1En Belgique comme partout ailleurs, les mutations de la profession journalistique se sont bousculées [1]. L’informatisation a entraîné une transformation profonde des métiers de l’information, particulièrement en presse écrite, plus coutumière de périodes de stabilité longues.
2Paradoxalement, la disparition d’une série de métiers a contribué à rendre à la profession journalistique une plus grande maîtrise de la production. Si l’industrialisation avait morcelé ce processus en cantonnant le journaliste aux tâches intellectuelles, en l’isolant de la fabrication concrète du journal, les nouvelles technologies semblent aller en sens inverse. À « la décomposition des métiers » [2] succéderait une nouvelle intégration. Ceci se traduit dans les chiffres par une légère augmentation du nombre de journalistes et une très nette diminution du nombre des ouvriers et des employés occupés au sein des entreprises de presse. Cette évolution se marque aussi par une diminution de l’ensemble du personnel employé ; même s’il convient de relativiser cette interprétation par le mouvement de concentration de la presse belge et des économies d’échelle qu’il entraîne.
Personnel occupé par les journaux*

Personnel occupé par les journaux*
* Employés administratifs, techniques et commerciaux.3Ce retour historique de certaines tâches de fabrication dans le giron journalistique ne va pas sans inquiéter l’AGJPB (Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique) : « l’augmentation de la charge de travail est constante, en raison de l’insuffisance chronique des effectifs rédactionnels, du volume croissant des informations à traiter et du nombre de tâches techniques désormais assumées par les journalistes. Que l’on ne s’y trompe pas : ces constats ne forment pas seulement la base de l’action syndicale de l’AGJPB ; ils conditionnent également la qualité du travail journalistique et l’indépendance des journalistes. Prendre le temps de la vérification, de l’analyse, ou d’un nécessaire recul est devenu un luxe dans la plupart des rédactions » [3].
4On le voit, la simple transposition de ces techniques dans la sphère journalistique, lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’une augmentation significative des effectifs rédactionnels, fait craindre le développement d’un « journalisme assis » qui attendrait du professionnel une rentabilisation maximale du traitement d’une multitude d’informations disponibles sur ordinateur.
5Cette tendance est très sensible en Belgique francophone. La crise de la presse écrite n’a cessé d’y précariser les forces rédactionnelles. Les effectifs de la plupart des rédactions ne soutiennent pas la comparaison avec ce qui se fait à l’étranger. Un titre de référence peut ainsi ne compter qu’une cinquantaine de journalistes…
Un métier de plus en plus féminin
6Autre trait d’évolution important de la profession journalistique, la féminisation se marque de plus en plus. En Belgique, un peu moins d’un journaliste sur cinq est une femme. On a vu ainsi d’anciens bastions machistes ouvrir progressivement leurs portes aux femmes. Il n’est plus exceptionnel aujourd’hui de trouver des femmes journalistes au sein de rédactions sportives, tous médias confondus. Il faut pourtant relativiser cette évolution. En parcourant les données chiffrées, on notera tout d’abord qu’on est encore loin d’une égalité de sexes au sein des rédactions. De plus, on observera que la proportion de femmes est un peu plus importante en Communauté française qu’en Communauté flamande. Enfin, on trouve proportionnellement plus de femmes chez les journalistes stagiaires des deux Communautés qu’au sein des journalistes professionnels.
Associations professionnelles
7L’Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique est une union professionnelle reconnue. Elle est issue de la fusion, opérée en 1978, de l’Association générale de la presse belge (fondée en 1889, composée aussi bien de journalistes que d’éditeurs) et de l’Union professionnelle de la presse belge (syndicat fondé en 1914). Le 28 février 1998, l’assemblée générale de l’AGJPB a approuvé la fédéralisation de l’association qui chapeaute à présent deux unions professionnelles autonomes : l’AJP (Association des Journalistes Professionnels, francophone) et la VVJ (Vlaamse Vereniging beroeps Journalisten, néerlandophone). L’affiliation à l’une de ces associations emporte automatiquement l’affiliation à l’AGJPB.
8Dans le contexte qui vient d’être décrit, les journalistes professionnels jouissent à la fois de traits identitaires affirmés mais aussi de nombreuses fragilités. Si l’on s’en tient aux membres de l’AGJPB, on dénombre quelque 4 300 journalistes professionnels agréés en Belgique, tous médias confondus (2 240 francophones, dont un quart dans la catégorie presse étrangère, pour 2 063 néerlandophones, dont une bonne vingtaine de la presse étrangère) ainsi que quelque 690 stagiaires (2001). Les journalistes de presse écrite quotidienne représentent à peu près un tiers de cette union professionnelle. Mais il est difficile d’extrapoler ces données dans la mesure où certains journalistes ne s’affilient pas chaque année à l’AGJPB ; de même que tous les journalistes professionnels ne font pas nécessairement partie de cette association. Trois journalistes sur quatre seraient actuellement membre de l’AGJPB. De plus, bien que le titre de journaliste professionnel soit reconnu et protégé par la loi du 30 décembre 1963, ceci n’empêche nullement un certain nombre de personnes d’exercer des activités similaires ou approchantes tout en se disant « journalistes ». En cela, l’existence de cartes de presse délivrées par des associations de presse périodique et la diversité de statuts des journalistes exerçant à titre d’indépendants ne contribuent pas à clarifier la situation.
9Par ailleurs, les SDR (Société Des Rédacteurs) ont pu parfois apparaître comme des lieux de représentation professionnelle développant une certaine autonomie par rapport à l’AGJPB. Les SDR belges sont dépourvues de capital financier. Elles sont dépositaires de la copropriété du « capital intellectuel » de leur journal. La première de ces SDR fut créée le 5 décembre 1972 au sein de La Libre Belgique. Elle s’inspirait de la SDR du Monde. Depuis, de nombreuses autres rédactions se sont dotées de SDR, parfois appelées « société des journalistes professionnels » pour y inclure explicitement les photographes et les graphistes. Les SDR ne bénéficient d’aucune reconnaissance politique effective. Par ailleurs, l’AGJPB a fait de l’octroi d’un statut de rédaction son cheval de bataille de la démocratie rédactionnelle.
10L’AGJPB constitue un élément clef de la reconnaissance professionnelle. Ce sont ses mandataires qui siègent, aux côtés de ceux des éditeurs, au sein de la Commission d’Agréation qui comprend une section francophone et une section néerlandophone. Cette commission est la seule habilitée à statuer sur l’octroi du titre de journaliste professionnel. L’AGJPB joue le rôle d’intermédiaire entre les journalistes, la Commission d’Agréation et le ministère de l’Intérieur pour l’obtention des documents de presse. C’est elle qui délivre ces documents.
11L’AGJPB accomplit également d’autres missions. Elle négocie, le cas échéant, les conventions collectives de travail avec les éditeurs de quotidiens (ABEJ) [4] et de magazines (FEBELMA).
Autorégulation
12L’Association entend également jouer un rôle de régulation déontologique de la profession. Elle offre pourtant un bel exemple de certaines limites de l’autorégulation. Le Conseil de déontologie de l’AGJPB et son instance d’appel, qu’est le Collège de déontologie, souffrent d’un déficit de force contraignante. Ces instances, composées de professionnels bénévoles, proposent au public de traiter gratuitement les plaintes. Elles ne sont cependant pas armées pour répondre à la croissance des requêtes. Au chapitre des faiblesses, on notera encore que des conceptions déontologiques différentes semblent de plus en plus s’affirmer selon les communautés linguistiques.
13En avril 1995, l’AGJPB annonçait la création de nouvelles instances déontologiques. La Commission de déontologie existante, bien que peu connue du grand public, était confrontée à un nombre grandissant de demandes. Dans un contexte de mise en cause de plus en plus pressante des méthodes de travail des journalistes par le public, mais aussi par les pouvoirs judiciaires et politiques, l’AGJPB entendait ne pas perdre l’initiative. C’est ainsi que le Conseil et le Collège de déontologie ont vu le jour.
14Tout citoyen peut aujourd’hui demander un avis ou introduire une plainte. C’est le bureau de l’AGJPB qui instruit son dossier et le transmet, le cas échéant, au Conseil de déontologie. En cas de plainte, il prend une décision et adresse éventuellement un blâme au journaliste fautif. En cas de manquement grave, le Conseil peut même aller jusqu’à rendre publique cette décision et radier un journaliste de l’AGJPB ; ce qui, il faut le dire, ne représente pas une sanction irrémédiable.
15Les avis sont rassemblés dans un rapport annuel publié par la revue Journalistes. C’est dire que cette publicité est, de fait, limitée aux seuls membres de la corporation affiliés à l’AGJPB. Les rédactions donnent d’ailleurs fort peu d’écho au travail de ces instances, y compris lors de la publication de ce rapport. En revanche, on a noté un progrès en matière de publicité, puisque les noms des rédactions incriminées sont désormais rendus publics dans les avis que rendent Conseil et Collège.
16On peut cependant s’interroger sur la capacité d’une association de type corporatiste, quelles que soient la compétence et la bonne volonté des personnes qui l’animent, à réguler les comportements des membres qui la constituent et la font vivre. La taille géographique et économique réduite du marché de l’information belge et communautaire ne plaide pas en faveur de l’indépendance et de la partialité du jugement par les pairs. Non sans raisons, certains professionnels font également remarquer qu’ils refuseraient d’être mis en cause devant des collègues, voire des concurrents… Aussi constate-t-on que certains journalistes se montrent aujourd’hui favorables à une ouverture de ces instances à des non-journalistes. On s’interroge sur l’éventualité d’une présence de magistrats, de représentants des éditeurs mais aussi d’experts au sein des instances de déontologie. Un projet de Conseil de presse a ainsi été étudié au ministère de la Justice. Il a fait l’objet de concertations entre journalistes et éditeurs. Il a aussi rencontré un réel intérêt auprès de parlementaires. Malgré cette agitation, le Conseil n’a pas vu le jour dans la partie francophone du pays. Il a surtout suscité de vives résistances auprès des rédacteurs en chef.
17Le 2 décembre 2002, un Conseil de journalisme (Raad voor de journalistiek) voyait le jour en Flandre. Portés conjointement par les journalistes, les éditeurs de presse écrite et les patrons de l’audiovisuel, ce Conseil de journalisme est également composé de représentants de la société civile. Il s’agit de juristes ou de professeurs d’université. Le Raad entend mettre l’accent sur un règlement à l’amiable des conflits.
18L’AGJPB offre encore des services de diverses natures à ses membres. Elle assure une aide juridique en matière de droit social et de droit de la presse. Elle joue également un rôle assez proche de l’assurance mutuelle puisqu’elle fournit une assistance judiciaire gratuite lorsque la défense des intérêts du journaliste nécessite l’intervention d’un avocat.
19En matière de droits d’auteur aussi, l’AGJPB a vu son rôle accentué en raison notamment de l’apparition des nouvelles technologies. Elle a créé la Société des droits d’Auteur des Journalistes (SAJ) avec l’Association des Journalistes de la Presse Périodique. Cette activité de perception et de redistribution des droits d’auteur des journalistes est proposée aux journalistes salariés et indépendants. De même, l’AGJPB est membre fondateur de Reprobel, société de gestion collective des droits liés à la reprographie.
Qui est journaliste et qui ne l’est pas ?
20C’est donc une loi qui définit et protège le titre de journaliste professionnel. Aujourd’hui, journalistes, éditeurs et pouvoir politique semblent s’accorder sur la nécessité d’une révision de ce texte vieux de près de quarante ans.
21On retiendra qu’actuellement, pour être journaliste professionnel, il faut participer à titre de profession principale, et moyennant rémunération, à la rédaction de journaux quotidiens ou périodiques, d’émissions d’information radiodiffusées ou télévisées, d’actualités filmées ou d’agences de presse consacrées à l’information générale. Ceci exclut les activités commerciales, techniques, d’administration, de correction, de téléscription, de publicité et d’atelier, sauf lorsqu’elles rentrent dans les attributions personnelles du directeur du journal, des émissions d’information, des actualités filmées ou de l’agence de presse.
22En outre, cette activité doit avoir été exercée, comme profession habituelle, pendant deux années au moins. On ne peut non plus l’avoir abandonnée depuis plus de deux ans. Enfin, le journaliste professionnel ne peut exercer aucune espèce de commerce et notamment aucune activité ayant pour objet la publicité, si ce n’est en qualité de directeur de journal, d’émissions d’information, d’actualités filmées ou d’agences de presse. D’autres éléments, comme l’âge (21 ans minimum) ou la déchéance de droits, sont précisés.
Les indépendants
23On dénombre un millier de journalistes professionnels indépendants. Au sein de l’AGJPB, ils représentent une importante proportion (un quart de l’ensemble des membres) en pleine progression. Ils sont d’ailleurs représentés au Conseil de direction de l’association professionnelle.
Journalistes professionnels, stagiaires, indépendants


Journalistes professionnels, stagiaires, indépendants
24On l’aura remarqué, on constate une part plus importante d’indépendants chez les journalistes professionnels flamands. Par contre, chez les stagiaires, le nombre d’indépendants est plus élevé chez les francophones. On relèvera aussi la part importante de stagiaires salariés.
25On peut être indépendant par choix ou par nécessité. Du côté de ceux qui tiennent à cette forme d’indépendance, on rencontre tous ceux qui peuvent inscrire leur carrière dans le mouvement d’accroissement considérable du champ couvert par l’information depuis quelques décennies. Peu de rédactions belges ont en effet les moyens de se payer les services d’un journaliste spécialisé en sidérurgie, en fiscalité, en voile… Dans un simple rapport d’offre et de demande, ceux qui auront su se faire apprécier pour leurs compétences particulières préféreront rester indépendants. Sans se lier à une seule entreprise de presse, ils pourront cultiver leur avance dans leur domaine de prédilection et négocier des tarifs honorables. On rencontre aussi des journalistes ayant négocié ce statut auprès d’une seule et même rédaction, ce sont des oiseaux rares.
26Dans le groupe, quantitativement important, des indépendants contraints, on retrouve actuellement de nombreux jeunes candidats au métier de journaliste. Si les formations au journalisme se sont généralisées et – pour certaines – améliorées au cours des décennies, on a pu dans le même temps constater que disparaissait l’écolage par les pairs au sein des rédactions. En Belgique, ce sont les universités (BAC plus quatre, cycles complémentaire ou spécialisé), ainsi que quelques écoles supérieures qui sont les principaux formateurs de journalistes. Alors que les conditions d’exercice des métiers d’information se précarisaient, on a pourtant vu se multiplier des filières de formation, de cycle court, et de qualité très variables. Enfin, la profession dispose également d’un Institut de formation animé par des professionnels, ouvert à des candidats ne disposant pas nécessairement de niveau de formation préalable. On peut penser que cette prolifération peu maîtrisée ne contribue pas au renforcement de la profession.
27Déplacement des tâches de direction de rédaction vers la gestion, augmentation des tâches de production assumée par les journalistes, accélération et augmentation du traitement d’informations, recours au système de la prépension… Au-delà des motivations économiques, il n’est plus d’usage aujourd’hui, à l’engagement d’un jeune journaliste, de consacrer beaucoup de temps à sa formation. Ceci contribue sans doute à légitimer le passage du jeune journaliste par ce statut d’indépendant qui servira à la fois d’écolage et de test d’évaluation. Vu sous cet angle, le procédé n’a pas que des défauts. De nombreux journalistes professionnels salariés ont ainsi « fait leur trou » dans les rédactions belges. Mais si, voici quelques années encore, le jeune journaliste indépendant pouvait espérer un engagement au terme d’une année, voire deux ou trois ans dans le pire des cas, il n’est pas rare aujourd’hui de rencontrer des journalistes subissant un statut d’indépendant depuis cinq ou sept ans…
28Parallèlement à ce recours aux indépendants au sein des rédactions, on constate que le secteur de la sous-traitance rédactionnelle constitue aussi un point d’affaiblissement du statut professionnel. En effet, la constitution de sociétés proposant des collaborations occasionnelles ou régulières aux rédactions correspond à une tendance du marché de l’information. Ici aussi, il n’y a pas a priori de raisons de penser que les journalistes qui travaillent pour de telles sociétés ne pourraient exercer leur métier avec autant de déontologie et de souci éthique que leurs confrères travaillant en rédaction. Force est cependant de constater que, dans ce secteur, il est parfois bien difficile de tracer une ligne claire entre les activités développées pour le compte de rédactions et celles qui le sont pour des clients commerciaux…
Le prix de l’indépendance
29Pour la plupart des journalistes, la condition d’indépendant n’est pas la voie de la facilité. Selon les rédactions, selon les rubriques et selon les accords conclus individuellement, les journalistes indépendants voient leur travail rémunéré différemment. Néanmoins, il existe un barème minimum convenu entre l’AGJPB et l’ABEJ. Encore faut-il préciser que les prix pratiqués dans la presse spécialisée, comme dans la presse d’entreprise, sont généralement plus élevés que ceux que proposent les éditeurs de journaux.
30En mai 1996, l’AGJPB et toutes les centrales syndicales actives dans le secteur de l’information publiaient une « Plate-forme pour les médias » [5] attirant l’attention sur le problème des faux-indépendants. Ce problème a singulièrement compliqué la gestion des rédactions de presse écrite, sans redorer leur blason. C’est pourtant au sein de tous les médias qu’on relevait la présence de faux-indépendants. La crise qu’a subie la presse écrite dans les années 1980 et 1990 s’est pourtant plus fortement marquée que dans les autres médias. En partie pour répondre à cette crise, mais aussi parce que cette tendance s’est imposée plus généralement, les entreprises de presse, alors qu’elles procédaient à un regroupement, recouraient dans le même temps à la filialisation et à la sous-traitance. Malgré un accord entre l’AGJPB et les éditeurs, le recours aux faux-indépendants en rédaction était devenu de plus en plus fréquent, notamment dans les éditions régionales de quotidiens. En effet, la logique ne vaut que si elle est appliquée à une échelle importante. Ce qui est contesté n’est évidemment pas le recours à des pigistes ou aux services de free-lance, mais l’usage de travailleurs ayant droit à un contrat de travail, alors que l’entreprise les considère « de fait » comme des indépendants et les paie par le biais de factures. De la souplesse de gestion, on passe à une dérégulation et à un contournement de la législation sociale.
31Depuis 1993, on constate pourtant une amélioration. Des enquêtes judiciaires ont eu lieu. Certaines entreprises ont procédé à des engagements. L’AGJPB souligne régulièrement que ces embauches ont été faites dans la catégorie salariale la plus basse. Les situations d’emploi précaire demeurent pourtant. Il semble d’autant plus difficile de les résoudre que, pour bon nombre des personnes concernées, il s’agit des seules possibilités actuelles d’entrer dans la carrière journalistique…
Des fragilités cumulées
32Victime de la petite taille de ses marchés linguistiques, la Belgique cumule les facteurs de fragilisation de la profession journalistique. Elle connaît, au même titre que d’autres pays, les conséquences de mutations technologiques et des mouvements de concentration. Présentant peu de possibilités de mobilité d’une rédaction à une autre, elle ne permet que difficilement l’épanouissement d’un statut professionnel fort. Les faiblesses économiques du secteur expliquent les nombreux départs d’excellents professionnels vers la communication d’entreprise, les cabinets ministériels (phénomène très sensible ces dernières années) ou d’autres horizons plus rémunérateurs.
33On peut sans cloute poser un même constat pessimiste d’un point de vue intellectuel. Les rédacteurs en chef, de plus en plus absorbés par la gestion d’entreprise, ne peuvent plus s’investir prioritairement dans la gestion rédactionnelle. Cette évolution, motivée par des raisons économiques, trouve évidemment un écho dans la désaffection du public pour la presse d’opinion. Il n’existe pas, en Belgique « d’élite journalistique » au même sens qu’en France. Certains éditorialistes, en Flandre singulièrement, peuvent peser lourdement sur la politique. Leur notoriété reste pourtant limitée au microcosme coutumier de ces arcannes. Les « grands » journalistes de presse écrite ou de radio doivent se contenter de succès d’estime. Quant aux présentateurs de télévision, leur notoriété n’est en rien – ni salaire, ni vedettariat – comparable à ce qui s’est développé dans d’autres pays européens. Il est aussi significatif de relever que la presse belge est assez peu investigatrice. Manques de moyens et consensus typique d’une petite communauté, qui a fait du compromis un mode de gouvernance, se cumulent en ce sens. On notera de même que le pôle culturel de référence, pour la Belgique francophone, demeure parisien ; alors que le Nord du pays évolue dans un rapport plus ambigu vis-à-vis des Pays-Bas. En cette matière, comme en beaucoup d’autres, on ne peut passer sous silence la disparité de contextes entre Flandre et partie francophone du pays. Bien qu’également touchée par la crise, notamment en matière de presse écrite, la communauté néerlandophone jouit d’un contexte économique plus florissant qui se répercute aussi sur le secteur journalistique. Enfin, on l’a vu, la représentation de la profession, tant sur le plan de l’associatif professionnel que sur celui de son autorégulation, souffre de nombreuses limites.
34Les médias belges sont aujourd’hui en pleine mutation. On observe, ici et là, des prises de conscience de la nécessité du facteur de la qualité journalistique, souvent négligé ces dernières décennies. On répète aussi, avec un certain fatalisme, que le marché est étroit et que l’avenir est sans doute à l’ouverture vers des partenaires étrangers. Force est pourtant de constater que la Belgique apparaît comme un exemple de dépréciation de son corps journalistique. Le même constat pourrait y être posé pour bon nombre de professions intellectuelles…
Notes
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[1]
Il est à noter que la situation belge n’est pas aisée à décrire dans un cadre comparatif. En effet, il n’existe pas en Belgique de statistiques développées officiellement. Les éléments proposés dans cet article relèvent d’une observation de la profession, menée depuis de nombreuses années en collaboration avec des acteurs professionnels.
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[2]
Karl Marx, Le Capital. Critique de l’économie politique, Livre premier, Le développement de la production capitaliste, Paris, Éditions Sociales, 1977 (édition originale, 1867), p. 252 et s.
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[3]
AGJPB, Mémorandum aux gouvernements et aux assemblées, Bruxelles, juin 1995, p. 9.
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[4]
Depuis 1964, l’Association des Éditeurs de Journaux regroupe la totalité des quotidiens belges. En 1998, le CA de l’ABEJ décidait la scission de l’association en deux ailes linguistiques, la JFB (Journaux Francophones Belges) et la CV VDP (Cooperatieve Vennootschap van de Vlaamse Dagblad Pers). L’ABEJ devenait un organe de représentation, de concertation et de coordination d’initiatives communes.
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[5]
L’emploi dans le secteur des médias soumis à forte pression. De la prolifération des faux-indépendants. Plateforme pour les médias.