CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les deux décennies consécutives à la guerre froide ont été accompagnées d’une transformation des schémas d’alliances et d’influences internationales ainsi que d’une intensification de la mondialisation des échanges [3]. Il y a eu une telle multiplication des liens et des réseaux transnationaux qu’il est désormais évident que ni l’origine, ni l’échelle de l’action collective et des politiques publiques ne sont exclusivement nationales. Mais si ce constat fait consensus, les mécanismes qui forgent les liens transnationaux et ouvrent les voies du transfert des pratiques et des institutions par-delà les frontières restent imprécis et doivent être mieux compris.

2Aussi cet article cherche-t-il à définir un cadre théorique s’appliquant autant aux politiques publiques qu’aux organisations non-gouvernementales (ONG) et aux mouvements sociaux. Notre thèse est qu’il existe des mécanismes communs à l’élaboration des instruments de l’action publique et des revendications des mouvements sociaux que l’on retrouve au sein d’un même processus de « standardisation ».

3Cette thèse et l’analyse qui en découle sont centrées sur la partie initiale du processus de transfert transnational. Nous théorisons l’étape préliminaire de la trajectoire d’un transfert conceptualisée en tant que processus de conversion d’idées et de pratiques locales en « modèle standard », selon ce que nous nommons un « processus de standardisation ». Il ne s’agit donc pas d’examiner le parcours de ces modèles une fois exportés, autrement dit leur diffusion, mais d’étudier comment s’élabore un « modèle standard » avant qu’il ne soit diffusé, adopté puis adapté localement.

4Pour ce faire, nous nous inspirons du récent virage en sciences sociales vers l’étude des mécanismes (Falleti, Lynch, 2009 ; Gerring, 2007 ; Hedström, Swedberg, 1998 ; McAdam, Tarrow, Tilly, 2001, 2008). À partir des recherches sur les politiques publiques et les mouvements sociaux, nous identifions trois mécanismes au cœur du processus de standardisation : la certification, la décontextualisation et le cadrage. Après un bref survol de ces recherches, nous définissons la notion de standardisation et détaillons ses trois mécanismes constitutifs. Nous appliquons ensuite la notion de standardisation à deux cas empiriques : la propagation transnationale des commissions de vérité et de réconciliation (CVR) et l’utilisation croissante d’un instrument de l’action publique que sont les transferts monétaires conditionnels (TMC). Contrairement à la plupart des études sur la diffusion transnationale, nos deux cas sont issus de l’hémisphère Sud et non du Nord.

Le transfert transnational des politiques et des revendications

5La diffusion transnationale des politiques publiques suscite depuis 20 ans l’intérêt grandissant des chercheurs (pour un aperçu, voir Dobbin, Simmons, Garrett, 2007), dont les travaux sont axés sur le processus d’élaboration des politiques nationales et le rôle des organisations internationales (OI). Ils prêtent ainsi moins d’attention aux acteurs non étatiques qui participent à l’élaboration des politiques ou préconisent des normes et des modèles d’action collective. L’abondante recherche sur les processus de diffusion au sein des organisations et des mouvements sociaux porte généralement sur la façon dont voyagent les cadres, les tactiques, les innovations et les modèles organisationnels [4]. Contrairement à la littérature portant sur l’action publique et se concentrant sur le rôle des think tanks et des OI dans le processus de diffusion, ce deuxième volet de la recherche tend à privilégier les cas de diffusion transnationale où les modèles et les pratiques sont adoptés sans avoir été conçus aux fins de promotion et d’exportation.

6Or, appliqués à notre sujet, ces travaux sur les mouvements sociaux et les organisations présentent des limites puisqu’ils visent d’abord à expliquer le comportement des acteurs qui adoptent des normes et des pratiques développées ailleurs plutôt que celui de ceux qui les exportent. Ils privilégient aussi l’adaptation « localisée » des idées, des normes et des pratiques à un contexte précis plutôt que leur formatage aux fins d’exportation, donc les étapes finales plutôt qu’initiales du processus de diffusion. Ce faisant, ils négligent la possibilité que la diffusion d’idées et de pratiques résulte d’un travail en amont visant à les rendre génériques et transférables.

7La recherche sur les politiques publiques ne se penche pas non plus sur les moyens de les transformer en formats acceptables. Lorsqu’elle essaie d’expliquer pourquoi certaines idées sont diffusées plutôt que d’autres, elle analyse surtout leur légitimité, l’influence de leurs promoteurs et leur capacité à résoudre certains problèmes ou à rallier des appuis nécessaires. Dans ce cadre, l’institutionnalisme historique a produit de nombreux travaux sur la formation et l’évolution des politiques publiques généralement axés sur les idées, les intérêts et les institutions. Or, toutes les idées, les pratiques ou les politiques ne deviennent pas des standards. Dans la conclusion de son ouvrage collectif sur la diffusion des idées keynesiennes, par exemple, Peter Hall (1989) insiste sur la viabilité économique, politique et administrative de ces idées. D’où ces questions préalables : comment a-t-on assemblé et formaté pour l’exportation cet ensemble précis d’idées ? Comment cet ensemble de mesures ou ce programme que l’on nomme « keynesien » s’est-il défait de ses idiosyncrasies locales et contextuelles pour se convertir en standard ? Cette transformation requiert un travail politique et culturel que nous appelons « standardisation ».

Le processus de standardisation

8La plupart des recherches portent sur les acteurs locaux qui adoptent des idées ou des institutions et s’intéresse peu à la façon dont ces idées, ces pratiques et ces innovations ont d’abord été choisies par les promoteurs d’un modèle. Aussi proposons-nous de traiter la standardisation comme un processus grâce auquel une pratique est identifiée dans son propre milieu par les décideurs, des ONG ou d’autres acteurs internationaux, puis reconfigurée en une sorte de « modèle standard » ou de matrice qui puisse être utilisée dans un autre contexte.

9La création d’un tel standard implique souvent de remplacer les particularités locales de l’original par des normes et des pratiques plus acceptables. Cette adaptation suppose un processus de réinterprétation et de reformatage, c’est-à-dire l’élaboration d’une pratique ou d’une norme qui favorise la coordination et la coopération entre les acteurs d’un réseau donné (Grewal, 2008, p. 21-22). Souvent, les idées deviennent alors quasi génériques. En cours de route, elles s’imposent aussi comme le standard sur la base duquel les pratiques de ceux qui l’adoptent seront évaluées.

10Évidemment, ce processus n’a pas été entièrement négligé ; les chercheurs en sociologie des organisations s’y étant notamment intéressés (voir, par exemple, Strang et Meyer [1993, p. 492] sur le rôle de la « théorisation »). Dans son étude du transfert des techniques de gestion du Japon vers l’Europe et les États-Unis depuis la fin des années 1970, Lillrank (1995) observe de même que la première étape de tout transfert transnational consiste à traduire les pratiques locales en abstractions destinées à l’exportation selon une démarche semblable à ce que nous appelons « standardisation ». Il en fait une étape d’autant plus difficile que les techniques ou pratiques abstraites doivent être épurées pour être comprises par des étrangers tout en préservant une certaine densité nécessaire à une implantation qui pourra produire des effets semblables. Or, l’abstraction a ceci de complexe et d’aléatoire qu’elle omet parfois des connaissances et un savoir-faire tacites issus d’une accumulation d’essais et d’erreurs au fil du temps et qu’elle ne peut intégrer les complémentarités qui contribuent à rendre efficaces des techniques ou des pratiques dans leur pays d’origine (Lillrank, 1995, p. 976).

11Ces études sur la diffusion organisationnelle portent sur certaines étapes du processus de standardisation et soulignent sa dimension culturelle, mais elles négligent l’aspect politique. De multiples candidats à la standardisation coexistent. Or, la décision de promouvoir une norme ou une institution plutôt qu’une autre ne dépend pas de sa supériorité mais bien d’un processus politique qui voit certains acteurs acquérir l’autorité nécessaire pour parler au nom d’un modèle standard, les autres acteurs et leurs pratiques étant alors mis à l’écart.

12Dans la mesure où la standardisation est aussi une affaire politique, il faut analyser l’influence que les acteurs exercent. Ici encore, la sociologie des organisations peut nous aider. Car le processus en question s’apparente à celui décrit par Fligstein (1996, p. 659), selon lequel certains acteurs consolident leur statut au sein d’une organisation ou d’un réseau s’ils arrivent à définir, à analyser et à résoudre les problèmes dans leurs propres termes. De ce point de vue, la sociologie des organisations se rapproche de la recherche sur l’action publique et les mouvements sociaux, qui traite de cette dimension politique en mettant en avant le rôle des réseaux de cause et des entrepreneurs politiques.

13Si ces analyses forment un apport important, elles ne fournissent pas un guide analytique. Pour cela, la recherche sur les mécanismes, conceptualisés notamment pour expliquer des dynamiques conflictuelles des mouvements sociaux (McAdam, Tarrow, Tilly, 2001, 2008), se révèle particulièrement utile. Dans la prochaine partie, nous nous inspirerons donc de la recherche sur les mouvements sociaux et les politiques publiques pour décomposer le processus de standardisation en une série de mécanismes.

Du processus aux mécanismes : la standardisation décomposée

14Parmi les nombreuses définitions du terme « mécanisme », nous retiendrons celle de Gerring (2007, p. 166), élémentaire et consensuelle : il parle de « voie ou processus causal menant de X1 à Y ». Le mécanisme se distingue d’une variable (même intermédiaire) en ceci que son effet n’émane pas de modifications apportées à sa valeur mais de sa présence (ou absence) au sein d’une combinaison d’autres mécanismes [5]. Au-delà de l’analyse corrélative, une démarche centrée sur les mécanismes suppose donc d’examiner les configurations et les schémas relationnels dans la durée (Mahoney, 2001). Elle renvoie ainsi aux traditions de la sociologie historique et de l’institutionnalisme historique en politique comparée plutôt qu’à certaines de ses versions formelles ou quantitatives.

15Privilégier les mécanismes et les configurations plutôt que les variables et les corrélations pour déterminer les liens de causalité suppose notamment que les résultats analysés sont le fruit d’une action (et d’acteurs) plutôt que d’une « somme » d’éléments, comme le supposent les études fondées sur la corrélation des variables. Pour désigner les mécanismes que nous avons identifiés, nous utilisons donc des verbes d’action comme certifier ou cadrer, qui évoquent à la fois le rôle d’acteurs et l’existence de dynamiques.

16Si les mécanismes supposent des configurations d’actions précises liées à des acteurs spécifiques dans des milieux et à des moments particuliers, le phénomène que nous chercherons à comprendre ne découle pas de ces seuls mécanismes mais plutôt de leur interaction dans le contexte particulier au sein duquel ils s’insèrent (Falleti, Lynch, 2009). Cependant, en dépit de l’importance des spécificités contextuelles, la notion de mécanisme ne vaut la peine d’être utilisée que si les mécanismes identifiés permettent de dépasser une vision purement descriptive. Pour offrir une valeur explicative, ils doivent être transposables et applicables à plusieurs milieux et situations, comme l’avancent McAdam, Tarrow et Tilly (2001, 2008). C’est pourquoi nous nous concentrerons ici sur des cas tirés de deux sous-champs qui dialoguent rarement.

17Si l’on examine l’ensemble du processus de transfert transnational, on peut définir la standardisation comme un mécanisme constitutif de son stade initial, le chaînon reliant ses initiateurs aux acteurs qui feront ensuite la promotion du modèle standard et le rendront populaire. Mais comme le rappellent Tilly et Tarrow (2008, p. 351-352), « la distinction entre mécanisme et processus (…) dépend du niveau de détail auquel se place l’observateur. On peut toujours scruter à la loupe un mécanisme donné et y trouver des mécanismes plus petits ». Dans le même ordre d’idée, Falleti et Lynch (2008, p. 334) notent que « les mécanismes sont la fondation ou les éléments constitutifs des processus ».

18Aussi isolons-nous ce stade initial du processus de transfert, qui comprend la standardisation, pour le traiter comme un processus lui-même composé de plusieurs mécanismes. Pour autant, ces mécanismes ne surviennent pas nécessairement par séquences, puisqu’ils peuvent se chevaucher. De plus, ils peuvent découler d’actions à l’échelle locale, nationale, internationale ou transnationale.

19Nos études de cas permettent d’identifier de façon inductive trois mécanismes à l’œuvre dans le processus de standardisation : la certification, la décontextualisation et le cadrage. Selon Tilly et Tarrow (2008, p. 68, 132), la certification « survient lorsqu’une instance extérieure (…) signale qu’elle est prête à reconnaître un acteur politique et ses revendications. (…) [Ce qui] modifie donc à la fois la position stratégique du nouvel acteur et ses relations avec d’autres acteurs susceptibles de devenir ses oppresseurs, ses rivaux ou ses alliés ». La certification suppose donc que quelqu’un dispose du pouvoir de certifier d’autres acteurs. Elle renvoie à l’existence de hiérarchies et de rapports de force au sein des arènes institutionnelles tout autant qu’à la légitimation d’un acteur, qui acquiert de ce fait une autorité et une capacité d’influence. Mais la certification peut aussi renvoyer à la légitimité nouvellement acquise d’un ensemble donné de pratiques. Comme le montreront nos deux études de cas, des pratiques bien précises ont été certifiées par des acteurs spécifiques, eux-mêmes préalablement certifiés par une autorité externe. Le certificateur de pratiques doit lui-même être certifié pour exercer son influence.

20La décontextualisation suppose un effort délibéré visant à désencastrer une pratique, un ensemble d’idées ou une institution de son contexte social, culturel, économique, politique et historique, en le transformant en un modèle abstrait relativement allégé et doté de propriétés modulaires. Elle nécessite de « mettre à l’écart » ce que les entrepreneurs politiques ou institutionnels perçoivent comme des obstacles à la diffusion. Mais, comme le rappellent les sociologues des organisations, ce désencastrement ne peut pas être absolu. Les pratiques ou les institutions en question doivent préserver certains liens avec le milieu où elles ont fait leurs preuves. Dans nos deux études de cas, l’Afrique du Sud et le Brésil sont devenus des exemples de réussite des CVR et des TMC, valorisés stratégiquement dans la généalogie officielle du standard.

21Une partie de cette référence à l’histoire implique un effort de cadrage. Ce mécanisme renvoie au travail discursif stratégique effectué par les acteurs pour définir les problèmes, simplifier les situations et les expériences, relier entre eux plusieurs enjeux distincts et proposer des solutions, le tout à des fins d’action collective. Il peut aussi nécessiter d’intégrer certains enjeux-clés à d’autres pour les rendre plus acceptables et obtenir le soutien d’alliés. Ce travail favorise l’élargissement du cadre original afin d’inclure les valeurs et les intérêts d’appuis potentiels (Snow et al., 1986).

22Bien que certains auteurs prétendent que les mécanismes sont inobservables (Mahoney 2001, p. 581), nous suivons McAdam, Tarrow et Tilly (2008, p. 308) ainsi que Falleti et Lynch (2008, p. 333) qui postulent que l’on peut directement ou indirectement évaluer leur présence. Pour étoffer notre argument, nous allons analyser la façon dont ces mécanismes, constitutifs du mécanisme plus grand de standardisation (ici traité comme processus), sont observables dans des domaines aussi variés que les droits de la personne et les politiques de lutte contre la pauvreté. Notre stratégie de recherche, qui détermine l’ordre de présentation du texte, vise à dégager trois mécanismes du cas des commissions de vérité et de réconciliation (CVR) pour ensuite considérer si ces mécanismes peuvent s’appliquer à d’autres cas comme celui des transferts monétaires conditionnels (TMC).

Les commissions de vérité et de réconciliation : standardiser le récit de la vérité

23La question de la justice « transitionnelle » se pose à partir des années 1980 à mesure que s’achèvent les dictatures latino-américaines et que les défenseurs des droits de la personne s’interrogent sur la façon de traiter les crimes et les abus du passé. Quatre caractéristiques définissent les commissions de vérité : elles portent sur le passé en général plutôt que sur des événements précis ; elles s’efforcent de dresser un bilan global des violations de droits et des normes humanitaires internationales ; elles sont créées en tant qu’institution temporaire dissoute après avoir déposé un rapport d’enquête ; elles sont toujours « investies d’une certaine autorité, de par leur commanditaire, qui leur procure un plus grand accès à l’information et une plus grande sécurité ou protection pour creuser des questions sensibles et assure à leur rapport un plus grand impact » (Hayner, 1994, p. 604).

24Quinze commissions de vérité ont été en activité de 1974 à 1994. Mais seulement l’une d’elles – établie le 11 mars 1990 par Patricio Aylwin, le premier président chilien de l’après-dictature – visait explicitement la réconciliation (VanAntwerpen, 2008, p. 30). Toutes les autres ont pour mandat limité de révéler la « vérité » sur les abus et la violence. Étant donné l’attention internationale suscitée par le Chili lors de l’élection d’un premier président socialiste en 1970 puis de la brutale dictature des années consécutives à son renversement, il était inévitable que sa Commission de vérité et de réconciliation en attire tout autant (Zalaquett, 1993, p. 14, 11 et passim)… jusqu’à ce que les yeux du monde se tournent vers l’Afrique du Sud, lors de la création de sa propre CVR en 1995.

25Tant les partisans que les critiques de ces commissions les voient comme des institutions en quête de vérité, et éventuellement de justice, qui se substituent au recours aux tribunaux judiciaires comme on a pu le voir lors des procès de Nurenberg au lendemain de la seconde guerre mondiale. Étant donné leur fondement juridique limité, voire inexistant, les CVR ont pour véritable but de favoriser la paix plutôt que la justice au sens juridique du terme (Teitel, 2003, p. 79). Leurs acteurs-clés viennent donc de la société civile et non de l’État (ONG, églises et groupes de défense des droits de la personne), s’appuyant sur une autorité morale plutôt que strictement politique. D’après certains experts, il existe un « consensus relativement stable (…) selon lequel on ne peut atteindre une paix durable sans rendre des comptes et selon lequel la vérité et la justice forment deux approches complémentaires pour confronter le passé. Il ne s’agit plus de décider s’il faut faire quelque chose à la suite d’atrocités mais plutôt de déterminer comment le faire » (Nagy, 2008, p. 276).

26On trouve aujourd’hui une abondante recherche et un vif débat sur les principes normatifs et psycho-sociaux qui fondent l’institution de ces commissions (Vinjamuri, Snyder, 2004 ; Nobles, 2010). Ce n’est toutefois pas notre propos. Nous nous intéressons plutôt aux moyens adoptés par la communauté internationale de justice transitionnelle, formée de spécialistes et d’intervenants issus d’ONG et d’autres organismes, pour promouvoir un modèle inspiré de l’Afrique du Sud. « Au lendemain de la commission sud-africaine, le discours de réconciliation s’est largement répandu et l’on a partout vanté le modèle “innovant” de sa CVR (…). Les experts en “justice transitionnelle” d’autres pays s’en sont notoirement inspirés, et elle a suscité une attention internationale sans doute plus grande encore parmi des légions de spécialistes, de journalistes et de militants transnationaux » (VanAntwerpen, 2009, p. 96). En tant qu’incarnation du standard, la CVR sud-africaine « fait clairement figure de leçon ou de modèle dans le monde de la justice transitionnelle » (Nagy, 2008, p. 279). Ce qui nous intéresse ici, c’est la consolidation de ce modèle normatif et le travail politique et culturel des militants et des entrepreneurs politiques. Les trois mécanismes mentionnés supra y sont à l’œuvre.

L’identification des porteurs du standard

27La certification des pratiques et des acteurs est un mécanisme-clé de la standardisation des CVR. Nombre d’individus et d’organisations auraient pu s’en faire les promoteurs, mais la Fondation Ford (et l’Institut Aspen) a investi des ressources dans le choix d’acteurs-clés et a ainsi pu s’engager dans un processus de certification. À partir de la fin des années 1980, elle finance des conférences sur la justice transitionnelle, visant à comparer différentes expériences nationales, qui rassemblent un groupe international de militants, d’avocats et de spécialistes des droits de la personne réputés et expérimentés (Arthur, 2009 ; Dezalay, 2008).

28La première de ces conférences – organisée en 1988 par Alice Henkin, directrice du programme « Justice and Society » de l’Institut Aspen et financée à hauteur de 47 380 dollars par la Fondation Ford – marque un virage dans la mesure où elle génère « un “cadre intellectuel” jusque-là inexistant pour débattre des enjeux consécutifs aux conflits en Allemagne, en Espagne, en Grèce, en Argentine et ailleurs » (Arthur, 2009, p. 327, 349). Ces rencontres sont prisées des spécialistes et des militants non seulement parce qu’elles traitent de dilemmes et de problèmes pressants, mais aussi parce qu’elles redonnent un sens à leur engagement au terme des dictatures en Amérique latine et en Afrique du Sud (Arthur, 2009, p. 335). Par-delà la dénonciation des violations des droits, la réconciliation, la consolidation de la paix et la prévention deviennent juridiquement possibles.

29Mais les idées, les normes et les pratiques ne flottent pas librement et les acteurs qui les portent n’émergent pas spontanément. La Fondation Ford certifie certaines idées et pratiques tout comme certains « porteurs ». Ce faisant, elle valorise leur statut et leur autorité au niveau international et, ainsi, contribue à définir la structure et le contenu des réseaux transnationaux de droits de la personne. Ces conférences attirent souvent les mêmes participants, des gens qui s’imposeront progressivement comme des acteurs-clés et dirigeront des commissions de vérité ou deviendront conseillers pour des ONG dédiées à la justice transitionnelle. Parallèlement, plusieurs organisations, dont certaines généreusement financées par la Fondation Ford, seront créées au cours de ces rencontres. En 1989, celle-ci finance ainsi la création du Centre for the Study of Violence and Reconciliation en Afrique du Sud, fondé et géré par l’avocat et militant sud-africain Paul van Zyl, qui deviendra secrétaire exécutif de la Commission de vérité et de réconciliation (CVR) de ce pays en 1995, puis vice-président du Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ) en 2001 (Dezalay, 2008, p. 77). En 1992, les participants de la conférence de la Fondation de la Charte 77 sur « la justice en période de transition » créent une nouvelle organisation baptisée Project on Justice in Times of Transition. Alex Boraine, qui deviendra vice-président de la CVR sud-africaine en 1995 et président-fondateur de l’ICTJ en 2001, y collabore et s’inspirera même de son nom pour baptiser l’organisation « Justice in Transition in South Africa » qu’il crée en 1994 (Arthur, 2009, p. 329). Toutes ces organisations augmentent la visibilité et la légitimation des idées et des pratiques associées aux commissions de vérité et à la justice transitionnelle.

30La création en 1995 de la CVR d’Afrique du Sud constitue un autre tournant en mettant à profit les expériences et les conférences antérieures, mais aussi en recrutant l’essentiel de sa direction et de son personnel parmi deux organisations sud-africaines liées aux conférences mentionnées supra et à la Fondation Ford.

31La CVR d’Afrique du Sud a eu un impact énorme. L’euphorie ayant accueilli la démocratie post-apartheid et les espoirs internationaux fondés sur une transition réussie en font un sujet d’étude majeur, ce qui ne va pas sans effets pervers : « À la fin des années 1990, [la poétesse sud-africaine] Antjie Krog a publiquement déploré l’arrivée en Afrique du Sud de dizaines de chercheurs venus étudier la CVR, donnant l’image stéréotypée d’une jet-set universitaire internationale s’offrant un séjour pour assister à quelques audiences, serrer la main de l’archevêque Tutu et visiter le parc national Kruger » (VanAntwerpen, 2008, p. 27). Encore plus révélatrice est la rapidité avec laquelle l’exemple de la CVR sud-africaine a dominé les débats spécialisés. Une année après sa création, elle fait déjà l’objet d’une table ronde de la World Peace Foundation et de la Harvard Law School. Suivent d’innombrables forums du même genre [6]. Dès la publication du rapport de la CVR, ses acteurs voyagent partout dans le monde, sollicités par tous ceux qui veulent « tirer les leçons » de cette expérience (VanAntwerpen, 2008, p. 27).

32Deux grands centres de standardisation et de diffusion naissent de la CVR sud-africaine. Le premier, l’Institute for Justice and Reconciliation (IJR), est créé à Cape Town en 2000 par des militants liés à la CVR. L’ancien président de celle-ci, l’archevêque Desmond Tutu, en est nommé président d’honneur et favorise sa certification. L’une des principales initiatives de l’IJR, le Transitional Justice in Africa Programme, se déploie dans trois régions : l’Afrique australe, l’Afrique centrale et orientale et la Corne de l’Afrique. Ses responsables sont invités à mener des projets dans des pays partenaires comme le Soudan, l’Ouganda, la République démocratique du Congo, le Rwanda, le Burundi, le Zimbabwe et le Mozambique. La dissémination du modèle standard sud-africain est un aspect central de ce programme [7].

33Le second organisme, le Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ), mérite plus d’attention car sa taille, sa portée, ses ressources et son ambition en feront un acteur central de la standardisation des CVR. De nouveau, la Fondation Ford y joue un rôle décisif. En 2000, elle convoque une réunion de quelques spécialistes du droit, de militants des droits de la personne et d’intervenants. Dès le lendemain, le président de la Fondation Ford propose de soutenir la création d’une organisation de justice transitionnelle [8]. Deux des principaux fondateurs de l’ICTJ sont d’anciens cadres de la CVR sud-africaine : Alex Boraine, président de l’ICTJ jusqu’en 2004, avait été son vice-président jusqu’en 1998 sous la direction de l’archevêque Tutu [9], tandis que Paul van Zyl, vice-président de l’ICTJ, en avait été le secrétaire exécutif de 1995 à 1998. Le troisième cofondateur, Priscilla Hayner, était une experte des commissions de vérité et, jusqu’à la fondation de l’ICTJ, conseillère auprès de la Fondation Ford et du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Sa participation resserrera les liens avec la Fondation Ford et ouvrira des possibilités de collaboration avec l’ONU.

34L’ICTJ devient vite le principal pôle d’expertise de la standardisation des commissions de vérité, grâce à la renommée de ses fondateurs mais aussi à la certification incarnée par le solide appui de la Fondation Ford, qui lui verse quatre millions de dollars pour une période de cinq ans, soit nettement plus que l’aide moyenne qu’elle accorde aux ONG (Dezalay, 2008, p. 78). Mais cette dynamique suscite des réticences. Human Rights Watch, notamment, craint que l’ICTJ n’empiète sur son territoire d’action. Elle juge initialement que la Fondation Ford, qui la finance également, aurait dû lui attribuer cette somme puisqu’elle s’estime tout à fait en mesure de traiter les enjeux de justice transitionnelle (Dezalay, 2008, p. 78), mais consent finalement à cette division des tâches. On voit ici que la certification suppose de consolider un créneau tout en écartant la concurrence.

35Pour se démarquer de ces concurrents, l’ICTJ développe une expertise qui dépasse les simples rapports d’enquête et sert de base à une activité de conseil. À l’instar de l’IJR, son petit institut frère de Cape Town, l’ICTJ, privilégie la recherche comme outil d’action. Il se présente d’ailleurs comme suit : « Pour remplir sa mission, l’ICTJ conjugue de nombreux programmes de terrain à des études sur la justice transitionnelle. C’est ainsi qu’il élabore, teste et perfectionne ses pratiques et reste un leader en matière de recherche [10]

36Contrairement à l’IJR, uniquement présent en Afrique, l’ICTJ dit ainsi fournir des services à de nombreux pays (voir figure 1). Illustrant la portée internationale dont il se prévaut, cette carte de l’ICJT traduit son objectif d’être l’organisation de référence en matière de CVR :

Figure 1

Activités mondiales de l’ICTJ (2010)

Figure 1

Activités mondiales de l’ICTJ (2010)

37L’ICTJ est soutenu par des fondations et des organismes gouvernementaux de plusieurs pays. Comme l’indiquent ses rapports annuels, il reçoit dès le début l’appui, outre de la Fondation Ford, de quatre grandes fondations américaines (John D. and Catherine T. MacArthur Foundation, Carnegie Corporation of New York, Rockefeller Brothers Fund et Andrus Family Fund). Il reçoit également le soutien des gouvernements belge, britannique, néerlandais, finlandais, français, allemand, norvégien, espagnol et suédois, auquel s’ajoute celui de la Commission européenne, d’agences de développement (Coopération autrichienne pour le développement, Agence canadienne de développement international, Irish Aid, Agence de coopération internationale du Japon, etc.) et des Nations Unies (PNUD et UNOPS) [11]. En 2003, le secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan demande même à l’ICTJ de tenir un séminaire sur la justice transitionnelle pour la haute direction de l’ONU et, l’année suivante, l’invite à s’adresser au Conseil de sécurité [12].

38Le fait d’être certifié par de tels poids lourds renforce la position stratégique de l’ICTJ dans la communauté internationale des droits de la personne, au point d’en faire l’interlocuteur privilégié de tous les gouvernements désireux d’établir une commission de vérité pour faire la lumière sur les violations de droits. L’ICTJ se dit même le garant des « véritables » commissions de vérité et dénonce celles qui dévient du standard. Comme le souligne son Rapport annuel de 2006-2007 :

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Nous avons aussi particulièrement insisté sur les commissions qui affirment épouser le modèle de la CVR sud-africaine, surtout celles qui déploient des efforts à peine voilés pour consacrer l’impunité sous une façade de recherche de la vérité. Nous avons dénoncé avec vigueur cette forme d’appropriation à mauvais escient, particulièrement dans la mesure où elle bâillonne les victimes. Pour soutenir cet effort, le Centre a lancé des défis constitutionnels aux ébauches légales de CVR qui sont problématiques (notamment en Indonésie), mené des campagnes médiatiques globales contre certaines dispositions viciées touchant les amnisties (en Algérie par exemple) et critiqué ce que nous percevons comme des efforts peu sincères (comme la défunte CVR de la République démocratique du Congo et la Commission vérité et amitié organisée conjointement par l’Indonésie et le Timor Oriental).
(ICTJ 2006/2007, p. 27)

La mise à l’écart de la religion et le cadrage de la justice transitionnelle

40Le travail de l’ICTJ met aussi en évidence deux autres mécanismes du processus de standardisation, étroitement liés : le cadrage graduel des pratiques de vérité et de réconciliation et un important travail de décontextualisation. Jonathan VanAntwerpen (2008, 2009) a analysé comment la notion de réconciliation a été cadrée puis recadrée pour être utilisable non seulement dans différents milieux géographiques mais aussi au sein même des mouvements de défense des droits de la personne et de la justice transitionnelle. S’il avait été simplement question d’adapter les pratiques de vérité et de réconciliation à différents milieux, on aurait pu parler de mécanismes de « traduction » (Campbell, 2004) ou de « vernacularisation » (Levitt, Merry, 2009). Mais, dans ce cas-ci, la principale cible est les militants eux-mêmes ; le but n’est pas d’adapter le modèle de la CVR sud-africaine aux réalités locales mais bien de les convaincre d’en faire la promotion comme modèle standard auprès d’un maximum de pays. Outre des séminaires et des ateliers de formation, l’ICTJ crée donc à l’intention des militants des droits de la personne un programme international de stages de six mois, d’abord tenus uniquement en Afrique du Sud puis étendus au Chili.

41Mais certains militants n’adhèrent pas à tous les éléments du concept de « réconciliation ». Ils se sont déjà méfiés de l’insistance du Chili à privilégier la réconciliation au détriment des poursuites judiciaires (VanAntwerpen, 2008, p. 44sq.). Leur scepticisme se renforce avec l’expérience sud-africaine, dont la CVR réunit « les notions de confession et de pardon, le témoignage cathartique, la souffrance rédemptrice et la vérité curative, de sorte à combiner le langage chrétien de la “réconciliation” avec celui des “droits de la personne” et ainsi produire un modèle distinct de justice transitionnelle » (VanAntwerpen, 2009, p. 93). Une telle démarche n’est pas si surprenante à la lumière de la composition de la CRV sud-africaine : sur les 17 premiers commissaires, quatre étaient issus des hautes sphères de la communauté religieuse, à commencer par son président, l’archevêque Desmond Tutu (Chapman, Ball, 2001, p. 18). De même, Alex Boraine, le vice-président et futur cofondateur de l’ICTJ, « était pasteur méthodiste depuis 1956 et avait présidé l’Église méthodiste de l’Afrique australe de 1970 à 1972 [13]

42Cette présence de notions religieuses, nettement plus affirmée dans le cas sud-africain que dans celui du Chili (VanAntwerpen, 2009, p. 107), fait aussitôt réagir les adeptes d’une conceptualisation de la justice transitionnelle privilégiant une approche judiciaire [14]. Elle est aussi décriée par les partisans d’approches alternatives de la réconciliation, dont les philosophes Amy Gutmann et Dennis Thompson, qui dénoncent ces fondements religieux dès la réunion de la Harvard Law School de 1996 mentionnée supra. D’autres rejettent catégoriquement la notion de réconciliation d’inspiration religieuse de l’archevêque Tutu sous prétexte qu’elle constitue « un cheval de Troie faisant passer en contrebande un passé odieux (l’impunité) dans le nouvel ordre politique et transformant des compromissions en principes moraux transcendants [15]

43La décontextualisation de la Commission sud-africaine implique la mise à l’écart de cette source de conflit : la CVR est sécularisée, vidée de références religieuses remontant à saint Paul et édulcorée pour devenir exportable et gagner l’adhésion des intervenants et des milieux transnationaux de la justice transitionnelle (VanAntwerpen, 2008, p. 45 ; 2009, p. 124). Ainsi décontextualisée, la CVR permet la coexistence de plusieurs définitions de la « réconciliation ». Bien qu’elle ait « freiné l’opérationnalisation systématique de la réconciliation comme principe professionnel d’[organisations comme l’ICTJ] » (VanAntwerpen, 2009, p. 113), cette polysémie a l’avantage de permettre une combinaison de stratégies de cadrage qui favorise l’adhésion d’auditoires variés au standard préconisé [16].

44De ce point de vue, les mécanismes de décontextualisation et de cadrage se complètent et s’alimentent réciproquement. Car, si la décontextualisation nécessite un recadrage, elle élargit aussi les options subséquentes de cadrage. C’est ainsi qu’en 2004, Paul van Zyl, vice-président du ICTJ, profite d’une initiative de l’ONU visant à élaborer une approche de la justice transitionnelle [17] pour recadrer la CVR comme élément central de la consolidation de la paix (van Zyl, 2005). Ce faisant, il contribue à définir les CVR comme un standard supérieur et clairement distinct des autres types de commissions d’enquête :

45

« L’élaboration de stratégies de consolidation de la paix postérieures à un conflit doit reposer sur l’examen rigoureux des causes, de la nature et des effets du conflit en question. Les commissions de vérité sont souvent bien placées pour mener cet examen (…) Elles se penchent aussi sur les causes sociales, structurelles et institutionnelles des conflits et des violations de droits humains tout en clarifiant non seulement des situations individuelles mais aussi le contexte qui a permis à ces violations d’avoir lieu (…) C’est pourquoi elles peuvent faire des recommandations plus éclairées et plus efficaces quant aux mesures à prendre pour régler ces causes profondes ou réduire la capacité d’action de ceux qui veulent perpétuer les conflits. Ces recommandations peuvent être extrêmement utiles à ceux qui participent à l’élaboration et à l’application de stratégies de consolidation de la paix ».
(van Zyl, 2005, p. 215-216 ; nous soulignons)

46Ce recadrage peut éventuellement permettre à l’ICJT d’arrimer son standard, inspiré de l’expérience sud-africaine, à l’ensemble de mesures de consolidation de la paix préconisé par l’ONU et ainsi de le consolider davantage [18].

47Le recadrage nécessite d’intégrer de plus en plus d’enjeux à celui de la justice transitionnelle en vue d’imposer celle-ci comme principale solution à divers conflits sociétaux (Dezalay, 2008, p. 79). En 2004, par exemple, l’ICTJ lance un nouveau programme visant à inclure le genre dans l’élaboration des dédommagements et des réparations au cœur de la justice transitionnelle [19]. L’une des principales figures de l’ICTJ fournit un autre exemple de recadrage, une fois le modèle standard décontextualisé. En effet, d’abord sceptique face à la notion de réconciliation, le directeur de recherche de l’ICTJ, Pablo de Greiff, remanie le concept de justice transitionnelle, dont le « récit de la vérité » est l’un des éléments, en l’alignant sur l’approche du développement fondée sur la confiance et le capital social. En ce qui concerne plus précisément les commissions de vérité, il préconise d’en élargir le mandat suivant l’exemple de l’expérience sud-africaine plutôt que chilienne, pour leur « permettre d’enquêter sur les crimes économiques, y compris la corruption, l’exploitation de “ressources conflictuelles” et ainsi de suite » (Greiff, 2009, p. 37, 36, et passim). Par rapport au mandat des commissions, l’expérience sud-africaine a aussi davantage inspiré cet aspect du modèle standard que l’expérience initiale du Chili, mais l’appel à l’élargissement du mandat n’en délaisse pas moins les deux contextes, sud-africain et chilien, au profit du modèle standard proposé lorsqu’une CVR est envisagée. Cela n’empêche pas que le standard soit ensuite adapté et « relocalisé » pour assurer son adoption dans un contexte précis.

La standardisation des transferts monétaires conditionnels : vers une « politique sociale moderne »

48L’usage des transferts monétaires conditionnels (TMC) comme moyen d’action se répand rapidement dans l’hémisphère Sud (Lomelí, 2009 ; Bastagli, 2009). Censés faciliter une modernisation des politiques sociales, les TMC ont pour but d’assurer un seuil minimal de consommation aux ménages démunis et d’une extrême pauvreté. « Distribuer de l’argent en liquide aux pauvres (surtout aux femmes et aux familles), nous dit-on, permettrait une utilisation efficace des ressources pour bâtir du capital humain et prévenir la transmission générationnelle de la pauvreté » (St. Clair, 2009, p. 177). À ce titre, les TMC jouent un rôle central dans la diffusion de l’approche en termes d’investissement social d’une région du monde à une autre (Jenson, 2010). Mais ils ont été standardisés et réduits à une variante passablement édulcorée par rapport à leur conception initiale, à tel point que les TMC actuels sont généralement de simples transferts sans conditions obligatoires. On continue toutefois à parler de TMC, surtout parmi les organismes qui les diffusent, et le modèle de référence est désormais le TMC brésilien appelé programme Bolsa Família.

49Les TMC consistent à verser des sommes en espèces aux ménages pauvres à condition que les parents « investissent dans le capital humain de leurs enfants » (Fiszbein, Schady, 2009, p. xi ; Barrientos, 2009, p. 166). Parmi ces exigences, citons, pour les enfants, des examens de santé périodiques, un suivi de croissance ou des vaccinations ; pour les mères, les soins prénataux et, parfois, des séances d’information sur la santé. En matière d’éducation, les conditions comprennent l’inscription à l’école, un taux de fréquentation cible (de l’ordre de 80 %) et, parfois, des mesures de rendement [20]. La plupart des programmes reposent sur le versement direct d’argent aux mères.

50Ils se sont multipliés depuis 2000. On ne dispose pas de données tout à fait fiables sur leur nombre, mais une étude de 2007 en recense dans 16 pays d’Amérique latine et dans 30 autres pays de par le monde (Lomelí, 2009, p. 167-168). Presque tous les pays d’Amérique latine ont aujourd’hui un programme de TMC. Il existe aussi des programmes au Bangladesh, en Indonésie et en Turquie, et des programmes pilotes au Cambodge, au Malawi, au Maroc, au Pakistan, en Afrique du Sud et ailleurs (voir figure 2) (Fiszbein, Schady, 2009, p. 1). Seuls les premiers programmes ont été créés de façon autonome (Handa, Davis, 2006, p. 513-516 ; Teichman, 2008, p. 463-464), tous les autres ont été promus et financés par des bailleurs de fonds internationaux tels que la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement (BID) et diverses agences européennes d’aide internationale en Afrique.

Figure 2

Pays ayant adopté des programmes de TMC, 1997 et 2008

Figure 2

Pays ayant adopté des programmes de TMC, 1997 et 2008

Source : Fiszbein, Schady, 2009, p. 32.

51Dans une « communauté de pratique » aussi vaste, les candidats au statut de modèle standard n’ont pas manqué. L’un des premiers, le programme mexicain Progresa/Oportunidades reste le préféré des experts parce qu’il a été conçu avec des évaluations intégrées qui permettent une collecte sérieuse de données utiles aux chercheurs [21]. Mais c’est le programme Bolsa Família du Brésil qui s’est imposé comme le modèle standard dans de nombreux pays soucieux de réduire la pauvreté. Cette popularité est attribuable autant à la certification précoce du modèle par plusieurs organisations internationales qu’aux efforts du gouvernement brésilien, qui a collaboré avec certaines de ces organisations, pour promouvoir son modèle en tant qu’outil approprié de transfert et d’apprentissage entre pays du Sud.

La mise à l’écart des précurseurs

52Dans la mesure où ils sont aujourd’hui préconisés par de nombreuses organisations internationales, on oublie parfois que les TMC ont d’abord été développés à l’échelon national dans plusieurs pays différents. Au moins trois pays d’Amérique latine – le Chili, le Mexique et le Brésil – ont mis en place expérimentalement des politiques s’apparentant au TMC dans les années 1980 et 1990 (Teichman, 2008, p. 452). Mais ces différents programmes n’ont pas tous acquis la même notoriété, la certification des uns supposant l’exclusion des autres. Les TMC chiliens, qui offrent aux familles très pauvres un soutien individualisé plus exigeant en main-d’œuvre, et les TMC mexicains, qui imposent d’innombrables conditions au nom de la « coresponsabilité » ont ainsi été écartés au profit de ceux du Brésil prévoyant des « conditions plus souples et graduelles, faisant légèrement primer la redistribution sur la formation du capital humain » (Fiszbein, Shady, 2009, p. 6).

53En 2000, le Chili crée le programme Chile Solidario en réponse à des craintes en matière de contrôle des dépenses formulées au sein du ministère des Finances et à celles du ministère de la Planification touchant la dépendance à l’aide sociale. Le débat chilien oppose alors certains économistes au sein du gouvernement soutenus par les partis de droite, qui préfèrent des versements directs en espèces, aux planificateurs et aux experts en pauvreté des ONG de centre-gauche, qui réclament des mesures supplémentaires pour réduire la pauvreté. Présenté comme un « ciblage parfait », Chile Solidario impose 53 conditions et affecte à chaque ménage un travailleur social permettant un soutien personnalisé pendant deux ans (Teichman, 2008, p. 463-464). Ce programme est à la fois le plus complet et le plus précoce des trois et aurait pu servir de modèle, mais « il reste à ce jour son propre modèle » (Fiszbein, Schady, 2009, p. 6).

54Lancé en 1997 sous le nom de Progresa, le programme de TMC le plus connu du Mexique couvre seulement 300 000 ménages dans les régions rurales pauvres. Il répond à des pressions intérieures semblables à celles du Chili, au lendemain de la crise économique dite tequila de 1995, et a été conçu localement par des technocrates du gouvernement cherchant une solution au niveau élevé et persistant d’extrême pauvreté. Selon l’évaluation critique de Maxine Molyneux, « Progresa n’a pas été imposé par la Banque mondiale (…) bien qu’il réponde sommairement aux principes de ciblage et de coresponsabilité définis au tournant des années 1990 par celle-ci » (Molyneux, 2006, p. 443) [22]. Le programme est rebaptisé Oportunidades lorsqu’il s’étend aux villes puis à plus de 5 millions de ménages (Fiszbein, Schady, 2009, p. 268-269 ; Soares et al., 2009, p. 212) [23]. Il prévoit des conditions strictes : outre des exigences liées à l’éducation des enfants, ses bénéficiaires doivent s’acquitter de tâches dans leur quartier comme l’entretien des espaces publics.

55Les programmes chilien et mexicain fonctionnent à plein régime en 2003 lorsque le président Lula du Brésil rencontre le président de la Banque mondiale James D. Wolfensohn et Santiago Levy, promoteur-clé du programme mexicain (Lindert et al., 2007, p. 134-214). Mais aucun des deux programmes, pourtant précurseurs, n’a obtenu la même certification que le programme brésilien. Le Brésil a collaboré publiquement et ouvertement avec les organisations internationales dès la conception de son initiative, alors qu’au Chili et au Mexique l’élaboration s’est faite surtout, si ce n’est exclusivement, avec des experts et partisans nationaux [24].

56À la suite de cette rencontre en 2003, le président Lula annonce le regroupement des TMC du pays dans un programme intégré : la Bolsa Família. Le Brésil appliquait quatre programmes de TMC dans les années 1990. Or, la décision de les intégrer avec l’appui technique de la Banque mondiale et d’autres organismes internationaux a eu des conséquences majeures. Et celle du président Lula de médiatiser cette initiative a nettement favorisé la certification des choix stratégiques du Brésil par les autorités internationales. Aujourd’hui, les publications de la Banque mondiale parlent avec enthousiasme des TMC et parrainent souvent la Bolsa Família. Fruit d’une collaboration entre des spécialistes externes et ceux du ministère des Affaires sociales, sa conception amènera des employés d’organisations internationales, notamment de la division de la protection sociale de la Banque mondiale, à « s’approprier » le programme et à le faire largement connaître. En quête active de certification, les promoteurs du modèle brésilien ont aussi sollicité l’appui de plusieurs autorités du système international.

57Si la Banque mondiale s’« associe » aussitôt à la Bolsa Família, la certification de la méthode brésilienne ne dépend pas seulement de son appui ou de celui de la BID, malgré les prêts d’investissements qu’elles accorderont (Handa, Davis, 2006, p. 515). La certification de la Bolsa Família découle tout autant des liens tissés avec l’International Policy Centre for Inclusive Growth (Centre international de politiques pour la croissance inclusive, ex-Centre international pour l’action en faveur des pauvres – CIAFP) et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) basé à Brasilia.

58Comme dans la section précédente avec l’ICTJ, on voit ici par quels moyens les entrepreneurs politiques recherchent une certification qui ne leur est pas assurée d’emblée. En 2004, le gouvernement brésilien crée le Centre international pour l’action en faveur des pauvres en partenariat avec le PNUD [25], se présentant comme un « acteur mondial émergent » jouant un rôle à sa mesure, alors même que ce nouvel organisme lui permet de promouvoir institutionnellement ses initiatives de développement social, dont la Bolsa Família, et l’apprentissage entre pays du Sud.

59L’International Policy Centre for Inclusive Growth (IPC-IG), quant à lui, organise de nombreux voyages d’études à Brasilia pour des décideurs du domaine social d’Afrique et d’Asie, où se rendent en échange des Brésiliens. Presque tous ces séjours prévoient une séance sur la Bolsa Família. Bien qu’il soit difficile de bien les identifier, les entrepreneurs politiques participants sont souvent des ressortissants brésiliens travaillant soit pour le CIAFP (et son successeur), soit pour le gouvernement du Brésil (en général le ministère du Développement social). Une chose est certaine, le IPC-IG promeut activement la Bolsa Família. En 2010, lors d’une rencontre du forum de dialogue IBAS (Inde-Brésil-Afrique du Sud), l’IPC-IG est responsable du Forum universitaire et organise des séances d’experts sur les « TMC de type Bolsa Família » aux côtés de panels sur les politiques d’emploi et les innovations en matière de santé. Et son site Web donne souvent la parole à un ou plusieurs ministres brésiliens.

60Si cette étroite collaboration avalise la certification de l’approche brésilienne des TMC, le modèle standard qui en découle a été lui-même cadré, recadré et décontextualisé.

L’allégement du modèle : la mise à l’écart de la conditionnalité

61Comme nous l’avons vu, les trois pays précurseurs des TMC en Amérique latine les ont assortis de conditions à remplir par leurs bénéficiaires. C’était notamment un argument-clé du programme mexicain Progresa. Comme le remarque Santiago Levy, souvent qualifié d’architecte des TMC mexicains : « Les familles pauvres ont besoin d’aide, mais on ne peut leur retirer leur rôle de protagonistes dans l’évolution de leurs conditions de vie. » (Fiszbein, Schady, 2009, p. 61). Maxine Molyneux (2006, p. 434) le dit plus crûment : « Les participants responsables (les mères) touchent leur allocation à condition de remplir les obligations définies par les gestionnaires du programme. (…) À défaut de quoi ils peuvent en être exclus. »

62Mais sous l’influence du Brésil, nettement moins favorable que le Mexique à cette conditionnalité, on observe une forte décontextualisation de cette vision initiale des TMC comme élément des politiques sociales néolibérales. Dès le départ, les entrepreneurs politiques brésiliens présentent en effet le nouveau programme intégré de TMC comme un moyen d’accès aux promesses de citoyenneté de la Constitution de 1988 sur la réduction de la pauvreté et l’équité (Lindert et al., 2007, p. 9). Mais face à l’opposition politique soulevée par les transferts directs, le gouvernement improvise des mesures de suivi des bénéficiaires pour s’assurer qu’ils respectent les conditions prescrites [26]. Or, il est généralement admis – et parfois contesté – que ces mesures sont une façade et qu’un véritable suivi serait difficile.

63Cette approche, qui fait en somme des TMC de simples transferts de fonds, suppose une décontextualisation significative les éloignant de l’approche néolibérale punitive de départ [27]. On le repère notamment à la moindre importance accordée à la « coresponsabilité » chez les promoteurs des TMC. En 2007, cette notion de responsabilité partagée ne sert plus que de référence historique aux origines latino-américaines des TMC ou de discours politique visant à augmenter leur popularité (Fiszbein, Schady, 2009, p. 61-62). Les racines néolibérales issues du « Consensus de Washington » des politiques latino-américaines sont minimisées tandis que les instruments d’intervention sont décontextualisés pour leur permettre d’être pertinents et applicables aux problèmes de la pauvreté dans le monde.

64De fait, la notion de conditionnalité a récemment disparu dans certains milieux décisionnels. Et les TMC sont aujourd’hui à ce point décontextualisés qu’ils ne sont plus qu’un exemple parmi d’autres d’une vaste catégorie de « transferts monétaires ». Cette tendance est frappante à l’heure où de nombreux donateurs se tournent vers l’Afrique. Ainsi l’IPC-IG dit maintenant pouvoir transférer son savoir relatif aux « programmes de transferts monétaires » et plus généralement à la protection sociale : « L’essor des programmes de transferts en Amérique latine, comme Oportunidades au Mexique et la Bolsa Familia brésilienne, a lancé un débat sur leur potentiel et leurs limites. L’IPC-IG produit aujourd’hui d’impressionnants outils de savoir sur la protection sociale tout en menant de nombreuses évaluations de projets et de programmes [28]

65La préférence pour l’étiquette « transferts monétaires » (parfois transferts monétaires sociaux, ou TMS) plutôt que TMC s’explique à la fois par les défis de l’Afrique et la nature des commanditaires. Ainsi la conférence intergouvernementale régionale de Livingston, en Zambie (qui a suscité l’« Appel à l’action de Livingston » de mars 2006 en faveur de ce genre de prestation), a été parrainée par le ministère britannique du Développement international et HelpAge International, un réseau mondial de soutien aux personnes âgées démunies. Sans surprise, on y a donc mis l’accent sur les transferts aux personnes âgées plutôt qu’aux jeunes familles (HelpAge, 2006).

66En outre, la priorité initiale donnée à la notion de ciblage n’est plus visible. Désormais, les donateurs acceptent des pratiques nettement allégées en matière d’admissibilité. Les TMC sont nés dans des pays d’Amérique latine à revenu moyen dont les capacités étatiques et les technologies permettent un ciblage efficace (registres de données, repérage des poches de pauvreté, évaluation des bénéficiaires, etc.). Mais tous les pays de l’hémisphère Sud n’ont pas ces moyens. Les promoteurs internationaux du modèle des TMC ont donc mis de l’eau dans leur vin pour en assurer le fonctionnement, tout en signalant pour la forme leur visée initiale. L’exemple du Cambodge peut être cité :

67

« Le Cambodge ayant des capacités administratives sensiblement inférieures à celles des pays à revenu moyen d’Amérique latine, d’où provient la méthode de sélection des bénéficiaires, il en a adapté la pratique générale [proxy means test] pour assurer une sélection rigoureuse mais simplifiée. Les écoles admissibles au programme de bourses sont repérées par ciblage géographique et puis les candidats doivent réussir un test de sélection. Le programme CESSP du Cambodge ne repose pas sur des travailleurs sociaux sur place pour administrer le test. Ce sont plutôt les élèves qui remplissent le formulaire de candidature/sélection. Les professeurs lisent ensuite les renseignements de chaque élève à voix haute pour les faire vérifier par les camarades de classe ».
(Fiszbein, Schady, 2009, p. 71)

De l’aide à l’action publique : le recours à l’État

68Les promoteurs des TMC les cadrent en tant qu’instruments de réduction de la pauvreté et présentent leurs bénéficiaires comme des acteurs responsables, capables de faire des choix pour leurs enfants et leur propre avenir (St. Clair, 2009, p. 177). L’association de la Bolsa Família à un État brésilien actif et interventionniste sous-tend ce recadrage. Les transferts visent à fournir aux familles des ressources leur permettant d’accéder aux services (Barrientos, 2009, p. 166) mais aussi de faire leurs propres choix de consommation. Ces transferts sont souvent opposés aux formes précédentes de protection et d’aide sociales fondées sur la contribution des salariés ou l’action de travailleurs sociaux surveillant de près les comportements.

69Il y a deux aspects-clés à ce mécanisme de cadrage. Le premier veut qu’un programme de TMC standardisé soit désigné comme un élément des politiques sociales de l’État et non comme une aide d’urgence, et ce même s’il est financé par des banques ou des ONG internationales. Cette désignation estompe la distinction entre souveraineté nationale et aide internationale, ce qui permet aux États stigmatisés en période d’ajustement structurel de reconquérir un espace d’autonomie. La propagation des TMC est soutenue par un discours post-néolibéral comprenant la re-légitimation de l’État et des organismes gouvernementaux ; de même, « les TMC ont aidé à briser les stéréotypes sur le gaspillage de ressources que constituerait le versement d’argent aux pauvres » (St. Clair, 2009, p. 177).

70Le second aspect concerne l’évolution vers une politique sociale « moderne ». En établissant que les TMC relèvent d’une politique sociale et non de l’assistance, on incite les pays à s’inspirer du Brésil et à souscrire au discours international qui préconise d’investir dans sa population, notamment dans la santé et le capital humain, tout en améliorant les rouages administratifs. Les entrepreneurs politiques décrivent le modèle standard des TMC en utilisant le langage des innovations administratives et de l’amélioration de la gestion des programmes. De fait, l’« amélioration de la connaissance des bénéficiaires » figure parmi les objectifs que les consultants identifient pour les programmes de TMC (Stubbs, 2009, p. 175). La tenue d’un registre favorise parfois la légitimation des programmes et le repérage des bénéficiaires, tout en permettant de tenir à jour des techniques administratives.

71Ainsi façonnés par ces trois mécanismes (certification, décontextualisation et cadrage), les TMC continuent d’évoluer et de gagner des adeptes. Dans le contexte de l’affirmation de politiques sociales post-néolibérales et alors que plusieurs pays en testaient l’accueil mondial, en faisant valoir la coopération entre pays du Sud, l’adoption paraît plus adéquate que le rejet. Vu la relative rareté des données sur la rentabilité des conditions imposées aux bénéficiaires et de leur suivi, les analystes politiques brésiliens ont discrètement délaissé la notion de « conditionnalité » initialement alignée sur l’objectif néolibéral des TMC, qui visait à « responsabiliser les familles » et à renforcer les marchés, pour se tourner vers les bénéficiaires cibles et les méthodes de ciblage. Les TMC sont ainsi devenus très semblables aux TM tout court. Cette stratégie, se cristallisant autour de la version « allégée » d’un modèle standard, permet aux donateurs, aux ONG et aux gouvernements de collaborer au sein d’une vaste communauté d’élaboration des politiques publiques et d’acquérir une légitimité pour faire la promotion de l’aide financière aux démunis.

72C’est ainsi qu’a été certifié depuis dix ans un modèle standard de politique sociale pour l’hémisphère Sud, axé sur des prestations en espèces plutôt qu’en nature qui sont destinées aux citoyens démunis et très pauvres. Les promoteurs du modèle s’entendent sur les objectifs : garantir les investissements dans la santé et le capital humain et améliorer l’accès aux services fondamentaux. Ce modèle repose sur les pratiques standards de l’administration publique. Enfin, ce modèle standard est cadré comme une contribution significative de l’hémisphère Sud à l’analyse des politiques sociales mondiales et comme disponible pour être exporté vers les pays du Nord.

Conclusion

73Nous avons voulu démontrer que la standardisation est une étape initiale décisive du processus plus long de transfert transnational. Dans la mesure où les pratiques et les institutions ne sont pas automatiquement prêtes à être exportées, leur promotion par des entrepreneurs transnationaux exige un travail politique et cognitif préalable qui les rend aptes à traverser les frontières nationales.

74Or, ces phases préliminaires du processus de transfert sont trop souvent ignorées dans la recherche sur la diffusion des normes et des politiques, qui traite surtout de leur adoption puis de leur adaptation dans des contextes précis. En outre, ces variations et ces adaptations locales servent souvent de thème explicite aux promoteurs mêmes d’un modèle standard (comme l’ICTJ, la Banque mondiale, l’IPC-IG, etc.), qui prétendent généralement n’avoir qu’un rôle de conseiller à l’égard de collectivités locales ayant toute l’autonomie nécessaire pour l’appliquer à leur guise. Ce discours sur les variations locales est exact. Mais d’un point de vue analytique, il est important de s’interroger sur le développement initial de ce savoir et de ce rôle de conseiller, de même que sur le mode d’« allègement » et d’élaboration du modèle qui permet aux promoteurs de le rendre compréhensible et applicable dans des situations variées. Bien que la standardisation ne soit pas la seule étape importante des processus de transfert transnational, elle ne doit être ni minimisée, ni ignorée.

75En cours d’analyse, nous avons aussi fait une découverte inattendue. Contrairement à ce que la littérature sur la diffusion laisse généralement entendre, les acteurs-clés de l’élaboration des standards examinés dans cet article ne sont ni les innovateurs, ni leurs premiers adhérents. C’est ainsi que dans le cas des CVR, plusieurs commissions de vérité étaient déjà établies quand le Chili a innové au début des années 1990 en créant la première CVR, mais ces précurseurs ont été supplantés par l’Afrique du Sud lorsque des ONG s’inspirant de son expérience ont exporté un projet remanié aux aspirations universelles. Pour ce qui est des TMC, les innovateurs qu’étaient le Chili et le Mexique ont de même été supplantés lorsque le programme Bolsa Família du Brésil a été désencastré de son contexte national et recadré par le Centre international de politiques pour la croissance inclusive du PNUD, des chercheurs brésiliens, le gouvernement du Brésil et la Banque mondiale. Ces deux cas laissent à penser que les vecteurs de la standardisation sont des entrepreneurs politiques situés au carrefour de complexes réseaux à la fois étatiques et non étatiques, et que le fruit de leurs efforts n’est jamais assuré.

76L’identification des mécanismes constitutifs du processus de standardisation nous a permis de retracer le comportement et le travail de ces promoteurs et, ce faisant, de montrer comment des conditions initiales se transforment en résultats précis. Le fait d’avoir identifié les trois mêmes mécanismes de standardisation – certification, décontextualisation et cadrage – dans un éventail de situations et de milieux suggère qu’ils sont probablement robustes. Reste évidemment à valider cette hypothèse et son éventuelle généralisation par d’autres études de cas qui viendront enrichir l’analyse du processus de standardisation.

Notes

  • [1]
    Université McGill (Canada).
  • [2]
    Université de Montréal (Canada).
  • [3]
    Les deux auteurs ont grandement bénéficié de leurs discussions avec le « Transnational Linkages Subgroup » du programme « Sociétés réussies » de l’Institut canadien de recherches avancées (ICRA) auquel ils participent [http://www2.cifar.ca/research/successful-societies-program].
  • [4]
    Pour une évaluation de ces approches dans la recherche sur les mouvements sociaux, voir Strang, Soule (1998). Sur la diffusion et les mouvements sociaux, voir Givan, Roberts, Soule (2010).
  • [5]
    À cet égard, Staggenborg (2008, p. 342) soulève un point intéressant en avançant qu’un « langage de mesure » des mécanismes (cf. McAdam, Tarrow, Tilly [2008]) pose éventuellement problème puisqu’il « risque de traiter les mécanismes comme des variables plutôt que des facteurs dynamiques agissant sur les relations au sein de contextes particuliers ».
  • [6]
    VanAntwerpen (2008, p. 27-28) rend compte de plusieurs de ces événements et des publications qu’ils ont suscitées.
  • [7]
  • [8]
    Voir [http://www.ictj.org/en/aboutmission]. Voir ICTJ 2006/2007, p. 4.
  • [9]
  • [10]
  • [11]
    ICTJ, rapports annuels de 2001 à 2010, accessibles en ligne au [http://ictj.org/reports].
  • [12]
    ICTJ, Rapport annuel 2002/2003, p. 8, et ICTJ, Rapport annuel 2003/2004, p. 15.
  • [13]
  • [14]
    Par exemple, Reed Brody (2001), de Human Rights Watch, a publié dans le magazine The Nation un article critiquant l’approche de la CVR parce qu’elle élude toute démarche judiciaire au nom d’une « idée bien-pensante ». Il a de fait accusé le mouvement international de défense des droits de la personne de s’être « aveuglément entiché des commissions de vérité ».
  • [15]
    Richard Wilson (2001, p. 97) cité dans VanAntwerpen (2008, p. 122).
  • [16]
    La polysémie peut souvent servir à cimenter les mouvements (voir par exemple Jenson, 2010).
  • [17]
    En 2004, le secrétaire général de l’ONU a, pour la première fois, soumis au Conseil de sécurité un rapport sur la justice transitionnelle visant à définir l’approche onusienne.
  • [18]
    En 2006-2007, l’ICTJ a fait des présentations à plusieurs réunions de la Commission de consolidation de la paix de l’ONU, « offrant des suggestions pour un cadre permettant de prioriser les enjeux [de justice transitionnelle] dans tout programme de consolidation de la paix » (ICTJ 2006/2007, p. 30).
  • [19]
    ICTJ, Rapport annuel 2004/2005, p. 40.
  • [20]
    Certains programmes définissent uniquement des conditions de présence à l’école, d’autres exigent une double utilisation des services de santé et d’éducation (Fiszbein, Schady, 2009, p. 5).
  • [21]
    Selon les chercheurs de la Banque mondiale : « Ce qui rend vraiment le programme mexicain emblématique, ce sont les vagues successives de données collectées pour évaluer son impact, le placement de ces données dans le domaine public ainsi que les centaines d’études et les milliers de références générées par leur diffusion » (Fiszbein, Schady, 2009, p. 6).
  • [22]
    De même, Teichman (2008, p. 454) ne cite aucun organisme international, sauf pour indiquer que l’appui de la communauté internationale a permis au président Fox de résister aux appels pressants de nombreux groupes de droite comme de gauche réclamant l’abolition du programme.
  • [23]
    Le changement de nom a aussi donné lieu à un prêt d’investissement de la Banque interaméricaine de développement (BID), le plus important qu’elle ait jamais accordé (Handa, Davis, 2006, p. 514).
  • [24]
    Voir l’examen du processus d’élaboration de cette initiative dans Teichman (2008, p. 452sq.).
  • [25]
    Voir [http://www.ipc-undp.org/pages/newsite/menu/about/introduction.jsp?active=0]. Les chercheurs alternent souvent entre les institutions brésiliennes et onusiennes.
  • [26]
    Ce rapide ajustement effectué sous pression est raconté par Tatiana Britto, du ministère brésilien du Développement social, dans « Recent trends in the development agenda of Latin America: an analysis of conditional cash transfers » [http://www.sed.man.ac.uk/research/events/conferences/documents/Social%20Protection%20Papers/Britto.pdf].
  • [27]
    Dès 2004, le Centre international pour l’action en faveur des pauvres signalait l’existence d’un débat sur l’utilité des conditions et les problèmes de conformité, à tout le moins au Brésil (« Conditional Cash Transfers: A Vaccine against Poverty and Inequality? », au [http://www.ipc-undp.org/pub/IPCOnePager3.pdf]).
  • [28]
    Page d’accueil du [http://www.ipc-undp.org], consulté le 18 juin 2010 (notre trad.).
Français

Résumé

L’étude du transfert transnational des pratiques et des institutions porte généralement sur les étapes intermédiaires et finales d’un processus dont les phases initiales sont rarement examinées. À l’inverse, dans cet article nous nous concentrons sur les premières étapes d’une trajectoire de transfert conceptualisée en tant que processus de conversion des idées et des pratiques locales en « modèles standard ». Nous appelons ce processus la « standardisation ». En nous inspirant des recherches sur les politiques publiques et les mouvements sociaux, nous identifions trois mécanismes au cœur de cette standardisation – la certification, la dé-contextualisation et le cadrage – puis nous appliquons ce cadre théorique à deux cas : la diffusion transnationale des commissions de vérité et de réconciliation (CVR) et l’utilisation croissante des transferts monétaires conditionnels (TMC) comme instruments de politique sociale. Il nous est ainsi apparu que les acteurs qui déterminent le contenu de ces standards ne sont ni leurs précurseurs, ni leurs premiers adhérents, mais bien des entrepreneurs politiques intermédiaires situés au carrefour d’un ensemble complexe de réseaux à la fois étatiques et non étatiques.

Mots-clés

  • transferts transnationaux
  • standardisation
  • mécanismes
  • commissions vérité et réconciliation
  • transferts monétaires conditionnels

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Mis en ligne sur Cairn.info le 03/04/2012
https://doi.org/10.3917/gap.121.0037
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