CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La décision de l’Égypte d’acquérir un satellite et les lancements en 1998 et en 2000 de Nilesat 101 et de Nilesat 102 peuvent susciter à première vue un fort sentiment d’étonnement. Les responsables politiques d’un pays en voie de développement (pour ne pas dire pauvre) obligés d’appliquer les plans d’ajustement structurel depuis le début des années 1990, pouvaient difficilement justifier, aussi bien auprès de la population qu’auprès des créanciers internationaux, de dépenses considérables dans le secteur de la communication spatiale. Connue comme le principal exportateur régional des produits télévisuels populaires et des ressources humaines, qu’elles soient bon marché ou qualifiées du point de vue du savoir-faire artistique et technique, l’Égypte en faisant l’acquisition d’une infrastructure technologique sophistiquée jusque-là réservée aux Occidentaux faisait fausse note avec les formules de la division du travail habituellement adoptée en matière d’audiovisuel sur le plan intra-arabe. Par ailleurs, le moment de la décision est en soi instructif : c’est en 1985 [1] que l’Égypte commande officiellement à un fabricant français deux satellites de communication pour des usages audiovisuels et de télécommunications et devient ainsi le seul pays arabe propriétaire d’un outil spatial national. Dix-sept ans après, l’Égypte a toujours le monopole dans ce domaine et il n’y a parmi les pays arabes dits riches (exportateurs de pétrole) que l’Arabie Saoudite qui commence à peine à lancer un projet similaire.

2Pourquoi donc entreprendre des projets aussi coûteux ? Les rapports de force régionaux qui se jouent sur une toile de fond qu’on appelle communément la « révolution communicationnelle » offrent un premier élément d’explication des logiques à la fois politiques et économiques qui ont sous-tendu ce projet. La première étape date de 1976, lorsque la conférence des ministres arabes de l’Information évoque pour la première fois l’aspiration à lancer un satellite régional de communication. Sachant l’ampleur et le coût du projet, les participants confient à la Ligue des États arabes la responsabilité de la coordination inter-étatique et la gestion des études de faisabilité de ce qu’on appellera par la suite Arabsat [2]. L’enjeu n’est cependant pas la diffusion télévisuelle par voie satellitaire. C’est davantage l’établissement d’un réseau spatial de téléphonie (incluant télégrammes, fax…) sur l’ensemble de la région et la diffusion télévisuelle commune d’un message pan arabe [3] qui sont visés. Vingt-et-un États adhèrent au projet avec des contributions sensiblement différentes et il n’y a que l’Arabie Saoudite et la Libye qui devancent l’Égypte sur ce plan. Une nouvelle donne survient néanmoins en 1979, avec la signature par l’Égypte d’un accord de paix séparée avec Israël, et bloque la participation égyptienne à ce projet régional cherchant à concrétiser les liens intra-arabes et à mettre les acquis technologiques au service d’une culture régionale fédératrice. Les mesures prises par la Ligue des États arabes sont en effet radicales et vont du déplacement du siège de l’organisation du Caire vers Tunis jusqu’à l’exclusion de l’Égypte de la Ligue et de toutes ses activités. Cet isolement imposé aux Égyptiens dure dix ans (1979–1989) et pousse le pouvoir politique, se sentant humilié et destitué de son leadership régional, à faire cavalier seul. Il incite aussi les responsables des médias égyptiens à trouver des nouveaux moyens d’affirmation de la centralité régionale de l’Égypte. C’est en réponse donc à l’exclusion de l’Égypte du projet Arabsat que Nilesat est lancé et c’est pour contourner le boycott arabe de l’Égypte que naît cette ambition de mettre en place un pôle d’attraction médiatique tel qu’aucun pays arabe ne pourrait dorénavant s’en passer.

3Ce rappel d’un épisode important dans les tensions intra-arabes ne veut pas dire que la compétition régionale en matière de médias puisse être réductible à la possession d’un satellite de communication. Le paysage audiovisuel satellitaire arabe comporte une multitude d’enjeux et de conflits. Aussi serait-il biaisé de s’en tenir au niveau régional pour justifier une politique nationale. Ici, la particularité de l’histoire nationale de l’audiovisuel égyptien semble s’imposer comme second facteur d’explication. Avec la première télévision lancée dans le monde arabe (en 1960), l’audiovisuel égyptien fait longtemps figure de modèle, non seulement en raison de son ancienneté, mais aussi de son fonctionnement. Largement calquée sur le modèle soviétique utilisant la télévision étatique comme instrument central d’endoctrinement idéologique et d’homogénéisation politique, l’Union de la Radio et de la Télévision Égyptienne, URTE, créée depuis 1970, assure aux pouvoirs politiques successifs les assises de leur hégémonie et le monopole de toute parole publique. La transition vers le multipartisme, à partir de la fin des années 1970, ne modifie pas sensiblement cette donne et le « secteur de l’Information » tel qu’on l’appelle jusqu’à aujourd’hui continue à constituer une des clés de la stabilité politique en Égypte. Cela dit, cette socialisation homogénéisante ne se base pas uniquement sur les messages politiques directs. La production de feuilletons, films et chansons chantant les louanges du nationalisme et stigmatisant les diverses formes d’opposition politique, parvient à attirer le public et à le fidéliser autour du dit « cachet national » [4]. C’est cet amalgame entre des éléments du modèle socialiste et un message nettement nationaliste qui vaut aux responsables du « secteur » une place de choix au sein de l’ Establishment et des gains considérables grâce à l’exportation des produits télévisuels égyptiens (dont l’essor correspond paradoxalement à la période du boycott arabe) vers les autres pays arabes.

4En fait, la logique économique est le troisième facteur expliquant les dynamiques de la restructuration de l’industrie audiovisuelle égyptienne. Loin d’être le fruit de l’ère satellitaire, celle-ci avait déjà été amorcée depuis le début des années 1970. L’option en faveur de l’ouverture économique et l’économie de marché, entreprise dès l’avènement au pouvoir du président Sadate en 1970, a impliqué de nombreuses modifications tant juridiques que politiques de l’ensemble des appareils de l’État. Une privatisation à plusieurs vitesses était entreprise un peu partout et convertissait la plupart des organismes étatiques en « unités d’investissement », c’est-à-dire en institutions destinées à entreprendre des projets en commun avec les secteurs privés nationaux et internationaux en vue de réaliser des bénéfices économiques. Le contrôle de certains des secteurs jugés stratégiques demeurait toutefois intense (pétrole, audiovisuel, moyens de transport, éducation) et le secteur de l’information constitue un exemple palpable de cette libéralisation économique jumelée de restrictions politiques. En 1979, l’URTE est déclarée unité économique indépendante [5], destinée à entreprendre des activités d’investissement avec des partenaires publics et privés, nationaux et étrangers, et à fonder des sociétés anonymes d’investissement [6]. La même loi et celle qui la réforme [7] ne manquent pas cependant de placer le ministre de l’Information, ès qualité, à la tête de cette institution et d’en faire le président du Conseil d’administration et l’arbitre lors de tout conflit survenant à l’Assemblée générale.

5C’est afin de démêler ces multiples niveaux que je distinguerai analytiquement, dans l’adoption des initiatives étatiques égyptiennes en matière satellitaire, deux logiques à la fois indépendantes et complémentaires : celle de l’État comme acteur régional affirmant sa compétitivité et les avantages comparatifs qu’il possède – secteur public et privé confondus – au sein de ce marché naissant que constitue l’essor de chaînes télévisuelles satellitaires, et, celle, de l’État comme agent économique, censé non seulement cumuler des gains mais aussi maintenir, sinon activer, les dynamiques du marché dans une phase de libéralisation économique et d’ajustement structurel. Deux logiques dont nul ne peut préciser le degré d’importance ni prédire les formes d’imbrication. Mais avant de le faire, je tâcherai d’abord de donner un aperçu de l’ampleur de la modernisation de l’audiovisuel égyptien comme processus qui englobe l’acquisition de deux satellites de communication. Ce faisant, j’essaierai aussi de capter l’état d’esprit qui accompagne généralement les déclarations officielles sur les politiques satellitaires égyptiennes ; état d’esprit révélateur de l’importance qu’accorde le pouvoir égyptien au secteur médiatique satellitaire qu’il a pu mettre en place ; état d’esprit illustrant également comment se conjuguent au présent, mondialisation, interventionnisme étatique et valeurs capitalistes.

La modernisation de l’audiovisuel égyptien : une vue d’ensemble

6Tout comme les victoires sportives des équipes nationales, la modernisation de l’audiovisuel en Égypte est énoncée dans le discours officiel d’une manière triomphaliste qui insiste sur les mérites de la nation égyptienne et le dévouement de l’État à fournir à ses citoyens les moyens d’accéder au xxie siècle et à la nouvelle « révolution communicationnelle » [8]. Ce cliché d’auto-félicitation ne manque pas, cependant, de souligner les menaces que comportent les nouvelles donnes médiatiques internationales. Décrite et débattue, en permanence, sur les plateaux des chaînes hertziennes et satellitaires égyptiennes, la mondialisation (traduction littérale du mot arabe’awlama), entendue ici en terme de champ communicationnel et médiatique, est communément présentée comme une opportunité qui inclut des risques que seules « les nations clairvoyantes et persévérantes » [9] sont en mesure de gérer. Risque d’acculturation et de délitement des traditions identitaires et risque de corruption morale de la jeunesse nationale constituent les expressions privilégiées à l’écran et le leitmotiv avancé pour légitimer les nouveaux investissements économiques et politiques de l’État égyptien dans le secteur audiovisuel.

7« C’est une affaire de sécurité nationale [10] », déclare le ministre de l’Information pour convaincre son public tout à la fois des dangers imminents de la mondialisation au sein de son secteur, de l’énergie de son État à acquérir tous les moyens technologiques pour préserver la « souveraineté nationale » dans ce domaine et surtout de l’obstination égyptienne à garder son leadership, dans le monde arabe, en matière de médias. En fait, l’État égyptien n’a pas seulement entrepris la mise en place de deux satellites de communication. Il a aussi radicalement transformé le paysage et le champ télévisuels durant la dernière décennie du xxe siècle. La succession des nouvelles structures est d’une extrême rapidité. Certaines voient le jour avant le lancement du Nilesat 101 en 1998, d’autres l’accompagnent et les dernières ne sont fondées qu’avec le lancement du second satellite Nilesat 102 destiné en principe à fournir des réseaux de télécommunications. La première chaîne satellitaire égyptienne ESC1 commence en 1991. Elle est diffusée à partir d’un satellite occidental (Eurostar), mais permet déjà de lancer la première société anonyme de chaînes télévisuelles satellitaires égyptiennes CNE (Cable network of Egypt). En 1996, cinq nouvelles chaînes hertziennes (s’adressant aux cinq grands centres urbains égyptiens) sont fondées et augmentent sensiblement le nombre de chaînes télévisuelles étatiques (on passe de trois à huit). C’est avec le lancement de Nilesat 101 qu’un nombre important d’institutions médiatiques est ajouté. La société anonyme NSC (Nile Satellite Company), est fondée en 1995 et lance le tiers de son capital à la bourse financière en 1998. La société anonyme NCN, groupe satellitaire Nile des chaînes thématiques [11], suit la même voie. Et last but not least, la société EMPC (Egyptian Mediatic Production City) est établie et expose d’emblée le tiers de son capital aux actionnaires désireux d’investir dans ce nouveau secteur. D’autres, enfin sont déclarées comme sociétés en voie de constitution telle que ECIDI (Egyptian Company for Internet and Digital Structure) ou VCS (Video Cairo Sat), première chaîne égyptienne de télé-shopping lancée par NSC. En 2000, Nilesat 102 est en orbite et ouvre la voie à une nouvelle vague d’institutions médiatiques, télécommunicationnelles, voire simplement économiques, censées toutes participer à la démocratisation de l’Internet et à l’instauration des « autoroutes arabes de l’information ». Depuis, la donne principale demeure la conversion juridique de l’espace physique du EPMC en zone économique franche (exempté de taxes et de toute censure de la part des institutions politiques égyptiennes). Cette conversion permet à la EMPC de s’élargir ostensiblement : une trentaine de plateaux sont construits pour accueillir les bureaux des chaînes satellitaires arabes et occidentales, deux hôtels cinq étoiles, plusieurs usines techniques, un parc d’attractions pour les enfants genre Disneyland, des stations de téléphonie, une société de production et de diffusion des produits télévisuels, une usine de digitalisation et de cryptage, des antennes locales de Sony et GVC, des sièges pour les deux nouvelles chaînes égyptiennes privées, et une dizaine d’agences publicitaires.

8Mises en place à partir d’une logique politique, ces réformes ne doivent pas toutes être perçues exclusivement comme une expression nationaliste – défensive ou offensive – face à la mondialisation communicationnelle. Elles illustrent comment la modernisation de l’audiovisuel dépasse comme processus la simple acquisition de satellites de communication. Elles démontrent également que la mise en place d’un satellite exige souvent un large remaniement à la fois économique, technique et juridique de tout le secteur médiatique. Elles permettent enfin de restituer l’improvisation continue des responsables de ce secteur qui, n’ayant aucun modèle référentiel d’action, suivent plusieurs pistes afin de maximiser les chances de réussite de leur entreprise.

La compétitivité régionale : avoir plusieurs fers au feu

9La recomposition du paysage télévisuel arabe renvoie l’image d’un site de fouilles géologiques dont la découverte de chaque couche pourrait constituer une fin en soi et dont la vue d’ensemble donne à voir un tout autre résultat. Cela provient peut-être de la diversité des niveaux d’actions que tout un chacun peut entreprendre dans ce nouveau champ satellitaire (émission de chaînes avec ou sans site web, choix de la généralité ou de la thématisation, fondation de bouquets cryptés, spécialisation dans la production ou par contre dans le marketing et distribution, acquisition de satellite). Cela provient indéniablement aussi de la rapidité extrême des changements qui adviennent dans ce secteur tant sur les plans nationaux que régionaux. Le nombre de chaînes, privées ou étatiques, est loin d’être stable. L’échelle de la crédibilité ou de la célébrité est systématiquement redéfinie [12]. Même le profil des propriétaires de chaînes peut varier tous les deux ou trois ans (allant des États et familles royales jusqu’aux groupes d’opposition politique en passant par les hommes d’affaires). Les sites d’émission, de diffusion et, à un moindre degré, les équipes rédactionnelles sont en permanent déménagement. Comment définir une stratégie médiatique de type national, voire simplement privé, dans un espace aussi peu stable ? Comment rivaliser avec des pôles dont on ne peut ni prévoir la stabilité, ni mesurer les chances durables de la réussite ? Évidemment cela n’est pas exclusivement un problème égyptien. Tous les pôles impliqués dans ce secteur naissant souffrent de cette confusion des cartes et se voient obligés de préciser leurs stratégies d’action malgré l’invraisemblance de leurs paris. L’exemple égyptien demeure toutefois plus parlant que les autres du fait de l’acquisition du satellite et des nombreuses restructurations entreprises durant le laps du temps qui nous intéresse. Il s’avère intéressant également, parce que loin d’opter pour la spécialisation dans la diffusion, l’accueil et le cryptage des chaînes logées sur Nilesat, l’Égypte va tenter de rivaliser avec toutes les stratégies d’action médiatiques existant au sein du monde arabe. Mauvaise gestion de l’acquis dont elle dispose ou incapacité de ce même acquis à faire la loi dans cet espace naissant ? C’est probablement entre ces deux hypothèses que se situe la logique adoptée par les media men de ce pays.

10Ciblant d’abord la simple émission satellitaire (chaînes satellitaires ESC1 et ESC2), les responsables égyptiens croient avoir bien situé le niveau de la compétition intra-arabe. Pendant cette phase qui correspond aux années 1990-1995, seules les chaînes privées financièrement soutenues par des forces politiques occupent la scène régionale, voire internationale. C’est la LBC des Phalanges libanaises et le MBC de l’Arabie Saoudite qui sont émises par voie satellitaire. La décision de l’Égypte de rivaliser avec ces deux pôles paraît d’abord injustifiée. Ciblant l’opinion publique occidentale et la diaspora éparpillée aux quatre coins du monde, les chrétiens libanais semblent avoir de bonnes raisons pour se lancer sur cette piste surtout à partir d’un pays sortant d’une longue guerre et où la télévision nationale n’est plus qu’un lointain souvenir collectif. Pour ce qui est de l’Arabie Saoudite, les calculs sont différents quoique aussi convaincants. Aspirant à affirmer son nouveau statut de principale force régionale arabe, le Royaume saoudien se sent obligé de diffuser un message médiatique fédérateur et ce dernier ne peut se faire qu’à partir de l’extérieur du pays, pour des considérations religieuses. Se sentant acculés devant cette nouvelle visibilité saoudienne, les responsables égyptiens font des déclarations officielles allant dans tous les sens mais insistant toutes sur l’urgence de diffuser une chaîne égyptienne par voie satellitaire. Leur problème cependant est l’habillage de leurs véritables motifs. Ils passent ainsi deux ans à avancer des raisons contradictoires selon le public concerné. C’est tantôt la valorisation du tourisme, une des premières ressources économiques du pays, tantôt l’encadrement des nouvelles générations issues de l’immigration en vue de leur offrir une référence d’appartenance nationale, culturelle et religieuse, tantôt la diffusion d’un message de tolérance dans l’ensemble du monde arabe (après la deuxième Guerre du Golfe) [13], qui sont cités à tour de rôle sans que le citoyen égyptien ne sache laquelle de ces raisons est réellement à la base du projet.

11Ce n’est qu’à partir de 1995 que cette stratégie se révèle incapable de garantir à l’Égypte une visibilité para-nationale. Le nombre de chaînes satellitaires arabes, étatiques et privées, augmente ostensiblement entre-temps. Les bouquets de chaînes thématiques cryptées se multiplient (ART, Orbit et Show Time). Les nouveaux messages télévisuels paraissent plus que jamais puiser dans une référentialité démocratique de type occidental, quelles que soient leurs sources du financement. Le ton critique, et apparemment indépendant des pouvoirs politiques, devient la règle. Ces nouvelles donnes présentent un double défi pour les hommes de l’audiovisuel égyptien. D’une part, les critiques des options politiques du pouvoir égyptien sont diffusées quotidiennement et deviennent impossibles à censurer. D’autre part, les nouveaux standards des produits télévisuels donnent l’impression que l’industrie audiovisuelle égyptienne est dorénavant obsolète. Tous les genres télévisuels s’occidentalisent : du journal télévisé à la Caméra trottoir en passant par les talk shows, les clips, les variétés et les commentaires sportifs. Dans ce nouveau cadre arabe, les produits égyptiens semblent lents, totalitaires et dénués de tout intérêt, même aux yeux des simples citoyens habitués à louer les mérites de leur télévision nationale. C’est à ce moment-là que les responsables des médias égyptiens décident de contrer cette nouvelle vague – libéralisante et démocratisante – à travers une seconde stratégie d’action, celle du lancement du satellite de diffusion télévisuelle Nilesat 101. Évidemment, la décision est prise depuis longtemps, mais la mise en œuvre semble – aux décideurs égyptiens – l’occasion de ramener tous les protagonistes sur un nouveau terrain où l’Égypte sera le maître du jeu. Pensant être muni d’un avantage comparatif imbattable, ils se croient capables d’intimider les voix anti-égyptiennes en refusant leur diffusion à partir de Nilesat. Tactique qui révèle très vite ses propres limites car bien que mieux implanté que les satellites occidentaux pour couvrir l’ensemble du monde arabe, Nilesat est loin d’avoir le monopole du marché mondial. C’est la campagne pour discréditer « les voix irresponsables politiquement et soutenues par des régimes anti-arabes [14] » qui constitue alors la seconde tactique (où la presse écrite, les émissions de télévision et les déclarations officielles sont orchestrées pour réaffirmer cette centralité « sacrée » de l’Égypte) tant politiquement que médiatiquement. L’inclusion à petites doses de modernisation du journal télévisé et des feuilletons, l’intégration de quelques journalistes télévisuels connus par leur profil politique autonome et l’ajout de quelques nouveaux produits télévisuels recopiés sur les autres chaînes satellitaires arabes illustrent, enfin, la troisième tactique adoptée par les media men égyptiens pour être au goût du jour.

12Mais si l’acquisition du satellite se révèle dans la pratique être une arme de pression politique inefficace sur le plan intra-arabe, celle-ci s’avère appropriée sur le plan, plus symbolique, de l’affirmation du statut régional de l’Égypte aux yeux des citoyens. Presse, télévision, voire discours ministériels et présidentiels s’acharnent alors pour faire du lancement de Nilesat 101 la preuve irréfutable du dit « leadership égyptien dans le monde arabe ». Ajoutons à cela le rappel constant, dans ces discours, des gains économiques estimés (à partir de la simple location des répéteurs et des bureaux d’émission). Gains qu’on osera comparer parfois aux principales ressources économiques du pays, le Canal de Suez et le tourisme [15]. Mais comme l’importation de Nilesat s’effectue uniquement à des fins de légitimation politique, cette étroitesse de manœuvre sur le plan arabe incite les professionnels de l’audiovisuel égyptien à explorer d’autres pistes afin de devenir plus aptes à rivaliser avec cet essor des autres télévisions arabes.

13C’est le lancement du bouquet égyptien de chaînes thématiques NCN regroupant chaînes d’information, de sport, de variétés, de santé, d’éducation, de religion et de TV drama, sa diffusion sans cryptage pour deux ans [16] et l’appel aux grands industriels égyptiens pour qu’ils jouent les mécènes de ce projet, qui marquent la première mesure de soutien apportée à la crédibilité de Nilesat. L’inauguration en 2000 de la EPMC destinée à fournir des avantages fiscaux et les infrastructures techniques indispensables à toute chaîne satellitaire arabe diffusant à travers Nilesat est la seconde mesure. Le lancement très cérémonial du second satellite, Nilesat 102, et les promesses étatiques d’en faire l’arme principale pour faire de l’Égypte, « l’Inde du Moyen-Orient » [17] en matière d’informatique, de télécommunication, voire des nouvelles industries de cryptage, de digitalisation et de communication via Internet, constituent indéniablement la troisième et la plus spectaculaire de ces mesures [18]. Ce plan vertigineusement coûteux [19] est censé rassurer ceux qui avaient longtemps escompté des bénéfices politiques et économiques du programme satellitaire égyptien. Il est certainement entrepris également pour cristalliser les avantages comparatifs de l’Égypte face à toute compétition intra-arabe en matière de production satellitaire ; avantage comparatif que Nilesat 101 ne parvenait plus à assurer tout seul.

14Improvisation politique en vue de préserver un statut auparavant consacré qui commence à sombrer ? Ajustement d’une industrie pour en faire un moyen de pression politique efficace sur les autres protagonistes arabes ? Ou recomposition d’une infrastructure technologique pour des buts essentiellement lucratifs ?

Satellite et secteur audiovisuel : entre l’économie du pouvoir et l’économie tout court

15Émanant toutes de l’État, les recompositions des structures audiovisuelles laissent entendre un intérêt accru de ce dernier pour la sauvegarde du contrôle politique sur le plan national et de la centralité sur le plan régional en matière d’émission satellitaire. Intérêt qui rappelle, par son zèle, des temps révolus où l’État prenait sous sa houlette le secteur des médias et en faisait un outil stratégique dans le fonctionnement politique. Rien n’est moins réducteur qu’une telle lecture des initiatives étatiques égyptiennes. Car cet acharnement à mettre en place l’arsenal technologique, le plus sophistiqué de la région en matière de diffusion par voie satellitaire, est également attisé par le désir de transformation du secteur audiovisuel en un marché national d’investissements où petits et grands actionnaires peuvent cumuler des gains. L’activation du marché devient alors la logique dominante qui permet à ces acteurs étatiques de concilier anciens et nouveaux desseins dans la définition de leurs fonctions.

16Comment se forge ce nouveau profil entrepreneurial des medias men ? Sans nécessairement recourir à une explication de type historique des modalités – implicites ou explicites – de privatisation du secteur de l’audiovisuel [20] depuis les années 1970, il faut noter que c’est davantage des considérations pratiques qui ont poussé ces experts de la sécurité nationale à proposer une alliance avec les investisseurs du secteur privé. Mal nécessaire ou ouverture contrôlée ? C’est effectivement l’incapacité des responsables de l’audiovisuel à demander indéfiniment des ressources supplémentaires à l’État pour financer leur rêve de grandeur qui était à la base de cette décision de transformer l’ensemble de ce secteur en un immense nombre de sociétés anonymes où l’URTE maintiendrait toujours le statut de l’actionnaire majoritaire. Mesure préventive contre les contestations parlementaires répétées depuis 1985 contre l’hypertrophie du budget de l’information ? Geste d’apaisement vis-à-vis du reste des institutions politiques indignées de voir ce budget, comme celui de la Défense, sortir des bilans des dépenses publiques et se revêtir d’une dimension secrète que seul le président de la République, les ministres des Finances et celui de l’économie ont le droit de contrôler et d’allouer les ressources ? Ou, enfin, coup de génie décidant de prouver les mérites du secteur en élargissant le nombre de bénéficiaires de cette industrie ?

17C’est pour tous ces motifs à la fois que le secteur fait l’objet d’une progressive privatisation qui s’étale de 1988 à 2002. Notons ici que cette dernière ne devient enjeu du débat public qu’à partir du lancement effectif de Nilesat 101 en 1998 et que jusqu’alors toute institution sous forme de société anonyme reste lettre morte pratiquement parlant. Ajoutons à cela l’extrême difficulté pour trouver la moindre trace écrite sur les budgets, les capitaux ou les parts respectifs des actionnaires de ces nouvelles sociétés [21]. En fait, le passage d’une configuration où l’URTE réalisait des bénéfices, en tant qu’organisme étatique attitré pour collaborer avec le secteur privé, à celle de la privatisation d’un secteur perçu depuis longtemps comme stratégique exigeait une gestion très délicate afin de ne pas affecter la crédibilité de l’un des principaux piliers de la légitimité sociale et nationale du pouvoir politique en place. Accusé par ses opposants de sacrifier tous les acquis sociaux des couches populaires que la révolution de 1952 avait mis en place, et soupçonné de faire passer en douce des lois du travail fragilisant l’ensemble des salariés égyptiens des secteurs publics et privés, le pouvoir politique ne pouvait pas facilement « publiciser » cette privatisation même partielle de l’audiovisuel égyptien. C’est cette toile de fond articulant contestation de l’opacité des financements de l’audiovisuel et inquiétude de toute nouvelle forme de privatisation qui explique pourquoi les donations étatiques aux projets respectifs du Nilesat et de la cité médiatique n’ont jamais été publiquement annoncées. Cela explique également pourquoi l’investissement s’élevant à 15 % du capital de la NSC et de la EPMC ainsi que les prêts à long terme accordés par la plus grande banque égyptienne (The National Bank) et les deux banques françaises (Crédit Lyonnais et Paribas) n’ont jamais été mentionnés dans la presse. Autrement dit, il fallait présenter toute l’entreprise satellitaire comme une initiative du pouvoir politique et de ses collaborateurs en ne révélant les sommes faramineuses avancées et les manœuvres financières adoptées qu’après l’exposition des actions de ces nouvelles sociétés à la bourse financière.

18Le pari sur les bénéfices politiques éventuels que le secteur et le pouvoir pouvaient tirer de l’exposition des actions sur le marché d’investissement était simple. Il s’agissait de faire de ce type d’opération un soit-disant exemple des nouvelles modalités du fonctionnement de l’État voulant à tout prix « combiner les entreprises de développement économique et l’activation du marché pour combattre la récession » [22]. En outre, cette démarche progressive était censée faire d’une pierre deux coups. L’audiovisuel égyptien ne sera plus considéré comme un secteur ni coûteux, ni lucratif mais comme un pôle contribuant au développement du pays et à la redistribution des richesses. Le pouvoir politique paraîtra non seulement rationnel dans ses dépenses mais soucieux de choisir des secteurs mariant développement et activation des investissements.

19Cependant, ce ne sont pas uniquement les modes de légitimation de l’entreprise satellitaire et plus généralement audiovisuelle qui posent problème. Il y a aussi la question de la rentabilité escomptée de Nilesat 101 ; rentabilité qui fait d’abord défaut et qui ne peut absolument pas être avouée publiquement. En fait, muni de douze répéteurs, Nilesat pouvait techniquement accueillir 84 chaînes télévisuelles ainsi que 420 stations de radio. Les études de faisabilité commandées par l’URTE, et effectuées depuis 1984, estimaient les frais de location annuelle d’un répétiteur à 3 millions de dollars et annonçaient que les revenus de Nilesat approcheraient annuellement les 36 millions de dollars et couvriraient ainsi les frais de son installation sur cinq à six ans. Or, à la grande surprise de ses instigateurs, Nilesat ne mobilise pas assez de demandes. Sur douze répéteurs, neuf sont loués et là-dessus ce sont les organismes étatiques égyptiens qui représentent une majorité écrasante. L’URTE loue trois répéteurs à elle toute seule (pour la diffusion des chaînes hertziennes, satellitaires et thématiques). Le ministère de l’Éducation nationale en loue un. Les ministères du Tourisme, de la Santé, de la Recherche scientifique et le Haut Conseil de l’éducation supérieure parviennent ensemble à louer un cinquième. Sur les quatre restants, l’État libyen en loue un, bien qu’il ne diffuse qu’une seule chaîne satellitaire et les deux groupes de ART et de Show Time en louent respectivement deux et un chacun. Malgré cette pénurie de demande inattendue, le bilan sorti est triomphaliste en mentionnant que le coût de la location sur Nilesat a déjà dépassé les trente millions de dollars tout en occultant le fait que le plus grand pôle est l’URTE, actionnaire majoritaire de la NSC, et que la plus grande partie des autres institutions logées sur Nilesat financent la diffusion de leurs messages à partir du budget de l’État égyptien. Évidemment, le nombre de chaînes satellitaires arabes diffusées par Nilesat a augmenté depuis, mais il faut noter que même rassemblées, elles ne requièrent au maximum qu’un ou deux répéteurs. Les medias men ont-ils visé trop large ? Ont-ils lancé le satellite trop tôt ? La seule leçon tirée de cette première déception économique est la prudence ; prudence qui s’impose d’autant plus que le responsable national des médias s’engage déjà en 1998 en annonçant le prochain lancement de Nilesat 102 en 2000 ; prudence qui pousse aussi ses collaborateurs à choisir très vite une autre piste que celle de la diffusion des chaînes satellitaires comme vocation principale du second satellite égyptien. C’est le domaine naissant des télécommunications qui est érigé alors comme nouveau champ d’affirmation du leadership médiatique de l’Égypte. Ciblant l’Internet, les chaînes télévisuelles interactives, les réseaux de téléconférences, les téléphones portables, les responsables de la NSC estiment avoir misé sur une demande qui n’a jamais été servie régionalement. Malheureusement le premier scénario se répète. Et c’est tantôt la NSC, tantôt l’URTE, tantôt la CNE, qui fondent en leur sein de nouvelles sociétés de fournitures de réseaux, de commercialisation d’Internet ou de chaîne de télé-shopping afin d’activer non pas les investissements mais la demande des consommateurs égyptiens et arabes. Par ailleurs, aucune déclaration n’a été faite sur les revenus de Nilesat 102 et c’est plutôt la dimension d’avant-gardisme qui est constamment soulignée. À partir de là, le pouvoir politique, le secteur de l’Information et un grand nombre d’investisseurs se retrouvent dotés de l’infrastructure la plus sophistiquée au sein du monde arabe sans pouvoir, ne serait-ce que pour l’instant, effectuer des bénéfices palpables politiques ou économiques.

De l’investissement au marketing : la persévérante attente de la demande régionale

20Au cours des pages précédentes, j’ai dissocié les logiques politiques, propres aux plans national et régional, de celles, économiques, cherchant à activer le marché financier égyptien. Pur exercice méthodologique, il s’agissait d’isoler les divers niveaux d’analyse afin de dégager la multiplicité des logiques que peut poursuivre un même acteur lors d’une entreprise aussi neuve que l’investissement satellitaire. L’État égyptien ne devient plus un objet holiste. Il regroupe en son sein un certain nombre d’acteurs, tributaires de leur passé professionnel et politique et affaiblis par la succession de défis que leur posent les mutations technologiques en matière de diffusion satellitaire, l’étroitesse de leur marge de manœuvre lors d’une conjoncture de libéralisation économique et l’essor indiscutable de la production télévisuelle des autres acteurs, publics ou privés, arabes. Loin de constituer des enjeux superposés, j’ai essayé de montrer qu’ils sont étroitement imbriqués et qu’ils engagent, chacun à son tour, l’ensemble des acteurs concernés par la restructuration de l’audiovisuel égyptien. Appareils d’État, technocrates, grands et petits investisseurs ne se confondent pas, mais savent, de plus en plus, que leurs objectifs dépendent fortement de ceux des autres. Pour cette nouvelle alliance, ce ne sont pas des expressions comme la Sécurité nationale ou le leadership régional qui suffisent pour mobiliser les efforts. C’est l’affirmation des avantages comparatifs, le niveau de la compétitivité et les taux de rentabilité qui deviennent les nouveaux termes de la réussite tant politique qu’économique.

21Armés de deux satellites que nul autre pays arabe n’a pu encore acquérir, offrant des avantages fiscaux grâce à l’établissement de la cité de production médiatique EPMC, privatisant à moitié les chaînes satellitaires, fournissant à la fois un savoir-faire hautement qualifié et une main-d’œuvre bon marché, et ayant quantitativement la plus large audience au sein du monde arabe, les responsables des médias, appuyés sur les technocrates et les investisseurs qualifiés, attendent toujours les fruits de leur pari : satisfaire une demande régionale plus importante. Le leadership auparavant recherché à travers la popularité des produits télévisuels n’est plus une affaire de statut symbolique. Il devient mesurable, quantifiable parce que ce n’est plus la circulation des produits télévisuels qui compte, mais la rentabilité des acquis technologiques et des réformes économiques mises en place. La hausse de la bourse financière, mais plus encore la croissance de la demande régionale sur l’industrie satellitaire égyptienne prendront la place de la réussite populaire des feuilletons, longuement vénérés en Égypte et ailleurs, comme ultimes preuves de la « centralité » de l’Égypte.

Notes

  • [1]
    Date de lancement du satellite Arabsat (Arab Satellite).
  • [2]
    Nom donné à l’organisation et à ses satellites de télécommunications.
  • [3]
    L’idée de départ est de rassembler un certain nombre de produits nationaux et de les diffuser à partir d’une chaîne satellitaire commune. Voir à ce sujet et à propos de l’émergence de Arabsat, Al Sifsafi Ahmed Morsi, Le satellite arabe Arabsat, les racines et les horizons d’attente, éd. Dar Al Zahraa’ lil Nashr, Le Caire, 1991.
  • [4]
    À propos de la construction d’une culture politique nationale consensuelle à partir de la désignation de toute forme de l’opposition politique comme « fléaux de la nation », et la diffusion de cette « culture » à travers les produits télévisuels, voir Lila Abu Lughad, « Finding a Place for Islam : Egyptian Television Serials and the National Interest », Public Culture, n° 5, 1993, p. 493-513.En ligne
  • [5]
    Loi 13 de 1979.
  • [6]
    Exposés aux directives néo-libérales depuis les années 1970, les responsables des médias égyptiens avaient dès lors appliqué les règles de l’économie mixte où le secteur public combinait ses efforts avec l’expertise du secteur privé pour « sauver les déficits budgétaires cumulés une décennie plus tôt ». Voir à ce sujet Samia Saïd, Man Yahkom Misr ? (Qui possède l’Égypte ?), Le Caire, éd. Dar al Mostaqbal al’Arabi, 1986.
  • [7]
    Loi 223 de 1989.
  • [8]
    Quotidiennement mentionnée à l’écran, la Révolution communicationnelle est entendue à la fois comme un changement radical des médias et une nouvelle industrie mondiale au sein de laquelle l’Égypte affirmera sa place de producteur et non seulement de consommateur. Il faut dire aussi que cette ambition occupe une place de plus en plus centrale dans le discours présidentiel.
  • [9]
    C’est dans ces termes que la présentatrice qui avait couvert l’inauguration du second satellite égyptien Nilesat 102, a exprimé le rapport qu’entretient l’État égyptien avec les nouvelles performances technologiques qu’offre la mondialisation, le 20 août 2000 sur la première chaîne.
  • [10]
    Discours du ministre de l’Information devant le Parlement en 1985 lors de la proposition de ce dernier de commander la production d’un Satellite pour l’Égypte coûtant 158 millions de dollars. Expression notamment reprise lors de l’inauguration de second satellite Nilesat 102, le 20 août 2000 et retransmise à la télévision et sur les pages de la presse nationale.
  • [11]
    Celles-ci sont d’abord au nombre de quatre : variétés, information, sport, films et séries télévisées (TV Drama). En 1999, deux autres chaînes les rejoignent : éducation et santé. Puis quatre nouvelles chaînes, dont celle consacrée à la religion, sont créées en 2000.
  • [12]
    L’exemple le plus frappant est la chaîne qatarie Al Jazeera qui, après avoir été labélisée sensationnaliste pour deux ans, acquiert un prestige indiscutable après les événements du 11 septembre 2001.
  • [13]
    En fait, c’est le motif le plus vraisemblable vu le contexte régional durant ces années. L’émission du ESC1 coïncide avec l’envoi des troupes militaires égyptiennes et celles de l’alliance occidentale contre Saddam Hussein. Outre l’indignation publique arabe de cette décision égyptienne, les télévisions irakienne, jordanienne et libyenne diffusent des messages incitant ouvertement les troupes égyptiennes à ne pas participer à « ce complot occidental contre l’arabité et l’islam ». C’est donc pour contrer ces messages et encourager les militaires égyptiens présents en Arabie Saoudite auprès des troupes américaines que ESC1 est en grande partie émise par voie satellitaire.
  • [14]
    Le ministre de l’Information répète à plusieurs reprises cette idée (au Parlement, au quotidien de l’Ahram et sur les chaînes hertziennes et satellitaires égyptiennes) au cours de l’année 1999-2000. Cela ouvre la voie à une vertigineuse campagne de presse sur le « haut sens de responsabilité politique des médias égyptiens par opposition à l’irresponsabilité de la nouvelle chaîne qatarie » Al Jazeera qui critique ouvertement les options politiques égyptiennes et les qualifie systématiquement de pro-américaines et de normalisatrices avec l’État hébreu.
  • [15]
    Voir à ce sujet l’interview donnée par Hussein Amin professeur de média de masse à l’Université américaine du Caire et conseiller du ministre de l’Information et du PDG de l’URTE, dans TBS archives, n° 5, automne-hiver 2000.
  • [16]
    Il faut noter que les responsables de l’URTE décident de ne pas crypter le groupe NCN afin de fidéliser d’abord le public. Ce n’est qu’en 2002 qu’ils osent lancer le premier « paid TV » en cryptant la majorité des chaînes de ce bouquet (à l’exception de Nile information et Nile variété). C’est la commercialisation des décodeurs digitaux qui permet une telle transformation. Cette dernière sera d’abord annoncée comme moyen d’accès aux bouquets cryptés de ART et de Orbit, mais inclut de fait le reste du bouquet NCN et ce n’est qu’à la suite de cette mesure que les responsables politiques commencent à justifier leur décision tantôt en évoquant la rareté de la publicité, tantôt en comparant la haute qualité du groupe NCN aux deux autres bouquets cryptés.
  • [17]
    Déclaration du ministre de l’Information, le 20 août 2000 dans le quotidien Al Gomhorriyya.
  • [18]
    Voir Al Mussawwar, le 18 août 2000.
  • [19]
    Lors du dernier changement ministériel en 1999, les journaux de l’opposition politique égyptienne avaient consacré leur une à expliquer que le départ du Premier ministre était lié à ses conflits avec le ministre de l’Information qui refusait de soumettre le budget de son portefeuille au Conseil des ministres et qui avait l’accord présidentiel de ne s’adresser qu’au président, aux ministres des Finances et de la Planification, au sujet des allocations budgétaires de son ministère.
  • [20]
    Explication que j’avais mentionnée auparavant pour illustrer l’émergence d’une logique capitaliste, depuis la fin des années 1970, comme troisième volet constitutif du projet satellitaire égyptien.
  • [21]
    N’étant mentionnés ni dans le journal officiel, ni dans le budget de l’État, ni dans les sessions parlementaires, ni même dans les rapports ministériels, c’est uniquement les rapports annuels de l’Assemblée générale de chacune de ces sociétés anonymes (distribués aux actionnaires présents lors de la réunion annuelle) qui permettent de restituer cet énigmatique puzzle. Les rapports des experts comptables recueillis à leurs bureaux ont été la seconde source d’information précieuse pour comprendre qui sont les principaux protagonistes de ce secteur institutionnellement transformé.
  • [22]
    Déclaration du ministre des Finances sur le budget de 1999 auprès des parlementaires, retransmise à la télévision où ce dernier épargne au public le moindre détail mais chante les louanges du secteur de l’Information. Tout son discours rappelle qu’il s’agit d’une démarche exemplaire, selon les directives des programmes d’ajustement structurel, et que le nouveau rôle du secteur national des médias demeure tout aussi stratégique qu’avant. Décidant du moment approprié, du nombre, de la nature et du coût des infrastructures indispensables pour affirmer l’avantage comparatif de l’Égypte au sein du marché satellitaire arabe, l’État, via les responsables des médias, prend en charge l’acquisition de tels moyens, les offre à la bourse financière pour couvrir ses dépenses, et laisse aux soins des grands et petits investisseurs nationaux (secteur privé) la tâche de développer ce marché naissant.
Français

Producteur classique de feuilletons et de films populaires pour l’ensemble du monde arabe, l’Égypte semble rénover sa « centralité médiatique » par le lancement de Nilesat 101 et 102 en 1998 et 2000. Présentée d’abord comme une mesure préventive de sécurité nationale et de prestige régional, l’acquisition de satellites devient ensuite un moyen efficace pour activer les marchés financiers et donner lieu à de nouvelles industries de communication. La demande arabe sur ces nouvelles infrastructures se fait attendre, ce qui ne décourage pas pour autant l’ambition satellitaire égyptienne.

Mots-clés

  • satellites
  • Égypte
  • audiovisuel
  • chaînes hertziennes et satellitaires
  • Nilesat
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  • CNE
  • EPMC
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  • NSC
  • Al Jazirah
  • URTE
Dina El Khawaga
Dina El Khawaga, chercheur au Centre d’Étude et Documentation Économique et Juridique (CEDEJ), université du Caire, faculté d’Économie et de Science politique.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/14448
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