1 Le besoin de quantifier les usagers de drogues est apparu en France au début des années 1990. Il s’est concrétisé par la mise en place d’un système statistique d’observation du phénomène. À la question du nombre de toxicomanes s’est rapidement vue opposer celle de la définition de ce terme et celle des modalités de leur dénombrement. Qui et quoi quantifier et avec quels moyens ? Dans un premier temps, ce sont les instruments de mesure disponibles qui ont façonné la définition de ce fait social, à savoir les registres administratifs, reflétant une image institutionnelle du phénomène. L’évolution des pratiques d’usage et de la réponse institutionnelle aux problèmes liés à la toxicomanie, avec notamment la mise à disposition de produits de substitution aux opiacés, a rendu l’enregistrement statistique du phénomène encore plus difficile et improbable. Cet écueil rencontré par la plupart des nations européennes a entraîné la mise en place d’un système d’enquêtes en population générale. Si les choix techniques opérés en France ont été relativement originaux, l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies (OEDT) a joué un rôle déterminant dans l’élaboration d’un protocole encadrant les questionnements et les nombreux points de méthode, avec un objectif affirmé de comparabilité internationale.
2 Les chiffres issus de ces enquêtes se sont ainsi trouvés médiatisés à partir de la fin des années 1990, au point de peser parfois lourdement sur le débat public. Ce fut notamment le cas dans le livret de connaissance Savoir plus risquer moins sur les drogues et les toxicomanies, diffusé par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) [1] dans le but de créer une culture commune aux professionnels et au grand public, et qui reposait de façon très visible sur les enquêtes en population générale. Chaque drogue y était présentée sous l’angle de ses spécificités, de ses effets, de ses dangers, mais aussi de la part d’individus concernés au sein de la population, ce qui constituait une véritable nouveauté. Dès lors, un produit se définissait aussi par ses prévalences d’expérimentation et d’usage régulier. Ces chiffres se sont notamment trouvés récemment au cœur d’enjeux politiques primordiaux du point de vue des drogues et des toxicomanies, tels que le bien-fondé d’une approche addictologique globale opposée à une approche où chaque produit occupe une place singulière, ou encore la définition et le repérage des usages problématiques de cannabis. Il s’agira ici de retracer sur les trois dernières décennies l’organisation des réponses au désir de quantification diversement exprimé par les acteurs sociaux. Les significations attribuées aux usages de drogues ont profondément changé au cours de cette période et nous verrons dans quelle mesure cette transformation contextuelle imprègne le passage de la mesure d’un phénomène singulier à la description de pratiques diverses.

De la mesure de l’ampleur du problème à la mesure de la diversité des situations
Compter et décrire : une demande diversement formulée
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La nécessité de mesurer de façon fiable les usages de drogues s’est dessinée en filigrane lors de la prise en compte institutionnelle de la toxicomanie dans les années 1970, au moment de la mise en place de la loi sur l’usage des stupéfiants et du lancement des premiers centres de consultations spécialisés en toxicomanie. Claude Olivenstein, directeur d’un centre d’accueil pour toxicomanes et figure emblématique de la prise en charge des usagers de drogues, rappelait cette phrase de Pierre Deniker, pionnier de la psycho-pharmacologie et membre de l’Académie nationale de médecine : « Le problème de la toxicomanie n’existe pas : il y a 27 toxicomanes en tout et pour tout en France, je les connais tous », à laquelle il répondait « À l’époque consultant clandestin, j’en avais déjà vu plusieurs centaines » [2], exprimant dans ces termes sa méfiance à l’égard de l’appareil institutionnel dans sa fonction d’observation du phénomène. D’un autre côté, quantifier n’apparaît pas vraiment nécessaire dans un contexte où peu, c’est déjà trop. On peut lire, dans une circulaire du ministère de la Santé publique relative au rôle de la santé scolaire dans la lutte contre la toxicomanie datée du 15 janvier 1970 :
Cette crainte de la contagion suffisait ainsi à faire de l’usage des drogues un fléau social quelle qu’en fut l’ampleur réelle.« On ne peut ignorer l’existence de quelques cas isolés de toxicomanie chez les élèves, cas entraînant, ou pouvant faire craindre, une contamination à l’intérieur de la collectivité scolaire. »
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Les chercheurs qui se sont penchés sur la diffusion des usages de drogues dans les années 1970 et 1980 se sont heurtés à la difficulté d’en donner une mesure précise [3]. Les auteurs du rapport Pelletier avaient tenté, dans le cadre de la Mission d’étude sur l’ensemble des problèmes de la drogue, l’« essai d’un tableau de l’usage actuel de drogues en France » mais mettaient immédiatement en garde le lecteur :
Les guillemets utilisés autour du terme de « drogués » sont révélateurs de la difficulté à rendre compte de ce phénomène, auquel les spécialistes ne réussissent même pas à donner un nom satisfaisant. Les chiffres qui suivent sont en effet cités sans source, semblant de fait sortis de nulle part, ou issus de « nombreux témoignages » :« Le caractère changeant d’un phénomène impossible à cerner statistiquement rend hasardeuse toute tentative pour dresser un tableau de l’usage actuel des “drogués” en France. Les indications […] n’ont d’autre ambition que de donner une impression d’ensemble de la situation présente, que sa mobilité même peut remettre en question demain [4]. »
L’apparente fermeté de ces chiffres est trompeuse, ils provenaient en fait d’un rapport d’enquête sur les lycéens qui consistait en dix entretiens menés auprès des chefs d’établissement, en quelque sorte bombardés « experts » [5] pour l’occasion.« Dans certains établissements, on estime que 30 à 50 % des jeunes ont essayé le “H” une fois ou l’autre, mais que le chiffre des fumeurs réguliers ne dépasse pas 5 %. Mais dans certaines sections, on compterait 70 % de fumeurs plus ou moins occasionnels dans une classe alors que, dans la classe voisine, il n’y en aurait pratiquement aucun. »
5 En janvier 1990, Georgina Dufoix, alors Délégué général à la lutte contre la drogue et la toxicomanie, lança une mission d’évaluation des statistiques sur la drogue. À partir d’une exploration des sources disponibles sur ce domaine, il s’agissait de préciser les possibilités de quantification des éléments qui le composaient. Cette mission, confiée à René Padieu, inspecteur général de l’Institut national de statistique et d’études économiques (Insee) [6], devait aboutir à la création d’un observatoire coordonnant les efforts dans ce sens. Une des raisons était que les instruments d’observation existants, construits dans une logique d’action, mettaient parfois au jour des niveaux radicalement différents et des tendances contradictoires. Les statistiques répressives illustraient, par le biais des données d’interpellation, une prédominance du cannabis tandis que celles issues du système de recours au soin présentaient une population majoritairement composée d’usagers d’héroïne, alors même que les ethnologues évoquaient quant à eux de nouveaux usages de la cocaïne ou de drogues de synthèse telles que les amphétamines ou l’ecstasy, dont les adeptes n’étaient pas encore concernés par les institutions en charge des usagers de drogues.
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Pourtant, les critiques des acteurs de terrain à l’égard des données statistiques et épidémiologiques étaient parfois féroces, comme le prouve cette réflexion de C. Olivenstein à propos d’un exposé d’Isabelle Grémy, médecin épidémiologiste, sur les données statistiques recueillies en Île-de-France :
Les ethnologues jugeaient également sévèrement les premières enquêtes statistiques mises en place au niveau national par une équipe d’épidémiologistes de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) [8] :« Sans vouloir être méchant, j’ai littéralement été consterné par la présentation de Mme Grémy. J’y ai trouvé toutes les non raisons de la collaboration entre cliniciens et épidémiologistes […] c’est du scientisme […] Cela ne peut pas être aussi linéaire [7]. »
Une telle défiance à l’égard des statisticiens n’est pas sans rappeler les positions de Jean-Claude Passeron [10] ou d’Aaron V. Cicourel [11] pour qui la rigueur des statistiques est un leurre si le statisticien ne se donne pas réellement tous les moyens, leur sens ne se révélant qu’au regard de données contextuelles obtenues parallèlement au recueil statistique à proprement parler [12]. Selon A. V. Cicourel, le chercheur quantitativiste serait peu à même d’interpréter correctement les données en raison de la division du travail qui prévaut dans cette discipline et qui contribuerait à l’éloigner du terrain, lui laissant trop peu de temps pour s’approprier le sujet sur un mode plus qualitatif.« […] novatrice à ses débuts, mais incapable par la suite de fournir des résultats cohérents, comparables et réguliers […] Cette enquête, par son peu de crédibilité auprès des acteurs de santé, a sans doute contribué à modérer l’intérêt porté aux approches épidémiologiques [9] ».
7 La rencontre des chiffres et de la toxicomanie a donc été en partie douloureuse, notamment parce que les acteurs de terrains ne reconnaissaient pas leur activité dans l’image renvoyée par les statistiques. Celles-ci leur semblaient en gommer certaines nuances fondamentales, agrégeant des individus présentant pourtant des caractéristiques singulières et réduisant des parcours personnels à des cas quantifiés [13]. De plus, la quasi-totalité des intervenants en toxicomanie et des équipes soignantes jugeaient d’un œil critique la description statistique d’une population condamnée à la marginalité du fait de ses pratiques, de crainte de voir les chiffres instrumentalisés à des fins politiques [14]. Il faut rappeler qu’un des pans fondamentaux de la loi de 1970 est l’anonymat garanti aux usagers recourant à des soins. Pour ces intervenants, qui s’inscrivaient dans une éthique prônant le respect des libertés et pensaient avant tout à protéger des individus en situation de détresse, tout « savoir de masse » apparaissait suspect [15]. Les chiffres, susceptibles d’entraîner (et surtout d’être employés dans le but de provoquer) l’affolement de la population, la stigmatisation des usagers et une stimulation des idées les plus répressives pour éradiquer le phénomène, étaient donc massivement jugés indésirables [16]. Par ailleurs, les budgets potentiellement affectés aux comptages ne le seraient plus aux soins ou à l’écoute. Chiffrer donne également la sensation de pouvoir circonscrire le problème ; il n’est dès lors pas étonnant que les acteurs de la sphère politique y aient été plus attachés que les institutions de terrain en charge de la question. De plus, se dressait derrière les chiffres le spectre d’une évaluation qu’aucun intervenant ne souhaitait. Dans un contexte où l’épidémiologie et plus largement les perspectives de santé publique étaient encore fort peu développées en France avant les années 1980 [17], l’étude des drogues n’a ainsi pas échappé à la règle.
8 Il s’agissait au début des années 1990, de passer d’un dispositif composite et circonstanciel s’appuyant sur des registres administratifs et, de ce fait, profondément marqué par les activités des services, à un système pérenne au sein duquel enquêtes permanentes et recherches ponctuelles puissent s’articuler dans une perspective heuristique. Les enquêtes en population générale, quasi inexistantes à cette époque, sont rapidement apparues comme le manque le plus criant d’un dispositif reposant déjà sur des données institutionnelles [18], notamment parce qu’elles sont censées être représentatives de l’ensemble de la population et donc apporter des réponses fiables à la question « combien sont-ils ? ».
9 Un des objectifs était aussi de comparer la situation française à celle des différents pays européens. Au-delà de l’intérêt de mettre les pratiques en regard des différences culturelles, économiques et sociales, l’importance de cette confrontation s’explique par la diversité des législations en vigueur dans les différents pays de l’Union européenne, diversité d’autant plus grande que la mise en application des textes s’avère elle aussi très variable. En effet, la loi française passe pour être la plus répressive d’Europe et le fait qu’elle ne fasse aucune distinction entre les produits stupéfiants la rend d’autant plus sévère à l’égard des usagers de cannabis, produit appartenant à une classe à part dans la plupart des législations européennes. La mesure du niveau de consommation du cannabis revêtait de ce fait une importance particulière.
Drogue « dure », « douce », « licite » ou « illicite » : un objet mou qu’il faut quantifier
10 Rapidement, le désir de quantifier s’est heurté à un objet mou et polymorphe. Qu’est-ce qu’une drogue, qu’est-ce qu’un toxicomane ? La question est régulièrement posée et fait l’objet de débats récurrents et parfois enflammés entre différents types d’acteurs, notamment dans le champ de la recherche [19]. Les définitions disponibles sont notamment issues des champs juridique (qui classe les substances en fonction de leur statut légal : l’alcool et le tabac ne sont pas des drogues et le cannabis est un produit stupéfiant au même titre que les drogues dites dures), clinique (qui consiste à répartir les substances en fonction de leur capacité supposée à induire une dépendance) ou toxicologique (qui les différencie par leur toxicité intrinsèque supposée, indépendamment des risques de dépendances ou de risques sociaux). Le lien entre la dangerosité clinique d’un produit, telle qu’elle peut être définie par les épidémiologistes et les médecins, et son statut légal s’avère particulièrement ténu, comme l’a souligné le rapport Roques [20], le caractère illicite des substances s’inscrivant plus vraisemblablement dans une stratégie politique de disqualification de certains groupes sociaux. Tel fut le cas, par exemple, de celle menée par les mouvements de tempérance aux États-Unis [21].
11 De leur côté, les usagers eux-mêmes sont plutôt enclins à classer les produits selon leurs effets (attendus ou ressentis), au bémol près que ceux-ci dépendent des quantités consommées. Un autre point de vue d’inspiration psychanalytique proposera quant à lui de déplacer la question de l’objet « drogue » vers le sujet « usager » et de donner à la notion de « risque » une place centrale, entre désir et plaisir, alors que pour d’autres, c’est plutôt la problématique de l’articulation entre modification de l’état de conscience, de contrôle de soi et de son image au sein du groupe qui prévaut. La consommation de drogues prend sens au sein de situations sociales particulières qui s’inscrivent elles-mêmes dans un système normatif, avec comme objectif récurrent la recherche d’une certaine amélioration des performances sociales.
12 Le clivage licite/illicite a longtemps prévalu, mais les acteurs engagés sur le terrain de la toxicomanie hors du cadre répressif [22] ont très tôt insisté sur les intrications entre les différentes substances psychoactives quel que soit leur statut légal [23]. À titre d’exemple, les travaux de l’association Descartes, qui ont marqué les premiers efforts structurés de recherche en sciences humaines sur les usages de drogues, ont fortement impliqué des spécialistes de l’alcool tels que Jean-Jacques Yvorel et Véronique Nahoum-Grappe, historiens, ou Jean-Pierre Castellain, ethnologue. Il en va désormais globalement de même dans les représentations du grand public telles qu’elles peuvent être saisies par les enquêtes en population générale : à la question ouverte « Quelles sont les principales drogues que vous connaissez, ne serait-ce que de nom ? », le tabac et l’alcool occupent les sixième et septième rangs au classement des produits les plus souvent cités, avec respectivement 20 % et 19 % des enquêtés les citant spontanément, mais lorsque la question est posée explicitement (« Parmi les produits suivants, lesquels sont des drogues », avec des modalités fermées), les enquêtés s’accordent majoritairement sur le fait que le tabac (77 %) mais surtout l’alcool (84 %) en sont [24]. De fait, Il ne faut pas grand-chose pour que le grand public admette l’idée que ces produits dont l’usage est licite sont des drogues.
13 Pour illustrer la difficulté à classifier les drogues, Sylvain Aquatias [25], à partir d’un travail ethnographique sur « l’usage dur de drogue douce », propose de considérer le cannabis comme une drogue molle, c’est-à-dire une substance dont les propriétés psychotropes intrinsèques apparaissent moins déterminantes que le rôle social qui lui est donné et le contexte dans lequel elle se trouve consommée. Pour les jeunes de banlieue que l’auteur a interrogés, le cannabis ne devient une drogue que lorsque l’usager perd le contrôle de son image au sein du groupe, qu’il « pique du nez », rejoignant ainsi l’image de déchéance associée aux « toxicos » (les usagers de crack ou d’héroïne), groupe particulièrement stigmatisé par ces jeunes usagers de cannabis.
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Parler de « la drogue » et de « la toxicomanie » relève donc de la gageure tant les phénomènes observés s’avèrent complexes et disparates. C’était pourtant une position dominante avant les années 1990, s’inscrivant dans un paradigme moralisateur sous-tendu par un modèle prohibitionniste au sein duquel il faut échapper à la drogue, par-dessus tout. Cette situation était surtout singulière par rapport à des pays tels que la Suisse, la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas, déjà engagés dans des politiques pragmatiques posant les questions en termes de santé publique [26]. En outre, comme le souligne Alain Ehrenberg :
Ainsi la drogue était-elle couramment envisagée sous le seul angle d’un problème auquel il s’agissait de trouver une solution, avec une perspective politique déclinée en deux niveaux : l’abstinence comme idéal normatif et la désintoxication pour les personnes contaminées [28]. Toutes les drogues étaient considérées comme extrêmement dangereuses, notamment parce que l’expérimentation était censée mener mécaniquement à des consommations plus fréquentes et surtout à d’autres produits réputés plus dangereux, puis à la dépendance et à la déchéance.« L’usage constant du terme toxicomane brouille les cartes, car il ne permet pas de distinguer trois registres : usage, abus et dépendance. Les Anglais et les Américains ne connaissent pas ce mot, ils parlent de drug users, drug abusers et drug addicts [27]. »
La fabrique de l’objet : quelle réponse technique à la demande de chiffre ?
Compter avec les moyens du bord : cuisine et dépendances
15 Les premières tentatives de dénombrement des toxicomanes se sont appuyées sur les données disponibles, à savoir les statistiques institutionnelles, manière de saisir le problème par la réaction qu’il suscite au sein des pouvoirs publics, c’est-à-dire par le prisme des statistiques policières et sanitaires. Cela correspondait à définir le toxicomane comme un individu ayant un problème d’ordre sanitaire ou social et pris en charge, avec ou sans son accord, par une institution. La première méthode utilisée en France fut mise en œuvre à partir des données du système sanitaire. Elle portait sur une population conçue comme prioritaire en termes de santé publique, les héroïnomanes ayant recours à la voie intraveineuse [29]. Cette approche avait pour cadre la théorie des populations stationnaires, qui nécessite d’estimer le flux annuel d’entrée en toxicomanie et la durée moyenne de toxicomanie à partir des données de la file active du mois de novembre, date de l’enquête menée par le service statistique du ministère des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville. Avec un flux de 20 000 individus et une durée moyenne de huit ans, l’estimation avait abouti en 1995 à un chiffre de 150 000 héroïnomanes « à un moment donné ». Ces données avaient été confrontées à celles d’autres pays européens afin de valider la démarche.
16 Avec des marges d’erreur importantes, le chiffre de 150 000 toxicomanes est assez vite apparu comme une référence immuable, au point que la méthode de calcul importait finalement moins que l’obtention d’une valeur proche de ce chiffre au centre de l’intervalle de confiance [30]. C’est ainsi qu’a, par exemple, été fixé le taux d’interpellation (quotient nombre d’individus interpellés/150 000). Ce calcul fruste devait ensuite permettre, dans un raisonnement pour le moins tautologique, de fixer une estimation du nombre de toxicomanes à partir du nombre d’interpellés.
17 Quelques années plus tard, sous l’impulsion de chercheurs écossais ayant tenté une estimation de la population toxicomane de la ville de Glasgow [31], plusieurs pays d’Europe dont la France ont appliqué la méthode capture/recapture à quelques villes. L’objectif de cette méthode est d’estimer la taille de la population des consommateurs d’opiacés à problèmes (héroïne et dérivés de l’opium) et de cocaïne, à partir de données issues de différentes sources [32]. Conçue au xixe siècle pour estimer des tailles de populations animales [33], notamment celles des poissons en jetant deux fois un filet au hasard dans un lac [34], cette technique a été utilisée à partir des années 1970 en épidémiologie, au point de devenir l’une des principales méthodes mises en œuvre pour estimer la taille de populations cachées [35].
18 Si cette méthode a été conçue pour des zones géographiques restreintes et clairement délimitées, des chiffres nationaux pouvaient être envisagés en extrapolant plusieurs estimations locales de prévalence à partir d’une étude multicentrique telle que celle menée dans les agglomérations de Lens, Lille, Marseille, Nice et Toulouse en 1999 [36]. Une telle analyse multivariée a été menée à partir de ces données dans le cadre d’un programme européen [39]. Elle aboutissait, pour l’année 1999, au chiffre de 180 000 usagers d’opiacés ou de cocaïne à problèmes en France [40]. Les autres méthodes donnaient des estimations situées entre 146 000 et 180 000 usagers, la convergence de ces résultats offrant ainsi un certain gage de fiabilité à l’estimation proposée.
Quelques mots sur la méthode capture/recapture
Dans la source S1, il y a N1 cas, qui sont les n12 cas uniquement retrouvés dans la source S1, et les n11 cas présents dans les deux sources (doublons). De même, dans la source S2, se trouvent N2 = n11 + n21 cas. Enfin, la population N comprend des individus qui n’ont été recensés par aucune des deux sources, au nombre de n22. On a donc N = N1 + N2 + n22 et l’hypothèse d’indépendance des sources, permet d’écrire que n22 = (n12.n21)/n11
Il est ainsi possible d’estimer la population totale de la manière suivante : N = n11 + n21 + n12 + (n12.n21)/n11
Cette estimation n’est valable qu’à plusieurs conditions :
- La définition d’un usager doit être rigoureusement la même d’une source à l’autre, ce qui n’est pas toujours le cas : dans quelle mesure les usagers consommant surtout des produits de substitution aux opiacés, tels que la méthadone ou le Subutex®, doivent-ils être inclus ?
- La période d’observation et la zone géographique doivent être précisément limitées. Il ne doit y avoir ni arrivée, ni départ d’usagers pendant le recueil (autrement dit, la population doit être stable) : aussi est-il essentiel de réaliser un recueil simultané dans chaque source.
- Tous les doublons, le plus souvent identifiés par méthode semi-manuelle [37], doivent être contrôlés. S’ils ne sont pas tous identifiés, le dénominateur (n11) est sous-estimé et, partant, N est surestimé, et inversement.
- Il doit y avoir indépendance des sources : la présence d’un individu dans une source ne doit pas modifier sa probabilité de présence dans l’autre source. Lorsqu’il existe une dépendance positive entre deux sources, N est sous-estimé et réciproquement, si elle est négative il y a surestimation de N.
- La probabilité de capture doit être la même pour chaque individu.
Dans le cas de deux sources, l’indépendance n’est vérifiable qu’à l’appréciation sur le terrain. Si trois sources sont disponibles, il est possible de réaliser des estimations à partir de modèles log-linéaires [38] permettant de prendre en compte les interactions entre sources et l’hétérogénéité de la population étudiée, il n’est dès lors plus nécessaire de disposer de sources rigoureusement indépendantes entre elles.
Un paysage polymorphe qui oblige à repenser le dénombrement
19 Au cours des années 1990, les mondes des drogues ont considérablement changé. À la suite de la découverte du virus du sida, des programmes locaux et expérimentaux d’échange de seringue ou de distribution contrôlée d’héroïne ont vu le jour en Angleterre, en Suisse ou aux Pays-Bas, au point d’inspirer quelques-uns des professionnels de santé français investis dans les soins dispensés aux usagers de drogues. Sous leur influence, s’est progressivement développée en France une politique de réduction des risques privilégiant à la répression l’accompagnement des usagers de drogues, en particulier de ceux recourant à la voie intraveineuse [41]. La première mesure, prise en 1987 afin d’enrayer la propagation du sida, fut de suspendre l’obligation de présentation d’une pièce d’identité pour l’achat de seringues. Cette obligation très dissuasive favorisait le partage des seringues, qui ont été rendues accessibles en vente libre sans condition aux individus majeurs en 1989.
20 Cette politique s’est accompagnée du développement de stratégies thérapeutiques pour les personnes dépendantes aux opiacés avec la mise en place des traitements de substitution : le produit à l’origine de la dépendance est remplacé par un médicament (méthadone, Subutex® [42]) qui supprime l’effet de manque en cas de sevrage, mais qui est censé ne pas procurer de plaisir. Les objectifs sont de stabiliser la consommation de drogues illicites, de diminuer la pratique de l’injection (source de transmissions virales et infectieuses) et de favoriser le suivi médical et l’insertion sociale des usagers.
21 Le stéréotype du toxicomane injecteur d’héroïne, s’il perdure dans les représentations du public, a au fur et à mesure laissé la place à une population moins homogène faite de consommateurs de cocaïne, de drogues de synthèse, d’alcool et de médicaments psychotropes, de produits de substitution aux opiacés (sans avoir forcément préalablement consommé ces derniers) alternant ou mélangeant souvent ces différents produits. Dans les faits, l’héroïne devient fréquemment la « cerise sur le gâteau » de la substitution ou, pour reprendre les termes du psychiatre Marc Valleur, « le champagne de l’usager de drogues ». L’incidence d’une telle évolution fut de rendre de plus en plus difficile la mesure à partir de ces méthodes fondées sur les statistiques institutionnelles.
22 La politique mise en œuvre à la fin des années 1990 par Nicole Maestracci, présidente de la MILDT de 1998 à 2002, s’est située dans une approche par les comportements reléguant le produit au second plan [43]. Elle s’est inspirée de réflexions issues du rapport Parquet [44] qui soulignait que le discours des pouvoirs publics sur les solutions à apporter à la question des drogues ne pouvait plus se focaliser sur la notion d’abstinence, que les grandes similitudes des mécanismes neurologiques d’action des différents psychotropes d’une part, et des facteurs psychosociaux et environnementaux qui conduisent à leur usage d’autre part, mettaient en question la pertinence du clivage licite/illicite. Dès lors, le rapport préconisait d’un côté d’user du terme générique de « substances psychoactives » pour qualifier l’ensemble des substances illicites, mais aussi l’alcool, le tabac et les médicaments psychotropes, et, de l’autre, de recourir à une approche centrée sur les comportements autant que sur les produits. Il s’agissait de distinguer différents types d’usage pour chaque produit, en différenciant l’usage simple, l’abus, l’usage nocif et, enfin, la dépendance. Cette approche, fondée sur la nosographie internationale (CIM 10 et DSM 4 [45]), inclut une dimension psychopathologique et comportementale qui échappait jusqu’alors aux classifications des usages et des produits.
23 Ainsi, sans renoncer à prévenir l’initiation des consommations de substances psychoactives, il s’agissait de privilégier la prévention du passage de l’usage à l’usage nocif, puis à la dépendance. Au glissement sémantique de « la drogue » (entendu comme un tout mis en exergue par la singularité, comme un « monde ») vers les « substances psychoactives », va donc correspondre un désir de mesurer des pratiques variées.
24 Ce changement de perspective a conduit à un élargissement du champ de compétence et d’observation de la MILDT et de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), auparavant centré sur les substances illicites (stupéfiants) et celles consommées au sein de la population toxicomane ayant recours au système sanitaire et social. L’observation de ces substances était par ailleurs limitée à la consommation problématique en termes d’impact sur la santé publique et de délinquance induite. Jusqu’alors, la consommation sans conséquences des substances illicites ne relevait pas des travaux de l’OFDT, faute de moyens alloués au développement d’une méthodologie adaptée à ce type d’observation. Le champ de compétence s’est donc vu élargi à l’ensemble des usages et à des produits licites tels que le tabac, l’alcool ou les médicaments psychotropes et à des pratiques telles que le dopage et les addictions sans drogue.
25 Les enquêtes en population générale ont finalement constitué un terrain assez favorable, dans la mesure où elles permettent, d’une part, d’éviter la question des critères d’inclusion, l’ensemble de la population étant éligible (échantillon représentatif), et, d’autre part, de mettre tous les produits à plat et d’en interroger l’usage de façon descriptive afin de conserver toute latitude dans la construction a posteriori d’indicateurs. D’une certaine manière, elles permettent d’éluder certaines questions de définition en reportant les choix à effectuer au moment des analyses. Ceci peut paraître paradoxal dans la mesure où l’un des avantages de telles enquêtes par rapport aux statistiques institutionnelles est de pouvoir construire des questionnements ad hoc.


La mise en place d’un système d’enquêtes en population générale en France : une réponse ad hoc
26 Au moment de mettre en place une enquête en population générale, l’OFDT a fait le choix de monter un dispositif composé de plusieurs enquêtes plutôt qu’une unique enquête censée à elle seule représenter l’ensemble de la société et répondre à toutes les questions (en premier lieu celle de la quantification). Ce choix répondait à la fois à des contraintes méthodologiques (les meilleures bases de sondage et les modes de collecte les plus pertinents ne sont pas les mêmes à tous les âges) et pratiques (dans la mesure du possible, un partenariat avec les équipes en charge d’enquêtes déjà en place était privilégié). Il correspondait également au postulat que la toxicomanie formait a priori un phénomène suffisamment hétérogène pour qu’il ne soit pas forcément posé à l’ensemble de la population des questions portant sur les mêmes comportements.
27 Ce dispositif s’articule autour de deux enquêtes régulières menées auprès des adolescents et une troisième conduite auprès des adultes, le « Baromètre santé 2000 ». Cette enquête téléphonique aborde les divers comportements et attitudes de santé des Français, en particulier en matière de consommation de substances psychoactives. Elle existe depuis 1992 et les différents exercices ont notamment permis de mettre en évidence la banalisation de l’usage du cannabis au cours des années 1990. L’OFDT a participé à la mise en place de l’exercice 2000, contribuant à l’amélioration et à l’augmentation du nombre de questions relatives aux drogues et à l’accroissement de la taille de l’échantillon. Au départ, l’idée était de suréchantillonner les jeunes adultes (dans la mesure où ils constituent la tranche d’âge la plus concernée) mais la multiplication des partenaires aux intérêts divers et des financements correspondant a finalement permis de constituer un échantillon de plus de 13 500 individus de 12 à 75 ans.
28 À partir d’une analyse secondaire de deux enquêtes menées en 1997 auprès des 15-19 ans [46], l’une en milieu scolaire [47] et l’autre par téléphone [48], l’étude de l’influence du mode de collecte sur les réponses des adolescents a conduit à préférer, pour les deux autres enquêtes effectuées auprès des jeunes, le questionnaire autoadministré aux autres modes. La première a eu lieu en 1999 dans une trentaine de pays européens sur la base d’un questionnaire commun centré sur l’usage des drogues. Il s’agit de l’enquête en milieu scolaire « European School Survey on Alcohol and Other Drugs » (Espad) mise en place en France par l’Inserm et l’OFDT sur les bases d’un projet européen coordonné par le Swedish Council for Information on Alcohol and Other Drugs [49]. L’expérience de cet institut suédois en matière d’enquête auprès des jeunes lui conférait la légitimité nécessaire à une telle initiative. L’échantillon français atteignait environ 12 000 élèves qui ont été tirés au sort par classe (deux classes sondées entièrement dans chacun des 300 établissements sélectionnés, de la quatrième à la terminale). En classe, en présence d’une infirmière ou d’un médecin scolaire, ils ont répondu individuellement à un autoquestionnaire d’une durée d’une heure. Les principaux biais des enquêtes en milieu scolaire sont, du point de vue de la base de sondage, les individus déscolarisés ou absentéistes et l’effet de grappe dû au fait que tous les élèves d’une même classe sont interrogés. Du point de vue du mode de collecte, il existe un probable effet de groupe consécutif à la proximité des camarades de classe pendant le remplissage du questionnaire, ceux-ci étant susceptibles d’exercer un contrôle social informel des pairs.
29 Pour pallier ces biais, l’OFDT a mis en place une « Enquête annuelle sur la santé et les consommations lors de l’appel de préparation à la défense » (Escapad). Elle a lieu au cours de la Journée d’appel de préparation à la défense qui remplace le service militaire depuis octobre 1998 et concerne aussi les jeunes filles depuis avril 2000. Tous les appelés présents un jour donné (environ 20 000) remplissent un autoquestionnaire. Ils ont entre 17 et 19 ans, cette tranche d’âge très restreinte offrant une forte puissance statistique par âge exact. Le premier exercice a eu lieu en mai 2000 [50] et a été renouvelé chaque année. L’enquête Escapad a obtenu l’avis d’opportunité du Conseil national de l’information statistique (CNIS) et s’est vue attribuer le label d’intérêt général par le Comité du label. Au-delà de la nécessité de produire des chiffres de façon barométrique, il apparaissait crucial d’inscrire ce dispositif dans la durée au sein de la statistique publique et d’obtenir une reconnaissance pour ce champ sensible et émergent.

Le rôle des instances européennes et de l’expérience américaine dans la mise en place des enquêtes en population générale
30 La mise en place d’un tel dispositif en France s’est effectuée dans un contexte international qui a pesé sur les choix opérés. En 1993, l’OEDT est créé pour améliorer l’échange d’informations sur les drogues entre les différents pays de l’Union européenne, ainsi que sur les réponses à apporter et sur les stratégies nationales en matière de gestion des toxicomanies. L’OEDT a permis de progresser nettement sur la comparabilité des données sur l’usage de drogues en population générale des différents pays. En effet, l’information disponible au début des années 1990 restait très parcellaire, même si le groupe de coopération intergouvernementale contre l’abus de drogues, dit groupe Pompidou, créé en 1971, avait ouvert la voie à une amélioration générale des enquêtes épidémiologiques. Dès 1983, un groupe d’experts en épidémiologie avait ainsi été créé pour rassembler et améliorer les indicateurs sur l’usage de drogues [51].
31 Pour mesurer l’ampleur de l’usage dans la population générale, ce sont surtout les enquêtes nationales qui faisaient défaut. De nombreux pays n’en avaient pas développé avant le milieu des années 1990 et d’autres ne disposaient que d’enquêtes régionales ou encore menées à l’échelle d’une ville. Celles-ci ne sont généralement pas utilisées pour décrire la situation du pays car les niveaux d’usage s’avèrent souvent nettement supérieurs en milieu urbain. En 1995, l’OEDT soulignait dans son rapport annuel la difficulté de tirer des tendances dans le temps en raison du petit nombre de pays (parmi lesquels figuraient les pays scandinaves, le Royaume-Uni ou l’Allemagne) effectuant des enquêtes régulières.
32 À partir de 1995, le nombre d’enquêtes nationales menées en Europe a augmenté, s’appuyant sur les travaux méthodologiques orchestrés par l’OEDT au sein de groupes de travail rassemblant différents experts européens [52]. Cette tendance n’a pas diminué depuis, les « pays blancs » – pays pour lesquels aucune donnée n’est disponible, représentés en blanc sur les cartes européennes – étant du plus mauvais effet du point de vue des instances politiques des différentes nations. Ce constat a souvent eu pour effet de débloquer des fonds pour monter des enquêtes à même de pallier un tel manque. L’enquête en milieu scolaire Espad, menée dans 26 pays en 1995, 30 en 1999 et 35 en 2003 est à ce titre exemplaire [53]. Cette enquête trouve son origine dans l’enquête américaine « Monitoring the Future » dont elle s’inspire largement, tant pour le questionnement que pour la méthodologie [54].
33 Plus globalement, le dispositif d’observation des usages de drogues en population générale mis en place aux États-Unis dans les années 1970 a été une importante source d’inspiration pour les chercheurs européens. Les résultats qu’il fournit sont largement utilisés comme outils de légitimation des orientations politiques, notamment lors de l’établissement des plans stratégiques américains de lutte contre la drogue et la toxicomanie. L’enquête « Monitoring the Future » suit tous les ans, depuis 1975, l’évolution de la prévalence de l’usage de différentes substances psychoactives au cours de la vie à partir d’un échantillon annuel d’environ 16 000 jeunes scolarisés âgés de 14, 16 et 18 ans [55]. Concernant l’ensemble de la population (12 ans et plus), le « National Household Survey on Drug Abuse » offre périodiquement depuis 1971, et annuellement depuis 1991, une image des consommations en population générale à partir d’un échantillon représentatif des ménages américains. Au fur et à mesure des exercices, la méthodologie de cette enquête a été améliorée et l’échantillon n’a cessé de croître pour dépasser 100 000 individus en 2001, afin d’assurer une représentativité par État. Ces deux dispositifs américains ne reflètent qu’une partie du système statistique existant composé de nombreuses autres sources nationales ou locales. La situation américaine, si elle s’avère exemplaire du point de vue de la méthodologie mise en œuvre, n’en offre pas moins un visage particulièrement figé du point de vue des décisions de politique publique. Il est assez remarquable de constater que, malgré cet impressionnant dispositif épidémiologique, la politique de lutte contre les usages de drogues menée aux États-Unis n’a pas connu d’inflexion notable malgré les variations observées dans les consommations grâce à ces enquêtes [56].
34 Le paysage lacunaire offert par les enquêtes en population générale en France à la fin des années 1990 présentait un avantage certain : celui de pouvoir plus aisément s’aligner sur les standards européens que les pays ayant déjà une longue tradition de ce type d’enquête. Toutefois, c’est cette tradition qui a permis aux pays ayant le plus d’expérience de peser sur les choix méthodologiques opérés et retenus par l’OEDT [57]. Par exemple, dans le projet Espad, la notion de binge drinking (usage compulsif d’alcool, défini par le fait de boire au moins six verres en une seule occasion) interrogée est directement issue de la culture nordique, et la taille des verres et des bouteilles standards proposés aux répondants pour situer le niveau des consommations sont plus proches des canons anglo-saxons que latins, et de fait pas forcément adaptés au contexte français.
35 Ainsi, les enquêtes en population générale s’inscrivent dans la dualité entre une tradition française d’observation des phénomènes dans un souci de représentativité et une logique anglo-saxonne plus opérationnelle, plus épidémiologique, de construction d’outils censés mesurer et alerter de la survenue d’un problème. Le dispositif français d’enquêtes sur les usages de drogues se trouvait donc à la croisée de ces chemins avec, d’un côté, un désir de décrire précisément la situation avec des objectifs de recherche envisageant une approche compréhensive des phénomènes, et, de l’autre, une volonté de diagnostic, de formalisation de tableaux de bord pragmatiques et réactifs.
36 L’Observatoire européen a fixé un cadre pour les méthodes et les questionnaires mais pas pour les indicateurs utilisés in fine pour rendre compte des usages. Une des idées fortes du groupe européen était de circonstancier précisément les pratiques en les dénombrant sur trois périodes de temps : nombre de fois au cours de la vie (lifetime prevalence), de l’année et des trente derniers jours. Un tel choix n’allait pas de soi, d’autres façons de questionner moins factuelles (tels que les comportements « en général » ou « en moyenne ») ou plus ponctuels (tel que « hier » ou « la dernière fois ») utilisées dans d’autres enquêtes ayant été longuement mises en balance lors des réunions européennes.
Grandeurs et servitude
Des chiffres sous influence ? Comment les usages des statistiques traduisent les regards portés sur la question des drogues
37 Tous les acteurs qui souhaitent communiquer sur les drogues disposent désormais d’un choix d’indicateurs, mais ils utilisent ces derniers dans des univers parfois radicalement différents, créant de fait des distorsions. Ils disposent aussi d’un arsenal sémantique pour évoquer la question « drogue » qui s’étend sur plusieurs registres allant jusqu’à la catastrophe naturelle (inondation, déferlante) ou sanitaire (épidémie, peste, cancer) [58]. Les chiffres se retrouvent souvent caution, notamment parce que ceux de l’expérimentation des drogues sont confondus avec ceux des usages réguliers ou problématiques. Ainsi, lors de la publication du premier rapport de l’enquête Escapad en 2000, la presse avait repris les principales données portant sur le cannabis et les polyconsommations. À partir du communiqué de presse annonçant, entre autres, que « 98 % des adolescents déclarant avoir déjà consommé du cannabis ont aussi expérimenté à la fois le tabac et l’alcool », un article du Figaro du 5 février 2001 reprenait en ces termes : « 98 % des adolescents consommateurs [de cannabis] avouent mélanger volontiers ces trois produits, les ajoutant parfois à d’autres substances en de sulfureux cocktails. » La métaphore alchimique faisait écho à cette phrase qui se contentait de souligner la rareté d’avoir essayé le cannabis sans avoir jamais consommé ni alcool ni tabac. Par ailleurs, la confusion délibérée entre l’expérimentation (sur laquelle porte la question) et la consommation, qui suggère pour sa part une certaine habitude, se trouve accentuée par l’usage de l’adjectif « volontiers » qui impute à l’expérimentateur un plaisir et une envie absents du questionnement. [59]


38 La disponibilité des chiffres permet surtout aux acteurs politiques d’appuyer leur discours sur une objectivité instrumentale du meilleur effet et qui ne souffre guère la contestation. De leur point de vue, elle se substitue avec bonheur à l’objectivité d’autorité qui reposait sur le savoir d’un individu dont l’expérience ou la position au sein de la société fait référence, et qui présentait plus clairement le risque de passer pour un discours idéologique. Les statistiques sont le gage de l’impartialité. Par exemple, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, déclarait le 23 avril 2003 devant la commission d’enquête sénatoriale sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites : « La gauche a organisé une véritable épidémie de consommation chez les jeunes : en deux ans la consommation d’ecstasy et de cocaïne a doublé [60]. » Il s’appuyait pour cela sur les chiffres de l’enquête Escapad montrant que l’expérimentation de cocaïne était passée de 1,0 % à 1,6 % et celle d’ecstasy de 2,1 % à 3,9 % entre 2000 et 2002. S’appuyant sur une enquête d’opinion menée par l’OFDT [61], il soulignait également le fait que les Français s’avèrent très majoritairement (les trois quarts environ) opposés à la légalisation du cannabis. En effet, la proportion d’individus favorables à une mise en vente libre du cannabis parmi les 15-75 ans était passée de 17,1 % à 23,9 % entre 1999 et 2002. À partir de ces deux exemples, le ministre proposait une lecture en évolution sur le premier indicateur, évoquant un doublement, mais les niveaux s’avèrent tellement bas que leur mention aurait sans doute été plus éclairante, d’autant qu’il s’agit d’expérimentateurs parmi lesquels les usagers réguliers s’avèrent très rares. Dans le second exemple, il insistait sur la mesure du niveau alors que l’augmentation en proportion est significative. Un tel mésusage des chiffres s’avère courant dans de nombreux domaines, celui des usages de drogues n’échappant bien sûr pas à la règle. Il a ici plutôt valeur d’exemple pour montrer les grandes perspectives qu’offrent les enquêtes en population générale pour légitimer une décision politique en lui conférant une nécessité cautionnée par des arguments et des données scientifiques, par une certaine « confiance dans les nombres » [62]. On est là proche de l’idée évoquée par Alain Dérosières [63] selon laquelle les statistiques constituent un « point d’appui » du discours ou un « langage commun de référence ».
Comment la capacité à quantifier structure les politiques publiques
39 Lors de la préparation du Plan quinquennal de lutte contre les drogues illicites, le tabac et l’alcool, 2004-2008, dont l’un des objectifs affichés est précisément d’être évaluable, les chargés de missions de la MILDT se sont imposé de fixer des objectifs concrets, la plupart du temps quantifiables. Nombre d’entre eux seront évalués à l’aide d’indicateurs issus des enquêtes en population générale tels que la baisse de la proportion d’usagers réguliers de cannabis, la baisse de celle d’expérimentateurs de cannabis de moins de 15 ans, le retour de la France dans la moyenne européenne pour la proportion d’expérimentateurs de cannabis… Cette nécessité de quantifier les progrès accomplis pour attester de l’efficacité des décisions de politique publique a conduit à retenir certains objectifs parce qu’ils paraissent évaluables, et d’autres ont été abandonnés ou relégués au second plan parce qu’ils le sont peu ou pas du tout. Un tel phénomène a déjà été observé sur d’autres domaines [64]. Ici, c’est la capacité à quantifier qui transforme le monde, ou du moins qui infléchit les efforts déployés pour transformer le monde.
40 C’est ainsi que l’évaluation de la réduction du niveau d’usage problématique de cannabis n’a pas été retenue parmi les objectifs majeurs du plan. Cette notion provient de l’alcoologie et de la tradition scientifique anglo-saxonne qui associe à des situations ou à des comportements des seuils de gravité qui peuvent être sanitaires, psychologiques ou sociaux. Au fur et à mesure que la prévalence de l’usage de cannabis augmentait en Europe, depuis le milieu des années 1990, l’OEDT a exprimé le besoin de disposer d’une mesure de l’usage problématique de cannabis. En effet, les demandes de traitements émanant d’usagers de cannabis ont nettement augmenté à partir de la fin des années 1990, alors qu’elles concernaient auparavant surtout d’autres profils d’usagers, plutôt consommateurs d’héroïne, de cocaïne ou de produits de synthèse. Dans une certaine mesure, l’usage problématique (au singulier) ramène à l’idée de « la drogue » telle qu’elle était posée avant les années 1990. Tout comme il y avait « ceux qui en prennent » et les autres, il y aurait « ceux qui s’y perdent » et les autres. Or les acteurs de terrain s’accordent presque tous à évoquer un continuum dans les comportements avec, par exemple, des situations « à risque », potentiellement problématiques. D’où une volonté de ne pas dichotomiser les pratiques mais de traduire cette continuité en créant plusieurs catégories, dans une perspective rejoignant celle qui privilégie l’approche par les comportements. Cette réflexion a été douloureuse parce que tendue entre une logique de benchmarking (isoler et circonscrire le « problème » et les « coupables ») très réductrice, mais efficace du point de vue des acteurs politiques, et une définition du pathologique qui, en creux, contribue à la construction sociale de la norme (les usagers de cannabis qui ne posent pas de problème), rompant ainsi avec une logique exclusivement répressive face à toutes les formes d’usage du cannabis.
41 Suivant l’exemple de l’alcoologie qui a mis en place des tests cliniques et épidémiologiques de dépistage de l’usage problématique d’alcool tels que l’Alcohol Use Disorders Identification Test (AUDIT) [65], l’OFDT a conçu, en partenariat avec le service d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif, un protocole permettant d’évaluer, sur un échantillon composé d’élèves et d’étudiants recrutés sans souci de représentativité, les performances de différentes échelles mesurant des contextes de l’usage de cannabis et certaines conséquences de cet usage, en regard d’une échelle mesurant le bien-être psychologique et social [66]. L’objectif est de retenir les questions les plus pertinentes afin de cibler des situations à problème, quitte à mélanger les échelles. Cette entreprise de détermination de la proportion d’usagers problématiques de cannabis est de longue haleine puisqu’il s’agit ensuite d’utiliser les questions retenues, ainsi que leur score, dans une enquête représentative de la population générale, ce qui ne sera pas entrepris. L’une des difficultés est de trouver un seuil qui soit suffisamment sensible pour effectuer du repérage (screening) en population générale et correctement spécifique pour constituer une aide efficace au diagnostic clinique. Cette complexité s’inscrit dans la nécessaire et délicate rencontre entre le monde de la clinique et celui de l’épidémiologie.
42 L’objectif politique de diminuer l’ampleur de l’usage problématique de cannabis ne tenait donc pas dès lors que les chercheurs n’étaient pas encore en mesure de la quantifier en amont. Autres exemples, le dopage ou les addictions sans drogue, qui s’avèrent d’un point de vue technique plus délicats à observer par les enquêtes en population générale classiques, sont traités de façon annexe dans les plans gouvernementaux de lutte contre la toxicomanie, alors que ces thèmes font partie intégrante du champ de compétence de la MILDT. Cette difficulté à quantifier rejoint une relative pauvreté de la prise en compte de ces formes particulières d’addictions.
43 * * *
44 Désormais, une drogue est plus systématiquement associée à un jeu de chiffres censés refléter l’ampleur de sa consommation au sein de la population. En une décennie, le monde des drogues est passé d’un problème singulier à mesurer, quitte à recourir à plusieurs méthodes, à une large palette de pratiques à décrire. La quantification de cette diversité a pu se faire en s’appuyant particulièrement sur un outil : les enquêtes en population générale. Cette évolution correspond au glissement d’un paradigme opposant drogues licite et illicite à un modèle intégrant l’ensemble des substances psychoactives mais qui distingue fortement les comportements d’usage. La réponse au besoin de quantification s’est concrétisée par une offre grandissante de chiffres qui ont rapidement pris une place importante dans le débat public, au risque de lui donner l’apparence trompeuse d’une objectivité mécanisée, incontestable car fondée sur les instruments scientifiquement validés.
45 Malgré les réticences initiales de la plupart des acteurs de terrain à l’idée de rendre une image synthétique et donc simplificatrice des drogues et des toxicomanies, les enquêtes en population générale ont pu trouver leur place au sein de la recherche en sciences sociales sur les usages de drogues car elles répondaient valablement, à leurs yeux, à un désir d’objectivation de ces pratiques. Cet essor a aussi eu pour conséquence de reléguer au second plan des objectifs de politique publique dont le principal défaut est de ne pas être quantifiables. Bien sûr cette situation repose sur un équilibre fragile, notamment parce que les indicateurs utilisés ne sont pas encore complètement stabilisés. Au-delà des erreurs et approximations parfois commises lors de la diffusion des résultats de ces enquêtes dans la presse, qui ne sont pas sans lien avec la demande croissante de chiffres, il conviendrait de s’interroger encore sur les tensions entre choix politiques et contraintes médiatiques.
Notes
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[1]
Ce livret a d’abord été mis en vente fin 1999 dans les kiosques à un million d’exemplaires au prix de 10 F et distribué gratuitement par différents services de l’État et des associations, puis réédité en 2001 au prix de 20 F. Il a été diffusé à près de cinq millions d’exemplaires.
-
[2]
Françoise Facy et Gérard Cagni (éd.), Toxicomanie, santé publique, Actes du colloque du Réseau Inserm de Dijon des 14 et 15 mai 1992, Le Vésinet, Réseau Inserm en toxicomanie et santé publique, 1993.
-
[3]
Gérard Mauger, « L’apparition et la diffusion de la consommation de drogues en France (1970-1980). Éléments pour une analyse sociologique », Contradictions, n° 40-41, 1984, pp. 131-148.
-
[4]
Monique Pelletier (éd.), Rapport de la Mission d’étude sur l’ensemble des problèmes de la drogue, Paris, La Documentation française, 1978, p. 79.
-
[5]
Ces chefs d’établissement occupent en quelque sorte la même position que l’expert référent des enquêtes agricoles menées aux États-Unis dans les années 1910, au cours desquelles il avait été décidé de faire appel dans chaque district à un seul individu, désigné par ses pairs, chargé de décrire l’ensemble de la zone à l’agent du Bureau du recensement (Emmanuel Didier, « The First US Surveys. Representativeness between Sampling and Democracy », Science in Context, vol. 15, n° 3, 2002, pp. 427-445).En ligne
-
[6]
La lettre de mission de Georgina Dufoix précisait que cette mission n’impliquait pas pour autant que l’Insee lui-même ait à prendre en charge la production de ces statistiques, afin d’éviter de susciter d’emblée une levée de boucliers.
-
[7]
F. Facy et G. Cagni (éd.), Toxicomanie…, op. cit.
-
[8]
Françoise Davidson, Marc Étienne, Jérôme Piesset, « Étude médico-sociale de 662 sujets ayant fait usage de drogues (avril 1971-mai 1972) », Bulletin des stupéfiants, vol. 25, n° 4, 1972, pp. 9-31.
-
[9]
François Ingold, Mohamed Toussirt, François Petit, Anne-Marie Combesque, Méthode et histoire. Apport des sciences de l’homme et de la société à la compréhension des drogues et des substances psychoactives, Paris, rapport de recherche, Délégation générale à la lutte contre la drogue et la toxicomanie (DGLDT), 1994.
-
[10]
Jean-Claude Passeron, « Ce que dit un tableau et ce qu’on en dit. Remarques sur le langage des variables et l’interprétation dans les sciences sociales », in Actes de la Journée d’études « Sociologie et statistique », Paris, Société française de sociologie-Insee, 1982, t. 3, pp. 13-33.
-
[11]
Aaron V. Cicourel, Method and measurement in sociology, New-York, Free Press of Glencoe, 1964.
-
[12]
Dans le même ordre d’idée, Howard S. Becker, même s’il reconnaît l’intérêt des statistiques, montre que le statisticien ne doit pas s’abriter derrière des catégories administratives, imposées a priori, si celles-ci sont de piètres reflets de la réalité, prenant l’exemple du comptage d’individus interpellés parmi lesquels certains se contentaient juste d’être présents sur le lieu du délit. Voir Howard S. Becker, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métaillé, coll. « Observations », 1985 [1963].
-
[13]
F. Ingold, M. Toussirt, F. Petit, A.-M. Combesque, Méthode et histoire…, op. cit.
-
[14]
Henri Bergeron, L’État et la toxicomanie. Histoire d’une singularité française, Paris, Puf, coll. « Sociologies », 1999.
-
[15]
F. Ingold, M. Toussirt, F. Petit, A.-M. Combesque, Méthode et histoire…, op. cit.
-
[16]
Anne Coppel, « Les intervenants en toxicomanie, le sida et la réduction des risques en France », in Alain Ehrenberg (éd.), Vivre avec les drogues. Régulations, politiques, marchés, usages, Paris, Seuil, 1996, pp. 75-108.
-
[17]
Lion Murard, Patrick Zylbermann, L’hygiène dans la République. La santé publique en France ou l’utopie contrariée. 1870-1918, Paris, Fayard, 1996.
-
[18]
Roger Henrion (éd.), Rapport de la commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie, Paris, ministère des Affaires sociales de la Santé et de la Ville, 1995 ; Aline Désesquelles, Consommation de stupéfiants en France : expertise d’un système d’information et mesure du phénomène, thèse de doctorat de démographie, Bordeaux, 1997 ; Claude Faugeron, Michel Kokoreff, « Les pratiques sociales des drogues. Éléments pour une mise en perspective des recherches en France », Sociétés contemporaines, n° 36, 1999, pp. 5-17.En ligne
-
[19]
H. S. Becker (éd.), Qu’est-ce qu’une drogue ? Atlantica, Anglet, 2001.
-
[20]
Ce rapport classait notamment l’héroïne et l’alcool dans un même groupe de produits présentant une dangerosité particulièrement forte, et le cannabis dans un groupe à part, associé à une dangerosité moindre. Voir Bernard Roques (éd.), La dangerosité de drogues, rapport au secrétariat d’État à la Santé, Paris, Odile Jacob-La Documentation française, 1999.
-
[21]
Joseph R. Gusfield, Symbolic Crusade. Status Politics and the American Temperance Movement, Urbana, University of Illinois Press, 1963.
-
[22]
Le champ d’action des services répressifs est clairement défini par la liste des produits classés comme stupéfiants.
-
[23]
Alain Ehrenberg (éd.), Penser la drogue, Penser les drogues, Paris, Descartes, coll. « Sciences humaines », 1992.
-
[24]
François Beck, Stéphane Legleye, Patrick Peretti-Watel, Penser les drogues. Perceptions des produits et des politiques publiques. Enquête sur les représentations, opinions et perceptions sur les psychotropes (EROPP 2002), Saint-Denis, Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), 2003.
-
[25]
Sylvain Aquatias, « Cannabis : du produit aux usages. Fumeurs de haschisch dans des cités de la banlieue parisienne », Sociétés contemporaines, n° 36, 1999, pp. 35-66.
-
[26]
H. Bergeron, L’État et…, op. cit.
-
[27]
A. Ehrenberg (éd.), Vivre avec les drogues. Régulations, politiques, marchés, usages, Paris, Seuil, 1996, pp. 19-20.
-
[28]
A. Ehrenberg, L’individu incertain, Paris, Calmann-Lévy, coll. « Essai société », 1995.
-
[29]
Jean-Michel Costes, « Toxicomanes soignés, interpellés, condamnés », in Diane Lequet (éd.), La toxicomanie, Paris, La Documentation française-Service d’études statistiques et d’information (SESI)/ministère de la Santé et de la Solidarité, coll. « Cahiers statistiques Solidarité santé », 1988, pp. 69-80.
-
[30]
Ce chiffre convenable et stable rejoignait l’idée que toute société a sa part, marginale mais incompressible, de toxicomanes (à mettre en regard du récit des vétérans du Vietnam opiomanes pendant la guerre et qui avaient abandonné leur consommation à leur retour aux États-Unis, à la faveur du changement de contexte : ils n’étaient pas des toxicomanes « naturels »).
-
[31]
Martin Frischer, Alastaire Leyland, Richard M. Cormack, David Goldberg, Michael Bloor, Stephen Green, Avril Taylor, Robert Covell, Neil Mc Keganey, Stephen Platt, « Estimating the Population Prevalence of Injection Drug use and Infection with Human Immunodeficiency Virus among Injection Drug Users in Glasgow, Scotland », American Journal of Epidemiology, vol. 183, n° 3, 1993, pp. 170-181.
-
[32]
Dans ce cas, les sources peuvent être la police, les urgences hospitalières, les centres d’accueil pour usagers de drogues…
-
[33]
George A. F. Seber, « A Review of Estimating Animal Abundance II », International Statistical Review, vol. 60, n° 2, 1992, pp. 129-166 ; « A Review of Estimating Animal Abundance », Biometrics, vol. 42, 1986, pp. 267-292.En ligne
-
[34]
Kenneth H. Pollock, « Modelling Capture, Recapture and Removal Statistics for Estimation of Demographic Parameters for Fish and Wildlife Populations. Past, Present and Future », Journal of the American Statistical Association, vol. 86, 1991, pp. 225-238.
-
[35]
Ronald E. Laporte, « Assessing the Human Condition : Capture-Recapture Techniques », British Medical Journal, vol. 308, 1994, pp. 5-6.En ligne
-
[36]
Emmanuelle Chevallier et al., Estimations locales de la prévalence de l’usage d’opiacés et de cocaïne en France : une étude multicentrique à Lens, Lille, Marseille, Nice et Toulouse, Paris, OFDT, 2001.38. Emmanuelle Chevallier et al., Estimations locales de la prévalence de l’usage d’opiacés et de cocaïne en France : une étude multicentrique à Lens, Lille, Marseille, Nice et Toulouse, Paris, OFDT, 2001.
-
[37]
Pour des questions de respect de l’anonymat, la recherche des doublons s’est faite, en France, sur la première lettre du nom, les trois premières lettres du prénom et la date de naissance.
-
[38]
R. M. Cormack, « Log-linear models for Capture-recapture », Biometrics, vol. 45, 1989, pp. 395-413 ; Thomas D. Wickens, « Quantitative Methods for Estimating the Size of a Drug using Population », Journal of Drug Issues, vol. 23, n° 2, 1993, pp. 185-216.En ligne
-
[39]
Filip Smit, Jaap Toet, Hans van Oers, Lucas Wiessing, « Estimating Local and National Problem Drug Use Prevalence from Demographics », Addiction Research and Theory, vol. 11, n° 6, 2003, pp. 401-413.En ligne
-
[40]
J.-M. Costes, « Country report : France », in European Monitoring Center for Drugs and Drug Addiction (EMCDDA), Prevalence and Patterns of Problem Drug use for all European Union Member States. Final report, Luxembourg, Office for Official Publications of the European Communities, 2002.
-
[41]
A. Coppel, « La réduction des risques en France, à la recherche d’un consensus », in Claude Faugeron (éd.), Les drogues en France, politique, marchés, usages, Genève, Georg, 1999, pp. 268-279.
-
[42]
Buprénorphine haut dosage.
-
[43]
Nicole Maestracci, « Drogue et toxicomanie : quelle politique ? », Entretien avec Alain Ehrenberg et Hugues Lagrange, Esprit, juillet 2001, pp. 49-68.
-
[44]
Jean-Philippe Parquet (éd.), Rapport pour une politique de prévention en matière de comportements de consommation de substances psychoactives, Vanves, Comité français d’éducation pour la santé (CFES), 1997.
-
[45]
Organisation mondiale de la santé (OMS), Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes-CIM-10, 10e révision, Genève-OMS, 1993-1996 ; Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders, 4e éd., texte révisé, Washington (DC), American Psychiatric Association, 1994.
-
[46]
F. Beck, P. Peretti-Watel, « Influence du mode de collecte sur les usages de drogues illicites déclarés par les 15-19 ans », Population, vol. 56, n° 6, 2001, pp. 963-986.
-
[47]
Robert Ballion, Les conduites déviantes des lycéens, Paris, Hachette éducation, coll. « Questions d’éducation », 2000.
-
[48]
François Baudier, Marie-Pierre Janvrin, Jacques Arènes (éd.), Baromètre Santé 97/98 jeunes, Vanves, CFES, 1998.
-
[49]
Björn Hibell et al., The 1999 ESPAD Report. Alcohol and Other Drug Use Among Students in 30 European Countries, Stockholm, The Swedish Council on Alcohol (CAN), 2001.
-
[50]
F. Beck, S. Legleye, P. Peretti-Watel, Regards sur la fin de l’adolescence. Consommation de produits psychoactifs dans l’enquête ESCAPAD 2000, Paris, OFDT, 2000.
-
[51]
Roland Simon, Casimiro Balsa, Gregorio Barrio, Martin Frischer, Osmo Kontula, Aileen O’Hare, Kathleen O’Higgins, Julian Vicente, Jurgen Rehm, Dorrit Schmidt, General population surveys in drug use epidemiological research in Europe : core items and methodological points, 23rd meeting for the co-ordination of an expert working group on drug use epidemiology, Strasbourg, Groupe Pompidou, Éditions du Conseil de l’Europe, 1995.
-
[52]
Ruud Bless, Dirk Korf, Heleen Riper, Steven Diemel, Improving the comparability of general population surveys on drug use in the European Union, Final report, commissioned by EMCDDA, 1997.
-
[53]
B. Hibell et al., The 1999 ESPAD…, op. cit.
-
[54]
Lloyd D. Johnston, Frans Driessen, Anna Kokkevi, Surveying Student Drug Misuse. A Six-country Pilot Study, Council of Europe, Strasbourg, Pompidou Group, 1994.
-
[55]
Jerald G. Bachman, Lloyd D. Johnston, Patrick M. O’Malley, The Monitoring the Future Project after 22 Years. Design and Procedures, Ann Arbor (Mich.), Institute for Social Research, 1996.
-
[56]
Office of National Drug Control Policy (ONDCP), The National Drug Control Strategy : 1997, Washington (DC), US Government Printing Office, 1997.
-
[57]
Il faut également noter que les représentants des pays anglo-saxons et nordiques, par leur aisance à manier la langue anglaise, ont pu peser plus lourdement sur le débat que des experts des pays latins moins à l’aise avec cette langue.
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[58]
Au point d’inspirer son titre « Drogue : l’autre cancer » au dernier rapport du Sénat sur la question des drogues.
-
[59]
F. Beck, S. Legleye, P. Peretti-Watel, Regards sur la fin…, op. cit.
-
[60]
Voir les auditions du Sénat en ligne sur http://www.senat.fr/rap/r02-321-2/r02-321-2.html
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[61]
F. Beck, S. Legleye, P. Peretti-Watel, Penser les drogues…, op. cit.
-
[62]
Theodore M. Porter, Trust in Numbers. The Pursuit of Objectivity in Science and Public Life, Princeton (NJ), Princeton University Press, 1995.
-
[63]
Alain Derosières, « Pour une politique des outils du savoir : le cas de la statistique », communication à la conférence « Politics and knowledge. Democratizing Knowledge in Times of the Expert », Bergen, 2004.
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[64]
Ibid.
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[65]
John B. Saunders, Olaf Gjerlow Aasland, Thomas F. Babor, Juan Ramon de la Fuente, Marcus Grant, « Alcohol Use Disorders Identification Test (AUDIT). WHO Collaborative Project on early detection of persons with harmful alcohol consumption », Addiction, vol. 88, n°7, 1993, pp. 791-804.
-
[66]
Stéphane Legleye, Laurent Karila, François Beck, Michel Reynaud, « Consommations nocives de produits psychoactifs ; résultats de l’étude ADOTECNO », Alcoologie et addictologie, vol. 26, n° 2, 2005, pp. 99-109.