Introduction
1Depuis plus d’une vingtaine d’années, les systèmes nationaux de recherche et d’innovation connaissent de profondes mutations, qui coïncident avec un désengagement relatif de l’État de la recherche académique (National Science Board 2002 ; OCDE 2002 ; Viginier et al. 2002 ; MINEFI 2000), une pluralisation des acteurs de la recherche et de l’innovation (Mustar et Laredo, 2002), et une intensification des relations science industrie (Hicks 2000 ; OCDE 1999 ; Calvert et Patel 2002). À la recherche de nouvelles formes de financement, et soumises à la pression des demandes économiques et sociales, les institutions scientifiques évolueraient vers des modèles plus proches de l’industrie, en développant des politiques de propriété intellectuelle (Jaffe 2000 ; Mowery et al. 2001 ; Foray 2000 ; Cassier 2002 ; Narin et al. 1997 ; Orsi 2002) et de transfert technologique (Henderson et al. 1998 ; National Science Board 2002), tandis que les chercheurs sont invités à partir à la rencontre du monde économique, en particulier en créant leurs propres entreprises (Mustar 1993 ; Callan 2001 ; Lamy 2005). Il s’agirait en particulier de leur inculquer un certain « esprit d’entreprise », clé de la réussite des collaborations de l’industrie avec la recherche publique : « Le lien entre l’éducation à l’esprit d’entreprise et les programmes de recherche publics permet de réunir les ingrédients en vue de l’adéquation entre l’excellence scientifique et la commercialisation des résultats » (Commission de déontologie de la fonction publique de l’État 2003, p. 14). Il importerait ainsi de favoriser la proximité intellectuelle des chercheurs et des entrepreneurs, d’installer entre eux une forme de « connivence » (Lehmann 2004), en sorte de faciliter la circulation des savoirs entre les mondes scientifiques et économiques.
2Cette volonté de rapprochement intellectuel se conjugue au développement des structures d’interface chargées de stimuler, d’organiser et d’accompagner le rapprochement géographique des institutions scientifiques et des entreprises. Les incubateurs (OCDE, 1997) ou les parcs technologiques (Link et Scott 2003 ; Vavakova 2001) se sont ainsi multipliés ces deux dernières décennies, tant en Europe qu’outre-atlantique. L’installation de ces dispositifs repose notamment sur l’idée qu’une part essentielle des connaissances scientifiques ne peut être transmise que par le biais de contacts interpersonnels : « l’aptitude à assimiler et à transférer les connaissances scientifiques et technologiques qui ne sont pas totalement codifiées est largement tributaire des opportunités de contact personnel direct entre les parties concernées. » (Foray, 1995, p.19). Ainsi, les échanges science industrie seraient tributaires de la proximité des entreprises aux centres de recherches : « NTBFs working with universities that are more proximity may achieve certain advantages. Proximity between firms and universities promote the natural exchange of ideas through both formal and informal networks » (Löfsten et Lindelöf 2005, p. 1027). Plus l’entreprise se rapproche de l’université, plus elle profiterait de ces « échanges naturels » qui servent son développement.
3C’est cette idée d’une dépendance des relations science industrie à la proximité des structures entrepreneuriales et des institutions de recherche qui sera questionnée ici. Le rapprochement spatial des entreprises et des laboratoires permet-il de renforcer les relations science industrie ?
4L’étude de Terry Shinn et Erwan Lamy sur les formes d’engagement entrepreneurial d’un échantillon de chercheurs créateurs d’entreprises [1] (Shinn et Lamy, 2006 ; Lamy 2005) offre quelques éléments de réponse à cette question. Shinn et Lamy distinguent trois profils différents de chercheurs créateurs d’entreprises : les « Académiques », les « Pionniers » et les « Janus ». Tandis que les « Pionniers » manifestent une claire volonté de rapprochement de la science et de l’entreprise, les « Académiques » et les « Janus » se signalent par une certaine volonté de différenciation des pratiques scientifiques et entrepreneuriales, à rebours des incitations institutionnelles visant à les faire se confondre (Lamy 2005). A chacune de ces trois classes peut ainsi être associée une forme particulière de relation science industrie, qui se distingue des autres tant par sa nature que par son intensité et son efficacité [2]. L’étude de Shinn et Lamy en révèle les principaux déterminants, et il apparaît que la proximité de l’entreprise et du laboratoire ne figure pas nécessairement au nombre des facteurs essentiels de l’efficacité et de la fertilité des échanges science industrie. Au contraire, on observe chez les Pionniers qu’une trop forte proximité de l’entreprise et du laboratoire peut être contre-productive, tandis que les Académiques et les Janus s’accommodent fort bien d’une certaine séparation des pôles scientifiques et marchands des projets de création.
1 – Les Académiques
5La classe des Académiques regroupe les chercheurs (14 individus en tout sur les 41 de l’échantillon) qui restent attachés à l’idée d’une primauté de la valeur scientifique de leur travail sur sa valeur économique [3]. Est valide ce qui est scientifiquement vrai. Deux types d’attitude se démarquent : soit une réduction de la valeur économique à la valeur scientifique, soit une ignorance pure et simple de la dimension économique du projet. Les premiers considèrent que le succès économique du projet entrepreneurial est nécessairement, « évidemment », conditionné par la valeur scientifique de leurs travaux. Il serait absurde de juger qu’un résultat scientifique sans importance puisse être retenu pour une opération de valorisation. Cette opinion s’exprime dans les assertions suivantes : « si la valeur scientifique est moindre… ça n’a pas d’intérêt pour l’entreprise » ; « Un résultat scientifique doit tenir la route scientifiquement. Les industriels ne s’y trompent pas » ; « Ce qui est valide l’est sur le plan scientifique ». Les seconds restent étrangers aux considérations commerciales. Ils font avant tout de la science, et ne sont donc pas ou peu concernés par la dimension économique du projet. L’un d’eux confie par exemple qu’il « n’avait pas cette dimension en tête, » un autre explique que la « valeur scientifique est intrinsèque. On crée de la connaissance ». Un troisième souligne que « le but [de la création] était vraiment scientifique. [Il n’y avait] pas de notion d’intérêt d’économique ». On reconnaît dans cette sorte d’attitude quelque chose de l’archétype du physicien, et ce sont précisément les physiciens qui sont surreprésentés dans cette classe. De manière générale, ils ne se soumettent guère aux réquisits de la logique marchande et n’adhèrent que marginalement au modèle de l’entrepreneur. Ils sont ainsi peu nombreux à déclarer tenir compte des questions économiques dans la définition de leur agenda de recherche, et cette prise en compte n’est jamais au cœur de leurs discours, au contraire : « Je n’organisais pas mes recherches pour les industriels », explique ainsi l’un d’eux. La même remarque vaut pour la question des pratiques de recherche, ainsi que pour celle de la communication scientifique. L’un d’eux explique que « pour la communication des progrès de la connaissance on ne prend pas du tout en compte ces aspects [économiques] ».
6Cette différenciation manifeste des dimensions scientifiques et commerciales des projets entrepreneuriaux à son pendant géographique : les Académiques n’essayent pas de se rapprocher de l’entreprise, et ne font rien pour favoriser un tel rapprochement : « Ce sont les industriels qui venaient me voir. Je travaillais dans le cadre académique ». Dans la plupart des cas, l’entreprise est installée dans la même agglomération que le laboratoire, mais elle est maintenue à l’extérieur du laboratoire, les équipes de l’une et de l’autre travaillent dans des espaces séparés (qui restent cependant relativement proches). Cependant, rien n’indique qu’il y ait là une démarche active de différenciation, et la distance qui peut s’installer entre laboratoire et entreprise et plus la conséquence d’une absence de volonté de rapprochement que le fruit d’un choix délibéré de ne pas créer d’espace commun. Pour autant, cela ne nuit pas à l’implication des chercheurs dans le projet entrepreneurial. Les Académiques soulignent en effet les bénéfices qu’ils peuvent retirer d’une telle implication, et insistent sur l’existence de fortes synergies scientifiques ou professionnelles [4] : les bilans professionnels et scientifiques de leur implication dans la création sont largement positifs.
7Sur le plan scientifique, une forte majorité d’Académiques (plus des deux tiers) porte une appréciation positive sur les effets de leur implication dans le projet entrepreneurial pour leurs travaux de recherche. « Ça nous a ouvert des voies que l’on n’imaginait pas », explique l’un d’eux, tandis qu’un autre attribue les bénéfices scientifiques de la création aux échanges avec l’entreprise : « ça fait toujours du bien de discuter : on échange des problèmes ». Un autre ajoute que ce type de collaboration « ne peut que stimuler, c’est bien d’avoir un interlocuteur industriel ». Ces synergies scientifiques se manifestent en particulier par l’amélioration de leurs dispositifs expérimentaux, ce qui apparaît comme l’un des principaux moteurs de leur implication entrepreneuriale. L’un d’eux explique que « l’argent récolté par la société servait à assurer le développement du logiciel, à acheter les dernières versions des ordinateurs afin de maintenir le logiciel sur ces machines […] ». Un autre note : « Je n’aurais pas été en essai clinique de phase 2 sans l’entreprise, car cela demande beaucoup plus de moyen que la phase 1 ». Un troisième signale le « retour de l’entreprise vers le laboratoire au niveau de la maintenance et des supports des recherches ».
8A ces bénéfices que retirent les Académiques de leur implication répond une tendance à l’augmentation de leur reconnaissance scientifique et professionnelle. L’effet du projet de création sur la réputation scientifique est explicitement évoqué par un physicien spécialisé dans l’instrumentation. Ce dernier explique que « la reconnaissance scientifique a augmenté quatre ou cinq ans après, car c’est la reconnaissance de l’instrument, donc des activités scientifiques liées à cet instrument ». Un second parle de « reconnaissance scientifique du concept, » et un troisième ajoute que « s’il n’y avait pas eu de création, [la reconnaissance scientifique] aurait pu diminuer ». Cette satisfaction globale des Académiques, et leur appréhension majoritairement positive des effets de la création sur la reconnaissance scientifique de leur travail sont à mettre en perspective avec le jugement qu’ils portent sur l’évolution de leur situation professionnelle [5]. Celle-ci est fortement liée à leur engagement : la quasi-totalité des Académiques signalent une inflexion de leur trajectoire professionnelle au moment de la création, jugée positivement par une majorité d’entre eux. L’un d’eux évoque sa médaille d’argent du cnrs, en précisant que le texte d’accompagnement cite la création de l’entreprise. Un autre rapporte qu’il fut promu sur le projet de création. Un troisième qu’il a été « nommé professeur de classe exceptionnel, [et que] parmi les arguments figure son action de valorisation, en plus d’un bon dossier scientifique ». Les Académiques tirent donc, le plus souvent, un profit scientifique et professionnel important de leur participation aux projets entrepreneuriaux, sans pour autant s’immerger dans le milieu de l’entreprise. Par ailleurs, leur engagement ne nuit pas à leur productivité, la grande majorité des Académiques continuant à publier sur le même rythme qu’avant la création : « le laboratoire ne s’est pas complu à ne faire que de la valorisation, on a continué à publier ». L’implication entrepreneuriale des Académiques ne modifie donc pas sensiblement leur productivité, et on observe de surcroît que cette productivité reste ancrée dans la recherche fondamentale [6]. La création d’entreprise est ainsi un moyen de préserver et d’améliorer les conditions de réalisation d’un travail de recherche fondamentale, malgré la relative distance maintenue avec le laboratoire. Pour les Académiques, il n’y a pas d’incompatibilité entre l’implication entrepreneuriale et l’activité scientifique. L’une et l’autre se facilitent mutuellement, sans pour autant se confondre, tant sur le plan intellectuel que spatial.
9Leur implication dans le projet entrepreneurial relève du « donnant-donnant » : ils apportent leurs compétences, et attendent en retour des bénéfices d’ordre scientifique. Il s’agit ici d’une coordination est « stratégique » des pratiques scientifiques et marchandes, c’est-à-dire basée sur l’appréciation consciente du rapport coût bénéfice de l’opération en termes non exclusivement financiers mais aussi scientifiques et professionnels. Au bout du compte, l’entreprise est pour eux un outil au service de leur recherche, qui en conséquence n’est aucunement perturbée, mais au contraire soutenue. L’entreprise est intégrée à la routine cognitive, au même titre que les instruments techniques ou institutionnels. Cependant, cette instrumentalisation de l’entreprise n’engage aucune proximité géographique. Au contraire, sans être délibérément maintenue à l’extérieur de l’espace académique, rien n’est fait pour organiser un quelconque rapprochement géographique. Certains Académiques ignoraient ainsi à peu près tout de l’entreprise, n’ayant qu’une connaissance totalement abstraite d’un projet qui restait éloigné d’eux, et dont ils ne cherchaient absolument pas à se rapprocher. Et lorsque l’entreprise pénètre l’espace du laboratoire, les réactions manifestent une certaine inquiétude. Ainsi, ce chercheur expliquant que « l’entreprise parasite un peu le budget du laboratoire en utilisant le matériel, mais en même temps on ne peut pas couper le lien. ». Les Académiques n’organisent pas la séparation, mais l’apprécient, et leur attitude semble la susciter, sans que cela entrave en rien leur engagement, ni les bénéfices scientifiques qu’ils en retirent.
2 – Les Pionniers
10À l’inverse des Académiques, les chercheurs créateurs du groupe des Pionniers (17 individus de l’échantillon) font primer l’intérêt économique sur la valeur scientifique de leurs travaux pour décider de leur validité. Cette conception semble recouvrir deux réalités : soit le chercheur fait primer l’économique sur sa pratique scientifique, en maintenant l’idée d’une certaine différence entre science et entrepreneuriat, soit il récuse simplement l’idée d’une telle différence. L’un de ceux-là explique qu’il n’y a « pas de discontinuité entre activité scientifique et métier de manager ». Un autre ajoute que son engagement « est la suite logique de ce qui est fait au laboratoire [universitaire] ». Dans les deux cas, ils se pensent avant tout comme entrepreneur, et cherchent à bousculer les frontières des mondes académiques et entrepreneuriaux, tant sur le plan intellectuel que géographique. Ils sont ainsi souvent de ceux qui défendent la création d’espace d’accueil des entreprises au sein des institutions scientifiques, voire au sein même des laboratoires.
11Ils se rapprochent de la figure, décrite par Henry Etzkowitz, du nouvel entrepreneur scientifique ne s’arrêtant plus à la seule recherche de fond pour son laboratoire, mais souhaitant s’impliquer dans la démarche entrepreneuriale en tant qu’entrepreneur (Etzkowitz 1998). Etzkowitz rapporte le cas du « Professeur Z. », que ses collègues décrivent comme un « véritable entrepreneur » ayant « levé une fortune ». Malgré ses succès, « Professor Z. found his current arrangements less than fully satisfactory and expressed an interest in trying new models in which he would participate in commercialising intellectual property rights rather than passing them on to corporations in exchange for research funds » (Etzkowitz 1998, p. 828). Etzkowitz explique que le cas du professeur Z. illustre « the transition from a kind of entrepreneurial habitus which was always connected with academic research to the new entrepreneurialism which recently has begun to spread. To put it in a nutshell, the new entrepreneurialism is the old one plus the profit motive » (Etzkowitz 1998). Son homologue français pourrait être le professeur W.
12Le professeur W. est un pionnier et un activiste de l’entrepreneuriat académique. Inventeur de plus d’une centaine de brevets, créateur ou initiateur d’une longue liste de pme de haute technologie (dans des domaines aussi variés que la communication sans fil, la chimie fine ou l’acoustique), il est l’un des chercheurs français les plus engagés dans le domaine de la valorisation de la recherche. Physicien de formation, spécialisé dans un secteur proche de l’électronique et des sciences de l’ingénieur, il dirige un des laboratoires de recherche d’une Grande École d’ingénieurs dont la particularité est d’entretenir une recherche fondamentale de pointe, et dont l’histoire croise celle de quelques grandes figures de la science française. Avec plusieurs dizaines d’articles à son actif (publiés dans des revues telles que Physical Review B, ieee Transactions ou Journal of the Acoustical Society of America), il mène son engagement entrepreneurial d’une manière volontariste en plus de son intense activité scientifique, et dénonce tant l’opposition entre recherche fondamentale et appliquée que la primauté de la théorie sur la pratique. « L’application n’est pas honteuse », explique-t-il. Fort de son expérience, il conseille, guide, incite, initie, soutient les chercheurs de l’École qui souhaitent valoriser leurs découvertes, ou simplement ceux dont il juge les travaux prometteurs d’un point de vue économique. Il n’hésite pas à accueillir ces projets entrepreneuriaux sur le site de l’École, et ouvre les laboratoires aux équipes entrepeneuriales. Il entretient ainsi un « climat » favorable à la création d’entreprises à partir des recherches qui y sont menées. Un des chercheurs créateurs de l’École explique à propos de son propre projet que « si W. n’avait pas le bon esprit, [la création de l’entreprise] n’aurait pas pu se faire : il a une politique qui me permet de flotter sur le milieu fertile de l’École ». La création d’entreprise est avant tout portée, selon lui, par « l’enthousiasme de créer quelque chose ». Enthousiasme qu’il serait prêt à faire partager : « je suis d’accord pour militer dans ce sens car je pense qu’au niveau national, il y a un manque dramatique ». Car il s’agit également de « créer des emplois, [de] créer une activité, […] des richesses », dit-il avec insistance. Pour les Pionniers, la réalisation de tels objectifs implique la réunion des forces économiques et scientifiques, y compris sur un plan géographique. Il importe de créer des espaces communs, ou d’accueillir les forces économiques au sein des espaces académiques.
13Cette attitude n’est pas réductible à la seule recherche d’un profit financier personnel, mais implique un changement plus global dans les représentations et les préférences. Etzkowitz reconnaît que cette forme d’engagement affecte l’éthos mertonien dans son ensemble, et pas seulement le désintéressement. Slaughter et Leslie expliquent que l’examen des pressions économiques s’exerçant sur le champ scientifique peut laisser supposer « that faculty as professionals participating in academic capitalism would begin to move away from values such as altruism and public service, toward market values » (Slaughter et Leslie 1997, p. 179). Le professeur Z. d’Etzkowitz incarne ce mouvement, ainsi que W.
14C’est une telle transformation que l’on retrouve parmi les individus de ce groupe. Ils sont portés par une forte volonté de s’écarter du modèle universitaire et de s’ouvrir au monde économique. Ils adoptent une posture de pionnier, explorant avec enthousiasme les territoires s’étendant au voisinage de leurs propres domaines. Car la tentation de s’engager n’est pas, pour la plupart d’entre eux, un fruit lointain. Près de la moitié des Pionniers se recrute dans les sciences de l’ingénieur, quand seul un quart des 41 chercheurs de notre échantillon sont dans ce cas. Ils appartiennent donc typiquement à un secteur disciplinaire traditionnellement proche de l’industrie (Grossetti 1995 ; Ramunni 1995). Ils fréquentent et connaissent le monde entrepreneurial, peuvent entretenir avec lui une intelligence plus intime que les Académiques, issus de secteurs disciplinaires plus éloignés des industriels. Les Pionniers sont tous prêts à partager avec les acteurs du monde économique ce volontarisme, cet enthousiasme et cette assurance qui apparaît clairement dans leur soumission volontaire aux impératifs commerciaux. Ils n’hésitent pas à infléchir leurs pratiques scientifiques (agenda, objectifs, méthodes, communication).
15Les Pionniers sont également sensiblement moins nombreux que les Académiques à exprimer leur préférence pour les enjeux scientifiques du projet de création. Et lorsqu’une telle préférence se manifeste, c’est presque honteusement. L’un d’eux déclare ainsi préférer « plutôt plus [la dimension scientifique du projet]. Personnellement sans aucun doute. [Mais] vaut mieux l’inverse pour l’entreprise ». Voilà qui indique la façon dont le projet peut être pensé par un Pionnier : il vaudrait mieux préférer l’économique, même si ce n’est pas le cas personnellement. Cette attitude n’est cependant pas la manifestation d’un renversement de leur vocation. Ils ne renoncent pas à la science, mais considèrent qu’un engagement entrepreneurial sérieux, porté par le souci de valoriser leurs travaux, impose une véritable adaptation aux impératifs économiques. Quand on se lance dans la création, c’est pour faire du business, avant tout du business, sans honte ni regret. Cette disposition ne se confond cependant pas avec un quelconque rejet de l’activité de recherche académique, mais avec l’idée qu’il faut abandonner des distinctions qui seraient obsolètes, et organiser le rapprochement des mondes scientifiques et entrepreneuriaux, ce qui peut passer par la création d’espaces communs.
16Alors que les Académiques s’engagent dans le projet de création dans la perspective d’une rétribution scientifique, les Pionniers abordent la création sans vraiment s’en inquiéter prioritairement. Les considérations stratégiques apparaissent au mieux au second plan dans la relation qu’entretiennent les Pionniers avec l’entreprise en création. Plus importants pour cette relation sont les assouplissements de leur identité de scientifique auxquels ils se prêtent dans l’intérêt du projet. Ils adoptent ainsi des représentations et des valeurs qui leur semblent conformes à l’esprit d’un projet entrepreneurial. Il s’agit pour eux de « ressembler » à la figure de l’entrepreneur, de se conformer à ce modèle, pour répondre d’une part aux injonctions institutionnelles (mais non pour y obéir, il n’y ait jamais fait allusion comme à des contraintes), et pour résoudre d’autre part la tension entre la science et l’industrie en se préparant à recevoir les demandes économiques. La coordination des pratiques scientifiques et marchandes repose sur l’établissement d’un système d’attentes réciproques virtuel, le chercheur se conformant à ce qu’il croit être les attentes d’un collectif entrepreneurial : « ça vaut mieux pour l’entreprise » de ne pas être trop attaché à la recherche, dit l’un d’eux. Cela passe en particulier par l’établissement d’une forte proximité des pôles entrepreneuriaux et scientifiques et projet, les seconds pouvant ainsi mieux entendre et comprendre les souhaits et les attentes des premiers.
3 – Les Janus
17D’un côté des chercheurs peu sensibles aux enjeux économiques des projets de création, faisant reposer leur engagement entrepreneurial sur les intérêts scientifiques qu’ils en retirent. De l’autre des entrepreneurs académiques volontaristes, très à l’écoute des impératifs marchands, guidés par le souci de rapprocher la science de l’industrie. Nous observons là, schématiquement, les deux termes d’une dichotomie attendue. Mais une troisième figure apparaît, celle des Janus, qui ne s’inscrivent pas dans une telle dichotomie. Ils se caractérisent par leur refus unanime de donner à la notion de validité de leurs résultats scientifique une définition absolue [7]. À la différence des Académiques ou des Pionniers, ils n’attribuent pas a priori la valeur de leurs travaux à leur importance économique ou scientifique. Tout dépend du contexte, et de leurs pratiques du moment. Comme la divinité romaine Janus bifrons, figure mythique de l’ambivalence, ils peuvent montrer différents visages, alternativement. Ils ne sont pas dans une position intermédiaire entre les Académiques et les Pionniers, mais combinent des éléments académiques et entrepreneuriaux avec une conception originale de la validité des résultats de leurs travaux. Ils maintiennent consciemment et de manière délibérée une ferme distinction entre les mondes scientifiques et entrepreneuriaux, sans pour autant les couper les uns des autres : « On essaye de concilier les deux. Je ne suis pas en situation de les opposer », explique ainsi un des Janus, qui ajoute par ailleurs que « c’est une chose de chercher et c’est une autre de valoriser. Le chercheur-entrepreneur est une fable : on est soit l’un soit l’autre. L’action de valorisation peut correspondre à une phase de la vie, mais n’est pas superposable à la recherche. Il n’y a que 24h dans une journée ».
18Les Janus ne sont pas moins enthousiastes que les Pionniers, mais plus souples dans leurs engagements entrepreneuriaux, et également moins centrés sur la démarche scientifique sous-tendant la création. Cela se reflète dans le registre de leurs préférences, qui à la différence de celui des Académiques ou des Pionniers recouvre également tout le spectre des affinités possibles avec l’entrepreneuriat ou la recherche, sans que cela se traduise par une intransigeance quelconque, dans un sens ou dans un autre. L’un d’eux exprime ainsi une préférence nette pour l’activité scientifique, car « pour un chercheur c’est le côté scientifique qui compte », mais le même ajoute que « les deux aspects sont importants », et explique qu’il avait « choisi un terrain de recherche propice à la valorisation ». Un autre penche clairement pour l’entrepreneuriat, « sinon je n’aurais pas eu de raison de créer cette société », mais explique néanmoins qu’il choisit ses sujets de recherche « pour leur portée scientifique » ; d’autres encore tentent de rendre la complexité de leur rapport à la création : « C’est compliqué, nous explique l’un d’eux. Fondamentalement je suis resté un scientifique passionné. C’est ça que je privilégie à terme. Mais la création d’entreprise est tout aussi excitante. C’est nouveau. C’est plus excitant ponctuellement, mais sur le temps long c’est le scientifique qui domine ». Au bout du compte, ils sont peu nombreux à rester silencieux sur leurs préférences, mais celles-ci ne déterminent par leur rapport à la création ou à la recherche. Un Janus peut signifier son inclination pour la recherche sans négliger les questions économiques. Inversement, il peut manifester son enthousiasme pour l’entrepreneuriat sans adopter le même rapport aux pratiques marchandes qu’un Pionnier. Quelles que soient leurs préférences, les Janus font clairement la part des choses. Comme l’explique un de ces chercheurs, « c’était de la valorisation, c’était pas de la science. [Mais] c’est une vraie satisfaction sociale ».
19Cette distinction entre les différents registres de leurs pratiques, scientifiques ou marchandes, se manifeste dans leur rapport aux impératifs marchands. Comme les Pionniers, la plupart des Janus tiennent compte des impératifs économiques dans l’organisation de leur agenda de recherche et la définition de leurs méthodologies de recherche. Mais cette attention reste toujours circonstanciée, rapportée à un contexte particulier. L’un d’eux explique, à propos de l’adaptation de son agenda de recherche, que la prise en compte des questions économiques était « temporairement prioritaire ». Cette référence explicite à la temporalité particulière de l’action entrepreneuriale des Janus illustre leur rapport à la création, qui peut balancer d’un point de vue académique à un point de vue marchand.
20Cette articulation de leurs pratiques scientifiques et entrepreneuriales s’accorde avec l’évolution de leur productivité, qui les démarque sensiblement des Pionniers. Les Janus sont sensiblement plus nombreux que les Académiques et les Pionniers à rapporter une augmentation de leur productivité à l’occasion de la création. L’un d’eux, après avoir énuméré les bénéfices retirés de sa participation à la création, tant en termes scientifiques (amélioration du matériau et de la reproductibilité des expériences) que professionnels (accroissement des ressources et meilleure gestion du personnel de recherche), conclue que « tous ces avantages se sont traduits en termes de publications ». Cette augmentation de la production résulte en particulier d’un développement des co-publications, soit consécutivement à des « collaborations avec les clients de [l’entreprise] », soit directement avec l’entreprise elle-même : « Le laboratoire et l’entreprise ont fait trois publications en commun. Une autre est en préparation. D’autres sont prévues et il est possible qu’un brevet soit déposé en commun ».
21Pour autant, cette collaboration ne repose pas sur une confusion des espaces de travail. Au contraire, les Janus entretiennent une claire différenciation du laboratoire et de l’entreprise. Il ne s’agit cependant pas pour les Janus d’éloigner l’entreprise le plus loin possible du laboratoire. Comme pour les Académiques, les entreprises en création se situent pour la plupart dans la même agglomération que les centres de recherche des Janus. Mais à la différence des Pionniers, ils ne cherchent pas à rapprocher au plus près les pôles scientifiques et marchands de leurs projets de création, et manifestent au contraire une certaine réticence à l’idée d’une trop grande proximité.
22Cette volonté de différenciation peut être illustrée par l’histoire de la création de C, qui illustre à la fois la stratégie de différenciation adoptée par ses créateurs, des Janus, ainsi que le rôle des relations personnelles dans la localisation de l’entreprise. On constate avec ce projet entrepreneurial que l’installation de l’entreprise à proximité du laboratoire ne relève en rien de la logique suivie par les Pionniers (reposant sur l’idée d’un rapprochement spatial et intellectuel fluidifiant et facilitant les relations science industrie), et que les Janus souhaitent au contraire une certaine mise à distance, ce qui fut réalisé avec l’appui de dispositifs de soutien à l’innovation mobilisés grâce à leurs réseaux locaux.
4 – La création de C., un projet porté par des Janus
23La société C. a été créée en 1994 par X et Y, deux chercheurs d’un grand laboratoire bordelais, pour développer et commercialiser un procédé innovant basé sur les recherches de X et de son équipe au début des années 1990. C’est à cette même époque que sont créées à Bordeaux les actuelles structures de soutien la valorisation de la recherche et au transfert de technologie, en particulier Bordeaux Unitec, le Centre Condorcet et l’Incubateur Régional d’Aquitaine.
24Bordeaux Unitec, association loi 1901 créée en 1990 à l’initiative d’Alain Rousset (alors maire de Pessac, et qui souhaitait en particulier favoriser l’émergence de jeunes sociétés issues de la recherche) et dont l’objet est en particulier de « de provoquer du développement industriel par l’organisation des transferts de technologie, » fut en 1993 l’initiatrice de la création de l’incubateur IRA (Incubateur Régional d’Aquitaine), installé dans les locaux du centre Condorcet, centre de ressources et d’hébergement de projets entrepreneuriaux innovant, également créé en 1993 et situé à Pessac, à proximité immédiate du domaine universitaire de Bordeaux. Il propose aux entreprises différents services pour leurs manifestations (auditorium, salles de réunion, espace de promotion, d’exposition et de rencontres), et accueille dans ses murs quelques organismes de transfert de technologie, dont L’IRA qui y dispose de bureaux et d’installations scientifiques (un laboratoire équipé pour la physique, la chimie des matériaux et les biotechnologies) pouvant être mis à la disposition des porteurs de projet (les locaux tertiaires, les ateliers et les laboratoires légers sont aujourd’hui installés dans un parc scientifique voisin, Unitec 1, toujours à Pessac).
25Yves K., alors directeur du laboratoire de X et Y, faisait également partie du conseil municipal de Pessac. Il fut ainsi directement impliqué dans la mise en place de ce dispositif régional en aidant Alain Rousset à « mettre en musique » ses idées (selon les termes de l’un des co-fondateurs de C.). Il entreprit en particulier des démarches auprès de l’université de Lund, en Suède, pour rapporter en France quelques enseignements des expériences suédoises de valorisation de la recherche et de création de technopoles. L’université de Lund disposait à l’époque d’un tel espace dédié à la valorisation industrielle de ses recherches rattaché au campus (le parc technologique IDEON, créé entre 1984 et 1986, et qui regroupe aujourd’hui une centaine d’entreprises et environ 800 personnes sur une surface de 50 000 m2), et qui constituait un modèle que comptait reprendre Alain Rousset pour développer les dispositifs Aquitains.
26Dans un tel environnement, explique X, « oser un brevet était une démarche déjà presque normale, à partir du moment où il y a eu mise en évidence qu’il y avait des applications ». X aurait eu assez précocement l’idée de créer une entreprise. Il était de surcroît « très attiré » par « l’aventure » de la création, plus que par la simple perspective de valoriser ses travaux. C’était aussi « une idée qui a germé dans un certain environnement », après qu’ils y aient été « sensibilisés ». Ils n’avaient pas encore eu l’idée de créer une entreprise au moment du dépôt du premier brevet, mais seulement au moment du second dépôt, en 1993. Avant cela, ils auraient commencé par contacter quelques grands groupes pour des cessions de licence, en usant du carnet d’adresses que X avait déjà commencé à se constituer (« c’est surtout X qui s’occupait des contacts », rapportes Y). Ils y renoncèrent cependant, en craignant d’une part l’attitude des grands groupes, d’autre part pour rester maître des applications, et enfin par goût personnel pour la création. Y ajoute aujourd’hui que cette option n’aurait peut-être jamais été prise « s’il n’en avait pas entendu parler : il y avait cette ambiance ».
27X et Y sont au début guidés dans leurs premiers pas de créateurs par le directeur de Bordeaux Unitec et par Yves K., qui leur détaillent les aides et subventions dont ils pouvaient bénéficier, leur donnent quelques contacts et leur apprennent à rédiger un business plan. « Ils nous ont mis sur les rails », explique aujourd’hui Y. Ces premiers enseignements restaient cependant encore loin de la démarche concrète de la création d’entreprise, dont ils ne savaient rien. Pour donner plus de consistance aux premières idées qu’ils s’étaient formés sur la création, ils se rendirent sur l’Atlanpole, parc technologique de Nantes créés en 1987 (labellisé incubateur public par le ministère de la recherche en 1999), pour prendre conseil auprès d’un collègue chercheur qui avaient déjà l’expérience de la création d’entreprise.
28C’est à Nantes que X et Y rencontrent le cabinet Eleusis, qui réalisa une première étude de marché, l’étude étant financée par une subvention de l’ANVAR (une aide spécifique pour le financement, dans le cadre d’un laboratoire de recherche publique, d’une étude de marché dans la perspective d’une création d’entreprise). Eleusis, qui sous-traita la partie technique de l’étude au CRITT [8] chimie de Paris, détecta par cet intermédiaire l’existence d’une demande et prit contact avec une société intéressée par l’innovation. X et Y rencontrèrent les responsables de cette société, et développèrent aussitôt à leur intention un procédé ad hoc leur permettant de produire un premier échantillon (quelques centaines de grammes) de produit. Ce premier contrat précoce permit de lancer l’activité de production (avant même la création de l’entreprise), puis d’embaucher leur premier salarié. Pressé par le temps, X et Y réalisèrent ce premier développement au sein du laboratoire, mais refusèrent d’entretenir trop longtemps une confusion qui leur semblait dommageable au projet.
29X et Y décidèrent en effet d’un commun accord de séparer le plus rapidement possible l’entreprise naissante du laboratoire : « Contrairement à ce qui se passe aujourd’hui [9], explique Y, on a voulu que l’entreprise soit immédiatement dans des lieux séparés du laboratoire. D’une part pour qu’il y ait une identité physique de l’entreprise, d’autre part pour qu’il n’y ait pas de mélange entre ce qui est fait dans l’entreprise et par les personnels dans le laboratoire, j’estime, et on estimait tous, que ça mène une confusion qui est complètement préjudiciable… d’abord l’entreprise doit avoir sa propre visibilité, sa propre vie, qui n’est pas une vie de recherche. Deuxièmement, [cette confusion] entraîne une ambiguïté et un malaise dans le laboratoire où on ne sait pas qui travaille pour qui, pour l’entreprise, pour le laboratoire… pour certaines personnes ça n’est pas très grave, mais si on commence à faire travailler des techniciens ou des ingénieurs, très rapidement ça amène la confusion, les jalousies, enfin c’est d’après nous un bordel… et j’ai vu des cas concrets où ça a fini par péter : l’entreprise a fait faillite… il y a peut-être eu d’autres raisons, mais c’est une situation qui est très malsaine ! ». De surcroît, C. était l’un des premiers exemples d’entreprises issues de la recherche bordelaise créée dans le schéma prévu par Alain Rousset et Yves K., c’est-à-dire en s’appuyant sur les dispositifs qui commençaient à être mis en place pour aider l’essaimage académique. Ils se sont donc « bien évidemment » installés dans les locaux de Bordeaux Unitec dès le début de 1994, « d’autant que le Centre Condorcet venait d’être ouvert ».
30X insiste sur leur volonté d’établir une séparation nette entre l’entreprise et le laboratoire, qui ne devait pas intervenir dans la gestion de C., mais simplement lui être associé en tant que prestataire de service (en recherche et développement) dans le cadre de conventions d’utilisation de matériel, de contrats de recherche ou d’échange de personnels. Il ajoute qu’il « cherchait absolument à éviter les conflits d’intérêts ». Il y eut certes eu une période de transition et de recouvrement, lors des négociations avec le premier client, puis le temps d’installer les locaux de C. et d’organiser son propre laboratoire de développement. La première employée commença à travailler pour C. au sein du laboratoire de X et Y tandis qu’ils développaient leur première application industrielle du procédé, sans que cela présente un intérêt scientifique quelconque pour le laboratoire. Mais cette période ne devait durer que quelques semaines, sans que cela génère de tensions au sein du laboratoire.
31La séparation physique du laboratoire et de l’entreprise n’empêchait pas l’une de s’appuyer sur l’autre pour se développer. X disposait ainsi des nombreux contacts dans le secteur de la chimie nécessaires à la constitution d’un carnet de commandes rempli et d’un réseau de partenaires. Ces contacts avaient été glanés avec l’étude de Eleusis, mais également grâce aux relations de son laboratoire avec le monde industriel, aux rencontres que faisait X dans des congrès ou des colloques rassemblant des chercheurs ou des cadres de l’industrie cosmétique, ou encore par l’intermédiaire de collègues chercheurs qui avaient travaillé avec l’industrie. Y explique que X « a participé à pas mal d’entretien avec des clients potentiels, et [qu’il] connaît du monde ». En retour, le laboratoire recevait les dividendes de cette opération de valorisation, et bénéficiait également des travaux scientifiques menés par X dans la perspective de leur application. La séparation du laboratoire et de l’entreprise permettait ainsi d’entretenir les synergies sans nourrir d’éventuelles tensions.
5 – L’efficacité des différentes formes d’engagement
32L’exemple de la création de C. illustre les limites de l’idée d’une proximité nécessaire des pôles scientifiques et marchands des projets de créations d’entreprises par des chercheurs. Une séparation peut être la bienvenue pour le développement de l’entreprise et le bon déroulement des opérations de collaboration avec le laboratoire.
33De manière générale, on observe que les trois formes d’engagement décrites dans les paragraphes précédents ne sont pas également efficaces du point de vue de la cohésion du collectif entrepreneurial et du confort de l’implication entrepreneurial des chercheurs, et que les plus efficaces ne sont pas celles qui reposent sur une forte proximité du laboratoire et de l’entreprise. Les Pionniers sont de loin ceux qui rencontrent le plus de difficultés [10] lors de leur engagement, et sont les plus exposés aux tensions [11] entre le laboratoire et l’entreprise [12].
34Les Pionniers sont ainsi les plus nombreux à signaler des difficultés dans l’organisation de leur emploi du temps entre l’entreprise et le laboratoire. L’un d’eux rapporte par exemple les « problèmes avec l’entreprise qui lui reproche de ne pas travailler assez dans l’entreprise ». On pourrait pourtant s’attendre à ce que la solution de ce problème soit contenue dans la formalisation contractuelle de la collaboration, prévue en particulier par les dispositifs de mobilité que les Pionniers mobilisent tout particulièrement. Les Pionniers sont également nombreux à déplorer des problèmes liés à la gestion de la confidentialité, non pour regretter les éventuelles entraves à leur communication scientifique, mais au contraire les difficultés de leur environnement scientifique immédiat à s’adapter aux contraintes imposées par leur démarche entrepreneuriale. L’un d’eux revient par exemple sur le cas des thésards salariés de l’entreprise (en CIFRE [13]), qui peinaient à « apprendre à communiquer sous une autre forme ». Les Pionniers sont également en proportion plus nombreux que les Académiques et les Janus à se plaindre du déroulement des négociations entre le pôle académique et entrepreneurial de la création : « Ça a été une horreur, dit l’un d’eux, ça nous a fait perdre énormément de temps. Car l’organisme valorise à un niveau trop élevé ». Un autre rapporte le soutien de son environnement institutionnel, « mais un soutien vraiment pesant », qui aurait été facteur de retard. Il ajoute : « il y a des gens qui vous étouffent en vous soutenant ». Plus globalement, près d’un tiers d’entre eux juge négativement la cohésion du collectif laboratoire entreprise. Enfin, l’impact de la création sur leur réputation scientifique et sensiblement moins positive que pour les Académiques, quand elle n’est pas franchement négative. Les Pionniers sont, en proportion, moitié moins nombreux que les Académiques à déclarer bénéficier, sur ce plan, de leur implication dans le projet entrepreneurial (un tiers contre deux tiers). L’un d’eux rapporte même une certaine défiance : « ça a été vu de façon soupçonneuse par certains collègues qui parlaient de « problèmes déontologique », évoqués y compris au conseil scientifique de l’organisme ».
35Dans le même temps, le rapprochement des sphères scientifiques et économiques que souhaitent installer les Pionniers ne débouche pas pour eux sur l’apparition de fortes synergies. Paradoxalement, la pauvreté des échanges scientifiques entre le laboratoire universitaire et l’entreprise semble être la contrepartie de cette volonté de rapprochement. « Il n’y avait pas vraiment de synergie » explique l’un d’eux. Les Pionniers sont également sensiblement plus nombreux que les Académiques à évoquer un appauvrissement de leur activité scientifique, particulièrement net en ce qui concerne leur productivité. Alors que la plupart des Académiques s’impliquent dans la création sans la voir diminuer, près des deux tiers des Pionniers connaissent une diminution sensible du nombre de leurs publications, « à cause du temps que l’on prend, » explique l’un d’eux. Un autre ajoute que « les quelques publications faites ne l’étaient plus dans des revues scientifiques ».
36La situation est tout à fait différente pour les Académiques. Les problèmes les plus régulièrement évoqués se rapportent aux questions de confidentialité, de réglementation et de pressions court-termistes. Mais aucun de ces points ne concerne plus d’un cinquième d’entre eux. Et ce n’est que sur la question du court-termisme qu’ils sont (un peu) plus nombreux à rapporter l’existence d’un problème (un peu moins d’un quart des Académiques, contre un peu plus d‘un septième des Pionniers). Mais leurs commentaires restent nuancés. L’un d’eux explique avoir à affronter quelques complications relatives à la prise en charge des thèses CIFRE, souvent orientées par l’entreprise vers des sujets trop court-termistes. Mais il ajoute cependant aussitôt qu’il « ne prend pas de contrats court-terme (de six mois) ». Le taux relativement important d’Académiques évoquant un problème lié au court-termisme dénote probablement leur sensibilité à cette question. Quant aux questions de confidentialité, elles ne semblent pas les préoccuper spécialement. À propos de cette question de la confidentialité, l’un d’eux explique que « ça se règle au coup par coup, parce qu’on y est pas du tout confronté dans le monde de la recherche ». Enfin, on note que la perception globale de la cohérence des démarches scientifiques et entrepreneuriales n’est jugée négativement que par moins d’un dixième d’entre eux. Au bout du compte, les Académiques montrent, en contraste des Pionniers, que le rapport distant aux pratiques marchandes qui les caractérise ne dessert pas les relations qu’ils entretiennent avec l’entreprise, au contraire.
37Les Janus ne sont pas moins bien lotis que les Académiques. Ils sont certes un peu plus nombreux à signaler des problèmes de mise en cohérence de l’entreprise et du laboratoire, mais les tensions évoquées n’engagent pas l’avenir du projet : « Les quelques frictions qui ont eu lieu entre mon laboratoire et l’entreprise, explique l’un d’eux, sont venues de deux choses : la surpopulation transitoire avant que l’entreprise ne quitte le laboratoire, l’harmonisation des activités entre les deux partenaires. Ces problèmes sont résolus et ne devraient plus se reposer ». Là encore, la séparation spatiale de l’entreprise et du laboratoire permet d’organiser une relation plus posée et fructueuse entre les deux structures. Pour presque tous les autres types de problèmes envisagés, la classe des Janus est la plus épargnée des trois. En particulier, aucun Janus ne juge problématique la répartition du temps de travail entre le laboratoire et l’entreprise. Ce n’est que pour la question des négociations qu’ils se rapprochent des Pionniers, en reprochant par exemple au cnrs de présenter des « demandes excessives au niveau des redevances ». Mais leurs commentaires sont sensiblement moins véhéments que ceux des Pionniers. Dans leurs habits d’entrepreneur, les Janus s’impliquent dans les mêmes négociations que les Pionniers, mais les situations semblent moins conflictuelles. On peut à nouveau suggérer ici que la différenciation apportée par leur forme d’engagement entrepreneurial constitue une base solide pour l’organisation d’une relation équilibrée entre les pôles scientifiques et marchands du projet.
38Cette forme d’organisation du collectif entrepreneurial leur permet en particulier de s’appuyer sur l’entreprise pour faciliter l’insertion professionnelle de leurs étudiants, ce qui par ailleurs est selon certain Janus la « motivation principale » de l’implication entrepreneuriale. L’un d’eux explique qu’il a « créé en partie pour régler des problèmes de déboucher pour les étudiants ». La plupart des Janus déclarent que les étudiants de leurs laboratoires ont pu profiter de la création pour trouver un emploi. « Parmi les personnes recrutées dans l’entreprise, explique l’un d’eux, six sont d’anciens stagiaires du laboratoire à des titres divers ». Un autre ajoute que « les trois premiers employés étaient d’anciens étudiants ». Un troisième confirme que « le laboratoire y a retrouvé des débouchés […] ». Dans le même ordre d’idée, on note que la création est en général l’occasion pour les Janus d’augmenter le nombre de leurs encadrements de thèses. L’implication entrepreneuriale des Janus ne profite pas seulement à leurs étudiants, mais également à leur laboratoire de recherche, qui voient leurs ressources financières augmenter à l’occasion de la création. L’un d’eux explique par exemple que « le contrat avec l’inra impliquait un financement de mon laboratoire équivalent à deux ans de contrat de fonctionnement. L’association avec l’entreprise a permis à mon laboratoire de bénéficier de plusieurs contrats de recherche publics et privés qui correspondaient à notre implication dans les projets ». Autant de possibles bénéfices qui ne reposent pas sur une forte proximité de l’entreprise et du laboratoire, et rendent possibles une saine collaboration, chacun des pôles du projet de création y trouvant son intérêt.
Conclusion
39Au bout du compte, on ne peut opposer d’une part les chercheurs qui, enfermés dans une « tour d’ivoire » éloignée du monde économique, freineraient la valorisation économique de leurs travaux scientifique, et de l’autre des chercheurs ouvert sur le monde économique, qui en participant activement au rapprochement des laboratoires et des entreprises faciliteraient la diffusion de leurs connaissances dans le tissu économique. On observe au contraire que la préservation des frontières entre science et industrie peut participer à une organisation efficace de leurs relations, alors que le relatif effacement de ces frontières peut contrarier la cohésion du collectif entrepreneurial. La volonté affichée par les Pionniers de se fondre dans le monde économique en intégrant pleinement les impératifs économiques et en réunissant les espaces scientifiques et entrepreneuriaux est bien peu fructueuse.
40Non seulement la différenciation persiste chez les chercheurs créateurs d’entreprises, non seulement elle participe à la réussite de leur implication entrepreneuriale, mais elle fonde paradoxalement l’engagement des chercheurs qui réussissent à se maintenir sans heurt à cheval sur la frontière science-industrie. Les Janus mêlent pratiques scientifiques et marchandes sans en sacrifier une seule. Ils sont tantôt scientifiques, tantôt entrepreneurs, sans que jamais ne s’installe une confusion de ces deux registres d’action. Au contraire, ils maintiennent entre les deux une distinction explicite. Le projet entrepreneurial ne repose pas sur la proximité intellectuelle ou spatiale de ces pôles scientifiques et marchands, mais sur la capacité des Janus à circuler entre ces pôles en articulant différentes séquences d’action. Les Janus alternent ainsi entre un régime entrepreneurial et un régime académique, qui sont chacun associés à des espaces bien délimités. Le constat de l’existence de ce mode de coordination « séquentiel » signale la possibilité d’une préservation d’une certaine distance entre science et marché. Comme les Académiques, mais d’une manière différente, les Janus coordonnent efficacement pratiques scientifiques et marchandes sans travailler à leur rapprochement géographique, mais au contraire en s’appuyant sur leur différenciation.
41Certes, la plupart des projets de création portés par chacune de ces trois classes de chercheurs créateurs restent situés dans la même agglomération que les centres de recherche d’où sont issus leurs fondateurs. Mais les enquêtes réalisées auprès des Académiques ou des Janus montrent que cette proximité reste pour eux une question finalement assez secondaire dans l’organisation des relations science industrie. Elle semble plutôt contingente aux réseaux personnels ou professionnels des chercheurs créateurs, et à leur connaissance des opportunités d’hébergement dans les environs de leur centre de recherche. Elle n’est pas un élément incontournable pour l’organisation d’un dialogue fertile entre les pôles scientifiques et entrepreneuriaux des projets
42On retrouve là une conclusion des travaux de Michel Grossetti et Marie-Pierre Bes (Grossetti et Bes, 2002), qui montrent, à partir de l’analyse de 130 histoires de collaboration entre des laboratoires du CNRS et des industriels, que la localisation des entreprises est moins expliquée par le caractère non codifié des connaissances scientifiques que par l’existence de réseaux personnels locaux. Les spin-offs universitaires s’implantent à proximité des centres de recherche avant tout grâce au carnet d’adresses de leurs dirigeants et créateurs qui, étant familiers de cet environnement, y disposent des relais leur permettant d’y trouver plus facilement des opportunités pour y installer leur projet de création. C’est aussi ce que l’on observe avec l’histoire de la création de l’entreprise C.
43Si proximité il y a, ce n’est donc pas au nom de l’efficacité des relations science industrie. Ce qui importe, pour une articulation efficace des pôles scientifiques et industriels des projets de créations d’entreprises par des chercheurs, c’est l’existence de synergies entre ces pôles, synergies qui ne dépendent que marginalement de la proximité des entreprises aux centres de recherche : même en étant relativement éloignés, entreprise et laboratoire peuvent continuer à co-publier, à échanger des idées, à se stimuler mutuellement, à s’échanger des personnels, etc. Bien sûr, un certain rapprochement peut faciliter la communication, et il peut être plus confortable aux acteurs d’un projet de création de ne pas être trop éloignés les uns des autres. Mais leurs propres témoignages montrent que cela ne semble pas être un élément déterminant, et qu’une certaine distance peut être la bienvenue.
44En effet, une trop forte proximité peut être la source de difficultés pour le projet entrepreneurial. Aussi, plutôt que de vouloir toujours rapprocher les entreprises des laboratoires dans l’espoir de mieux voir circuler les connaissances scientifiques, il conviendrait plutôt de questionner cette idée de proximité en se penchant certes sur les bénéfices qu’elle peut apporter mais également sur les tensions et les problèmes qu’elle peut susciter. C’est de l’équilibre de ces différentes conséquences des rapprochements entre entreprises et laboratoires de recherche publique que pourra naître une organisation géographique optimale des espaces dédiés à l’innovation technologique.
Notes
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Adresse email : lamy@ idhe. ens-cachan. fr
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[1]
Cette étude repose sur une enquête par questionnaire, menée par téléphone auprès de 81 chercheurs travaillant dans des laboratoires du cnrs (propres ou associés), tous créateurs entre 1990 et 2001 de 65 entreprises issues de ces laboratoires (plusieurs chercheurs sont parfois associés à une seule création d’entreprise). Parmi ces 81 chercheurs, nous ne retiendrons que les 41 répondants ayant statut de fonctionnaire, en sorte de faire porter notre analyse sur des individus à la situation institutionnelle comparable (Parmi ces 41 chercheurs fonctionnaires, on en compte cinq en sciences physiques, 16 en sciences de la vie, neuf en sciences chimiques et 11 en sciences de l’ingénieur. Quasiment tous sont au moins chargés de recherche ou maîtres de conférence). Les caractéristiques de cette situation institutionnelle, et de son évolution au moment de la création, sont l’objet d’un premier volet du questionnaire (Outre les renseignements apportés par les chercheurs, ce volet est complété par des requêtes sur les bases de données publiques ou semi-publiques). Un second volet est consacré aux synergies entre le laboratoire universitaire et l’entreprise, un troisième aux tensions et difficultés, un dernier à la leur rapport aux pratiques marchandes. Lors des entretiens, les chercheurs étaient libres de commenter leurs réponses. Ces commentaires nous permettent d’en préciser le sens.
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[2]
Une relation science industrie est considérée ici comme étant d’autant plus efficace qu’elle est moins frictionnelle, c’est-à-dire que les pratiques scientifiques et marchandes s’articulent avec le moins de tension possible entre les différents acteurs du projet entrepreneurial.
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[3]
Les classes regroupent les chercheurs créateurs d’après leurs réponses à une série de questions portant sur leur rapport aux pratiques marchandes, notamment celle-ci : Jugiez-vous, toujours au moment de la création de l’entreprise, qu’un résultat de recherche était valide lorsqu’il présentait un intérêt économique important mais une valeur scientifique moindre ?
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[4]
Les synergies scientifiques couvrent l’évolution du nombre de publications, l’éventuelle amélioration du « contrôle qualité » et de la maîtrise des dispositifs expérimentaux utilisés par les chercheurs, l’évolution de la réputation scientifique, et une appréciation d’ordre plus général sur les éventuels bénéfices scientifiques que peut apporter le projet entrepreneurial. Les synergies professionnelles couvrent les aspects suivants : l’évolution des débouchés pour les étudiants, l’évolution des financements privés ou publics, les participations à des manifestations scientifiques, l’évolution du nombre d’encadrements de thèses, l’évolution du temps de travail au laboratoire, et enfin une appréciation subjective plus générale de l’évolution de la situation professionnelle du chercheur.
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[5]
L’articulation évoquée par ces chercheurs entre leur implication entrepreneuriale et leur réputation scientifique fait écho, à un niveau individuel, aux travaux de Jason Owen-Smith, qui a montré pour la décennie 1990 une corrélation positive entre la réputation scientifique de quelques institutions de recherche et le nombre de brevets déposés (Owen-Smith 2003).
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[6]
L’analyse de la fondamentalisation de la production des chercheurs repose sur une échelle du « degré de fondamentalisation » développée par la société chi Research (fondée et dirigée par Francis Narin), qui classe les revues scientifiques de 1, pour les plus appliquées, à 4, pour les plus fondamentales.
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[7]
Concrètement, ils sont ceux qui ont refusé de s’inscrire dans les dichotomies proposées par les questions relatives à leur rapport aux pratiques marchandes.
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[8]
Les CRITT (centres régionaux d’innovation et de transfert technologique), créés au début des années 1980 sous l’égide du ministère chargé de la recherche, en partenariat avec les collectivités territoriales, pour soutenir le développement technologique des PME-PMI et leur fournir les moyens de ce développement, notamment en les mettant en relation avec des laboratoires de recherche publique.
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[9]
Y participe aujourd’hui à la gestion de l’incubateur régional d’Aquitaine. C’est en tant que tel qu’il témoigne ici de « ce qui se passe aujourd’hui ».
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[10]
Par « difficultés » nous entendons les problèmes rencontrés par les chercheurs qui ne sont pas directement ou pas nécessairement liés à la compatibilité des impératifs scientifiques et commerciaux, par exemple ceux relatifs à la maîtrise des textes réglementaires encadrant la valorisation.
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[11]
Par « tensions » nous entendons les problèmes directement liés à la rencontre des impératifs scientifiques et économiques dans le contexte de la création, par exemple les risques de traction par l’aval ou de court-termisme, mais également les problèmes liés à la répartition du temps de travail entre le laboratoire et l’entreprise.
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[12]
Il faut bien sûr prendre soin de ne pas interpréter trop vite les données de l’enquête, et ne pas attribuer sans précaution au mode de coordination les difficultés et tensions rapportées par les chercheurs. En effet, l’implication plus importante des Pionniers les expose à plus de problèmes. Mais ce facteur n’explique que marginalement les tensions et les difficultés que rencontrent les Pionniers : si les individus les plus instables et les plus impliqués sont exclus de l’analyse, on constate que les profils de chacune des classes changent peu, et que les Pionniers sont toujours les plus touchés par les tensions et les difficultés.
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[13]
Une Convention Industrielle de Formation par la Recherche est un financement privé de thèse de doctorat, reconnu et soutenu par l’État.