CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« On se critique, mais on n’accepte pas que quelqu’un d’étranger à la famille critique. »
Dominique, une enquêtée, en entretien

1C’est sans aucun doute dans le domaine de la famille que les sciences sociales ont le plus analysé les sentiments des personnes les unes envers les autres. Dès la fin du xixe siècle, l’anthropologie de la parenté s’attache à mettre en évidence des règles de comportement et de sentiment au sein de la parenté, notamment au travers de l’étude des relations de plaisanterie et d’évitement (Tylor 1889). La sociologie de la famille contemporaine s’appuie toujours sur le constat de l’existence de normes affectives dans la famille, d’autant plus cruciales que les sentiments interpersonnels seraient aujourd’hui le principal « ciment » de l’institution familiale, ayant pris le relai des relations de dépendance économique [1]. François de Singly parle ainsi de « devoir d’aimer » : « Apparaît un des compromis de la famille moderne : la force de la régulation affective est telle que s’y conformer semble obligatoire, malgré l’imaginaire de l’électivité. Impossible, au moins officiellement, de ne pas aimer son partenaire, ses enfants, ses parents » (Singly 2007 : 85). À partir de l’analyse d’entretiens semi-directifs, le sociologue relie l’importance croissante de ce « devoir d’aimer » à une nouvelle fonction de la famille dans les sociétés « individualistes » : les relations affectives nouées avec chaque apparenté « choisi » joueraient un rôle primordial dans la construction d’une identité personnelle émancipée, ou au moins partiellement indépendante, des rôles sociaux contraints (Singly 2002). Ce faisant, si cette sociologie fait la part belle aux sentiments, elle peine à expliquer l’autre versant des affects familiaux : « la famille moderne fonctionne à l’amour », écrit de Singly, et non à la haine ou au mépris. Ce sont vers les travaux d’anthropologie sociale qu’il faut se tourner pour trouver des études des sentiments familiaux qui décrivent précisément affects positifs et négatifs et les inscrivent dans l’analyse des structures sociales – c’est-à-dire des rapports de pouvoir entre groupes de parenté, entre groupes sociaux, entre les sexes – au sein desquelles ils s’expriment [2].

2C’est dans la lignée de ces travaux que cet article propose d’explorer les expressions d’inimitiés au sein de la famille, c’est-à-dire d’une part l’émission de jugements négatifs sur certaines personnes (« c’est un con ») et d’autre part l’énonciation de relations négatives avec certains apparentés (« je la déteste »), et leur articulation aux rapports sociaux de classe et de sexe qui se jouent dans la famille. L’analyse sera menée à partir de matériaux ethnographiques, deux monographies de famille effectuées dans le temps long (cf. encadré 1), qui s’avèrent pertinents pour analyser non pas les sentiments d’inimitié qu’un individu nourrit à l’égard de certains de ses apparentés (et dont il accepte de faire part au sociologue), mais les conditions sociales de l’expression d’inimitiés au sein de la sphère familiale (en présence d’une ethnographe). En intégrant à l’analyse la relation d’enquête, il s’agit à la fois de comprendre comment un apparenté devient un personnage contesté, c’est-à-dire au sujet duquel sont exprimées ou signalées des inimitiés, et comment ces dernières sont dites à ou devant l’ethnographe. Pour cela on se concentrera sur deux figures bien différentes au regard de la tradition anthropologique, qui oppose structurellement consanguinité et alliance (Dumont 1971) : une sœur et une belle-sœur, qui sont immédiatement apparues sur le terrain comme l’objet d’expressions d’inimitiés à la fois variées et intenses, et dont on pourra comparer le traitement avec celui réservé à leurs homologues masculins.

Une ethnographie longitudinale de la famille

Les monographies de famille analysées ici ont été produites pour un mémoire de maîtrise sur les réunions de famille, un DEA puis une thèse portant sur les stratégies immobilières familiales dans la France contemporaine. Elles s’insèrent dans un corpus d’une quinzaine de monographies constituées à partir d’entrées différentes : interconnaissance, association de familles de malades d’Alzheimer, association départementale du conjoint survivant.
Les deux monographies présentées dans cet article, établies à partir de relations d’interconnaissance, se caractérisent par leur longueur. Le terrain auprès des Le Vennec s’étend de 1998 à 2010. Celui auprès des Pilon se concentre sur la période 2001-2003, mais le contact a été maintenu jusqu’à aujourd’hui.
La méthode de la monographie consiste en l’accumulation de données ethnographiques – entretiens, observations (du « quotidien » lors de séjours chez différents enquêtés, et d’évènements familiaux plus exceptionnels), archives (livrets de famille, actes notariés, photographies, arbres généalogiques indigènes, etc.) – au sein d’un même réseau de parenté. Ici, l’accumulation de matériaux sur une dizaine d’années permet d’analyser non seulement les configurations familiales à un instant t, mais aussi leurs évolutions et ce qu’elles peuvent apprendre des expressions d’inimitié dans la famille. Ces matériaux sont aussi constitués des notes prises par l’ethnographe sur ses modalités d’accès aux différents apparentés, notamment à qui on lui a conseillé ou déconseillé de s’adresser, à qui elle a eu facilement, difficilement ou pas du tout accès et pour quelles raisons (refus explicite, autocensure, etc.).
Les noms de lieux et de personnes ont été anonymisés. Les noms de lieux choisis respectent les distances géographiques. Les prénoms de remplacement ont été donnés pour leur fréquence proche de celle des prénoms réels de l’année de naissance de la personne concernée, et on a essayé d’en préserver les particularités (doubles prénoms, prénoms bretons, etc.).

3On reviendra tout d’abord sur la position ambigüe de cette sœur et de cette belle-sœur au sein de leurs réseaux de parenté, pour montrer que les inimitiés exprimées à leur encontre n’engagent pas seulement des relations interpersonnelles, mais constituent des mises en cause autant que des rappels à l’ordre de leur appartenance à des groupes familiaux. Il conviendra ensuite de préciser qui exprime ces inimitiés (c’est-à-dire qui les critique, dit ne pas les aimer ou que d’autres ne les aiment pas) et dans quel contexte (en entretien avec l’ethnographe ou lors d’interactions impliquant telle ou telle personne). Ces contextes d’énonciation sont encore, nous le verrons, révélateurs des enjeux d’appartenance qui se jouent au sein des réseaux de parenté étudiés, la diversité des relations d’enquête dont ils témoignent permettant également de les éclairer. On analysera enfin le contenu précis des critiques formulées à l’égard de ces deux femmes. L’expression des inimitiés varie selon qu’elle porte sur une consanguine ou sur une alliée, ce qui témoigne de leur position différente au sein de la parenté et des mécanismes de reproduction qui s’y jouent. Mais on verra aussi les traits communs qu’empruntent ces expressions et qui révèlent le poids du genre dans les sentiments exprimés au sein de la famille.

Des appartenances familiales remises en cause

4Comme le souligne Florence Weber, la famille constitue une « scène sociale » où se rejoue en permanence « la construction d’une identité familiale, d’une appartenance commune fondée à la fois sur la représentation de l’hérédité et sur la comparaison conflictuelle des pratiques et des idées ». Ainsi, « les accusations de jalousie y sont courantes », « les fêtes de famille sont l’occasion de comparaisons entre les styles de vie des enfants, et les accusations y sont fréquentes » et « le sentiment d’une commune appartenance à la famille est l’objet de discussions et d’évaluations » (Weber 1989 : 185). Dany Le Vennec comme Gisèle Pilon appartiennent toutes deux à des réseaux de parenté (cf. figures 1 et 2 [3]) au sein desquels a pu être mise en évidence l’existence de groupes d’appartenance constitués autour d’enjeux de production domestique et de reproduction d’un statut social (Gollac 2003 et 2005). Les contestations dont elles sont l’objet, comme nous allons le voir, peuvent ainsi être rapportées à leur appartenance problématique à ces groupes.

Dany ou le refus du dévouement

5Dany Le Vennec, née à Quimper en 1955, est la deuxième d’une fratrie de sept enfants. Fille d’un maçon salarié, passé d’ouvrier à conducteur de travaux, et d’une mère qui exerce ponctuellement des activités d’assistante maternelle, elle a rencontré son premier mari, Lionel, lors de sa formation en électricité du bâtiment. Ils se marient en 1974, l’année de la naissance de sa fille aînée, et ont un fils en 1979. Lionel rentre dans la gendarmerie, et Dany le suit au gré de ses mutations, exerçant par intermittence en tant que vendeuse et caissière chez Phildar, Carrefour ou Picard Surgelés. Le couple se sépare en 1992 et Dany se remarie avec Philippe, également gendarme, qu’elle suit à Paris puis à Saint-Pierre et Miquelon en 1997, d’où ils reviendront en Bretagne en 1999. Les deux enfants de Dany, Nelly et Joël, restent alors en France métropolitaine à Quimper. Nelly, âgée de 23 ans, y exerce le métier de coiffeuse et Joël, âgé de 18 ans, y suit un CAP puis un BEP de plomberie en alternance.

6L’enquête auprès de la famille Le Vennec démarre en novembre 1998, alors que Dany réside encore en Amérique du Nord. C’est Sabrina, une nièce de Dany habitant à Paris qui a été ma camarade de classe au collège, qui m’invite à assister à la messe donnée pour le premier anniversaire de la mort de son grand-père (le père de Dany), Pierre Le Vennec, à Quimper. La mère de Sabrina, Patricia, est la seule, avec Dany, à ne pas habiter Quimper ou les environs, contrairement aux cinq autres frères et sœurs. Dès l’entretien que je fais avec Sabrina pour préparer ma venue à Quimper, Dany apparaît comme un personnage particulièrement contesté au sein de sa fratrie (11/1998) :

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Sinon Philippe et Dany, y a des grosses tensions, maintenant, parce que lui, en fait, il est carrément raciste et tout. Et du coup Dany, elle a vachement changé : elle a des propos… pareils en fait, quoi. Et elle est vachement radine, quoi, tous les deux ils sont vachement radins. En fait, ils sont partis là-bas parce que les primes elles sont plus élevées. Et puis bon, elle, elle est revenue deux fois en tout. (…) Et puis la dernière fois qu’ils sont venus, ils étaient tous les deux, c’était après le décès de mon grand-père et ça s’est archi mal passé, quoi, avec les autres frères et sœurs et tout. Et puis Dany, elle voit… Ses enfants, ils peuvent plus la supporter et tout. Elle a un peu lâché ses enfants, quoi, en fait.

8Sur place, les notes de mon journal de terrain confirment ces tensions. La messe donnée pour le grand-père est suivie d’un kir auquel sont invités voisins, amis et apparentés, puis d’un repas auquel ne restent que la veuve de Pierre Le Vennec, Jeanne, ses enfants, leurs conjoints et leurs propres enfants (cf. figure 1). Alors que nous sommes en train de manger, Dany appelle depuis Saint-Pierre et Miquelon. C’est Patricia qui répond, passe le téléphone à son frère Marc qui demande à parler à Dany, à Jeanne puis à Joël, présent tout comme sa sœur Nelly. Après avoir raccroché, Joël s’étonne publiquement d’avoir eu sa mère au téléphone et lance à la cantonade : « Elle devait avoir un problème de plomberie ! » (Journal de terrain, 22/11/1998). Lorsque je fais un entretien quelques semaines plus tard avec Patricia, cette dernière explicite les enjeux d’appartenance qui se jouent derrière ces tensions, qui s’inscrivent dans une histoire familiale longue et mettent en jeu la prise en charge de Marc, le frère de Dany et Patricia, diagnostiqué schizophrène depuis la fin des années 1970 (12/1998) :

Figure 1

La famille Le Vennec

Figure 1

La famille Le Vennec

En gras : les prénoms des personnes rencontrées en entretien.
Encadrées en gras : les personnes rencontrées au cours de l’enquête de terrain.
En grisé : les personnes présentes lors de la remarque de Joël sur Dany.

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Dany, elle… Déjà, lorsque Marc a commencé à rencontrer ses problèmes, elle n’a pas été solidaire du groupe. Pour elle, il n’était pas question de débourser quoi que ce soit pour Marc. Par contre, elle avait des frais à faire pour sa famille, elle les faisait, quoi. Il n’y a pas eu de sacrifice de sa part. (…) C’est quelqu’un qui, aujourd’hui, a des intérêts tout à fait différents des nôtres. Je pense qu’elle est pas forcément bien dans sa peau. Elle est… Elle est devenue, quelque part, intolérante. Son intérêt… C’est pas que je remette en cause, que je critique, ou quoi… Mais son intérêt personnel aujourd’hui, son intérêt personnel, c’est son intérêt de couple. C’est pas l’intérêt du groupe familial. Elle a pas, aujourd’hui, cette vision-là. Ça reviendra, je pense.

10Il faut ici souligner que le moment du début de l’enquête auprès des Le Vennec correspond à une forte actualité des questions de prise en charge collective de personnes dépendantes au sein de la famille. En novembre 1998, la famille vient de traverser plusieurs épreuves : la mort des suites d’un cancer de Pierre Le Vennec, hospitalisé à domicile grâce à la mobilisation de son épouse et de ses enfants, et une nouvelle crise de Marc. Au cours de ces différentes épreuves, Dany a été absente, de la même façon qu’elle avait refusé de s’occuper de son frère par le passé et de soutenir financièrement la famille dans ces épreuves (lors de ses crises, Marc accumule des dettes de jeu). Les accusations de « radinerie », comme celle dont Dany fait l’objet, reviennent fréquemment dans les propos des enquêtés et renvoient à des façons de compter qui remettent en cause les intérêts collectifs des groupes familiaux et les modes de transaction qui y président (Weber 2000).

11Le caractère contesté du personnage de Dany (elle est critiquée ouvertement par ses enfants, sa sœur et sa nièce, qui témoignent elles-mêmes de diverses inimitiés dont elle et son conjoint sont l’objet) peut ainsi être lié à sa position problématique au sein d’un groupe d’appartenance, en l’occurrence une maisonnée mobilisée économiquement (financièrement et en force de travail) autour de la prise en charge successive de personnes dépendantes [4]. Les critiques formulées correspondent autant à une remise en cause de l’appartenance au groupe familial (Dany est accusée de ne plus être digne d’en faire partie) qu’à un rappel au devoir d’assumer cette appartenance.

Gisèle : la femme du boulanger qui ne voulait pas être boulangère

12Gisèle Pilon peut aussi être assimilée à un membre défaillant d’un groupe de parenté : comme Dany, elle ne répond pas aux attentes familiales, ce qui la place au cœur de l’expression de plusieurs inimitiés. Le statut de Gisèle est cependant différent puisqu’il s’agit d’une « pièce rapportée » de la famille Pilon. Gisèle, née en 1957, est la quatrième d’une fratrie de cinq enfants d’un couple de bijoutiers parisiens. C’est lors de vacances en Gironde qu’elle rencontre son futur mari, Pierre Pilon, son aîné de neuf ans. Elle l’épouse en 1979 et ils auront trois enfants, Sébastien (en 1980), Florent (en 1984) et Arthur (en 1988). Après leur mariage, ils emménagent dans la maison où se trouve la boulangerie dont Pierre a hérité, dans un village de quelques centaines d’habitants. La mère de Pierre, Marcelle, habite une maison mitoyenne (le père de Pierre est décédé en 1977). Sa sœur aînée, Monique, occupe avec son mari et ses deux filles une maison construite sur un terrain attenant. La benjamine, Roseline, loge avec son mari et ses deux enfants dans une maison située sur un terrain limitrophe. La mère et les frères et sœurs partagent ainsi le même vaste jardin. Seule la troisième de la fratrie, Micheline, habite à Paris, où elle exerce des fonctions de cadre à la SNCF après une carrière de promotion interne. C’est Micheline et son fils Gaël que je rencontre d’abord en juillet 2001, par l’intermédiaire d’un ami commun (cf. figure 2).

13Dès ces premiers entretiens, Gisèle apparaît, de la même façon que Dany, comme un personnage contesté. Micheline affirme d’emblée à son propos : « C’est une fille qui vraiment me déplaît fortement » (07/2001). Gaël m’explique que Gisèle est fâchée avec un de ses beaux-frères, Jean-François, l’époux de Roseline. Il évoque ainsi des « problèmes familiaux », des « querelles ». « Ces deux familles peuvent plus trop se voir », conclue-t-il, « ils se parlent plus » (07/2001). L’inimitié que Gisèle inspire semble cependant antérieure au conflit avec Jean-François. Micheline m’explique ainsi à propos de Gisèle (07/2001) :

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Quand il [Pierre Pilon] s’est marié avec ma belle-sœur, on était… C’est pas jalouses… C’est pas jalouse de sa belle-sœur. Mais il continuait plus ou moins à écouter ses sœurs et sa mère. Et Maman n’aimait pas forcément Gisèle qui était parisienne, c’était une étrangère. (…) Gisèle, à mon avis, j’aurais envie de dire, elle a pas bien été accueillie à Tournègue [le village familial] au début.

15Le conflit avec Jean-François révèle en fait un problème récurrent : celui du fonctionnement de la boulangerie familiale, dont le père de Pierre avait lui-même hérité (les parents de Marcelle comme ceux de son mari étant aussi boulangers). Pierre ayant choisi de devenir pâtissier plutôt que boulanger, il est obligé, pour faire tourner sa boulangerie-pâtisserie, d’employer un ouvrier boulanger, mais aussi quelqu’un pour assurer la vente à la boutique et pour les tournées. Jusqu’en 1992, la boulangerie est officiellement détenue par Marcelle, qui y assure la vente, emploie un ouvrier boulanger depuis le décès de son mari et laisse son fils gérer ses activités de pâtisserie à son compte. En 1992, Marcelle prend sa retraite, transmet le commerce à son fils et abandonne la vente à temps plein. Pierre propose alors à son beau-frère Jean-François, tourneur-fraiseur au chômage, de se charger des tournées (la vente en boutique est alors assurée par une vendeuse à temps partiel et grâce à des coups de main de Marcelle et, plus ponctuellement, de Monique et Roseline). En 1995, Jean-François cesse cette activité pour privilégier la rénovation de maisons dont il vient d’hériter et qu’il souhaite mettre en location. Voici comment Pierre raconte cet épisode (03/2002) :

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Je lui ai jamais fait un reproche, rien, mais il en avait marre. Il avait déjà fait cinq, six places, il restait un an, deux ans, trois ans, et puis après il en avait marre. Donc là, tournée tous les matins de huit heures à midi, pff… Tous les jours… Donc, il m’a dit un jour : « Je m’arrête ». Donc ma femme a dit : « Comment ça se fait, Jean-François, tu abandonnes, si c’est pas toi, ça va être nous ». « Oh toi, tu… ». Bon. Donc il est parti, chacun chez soi. C’est pour ça que quand on me parle, des fois, du boulot, de la famille, j’aime pas trop, tout ça, la famille…

17Ce récit permet de saisir la position délicate de Gisèle : si ce n’est pas Jean-François qui se charge de la vente, cette activité relèvera de sa responsabilité. Le fait que Gisèle ne s’investisse pas dans le commerce de son époux est effectivement souligné par l’ensemble des enquêtés et mis en relation avec sa position contestée au sein de la famille, comme en témoigne l’entretien avec Gaël (07/2001) :

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Alors ça, la femme [Gisèle] elle a jamais voulu bosser dans le magasin, quoi. Elle a un boulot à Bordeaux, dans une… Comment ça s’appelle ? La Caisse des dépôts. (…) Donc, genre, elle veut absolument bosser à Bordeaux, avoir son indépendance quoi : donc c’est un peu la Parisienne dans le lot, quoi, qui s’entend mal un peu avec machin, tout ça…

19Gisèle a effectivement toujours refusé de travailler à la boulangerie. Si elle n’a pas fait d’études, elle se fait rapidement embaucher comme employée à la Caisse des dépôts et consignations et suit plusieurs formations continues, accédant ainsi à une position d’encadrement. En choisissant de travailler à Bordeaux, Gisèle fragilise la viabilité de la boulangerie, qui repose généralement en grande partie sur la mobilisation d’un couple [5]. C’est ce que m’explique en tout cas Pierre qui, du coup, projette de vendre la boutique (03/2002) :

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C’est une bonne entreprise ça, que j’ai, pour un couple, sans salarié. Le gars il travaille, il fait son pain et ses gâteaux, et la femme elle vend. Ils ont rien à payer. Alors que moi j’ai quelqu’un pour vendre et j’ai quelqu’un pour fabriquer le pain. Donc les 14 000 qui devraient me revenir à moi vont à l’ouvrier. C’est pour ça que je vendrais facilement une petite entreprise comme ça. (…) Pour un couple qui cherche une petite affaire, c’est génial ici. Génial, génial.

21Le refus de Gisèle de travailler à la boulangerie met ainsi en danger la conservation d’un élément clé du patrimoine familial, pour lequel les autres membres de la famille ont dû se sacrifier. Marcelle, tout d’abord, a travaillé toute sa vie dans la boutique de ses parents puis de son mari : « Je suis née dans le pétrin, et j’en mourrai », me déclare-t-elle (03/2002). Les trois sœurs de Pierre témoignent du travail gratuit qu’elles ont fourni pour aider leurs parents puis, pour Monique et Roseline, leur frère (les filles de Monique ont également travaillé l’été dans la boulangerie familiale). La donation-partage du patrimoine familial, que Marcelle a effectuée au moment de son passage à la retraite, a été entièrement organisée autour de la transmission de la boutique à Pierre, au prix d’arrangements patrimoniaux contestables que les sœurs de Pierre ont acceptés (Gollac 2005). Le groupe familial s’est ainsi largement mobilisé pour la conservation et la transmission de la boulangerie. C’est à cette mobilisation que Gisèle ne participe pas, et ce sont ses fruits économiques et sociaux qu’elle met en danger. Comme Dany, on l’accuse finalement de ne pas faire quelque chose qu’elle devrait faire, on met en cause son appartenance au groupe, ici mobilisé autour de la transmission d’un patrimoine et d’un statut social, en même temps qu’on la rappelle à son devoir d’appartenance.

Figure 2

La famille Pilon

Figure 2

La famille Pilon

Les prénoms en gras sont ceux des personnes rencontrées en entretien.
Les personnes encadrées en gras ont été rencontrées au cours de l’enquête de terrain.

Dire ou taire les inimitiés : deux façons de faire famille

22Si le caractère contesté des personnages de Dany et Gisèle peut ainsi se comprendre au regard d’enjeux d’appartenance à des groupes familiaux, au-delà de conflits interpersonnels, ces enjeux se précisent si on porte attention aux auteurs et aux contextes d’énonciation de ces inimitiés.

Les absentes ont toujours tort

23Dans le cas de Dany, où des inimitiés ont pu s’exprimer publiquement et être dites par ses propres enfants, ce fut malgré tout en son absence. De la même façon, je n’ai pas observé d’expression directe de dissension entre Gisèle et les membres de la famille Pilon, et seules des disputes entre Gisèle et Jean-François m’ont été rapportées : les inimitiés qui existent entre Gisèle d’une part et la mère et les sœurs de son mari d’autre part n’ont jamais été assumées face à elle. Ces inimitiés ont pu être dites publiquement, notamment au cours de réunions de famille auxquelles, précisément, Gisèle refuse d’assister depuis son conflit avec Jean-François. Gaël conclue ainsi à propos de Gisèle : « Tout le monde parle d’elle en mal. Enfin, c’est facile : elle est pas là » (07/2001). Les inimitiés se disent donc à l’absence des intéressées, ce qui évite l’éclatement du conflit et préserve la possibilité d’un « retour » au sein du groupe.

24C’est ce qui se passe dans le cas de Dany. Quand je reviens à Quimper pour mon enquête en 2002, elle est de retour en Bretagne, habite à une petite demi-heure de voiture de chez sa mère, à qui elle rend régulièrement visite et chez qui elle croise souvent ses frères et sœurs. Lors de mes observations à Quimper, je n’assiste plus à des mises en cause publiques de Dany. Sa position a d’ailleurs suffisamment évolué pour que je ressente moi-même la possibilité de faire un entretien avec elle sans que cela fragilise ma relation d’enquête avec les autres membres de la famille. Plus tard, en juillet 2004, Dany et son mari sont invités à la fête que Sabrina organise dans la maison de sa grand-mère pour le baptême de son fils. Si Sabrina s’étonne auprès de sa mère Patricia, que sa tante ait répondu positivement à l’invitation, elle cantonne sa remarque au cadre d’une interaction qui n’engage que Patricia et moi. En août 2008, à l’occasion d’un séjour chez Sabrina, cette dernière m’apprend que le mari de Dany l’a quittée, que « tout le monde » dans la famille est attristé de cette histoire et l’aide comme il peut. En novembre 2009, Sabrina me rapporte cette fois-ci que Dany a participé au règlement d’une histoire de famille particulièrement délicate mettant en cause la paternité biologique d’une de ses sœurs, Dominique, sur laquelle elle parvient à lever le doute. L’évolution des expressions d’hostilité à l’encontre de Dany montre ainsi que les inimitiés exprimées en famille fonctionnent bien comme des rappels à l’ordre de l’appartenance au groupe familial. Elles s’estompent lorsque la personne offre des gages d’appartenance (ici le rapprochement géographique, la fréquence des contacts, l’implication dans le travail de cohésion du groupe), et elles se formulent dans des contextes – en l’occurrence l’absence de l’intéressée – qui permettent d’éviter le conflit ouvert et donc la rupture définitive de la relation.

Critiquer pour se rapprocher

25Au-delà des contextes dans lesquels des inimitiés sont dites devant l’ethnographe, l’identité de celles et ceux qui en témoignent à l’ethnographe, c’est-à-dire en s’adressant à elle en particulier, notamment dans le cadre d’un entretien, est également révélatrice. Le caractère contesté des figures de Dany et de Gisèle a ainsi été particulièrement exprimé par Patricia (et sa fille Sabrina) pour les Le Vennec et par Micheline (et son fils Gaël) pour les Pilon, toutes deux habitant à Paris contrairement au reste de leur famille, ancrée dans le Finistère pour la première et en Gironde pour la seconde. Les enquêtées qui assument, face à l’ethnographe, l’expression des inimitiés qui ont cours dans leur parentèle présentent ainsi deux points communs : la plus grande proximité à l’ethnographe et la plus grande distance à leur famille.

26La proximité à l’ethnographe est relationnelle (je suis l’amie de la fille de Patricia et du fils de Micheline) et, indissociablement, sociale. Comme les enfants de Patricia et Micheline au début de l’enquête, je suis parisienne et étudiante. Le fait même que j’entretienne une relation d’amitié avec leurs enfants leur garantit finalement que nous partageons une certaine morale, qui rend possible la formulation des inimitiés par le biais de critères communs d’évaluation des comportements. Micheline m’explique ainsi qu’un de ses beaux-frères est « fils unique, avec tout ce qu’il y a du fils unique, hein, égoïste, personnel. [Elle rit] C’est la belle-sœur qui parle. Il n’a pas été gentil avec ses enfants, il a été très autoritaire » (07/2001). Cette expression d’inimitié ne pourrait être adoptée si Micheline ne connaissait pas ma situation familiale (je ne suis pas fille unique) et ne se faisait pas une idée assez précise du type d’éducation que j’ai reçue. Ce socle moral commun fonctionne encore davantage dans le cas de Sabrina et Gaël. C’est ainsi que Sabrina disqualifie à coup sûr le conjoint de Dany en me disant qu’il est « raciste », ou que Gaël prend ses distances vis-à-vis de son oncle par alliance, Jean-François, en s’appuyant sur une complicité socialement fondée avec l’enquêtrice : « Jean-François, lui, c’est un con. Parce qu’alors lui, c’est… Le beauf. Jean-François, c’est vraiment un beauf quoi : il fait des blagues pourries, macho de base quoi » (07/2001).

27L’expression des inimitiés pour l’ethnographe nécessite ainsi une connivence particulière entre enquêtée et enquêtrice, ici sous-tendue par une relative proximité sociale. Dans ces cas précis, cette proximité est le pendant d’une distance au reste de la famille. L’éloignement social et géographique a effectivement des effets sur la position de Patricia et de Micheline au sein de leurs groupes familiaux respectifs, comme sur la position de leurs enfants. Formuler des critiques et rendre compte des inimitiés, bref évaluer le comportement de personnes comme Dany ou Gisèle au regard de leurs devoirs vis-à-vis de la famille, c’est bien jouer le jeu de l’appartenance au groupe et ainsi affirmer sa propre appartenance, ce qui est d’autant plus crucial pour celles qui se sont éloignées. L’ambiguïté de cette position transparaît bien au travers du discours que Micheline tient sur sa belle-sœur (juillet 2001) :

28

Gisèle c’est une fille qui vraiment me déplaît fortement parce qu’elle ne respecte pas son mari. Elle a quelqu’un dans sa vie, un amant. Ça, c’est complètement égal, sauf que le problème qu’il y a, c’est qu’elle ne respecte pas mon frère dans la mesure où il vient à la maison. On a l’impression que mon frère… Ou mon frère le sait, et fait celui qui ne sait pas. Enfin, toute la commune le sait, et c’est pas beau. C’est vraiment pas beau. Je ne peux pas supporter Gisèle. Et mon frère, de ce fait, se trouve un peu isolé parce que, lui, je crois qu’il est toujours amoureux de sa femme et qu’il attend que ça lui passe. Honnêtement, ça c’est le côté, si tu veux, embêtant. Quoique Gaël y est allé il y a quinze jours, et il me dit que ça s’est arrangé leurs relations, Pierre et Gisèle. Quelquefois je me dis que peut-être, Gisèle, l’amant va partir un jour. Parce que ça dure depuis trois, quatre ans. Et c’est vrai qu’ils sont isolés. Et puis moi aussi, quand j’y vais, c’est trois jours maximum. Autrement, je supporterais très mal. Je peux supporter, mais il faut que je fasse trop d’efforts. Pour écouter. Parce que bon, de fait, tu ne peux pas te disputer. Enfin moi je n’ai pas du tout envie de me disputer avec toute ma famille. Donc quand j’y vais, j’écoute, je ne dis rien, ou si je dis quelque chose je suis obligée de dire l’inverse. Parce que moi, la personne qui a divorcé et qui s’est remariée, je peux pas la critiquer : j’ai fait pareil. Mais… Non, je sais pas. Je sais pas quoi te dire d’autre, moi… Et puis il y a quand même beaucoup de… Euh… Comment je te dirais ?… D’entraide. J’ai été malade l’année dernière, j’ai eu un souci de santé important. J’ai vraiment eu ma famille qui a accouru ici, qui est venue me voir ici, qui m’a téléphoné. (…) Ils avaient déjà tout organisé pour m’entraider, tu vois. C’était quand même quelque chose de très, très fort, que j’ai apprécié.

29Ce discours de Micheline, tenu d’une traite sans que je l’interrompe, témoigne bien des contradictions de sa position vis-à-vis de sa belle-sœur. Elle commence par la critiquer franchement, tout en affirmant que l’adultère n’est pas, en soi, disqualifiant (« ça, c’est complètement égal »). On comprend que ce qui est disqualifiant, c’est de mettre en péril la cohésion du groupe et sa réputation (« toute la commune le sait, et c’est pas beau »). Soudainement, de façon assez confuse, Micheline adopte une posture compréhensive, présentant sa belle-sœur et son frère comme « isolés » au sein d’un environnement qu’elle-même a du mal à supporter et où elle est constamment tentée de se « disputer ». Elle évoque alors allusivement son remariage et ses divorces, qui expliquent ses difficultés à adhérer aux propos critiques tenus par les membres de sa famille. De ce point de vue, elle exprime à la fois une distance avec ces derniers et une certaine proximité avec sa belle-sœur. Cette position particulière ressort d’ailleurs à d’autres moments de l’entretien :

30

Je ne suis pas toujours très gentille avec Gisèle, alors qu’elle, elle m’estime différemment que les deux autres [sœurs de Pierre]. Parce que évidemment, c’est tout bête, c’est parce qu’elle sait que je ne suis pas à Tournègue et qu’en réalité je suis en dehors de la famille.

31On ne saurait dire plus clairement le caractère problématique de l’appartenance de Micheline à son groupe familial. Mais dans l’extrait d’entretien précédent, le moment où elle rapproche la situation de Gisèle de la sienne est tout de suite contrebalancé par le récit de la mobilisation du groupe lors de sa maladie. On perçoit ici les enjeux concrets cette appartenance : elle engage la possibilité de profiter de la solidarité du groupe dans les moments de vulnérabilité, et c’est aussi dans ce contexte qu’il faut comprendre l’inimitié intransigeante que Micheline exprime à l’encontre de Gisèle.

Taire les dissensions

32D’autres enquêtées s’attachent au contraire à taire les inimitiés. C’est notablement le cas des grands-mères et des aînées. Ainsi, Jeanne, la mère de Dany et Patricia, avec qui j’ai eu l’occasion de faire deux entretiens, en avril 1999 (Dany vit alors encore à Saint-Pierre et Miquelon) et en juin 2002, ne formule aucun grief à l’encontre de sa fille et ne fait part d’aucune tension entre elle et ses autres enfants. De son côté, Marcelle refuse clairement de critiquer sa belle-fille lors de notre entretien, soulignant au passage les contraintes liées à des relations familiales marquées par la proximité géographique (03/ 2002) :

33

Et vous vous entendez bien avec tout le monde, enfin tous vos gendres et…
Oh, ben oui. Chacun chez soi ! Ils ont besoin de moi, je vais les aider, moi j’ai besoin d’eux, je vais chez eux. Mais, chacun chez soi. Moi je mets pas le nez chez eux. Ils peuvent pas dire que je les embête, ils font ce qu’ils veulent, je fais aucune réflexion, je les laisse tranquilles. Et puis moi pareil, ici chez moi pareil.

34De façon plus surprenante, lorsque je demande à Marcelle qui s’est occupé des livraisons à la boulangerie depuis qu’elle l’a reprise avec son mari et jusqu’à aujourd’hui, elle ne me parle pas de la période durant laquelle son gendre s’en est chargé et qui a débouché sur un conflit ouvert avec Gisèle. La fille aînée de Marcelle, Monique, contrairement à mes attentes, met à son tour en scène son entente avec sa belle-sœur lorsque nous discutons de l’usage du fil à linge commun situé entre leurs maisons (03/2002) :

35

Moi ça m’arrive, si je vois que ma belle-sœur étend son linge ou n’importe et que, tiens il y a longtemps que je l’ai pas vue, ben je vais en profiter pour étendre le mien. Évidemment, ça se trouve que j’ai du linge à étendre à ce moment-là, mais je pourrais dire : « Ah ben tiens, elle l’étend, donc je vais pas y aller, je la laisse tranquille ». Alors que là, quelquefois on essaie… Enfin moi je sais que s’il y a longtemps que l’ai pas vue, je vais dire : « Je vais étendre mon linge ». Comme ça, pendant qu’on l’étend on discute de choses et d’autres.

36De façon plus nuancée, Anne-Marie, la sœur aînée de la fratrie Le Vennec, témoigne de la position particulière de Dany au sein de la famille, liée à son refus de participer à la prise en charge de Marc, tout en refusant d’émettre devant l’enquêtrice un jugement négatif à son encontre (06/2002) :

37

Dany s’est moins investie dans la maladie de Marc. Je crois qu’elle a du mal à accepter. Donc elle s’est peu investie. Mais c’est la seule. Là, il faudra lui demander à elle…
(…) Vous dites que Dany c’est la seule qui s’est pas vraiment investie, enfin pas autant que les autres en tout cas… Est-ce que vous lui en voulez ?
Non, pas du tout. Non, non. Ah non, chacun fait ce qu’il veut.
Vous pensez que ça peut créer des tensions, quand même ?
Non, ben non. À partir du moment où… J’estime qu’elle pense autrement, voilà.
Penser autrement, c’est-à-dire ?
Ben, par rapport à, par exemple, par rapport à Dominique et moi, ça va de soi qu’on va aider Maman à s’occuper de Marc. Mais si Dany elle n’a pas envie de le faire, ben elle est libre. Si, elle, elle estime que c’est pas, qu’elle a pas à intervenir, ben c’est son choix. On n’a pas à la juger, hein.

38Ce refus de juger un membre du groupe familial devant l’enquêtrice témoigne du souci de plusieurs enquêtées, en l’occurrence les mères et les sœurs aînées, de préserver la cohésion du groupe tout comme son image devant un témoin extérieur. On ne peut ainsi écarter l’hypothèse que Monique aille réellement discuter avec sa belle-sœur autour du fil à linge pour maintenir le lien, malgré ce qu’elle peut avoir à lui reprocher, tout en remarquant que cet effort est mis en avant en entretien comme allant de soi. Ces femmes effectuent ainsi, dans leur quotidien et de façon encore plus marquée en entretien, un véritable travail émotionnel, pour reprendre la notion d’Arlie Hoschild, par lequel elles essaient de « changer le degré ou la qualité d’une émotion et d’un sentiment » à l’égard d’une personne, et ses expressions, afin de mettre en conformité ces sentiments, consciemment ou non, avec les « règles de sentiments » qui s’imposent dans un contexte social donné (Hoschild 2002 : 32).

39L’expression des inimitiés dans la famille se révèle ainsi une expression prudente. Dans les cas étudiés, elle ne se produit pas devant les principales intéressées, dans le but plus ou moins conscient et explicite d’éviter les ruptures définitives de relation. Ces expressions sont assumées en tête à tête avec l’enquêtrice par des personnes dont l’appartenance au groupe familial est problématique, et qui réaffirment leur propre appartenance en discutant celle d’autres membres du groupe, au travers de la mise en scène de leur adhésion à des opinions familiales collectives. Ces expressions se présentent effectivement comme l’écho d’inimitiés partagées par d’autres apparentées et déjà exprimées dans des contextes collectifs, notamment en présence des membres les plus légitimes du groupe de parenté. En conclusion de ses propos sur le manque de solidarité de Dany, Patricia me rappelle ainsi : « La dernière fois qu’elle est descendue [à Quimper], ça c’est très mal passé. Je sais pas si tu as eu l’occasion d’entendre ses enfants… » (12/1998), faisant référence à des scènes engageant leur mère, ses sœurs les plus impliquées dans la prise en charge de Marc et les propres enfants de Dany. D’autres apparentés produisent un véritable travail émotionnel pour taire ou atténuer ces inimitiés et préserver la cohésion du groupe sur le long terme. Ces différents éléments attestent de l’importance des enjeux des appartenances familiales : ce qu’elles engagent – notamment l’entraide matérielle et affective, mais aussi la reproduction d’un statut social – est suffisamment crucial pour produire d’importantes tensions et travailler à les atténuer en permanence.

Comment les inimitiés sont dites : le poids du sang et du genre

40Ces enjeux d’appartenance, et les modes d’expression d’inimitiés qui les accompagnent, se déclinent cependant différemment selon la position au sein du groupe de parenté. Ils apparaissent notamment très différents pour les « consanguins [6] » et les alliés. Mais l’examen des inimitiés exprimées à l’encontre de Gisèle et Dany et leur comparaison avec celles dont sont l’objet leurs homologues masculin montrent aussi qu’au-delà de cette distinction, ces enjeux se déclinent de façon différenciée pour les hommes et les femmes.

Les alliés : des cibles idéales

41Dans les deux familles, les inimitiés ne sont pas formulées dans les mêmes termes selon qu’elles concernent des consanguins ou des alliés. Dans le cas des Pilon, notamment, Micheline qualifie sans appel ses relations avec ses beaux-frères et belle-sœur : « j’aimais pas du tout », dit-elle à propos d’un de ses beaux-frères, « c’est une fille qui vraiment me déplaît fortement », dit-elle à propos de Gisèle (juillet 2001). Gaël, quant à lui, n’hésite pas à employer des qualificatifs très négatifs pour parler de ses oncles par alliance : comme nous l’avons vu, il qualifie Jean-François de « con » et de « beauf », mais aussi le mari de Monique de « fainéant de base qui critique tout », de « maniaque tout le temps à critiquer » (juillet 2001). Si la crudité de ces propos doit être rapportée au contexte amical de l’entretien, on peut néanmoins noter qu’elle ne trouve pas d’équivalent dans la description des tantes et de l’oncle consanguins de Gaël. Elle est par ailleurs relativement assumée et perçue comme normale. Critiquant son beau-frère, Micheline précise ainsi : « C’est la belle-sœur qui parle » (juillet 2001). De la même façon, on retrouve chez les Le Vennec une critique sans retenue du second mari de Dany, qualifié de « raciste », de « radin », d’« intolérant ». Les critiques émises ensuite à l’encontre de Dany elle-même sont rapportées à l’influence de son époux : « du coup Dany, elle a vachement changé », m’explique Sabrina. Les caractéristiques négatives de la personne consanguine, parce qu’elles ne sont admises que comme des conséquences des caractéristiques du conjoint, sont présentées comme transitoires, susceptibles d’être corrigées : « Ça reviendra, je pense », explique ainsi Patricia à propos du manque de solidarité de sa sœur. Le contraste entre la violence des propos tenus à l’encontre des alliés et la prudence des critiques émises à l’égard des consanguins – qui ne se traduisent jamais, dans les cas étudiés, dans les termes de désaffection qui peuvent être prononcés à l’encontre des alliés (« je ne l’aime pas », « je le déteste », etc.) – témoigne à nouveau du travail émotionnel fourni dans le cadre des relations de parenté : tout se passe comme si les apparentés reportaient leurs sentiments négatifs sur les alliés pour éviter la rupture de certaines relations, notamment entre consanguins. Ainsi, lorsque Roseline parle des partages et explique qu’elles et ses sœurs ne voulaient surtout pas « se fâcher », elle précise : « mon frère c’est autre chose, il y a la belle-sœur qui rentre en ligne de compte ». Les tensions qui ont affleuré au moment de la succession entre Pierre et ses sœurs ont avant tout été interprétées comme résultant des prises de position de Gisèle, perçue comme seule responsable du conflit. C’est ce que confirment d’ailleurs le récit que fait Jean-François de ces partages (mars 2002) :

42

Moi j’ai pas participé, parce que nous on est exclu les conjoints, ce qui est normal. Mais bon, je crois savoir que quand même ici, là, ça s’est pas trop bien déroulé vers ici, là [il désigne Pierre et Gisèle sur l’arbre généalogique et sourit]. Elle aussi, elle se croyait un peu lésée. Enfin bon, elle a influencé son mari, Pierre, pour essayer de nous faire fâcher, mais bon… Ça a pas marché quoi, je pense, parce qu’il y a vachement de solidarité entre les sœurs.

43Au sein des deux groupes de parenté observés, la préservation de l’intégrité du patrimoine familial est étroitement liée à la capacité de maintenir les conditions de survie et la position sociale des membres de la famille. Au travers des tensions successorales s’exprime alors le soupçon envers les alliés d’introduire, au sein de systèmes d’entraide et de reproduction sociale plus ou moins fragiles, des intérêts divergents : ceux de leur propre couple, ceux de leurs propres enfants, ou encore ceux de leur famille d’origine. Jeanne m’explique ainsi pourquoi elle et son mari s’étaient faits une donation au dernier vivant [7] en 1975, pour être sûrs de ne pas être chassés de chez eux par leurs héritiers, qui pourraient réclamer leur part de la maison en cas de veuvage : « Parce qu’on s’est dit : “Oh la, la, on en a déjà deux de mariées, si il arrive quelque chose, ou…”. Avec nos enfants, on sait qu’ils sont comme ils sont, mais, avec nos beaux-enfants, on sait pas » (06/2002). La concentration des inimitiés sur ces alliés, en particulier les belles-filles et belles-sœurs, permet notamment de préserver la figure masculine du « repreneur », qui incarne le maintien du statut social du groupe familial (Bessière et Gollac 2008 ; Bessière 2010 ; Gollac 2014) : contrairement à Gisèle, Pierre n’est pas soupçonné de mettre en danger le commerce familial, alors même qu’il exprime en entretien la volonté de le vendre ; Éric Le Vennec, qui crée une entreprise de bâtiment sous l’impulsion de son père après avoir été salarié dans la même société que lui, est préservé des remarques sur l’éducation de ses enfants, qui se concentrent sur son épouse.

44Les inimitiés exprimées à l’égard des alliés peuvent aussi être interprétées comme des expressions de la distance sociale qui les séparent du groupe familial. C’est clairement le cas, chez les Le Vennec, en ce qui concerne Georges, le compagnon actuel de Dominique qui exerce comme dentiste dans le centre-ville de Quimper. Les membres de la famille Le Vennec ont en commun, à quelques exceptions près, d’être dotés d’un faible capital scolaire et de connaître des réussites économiques contrastées (cf. figure 1). Alain, le mari de Patricia témoigne sans ambiguïté de la distance sociale qui sépare Georges des autres membres de la famille, lorsque je l’interroge sur les relations que son beau-père entretenait avec ses différents gendres (avril 1999) :

45

Les rapports entre le beau-père et ses trois beaux-fils ont été, je dirais, bons et faciles. Alors que avec maintenant l’ami de Dominique, c’était peut-être plus difficile du fait que, comment, comment on appelle ça… Le social… Pas l’acquis social… Ah, comment on appelle ça… Ah, le niveau social. Le niveau social était différent entre ma belle-famille et puis Georges, qui est quand même une personne aisée, qui a des moyens. Donc le contact était peut-être un peu plus distant entre mon beau-père et cet homme-là. Et puis bon, il était pas marié à Dominique en plus de ça.

46Georges fait ainsi l’objet de plusieurs remarques et plaisanteries. Sabrina m’affirme par exemple qu’elle était plutôt contente que Georges n’assiste pas à son mariage. En novembre 1998, la veille de la messe anniversaire de la mort de leur père, les frères et sœurs Le Vennec et plusieurs de leurs enfants se retrouvent tous chez Jeanne dans la soirée, pour y donner un coup de main pour les préparatifs du « kir » qui sera offert le lendemain dans la maison. Dominique est venue avec Georges, qui repart rapidement pour raison professionnelle. On trouve alors un petit porte-monnaie dans le jardin et on se demande qui est son propriétaire. Joël affirme alors, devant Dominique, que la seule chose certaine, c’est qu’il n’appartient pas à Georges : il est trop petit. Tout le monde rit de la plaisanterie (Journal de terrain, 21/11/1998).

47On observe ainsi des formes d’expression de l’inimitié différenciées, selon qu’elles concernent les alliés ou les consanguins. Les alliés peuvent être l’objet de critiques, de plaisanteries, d’antipathies, relativement assumées et qui marquent parfois de façon explicite une certaine distance sociale. Ces expressions d’inimitié peuvent renvoyer à une exclusion de fait du groupe familial, liée à des appartenances sociales dissonantes qui renforcent le soupçon d’intérêts divergents. Dans le cas des consanguins, l’expression des inimitiés, plus prudente, renvoie plutôt à un rappel à l’ordre de l’appartenance, tel que Florence Weber le mettait en évidence sur les scènes sociales de la famille et du travail-à-côté dans les classes populaires (Weber, 1989). La distance sociale qui a pu parfois se creuser entre eux est moins volontiers mise en scène au travers de l’expression d’inimitiés [8].

Comment remettre une belle-sœur à sa place ?

48Cette hypothèse de formes différenciées d’expression des inimitiés au sein de la famille, entre consanguins et entre alliés, mérite cependant d’être nuancée. Dans le cas de Gisèle, par exemple, la distance sociale qui la sépare objectivement de sa belle-famille est loin d’être assumée. Gisèle est la fille de bijoutiers parisiens qui, selon les propos de son mari, ont accumulé un important patrimoine : « ils ont fait une fortune », me dit-il, et il m’explique que sa belle-mère perçoit les loyers de sept ou huit appartements qu’elle possède à Paris (03/2002). La sœur aînée de Gisèle est artiste peintre, gagne assez peu d’argent grâce à la vente de ses œuvres mais vit d’« un ou deux loyers sur Paris ». Son frère est également peintre, a exposé à Beaubourg et vit de sa peinture. Sa seconde sœur ne travaille pas mais est mariée à un homme salarié des télécom qui « gagne bien sa vie ». Son frère cadet, enfin, est brocanteur. Cette description précise que fait Pierre, en entretien, de la situation de ses beaux-parents, beaux-frères et belles-sœurs contraste avec les qualificatifs employés par les autres membres de la famille Pilon pour décrire leur situation : « forains », « vies de patachons », « chômeurs ». Gaël, qui a séjourné plusieurs fois chez la mère de Gisèle (elle a définitivement emménagé dans sa résidence secondaire dans un village voisin de celui des Pilon), me dit qu’elle est « tarée », « folle ». Voici comment Micheline les présentent (07/2001) :

49

Il y en a une qui fait de la peinture naïve, qui va, l’été, dans des camps ou de naturisme ou des associations, elle change tous les ans, pour faire de la peinture. Elle n’est pas mariée, elle a un enfant. Je n’ai rien contre, mais si tu veux… Jamais d’argent, toujours en train de pleurer, emprunter à droite à gauche parce que, bon, ça lui rapporte pas. Sa gamine s’est élevée un peu toute seule. Gisèle elle a un frère qui s’est marié avec une Chinoise, à l’époque parce qu’elle était étudiante et elle avait, euh, il a fait au début un mariage blanc : elle avait son visa qui s’arrêtait, elle devait repartir en Chine, donc elle s’est mariée avec lui. Et puis après elle a eu des jumelles, et après ils ont divorcé. Et puis lui l’autre frère, ben il est célibataire et il a pas de situation. Et il doit avoir le RMI.

50Les membres de la famille de Gisèle font ainsi l’objet d’un véritable travail de disqualification, mettant en cause leurs pratiques familiales (enfants hors mariage, mariage blanc, célibat tardif) et économiques (instabilité professionnelle, chômage, recours aux minima sociaux et à l’emprunt). Micheline concède cependant : « Ils sont originaux, mais tous intelligents, hein ». Contrairement à ce qui se passe pour Georges, l’appartenance de la famille de Gisèle aux classes supérieures n’est pas mise en scène pour souligner son exclusion du groupe. Elle est au contraire contestée. Les Pilon appartiennent aux franges supérieures des classes moyennes : Monique est directrice d’école, Pierre pâtissier-boulanger, Micheline cadre « maison » à la SNCF et Roseline profession intermédiaire à la Direction départementale de l’Équipement de la Gironde. Mais du point de vue de l’espace local au sein duquel ils évoluent, ils constituent de véritables notables, Roseline étant par ailleurs adjointe au maire de la commune de Tournègue. La présence de Gisèle et de sa mère dans la famille Pilon met en danger la position sociale de ce groupe familial, dans la mesure où – en tant que « Parisiennes », d’une famille où le capital culturel joue un rôle important et se cumule avec un capital économique non moins impressionnant – elles sont les ambassadrices d’un espace social plus large, au sein duquel la position des Pilon est moins prestigieuse que celle qu’ils ont acquise sur le territoire familial de Tournègue. La position sociale de Gisèle et de sa famille ne repose pas, elle, sur une notabilité locale, sur un capital d’autochtonie [9] dont la valeur ne se réalise qu’au sein d’un espace restreint. Les modalités de la rencontre des deux conjoints sont à cet égard éclairantes : Gisèle venait en vacances dans le Blayais. La relation de la famille de Gisèle à cet espace est significative : elle retraduit concrètement la hiérarchie entre la région parisienne et le village de Tournègue. En épousant Gisèle, Pierre a renoncé, contrairement à ses sœurs qui se sont mariées avec des « locaux », à « l’ascèse de l’autoconsommation (dont l’homogamie est un aspect) » (Bourdieu 1989 : 20), fragilisant ainsi la clôture de l’espace local au sein duquel les Pilon s’attachent à reproduire leur position sociale. Il est à cet égard particulièrement intéressant de noter que la qualité de « Parisienne » de Gisèle est fréquemment répétée et associée à des qualificatifs dépréciatifs, comme l’exprime Micheline (07/2001) :

51

Gisèle, à mon avis, j’aurais envie de dire, elle a pas bien été accueillie à Tournègue au début, parce que c’était la Parisienne, c’était la dévergondée. Péjoratif. Mais c’était pas vrai, hein. C’était le terme que Maman pensait d’elle, tu vois. Parce qu’elle était moderne, elle était… Tournègue… Elle était très dégourdie.

52Pourquoi, cependant, la position sociale dominante de Gisèle ne peut-elle pas être traitée à l’instar de celle de Georges, sur le mode de la dérision et de la critique ? C’est que les attentes de la famille Pilon à l’égard de l’épouse de Pierre ne sont pas les mêmes que celles des Le Vennec à l’égard de Georges, de même que des Pilon à l’égard, par exemple, de Jean-François. En tant que femme, Gisèle doit notamment négocier sa position au sein des solidarités organisées entre sa belle-mère et ses belles-sœurs pour assurer la prise en charge des enfants et diverses tâches domestiques. Comme l’ont observé Willmott et Young, cette négociation est d’autant plus problématique entre alliées qu’elles n’ont pas bénéficié d’une socialisation commune au travail domestique (c’est sans doute encore plus vrai lorsque la belle-fille appartient non seulement à une famille différente mais à un milieu social différent, ce qui est le cas de Gisèle) :

53

« S’il faut partager une maison – et en particulier une gazinière – mieux vaut que ce soit avec les parents de la femme. La raison est simple : la mère et la fille sont déjà habituées l’une à l’autre, alors que la belle-mère et la belle-fille sont étrangères, pire encore rivales, et se disputent fourneau, évier, ou – qui sait – l’homme lui-même ».
(Willmott et Young 2010)

54Les propos de Micheline sur les conditions de l’intégration de Gisèle dans la famille font étonnamment écho à ce constat : « Elle s’est pas sentie bien. Parce qu’il faut quand même vivre à côté de ta belle-mère, à côté de tes belles-sœurs. Avec la belle-mère qui éventuellement peut dire : “Ah ben non, Pierre, ton mari, je regrette, il n’aime pas l’ail dans le rôti” » (07/2001). Par ailleurs, en épousant une femme d’origine sociale élevée, Pierre a réduit la probabilité qu’elle contribue à la valorisation du commerce familial en acceptant d’y travailler comme aide familiale. Il a aussi réduit les chances qu’elle socialise ses enfants à la reprise de la boulangerie. L’origine sociale de Gisèle, qui engage l’organisation économique du groupe familial comme le devenir de son patrimoine, ne peut donc pas être traitée comme celle de ses homologues masculins, sur le mode de la dérision.

Des femmes infidèles… à ce qu’on attend d’elles

55Par ailleurs, du fait de son origine sociale, Gisèle bouleverse les rapports de pouvoir au sein de son couple : « C’est un peu elle qui commande, qui pilote », me dit d’ailleurs Jean-François (03/2002). Comme nous l’avons vu, son caractère « dégourdi », son indépendance sont des sources de critiques. Gaël m’indique aussi que « c’est la seule qu’est vraiment pas du tout cuisinière » dans la famille (07/2001). L’origine sociale de Gisèle et ses pratiques créent ainsi un décalage avec des attentes genrées et socialement situées du groupe familial à son égard. Cette déception des attentes atteint son point d’orgue au travers de l’accusation d’infidélité. Gaël met directement en relation cette accusation et la distance sociale entre les conjoints (07/2001) :

56

Donc Gisèle, qui va souvent à Bordeaux, aurait un amant. Parce que forcément, comme elle est parisienne, elle a pas trop de points communs avec Pierre qui est vraiment très campagne, qui a récupéré la pâtisserie, qui a pas fait d’études. Et soit disant qu’elle s’est trouvé un type… C’est qu’il vient souvent à la maison parce qu’ils ont des centres d’intérêt : ils vont au théâtre, ils vont au cinéma, ils vont participer à des débats. Elle est très engagée dans la politique Gisèle, parti des Verts. Donc forcément, ce type-là elle le voit beaucoup, et comme elle va souvent à Bordeaux tout le monde dit que c’est son amant. Mais tout le monde trouve… Tout le monde trouve odieux qu’elle le ramène tout le temps à la maison, qu’ils discutent et tout… Alors moi, je suis le seul dans la famille, mais j’y crois pas. Je dis que c’est simplement Gisèle qui est très parisienne, que tout le monde déteste là-bas du coup, comme elle participe pas à tous ces trucs de famille, qu’elle déteste ça, elle commence un peu à être détestée de tout le monde quoi. Détestée c’est exagéré, mais tout le monde parle d’elle en mal.

57Il est intéressant de noter que Dany aussi fait l’objet d’une accusation d’adultère, dont me fait part Sabrina (11/1998) :

58

Et puis Dany, ses enfants, ils peuvent plus la supporter et tout. Elle a un peu lâché ses enfants, quoi, en fait.
Mais ils ont quel âge, Joël et Nelly ?
Nelly elle a 24, 25. Et Joël il a 21. Mais bon, ils sont assez déçus, quoi, alors qu’avec leur père, ils s’entendent très bien et tout, ils sont partis à la Martinique [où leur père a travaillé quatre ans]. Sinon Nelly, elle a fait un séjour à Saint-Pierre et Miquelon, là-bas. Mais elle s’est fait chier, quoi. Et Joël, il veut pas y aller, quoi. Parce qu’en fait, tous les deux, ils supportent pas du tout le deuxième mari, quoi. En plus… Enfin… Dany, elle a certainement trompé Lionel avec Philippe il y a très longtemps, quoi en fait. En fait, c’était un collègue de travail. Et bon, ils se sont sans doute rendu compte de ça au fur et à mesure. Donc déjà, il doit y avoir des tensions par rapport à ça, et en plus, lui, il est carrément intolérant et tout, donc…

59Dans ce passage d’entretien, l’adultère est associé au fait de ne pas remplir son rôle de mère (« elle a lâché ses enfants »), bien distinct du rôle du père dont l’éloignement – certes pour une destination plus attractive – ne semble pas poser problème. De la même façon, Micheline souligne les retentissements de la position conflictuelle de Gisèle sur ses enfants (07/2001) :

60

Il y a trois, quatre ans, il y avait des repas de famille où Gisèle interdisait les enfants… Alors, ils [Gisèle et Pierre] voulaient pas venir, et ils interdisaient les enfants de venir aux repas de famille. Alors style l’anniversaire, style le réveillon de Noël, Nouvel An. Et les petits en souffraient. Tu vois, moi il y a Florent et Arthur, je les ai vus se disputer avec leur mère, en disant : « Nous on veut y aller ».

61Gisèle et Dany sont ainsi toutes deux accusées d’agir sans sacrifier leurs sentiments (amoureux mais aussi hostiles) à des intérêts familiaux – celui de leurs enfants, de leur frère malade, du commerce familial. Elles refusent les attitudes de dévouement et le travail émotionnel attendus de leur part, notamment en tant que femmes (Molinier 2004). Dany assume effectivement son refus de prendre en charge son frère, lorsque je lui demande si les problèmes engendrés par la maladie de Marc n’ont pas pesé sur son conjoint de l’époque (06/2002) :

62

Ben, c’était sa famille aussi, donc, de ce côté-là, bon… Non, non, Lionel il était même plus tolérant que moi à l’époque.
C’est-à-dire ?
Enfin, bon… Il me laissait complètement décider, quoi. Je sais que quand il [Marc] avait quitté Dominique et Jean-Pierre [chez qui il a habité pendant un an], il avait pris le train, euh, et il s’était arrêté… À l’époque, on était à Plougastel. Il était arrivé chez nous en disant que la maison lui plaisait, qu’il allait s’installer quoi. [Elle rit] “Ah non, j’ai dit, ben non, tu t’installes pas, tu dégages”. Ah, ça s’était assez mal passé, quoi. Il sortait de chez Dominique où il avait foutu une merde pas possible, il arrivait chez moi et il comptait s’installer. J’ai dit : “Non, pas question”.
Et votre mari, il était resté « cool »… ?
Oui, oui. Il était même pas intervenu, je crois pas. À la limite, j’aurais dit : “Oui, tu t’installes”, je sais pas s’il aurait dit quelque chose. Non, il était pas question, n’importe comment, qu’il s’installe chez moi. Ah non, j’aurais pas supporté… Non, mais la famille c’est pas… C’est pas tout sacrifier pour la famille, quoi.

63Comme Gisèle, Dany occupe une position particulière dans son couple, au regard de son sexe : « Il me laissait complètement décider », dit-elle de son ex-mari. La capacité de Dany à dominer un conjoint masculin s’est aussi ressentie au cours de son second mariage, puisque Sabrina fait devant moi l’hypothèse que son deuxième mari l’a quittée parce que, depuis des problèmes de santé, il « supportait mal que ce soit Dany qui remporte toutes les compétitions équestres » auxquelles ils participaient tous les deux. Du point de vue du genre, la socialisation de Dany au sein de sa famille a en fait été ambiguë. C’est la seule fille à avoir accompagné son père, maçon, sur les chantiers et elle a obtenu un BEP d’électricité du bâtiment : « Il était assez fier de ça d’ailleurs, d’avoir une fille qui travaillait comme un homme », me dit-elle (juin 2002). Contrairement à son frère Éric, elle ne pourra cependant pas exercer dans la profession, faute de trouver des patrons prêts à embaucher une femme sur les chantiers. La non-conformité de cette sœur aux rôles féminins attendus, tout comme l’impossibilité d’endosser le rôle masculin de repreneur, qui ira à son frère, expliquent sans doute qu’elle assume une position de retrait par rapport aux intérêts du groupe familial : « La famille… C’est pas tout sacrifier pour la famille ».

64Dany et Gisèle constituent ainsi des personnages contestés du point de vue du genre socialement attendu d’elles au sein de leurs groupes familiaux respectifs. C’est en référence à des rôles féminins d’épouse ou de mère que s’expriment à leur encontre des inimitiés. En tant que femmes, on attend d’elles qu’elles remplissent un devoir d’appartenance selon des modalités féminines socialement déterminées (être aide familiale en milieu artisan, assumer directement la prise en charge des personnes dépendantes en milieu populaire). Mais leur origine sociale ou leur socialisation leur confère un genre qui rend problématique, plus ou moins ponctuellement, cette appartenance féminine au groupe familial.

Conclusion

65Il ne s’agit pas, à l’issue de cet article, de proposer une lecture univoque des expressions des inimitiés dans la famille. Il peut s’agir de rappels à l’ordre des appartenances familiales tout comme de l’expression de distances sociales plus ou moins tolérées – ces distances sociales prenant une signification différente selon la place des apparentés dans les solidarités familiales ou les stratégies de reproduction. Elles varient et se renouvellent au gré des évolutions de la configuration familiale et de la trajectoire des apparentés. Au-delà de cette variété et de cette dynamique, leurs auteurs, leurs contextes d’énonciation, leur contenu témoignent de la force des enjeux matériels et sociaux des appartenances familiales : la relative prudence avec laquelle elles sont formulées, le travail émotionnel dont elles font l’objet, révèlent le coût considérable que représente la rupture des liens familiaux, en particulier lorsqu’ils sont fondés sur une parenté quotidienne (Weber 2013) longue et intense, comme c’est fréquemment le cas entre « consanguins ».

66Ces expressions d’inimitié témoignent également des positions inégales des hommes et des femmes au sein des groupes familiaux. Les hommes, en particulier les gendres et beaux-frères, peuvent être ouvertement et vertement critiqués. Mais la critique est formulée selon des qualificatifs généraux, qui évaluent l’attitude publique des personnes (macho, raciste, radin). Peut-être parce que le rôle des femmes au sein des groupes de parenté est à la fois crucial (même si elles ne transmettent qu’exceptionnellement le nom de famille et incarnent rarement la réussite sociale de la lignée, ce sont elles qui assurent la production domestique et élèvent les enfants qui assureront la reproduction du statut social familial) et cantonné au « privé » (Fraisse 2000), les inimitiés formulées à leur encontre, qu’il s’agisse de sœurs ou de belles-sœurs, s’ancrent en revanche dans l’évaluation morale de comportements intimes : relation aux enfants, relation conjugale voire sexualité. Elles rendent compte des devoirs genrés des femmes à l’égard des groupes familiaux y compris, dans certains milieux sociaux et dans certaines configurations familiales, lorsqu’il s’agit de leur belle-famille.

67Ainsi, les inimitiés dites en famille ne relèvent pas simplement d’affinités ou d’aversions interpersonnelles, mais aussi de la position d’individus dans et par rapport à des groupes – en l’occurrence familiaux, structurés par des rapports sociaux de sexe et de classe. Ces groupes se mobilisent autour de solidarités quotidiennes ou d’enjeux de reproduction, qui engagent des coopérations économiques régulières (partage des tâches domestiques, soutiens financiers) et des transmissions patrimoniales. L’expression des inimitiés s’articule ainsi étroitement à l’organisation économique des relations de parenté et aux enjeux de production et de reproduction qui les structurent. Loin de reposer sur les affects plutôt que sur les « choses » (Durkheim 1975), la parenté contemporaine les met en jeu indissociablement [10].

Notes

  • [1]
    Cette hypothèse formulée par Durkheim dès 1892 (Durkheim 1975) est centrale dans la théorie sociologique de la famille contemporaine développée par François de Singly (Singly 2007 : 11-12).
  • [2]
    Le travail de Bernard Vernier sur la « genèse sociales des sentiments » dans l’île grecque de Karpathos est à cet égard exemplaire (Vernier 1991 ; Bensa 1992).
  • [3]
    Les figures 1 et 2 permettent d’avoir un aperçu des configurations sociodémographiques des familles de Dany et Gisèle, mais aussi de situer les différents membres de leurs familles cités tout au long de l’article. Le lecteur peut donc s’y référer régulièrement.
  • [4]
    Le terme de maisonnée désigne ici un groupe de coopération productive quotidienne, qui rassemble des personnes éventuellement apparentées et souvent co-résidentes qui assurent ensemble la production nécessaire à la survie quotidienne de ses membres et se mobilisent autour de « causes communes », comme la prise en charge de jeunes enfants, d’une personne âgée ou d’un adulte handicapé, ou l’entretien d’une maison, le fonctionnement d’une affaire familiale, etc. (Weber 2002).
  • [5]
    Isabelle Bertaux-Wiame a bien montré combien le travail des femmes peut être considéré comme indispensable au fonctionnement des boulangeries artisanales (Bertaux-Wiame : 1982). Nathalie Scala-Riondet a actualisé ce constat (Scala Riondet 2005 : 279-308). Bernard Zarca a souligné, plus généralement, l’importance du travail « en famille » dans le fonctionnement des entreprises artisanales (Zarca : 1986).
  • [6]
    Par commodité, on appelle « consanguins » celles et ceux qui sont liés par un lien de filiation (parents et enfants, frères et sœurs), qu’il y ait ou non de parenté biologique entre eux (cette filiation peut être fondée sur l’adoption par exemple), par opposition au lien d’alliance produit par le mariage, le PACS ou l’union libre.
  • [7]
    La donation au dernier vivant permet aux conjoints mariés de se céder mutuellement l’usufruit de la totalité de leurs biens ou le quart de ces biens en pleine propriété et les trois quarts en usufruit en cas de décès de l’un des époux. Elle est beaucoup moins utilisée depuis la loi du 3 décembre 2001 qui a institué le droit à l’usufruit de la totalité des biens du conjoint décédé ou à la propriété d’un quart de la succession pour tous les conjoints survivants.
  • [8]
    Malgré les mécanismes de reproduction, il est rare que l’ensemble des membres d’une fratrie appartiennent tous, in fine, à la même catégorie sociale (Zarca 1995a, 1995b), et le constat statistique d’une tendance à l’homogamie (Bozon 1991) n’empêche pas l’observation de « beaux » ou de « mauvais » mariages, qui peuvent creuser les différences de mode et de niveau de vie entre frères et sœurs.
  • [9]
    Nous suivons ici la proposition récente d’appliquer la notion de capital d’autochtonie, originellement utilisée pour les classes populaires (Bozon et Chamboredon 1980 ; Retière 2003) à des catégories sociales de plus en plus nombreuses et à partir d’objets de plus en plus variés (Tissot 2010 pour les classes supérieures, Mazaud 2010 pour les artisans).
  • [10]
    On rejoint ainsi la longue lignée de travaux remettant en cause l’opposition – tantôt scientifique, tantôt indigène – entre intérêts et passions (Bensa 1992), entre économique et intime (Zelizer 2001).
Español

Cet article explore, à partir de deux monographies au long cours, les conditions de l’expression d’inimitiés au sein de la famille en se concentrant sur deux figures : une sœur et une belle-sœur. Ces inimitiés constituent des mises en cause autant que des rappels à l’ordre de l’appartenance au groupe familial, tant du point de vue des solidarités quotidiennes que des enjeux de reproduction du statut social du groupe. Leurs modes d’énonciation varient bien selon qu’elles portent sur une consanguine ou sur une alliée, mais leurs traits communs révèlent aussi le poids du genre dans l’expression des sentiments au sein de la famille.

Ouvrages cités

  • En ligneBensa, Alban. 1992. « Sociologie et histoire des sentiments », Genèses, n° 9 : 150-163.
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  • En ligneZelizer, Viviana. 2001. « Transactions intimes », Genèses, n° 42 : 121-144.
Sibylle Gollac
Sibylle Gollac est chargée de recherche au CNRS (IDHES Nanterre), associée à l’équipe « Culture et sociétés urbaines » du Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris. Ses recherches portent sur les mobilités sociales, la place de l’économique et du juridique dans les relations de parenté et les inégalités de genre.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/09/2014
https://doi.org/10.3917/gen.096.0009
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