composition, le métissage est le principal mécanisme d’orientation sociale au Brésil et son origine non seulement est religieuse mais se confond avec la formation historique du pays [1]. Certes, le Brésilien est profondément religieux. Mais il s’agit d’une religiosité dionysiaque et carnavalesque, en un mot, festive et charnelle, plutôt vécue théâtralement, publiquement et collectivement que sentie dans la solitude du for intérieur, au fond de soi-même. Cela veut dire qu’au Brésil, la fête – procession religieuse et carnaval – est ce qui fait l’assemblage car elle est l’espace privilégié de réunion des différences, des figurations sociales, d’assemblée collective et de socialité.
3Élément d’importance indiscutable dans l’entreprise coloniale portugaise – ce n’est pas à tort que les terres conquises furent placées sous le patronage de l’ordre du Christ – le catholicisme fut le plus puissant outil d’organisation et de contrôle de la vie brésilienne pendant très long temps. Il a cimenté l’union entre l’État et l’Église, union seulement défaite après la proclamation de la République. Les préceptes catholiques, ses fêtes, son éthique donnaient le rythme et le ton de la vie quotidienne. L’éducation fut pendant très long temps monopole des Jésuites. Même la naissance d’une ville se faisait en général par la construction d’une chapelle et par l’adoption d’un saint patron, duquel généralement la ville recevait le nom. L’église était le lieu des potins et de la diffusion des nouvelles. À l’ombre de la croix se créait la solidarité communale et le Brésil se faisait.
4Les processions et fêtes religieuses, aussi bien que le carnaval, sont les activités urbaines les plus anciennes du Brésil. Les gens envahissaient les rues et les jardins des environs des églises. Tout était agitation et mouvement. Prenons le cas de la fête du Divin Saint-Esprit, une des commémorations religieuses les plus anciennes au Brésil et qui fut jusqu’aux années 1920 une de nos fêtes les plus populaires. Elle remonte au Portugal du xiiie siècle, et elle aurait été instituée par la reine Isabel à cause d’un vœu. Au début, fête de la noblesse, elle s’est très vite popularisée et se diffuse dans toutes les colonies lusitaniennes. Elle a lieu quarante jours après Pâques et elle fait partie des célébrations relatives au cycle de la Résurrection.
5Organisée par les confréries de même nom, la fête, aussi nommée Folias (folies) do Divino était minutieusement préparée de mois avant sa réalisation. Pendant des mois, les bannières du Divin (bandeiras du Divino) ou Peditórios (« quêteurs ») parcouraient les villes et ses environs en quête de fonds pour la fête. Tout le monde attendait avec impatience de recevoir chez-soi le drapeau, l’embrasser, faire des vœux et donner sa contribution pour la fête. Des foules de pèlerins, tout seuls ou des familles entières, arrivaient de partout pour participer à l’Empire du Divin dont les neuvaines, la procession et la fête proprement dite étaient les moments centraux. L’église et les tribunes érigées sur la place ornées de banderoles, les foires, la musique des bandes, les étincelles des feux, le cloches qui tintent sans arrêt, un spectacle étourdissant auquel les gens assistaient émerveillés.
6Une autre fête très populaire est celle de Notre-Dame-du-Rosaire, une des plus anciennes commémorations religieuses du Brésil. La fête célébrée par la confrérie de même nom et formée par des noirs s’articulait autour d’une reine et d’un roi (les rois du Congo) préalablement élus parmi les membres de la confrérie et couronnés par le prêtre pendant la messe qui suivait le cortège vers l’église. Après la messe venait la fête proprement dite. Les membres de la confrérie se réunissaient dans la maison du roi, où il y avait des chants et des danses africaines (les Congos).
7La plus riche synthèse à propos de l’articulation entre religion et société au Brésil, sans doute, a été faite Freyre. Selon lui, parmi nous, il y a eu « une profonde confraternisation des valeurs et des sentiments », « qui se serait développée plus difficilement si un autre type de christianisme avait présidé au développement de la formation sociale du Brésil, un type plus clérical, plus ascétique, plus orthodoxe ; calviniste ou rigidement catholique ; et non cette religion douce, domestique, de relation pour ainsi dire familiale entre les saints et les hommes, qu’a présidé, du haut des chapelles patriarcales des moulins, des églises toujours en fête (baptêmes, mariages, fêtes patronales, avec étendards, chrêmes et neuvaines) à la formation sociale du Brésil ». Le christianisme lusitanien était fait de fêtes et de processions joueuses, colorées, quelque peu profanes, « avec les figures de Bacchus, de la Vierge fuyant en Égypte, de Mercure, d’Apollon, du petit Jésus, des douze apôtres, des satyres, des nymphes, des patriarches, des rois et des empereurs de corporations et, tout à fait à la fin seulement, du Saint-Sacrement » (1974, p. 342, 245). Plus qu’une religion, c’était une liturgie sociale, où se trouvaient côte à côte le lyrique, le passionnel, le charnel dans la composition d’une religiosité dionysiaque : « il ne manquait que la chair aux anges et aux Saints pour descendre de leurs autels les jours de fêtes et s’amuser avec le petit peuple ; les bœufs entraient dans les églises pour se faire bénir par le prêtre ; les mères berçaient leurs bébés avec les mêmes cantiques dont elles louaient l’Enfant divin ; les femmes stériles, les jupes levées, allaient se frotter contre les jambes de Saint Gonçalves de Amarante ; les maris qui soupçonnaient leurs épouses d’infidélité partaient interroger “les rochers des cornus” et les jeunes filles en mal de mariage “les rochers des épousailles” ; Notre-Dame de O’ était adorée sous la forme d’une femme enceinte » (Freyre, 1974, p. 52) Les saints n’étaient pas des entités froides, éloignées. Tout au contraire. Traités avec l’intimité de membres de la famille, ornés de bijoux, les saints recevaient des attributs humains et familiers et participaient à la vie domestique et intime. On dansait, on courtisait et on présentait des comédies amoureuses dans les églises brésiliennes jusqu’au xixe siècle. La chose paraît avoir fait trembler Rome. Une pastorale de 1726 recommandait aux prêtres de Pernambuco de ne pas consentir à des représentations dramatiques, des comédies et des bals dans l’intérieur de leurs églises. Sans aucun effet. La Barbinais assista, en 1717, à une fête de Noël au couvent des sœurs de Sainte Claire à Bahia. Les sœurs dansaient et chantaient, dit-il étonné, comme si elles étaient possédées de quelque démon (Apud. Freyre, 1974, p. 242). Il semble que les critiques des Européens en visite au pays furent d’une telle intensité qu’en 1817 les danses à l’intérieur des églises furent prohibées. Si les danses sont censurées, la cour continue. Radiguet, autre voyageur, voit à Rio en plein xixe siècle les demoiselles accroupies sur leur chaise de tapisserie, à prendre « sans scrupule des sorbets et des glaces avec les jeunes gens qui venaient converser avec elles dans le lieu saint ». Et ajoute Freyre, « Flirtant et suçant des glaces dans les églises, exactement comme elles le feront, un siècle après, dans les salons de thé et sur les plages » (Freyre, 1974, p. 243).
8Dans ce « christianisme lyriquement social », le fidèle traitait les choses de la religion avec intimité et complicité, allait à l’église comme s’il allait à une fête et se trouvait libéré de tout effort, de tout contrôle. C’était donc une religiosité moins attentive au sens intime des cérémonies qu’aux couleurs et à la pompe extérieures, c’est-à-dire tournée plutôt vers le concret que vers l’abstrait, toujours prête à faire des accords et des conciliations et non à imposer une moralité rigide et des codes figés [2]. La souplesse de l’éthique catholique facilite, au Brésil, le travail des forces sociales du métissage et de la carnavalisation, neutralisant les effets de la segmentation moderne. Aux États-Unis, par exemple, et à l’encontre du Brésil, il y a eu, dès le début de leur formation historique, la présence contraignante de la loi religieuse et civile, qui a modelé les groupes et les individus par la force punitive du châtiment extérieur et du sentiment interne de péché. Le résultat en est la constitution d’une société morale, où les notions d’ordre et de liberté sont les principes de base. Un tel type d’organisation n’a jamais existé au Brésil. Ici, l’idée de l’ordre ne fut qu’un principe abstrait, la liberté qu’un caprice.
9Tout se passe comme si la dimension charnelle, sensuelle de la religiosité portugaise avait été renforcée et exacerbée sous la chaleur des tropiques. Pleine de culture des sens et de la chair, d’idolâtrie de la créature, complètement à contre-pied de l’orthodoxie et de l’ascétisme. La religiosité brésilienne semble avoir retenu de la religion avant tout et d’abord sa dimension esthétique, son pied-fort et seul piédestal est l’effervescence de l’assemblée [3]. La description de La Barbinais à propos de la fête de Saint-Gonçalves, à laquelle il a assisté à Bahia au xviiie siècle, le montre assez bien. « Danses frénétiques autour de la statue du saint, où entrait le Vice-roi lui-même, homme d’en certain âge, à côté des Frères, des nobles, des nègres. Et de tous les fripons de la ville ». Selon lui, promiscuité. « Guitares. Chants. Baraques foraines. Exaltation sexuelle. Toute cette excitation pendant trois longs jours de temps et au milieu de la forêt. De temps en temps, quelques hymnes sacrés. Une statue du saint arrachée à sa niche et sautant de main en main comme une balle de tennis ». La frénésie, le pêle-mêle humain lui rappellent les païens d’autrefois, durant le sacrifice annuellement offert à Hercule, cérémonie au cours de laquelle la statue du demi-dieu était fustigée et couverte d’injures (Apud. Freyre, 1974, p. 244).
10Les fêtes dévoilent une société qui dès son début, vit du spectacle, des changements et du métissage de registres et de codes. Une société qui rit d’elle-même, que poétise les relations des hommes avec eux-mêmes. Le témoignage de Lavollée, qui assista à Rio, déjà en pleine époque impériale, à une fête du mercredi de cendres va dans ce sens. Une grande procession défila la nuit dans les rues de la ville. Les confréries portant les images des saints, dont un saint noir, des enfants vêtus comme des anges, une troupe militaire. Aux fenêtres les dames habillées avec grand luxe assistaient au cortège. La procession transformait la religion en spectacle nous dit-il (Apud. Freyre, 1984, p. 273, 274). Dans cette même ligne se placent les observations de Queiroz : « Le “superspectacle” que le Brésil offre au monde pendant le Carnaval correspond à cette préférence pour l’apparat, pour tout ce qui est fait de luxe et d’éclat, qui s’est manifestée dans le pays dès les temps anciens de la colonisation et s’est exprimée dans le qualificatif “théâtral”, qui impliquait des actions offrant des aspects extraordinaires, animés, mouvementés. Cela est visible dans le goût porté aux spectacles, religieux ou laïques, qui ponctuent la vie brésilienne et avaient toujours lieu, aux premiers temps de la colonie, sur les places et dans les rues » (1992, p. 231). Et nous voilà face au baroque, non dans sa dimension d’art mais de style de vie ou, encore mieux dit, d’attitude, d’esthétique-éthique. Au Brésil, selon l’approche toujours incisive de Bastide, le baroque « se détache des murs des églises, des façades des palais, descend les escaliers majestueux pour se répandre dans les jardins, avec leurs grandes avenues qui s’achèvent en horizons d’azur, pour prendre possession du corps humain, le compliquant avec ses perruques et ses rubans ; il envahit la rue avec ses processions, ses chars allégoriques, sa pompe d’un moment, et atteint jusqu’aux âmes à travers le rituel de sa politesse et le subjectivisme de ses sentiments »(1978, p. 35). En un mot : l’attitude baroque « cherche à transformer le monde visible en fête, c’est-à-dire à mettre l’activité productive au service de la jouissance », à travers d’une « dramatisation fantastique » qui « suggère une fête fantastique et perpétuellement inachevée » (Duvignaud, 1984, p. 130, 138).
11Le carnaval, la synthèse par excellence de la fête au Brésil n’est pas fait pour être regardé, il est avant tout vécu, et vécu à partir d’un registre qui se situe « en dehors des ornières habituelles » (Bakhtine, 1970, p. 170). Le carnaval est la fête du temps destructeur et régénérateur, son ambivalence est toute faite de changement-renouveau, d’une « relativité joyeuse », il ne connaît pas la négation, ni le parachèvement, pas plus que l’affirmation absolue, il s’oppose à toute fin définitive. Le « carnaval ne rend rien absolu mais proclame dans la joie la relativité universelle » (Bakhtine, 1970, p. 172, 173, 174, 221). Dans ce temps du monde à l’envers, le rassemblement des gens n’obéit qu’aux impulsions du plaisir fugace et erratique qui ne se fixe sur rien, ni sur personne. Les distances sociales sont atténuées par l’établissement d’un « contrat libre et familier » (synonyme d’attitude carnavalesque), dont la seule limite est le libre choix des partenaires momentanément réunis [4]. Plus qu’une fête tout court, le carnaval est une forme particulière d’être et de vivre le monde, à un principe d’organisation sociale, fait d’excentricités, de mésalliances, de profanations. Le Brésil est tout cela. Ce n’est par hasard si le pays est défini comme le pays du carnaval. Chez nous, tout commence et tout se termine par le carnaval, ce qui équivaut à dire que rien ne commence vraiment, pas plus que cela ne se termine. On vit toujours en train de, en changement, dans l’abondance carnavalesque. Mais ne nous trompons pas. Cela ne veut pas dire que la réalité est niée. Tout juste le contraire, elle est transfigurée et exacerbée par un réalisme ironique qui, tout en l’affirmant, se moque d’elle, car les fêtes – lieux de la nouveauté, de l’enchantement, de l’hallucination – sont des moments où les masques et la théâtralité des rôles sociaux acquièrent une autre dimension, celle du mouvement, de la gaieté, et surtout du mélange des codes et des gens, créant un monde virtuel où la réjouissance, la dépense somptueuse et la consommation agonistique propres au don et à l’échange généralisé sont les mots d’ordre. Imaginons, ce n’est pas difficile à réaliser, l’impact, 1 eblouissement que le spectacle de cette force multiple qu’est la fête, produisait sur les gens. Venir en ville, rompre avec l’uniformité lassante de la vie ordinaire. Rencontrer la diversité des gens et la variété des choses. En un mot : la fête détache une « mystique du don », « un don qui entraîne sa réponse et provoque un autre don, un échange qui s’intensifie dans un espace délimité et concentré » (Duvignaud, 1984, p. 147, 148) [5]. Autrement dit : la fête montre la relativité de la réalité, car elle place, « pour quelque temps, l’homme et les hommes en face d’une réalité transobjective et transsubjective, arrache le social au social et puise dans la découverte des instances ainsi perçues une capacité infinie de création et d’innovation », innovation qui, « à son tour, agissant sur la trame de l’existence collective, la transforme et bouleverse, suggérant des formes nouvelles, qui, à leur tour, parce qu’elles sont cristallisées, pèseront sur les membres de la communauté ou de la civilisation » (Duvignaud, 1984, p. 258).
12Les fêtes sont donc des outils très privilégiés pour entrer dans les entrailles de la société brésilienne et y voir sa manière d’opérer par l’hybridation, toujours prête à provoquer des cassures dans l’enchaînement des déterminismes. Elles nous donnent à voir sous un autre angle le spectacle du lien social, surtout dans ce qui touche les émotions et le sensible, car les fêtes sont l’acte même de la production de la vie.
13Ainsi peut-on mieux comprendre la société brésilienne et son mouvement incessant, son incompatibilité avec les solutions définitives, sa composition moelleuse, ondulante, sa structure métisse et pour cause carnavalesque. C’est pour cela qu’il s’agissait pour moi dans ce texte d’éprouver les faits évoqués dans toutes leurs nuances et courbures afin de voir mon pays d’une manière qui se veut, bien sûr, une interprétation mais qui se veut généreuse. Comme disait Bastide, devant ce pays complexe et intriqué, il n’y a qu’une voie de compréhension, se muer en poète : « le sociologue qui étudie le Brésil ne sait plus quel système de concepts utiliser », il faut pour pénétrer cette réalité « découvrir des notions en quelque sorte liquides, capables de décrire des phénomènes de fusion, d’ébullition, d’interpénétration, qui se mouleraient sur une réalité vivante, en perpétuelle transformation » (Bastide, 1957, p. 15, 16).
Notes
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[1]
Toutefois le métissage n’est pas une nouveauté créée au Brésil. Il existait déjà à l’origine de la formation du Portugal, une société qui s’éveilla dans l’histoire avec la lutte contre la domination romaine, qui vécut l’occupation germanique et maure, une société produit de la rencontre entre « deux civilisations, une de l’Occident lointain, l’autre du proche Orient » (Faoro, 1989, p. 3).
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[2]
Il est impossible de parler de la vie religieuse sans mentionner l’éthique qui la compose et la soutient. Sans entrer dans trop de détails qui ne concernent pas directement les propos de ce texte, je veux remarquer quelques éléments de l’éthique catholique afin de percer comment l’esprit prométhéen, tout à fait moderne de cette éthique peut être transfiguré dans son application à une société dionysiaque telle la brésilienne. L’éthique catholique est une éthique de la conviction, où l’intentio concrète de l’acte particulier détermine la valeur. Le croyant porte à son compte personnel le poids de ses actions, suivant le cas avec un solde créditeur ou débiteur. Cependant, de façon très réaliste, l’Église reconnaît que « l’homme n’est pas une unité définie en ternies absolument clairs, pouvant être évaluée avec précision, mais que sa vie morale est déterminée par des motifs antagonistes, et son comportement souvent contradictoire ». En reconnaissant la partialité de l’homme, l’Église révèle une souplesse vitale pour le confort du fidèle. Même en exigeant « comme idéal, une transformation radicale de la vie humaine », elle affaiblit le poids d’une telle exigence de par la certitude du pardon. A travers le sacrement et la pénitence, l’homme de foi dispose d’un moyen pour compenser sa propre imperfection, car la certitude du pardon le décharge de la monstrueuse tension à laquelle son imperfection le condamne ». Il s’ensuit donc que « dans le catholicisme le désenchantement du monde n’est pas complètement effectué comme dans le puritanisme protestant » (Weber, 1989, p. 133, 134).
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[3]
Quand les fidèles sont assemblés, l’état d’effervescence religieuse se traduit par des « mouvements exubérants qui ne laissent pas facilement assujettir à des fins trop étroitement définies », ils s’échappent sans but précis, pour le « seul plaisir de se déployer », comme un jeu (Durkheim, 1985, p. 542, 545).
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[4]
Les catégories carnavalesques – contrat libre et familier, excentricité, mésalliances, profanation – « ne sont pas des idées abstraites sur l’égalité et la liberté, sur le lien interne entre toutes choses, sur l’identité des contraires, etc. Ce sont des “pensées” rituelles et spectaculaires, concrètement perceptibles et jouées sous la forme de la vie elle-même », elles sont donc idées incarnées (Bakhtine, 1970, p. 170, 171).
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[5]
Je suis redevable des idées de Duvignaud à propos de la fête en tant que don et surtout de son approche du Brésil comme étant une société d’échange généralisé. Selon lui dans les sociétés d’échange généralisé la fête existe « au plus haut niveau », c’est-à-dire, « non comme une compensation à l’insuffisance ou à la rareté », pas non plus « comme une permanence ou une survie », « mais comme une conduite permanente facilitant des échanges et des communications » que les sociétés dites développées ne sont plus capables de favoriser » (Duvignaud, 1984, p. 154).