CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Ce texte peut être considéré comme une synthèse de la connaissance savante sur les journalistes québécois et canadiens. Mais l’acquis scientifique est largement lacunaire, c’est pourquoi plusieurs passages relèvent davantage du témoignage. Celui-ci est éclairé par une quinzaine d’années de pratique de ce métier dans les années 1960 et 1970, puis par une vingtaine d’années d’enseignement universitaire du journalisme et de recherches et d’écrits sur cette matière. Il s’enracine dans des observations participantes, des lectures nombreuses et malheureusement non exhaustives, des conversations et des observations constantes auprès du milieu, y compris anglophone. Mais cela reste un témoignage, parce que les données sociodémographiques fines et systématiques sur ce qui s’est passé chez les journalistes québécois et canadiens au cours des dernières années n’existent pas encore.

2Entre l’œuvre magistrale de Jean de Bonville qui décrit le passage de la presse d’opinion à la presse d’information au tournant du xxe siècle (de Bonville, 1988) et le sondage pancanadien mené par David Pritchard et Florian Sauvageau en 1996 (Pritchard et Sauvageau, 1999), il manque plein de recherches. Il y a bien eu trois « enquêtes » menées par des Commissions mises sur pied par le gouvernement fédéral (Davey en 1970, Kent en 1981 et Caplan-Sauvageau en 1986) mais leurs mandats visaient les médias comme entreprises, n’incluaient les journalistes qu’indirectement et n’ont pas mené à des recherches descriptives à leur sujet.

3Par ailleurs, au Canada et au Québec, il n’y a pas de carte de presse émise par un organisme créé par l’État, il n’y a pas de registre. Pour savoir qui est journaliste, il faut s’adresser aux médias qui les embauchent, aux organisations professionnelles qui en regroupent une partie, aux organisations syndicales – là où elles existent – qui les défendent entreprise par entreprise, aux clubs régionaux de presse, aux contenus des médias quand les produits sont signés, etc. Ainsi, le sondage mené par Pritchard et Sauvageau a été effectué par téléphone, à la dure, et les a conduits à conclure qu’il y avait environ 12 000 journalistes à plein temps dans les médias en 1996, pour une population canadienne globale de plus de 30 millions d’habitants (Pritchard et Sauvageau, 1999, p. 16). Selon toute vraisemblance, ce chiffre sous-estime le groupe en n’incluant pas les occasionnels et notamment ceux qui alimentent pour une bonne part l’univers grouillant des publications spécialisées. À titre d’illustration, la Fédération Professionnelle des Journalistes Québécois (FPJQ) qui compte un peu plus de 1 500 membres estime son bassin potentiel de recrutement à 3 500 journalistes à plein temps, alors que l’hypothèse Pritchard-Sauvageau est de 2 400.

4Le profil du journaliste « canadien » serait le suivant : un mâle d’un peu moins de 40 ans, de race blanche et gagnant autour de 50 000 dollars canadiens par année, un salaire qui correspond à celui de la classe moyenne, diplômée d’université. Si on compare ce portrait à « l’intuition », on peut faire l’hypothèse qu’il sous-estime certains phénomènes parce qu’il prend peu en compte les jeunes entrants, manifestement davantage multiethniques et précaires [1].

Une trajectoire occidentale

5Tout comme l’étude de de Bonville (1988), l’analyse de Pritchard et Sauvageau confirme dans l’ensemble cette hypothèse générale selon laquelle l’histoire des journalismes canadien et québécois est similaire, même si pas tout à fait synchrone, à celle des autres pays développés. Il y a des différences. Par exemple, le journalisme canadien est double depuis ses débuts : l’un en langue française et l’autre en anglais. L’un et l’autre baignent cependant dans un contexte continental dominé par les États-Unis. Coupé de la France pendant longtemps, le Canada-français (dont le cœur est le Québec) a adopté dès le départ en matière de journalisme les manières de faire de ses dirigeants, les Britanniques. Mais il a très tôt été influencé par le commercialisme états-unien. Plus tard, dans le cadre du rapport Kent (1981) notamment, des auteurs parleront d’une manière plus « latine » de faire l’information chez les francophones : plus de polémique, plus de truculence, plus de vivacité dans l’art de raconter. Mais avec le recul, cette version semble très liée à la volonté de leur attribuer un supposé biais en faveur du nationalisme québécois !

6Au Canada-anglais, pendant ce temps, le journalisme était plus complètement encore intégré à l’Empire anglais. Les sujets britanniques de sa Majesté pouvaient choisir d’aller pratiquer aux colonies : en Australie, aux Barbades, aux Indes, au Canada, etc. Cette mobilité est encore visible du côté des vieux journalistes canadiens. Quant aux propriétaires de journaux canadiens, plusieurs se sont installés en Angleterre et y ont fait des affaires florissantes : l’actuel copropriétaire du Globe and Mail est un descendant de Lord Thomson of Fleet ; récemment, le magnat de la presse Conrad Black a été anobli à Londres après avoir abandonné sa citoyenneté canadienne d’origine, etc. Et surtout, le système audiovisuel mis sur pied par le gouvernement fédéral canadien dans les années 1920 a été calqué sur la BBC londonienne ; dans les années 1950, au moment du déploiement de la télévision, bilingue avant de se séparer en deux réseaux, le traitement journalistique de l’information était typiquement britannique, en français comme en anglais.

7On peut donc considérer les journalismes canadien et québécois comme les héritiers de ces deux traditions : la britannique et l’états-unienne. Or l’une et l’autre ont fortement insisté sur la liberté de presse face à l’État et l’ont fortement associée à la liberté de commerce ; en conséquence, ni l’une, ni l’autre n’ont souhaité un encadrement étatique fort. C’est pourquoi le professionnalisme des journalistes canadiens et québécois est encore plus loin que ne le sont les journalistes français de l’idéal-type, avec corporation et permis d’exercer, du groupe professionnel modélisé par les fonctionnalistes.

8Quant au prestige collectif, il est inexistant – sauf cas individuels – comme en témoignent les sondages qui les rangent régulièrement au bas de l’échelle, avec les politiciens. Ce qui n’exclut pas des notoriétés enviables et enviées.

9L’autre grande hypothèse serait que l’ascension sociale des journalistes canadiens et québécois est concomitante à celle des fonctionnaires et bureaucrates artisans de la mise en place de l’État-Providence aux deux niveaux de gouvernement : le fédéral et le provincial, dans l’après-guerre. C’est d’ailleurs probablement cette interrelation qui explique le caractère davantage spectaculaire de la professionnalisation des journalistes québécois à la fin des années 1960, qui a accompagné l’affirmation de l’État provincial québécois connue sous l’étiquette de « Révolution tranquille ». En effet, après une période dite de « grande noirceur » produite par l’alliance du clergé catholique et de l’élite conservatrice, la province de Québec a connu une prise en charge par l’État, et la laïcisation de l’Éducation et de la Santé qui sont devenus des services publics après avoir été des charités entre les mains du clergé. D’autre part, l’État s’est lancé dans un interventionnisme audacieux en matière économique. Vers la fin des années 1960, le relais vers l’affirmation de l’État provincial va être pris par le nationalisme québécois, incarné par le célèbre journaliste de télévision René Lévesque qui deviendra Premier ministre en 1976.

10La Révolution tranquille, puis le nationalisme, vont servir d’électrochocs et provoquer l’autostructuration du groupe des journalistes québécois au tournant de la décennie 1970 :

  • fondation en mars 1969 de la Fédération Professionnelle des Journalistes Québécois (FPJQ) qui regroupe aujourd’hui sur une base volontaire plus de 1 500 journalistes (cadres, syndiqués, pigistes, etc.) ;
  • mise sur pied en 1972 de la Fédération Nationale des Communications (FNC) qui rassemble la plupart des syndicats locaux de journalistes, lesquels forment environ le tiers de ses 7 000 membres ; la FNC est elle-même affiliée à la centrale syndicale considérée comme la plus combative, la Centrale des Syndicats Nationaux (CSN) mise sur pied par le clergé dans les années 1920 et laïcisée dans les années 1960 ;
  • création en 1973 du Conseil de presse, sur le modèle britannique : un organisme de 18 membres formé pour un tiers de membres nommés par la FPJQ, pour un autre tiers par les associations patronales de médias et pour le dernier tiers de représentants du public cooptés par les autres membres ; le Conseil se donne pour mandat d’étudier les plaintes formulées contre les journalistes et les médias ;
  • lancement en parallèle, en 1968-1969, des deux premiers programmes d’enseignement du journalisme : l’un plus technique au Collège (pré-universitaire) de Jonquière, l’autre à l’Université Laval à Québec. Aujourd’hui, presque chaque université offre un programme de journalisme mais le diplôme obtenu ne lie aucunement les employeurs et est rarement pris en compte lors de l’embauche qui se fait généralement sur concours.

11Par comparaison, au Canada-anglais, il faudra attendre 1978 pour que naisse une association professionnelle, dans la foulée de l’engouement états-unien pour le journalisme d’enquête : le Centre de promotion du journalisme d’enquête (CEJ) qui se transformera en 1990 en Association des journalistes canadiens (CAJ), une organisation qui compte aujourd’hui un peu plus de 1 500 membres, comme la FPJQ québécoise.

12Mais, même au Québec, et malgré la vigueur de la bouffée d’affirmation professionnelle à la fin des années 1960, il n’y aura pas de demandes fortes pour une reconnaissance étatique de la profession [2]. Au Canada-anglais, compte tenu de la tradition politico-juridique du common law, le débat relatif à une professionnalisation institutionnalisée n’a tout simplement pas eu lieu. Ce qui ne veut pas dire que la structuration du milieu est inexistante. Par exemple, Pritchard et Sauvageau parlent d’une syndicalisation à plus de 80 %. Par ailleurs, des écoles de journalisme existent depuis l’immédiat après-guerre, notamment Carleton et London en Ontario. Elles jouent aujourd’hui un rôle analogue aux écoles françaises, en fournissant un contingent de nouveaux entrants dans la pratique, appuyé par les anciens diplômés qui forment un réseau de protection et d’entraide. Il reste cependant qu’au Canada comme au Québec, le journalisme est une activité où entre celui ou celle qui réussit à se faire embaucher, peu importe son passé professionnel et quelle que soit sa formation académique – selon Pritchard et Sauvageau, 56 % des journalistes possédaient en 1995 un diplôme universitaire, toutes disciplines confondues.

Fièvre de concentration de la propriété

13Au cours des deux dernières années, le groupe professionnel des journalistes canadiens et québécois a été fortement déstabilisé par une vague sans précédent de concentration de la propriété des médias [3]. Le brassage a enfoncé toutes les pudeurs ; sont maintenant regroupés en quelques grands conglomérats : médias écrits, télévisions, serveurs sur l’Internet, avec d’autres entreprises industrielles, commerciales (Demers, 2000).

14Paradoxalement, cette concentration de la propriété s’est produite dans une offre médiatique qui, du point de vue du consommateur, n’a jamais été aussi abondante et diversifiée. En effet, les années 1980 ont lancé un fort mouvement de multiplication du nombre des médias. Les États-Unis ont alors adopté une stratégie dite « économie de l’offre » qui a stimulé la créativité et l’initiative en affaires. La frénésie entrepreneuriale a mené à l’explosion du nombre des médias : magazines, puis chaînes de télé, éventuellement essor des sites Internet. Les médias de masse qui dominaient la scène en ont été précarisés : les tirages des grands quotidiens dégringolent depuis et, du seul côté de la télévision francophone, les chaînes spécialisées ont franchi la barre des 25 % de l’audience en 2001, pendant que les chaînes généralistes reculent constamment.

15Cette stratégie a été accompagnée d’un tournant politique néo-libéral et libre-échangiste qui a de plus en plus dominé le débat public à partir des années 1980. C’est cette mouvance qui a conduit à la signature d’un traité de libre-échange, l’Aléna, entre le Canada, les États-Unis et le Mexique [4]. Les deux niveaux de gouvernement (le fédéral à Ottawa et le provincial à Québec) se sont mis à considérer la culture en tant que moteur économique (les industries culturelles). Ils se sont alors tournés vers les subventions aux entreprises privées et se sont mis à flirter avec l’idée de démanteler les réseaux de télévision publique (Radio-Canada/CBC d’un côté, Télé-Québec, la chaîne culturelle du gouvernement du Québec, de l’autre). La tendance à la libéralisation des ondes s’est alors couplée aux changements techniques (câblodistribution par fibre optique, numérisation généralisée, satellites, Internet) pour provoquer l’explosion de l’offre, jusqu’à un sommet de 238 canaux de télévision disponibles. Dans ce contexte, la radio-télévision de l’État canadien : Radio-Canada du côté francophone et Canadian Broadcasting Corporation (CBC) côté anglophone sont en constante baisse d’audience : en télévision, moins de 10 % pour la CBC alors que Radio-Canada est passée récemment sous la barre des 20 % (Giroux et Sauvageau, 2001). La Société d’État continue pourtant à employer presque 20 % des journalistes du pays.

16Dans le nouveau contexte, chaque entreprise, ancienne ou nouvelle a été soumise à une concurrence féroce et a dû se mettre plus qu’avant à courtiser ses publics potentiels. On a doté les directions des salles de rédaction de compétences en management et marketing : dans de rares cas, cela s’est traduit par la nomination de cadres de l’information sans expérience journalistique ; le plus souvent, on a plutôt sélectionné des journalistes « recyclés » en managers par des études appropriées ou par un changement de mentalité. L’orientation marketing, c’est-à-dire le souci de plaire au public, est devenue si apparente et omniprésente que certains chercheurs ont commencé à parler d’un changement du paradigme de l’information vers celui de la communication, c’est-à-dire du souci premier de raconter le monde réel (l’information) à la poursuite obsessive de l’établissement et de la consolidation d’un lien avec le public : la fonction phatique de la communication prend le dessus sur la fonction référentielle (Charron et de Bonville, 1996).

Rupture générationnelle

17Tout cela s’accompagne d’une montée en puissance chez les journalistes de l’échelle des valeurs fondée sur la notoriété que procure le travail à la télévision ou le passage fréquent au petit écran. La valorisation traditionnelle des éditorialistes parvient à se maintenir mais dans une position de repli et plus facilement quand elle est soutenue par un passage fréquent à la télévision. De plus, l’opinion journalistique se fait en général plus légère : il y a les émissions de lignes ouvertes et les « vox populi » qui rangent tous les points de vue sur le même plan. Mais il y a aussi la multiplication des papiers dits d’humeur, qui valorisent l’expression d’opinions courtes, le bavardage et le potinage. Quant au journalisme d’enquête qui incarne l’échelle fondée sur la capacité de recherche, à l’aide des techniques des sciences humaines et à propos d’objets socialement significatifs, il est aujourd’hui largement corrompu par son extension à toutes les formes de voyeurisme et d’indiscrétions, jusqu’au journalisme de guet-apens.

18L’enquête de Pritchard et Sauvageau semble indiquer une rupture générationnelle des valeurs, qui soutient ou reflète cette évolution. Ainsi, les jeunes et les femmes – il y a une proportion plus grande de femmes chez les jeunes que dans l’ensemble de la profession – seraient porteurs de deux changements qui pourraient être interprétés comme une harmonisation avec le contexte du temps présent. Pour leur part, les journalistes femmes, qui n’étaient à ce moment-là que 28,3 % de la population mais dont le nombre est en croissance constante, participent davantage d’une sensibilité démocratique centrée sur l’expression individuelle égalitaire plutôt que d’une conception du magistère professionnel orientée sur la réponse aux besoins politiques des citoyens engagés. Les femmes journalistes se montrent en effet plus préoccupées de « donner aux gens ordinaires la chance d’exprimer leurs points de vue ». Elles sont davantage « à l’écoute des auditoires » dont elles ont une « perception plus égalitaire ». Elles « s’adressent plus particulièrement à monsieur et madame Tout-le-monde » et « elles sont plus respectueuses à son égard que ne le sont les hommes » (Pritchard et Sauvageau, 1999, p. 52). La seconde différence de culture professionnelle se trouve chez les jeunes journalistes, anglophones en particulier, qui trouvent « moins d’intérêt non seulement à rapporter avec exactitude les propos des personnalités rencontrées, mais aussi à enquêter sur les activités des gouvernements et des organisations publiques, à discuter des politiques gouvernementales quand elles sont en voie d’élaboration et à rester sceptiques face aux gestes des personnages publics » (Pritchard et Sauvageau, 1999, p. 57-59).

L’identité professionnelle, une nuisance ?

19Au total, il serait sans doute possible d’établir que l’identité professionnelle, enracinée dans l’action collective, est aujourd’hui généralement considérée comme une nuisance en ce qu’elle impose aux employés des entreprises un réfèrent normatif extérieur par rapport aux exigences de leur participation enthousiaste au succès de l’œuvre collective que constitue l’entreprise. Ainsi, dans les médias de masse, le souci de la survie de l’entreprise a substitué à l’idéal du service public la norme de la mobilisation émotionnelle et intellectuelle du « bon employé » envers « son » entreprise (Demers, 1989, 1997). D’autre part, parce qu’elle met de l’avant une promotion collective, la profession s’interpose moralement entre l’individu et son appétit de reconnaissance financière pour le talent et l’effort personnels, un appétit pourtant présenté comme le moteur légitime du progrès depuis les années 1980.

20Dans l’ensemble, le passage culturel à l’insécurité valorisée a lancé tout le monde à la poursuite des innovations et expérimentations susceptibles d’assurer le succès : nouvelles formes de publi-reportages (Demers, 1991), présence accrue du public et du monde ordinaire dans l’information, relais des rumeurs avant les concurrents, mises en scène et provocations de l’événement, indiscrétions de plus en plus osées au nom du devoir de communiquer… fait aux autres, réhabilitation de l’émotion comme contenu et du reportage « humain » (dont le vecteur, aux yeux du sens commun, serait largement l’augmentation du nombre de femmes journalistes), interventions spectaculaires dans les problèmes collectifs par des opérations de journalisme public, etc.

21Cela n’empêche cependant pas les « institutions » du journalisme professionnel, héritées des années 1970, de s’attaquer, quand même, aux nombreux défis concrets et pressants posés par la nouvelle configuration dans laquelle s’exerce le journalisme. Ainsi, le Conseil de Presse du Québec (CPQ) a annoncé au début de janvier 2002 qu’il allait maintenant recevoir les plaintes relatives au cyberjournalisme, pratiqué autant dans les sites d’information qui ont été exclusivement créés pour Internet et qui n’existent pas en dehors de lui que dans les sites dérivés des grands médias « traditionnels ».

22Deuxième exemple : le 15 novembre 2001, la vingtaine d’employés de Cyberpresse.ca ont été intégrés à la convention collective des journalistes de La Presse de Montréal. Ce quotidien est le navire amiral du réseau des 7 quotidiens francophones québécois (sur 10 au total dans la province) qui appartient à la firme Power Corporation, partenaire depuis peu de Bertelsmann. Ce site Internet intègre les contenus des 7 quotidiens de la chaîne depuis le début de 2001. L’entente annonce une possible extension de la protection syndicale acquise dans les salles de rédaction des principaux médias « traditionnels » vers les artisans du cyberjournalisme.

23Troisième exemple : Le Devoir, le seul quotidien de propriété indépendante au Québec a ouvert une brèche dans le conflit qui oppose les grands médias et les journalistes-pigistes regroupés au sein d’un organisme syndical : l’Association des Journalistes Indépendants du Québec (AJIQ), à propos des droits d’auteur. Le Devoir a accepté le principe du paiement de redevances aux pigistes dont les textes sont versés sur le site Internet.

Notes

  • [1]
    L’affaire Hetchman, le cas de ce pigiste auprès de l’hebdomadaire Mirror de Montréal, qui a été capturé puis libéré par les Talibans à la fin de l’automne 2001, a mis à l’avant-scène les nouveaux problèmes posés par le recours croissant à cette catégorie de personnel. Le Devoir titrait par exemple le 3 décembre à la Une : « Couvrir la guerre et y laisser des plumes Le Cas Hechtman illustre la situation précaire des journalistes indépendants. » (Le Devoir, 3 décembre 2001).
  • [2]
    Le Devoir, 10 décembre 2001. « Être journaliste n’est pas un titre protégé comme celui de médecin et d’ingénieur. Il n’y a pas de corporation professionnelle des journalistes, pas de formation unique ni d’examens d’entrée unifiés parce que la profession elle-même n’en a pas voulu. », par Paul Cauchon. Lundi, p. B 7.
  • [3]
    Ainsi, en décembre 2001, les journalistes de The Gazette, quotidien anglophone de Montréal, ont engagé un bras de fer avec leur nouveau propriétaire CanWest Global, dont le siège social est situé dans l’Ouest du Canada. La maison-mère a en effet imposé un même éditorial national à tous ses quotidiens dans les principales villes. L’un des instruments de la protestation des journalistes de The Gazette a été la création d’un site interne. Peu après, le site a été fermé par les cadres de la rédaction avec menaces de mise à pied des journalistes. Le site a été recueilli par la FPJQ, qui s’est rangée publiquement du côté des protestataires, et peut être consulté à l’adresse [www.fpjq.org/canwest].
  • [4]
    Le Canada a d’abord conclu un traité de libre-échange avec les États-Unis en 1988. Puis il est entré dans un Accord de libre-échange de l’Amérique du Nord, l’Aléna, incluant le Mexique, qui a été solennellement signé le 17 décembre 1992. Son entrée en vigueur avait été fixée au 1er janvier 1994. Il prévoit la suppression d’ici 2004 de quelque 20 000 barrières tarifaires.
Français

Au cours des deux dernières années, le groupe professionnel des journalistes canadiens et québécois a été fortement déstabilisé par une vague sans précédent de concentration de la propriété des médias. Ce texte évoque le télescopage entre cet événement et la tradition qui a construit au fil du temps le professionnalisme journalistique au nord du continent américain. Ainsi, il rappelle que l’histoire des journalismes canadiens et québécois est similaire, même si pas tout à fait synchrone, à celle des autres pays développés, avec cependant l’accent particulier que donne l’appartenance à la fois aux traditions britannique et états-unienne. Au total, l’analyse conclut que l’identité professionnelle construite dans l’action collective apparaît désormais comme une nuisance en ce qu’elle impose aux employés des entreprises un référent normatif extérieur par rapport aux exigences de leur participation enthousiaste et novatrice au succès de l’œuvre collective que constitue l’entreprise/média.

Mots-clés

  • journalisme
  • identité professionnelle
  • carrière
  • statut
  • groupes de presse

Références bibliographiques

  • De Bonville, J., La Presse québécoise de 1884 à 1914. Genèse d’un média de masse, Québec, Presses de l’Université Laval, 1988, 416 p.
  • En ligneCharron, J., de Bonville, J., « Le Paradigme du journalisme de communication : essai de définition », Montréal, Communication, vol. 17, n° 2, 1996, p. 50-97.
  • Demers, F., « Concentration des entreprises de presse : vers une reconfiguration du paysage médiatique au Québec et au Canada », Les Cahiers du Journalisme, n° 8, décembre 2000, p. 192-203.
  • Demers, F., « Journalisme : à propos d’une “demande éthique” d’une ampleur anormale », Ethica, vol. 9, n° 2, septembre 1997, p. 297-322.
  • Demers, F., « Du côté des journalistes et de “leurs” messages : le cas de l’information et de la publicité dans les années 1980 » in Beauchamp, Michel (dir.), Communication publique et société, Boucherville, Gaëtan Morin, 1991, p. 216-242.
  • Demers, F., « Journalism ethics : the rise of the “good employee’s model” : a threat for professionalism ? » Canadian Journal of communication, vol. 14, n° 2, 1989, p. 15-27.
  • Giroux, D., Sauvageau, F., Portrait de la télévision publique dans 10 pays, dont le Canada, Centre d études sur les médias (CEM) [www.cem.ulaval.ca], coll. « Cahiers médias », n° 13, 2001, 152 p., cf. aussi Le Devoir, 4 février 2002, Le Blues de la télé publique, par Paul Cauchon.
  • Pritchard, D., Sauvageau, F., Les Journalistes canadiens, un portrait de fin de siècle, Québec, Presses de l’Université Laval, 1999, 145 p.
  • Rapport Davey, Les Mass médias. Rapport du Comité spécial du Sénat sur les moyens de communication de masse, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 3 volumes, 1970.
  • Rapport Kent, Commission royale sur les quotidiens, Ottawa, ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1981, 323 p.
  • Rapport Caplan-Sauvageau, Rapport du Groupe de travail sur la politique de la radiodiffusion, Ottawa, ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1986, 789 p.
François Demers
François Demers, professeur titulaire au Département d’information et de communication de l’université Laval, Québec, Canada. Auteur notamment de Communication et syndicalisme. Des imprimeurs aux journalistes, Éditions du Méridien, 1988.
Mis en ligne sur Cairn.info le 08/09/2014
https://doi.org/10.4267/2042/9331
Pour citer cet article
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