CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’ambition d’interroger les rapports des étudiant·e·s aux enseignements dans le supérieur oblige à trouver les moyens d’objectiver la situation de cours, les interactions, les modes de réception et les pratiques qui y ont lieu, et à produire des données à cet effet [1]. Ainsi, et de façon non exhaustive, diverses recherches ont montré l’intérêt de s’appuyer sur des matériaux aussi riches que variés, comme les contenus de copies et les notes obtenues aux partiels (Soulié 2002), les annotations dans les bulletins scolaires de classes préparatoires (Bourdieu et de Saint Martin 1975 ; Blanchard, Orange et Pierrel 2017), l’observation ethnographique des cours magistraux (Boyer et Coridian 2002) ou encore les données statistiques relatives aux pratiques de lecture étudiantes (Lahire 2002). À partir de ces matériaux, les chercheur·e·s se sont intéressé·e·s aux mécanismes de reproduction sociale (Bourdieu et Passeron 1964) et aux rapports différenciés que les étudiant·e·s entretiennent avec l’institution scolaire. Ces questions renvoient en particulier à l’expansion de l’Université et à l’arrivée de celles et ceux qu’on a appelé·e·s les nouveaux et nouvelles étudiant·e·s (Erlich 1998), peu familier·e·s de cette institution.

2Dans son travail sur les classes préparatoires, Muriel Darmon note néanmoins que la « fonction technique » des institutions scolaires – c’est-à-dire la manière dont elles forment et transforment les individus – a souvent été délaissée en sociologie (Darmon 2013). A fortiori, la question de l’effet propre des enseignements, c’est-à-dire de la réception et de l’appropriation des savoirs, a d’autant plus de risque d’être laissée à l’abandon qu’elle est souvent perçue comme relevant du domaine des sciences didactiques, ou d’un questionnement professoral du type « le cours est-il su ? ». Et les sociologues de délaisser cet objet pour d’autres, où ils et elles courent moins le risque de ressembler à un·e professeur·e inquiet·e, étant donné que « rendre publics [leurs] questionnements peut être interprété comme un signe d’incompétence » (Serre 2019 : 4). De plus, le versant enseignant du métier étant moins valorisé que la recherche, la nécessité de ne pas y « perdre du temps » entrave cette réflexion. Comme le souligne Bernard Lahire, la sociologie gagne pourtant à ne pas négliger certains aspects de la réalité et à investir les objets des sciences connexes comme la didactique. Il s’agit donc pour nous, sociologues, de réinscrire les apprentissages dans leur contexte et de décrire les processus socialement différenciés d’appropriation des savoirs (Lahire 2007 : 73).

3Notre enquête porte sur les étudiant·e·s de première année en administration économique et sociale (AES) au sein d’une université parisienne. L’intérêt de ce choix est triple. D’abord, la licence AES est la filière privilégiée par les nouvelles populations entrantes à l’Université, dont le recrutement se caractérise par la féminisation et la diversification des appartenances de classe (Filhon 2010 ; Nicourd, Samuel et Vilter 2012 ; Beaud 2002). En tant que filière de nouveaux et nouvelles entrant·e·s dans le supérieur, la filière AES possède ainsi la particularité de réunir, à grande échelle et plus que toute autre filière universitaire, baccalauréats généraux, technologiques et – dans une moindre mesure – professionnels, à hauteur, respectivement, de 50 %, 27 % et 18 % à l’échelle nationale pour la rentrée 2016 (DEPP-MEN 2017 : 191). Notre corpus reflète globalement cette répartition nationale, avec les deux filières emblématiques que sont le baccalauréat général ES (52 % des effectifs) et le baccalauréat technologique STG ou STMG (19 %). Cette singularité permet d’interroger la réception des savoirs dans la continuité des travaux sur la différenciation des rapports à l’École, et à l’Université plus particulièrement. La deuxième raison tient au caractère pluridisciplinaire de la filière, qui expose les étudiant·e·s à des matières aux traditions et aux méthodologies différentes – dans l’université enquêtée, il s’agit de la sociologie, l’économie, le droit et l’histoire. Ainsi, la question de la réception des savoirs se combine avec celle de la perception des différentes disciplines. Cette pluridisciplinarité va de pair avec un rapport moins académique aux savoirs enseignés, étant donné l’objectif affiché de professionnalisation de l’Université par la création de filières sans dominante disciplinaire, objectif dont se sont en partie emparé·e·s les étudiant·e·s d’AES qui valorisent moins le contenu de leurs cours que l’accès à un diplôme (Filhon 2010). Enfin, la troisième raison se rapporte, plus spécifiquement encore, aux savoirs de sociologie exposés dans le cadre de cette formation. L’enquête est en effet née d’interrogations de doctorant·e·s-enseignant·e·s de travaux dirigés (TD) confronté·e·s aux réactions de leurs étudiant·e·s visiblement heurté·e·s par certains énoncés du programme [2] et du souhait d’éclairer celles-ci par une démarche scientifique. En ce sens, enquêter sur un contexte de classe en tant qu’enseignant·e a pu constituer un atout, car la connaissance des parties du programme qui ont suscité des réactions visibles en classe a permis de construire un questionnaire qui aborde sciemment ces passages-clés.

4La conception du questionnaire, sa passation et l’interprétation des statistiques obtenues suivent les règles – et possèdent les avantages méthodologiques – de l’étude de cas (Gros 2017). Ainsi, l’ambition n’est pas de dégager des résultats généralisables à l’échelle nationale mais d’explorer un cas localisé d’enseignement, dans un contexte où les programmes diffèrent d’une université à l’autre, particulièrement dans les cursus disciplinaires comme la licence AES. En ce sens, les résultats quantitatifs n’ont pas vocation à être représentatifs d’une population mère, et nous n’utilisons donc pas de tests d’inférence statistique qui en rendraient l’interprétation erronée. En effet, nos résultats nous permettent de rendre intelligibles les mécanismes à l’œuvre dans l’échantillon des répondant·e·s, la force et la nature des liaisons sont appréciées dans ce cas et non dans un cas plus général. Dans cette logique, nous avons opté pour une présentation des résultats inspirée du travail de Julien Gros (2017).

5Étudier la réception des savoirs implique de distinguer deux dimensions qui ne se recoupent qu’imparfaitement : la capacité de restitution des connaissances transmises lors des examens et l’adhésion à celles-ci. Les enseignant·e·s mesurent le plus souvent l’acquisition des connaissances présentées en cours à l’aide des examens. Or, les résultats scolaires reflètent en réalité une conformité aux attentes de l’institution mais ne rendent pas compte de l’adhésion aux connaissances des étudiant·e·s. Par adhérer, nous entendons déclarer comme « vrais » les énoncés présentés dans notre questionnaire, ce qui renvoie davantage à l’approbation qu’à la compréhension ou à l’incompréhension. Ainsi, nous préciserons la manière dont certains résultats sociologiques de L1 AES font l’objet d’une mise à distance de la part des étudiant·e·s et décrirons les spécificités de la situation pédagogique permettant d’éclairer les décalages avec leurs enseignant·e·s.

6Il nous faut d’abord nous écarter de la vision évaluatrice de la réception des savoirs et examiner des formes de mise à distance qui ne peuvent être réduites à une distance strictement scolaire entre un·e étudiant·e et des connaissances plus ou moins acquises, ou comprises. Il s’agit ensuite de comprendre la situation pédagogique comme le lieu d’une confrontation entre des agents émetteurs et récepteurs aux dispositions sociales contrastées, matrices actives des rapports professoraux et estudiantins aux savoirs sociologiques.

Non-réponse et frontière en halo de la promotion des L1 AES

Notre enquête a été menée en 2015-2016 au sein d’une université parisienne, auprès des 218 étudiant·e·s inscrit·e·s en TD de sociologie de 1re année d’AES et présent·e·s en TD pendant la passation au second semestre [3]. Les questionnaires papier ont été remplis en début de cours en présence d’un·e enquêteur·trice qui ne faisait pas partie de l’équipe enseignante. La présence en TD étant obligatoire, cette méthode est apparue comme la plus adaptée pour accéder aux personnes moins enclines à remplir un questionnaire, très scolaire sous certains aspects.
La qualité de la passation est souvent évaluée à l’aune du « taux de réponse », c’est-à-dire du rapport entre la population ayant répondu à l’enquête et la population ciblée. Or, l’instabilité des frontières de la population des étudiant·e·s de L1 AES complique le calcul de cet indicateur. Les abandons en cours d’année, notamment liés à une entrée par défaut dans cette filière [4], font bouger les contours de la promotion en cours d’année, de même que les inscriptions en licence au fil de l’eau (quatre-vingts personnes environ ont rejoint la L1 au second semestre). En outre, les étudiant·e·s qui exercent un emploi salarié peuvent obtenir une dispense d’assiduité en TD et s’inscrire en examen terminal. Rapporté à l’ensemble des personnes inscrites en L1 AES, le taux de réponse à notre enquête est de 41 % (218 sur 533), alors qu’il passe à 54 % (218 sur 405) lorsqu’on se limite aux personnes inscrites en contrôle continu et présentes au partiel de janvier.
Les incertitudes autour du taux de non-réponse ne relèvent pas d’un simple problème de rigueur technique. Elles sont la traduction de la faible consistance objective des frontières de la population enquêtée et de l’existence d’un « halo » plus ou moins large composé de personnes qui fréquentent l’université de façon intermittente. Ces éléments prennent sens dans un contexte universitaire moins « enveloppant » que d’autres institutions comme les classes préparatoires (Darmon 2013) et pouvant être vécu comme « écrasant » et générateur d’une perte de repères et d’une désorganisation temporelle chez les publics les plus éloignés de la culture savante (Beaud 2002).

Accéder aux perceptions étudiantes : le rapport distancié aux savoirs sociologiques

La gestion incertaine du double rôle enseignant·e-chercheur·e

7Un problème de départ se pose lorsqu’un·e sociologue décide de prendre ses étudiant·e·s pour objet d’étude. Comme le dit Fabien Truong, « cet exercice de réflexivité consiste à se demander en quoi les façons d’agir, de sentir et de penser du professeur sont reliées aux façons de faire, de classer et d’observer de l’enquêteur, en identifiant les limites comme les spécificités d’une telle position sociale et ce qu’elles impliquent dans la production, la restitution et l’interprétation du matériel ethnographique » (Truong 2014 : 159). Dans notre cas, il s’agissait plus précisément de mener une enquête sur la réception et la perception de la sociologie par les étudiant·e·s, sans en faire une évaluation de connaissances. L’ambition était d’approcher ce qu’elles et ils peuvent exprimer sur des savoirs transmis lorsque l’autorité professorale et les sanctions potentielles associées à la critique du cours pèsent moins fortement sur la prise de parole. Notre réflexion a initialement été motivée par des doutes et des réticences exprimés ponctuellement en cours par les étudiant·e·s. Les interactions en TD n’ayant pas été décrites par le biais de notes ethnographiques, seules les expressions les plus manifestes de désaccords nous sont restées en mémoire et ont fait l’objet de récits échangés entre collègues. Nous avons par exemple le souvenir d’une étudiante qui s’est exclamée, lors d’une séance consacrée aux inégalités scolaires : « Madame c’est des préjugés ça, que les élèves style ouech ouech y réussissent pas bien à l’école ! », ou encore de l’embarras suscité par l’article « Jeunes ouvriers bacheliers » (Beaud 2000), qui évoque le parcours d’un ouvrier intérimaire titulaire d’une maîtrise d’AES. Ce support de cours avait conduit une étudiante à exprimer son désappointement : « Mais alors madame, ce texte dit que tout ce qu’on fait ne sert à rien ? »

8Nous faisions l’hypothèse que ces moments de trouble, bien que relativement rares, étaient le reflet d’un malentendu plus profond avec les étudiant·e·s, et nous souhaitions approfondir cette piste grâce à la mise en place d’une enquête par questionnaire. Les premières versions de celui-ci témoignent, cependant, de la difficulté à s’extraire des réflexes professoraux intériorisés et à échapper à la reproduction d’un rapport étudiant·e-enseignant·e. Certaines questions reproduisaient une vision évaluatrice : « Quels auteurs connaissiez-vous avant d’entrer à l’Université ? » ou « Lors de vos révisions, quels sont les supports que vous utilisez régulièrement ? » Elles contenaient des a priori liés à nos propres trajectoires scolaires et notre intérêt pour cette discipline, présupposant une familiarité avec la sociologie et un investissement actif dans les études. Les versions ultérieures du questionnaire se sont centrées davantage sur les pratiques et sur la parole des étudiant·e·s. Cela s’est traduit, par exemple, par des questions sur le fait de fréquenter des camarades de promotion ou de parler du cours de sociologie en dehors de l’université (Figure 1, question 6).

Figure 1

Exemple de questions présentes dans la version finale du questionnaire

Figure 1

Exemple de questions présentes dans la version finale du questionnaire

9À travers le questionnaire nous avons également essayé d’interroger les étudiant·e·s sur ce qu’ils et elles pensent des savoirs transmis en cours (Figure 1, question 7). Pour ce faire nous avons repris cinq propositions sociologiques, tirées directement du fascicule de cours distribué au début du semestre et touchant des thématiques comme les inégalités et la reproduction sociale, les différences de genre et les pratiques culturelles. La passation du questionnaire ayant eu lieu vers la fin du second semestre, il s’agit de thématiques qui avaient été étudiées en cours. S’il est probable qu’une partie des étudiant·e·s ne les avaient plus en tête au moment de l’enquête, les énoncés visaient à rappeler à leur souvenir les réactions suscitées en TD.

  • Proposition 1) D’après l’INSEE, en 2010, les diplômés du supérieur ont moins de risque en moyenne d’être au chômage que les sans diplômes ;
  • Proposition 2) D’après l’INSEE, en 2010, les enfants d’ouvriers et les enfants d’employés ont moins de chances en moyenne d’obtenir le baccalauréat que les enfants de cadres ;
  • Proposition 3) Selon Bourdieu, le bac G2 (équivalent du STMG aujourd’hui) « condamne à un enseignement qui n’a de supérieur que le nom » ;
  • Proposition 4) Les inégalités entre hommes et femmes s’expliquent en partie par le fait que les petites filles et les petits garçons n’ont pas les mêmes jouets ;
  • Proposition 5) Regarder la télévision tous les jours est une pratique moins légitime qu’aller voir une pièce de théâtre.

10La sélection des extraits de cours de TD s’est faite en privilégiant les points du programme dont l’enseignement avait suscité un certain inconfort et qui nous semblaient avoir pu heurter des étudiant·e·s. Les propositions n’ont donc pas vocation à être représentatives des enseignements donnés tout au long de l’année. En L1, le rôle qui incombait aux chargé·e·s de TD de sociologie était d’accompagner les étudiant·e·s dans la lecture de tableaux statistiques portant sur les inégalités sociales et de faciliter leur compréhension de textes à partir d’un programme prédéfini. Outre l’évocation de trois résultats relatifs aux thématiques du chômage, de l’école et des pratiques culturelles, nous avons opté dans le questionnaire pour une citation qui figure dans un court extrait de l’article « Les exclus de l’intérieur » (Bourdieu et Champagne 1992) présenté en double page dans la brochure distribuée aux étudiant·e·s. Les chargé·e·s de TD étaient invité·e·s à commenter l’extrait ainsi : « Comme on le voit dans cet extrait, les élèves des filières reléguées sont maintenus dans les marges du système mais ils en incorporent les hiérarchies, c’est-à-dire qu’ils se vivent comme des lycéens au rabais » (extrait du support de cours destiné aux chargé·e·s de TD). Nous souhaitions également introduire dans le questionnaire la thématique du genre dont l’enseignement nous avait paru délicat. Cette question était abordée plus longuement en cours magistral mais la seule séance de TD qui lui était consacrée s’appuyait sur des tableaux statistiques de l’INSEE relatifs au partage des tâches domestiques qu’il s’agissait d’interpréter en faisant référence à la socialisation de genre. Face à un public manifestement dubitatif et étant donné le peu de temps imparti, plusieurs enseignant·e·s avait choisi d’évoquer les jouets comme preuve matérielle d’une éducation sexuée et de l’existence de déterminants sociaux des inégalités domestiques. L’usage de cette ficelle en l’espace d’une séance a sans doute pu conduire à exposer aux étudiant·e·s une description très mécaniste du processus de socialisation. Ainsi la formulation elliptique introduite dans le questionnaire (proposition 4) vise justement à restituer la fragilité scientifique de certains contenus de cours, qui sont en partie le résultat de contraintes pratiques d’enseignement.

11Confronté·e·s à ces assertions, les étudiant·e·s pouvaient cocher un ou plusieurs items relatifs tant à la véracité (« c’est vrai », « ce n’est pas tout à fait exact », « c’est faux », « c’est évident ») qu’à la moralité (« c’est injuste », « c’est méprisant ») de la proposition [5]. Ainsi nous voulions susciter chez les étudiant·e·s une réponse qui exprimait davantage un point de vue qu’une restitution des connaissances. D’autres techniques visaient à rompre avec une logique d’évaluation : un rappel au début du questionnaire qu’« il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse » ; l’usage du mot « proposition » au lieu de « résultat » ou « affirmation » afin de réduire l’effet d’autorité scientifique ; et les stratégies de présentation de soi des enquêteurs·trices lors de la passation (mise en avant de la position de doctorant·e, absence de références à nos propres responsabilités pédagogiques, rappel à l’oral qu’il n’y a pas de mauvaises réponses, etc.). Enfin, les enquêteurs·trices responsables de la passation du questionnaire, bien qu’ayant aussi des activités d’enseignement, ne faisaient pas partie du département d’AES et n’étaient donc pas (re)connu·e·s comme des enseignant·e·s.

Des registres variés d’acceptation des savoirs sociologiques

12Lorsque Fabien Truong se pose la question de la réception des travaux de Pierre Bourdieu par des lycéen·ne·s en Seine-Saint-Denis, il affirme que les mises en doutes et les critiques exprimées en cours « ne peu[vent] pas durer longtemps car les objections historiques ou morales des élèves ne tiennent pas face aux documents de l’INSEE les plus récents » (Truong 2010 : 3). La vérité scientifique l’emporterait face aux réticences des étudiant·e·s dans un « moment de remise en question collective » (Truong 2010 : 2). Cependant, l’adhésion des étudiant·e·s aux affirmations sociologiques semble plus nuancée que ne le laissent penser leurs comportements en cours face à l’enseignant·e.

Graphique 1

Avis relatifs à la véracité des énoncés enseignés

Graphique 1

Avis relatifs à la véracité des énoncés enseignés

Champ : tou·te·s les étudiant·e·s de L1 AES présent·e·s en TD de sociologie lors de la semaine de référence (N = 218).
Lecture : 2 % des étudiant·e·s de L1 AES ont répondu « c’est faux » à la proposition 1.

13Le Graphique 1 ci-dessus illustre les avis des étudiant·e·s par rapport aux propositions mentionnées plus haut, et les situe dans une échelle d’appréciation de leur véracité. Celle-ci va d’une adhésion totale aux énoncés (« c’est vrai » ; « c’est évident ») à leur négation (« c’est faux »), en passant par une appréciation plus nuancée (« ce n’est pas tout à fait exact »). Les cas où aucun de ces quatre items n’a été coché, soit à cause d’une non-réponse à la question, soit lorsque seuls des items n’ayant pas trait à la véracité [6] ont été choisis, ont été regroupés dans la partie hachurée du graphique.

14Un premier résultat frappant est la fréquence de réponses qui mettent en doute, partiellement ou entièrement, la véracité des énoncés. À l’exception de la proposition 1, moins de 40 % des étudiant·e·s répondent « c’est vrai » aux diverses propositions sociologiques présentes dans le questionnaire. À l’inverse, le rejet total de ces mêmes énoncés (réponse « c’est faux ») présente aussi des variations importantes, allant de 2 % (proposition 1) à 31 % (proposition 4). Contrairement à notre hypothèse de départ, les réponses qui émettent un jugement moral sont beaucoup moins fréquentes (entre 6 % et 26 %) que celles qui expriment un jugement sur la véracité des énoncés. Convaincu·e·s que la critique porterait davantage sur le registre de la moralité, au vu des réactions en classe, nous avions d’ailleurs omis dans un premier temps d’ajouter l’option « c’est faux » à la liste des items à cocher, ce que nous avons finalement fait dans la dernière version du questionnaire.

15La variation dans les taux d’acceptation ou de rejet des énoncés nous indique que les étudiant·e·s ne sont pas insensibles aux différences entre les thématiques abordées en cours. On aurait pu s’attendre à ce qu’un·e étudiant·e coche le même item pour chaque proposition, reflet d’un rapport aux savoirs de la discipline dans leur ensemble. Or, les variations dans les réponses laissent penser que les étudiant·e·s jouent un rôle actif dans la sélection des savoirs qu’ils et elles considèrent les plus véridiques en fonction de leurs intérêts ou expériences personnelles. Soulignons également que l’évocation d’une source scientifiquement légitime comme l’INSEE ne produit pas une adhésion automatique des étudiant·e·s aux énoncés (propositions 1 et 2).

Une dissociation entre les compétences scolaires et l’adhésion à la discipline

16Le biais inhérent à notre position d’enseignant·e-enquêteur·trice nous a d’abord fait penser que le manque d’adhésion aux énoncés sociologiques serait lié à un manque de maîtrise des connaissances au programme. Afin d’explorer cette hypothèse, nous avons croisé les réponses concernant la véracité des extraits du cours avec les moyennes autodéclarées en sociologie au premier semestre. Le tau-b de Kendall, qui nous permet d’observer l’association statistique entre une variable catégorielle ordonnée (moyenne obtenue, découpée par tranches de deux points) et une variable binaire (par exemple répondre « c’est faux » plutôt qu’autre chose) (Laurencelle 2009), montre une faible corrélation entre les avis exprimés et la moyenne déclarée (Tableau 1) [7]. Seules les non-réponses, regroupées avec les réponses atypiques (« sans avis », « je ne comprends pas », etc.), se caractérisent par une liaison statistique forte et négative avec le niveau universitaire pour les cinq citations. Autrement dit, la non-réponse est d’autant plus fréquente que la moyenne en sociologie est basse. À l’inverse, la réponse « c’est faux », qui remet en cause la véracité des énoncés de la manière la plus tranchée, n’est pas liée aux notes obtenues dans la matière. Aucune association statistique claire entre ces deux variables n’est observable, quelle que soit la proposition considérée. Pour la proposition 3, par exemple, le taux de « c’est faux » est relativement stable quelle que soit la moyenne déclarée : 19 % des étudiant·e·s du tiers supérieur (12 de moyenne ou plus), 16 % des étudiant·e·s de niveau intermédiaire (entre 10 et 12 de moyenne), et 13 % des étudiant·e·s du tiers inférieur (moins de 10 de moyenne).

Tableau 1

Association statistique (tau-b de Kendall) entre la moyenne obtenue au 1er semestre en sociologie et l’avis concernant les extraits de cours

« C’est vrai »« Ce n’est pas tout à fait exact »« C’est faux »Autres réponses et non-réponses
Proposition 10,090,05-0,07-0,22
Proposition 20,16-0,060,03-0,18
Proposition 30,090,230,06-0,29
Proposition 40,050,11-0,04-0,22
Proposition 50,030,070,04-0,17

Association statistique (tau-b de Kendall) entre la moyenne obtenue au 1er semestre en sociologie et l’avis concernant les extraits de cours

Champ : tou·te·s les étudiant·e·s de L1 AES présent·e·s en TD de sociologie lors de la semaine de référence et ayant renseigné leur moyenne en sociologie (N = 185).
Lecture : plus le tau-b de Kendall est proche des valeurs extrêmes -1 (association négative maximale) et 1 (association positive maximale), plus l’association entre les variables est forte. Un coefficient égal à zéro signifie qu’il n’y a pas d’association entre les variables. Par exemple, il y a une faible association statistique entre le fait de répondre « c’est vrai » à la proposition 1 et la moyenne en sociologie (tau-b de Kendall de 0,09).

17Il y a donc une distinction à faire entre l’adhésion à un énoncé et la capacité à restituer les connaissances de manière scolaire. En créant une situation où la critique du cours est rendue plus acceptable, notre dispositif d’enquête révèle les divergences entre les interactions en classe avec l’enseignant·e, qui autorisent rarement une remise en cause trop radicale de la validité scientifique des contenus pédagogiques, et les avis qui peuvent s’exprimer dans des espaces où les enjeux scolaires sont moins présents.

18Ceci étant, notre enquête a rencontré quelques difficultés qui méritent d’être soulignées. Tout d’abord, si elle a permis de réduire les enjeux scolaires, elle ne les a pas fait totalement disparaître. Notre démarche conserve en partie une dimension scolaire, intrinsèque à notre objet, dont il est difficile de définir précisément les effets sur les réponses. Ainsi, lors d’une séance de restitution des résultats devant les étudiant·e·s [8], certain·e·s ont souligné l’ambivalence de notre méthode et les questions qu’ils et elles s’étaient posées pour remplir le questionnaire. Une étudiante confie qu’après la passation du questionnaire, elle s’est interrogée avec d’autres camarades concernant les questions sur les énoncés sociologiques pour savoir « s’il fallait répondre de façon sociologique ou s’il fallait dire vraiment ce qu’on pensait [9] ». Une autre ajoute : « vraiment moi ma perception, je ne savais pas si les réponses venaient vraiment de moi ou si c’est ce que j’avais appris pendant l’année. Je savais pas si j’aurais répondu différemment si j’avais pas fait cette filière, si j’avais pas suivi les cours cette année ». Enfin, un étudiant nous fait part d’une difficulté à démêler l’influence de ce qu’on a « envie » de penser et de « ce qu’on a appris en cours » et nous demande ce que nous attendions des étudiant·e·s. Ces retours témoignent d’une ambiguïté dans le rapport à l’enquête présente chez certain·e·s étudiant·e·s qui se sont senti·e·s pris·e·s entre d’un côté, une logique scolaire de restitution de connaissances en vue d’une évaluation, et de l’autre, une distance morale par rapport aux contenus enseignés en cours et repris dans le questionnaire.

19Une seconde difficulté, d’un autre ordre, réside dans le fait que la méthode par questionnaire avec des questions fermées nous a fait agréger des réponses identiques qui n’ont pourtant pas, à l’évidence, la même signification pour tout·e·s les enquêté·e·s (Bessière et Houseaux 1997). Il apparaît que les réponses « ce n’est pas tout à fait exact », voire « c’est faux », fréquentes chez tout·e·s les étudiant·e·s quel que soit leur niveau scolaire ou leur milieu social, ont été comprises différemment selon les enquêté·e·s. Dans certains cas, la réponse « ce n’est pas tout à fait exact » peut correspondre à une façon prudente ou polie de dire que c’est faux. À l’inverse, répondre « ce n’est pas tout à fait exact » peut être l’expression d’une rigueur scientifique et permettre de nuancer l’énoncé sans le remettre en cause entièrement. Ainsi, le ton provocateur de la citation de Bourdieu semble avoir heurté les exigences de prudence interprétative intériorisée par les élèves les plus conformes aux attentes scolaires. En effet, la moyenne en sociologie est corrélée positivement à l’item « ce n’est pas tout à fait exact » pour cette proposition, avec un tau-b de Kendall de 0,23 (Tableau 1). Par ailleurs, une étudiante qui a répondu « ce n’est pas tout à fait exact » à la proposition relative au genre, semble avoir voulu enrichir l’énoncé avec d’autres facteurs d’inégalité entre femmes et hommes. Elle écrit à côté de sa réponse « socialisation différenciée/discrimination de genre ». Ses ressources sociales et scolaires, exceptionnellement élevées relativement à la population enquêtée [10], expliquent sans doute qu’elle ait été la seule à laisser une annotation – les marges des autres questionnaires étant restées vierges pour cette proposition. Sa remarque entre en résonance avec celle d’une étudiante qui, l’année précédant l’enquête, souligne en TD le caractère réducteur de l’interprétation proposée, faisant remarquer que les jouets évoqués n’existaient pas encore dans l’Antiquité.

20La dernière difficulté concerne la mesure du niveau scolaire en sociologie grâce à la moyenne autodéclarée dans cette discipline. Une trentaine de personnes, soit 15 % de la population interrogée, n’ont pas pu être prises en compte dans le Tableau 1 car elles n’ont pas renseigné leur moyenne du premier semestre. Celles-ci se caractérisent par un taux élevé de réponses « c’est faux » aux cinq propositions, compris entre 26 et 52 % selon les cas (sauf pour la proposition 1), soit une valeur systématiquement plus élevée que chez les étudiant·e·s qui ont renseigné leur moyenne. Or, plusieurs éléments laissent penser qu’il s’agit d’un groupe dont le niveau scolaire en sociologie est globalement faible. Il comprend d’abord les personnes qui se sont réorientées en AES au second semestre, et qui ont donc eu moins le temps de se familiariser à la sociologie. Certaines non-réponses concernant la moyenne s’expliquent certainement par une forme de pudeur ou de résistance à l’intrusion vis-à-vis des enquêteurs·trices et des camarades voisin·es pendant le remplissage, attitude d’autant plus probable lorsque la moyenne obtenue est faible. Enfin, les étudiant·e·s les moins acculturé·e·s au fonctionnement universitaire ont pu ne pas répondre par méconnaissance de leurs notes, étant donné que les copies de partiels ne sont consultables que sur demande et que les moyennes semestrielles de contrôle continu et terminal sont communiquées via le secrétariat. Malgré la petite taille de ce groupe et l’incertitude concernant les raisons précises de la non-réponse, ce résultat suggère donc que la familiarité avec les contenus de cours mentionnés dans le questionnaire ait pu, dans une certaine mesure, influencer les réponses.

21En résumé, notre enquête met en évidence la façon dont les étudiant·e·s mettent à distance certains énoncés sociologiques auxquels ils et elles ont été confronté·e·s pendant leur formation universitaire. Contrairement à nos attentes initiales, il apparaît clairement que ces dernier·e·s ont souvent remis en question la validité des savoirs transmis, sans que cela puisse être expliqué par leur niveau scolaire. Loin des prénotions d’enseignant·e, il s’avère qu’être « bon·ne élève » – avec les limites qu’induit l’autodéclaration de la moyenne – ne garantit nullement l’adhésion à la sociologie. Cela suggère que d’autres facteurs entrent en jeu, comme les propriétés sociales. Il s’agit donc d’explorer l’hypothèse d’un décalage entre ces deux publics, l’un largement convaincu de la matière qu’il enseigne, des acquis de la sociologie et de la rigueur empirique des recherches qu’il mobilise, l’autre beaucoup moins.

Des dispositions sociales à la remise en question des énoncés du cours de sociologie

Décalages entre étudiant·e·s et enseignant·e·s : des acteurs et actrices en interaction aux propriétés sociales éloignées

22Nous avons montré que la position d’autorité de l’enseignant·e et la sanction que représente le contrôle des connaissances tendaient à inhiber l’expression des désaccords par les étudiant·e·s en classe. Mais au-delà des différences de fonction et d’âge, les enseignant·e·s et les étudiant·e·s sont également des agents sociaux aux profils parfois éloignés. S’intéresser à la distance sociale entre des personnes engagées dans une interaction pédagogique relève d’un travail d’objectivation de leurs propriétés sociales et des effets éventuels sur leurs rapports différenciés au savoir, au fondement de distorsions entre émission et réception pédagogiques.

23Afin de comparer ces deux populations, nous avons soumis aux enseignant·e·s un questionnaire portant sur leurs trajectoires sociales et scolaires [11]. Il en ressort d’abord que l’équipe pédagogique de première année de licence est essentiellement composée de jeunes chercheur·e·s non titulaires, recruté·e·s en tant que vacataires, doctorant·e·s contractuel·le·s ou attaché·e·s temporaires d’enseignement et de recherche (ATER), à l’exception des deux enseignantes titulaires en charge des cours magistraux. Souvent peu éloigné·e·s de leurs étudiant·e·s en termes d’âge, les chargé·e·s de TD s’en distinguent cependant par leurs parcours. Au moment de leur entrée dans l’enseignement supérieur, les enseignant·e·s étaient davantage doté·e·s en ressources scolaires et économiques propres et héritées. D’abord, si les individus ayant un bac général sont majoritaires dans les deux populations, les proportions et les séries ne sont pas les mêmes : 18 enseignant·e·s sur 20 ont un bac général (dont la moitié un bac S ou équivalent) contre 62 % des étudiant·e·s (bac ES dans la majorité des cas). Aucun·e enseignant·e n’a de bac professionnel et un seul a un bac technologique équivalent à STMG, contre respectivement 9 % et 19 % des étudiant·e·s. Une large majorité des enseignant·e·s a obtenu une mention au bac (16 enseignant·e·s sur 20, toutes mentions confondues), alors que c’est le cas de 45 % des étudiant·e·s. Enfin, la moitié des enseignant·e·s a suivi une classe préparatoire littéraire [12], seul·e·s 7 sur 20 étaient inscrit·e·s à l’Université et aucun·e n’était en AES.

24Ensuite, si l’on s’intéresse aux propriétés sociales des parents des deux populations, on constate encore des différences importantes. Un peu plus de la moitié des parents des enseignant·e·s a un diplôme d’enseignement supérieur (55 % pour les pères et pour les mères) contre 39 % des pères et des mères des étudiant·e·s. Concernant les professions des parents, le tableau ci-dessous illustre les écarts de répartition au sein de chaque population [13]. On remarque une distance verticale entre l’origine sociale des étudiant·e·s et celle des enseignant·e·s, les parents des premier·e·s ayant des professions moins élevées dans l’échelle sociale que ceux des second·e·s. En outre, le pôle culturel est largement surreprésenté chez les parents des enseignant·e·s par rapport à ceux des étudiant·e·s. En effet, 8 enseignant·e·s sur 20 ont un père lui-même enseignant et/ou chercheur (dont 2 pères qui enseignent dans le supérieur) et 6 ont une mère elle-même enseignante (dont 2 mères dans le supérieur). Chez les étudiant·e·s, seul·e·s 5 ont un père enseignant et 10 ont une mère enseignante (sur 218), principalement dans le primaire et le secondaire.

Tableau 2

Professions du père et de la mère chez les étudiant·e·s et les enseignant·e·s

Enseignant·e·s
(N = 20)
Étudiant·e·s
(N = 218)
PCS du père (après recodage)
2 – commerçants, artisans, chefs d’entreprise3 (soit 15 %)19 %
3 – cadres et professions intellectuelles supérieures13 (soit 65 %)27 %
4 – professions intermédiaires3 (soit 15 %)9 %
5 – employés018 %
6 – ouvriers1 (soit 5 %)16 %
Ne sait pas011 %
PCS de la mère (après recodage)
2 – commerçantes, artisanes, cheffes d’entreprise07 %
3 – cadres et professions intellectuelles supérieures5 (soit 25 %)17 %
4 – professions intermédiaires8 (soit 40 %)16 %
5 – employées2 (soit 10 %)34 %
6 – ouvrières01 %
Au foyer/ne sait pas5 (soit 25 %)24 %

Professions du père et de la mère chez les étudiant·e·s et les enseignant·e·s

Champ : tou·te·s les étudiant·e·s de L1 AES présent·e·s en TD de sociologie lors de la semaine de référence (N = 218) ; et tou·te·s les enseignant·e·s de TD de sociologie en L1 AES qui ont répondu au questionnaire. Les réponses, une fois recueillies, ont été recodées par les enquêteurs·trices.
Lecture : 1 enseignant·e sur 20 avait un père ouvrier l’année de son bac contre 16 % des étudiant·e·s en inscrit·e·s L1 AES l’année de référence.

25Les différences de trajectoires sociales, parce qu’elles peuvent induire des rapports différenciés au savoir, sont un élément central de la relation enseignant·eétudiant·e. Du fait de leur origine sociale, leur parcours scolaire et leur engagement professionnel, les enseignant·e·s sont prédisposé·e·s à entretenir un rapport « scientifique » (Darmon 2013) avec la sociologie. Cela les éloigne de leurs étudiant·e·s de licence AES, qui peuvent se représenter les études différemment. Les enseignant·e·s-chercheur·e·s peuvent percevoir leur discipline comme un « absolu » non réductible à son utilité et dont les pratiques légitimes doivent être maîtrisées. L’engagement pédagogique des doctorant·e·s est certes loin d’être désintéressé puisqu’il répond à des injonctions en vue d’une insertion professionnelle marquée par l’incertitude (Serre 2015). Pour autant, cet investissement répond bien souvent à un rapport « vocationnel » au métier de sociologue, typique des carrières intellectuelles, avec un rapport à la sociologie exprimé sur le registre de la « passion » ou de la « révélation » (Nicourd 2015). À l’inverse, les étudiant·e·s en première année d’AES adoptent un rapport plus « pragmatique » (Darmon 2013) aux disciplines enseignées. D’abord, les personnes d’origine sociale modeste et/ou qui ont des baccalauréats technologique et professionnel, surreprésentées au sein du groupe étudiant, se destinent en moyenne à des études moins longues que celles issues de milieux favorisés et/ou qui ont des baccalauréats généraux, à l’image de la majorité du groupe enseignant (Filhon 2010). Ensuite, les étudiant·e·s en AES ont tendance à valoriser le niveau de diplôme délivré plutôt que le contenu de la formation (Filhon 2010) et le cours est, dès lors, plutôt envisagé dans sa dimension d’utilité.

26L’enquête permet d’éprouver l’hypothèse selon laquelle une majorité d’étudiant·e·s adopterait un rapport pragmatique à l’apprentissage des savoirs (Graphique 2). Le questionnaire propose, en les opposant, deux rapports aux études supérieures. Une première question demande aux étudiant·e·s de situer les quatre disciplines qui forment le cursus principal d’AES (histoire, droit, économie et sociologie) selon leur « utilité pour l’insertion professionnelle », et une deuxième selon leur capacité à « favoriser la compréhension du monde actuel ». Ainsi, le questionnaire invite les étudiant·e·s à situer les disciplines de la licence, d’abord en fonction de l’horizon proche de l’emploi, ensuite en fonction de celui plus éthéré de la culture. Ces rapports renvoient d’un côté à la croyance en l’acquisition instrumentale des savoirs, de l’autre à la croyance en l’acquisition du savoir pour lui-même. Or, on observe que les étudiant·e·s déclarent consacrer plus de temps de travail personnel aux matières qui leurs semblent avoir la meilleure utilité pour l’insertion professionnelle [14]. Ainsi l’économie et le droit, qui sont les disciplines perçues comme les plus utiles à l’insertion professionnelle, sont aussi celles auxquelles ils/elles déclarent consacrer le plus de travail personnel. À l’inverse, la sociologie, bien qu’arrivée en tête du classement des disciplines permettant de mieux comprendre le monde actuel, fait l’objet d’un investissement moindre de leur part. On peut en déduire que c’est probablement l’économie et le droit qui assurent, à leurs yeux, la valeur de leurs études partant du fait que ces matières permettraient l’insertion professionnelle.

Graphique 2

Matières classées en première place par les étudiant·e·s selon trois dimensions

Graphique 2

Matières classées en première place par les étudiant·e·s selon trois dimensions

Champ : tou·te·s les étudiant·e·s de L1 AES présent·e·s en TD de sociologie lors de la semaine de référence (N = 218).
Lecture : à la question « Quelles sont les matières pour lesquelles vous travaillez le plus ? », 94 étudiant·e·s sur 218 attribuent la première place à l’économie.
Précisions : dans le questionnaire, les disciplines étaient proposées dans l’ordre suivant : droit, sociologie, histoire, économie. Certaines disciplines ont été classées premières ex æquo, d’où un effectif cumulé parfois légèrement supérieur à 218.

27Il ne faut pas pour autant homogénéiser à toute force le groupe des étudiant·e·s, dont une partie adopte en réalité un classement des disciplines qui les rapprochent de l’ethos de leurs enseignant·e·s. Ainsi, 30 répondant·e·s ont attribué la première place à la sociologie pour la quantité de travail effectué, parmi lesquel·le·s 25 attribuent à cette discipline la première place pour la « compréhension du monde actuel », mais pas pour l’insertion professionnelle. Il y a donc bien dans ce cas, peu fréquent, comme une effectivité de la représentation scientifique des études : ces étudiant·e·s travaillent d’abord pour la matière qui permet de « mieux comprendre le monde ».

28Nous faisons l’hypothèse que la distance sociale entre les enseignant·e·s et les étudiant·e·s ne facilite pas la transmission et la réception de la sociologie. Il est vrai que cette distance peut dans une certaine mesure être contrebalancée par une adaptation des techniques pédagogiques (Soulié 2002 ; Serre 2019) en fonction des propriétés des enseignant·e·s et du statut de leur discipline (Boyer et Coridian 2002). Sans en conclure donc qu’elle soit déterminante dans les décalages évoqués précédemment, puisque notre enquête ne s’est pas accompagnée d’observations en classe, on peut estimer que cette distance perpétue le malentendu entre des personnes convaincues de la validité scientifique des acquis de la sociologie et qui se trouvent en charge de transmettre le savoir, et d’autres personnes en position de réceptrices de ce savoir et qui ont des dispositions à en questionner certains énoncés. Cette opposition de deux blocs est cependant à nuancer, étant donné l’hétérogénéité interne de chacun d’entre eux. Nous pouvons faire l’hypothèse que l’équipe enseignante se caractérise par une diversité de postures et de pratiques proche de celle décrite au sein d’un autre département d’AES (Soriano 2012). Dans le même sens, le groupe étudiant présente de nombreuses divergences et désaccords internes que nous avons tenté d’explorer avec l’enquête. L’adhésion aux propositions de la sociologie ne se limite donc pas à ceux et celles qui sont socialement proches du groupe enseignant, ni leur remise en question à ceux et celles qui s’en éloignent. Élucider l’effet des variables sociales sur les taux d’adhésion à ces savoirs s’avère ainsi un exercice plus complexe, comme l’illustrent les réponses des étudiant·e·s aux énoncés sur le genre et sur les inégalités d’accès au baccalauréat.

Les déterminants de l’adhésion différenciée selon la thématique de cours

29Les propriétés sociales différenciées des étudiant·e·s expliquent leur inégal degré d’adhésion aux contenus des enseignements, qui peuvent parfois entrer en dissonance avec les représentations intériorisées au cours de leurs trajectoires. L’introduction de la notion de genre, qui s’accompagne en L1 de l’analyse de tableaux statistiques concernant les inégalités de travail domestique entre femmes et hommes, est par exemple reçue très différemment selon les propriétés sociales des étudiant·e·s (Graphique 3). Dans notre questionnaire, la proposition de cours relative au genre porte sur la différenciation sexuée des jouets.

Graphique 3

Part de réponses « c’est faux » à la proposition 4 : « Les inégalités entre les femmes et les hommes s’expliquent en partie par le fait que les petites filles et les petits garçons n’ont pas les mêmes jouets. »

Graphique 3

Part de réponses « c’est faux » à la proposition 4 : « Les inégalités entre les femmes et les hommes s’expliquent en partie par le fait que les petites filles et les petits garçons n’ont pas les mêmes jouets. »

Champ : tou·te·s les étudiant·e·s de L1 AES présent·e·s en TD de sociologie lors de la semaine de référence ayant renseigné leur sexe (N = 215).
Lecture : 28 % des étudiantes d’origine populaire ont répondu « c’est faux » à la proposition relative aux inégalités femmes-hommes. C’est moins que le taux moyen de réponses « c’est faux » qui s’établit à 31 % (ligne en pointillés).
Précisions : recodage de l’origine sociale en tenant compte de la situation professionnelle des deux parents :
  • origine populaire : mère employée/père ouvrier ou employé ; mère employée/situation du père non renseignée ; mère au foyer/père ouvrier ou employé ;
  • origine intermédiaire : au moins un parent de profession intermédiaire (sauf dans le cas où l’autre parent est cadre) ; au moins un parent indépendant (sauf dans le cas où l’autre parent est cadre) ; couples hétérogames (un parent cadre ; un parent employé ou ouvrier) ;
  • origine supérieure : mère cadre/père cadre ; mère au foyer/père cadre ; un parent cadre/un parent de profession intermédiaire ; un parent cadre/un parent indépendant.

30Nombreuses sont les personnes enquêtées à avoir émis des réserves au sujet de cette proposition, puisque 40 % d’entre elles indiquent que « ce n’est pas tout à fait exact », et 31 % disent que « c’est faux ». Cela peut s’expliquer en partie par l’absence d’un argument d’autorité telle qu’une référence à l’INSEE ou à un auteur comme Bourdieu, ainsi que par les limites déjà évoquées d’une formulation relativement elliptique. Ce résultat rejoint néanmoins le constat de Tania Angeloff et Céline Bessière concernant le « soupçon d’illégitimité » dont souffrent les études de genre à l’Université, qui se traduit par la tendance d’un certain nombre d’étudiant·e·s à faire un « procès en féminisme » aux enseignantes et à assimiler leurs cours à une « prise de position politique […] qui délégitime [à leurs yeux] le caractère scientifique des savoirs enseignés » (Angeloff et Bessière 2014 : 90). Le corps enseignant en L1 AES est composé d’une large majorité de femmes au moment de l’enquête [15], ce qui participe sans doute au scepticisme d’une partie des étudiant·e·s. Et même lorsqu’un homme aborde cette partie du cours en classe, il est soupçonné de militantisme. On se souvient d’une étudiante qui murmure de façon audible, lors de la séance consacrée au genre : « Eh mais le prof, c’est une Femen en fait ! » [16].

31Les données récoltées permettent d’aller plus loin, en montrant que la transmission pédagogique est soumise aux effets combinés des positions de genre et de classe. Elles mettent à jour une opposition entre les femmes d’origine sociale favorisée ou intermédiaire (mesurée par la profession des deux parents) aux hommes d’origine populaire ou intermédiaire (Graphique 3). Les premières répondent moins souvent « c’est faux » (respectivement 12 % et 18 %) à la proposition sur le genre que les seconds (respectivement 50 % et 43 %). Ainsi, les dispositions à rejeter cette proposition sont plus limitées chez les femmes que chez les hommes, de même qu’elles sont moins fréquentes au sein des milieux sociaux favorisés que dans les milieux populaires. Les femmes d’origine populaire et les hommes d’origine favorisée, combinant deux propriétés aux effets contradictoires, présentent des taux de réponse « c’est faux » proches de la moyenne.

32Précisons que les différences liées à l’appartenance de genre ne peuvent s’interpréter à l’aune des dispositions scolaires à la « docilité » des jeunes femmes s’opposant à l’esprit « agonistique » des jeunes hommes (Baudelot et Establet 1992). D’une part, les contrastes font écho à une tendance que l’on retrouve plus largement dans la société, à savoir que les femmes sont moins nombreuses que les hommes à désapprouver une éducation indifférenciée entre filles et garçons dans le cadre familial (Maudet 2017). D’autre part, la fronde masculine qui s’exprime au sujet de la proposition relative au genre fait place à celle des étudiantes lorsqu’il est question des inégalités scolaires.

33Si la « simple description de la relation entre le succès [scolaire] et l’origine sociale a une vertu critique », permettant de dénaturaliser le monde social (Bourdieu et Passeron 1964 : 104), son énonciation ne suffit pas toujours à convaincre. Ainsi la proposition 2 concernant les inégalités de réussite au baccalauréat entre enfants de cadres et enfants d’ouvrier·e·s et d’employé·e·s a fait en moyenne l’objet de 19 % de réponses « c’est faux ». Ici, les écarts de réponse entre catégories d’étudiant·e·s sont plus faibles que dans l’analyse précédente (Graphique 3), mais les réponses sceptiques sont aussi plus rares. Malgré des écarts modestes en points de pourcentage, l’association statistique entre les propriétés sociales (sexe et origine sociale) et la réponse « c’est faux » concernant les inégalités de réussite au bac est assez forte lorsqu’on se fonde sur une mesure en termes d’odds ratio[17] : par exemple les femmes d’origine populaire ou intermédiaire ont 2,1 fois plus de chances que le reste des étudiant·e·s de répondre « c’est faux » à cette question, et les femmes d’origine populaire ont même 2,8 fois plus de chances que les hommes d’origine populaire de répondre « c’est faux ». Les réponses plus fréquemment dubitatives peuvent être mises en lien avec les dispositions de ces jeunes femmes à percevoir l’institution scolaire comme une voie de salut (Terrail 1992), et donc une plus grande inclination à mettre à distance des chiffres qui viennent égratigner cette représentation. On sait par ailleurs que les écarts de réussite scolaire sont moins marqués chez les filles que chez les garçons (Baudelot et Establet 1992), ce qui permettrait de comprendre que les étudiantes aient plus de difficultés que les étudiants à adhérer à une assertion sociologique qui admet davantage d’exceptions et qui se vérifie moins systématiquement au sein des groupes de sociabilité féminine. Dans le cas des femmes d’origine populaire, les plus nombreuses au sein de la nouvelle population universitaire (Bugeja-Bloch et Couto 2018), répondre « c’est faux » plutôt que « c’est injuste » – cette dernière option ayant été plus rarement choisie –, ne reviendrait pas exactement à jeter le discrédit sur la statistique publique ou les compétences de l’enseignant·e. Cela pourrait plutôt être une forme de résistance à l’intrusion d’énoncés sociologiques vécus comme dépréciatifs (Amrani et Beaud 2004), assimilable au regard des classes populaires à l’égard de la culture dominante (Hoggart 1970).

Graphique 4

Part de réponses « c’est faux » à la proposition 2 : « D’après l’INSEE, en 2010, les enfants d’ouvriers et les enfants d’employés ont moins de chances en moyenne d’obtenir le baccalauréat que les enfants de cadres. »

Graphique 4

Part de réponses « c’est faux » à la proposition 2 : « D’après l’INSEE, en 2010, les enfants d’ouvriers et les enfants d’employés ont moins de chances en moyenne d’obtenir le baccalauréat que les enfants de cadres. »

Champ : tou·te·s les étudiant·e·s de L1 AES présent·e·s en TD de sociologie lors de la semaine de référence ayant renseigné leur sexe (N = 215).
Lecture : 24 % des étudiantes d’origine populaire ont répondu « c’est faux » à la proposition relative à la réussite au baccalauréat. C’est moins que le taux moyen total de réponses « c’est faux » qui s’établit à 19 % (ligne en pointillés).
Précisions : pour le codage de l’origine sociale, voir Graphique 3.

34À l’opposé, ce sont les jeunes hommes d’origine populaire, fortement exposés à l’échec scolaire et donc à la marginalisation sociale et professionnelle (Beaud 2009), et ceux d’origine favorisée, bien armés au contraire dans la compétition scolaire, qui semblent opposer la résistance la plus faible aux données statistiques pointant le rôle de l’École dans la perpétuation des inégalités sociales.

35Enfin, les étudiant·e·s d’origine intermédiaire ont 1,4 fois plus de chances que les autres de répondre « c’est faux » pour la proposition 2. Ainsi, la reproduction des inégalités sociales, souvent présentée en TD au travers d’une mesure fondée uniquement sur la profession du père, apparaît moins pertinente aux yeux de ce groupe d’étudiant·e·s dont une part importante sont enfants de couples mixtes, c’est-à-dire composés d’une mère et d’un père aux niveaux de qualification hétérogènes (voir le codage dans la légende sous le Graphique 3). En effet, parmi les étudiant·e·s dont le père est ouvrier ou employé, le taux de réponse « c’est faux » est plus élevé lorsque la mère occupe une profession intermédiaire ou de cadre ou travaille à son compte, que lorsqu’elle est employée, ouvrière ou au foyer. Ceci laisse penser que ce groupe peine à se retrouver dans les données statistiques présentées en TD qui omettent systématiquement les ressources sociales transmises par les mères.

36Des entretiens permettraient sans doute d’éclaircir la signification de ces réponses et d’en comprendre les logiques sous-jacentes, notamment dans les cas – certes assez isolés – où plusieurs cases contradictoires en apparence sont cochées. On peut donner l’exemple d’une étudiante boursière, de père ouvrier et de mère employée, bachelière ES, ayant obtenu la mention Bien au 1er semestre de licence. Pour la proposition 2, elle coche les cinq items suivants : « c’est vrai », « ce n’est pas tout à fait exact », « c’est faux », « c’est évident », et « c’est injuste ». Des pistes d’interprétation nous sont fournies par le témoignage de Younès Amrani qui explique que les données de l’INSEE relatives aux inégalités de réussite au baccalauréat peuvent être vécues par les élèves d’origine populaire « comme un verdict négatif, un jugement qui les “rabaisse”, “style, on n’est pas à notre place ici” » (Amrani et Beaud 2004 : 14). Dans cette logique, l’absence de réponse uniforme de cette étudiante pourrait être un moyen de mettre à distance un discours professoral sur sa propre condition sociale et de ne pas s’en laisser conter. Plus encore, ne pourrait-il pas s’agir d’une posture critique et réflexive à l’égard de la culture savante qui lui est exposée ?

37* * *

38Si l’activité d’enseignement se nourrit fréquemment d’une autoanalyse et d’une réflexion critique, les contraintes pratiques de la relation pédagogique empêchent souvent le recul nécessaire à son dévoilement. Cette difficulté est patente lorsqu’on s’intéresse au rapport que les étudiant·e·s entretiennent avec la sociologie en tant que mode de production des connaissances. D’où l’intérêt de sortir temporairement des routines professorales afin de distinguer l’adhésion aux énoncés sociologiques et la capacité à les restituer selon les modalités d’évaluation des connaissances habituelles. L’enquête par questionnaire révèle que les enseignements de sociologie sont souvent remis en question par les étudiant·e·s. Ce résultat permet d’objectiver le rapport pragmatique de ces dernier·e·s aux savoirs sociologiques, en décalage avec les dispositions scientifiques cristallisées au cours de nos trajectoires. Outre une opposition purement formelle tenant au statut (celui d’élève face à celui de professeur·e), les trajectoires sociales et scolaires des membres de l’équipe pédagogique diffèrent de celles des étudiant·e·s, tant par une proximité héritée avec la culture scolaire que par le passage plus fréquent par des filières du supérieur dotées d’une forte légitimité académique.

39Le fait que les étudiant·e·s mettent à distance certains énoncés n’est cependant pas l’expression de leur hostilité à la sociologie, mais signifie plutôt qu’elles/ ils opèrent une sélection active des savoirs, processus qui se décline différemment selon les positions de classe et de genre. Socialement situées, les remises en question s’expliquent aussi par la spécificité de la sociologie, science réflexive qui s’enseigne sur le mode de la proximité plutôt que de l’éloignement. La scientificité n’est pas au centre de la vision que les étudiant·e·s en AES ont de leurs études ; plus pragmatiquement, c’est d’obtenir un diplôme dont il est question. Il est certain que la sociologie est périphérique dans ce rapport aux études mais les étudiant·e·s, malgré ou avec leurs doutes, lui reconnaissent une utilité pour comprendre le monde. Peut-être justement est-ce le mode propre de l’appropriation de la sociologie que d’être appelée à être discutée et à heurter parfois. En ce sens, notre dispositif d’enquête mériterait d’être étendu à d’autres disciplines universitaires, afin de révéler le spectre plus large des manières estudiantines d’appréhender et de critiquer les savoirs.

40L’enquête collective invite donc à prendre au sérieux les doutes des étudiant·e·s, qui sont partie prenante de l’interaction pédagogique comme coconstruction. Ce travail, qui a besoin de s’inscrire dans le temps long, s’avère néanmoins difficile en l’absence de formation pédagogique et de stabilité professionnelle dans des filières caractérisées par un fort turnover enseignant.

Notes

  • [1]
    Cette recherche n’aurait pas pu avoir lieu sans l’aide de nombreuses personnes. Nous sommes particulièrement reconnaissant·e·s envers Guillaume Jobard et Céline Lis, qui n’ont pas pu se joindre à la rédaction de l’article, mais dont le soutien dans l’enquête, la conception du questionnaire et les premières étapes de l’analyse nous a été très précieux. Nous remercions chaleureusement les étudiant·e·s ayant participé à l’enquête, ainsi que les enseignant·e·s sociologues du département AES pour leur aide et les discussions qui ont nourri nos réflexions tout au long de ce travail. Merci aux doctorant·e·s qui ont participé au lancement de l’enquête, à la passation et à la saisie des questionnaires. Cet article a également bénéficié des remarques des participant·e·s à l’atelier doctoral du CESSP et des étudiant·e·s d’AES lors de la présentation de nos premiers résultats. Enfin, nous remercions pour leurs relectures Fanny Bugeja-Bloch, Marie-Paule Couto, Corinne Davault, Quentin Fondu et Arnaud Pierrel, ainsi que les relecteurs et relectrices anonymes de la revue.
  • [2]
    Bien que notre étude porte sur un cas localisé, ce constat est partagé par des enseignant·e·s d’autres universités ayant participé à l’atelier doctoral que nous avons organisé autour de ces questions.
  • [3]
    Quelques étudiant·e·s suivent les TD dans le cadre d’un cursus de classe préparatoire d’économiegestion. Ce groupe aux propriétés sociales et scolaires distinctes n’a pas été pris en compte dans l’enquête.
  • [4]
    Un quart des étudiant·e·s de notre enquête déclarent ne pas avoir inclus la licence d’AES dans leurs souhaits d’admission post-bac.
  • [5]
    La liste d’items a été élaborée en grande partie à partir des remarques des étudiant·e·s retenues par les enseignant·e·s de TD. Afin de simplifier le questionnaire, nous avons éliminé certaines options telles « c’est une erreur de l’enseignant·e », ou encore « les données ne sont pas représentatives », formulation jugée trop académique.
  • [6]
    À savoir, « je ne comprends pas », « c’est méprisant », « c’est injuste » ou « sans avis ».
  • [7]
    Le tau-b de Kendall est bien une mesure de la force de la liaison entre variables, et non un test de significativité (Gros 2016).
  • [8]
    Un an après la passation du questionnaire, nous avons présenté aux étudiant·e·s les résultats de l’enquête. La séance a eu lieu dans un amphithéâtre de l’université, lors de la dernière séance du semestre du cours magistral de sociologie de L2 AES. Plusieurs étudiant·e·s de notre corpus y étaient présent·e·s, malgré les redoublements et le déclin de l’assiduité en fin d’année universitaire.
  • [9]
    Les citations proviennent de nos notes, prises durant les interventions des étudiant·e·s.
  • [10]
    Fille d’un cadre supérieur du secteur bancaire et d’une cheffe de cabine dans le secteur aérien, elle a débuté une classe préparatoire HEC après un bac ES mention Bien, pour finalement se réorienter en licence AES. Elle fait partie des rares personnes interrogées ayant déclaré une moyenne en sociologie supérieure à 16.
  • [11]
    Ce questionnaire a été administré par voie électronique auprès des enseignant·e·s en charge des TD de sociologie de L1 AES au sein de l’université où a eu lieu l’enquête. Afin de garantir l’anonymat de nos collègues, nous avons décidé de ne pas nous limiter à l’équipe qui donnait cours pendant notre enquête et d’élargir notre corpus à toutes les personnes ayant enseigné au moins un semestre en L1 durant une période de référence de trois ans. Ce corpus comprend 12 vacataires, 14 contractuel·le·s (dont ATER) et 2 titulaires, soit 28 personnes, parmi lesquelles 20 ont répondu.
  • [12]
    Il s’agit dans la majorité des cas de classes préparatoires B/L, dites de « lettres et sciences sociales ».
  • [13]
    La position socioprofessionnelle des parents a été recodée par nos soins dans la grille de l’INSEE datée de 2003, à partir de la profession détaillée et du statut d’emploi. Lorsque ces informations étaient trop lacunaires, la PCS déclarée par les étudiant·e·s a été reprise à l’identique.
  • [14]
    À cette corrélation s’en ajoutent d’autres à ne pas négliger, comme la quantité de travail que peut représenter l’économie pour certain·e·s étudiant·e·s lorsqu’elle implique une maîtrise des mathématiques.
  • [15]
    Les cours magistraux sont assurés par deux femmes. Sur les 14 groupes de TD de sociologie, deux sont gérés par un homme au premier semestre, et c’est le cas d’un groupe seulement au second semestre.
  • [16]
    L’utilisation de l’écriture inclusive dans le questionnaire a également pu être identifiée par certain·e·s étudiant·e·s comme un parti pris féministe, bien que la partie du questionnaire relative aux propositions d’énoncés sociologiques n’en fasse pas usage.
  • [17]
    Pour une présentation des odds ratio (ou rapports des chances relatives, à distinguer des rapports de pourcentages) et de leur intérêt heuristique, voir l’explication de Pierre Mercklé : https://quanti.hypotheses.org/603/
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Cet article prend pour objet les réceptions estudiantines différenciées de la sociologie, à partir du cas d’une filière pluridisciplinaire placée au cœur des transformations récentes de l’Université. Les résultats de l’enquête collective montrent qu’il n’y a pas de lien entre le niveau scolaire des étudiants et des étudiantes et le fait d’admettre comme vrais les contenus d’enseignement. À la place, la réception doit être envisagée comme une posture active d’adhésion ou de mise à distance, qui s’explique par un rapport plus pragmatique que scientifique aux savoirs. L’effet combiné des positions de genre et de classe joue un rôle central dans ce processus, qui se décline différemment selon la thématique de cours abordée.

Ouvrages cités

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Pauline Vallot
Pauline Vallot est doctorante en sociologie en cotutelle franco-allemande au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP) et à l’université de Göttingen. Son travail de thèse porte sur les trajectoires de mobilité sociale suscitées par la migration internationale.
Miguel Herrera
Miguel Herrera est doctorant en science politique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre du Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP). Son travail de thèse porte sur les politiques de réforme judiciaire en Équateur depuis 1979.
Vincent Hugoo
Vincent Hugoo est doctorant en sociologie au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP). Son travail de thèse, à travers le cas des lycées français en Allemagne, porte sur les stratégies scolaires des Français de l’étranger.
Laure Traoré
Laure Traoré est doctorante en science politique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre du Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP). Son travail de thèse porte sur les formes de la mobilisation électorale à Bamako (Mali).
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 14/01/2020
https://doi.org/10.3917/gen.117.0003
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