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Athènes à soi-même étrangère. Naissance d’une capitale néoclassique, Yannis Tsiomis, Marseille, Parenthèses (Architectures), 2017, 251 p.
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1Un journaliste et philosophe allemand émigré à Londres écrivait, en 1859 : « Pourquoi l’enfance historique de l’humanité, là où elle a atteint son plus bel épanouissement, [la Grèce] […] n’exercerait-elle pas un charme éternel [1] ? » Le charme éternel de l’art grec serait donc celui de nos commencements, il tiendrait à ce que les conditions qui l’ont produit ne pourront plus jamais revenir. Étonnant propos chez un Karl Marx que l’on connaît plutôt pour avoir proclamé en 1848 que « tout ce qui est solide finit par s’évaporer dans l’air [2] ». Dans le flux universel des choses humaines, il y aurait donc une exception. Nous voici déjà à Athènes, sous le charme, au pied de l’Acropole.

2Ces propos de Marx sur l’art, si peu marxistes, ont plu naguère aux commentateurs qui avaient besoin de sauver le grand homme de la vulgate. Mais ce que ces usages apologétiques de la préface à la Contribution à la critique de l’économie politique n’ont pas permis d’apercevoir, il me semble, c’est à quel point Marx le matérialiste partageait tout simplement l’hellénomanie de son temps et les croyances qui l’accompagnaient.

Le charme éternel de l’art grec

3L’art grec était en effet une invention plutôt récente. À la Renaissance, l’amour de l’antique avait concerné principalement Rome, source aisément accessible et regardée comme hors du temps historique. Lorsque les papes disposaient les œuvres de la sculpture antique dans leur palais du Vatican ou au Capitole, peu leur importait qu’elles fussent de la main de Praxitèle, des copies romaines, ou des moulages contemporains de copies romaines [3]. C’est seulement au xviiie siècle que la notion d’authenticité s’imposa, en même temps que la nouvelle expertise des antiquaires. Avec Winckelmann et son Histoire de l’art dans l’Antiquité (1763-1764), l’art grec prit son essor. Le modèle de collection inauguré par les papes du premier xvie siècle commença à perdre du terrain et, cinquante ans plus tard, dans les musées européens, sculpture grecque et sculpture romaine étaient partout séparées et chacune présentée chronologiquement. De l’histoire des phases stylistiques que Winckelmann inaugura, il dégageait une période grecque classique et affirmait que les conditions géographiques, politiques et religieuses qui avaient alors produit le beau idéal ne pourraient plus jamais se retrouver [4] : c’est cet enthousiasme pour la « beauté absolue comme telle » que Hegel partagea [5] et Marx après lui. Ainsi la Grèce et son art faisaient désormais l’objet d’une double certitude : sur l’origine de la civilisation (en réalité, de l’Europe des Lumières), sur les canons de la beauté pure (en réalité, du goût cultivé d’alors).

4À la même époque, s’élaborait une série d’autres savoirs, ou d’autres mythes, en tous cas d’autres évidences sur nos origines grecques. Une archéologie méthodique prenait son essor avec les travaux du comte de Caylus ou les missions des Dilettanti londoniens, comme celle du peintre James Stuart et de l’architecte Nicolas Revett à Athènes en 1751 [6]. Un peu plus tard, Friedrich Schlegel et les philologues échafaudèrent la théorie de l’indo-germanique ou indo-européen, qui posait l’origine commune des langues civilisées et faisait des Doriens le chaînon manquant [7].

5L’amour de la Grèce n’était pas seulement une affaire de savants : le Grand Tour des jeunes aristocrates anglais, puis continentaux, les conduisait, via Florence et Rome, vers Paestum et les sites siciliens, plus tard vers Athènes et les sites grecs ; les passions des collectionneurs se déchaînaient, pilleurs et marchands faisaient fortune, les frises du Parthénon prenaient la mer (1801-1812) ; des églises, des palais et des banques en forme de temple grec proliféraient dans les villes européennes et américaines – de Berlin à Paris, de Munich à Londres ou Philadelphie, mais aussi à Corfou, occupée par les Anglais, à quelques encablures de l’Épire. Dans l’Europe du congrès de Vienne et de l’âge romantique, la Grèce avait supplanté Rome. On tournait le dos à la République de la seconde et à ses « emblèmes de la raison [8] », on n’avait pas du tout aperçu que la première avait, dira-t-on plus tard, inventé la démocratie.

6Lorsqu’éclata la rébellion nationale grecque contre les Ottomans, l’hellénophilie soutint l’appel aux armes. Les puissances, et en premier lieu l’Angleterre, équipaient les combattants avec l’aide des grands armateurs et négociants grecs de la diaspora. Les poètes et les peintres s’enthousiasmaient : « We are all Greeks » proclamait Shelley en 1821 et Byron, après un premier voyage en 1809, retourna en Grèce en 1823, pour y rester. En 1824, Delacroix peignit « les Massacres de Chio », que le roi acheta sur-le-champ et fit accrocher au Louvre.

7Quelques combats et massacres plus tard, en 1830, le royaume de Grèce fut proclamé et Athènes bientôt choisie comme capitale. C’est de la fabrique de cette ville « néo-classique » que Yannis Tsiomis a écrit l’histoire, depuis les premiers projets esquissés en 1831-1832 par Kleanthis, le Grec des Balkans formé à Leipzig et Berlin, et le Prussien Schaubert, jusqu’au plan révisé en 1834.

La fabrique d’Athènes capitale

8Avec Athènes, c’était bien de la création d’une ville qu’il s’agissait. En 1830, au moment où l’on appelait Berlin « l’Athènes sur la Spree » (Spree-Athen) et Édimbourg « l’Athènes du Nord » (Athens of the North), au moment aussi où le souverain bavarois voulait faire de Munich une ville antique et que, plus modestement, à Paris le quartier de « la Nouvelle Athènes » brillait de tous ses feux, Athènes n’était qu’une bourgade ottomane (p. 126-130). Il n’y restait que 4 000 habitants et, de toutes façons, ils ne faisaient pas l’affaire : vingt ans plus tôt, Chateaubriand déplorait que « la ville de Minerve n’était plus habitée par son peuple [9] ». Quant au Parthénon, ce n’était plus qu’une église byzantine transformée en mosquée. Dans ces conditions, le choix d’Athènes pour capitale n’allait pas de soi mais, comme l’écrivait le régent Maurer en 1834 : « [les antiquités grecques] ont avant tout pour le royaume de Grèce une signification politique énorme […] [elles sont] le point d’attache entre la Grèce actuelle et la civilisation européenne » (cité p. 125).

9Le premier plan d’ensemble pour Athènes capitale (1833) structurait la ville future par un « triangle historique » appuyé sur l’Acropole, le stade antique et trois places remarquables, tandis que les constructions ottomanes étaient confinées aux pentes de l’Acropole. Les auteurs successifs du plan reliaient Athènes aux points nodaux de l’Europe néo-classique : les jeunes Kleanthis et Schaubert avaient tous deux été élèves de Schinkel à Berlin ; leur premier schéma fut corrigé par Klenze, ancien élève de Durand à l’École polytechnique de Paris et architecte de Louis Ier de Bavière qui était en train de refaçonner le centre de Munich, entreprise où il rencontrait la concurrence de Gärtner, formé lui aussi par Durand et qui dessina le palais royal d’Athènes. Tous obéissaient au goût qu’eux-mêmes, ou leurs maîtres, avaient formé chez les princes européens, les aristocrates et les grands bourgeois, parmi lesquels les familles de la diaspora grecque de Londres ou de Hambourg.

10Ils dessinaient une ville où les bâtiments importants déclinaient toutes les fonctions de la capitale, affichaient un style uniformément néo-grec, et étaient disposés sur le triangle d’une façon rationnelle qui leur conférait une forte valeur symbolique : Tsiomis écrit l’histoire de l’élaboration de ce plan sans disposer de ses archives, grâce à un époustouflant travail d’archéologie de papier et de terrain (p. 153-168). L’auteur a auparavant suivi à la trace les intenses circulations européennes des architectes néoclassiques et montré que ceux qui reconstruisaient le centre de Berlin et Munich de façon clairement fonctionnelle avaient en même temps fondé leurs projets sur une Athènes imaginaire. Il montre ainsi comment les rêves et les techniques allemandes, françaises et anglaises ont voyagé pour créer à Athènes une ville européenne moderne qui effaçait le passé ottoman et recouvrait pour toujours la ville antique dont ne subsistaient que quelques points nodaux : c’est le neuf qui engendrait l’antique, ou ce qu’il en restait. Le « néo-classicisme » est ainsi décrit comme une machine à produire de la modernité urbaine, c’est-à-dire comme le premier mouvement moderne international en architecture. Reste que la résistance des habitants et des propriétaires aux destructions impliquées par la tabula rasa des architectes, la spéculation, la faiblesse des autorités eurent bientôt raison de l’épure originelle (p. 169-199). L’ouvrage s’achève sur l’étonnante histoire des errances du palais royal entre les points clef du « triangle parfait » : on apprend qu’il aurait pu, notamment, être bâti sur l’Acropole, avant de l’être finalement sur l’actuelle place Syntagma, puis d’être converti en 1929 en siège de l’Assemblée nationale (p. 201-219).

Invention d’Athènes : de quoi parle-t-on ?

11Tsiomis, au bout du compte, analyse l’opération de Kleanthis, Schaubert et Klenze comme une nouvelle « invention » d’Athènes. Étrange invention car, tout en s’appuyant sur les vestiges et repères de la ville gréco-romaine, ils faisaient à jamais disparaître celle-ci. Invention, néanmoins, puisque la ville antique hypothétique qui guidait les tracés n’avait jamais existé : elle était un palimpseste d’objets qui n’étaient nullement contemporains les uns des autres et appartenaient à diverses strates de temps.

12Cette interprétation pouvait s’appuyer sur une vigoureuse historiographie de l’« invention » de l’Athènes classique, qu’avaient développée dans les années 1980, à la suite de Vernant et de Vidal-Naquet, des hellénistes de l’École des hautes études en sciences sociales. Avec toutefois, entre eux, plus que des nuances : à quel temps et à quels acteurs, en effet, appartenait cette « invention » ? Et vers quel temps et quels acteurs était-il opportun de diriger l’enquête ? Les réponses à ces questions divergeaient entre un Marcel Detienne et une Nicole Loraux. Nicole Loraux a joué un rôle essentiel pour Yannis Tsiomis lorsque, chargé du chantier de la restauration de l’Agora, il a cherché à comprendre ce que faisaient jadis les Athéniens sur ce site mythique qu’il ne pouvait aborder qu’en tremblant. C’est muni des analyses développées par l’historienne, notamment dans Les enfants d’Athéna (1981), que l’architecte a pu saisir le sens des bornages de cet espace où, une fois franchies ses limites symboliques, on devenait citoyen ; ou encore, sa situation à mi-chemin du cimetière du Céramique et de la citadelle de l’Acropole ; ou enfin, l’entremêlement des processions rituelles et des opérations de la vie civique. Loraux, héritière d’une anthropologie historique que Vidal-Naquet appelait aussi « sociologie de la Grèce », avait appris à « lire les mythes dans leur ancrage civique » et, réciproquement, les espaces civiques dans leur ancrage mythique, bref, à « cheminer dans l’imaginaire civique des Athéniens [10] ». L’interprétation subtile du site par l’architecte fut précisément une mise en lumière et un traitement matériel des cheminements dans l’Agora.

13« L’invention d’Athènes » est le titre de l’ouvrage que Nicole Loraux a tiré en 1981 d’une thèse de 1977, intitulée « Athènes imaginaire ». S’appuyant sur un corpus d’oraisons funèbres du ive siècle, elle y soutient que ces discours constituaient un éloge du régime démocratique alors solidement installé, car ils impliquaient que les différences de condition disparaissent chez les citoyens-soldats au combat, comme dans la sépulture [11]. Mais ce discours empruntait ses mots et ses arguments à l’éloge aristocratique de la belle mort, celle de l’aner, par laquelle il dépassait sa condition de mortel, anthropos. « Sur des institutions neuves, des mots anciens [12] » : on pourrait dire que les Athéniens de l’époque classique étaient des démocrates sans le savoir ou, en tout cas, sans pouvoir le dire, ce qui revient au même. Ils pratiquaient un régime dont ils n’avaient pas de théorie. Et pourtant, aux yeux de Loraux, ils ont bien inventé Athènes : sous la figure non pas de la demokratia, mais de la polis, une cité unique et exemplaire, dotée par l’autochtonie de ses habitants d’une singularité originaire et d’une supériorité sur toutes les autres cités grecques [13].

14Dès lors, on pourrait imaginer un programme de recherche qui s’intéresserait à l’invention, beaucoup plus tard, d’Athènes comme « démocratie », d’une nouvelle Athènes imaginée à de nouvelles fins. Il est clair que ce ne serait pas celle d’Othon Ier : comme la plupart des souverains européens d’alors, restaurés ou réconfortés par l’ordre issu du congrès de Vienne, il rêvait pour la Grèce de monarchie absolue. Mais Nicole Loraux, helléniste et érudite, malgré une brève excursion en compagnie de Vidal-Naquet vers le xviiie siècle [14], n’a pas pris cette direction, qui l’aurait sans doute trop éloignée de ses bases.

15Marcel Detienne n’a pas eu les mêmes prudences. Helléniste d’une infinie érudition lui aussi, anthropologue de la Grèce ancienne, il a beaucoup travaillé sur la question du passage du récit mythique à la forme écrite, contribuant ainsi à la remise en cause du « dogme de la nature écrite de la culture grecque » et à la réhabilitation de l’immense « pays de la mémoire parlée [15] ». Il a donc été conduit à interroger la mise en forme tardive de la « mythologie grecque » comme un corpus global, objet d’une discipline autonome, et il s’est intéressé aux conditions et aux effets de cette « invention de la mythologie » – titre d’un ouvrage de 1981, lui aussi. Des hommes du xviiie siècle avaient désigné l’objet de la science des mythes : des histoires sauvages, absurdes, infâmes. Laffitau, missionnaire jésuite en Nouvelle France, Fontenelle aussi, soulignaient « une étonnante conformité entre les fables des Américains et celles de Grecs [16] » : la fable résulte de l’ignorance de la vraie foi. Mais, bientôt, l’invention de la Grèce comme origine changea la nature de la tâche des savants : l’homme grec, porteur de la Raison, n’avait plus le droit aux sottises. Il s’agissait donc désormais d’expliquer comment tant de récits mythiques pouvaient contenir des éléments en apparence irrationnels. La mythologie-science, qui prit son essor à partir de 1850, y pourvut.

16Deux approches, donc, de l’invention grecque. L’une qui nous dit que les anciens Grecs, en effet, ont inventé quelque chose qui nous importe, mais pas ce que l’on croit. L’autre qui souligne que l’objet de l’invention, ce sont les Grecs eux-mêmes, et que ceux-ci ont beaucoup changé selon les tâches qu’on leur a assignées au fil du temps [17].

Aborder le temps à rebours

17Il me paraît clair que la posture intellectuelle de Yannis Tsiomis étudiant l’Athènes néoclassique est de la deuxième sorte : « Pour construire un nouveau monde il fallut […] cette volonté farouche d’inverser terme à terme la réalité, ou ce qu’on considère comme telle » (p. 223). Le discours sur les origines est donc ici un discours sur un futur qui doit advenir et sur un présent qui doit être réformé. Autrement dit : la ville néoclassique n’est pas « le rappel nostalgique des valeurs européennes », comme l’imaginaient Tafuri et une historiographie de l’architecture attentive au seul discours. Le néo-classicisme n’est pas seulement un style, c’est une « technologie urbaine ».

18Ainsi, l’Athènes classique n’était pas pour grand-chose dans ce que firent ceux qui, pourtant, se réclamaient d’elle. C’étaient plutôt ces derniers qui la changeaient en redéfinissant ce qu’elle était supposée nous apprendre. Il est donc préférable, pour comprendre ce qu’ils ont fait, non pas de se référer à un « modèle » qu’ils auraient suivi ou qui les aurait « influencés », mais d’identifier les tâches qui étaient les leurs et interpréter à partir de là le supposé modèle qu’ils ont inventé pour agir. Bref, dans l’étude des usages du passé, il convient de ne pas aller du passé vers le présent, mais à rebours – de renverser toujours le sens des flèches. Cette idée n’a rien de bien scandaleux : c’est le programme historiographique de « l’invention de la tradition » formalisé par Eric Hobsbawm en 1983 [18].

19C’est dans ces termes, me semble-t-il, qu’il est sage de parler de « l’urbanisme antique », qui n’existe peut-être que dans l’imagination des urbanistes du xxe siècle. Brève excursion à Rome : aucun édile, aucun empereur n’a jamais planifié la Ville éternelle à une échelle plus vaste qu’un forum ou qu’un palais – même si on a retrouvé des plans partiels, c’est-à-dire des cartes gravées dans la pierre à divers usages, fiscaux notamment. La première planimétrie d’ensemble de la Rome antique fut publiée par la municipalité entre 1893 et 1901 en 46 planches : la ville antique, considérée comme un tout à la manière de la ville moderne, était née [19]. Cette Forma urbis Romae scellait l’alliance entre les promoteurs de l’archéologie urbaine et ceux des plans de ville [20]. Paul Bigot comptait parmi les seconds et son plan-relief de la Rome de Constantin (1911) était d’abord une proclamation en faveur de l’urbanisme [21]. Bientôt, on allait ressusciter la grandeur antique grâce aux principes de l’urbanisme moderne : à partir de 1926, les « éventrements » (sventramenti) firent disparaître des centaines de taudis pour dégager la zone des forums impériaux – comme la destruction, à partir de 1859, du quartier ottoman installé sur l’emplacement de l’agora d’Athènes avait fait renaître celle-ci.

20La généalogie d’Athènes capitale établie par Yannis Tsiomis ne manque ni d’ironie, ni de courage, car elle va à l’encontre des évidences répandues parmi les théoriciens de l’architecture, dont beaucoup sont convaincus de la force des modèles : franchissant les siècles, le tracé d’Hippodamos de Milet, le Parthénon, les leçons de Vitruve, parlent aux architectes de tous les temps et leur rappellent l’essentiel. La prière sur l’Acropole a fait des adeptes, les formes fondamentales ont un parfum d’éternité. Ces évidences apprises sont contredites quotidiennement par la pratique de l’architecture, toute entière faite de réinterprétations locales des héritages. Elles le sont aussi par la recherche historique : Yannis Tsiomis a choisi le site qui permettait de cela la plus éclatante démonstration. Mais il est à parier que cette leçon ne sera guère entendue, tant sont parfois marqués les plis de pensée qui font de l’architecte un démiurge inspiré par les dieux.

21Une autre croyance que ce livre peut fissurer, ce n’est rien moins que celle de l’éternité de la nation. Pour faire de sujets ottomans parlant grec des descendants de Périclès, pour civiliser des Orientaux en Européens, il a fallu faire d’Athènes une leçon d’Antiquité. Athènes à soi-même étrangère parle d’une Grèce qui n’a pas été portée sur les fonts baptismaux par la seule énergie des combattants de l’indépendance. Mais n’est-ce pas ainsi que s’inventent toutes les nations ?

Notes

  • [1]
    Karl Marx, Contribution à la critique de l’économie politique (Zur Kritik der politischen Ökonomie, 1859), Paris, Éditions sociales, 1957, p. 175.
  • [2]
    Karl Marx et Friedrich Engels, The Communist Manifesto (1848), première traduction anglaise par Samuel Moore (1888), Londres, Penguin Books, 2002, p. 223.
  • [3]
    Francis Haskell et Nicholas Penny, Pour l’amour de l’antique. La statutaire gréco-romaine et le goût européen, 1500-1900 (Taste and the Antique : The Lure of Classical Sculpture, 1500-1900, 1981), Paris, Hachette, 1988, ch. 2.
  • [4]
    Ibid., ch. 13.
  • [5]
    Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Cours d’esthétique (Philosophie der Kunst oder Ästhetik, 1826), Paris, Aubier, 1995, vol. 1, p. 141.
  • [6]
    Comte de Caylus, Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques grecques, romaines et gauloises, 7 vol., 1752-1767.
  • [7]
    Une très bonne synthèse sur l’histoire de ce mythe : Jean-Paul Demoule, Mais où sont passés les Indo-Européens ? Le mythe d’origine de l’Occident, Paris, Seuil, 2014.
  • [8]
    Jean Starobinski, 1789. Les emblèmes de la Raison, Paris, Flammarion, 1973.
  • [9]
    François-René de Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem […] (1811), cité par Pierre Vidal-Naquet, « Paris-Athènes et retour », in Yannis Tsiomis (dir.), Athènes, ville capitale, Athènes, Ministère de la Culture, Caisse des fonds archéologiques, 1986, p. 38.
  • [10]
    Nicole Loraux, Les enfants d’Athéna. Idées athéniennes sur la citoyenneté et la division des sexes, Paris, Maspero, 1981, p. 7 et 17.
  • [11]
    La démocratie fut restaurée à Athènes en 403 et fonctionna jusqu’en 322 sans vicissitudes.
  • [12]
    Nicole Loraux, L’invention d’Athènes. Histoire de l’oraison funèbre dans la « cité classique », 2e éd. abrégée, Paris, Payot, 1993 (1981), p. 226.
  • [13]
    Ibid., p. 339-351.
  • [14]
    Nicole Loraux et Pierre Vidal-Naquet, « La formation de l’Athènes bourgeoise. Essai d’historiographie, 1750-1850 », in Robert R. Bolgar (dir.), Classical Influences on Western Thought, A.D. 1650-1870, Cambridge, Cambridge University Press, 1978, p. 169-222.
  • [15]
    Marcel Detienne, L’invention de la mythologie, Paris, Gallimard, 1981, p. 50 et 53.
  • [16]
    Bernard Le Bouyer de Fontenelle, De l’origine des fables (1724), cité par Detienne, op. cit., p. 19.
  • [17]
    Voir l’intéressante discussion de la notion d’« invention », particulièrement dans ses usages à propos de la Grèce antique dans Cahiers « Mondes anciens », n° 11, 2018, particulièrement : Jan Blanc, « Winckelman et l’invention de la Grèce », URL : https://journals.openedition.org/mondesanciens/2157.
  • [18]
    Eric J. Hobsbawm et Terence O. Ranger, L’invention de la tradition, trad. par Christine Vivier, Paris, Éditions Amsterdam, 2012 (éd. orig. The Invention of Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 1983).
  • [19]
    Rodolfo Lanciani, Forma urbis Romae, Milan, Vallardi, 1893-1901.
  • [20]
    Guido Zucconi, La città contesa. Dagli ingegneri sanitari agli urbanisti (1885-1942), Milan, Jaca Book, 1989.
  • [21]
    Pierre Pinon et François-Xavier Amprimoz, Les envois de Rome, Rome, École française de Rome, 1988.
Christian Topalov
Christian Topalov, sociologue et membre du Centre Maurice-Halbwachs, enseigne à l’École des hautes études en sciences sociales. Il a récemment publié une édition critique des Écrits d’Amérique de Maurice Halbwachs (Éd. de l’EHESS, 2012) et Histoires d’enquêtes. Londres, Paris, Chicago 1880-1930 (Classiques Garnier, 2015).
Mis en ligne sur Cairn.info le 09/10/2018
https://doi.org/10.3917/gen.112.0154
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