1Nul ne sait combien de journalistes exercent au Royaume-Uni. Une évaluation informée, faite à la fin de 2001 par une organisation de formation commanditée par le gouvernement, a fourni un chiffre de 50 000 à 60 000, dont 8 000 travaillent pour la British Broadcasting Corporation et environ 8 500 pour les journaux régionaux et locaux. La distribution du reste, entre les journaux nationaux, la radio et la télévision commerciales et les périodiques n’est pas claire. Une combinaison de facteurs a produit ce manque de données fiables : le métier est trop petit pour apparaître séparément dans les enquêtes gouvernementales sur les forces de travail ; la plupart des organisations médiatiques sont extrêmement réticentes à parler de leurs personnels ; seule une minorité de journalistes est aujourd’hui dans l’Union nationale des journalistes ; et il existe une longue tradition à être indépendant ou « freelance » dans le journalisme britannique. Même là où les organisations médiatiques publient des données sur le nombre de leurs employés – comme par exemple, celles publiées par la Independent Télévision Commission [www.itc.org.uk] pour la télévision commerciale terrestre britannique – les journalistes ne sont pas identifiés dans une catégorie séparée.
2Les ventes de journaux au Royaume-Uni diminuent depuis plusieurs années. Ceci a produit ce que Tunstall (1996) a appelé une « super-competition » entre les journaux nationaux [1]. En dépit de la pagination accrue, les titres les moins en réussite ont réduit leur personnel. Les journaux régionaux et locaux [2] vendent également moins d’exemplaires mais restent profitables en raison des revenus issus de la publicité centrée sur le local. Mais ils ont aussi réduit leur personnel afin de maintenir les bénéfices. Des suppressions d’emplois ont été également rapportées par des sociétés produisant des informations commerciales pour la télévision et la radio. Cependant, la multiplication courante des canaux de diffusion, analogiques comme numériques, peut partiellement compenser cette tendance. En revanche, les périodiques forment un secteur croissant d’emploi pour les journalistes au Royaume-Uni. Les magazines de consommateurs continuent à proliférer (bien qu’il y ait également beaucoup de fermetures, particulièrement suite au déclin de la publicité depuis l’automne 2001). Moins visible pour le public, un très vaste marché des magazines s’adressant aux groupes commerciaux et professionnels, par exemple le British Baker et The Engineer. Aujourd’hui beaucoup de jeunes entrent dans le journalisme par cette voie. Autrefois considérés comme très inférieurs au travail dans un journal d’information, ces magazines commerciaux sont maintenant reconnus comme fournissant une expérience légitime de récolte d’informations. Il n’existe aucun newsmagazines comme Le Nouvel Observateur ou Time au Royaume-Uni.
Les importantes restructurations du marché de l’emploi
3L’emploi des journalistes de minorités ethniques varie considérablement selon le secteur professionnel et le secteur géographique, même parmi les médias audiovisuels obligés d’aborder cette question (Publishing NTO ; www.itc.co.uk). Dans une étude récente, Ainley (1998) blâme les pratiques de recrutement. La concurrence est féroce et les postes sont pourvus par des méthodes informelles : contact personnel et influence. Il est également courant d’être intégré à l’équipe rédactionnelle (et donc faire pleinement partie du personnel) après avoir fait une bonne impression en « shifting » (c’est-à-dire, en travaillant à temps partiel comme journaliste ou sous-éditeur alors qu’on est inscrit sur la liste des salariés d’un autre journal). Les opportunités antérieures sont donc cruciales. Dans le passé, cette tradition du patronage par « un réseau de vieux garçons » (les contacts établis dans des écoles et des universités masculines) a limité l’accès des femmes à la carrière du journalisme. Ceci a beaucoup changé ces dernières années. Dans des médias audiovisuels comme écrits, tant locaux que nationaux, publics ou privés, beaucoup de journalistes de premier plan sont maintenant des femmes. De plus en plus, elles occupent également les rôles de gestion de moyen niveau, par exemple éditeurs dans des journaux régionaux, éditeur dans un magazine national, ou « senior correspondent » aux informations télévisées. À l’exception de la BBC, où des femmes ont récemment été nommées à certains hauts postes clés, les femmes ne sont pas promues dans les hautes positions. À l’automne 2000, il y avait seulement sept femmes éditeurs [3] de quotidiens régionaux payants sur un total de 99 (Reeves, 2000). Aucune femme n’a été nommée éditeur d’un journal national à succès paraissant en semaine, un lieu principal d’influence politique perçue au Royaume-Uni, même si plusieurs éditeurs parlementaires sont des femmes. Les femmes sont bien mieux représentées dans la haute direction des magazines, mais même dans ce secteur il y en a peu dans les Conseils d’administration, où la politique globale et les paramètres financiers sont déterminés.
4Beaucoup de femmes (et quelques hommes aussi) quittent le journalisme d’information à la trentaine parce que les conditions du travail sont inconciliables avec la responsabilité des enfants. Les médias qui traitent des « breaking news » ont habituellement de longs horaires de travail, imprévisibles et décalés (des débuts très matinaux, des nuits ou des week-ends jusque tard). Même là où les informations imprévues sont faibles (comme c’est de plus en plus vrai des quotidiens régionaux) les réductions de personnel et les demandes de travail « flexible » ont produit le même effet (Aldridge, 2001). Comme le groupe de pression Women in Journalism l’a affirmé (WiJ, 2001), bien des éléments du travail journalistique pourraient être rendus plus familiaux et amicaux, en offrant par exemple des postes à temps partiel. Jusqu’ici très peu d’entreprises ont concédé cela, écartant ce, vraisemblablement inutile, surcoût de main-d’œuvre. Car, comme me l’ont dit en interview des femmes journalistes de la presse régionale, la résistance est intensifiée par la culture masculine et la prédominance des hommes aux postes de direction. En outre, la construction discursive du journalisme comme vocation renforce l’idée que pour être un journaliste vous devez consacrer votre vie entière à ce métier.
5En dépit des barrières auxquelles beaucoup de femmes journalistes font face actuellement à mi-carrière, les femmes dépassent maintenant les hommes en nombre lors de la pré-entrée en formation au journalisme (Delano et Henningham, 1995 ; WiJ, 1998). Cette tendance est plus marquée pour les programmes d’enseignement à l’audiovisuel. À l’automne 2000, il semblait que la promotion du prestigieux programme de la City University de Londres pouvait être entièrement féminine, provoquant une vaste critique dans la profession. Même lorsqu’on écarte l’affirmation des traditionalistes que « trop » de femmes est un problème en soi (Richardson, 2000), les facteurs qui ont conduit à la situation de la City mettent en lumière de sérieux problèmes dans la formation et l’emploi au Royaume-Uni. Certains secteurs du journalisme britannique, notamment la presse locale et régionale, font face à des problèmes majeurs de recrutement.
6Jusqu’au milieu des années 1980, le journalisme britannique était fortement syndiqué. Presque tous les journalistes étaient membres de la National Union of Journalists (NUJ) ; la plupart des employeurs négociaient les salaires sur une base collective, selon des échelles de salaire nationales. Ces accords couvraient également les conditions d’emploi, y compris les normes et modèles nationaux de formation organisée par le Conseil national pour la formation des journalistes (NCTJ). Même pour ceux dont l’ambition finale était de travailler dans l’audiovisuel ou la presse nationale, la route conventionnelle vers le journalisme d’information pouvait être ouverte par des qualifications, tout en travaillant pour des journaux locaux ou régionaux.
7En 1986, le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher vota une loi permettant aux employeurs de se retirer des accords avec les syndicats pour les négociations collectives. En très peu de temps, presque tous les journalistes ont été transférés sur des contrats individuellement négociés. Dans une industrie fortement concurrentielle avec (à ce moment-là) aucune pénurie de demandeurs les résultats étaient prévisibles : une détérioration générale des niveaux de salaire (excepté pour une poignée de « grands noms ») ; un noyau qui se réduit de personnel permanent ; et une périphérie considérablement accrue de journalistes travaillant non volontairement en free-lance ou avec des contrats très courts, (les contrats d’emploi précaires sont très répandus, y compris dans les groupes qu’on pourrait croire épargnés comme des journalistes « senior » et bien connus de la BBC). Même dans ces secteurs où les salaires sont demeurés compétitifs avec d’autres secteurs d’activité, les conditions de travail se sont détériorées. Des concepts comme le « paiement d’heures supplémentaires » paraissent des demandes irréalistes.
8Plusieurs autres conséquences de cette restructuration radicale de l’emploi sont maintenant reconnues comme de sérieux problèmes. D’abord, les salaires très faibles, typiques du journalisme local et régional, affectent le nombre et la qualité des postulants. L’alarme est tirée face à l’impact probable – et imminent – sur la norme du contenu éditorial, et face à l’effondrement des journaux locaux et régionaux comme « pépinières » pour les médias nationaux (sur cette discussion voir Press Gazette du 9 février, 2 mars et 16 mars 2001). En revanche, dans les médias plus attrayants en raison de leur charme et respectabilité apparents, il y a une abondance de journalistes potentiels. La plupart des employeurs exigent des preuves de leur aptitude et de leur engagement en ayant déjà travaillé dans le journalisme. De plus en plus, la seule manière d’acquérir l’expérience est par le « work placement », c’est-à-dire en travaillant sans salaire. Ce cadeau fait aux employeurs n’est, naturellement, réaliste que pour les jeunes sans personnes à charge et avec des sources de revenu alternatives.
9Une troisième, et potentiellement bien plus préjudiciable conséquence de ce changement industriel, est l’état actuel de l’éducation au journalisme. La coïncidence d’une phase d’indifférence des employeurs et de changements du régime financier gouvernemental dans l’éducation britannique a produit un quasi-chaos. Comme dans d’autres industries, beaucoup d’employeurs médiatiques ont répondu à la récession de la fin des années 1980, début 1990, en réduisant leurs dépenses de formation. Ils se sont retirés à la fois des programmes « internes » et du soutien au personnel stagiaire en formation à mi-temps dans les écoles – l’itinéraire de postentrée dans le journalisme. Dans un tel état d’affaiblissement le NUJ n’a pas pu bloquer cette tendance. Pendant les années 1990, la position a été rendue encore plus confuse par manque d’accord dans les entreprises médiatiques au sujet de la façon de rattacher les qualifications existantes au nouveau cadre conçu par le gouvernement pour rationaliser des qualifications professionnelles.
10Aujourd’hui la qualification de base reste le National Certificate Examination mais une proportion croissante de jeunes choisissent de rejoindre la qualification par « pré-entrée ». Certains de ces cours sont organisés par les écoles de la Further Education (FE), qui se spécialisent dans la formation professionnelle et qui interviennent à un niveau intermédiaire entre l’école secondaire et l’université. Ils accepteront à la fois les élèves avec l’équivalent du bac et ceux avec un diplôme d’université. D’autres cours sont donnés par des écoles FE et des universités pour les diplômés seulement. Les deux itinéraires imposent des coûts élevés aux étudiants, car presque tous doivent assumer leurs dépenses courantes et payer leurs droits d’inscription. Dans le cas de cours d’universités a réputation élevée – comme ceux de la City University – les seuls droits d’inscription représentent plusieurs milliers de Livres par an. Une proportion croissante des journalistes débutants sont des diplômés (Delano et Henningham, 1995), la plupart auront des dettes significatives en raison des changements du système de financement des études universitaires. Ces facteurs, couplés aux faibles rémunérations de départ, expliquent à la fois les craintes que le journalisme devienne de plus en plus un métier pour les jeunes de la bourgeoisie et le manque de demandeurs dans la presse locale et régionale.
11Paradoxalement, au moment où il est devenu cher pour les jeunes d’entrer dans les formations au journalisme, les écoles FE ont été forcées d’augmenter le nombre de leurs étudiants parce que le financement public est devenu proportionné au nombre d’étudiants recrutés et – c’est crucial – qui suivent vraiment les cours. Ceci a occasionné un débat virulent au sujet de la qualité des stagiaires entre les journalistes « seniors » et ceux qui donnaient les cours. Chacun blâme l’autre du faible taux absolu de réussite au NCE, à l’automne 2000 : 35 %.
12Puisque les étudiants communautaires préparant leur premier degré au Royaume-Uni ont la plupart de leurs frais d’inscription payés et sont éligibles aux prêts à taux aidés pour couvrir leurs frais courants ; la logique de la situation pour plus de formation serait de l’étendre au premier degré des universités. C’est ce qui commence à se produire, à côté du rétablissement et de l’expansion des schémas internes gérés par les employeurs. Et tandis que le concept de diplôme de journalisme est banal dans la plupart des pays, au Royaume-Uni la réaction sceptique du public, du monde académique et des journalistes eux-mêmes est un indicateur puissant du statut ambigu de journalisme comme profession.
Une « profession » éclatée
13Dans la culture anglo-américaine le concept de « profession » a une signification plus spécifique et plus étroite qu’ailleurs en Europe (Evetts, 2001). En son cœur se trouve le concept de « fermeture » où les membres de la profession eux-mêmes, plutôt que les employeurs ou l’État, ont un niveau significatif de « contrôle des tâches » (Abbott, 1988). C’est-à-dire, qu’ils sont en mesure de défendre la façon dont leur sphère de responsabilité est définie et de déterminer comment ce travail est mené à bien. Et, élément crucial, des membres de la profession seront également, par leurs associations professionnelles, fortement représentés dans les corps au sein desquels on accorde (et on peut retirer) une licence pour pratiquer. De tels corps, par exemple l’Architects’ Registration Council of the United Kingdom, ont des pouvoirs légaux mais ne sont pas des agences d’État. La semi-autonomie du métier sera encore renforcée par les liens étroits entre les associations professionnelles et le contenu et la validation des cours de formation – et même le nombre d’étudiants admis en formation.
14Le verdict de Tunstall selon lequel le journalisme britannique s’éloigne toujours plus du statut professionnel conventionnel, reste pertinent. Plutôt que d’être surveillé par les journalistes en activité, le modèle de formation est guidé par les soucis financiers des employeurs et par les fluctuations de la politique éducative du gouvernement. Dans le schéma courant de validation des cours, les praticiens sont représentés par des éditeurs. Mais, comme Tunstall l’a également observé, la combinaison d’un environnement commercial intensément concurrentiel et le fait d’avoir (dans presque tous les cas) à fonctionner avec des cibles financières imposées par les actionnaires signifie que les rédacteurs doivent être autant des entrepreneurs que des professionnels créatifs. Quant au contrôle au jour le jour des tâches, une grande partie des écrits des quinze dernières années sur : être un journaliste au Royaume-Uni, sont une lamentation au sujet de la domination par les contraintes de gestion du volume et du contenu du travail (Bevins, 1990 ; Cohen, 1998 ; Toynbee, 1996), ce qui laisse très peu d’espace pour l’illusion de l’autonomie et du jugement individuels.
15Dans le discours ordinaire une « profession » est souvent pensée comme étant un métier avec un code d’éthique (bien que les sociologues argueraient du fait que ce sont également des dispositifs de clôture du marché). Ici, aussi, pour beaucoup de journalistes, des normes d’accomplissement sont imposées par des non-praticiens : les régulateurs statutaires comme la Independent Television Commission ou les « Governors » de la BBC. Même la Commission de plaintes (Press Complaints Commission/[www.pcc.org.uk]) est seulement apparemment une forme d’autorégulation professionnelle : elle est financée par l’industrie et ses membres praticiens sont des rédacteurs, sujets aux demandes contradictoires discutées ci-dessus.
16On doit dire, cependant, que les journalistes eux-mêmes ont montré peu de désir de devenir une « profession ». Ils se perçoivent certainement comme des « professionnels » (Delano et Henningham, 1995) mais dans la culture britannique ceci a plusieurs connotations autres qu’être un membre d’un groupe professionnel reconnu. Par exemple, cela peut simplement signifier bien faire son travail (« The decorator made a really professional job of painting my house »). Lié à cela, cela peut signifier démontrer les qualités personnelles nécessaires, en particulier en traitant un conflit ou des situations angoissantes (« The officer responded very professionally at the scene of the fire »). Comme je l’ai déjà écrit (Aldridge, 1998), être « professionnel » dans le journalisme britannique peut impliquer de travailler contre ses valeurs personnelles, par exemple, avoir la capacité de produire un article d’un haut niveau technique bien qu’on désapprouve le sujet ou les méthodes employées pour acquérir l’information. Cette signification du « professionnalisme » peut aller (ce que les mémoires de journalistes illustrent régulièrement) jusqu’à se glorifier d’avoir travaillé efficacement pour un journal dont on trouve la politique ou le propriétaire répugnants.
17Même lorsqu’ils sont entièrement bourgeois par leur origine et leur expérience, et qu’ils s’adressent à un public instruit et riche, les journalistes britanniques se décrivent moins comme des professionnels et plus comme des compagnons d’un métier qualifié. Ils sont des esprits libres qui portent leur propre boîte à outils, ne doivent allégeance à personne, et dont le destin est entre leurs mains. L’individualisme est au cœur des valeurs professionnelles, en dépit de la réalité quotidienne faite de postes de travail hiérarchisés, du contrôle managérial fort et arbitraire, et d’exigences toujours croissantes. Peut-être en raison de la difficulté à accorder mythe et réalité, y a-t-il une tendance professionnelle à vénérer les caractères « plus grands que la vie » et les comportements excessifs ou déshonorants : boire beaucoup, longues heures de travail, spectaculaires manifestations de colère (Aldridge, 1998).
18Dans bien d’autres sphères professionnelles on en fait beaucoup sur l’importance centrale du cliché de « l’école de la vie » mais la plupart acceptent que les attributs personnels appropriés et l’expérience pratique soient intégrés aux qualifications et aux connaissances fondées sur des études menées à l’écart du lieu de travail. Dans le journalisme ceci est seulement concédé à contrecœur. La qualification principale est encore définie comme un « sens inné de l’info » qui peut être amélioré mais non inculqué (voir par exemple, Cole, 1998). Un autre indicateur de l’hésitation à être « intellectuel » est le manque de forums pour une discussion sérieuse intraprofessionnelle. Les publications comme la Press Gazette et la British Journalism Review sont faites de nouvelles, de polémiques et de réminiscence. Toutes les publications académiques, soumettant les articles à l’examen par des pairs, sont abritées par des universités.
19Peut-être le journalisme britannique désespère-t-il collectivement de devenir une profession parce qu’on croit (ce qui est inexact du point de vue sociologique) que la transition exige un large appui public ? Les attitudes envers le journalisme – et les médias en général – sont fondamentalement contradictoires. La BBC continue à occuper une place centrale et à part dans la vie nationale mais d’autres médias audiovisuels sont également respectés. Selon la Newspaper Society [newspapersoc.org.uk] les journaux locaux et régionaux sont la source d’information dans laquelle les Britanniques ont le plus confiance, avec des indices plus élevés que pour l’audiovisuel. Aussi, pourquoi le public place-t-il le journalisme si bas dans l’échelle de l’estime professionnelle (Delano, 2000) ? Et pourquoi les journalistes eux-mêmes perçoivent-ils un manque profond de respect de la part du public ? Selon Greenslade (1999) l’éditeur d’un tabloïd « a admis que le public avait maintenant tant de mépris pour les journalistes que les jurys sont amenés à avoir des préventions contre toute preuve donnée ou obtenue par des journalistes ».
20Une explication peut être le profil élevé du Sun, du Mirror et du Daily Star dans la vie et la conscience nationales. En novembre 2002, ces « red top tabloïds » revendiquaient une vente cumulée de 6 425 442 exemplaires par jour. En supposant que chaque exemplaire est lu par au moins deux personnes, la diffusion dans une population de 59 millions d’habitants est considérable. Le Sun et le Mirror, en particulier, ont été plongés pendant plus de vingt ans dans le combat sans armes mais mortel d’un marché en rétrécissement. Jusqu’à la décision par le Mirror, après les événements du 11 septembre, de revenir à un modèle plus sérieux de reportage, ils étaient connus pour leur tonalité populiste à sensation, dans le choix des sujets et le mode de couverture. Étant donné la nature introspective et réflexive des médias, et l’influence qu’ils sont censés avoir sur une frange essentielle de l’électorat, ce que ces tabloïds écrivent est fréquemment repris par les médias plus « respectables ». Les journalistes locaux, qui manifestent souvent un fort sens de la responsabilité à l’égard de leurs lecteurs, parlent amèrement [4] de la façon dont le public se défie maintenant de tous les journalistes en raison d’un stéréotype – bâti à partir des tabloïds grand public – de journalistes complètement cruels et sans égard vis-à-vis des individus pris dans la spirale de l’information.
Conclusion
21Parler du journalisme au Royaume-Uni revient donc à parler de l’exceptionalisme britannique. Les médias audiovisuels comme la presse nationale ont une présence significative dans la vie nationale, pourtant les journalistes revendiquent rarement le titre de « quatrième pouvoir ». Ce n’est pas seulement parce que, contrairement à leurs collègues nord-américains, les journalistes britanniques ne bénéficient d’aucune protection constitutionnelle. L’engagement passionné dans le journalisme est exigé et accepté comme normal, pourtant les journalistes croient que leur travail n’est pas respecté. En dépit de cela, ils rejettent tout l’appareil des professions intellectuelles du modèle anglo-américain ou européen. Des tentatives de journalistes de premier plan de regagner de l’influence sur leur système de formation ou de développer des défenses morales contre le contrôle managérial sont dramatiquement absentes. Au cœur de cette confusion personnelle et de cette contradiction structurelle, profondément enracinée, une suspicion culturelle britannique (plus nettement, anglaise) à l’encontre du travail intellectuel. Il n’existe aucune intelligentsia britannique sur laquelle les journalistes pourraient s’aligner – même s’ils le voulaient. Mais comment un métier qui continue de chérir la notion d’apprenti, devenant un habile ouvrier de métier, peut-il s’ajuster sur un monde dominé par des « industries de la connaissance » ?
Notes
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[1]
Press Gazette édite des chiffres de ventes chaque mois.
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[2]
Des détails complets sur les titres et les ventes sont édités par leur organisation commerciale : The Newspaper Society [www.newspapersoc.org.uk].
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[3]
Traditionnellement dans la presse britannique, il n’existe pas un secrétaire de rédaction à la française, mais plusieurs « editors » qui sont responsables de la gestion des espaces et de la finalisation d’une ou plusieurs pages. Toutefois l’anglais britannique admet de plus en plus la valeur « rédacteur en chef » du terme américain « editor ».
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[4]
D’après mes entretiens avec des femmes journalistes dans les journaux locaux/régionaux.