CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Pendant le trimestre d’automne 1930, Maurice Halbwachs enseigna à l’université de Chicago où il avait été invité comme visiting professor of sociology[1]. Ce fut l’unique voyage aux États-Unis de ce disciple d’Émile Durkheim, alors âgé de cinquante-trois ans et professeur de l’université de Strasbourg, qui, cinq ans plus tard, fut enfin nommé à la Sorbonne. Sans ressembler à certains universitaires de l’époque qui s’étaient faits les ambassadeurs de la culture française, Halbwachs avait quelque expérience de ce type de voyage. Jeune professeur de philosophie dans des lycées de province, il s’était mis en congé pour faire deux longs séjours d’étude à Göttingen (1902-1903), puis à Berlin et Vienne (1910-1911). Plus récemment il s’était rendu en Égypte, en Palestine et au Liban pour faire passer le baccalauréat (1927) [2]. Si on laisse de côté les voyages moyen-orientaux liés aux dispositifs alors puissants de l’enseignement francophone visant les bourgeoisies locales non musulmanes, on peut observer que la substitution de la destination nord-américaine à l’allemande est cohérente avec la réorientation générale des échanges scientifiques français qui suivit la Grande Guerre [3]. Pendant son séjour aux États-Unis, Halbwachs resta presque tout le temps dans la métropole du Middle West. Ses cours (l’un sur la sociologie française, l’autre sur le suicide) le retenaient chaque semaine du mardi au vendredi et, en outre, pensait-il : « Les villes voisines ne présentent pas un réel intérêt [4]. » Pour le reste, il passa quelques heures à New York en débarquant aux États-Unis et, au retour, environ une journée et demie à Washington et autant à New York.

2 Trois jours après son arrivée à Chicago, Halbwachs avait déjà commencé à écrire le premier d’une série d’articles « pour Delaroche » [5]. Il s’agissait très certainement de Léon Delaroche, codirecteur du Progrès de Lyon [6]. Au total, une série de huit articles, datés du 3 novembre à Chicago au 24 décembre à New York, parurent dans le grand quotidien républicain entre le 20 octobre 1930 et le 20 février 1931, espacés d’une à trois semaines et généralement le lundi. Avec le surtitre : « Lettres des Etats-Unis », chacun des articles commençait en première page sur la colonne de droite, pour se terminer en page deux. Malgré cette mise en valeur de la chronique de Halbwachs par la rédaction du journal, l’auteur rechercha la plus grande discrétion : il signa tous ces articles « M. H. ». Le professeur craignait-il de déroger à la conception qu’il se faisait de sa dignité d’universitaire en publiant des « impressions » de voyage ? Ou bien craignait-il que ses jugements sur l’Amérique et les Américains ne reviennent à ses collègues de Chicago ? On en est réduit à des conjectures. Ce n’était pas la première fois, en tout cas, que Halbwachs publiait des articles dans un quotidien : il en avait signé plusieurs entre 1908 et 1915 dans l’Humanité, chaque fois à la demande de son ami Albert Thomas [7]. En 1930, en revanche, il n’est pas impossible que la rémunération attachée à la fourniture des articles ait joué un rôle dans leur écriture [8].

3 Illustration pages suivantes :

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Le Progrès de Lyon, 20 octobre 1930 (microfilm)©Bibliothèque nationale de France.

4 C’est la série d’articles du Progrès, accompagnés d’un appareil critique, que nous publions aujourd’hui pour la première fois en tant qu’écrit de Maurice Halbwachs [9]. L’intérêt de ces documents est de donner à voir un savant en voyage dans une Amérique qui, depuis la Grande Guerre, fascinait plus que jamais les lettrés européens. À son retour, le sociologue publia un article savant dans les Annales d’histoire économique et sociale de Lucien Febvre et Marc Bloch sous le titre « Chicago, expérience ethnique » [10] et un autre sur les budgets de familles ouvrières américaines dans le Bulletin de la Statistique générale de la France[11]. C’est sous un autre visage qu’il se présente ici. « Il est donc entendu que je ne suis qu’un voyageur retour d’Amérique », écrivit-il à son vieil ami Albert Thomas qui l’invitait à Genève pour exposer au Bureau international du travail ce qu’il avait vu [12]. C’est ce voyageur anonyme qui se livre dans ces articles et on peut l’apercevoir d’autant mieux qu’il a tenu, au cours de son séjour nord-américain, une correspondance très dense, principalement avec son épouse Yvonne à laquelle il écrivait longuement presque chaque jour, avec d’autres membres de sa famille aussi et avec Albert Thomas. La correspondance, la chronique et l’article savant sur Chicago pris ensemble, permettent d’observer jour après jour notre observateur de l’Amérique, de connaître ses occupations et ses rencontres, ses lectures et ses promenades, la formation de ses intérêts et de ses opinions, la nature de ses sources d’information, le tout – chose rare s’agissant d’un savant du passé – dans des interactions attestées avec les lieux et les gens qu’il regarda, les Américains qui le guidèrent et les Français avec lesquels il dialoguait. Sur ce dossier peut donc s’appuyer une quasi-anthropologie des pratiques du savant voyageur, grâce à laquelle il sera possible de proposer à ses « Lettres des Etats-Unis » une intelligibilité qui ne relève pas seulement de la logique interne des idées ou des clichés – domaine fort étudié depuis une ou deux décennies s’agissant de l’Amérique des intellectuels français [13].

5 Mon commentaire s’articulera en trois temps. D’abord, je proposerai un rapide survol du document. Ensuite, des annotations accompagneront celui-ci en s’efforçant de reconstituer le puzzle pièce par pièce : dans l’esprit d’une édition critique, j’identifierai autant que possible les lieux et les personnes évoqués, et dans celui d’une enquête sur les pratiques du savant et du voyageur, je mettrai en évidence les sources des informations rapportées et les moyens de collecter celles-ci, en même temps que je confronterai les récits contenus dans les articles du Progrès avec ceux de la correspondance et de l’article des Annales. Pour conclure, une brève synthèse tentera de replacer les « impressions » de Halbwachs dans les cadres sociaux qui les façonnèrent et les conversations qu’il entretenait avec les hommes de son temps.

6 Tant il est vrai que, lorsque le voyageur choisit de voir et de ne pas voir, de raconter et de rendre compte de ce qu’il a vu, ce sont ses interlocuteurs qui importent : ceux qui, en France d’abord, aux États-Unis ensuite, lui ont montré l’Amérique et ceux desquels, en France, il voulait se faire entendre.

La civilisation américaine et sa morphologie sociale

7 Les huit « Lettres des Etats-Unis » témoignent de ce qui paraissait à Halbwachs intéressant de rapporter à un large public [14]. Le premier article sur « L’arrivée » (lettre i, 3 octobre) et les deux derniers : « De Chicago à Washington » (lettre vii, 20 décembre) et « Le départ » (lettre viii, 24 décembre), se présentent comme inscrits dans le récit d’un voyage. Les cinq autres articles traitent de sujets variés : « Des statistiques » (lettre ii, 13 octobre) commente des chiffres sur l’opulence américaine, « L’instruction » (lettre iii, 26 octobre) et « Les clubs » (lettre vi, sans date) décrivent des institutions, « Les nègres » (lettre iv, 9 novembre) et « Les immigrants » (lettre v, 28 novembre) examinent les composantes de la population qui posent le problème de l’assimilation. Un portrait relativement cohérent des États-Unis ressort de ces articles.

8 Une question centrale, en effet, traverse l’ensemble. Elle n’est pas inattendue : qu’est-ce qui rend la « civilisation américaine » si différente de la nôtre ? Mieux la connaître est utile, souligne l’auteur, car nous sommes menacés : les Américains veulent réaliser l’unité du monde par la force de leur finance et de leur commerce, comme jadis les Romains par celle de leurs armées. « Défendons-nous, bien entendu, mais comprenons-les, ou, du moins, essayons » (lettre i).

9 Ce qui caractérise d’abord l’Amérique c’est l’abondance matérielle. Elle saute aux yeux dans la vie quotidienne et le spectacle de la grande ville. Elle est confirmée par les chiffres, notamment ceux qui mesurent les consommations ouvrières. Elle résulte d’une société tout entière tendue vers l’efficacité : « C’est la religion de la vitesse, de l’action énergique et même brutale » (lettre i). La vitesse, horizontale, des trains – dont le réseau impressionne en ce nœud ferroviaire qu’est Chicago – rendue nécessaire par l’immensité des espaces, celle aussi, verticale, des ascenseurs – qui desservent les « buildings » et « gratte-ciels », solution ingénieuse au problème du manque d’espace dans les centres urbains. Mais ce « mécanisme universel » et cette abondance sans limite engendrent la monotonie et un nouvel esclavage. Certains Américains s’en rendent compte : « Nous sommes les esclaves du téléphone, de l’électricité, de nos automobiles, de notre confort, de nos conventions […]. Notre vie devient monotone, uniforme. Nous nous agitons dans le vide. Le poids du conformisme des mœurs est en réalité un bien plus lourd [sic] que n’importe quel joug. » Et le sociologue voyageur d’enchaîner : « Le conformisme. Voilà peut-être le mot, la clef de toute la psychologie et de toute la vie sociale américaine » (lettre ii). La statue de la Liberté elle-même semble menacer ceux qui, à l’entrée du « paradis de la civilisation », voudraient continuer à penser par eux-mêmes.

10 Pour le sociologue qu’est Halbwachs, ce conformisme américain a une raison fondamentale, qui est aussi le principal trait morphologique de la société des États-Unis : celle-ci est composée pour un tiers d’immigrants récents, « sans compter 10 millions de nègres, qui sont Américains, mais reconnus non assimilables » (lettre ii). De cette situation découlent un impératif social et un type de personnalité : « […] le devoir essentiel, dans un tel pays, c’est, aussi vite que possible, se mettre à ressembler aux autres. Hors du conformisme, point de salut » (lettre ii). Le schème intellectuel qui fonctionne ici est récurrent chez Halbwachs depuis les Expropriations (1909) jusqu’à son petit manuel Morphologie sociale (1938) : les faits morphologiques déterminent des normes collectives et une psychologie sociale particulière. Pour celui à qui Durkheim avait confié jadis la rubrique « Morphologie sociale » de l’Année sociologique, « la vie sociale repose sur un substrat qui est déterminé dans sa forme comme dans sa grandeur. Ce qui le constitue, c’est la masse des individus qui composent la société, la manière dont ils sont disposés sur le sol, la nature et la configuration des choses de toutes sortes qui affectent les relations collectives » [15]. Ainsi, lorsque l’on considère la population américaine sous cet angle, on comprend que l’assimilation de groupes si nombreux et si divers soit la question centrale qui se pose, parfois de façon dramatique, à la société. Celle-ci va s’efforcer de produire les représentations collectives qui permettent de faire face à cette situation : leur caractéristique majeure sera d’effacer aussi rapidement que possible la mémoire des traditions européennes et les spécificités de chaque groupe d’immigrants, de façon à les fondre tous dans le même moule. C’est là le secret de l’éternelle « jeunesse » des Américains. Ici pensent ensemble deux Halbwachs parfois difficiles à réconcilier, celui de la morphologie sociale et celui de la mémoire collective. On aura compris que notre récit de voyage, sous une apparence légère, est terriblement savant.

11 Observations et anecdotes sont mobilisées pour illustrer le conformisme supposé du caractère américain. La consommation d’alcool chez les riches, aussi grégaire que le puritanisme affiché de la législation (lettre i). L’absence de traditions, que les immigrants travaillent assidûment à effacer, de sorte qu’à la deuxième génération ils ont oublié la vieille Europe et sont « entièrement américanisés » (lettre ii). Le simplisme de l’enseignement, « réduit à une sorte de catéchisme » visant à l’assimilation (lettre iii). L’ingénuité d’autodidacte et la préoccupation utilitaire qui gouvernent les multiples clubs que l’on forme pour les motifs les plus futiles (lettre vi). Tout cela donne un sens particulier à un cliché dont Halbwachs est pénétré et qu’il n’hésite pas à reproduire : « Les Américains sont de grands enfants » (lettre iii). Il s’agit d’ « un peuple très jeune, trop confiant en lui-même » (lettre iii), jeune parce qu’il efface constamment les traces du passé, un passé qu’il importe d’oublier car il rappellerait de façon dangereuse d’insurmontables différences au sein de la société.

12 Deux des articles sont consacrés à des institutions qui ont précisément pour objectif de produire de la conformité. L’école, d’abord, qui est « le plus puissant instrument de formation et de propagande ». Une série de citations de manuels à usage des enseignants des écoles de l’Indiana, véritables morceaux d’anthologie patriotique, établissent ce point (lettre iii). Les clubs, ensuite, qui montrent « à quel point la préoccupation utilitaire a mis sa marque sur toute cette société ». Alors qu’en Europe, « la sociabilité est dans l’air » et qu’on la pratique sans y penser, aux États-Unis « […] pour se réunir et jouer aux cartes, on forme un club. Des femmes qui veulent causer, ou coudre ensemble, forment un club ». Le ridicule des dames autodidactes avides d’apprendre ne le cède en rien à celui des messieurs du Rotary Club, grands gamins soucieux de se rendre utiles (lettre vi).

13 Deux autres articles sont directement consacrés à la question de l’intégration à la société américaine de deux de ses composantes essentielles. Les « nègres », d’abord, « un problème angoissant, parce qu’insoluble ». Jadis concentrés dans le Sud, il y en eut « depuis la guerre une véritable invasion à Chicago » et dans les autres villes du Nord. Mais les Blancs réagissent à cette nouvelle situation morphologique, de sorte que « les mœurs rétablissent les barrières supprimées par les lois » (lettre iv). L’autre article porte sur les diverses catégories d’immigrants et examine « jusqu’à quel point ils conservent les qualités ou entretiennent les défauts de leur race », quels sont ceux qui sont capables « de modifier en partie le peuple américain en même temps qu’ils reçoivent son empreinte » et « ceux qui résistent décidément à l’assimilation » (lettre v). Les deux articles pris ensemble offrent un diagnostic complet. Si les Noirs sont inassimilables, les Juifs sont les moins assimilés des immigrants, peut-être avec les Russes. Dans le « melting pot » américain, les « nègres » sont la lie, les « races latines » l’écume et les Européens nordiques les mieux mélangés. C’est un schéma de ce type, durci dans ses conclusions et dans les méthodes d’administration de la preuve, qui constituera la matrice de l’étude savante sur « Chicago, expérience ethnique ». Enfin, l’article sur Chicago et Washington reprend ces thèmes à partir du « scandale des gangsters », question brûlante au moment où Halbwachs effectuait son séjour. Chicago est une ville qui a poussé trop vite, où de rudes populations rurales ont apporté l’esprit des pionniers, leur âpreté au gain et leur indifférence à l’intérêt public. Washington, au contraire, « berceau des libertés américaines » dont le paysage et les monuments sont « comme une leçon d’histoire » redonne confiance dans l’Amérique. Guidée par « de grands citoyens », elle a su se débarrasser de l’esclavage, elle saura aussi se débarrasser de la corruption (lettre vii).

14 Le dernier article de la série évoque la détresse des chômeurs et la crise économique. Il permet à Halbwachs de conclure sur une note plus sereine et un jugement généreux. La crise, en effet, déconcerte les Américains, trouble leurs certitudes, les rend plus modestes et donc plus humains. Elle les conduira peut-être à se tourner vers l’Europe pour y trouver des remèdes et, en tout cas, des débouchés. Ils devront alors sortir de leur isolement. « “L’Amérique […] veut prendre sa place dans la communauté des nations plus âgées” : tel est le message que le voyageur étranger voudrait rapporter en Europe » (lettre viii).

15 La cohérence du propos de Halbwachs ne doit toutefois pas être surestimée. Les « Lettres des Etats-Unis » sont aussi faites de pièces et de morceaux glanés ici et là, de choses vues, entendues et, surtout peut-être, lues. Ces brefs textes combinent deux registres d’écriture hétéroclites : la chronique de voyage et l’étude savante. Halbwachs s’exerce ici au premier genre sans pouvoir se départir du second, à l’inverse exact de ce qu’il s’efforcera de faire en écrivant l’article des Annales, où il s’agira de minimiser l’intuition sensible au profit du raisonnement analytique appuyé sur la statistique. Mais ce que montrent ces documents pris ensemble, c’est que les deux ordres de pratiques cognitives ne sont pas aussi éloignés l’un de l’autre que l’auteur lui-même le croyait.

Lettres des Etats-Unis [1] L’ARRIVÉE[2]

Chicago, 3 octobre 1930 [3].
« Mare nostrum ! ». Les Américains ont repris ce mot, qui est tout un programme, des Italiens fascistes, pour l’appliquer non plus à la Méditerranée, mais à l’Atlantique [4]. L’échelle a changé. Le monde est aujourd’hui plus grand, ou, si l’on veut, plus petit qu’hier. L’unité de l’ancien monde a été réalisée par les armées romaines. C’est la finance et le commerce américain qui, par-dessus l’Atlantique, veulent réaliser l’unité des deux mondes, l’ancien et le nouveau. Mais l’Atlantique est vaste, et quand on le traverse à bord d’un paquebot de vitesse moyenne, on comprend que les deux civilisations qu’il sépare ont pu se développer longtemps chacune suivant sa loi, et qu’elles ne sont peut-être pas près de se confondre [5].
Il y a sept cents passagers sur notre navire, dont plus des trois quarts sont « american citizens ». Je pense qu’ils sont pressés de rentrer chez eux. Mais il y a quelque chose, de l’Amérique, qu’ils ne paraissent pas regretter : c’est le régime sec [6]. N’exagérons pas. Une minorité d’entre eux prolongent leurs libations tard dans la nuit, au bar et même dans leurs cabines. Mais c’est un fait qu’il se consomme à bord beaucoup d’alcool.
Un Dominicain français qui dit la messe tous les jours, a trouvé un de ces matins, dans le local où il officie, un Irlandais-Américain ivre-mort endormi sur une banquette [7]. On l’a réveillé et engagé à se retirer. Mais il s’est mis à genoux, en habit, et a assisté tout seul à toute la messe, au grand étonnement du Dominicain, qui nous a raconté cette histoire édifiante.
Nous devions arriver dans la nuit, et il était entendu que le bar fermerait à 9 heures. Durant la dernière demi-heure, ç’a été une ruée. Des femmes emportaient des verres remplis de whisky jusqu’aux bords, et des bouteilles de champagne, au moment même où abordait le bateau postal, avec peut-être à bord des agents de la prohibition.
Voilà qui dispose à accueillir sans trop de scepticisme les histoires extraordinaires qu’on raconte sur la consommation clandestine d’alcool, aux Etats-Unis. Certes, les classes pauvres ne boivent pas. Mais, dans les classes riches, il en est autrement. L’alcoolisme y sévit avec intensité. Le vieux puritanisme, depuis la guerre, n’est plus paraît-il qu’un souvenir. Il n’est pas bon, pour des citoyens d’un peuple libre, de donner ainsi l’exemple du mépris de la loi, si absurde qu’elle puisse paraître. Il vaudrait mieux l’abroger. Précisément les journaux annoncent que, pour le poste de gouverneur de New-York, les républicains viennent de désigner un candidat « humide » comme les démocrates [8]. Il n’y a que les contrebandiers qui s’en affligeront.
Cela ne doit pas nous empêcher de contempler avec émotion l’extraordinaire spectacle qu’offre l’arrivée à New-York, au matin [9]. On vient de passer devant les collines de New-Jersey, avec leurs cottages clairs dans la verdure : un paysage anglais, un vrai tableau de Constable ; et tandis qu’à gauche se déroule une ligne indéfinie de docks, vers la droite, au fond, dans la brume, surgissent des constructions aux formes inattendues : les fameux skyscrapers, les gratte-ciels, d’une architecture cubique et paradoxale, qui tire l’œil comme une réclame, et cependant ne manque pas de grandeur.
Rien de ce qu’on a vu ne ressemble à cela, et l’on pourrait croire qu’on débarque dans une planète nouvelle, habitée par des géants qui construisent à leur mesure. Symbole de l’activité fiévreuse d’un peuple que rien n’étonne, qui risque tout, et se complaît aux paris énormes. Après tout, ce n’est là rien d’autre que la solution d’un problème qui paraissait n’en pas comporter. Des règlements rigides limitaient la hauteur des maisons, afin de ne point plonger les rues dans l’obscurité [10]. On s’en est tiré en élevant, à intervalles, des édifices qui ont cinquante à soixante étages. Des ascenseurs, manœuvrés par des femmes aux mains gantées, vous emportent dans le sens de la troisième dimension avec la même vitesse que des trains rapides dans le sens des deux autres. Tous ces bâtiments, d’ailleurs, ont de la ligne, et il se dégage une impression d’harmonie de ces motifs purement géométriques. Le tout était d’y penser. Les architectes américains ne se laissent jamais arrêter. L’un d’eux n’offrait-il pas, dans une université, de construire une piscine au cinquième étage d’un collège, puisqu’il n’y avait pas de place ailleurs ?
Çà et là, au long de ces grandes voies où la circulation est intense, s’ouvrent des chantiers [11]. Un ouvrier dirige une de ces « ramasseuses » mécaniques, qui ressemblent à des pinces mues par une volonté intelligente : elles saisissent en tâtonnant, en s’y reprenant à plusieurs fois, de gros blocs de pierre, qu’elles détachent, arrachent et transportent jusqu’à un tracteur. Celle-ci opère avec une rapidité surprenante. Elle est maniée, évidemment, par un as. Les gens s’arrêtent, se penchent pour observer, approuvent de la tête comme s’il s’agissait d’un jeu sportif. C’est la religion de la vitesse, de l’action énergique et même brutale. Sur les trains, de fortes indemnités sont payées aux voyageurs quand il y a des retards. J’imagine que le secret de leur production industrielle à fort rendement est là pour une bonne part. C’est d’ailleurs ce qui donne du caractère et une certaine beauté à ce mécanisme universel, et met un peu de vie dans la monotonie laborieuse d’une telle existence.
Les Américains s’intéressent à ce que les voyageurs européens pensent à leur sujet, mais je ne crois pas qu’ils puissent comprendre les réserves, les protestations et les regrets formulés par plus d’un d’entre eux. Je ne crois point, par exemple, que le beau livre de Duhamel les ait amenés à réfléchir sur les insuffisances de leur civilisation [12]. Entrés depuis plus ou moins de temps dans cette « terre promise », les immigrants ou fils d’immigrants ont bien vite oublié la vieille Europe. Ce n’est pas sans mélancolie qu’on constate que ces hommes, qui gardent dans leurs traits les marques de leur origine, sont entièrement américanisés [13]. Ce Français, cet Italien, cet Allemand sont bien plus près les uns des autres que de ceux qui arrivent de leur ancien pays. Tout ce qui sépare et qui définit du même coup nos nations n’existe plus pour eux. Il y a tout un ordre de faits qui leur échappent, et dont ils constatent la survivance avec un profond étonnement, en se demandant à quoi cela peut bien servir : ce sont les traditions [14]. Dans une des parties les plus vivantes et les plus populeuses de New-York, à côté de cette vaste artère qu’est Broadway, tout près de Wall-Street, c’est-à-dire du cœur palpitant de la finance et de la bourse, on remarque, entre les hautes maisons, un espace vide occupé par un vieux cimetière [15]. Je demande si, en le respectant, on a obéi à quelque scrupule, au souci de maintenir intact un fragment du passé. Point du tout. Il reste inviolé en vertu d’une concession perpétuelle, et parce qu’on a dû s’incliner devant la loi. Les Américains dévorent l’espace et le temps, sans se retourner. Tout être tend à persévérer dans son être. Or la nature de ce peuple, c’est l’action, la conquête des biens matériels, l’organisation purement pratique de l’existence. Défendons-nous, bien entendu, mais comprenons-les, ou, du moins, essayons.
M. H.

Lettres des Etats-Unis DES STATISTIQUES[16]

Chicago, le 13 octobre 1930 [17].
Le président Hoover, parlant à Kingsmountain, où fut livrée en 1780 une des plus fameuses batailles de la guerre de l’Indépendance, disait la semaine dernière [18] : « En proportion de notre population, nous avons, dans des écoles préparant aux examens [19], un quart de plus de nos enfants que les plus avancés des pays d’Europe, et six fois et demi autant dans les collèges et les Universités. Pour chaque millier d’habitants, il y en a deux fois plus chez nous que chez eux qui possèdent leur maison. Nous consommons quatre fois autant d’électricité, et nous avons sept fois autant d’automobiles. Nous avons plus de quatre fois autant de téléphones et de radios, et un vingtième seulement de ce qu’ils ont de pauvres entretenus par la charité publique. »
Ces chiffres sont impressionnants. Quelques-uns, il est vrai, prêteraient à discussion. Certes, les Américains font un gros effort pour développer leurs Universités. Celle de Chicago fondée il y a un peu plus de trente années par Rockfeller est une véritable petite ville dans la grande [20]. De somptueux bâtiments d’architecture médiévale, et qui rappellent les collèges anglais d’Oxford et de Cambridge, s’espacent au milieu de vastes jardins, de vertes pelouses, et de magnifiques courts de tennis. D’autres sont en construction. Les plans s’ajoutent aux plans. Il n’est pas de semaine où des commissions de professeurs et d’étudiants avancés ne se réunissent pour former de nouveaux projets. Bien plus, ces projets se réalisent. L’argent ne manque pas, ni la bonne volonté. Un jeune professeur de biologie me raconte qu’il demandait cinquante singes pour ses expériences de l’année [21]. « Pourquoi cinquante ? lui a-t-on dit. Demandez-en cent. » Et on les lui a donnés. Tout est à l’avenant. Mais, puisqu’il s’agit de statistique des étudiants, remarquons que l’on comprend sous ce nom, en Amérique, des jeunes gens dont la culture et les cours d’études correspondent à ce que sont chez nous les cours supérieurs des lycées et collèges. On les appelle undergraduate, c’est-à-dire qui n’ont pas encore passé leur baccalauréat. C’est « le collège ». Quant aux gradués, c’est-à-dire aux vrais étudiants, ils sont en réalité bien moins nombreux.
Mais il faut bien le reconnaître que la vie matérielle est chez eux beaucoup plus large que dans nos vieux pays. Il suffit d’entrer dans ces restaurants populaires, qu’ils appellent des « cafeterias », et, ayant pris un plateau, comme les autres consommateurs, de passer devant une série de comptoirs où l’on choisit soi-même viande, sauce, légumes, hors-d’œuvre, etc. [22] C’est un étalage de nourritures qui fait penser aux cuisines de Gargantua. On peut ne pas aimer la façon dont tout cela est accommodé. En tout cas, la quantité y est. Il suffit aussi de regarder aux devantures les étalages de victuailles. Duhamel dit qu’ils ont l’air d’avoir fabriqué leurs fruits en série [23]. Peut-être. Mais peut-on leur reprocher de s’en être tenu aux meilleures espèces ? Leurs raisins, leurs poires, leurs oranges ont l’air de fruits d’exposition.
J’ai sous les yeux une des enquêtes les plus récentes faites sur les dépenses et le genre de vie des ouvriers dits « unskilled » ou non qualifiés, c’est-à-dire des plus pauvres [24]. On y reproduit un budget minimum, qui a été fixé par le Bureau of labor statistics. Il y est dit qu’« un niveau de vie décent » doit comporter, pour chaque ménage ouvrier, une salle de bain avec « toilet » ou w.-c. C’est là un programme. En fait, parmi les ouvriers soumis à l’enquête on a trouvé que 42,5 % seulement avaient une salle de bain dans leur logement. Plus de 70 % avaient une « toilet » privée, et non commune à plus d’une famille.
Le tiers de ces ménages possédaient ou étaient en train d’acquérir leur maison. Sur 467 familles, 330 avaient l’électricité, 111 le gaz et l’enquêteur est surpris et peiné que 22 d’entre elles s’éclairent encore avec des lampes à huile. 14 avaient une automobile, 94 un piano, 33 un radio, 92 (soit 20 %) avaient le téléphone. Ce dernier chiffre afflige l’enquêteur. Chaque ouvrier ne devait-il pas avoir le téléphone ? Quant aux automobiles, on en eût trouvé certainement un bien plus grand nombre, s’il ne s’était pas agi d’ouvriers les moins payés.
Ce qu’on peut se demander, il est vrai, c’est si tout ce confort matériel est suffisant à remplir l’existence, et contenter les aspirations des hommes. Pour la plupart des Américains, sans doute, la question n’aurait pas de sens. Mais il en est qui s’inquiètent, et se demandent si cette forme de civilisation ne comporte pas certains inconvénients et certains risques. Je suis allé, dernièrement, à la chapelle de l’Université, qui est grande comme une cathédrale, et où l’on entend, chaque dimanche, les orateurs protestants les plus éloquents [25]. Le service s’ouvre par un défilé : en tête, le drapeau américain ; puis une théorie de jeunes théologiennes, coiffées assez coquettement de cette toque archaïque et bizarre qu’on voit souvent dans les vieux collèges anglais ; des étudiants en théologie en robe ; et deux pasteurs aux traits austères. Celui qui prêchait avait pris pour texte la parole du Christ : « Je vous dis de porter mon joug, car il est léger. » C’était une diatribe ironique et amère contre l’époque moderne, qui n’a pas d’autre dieu que la liberté. Nous prétendons être libres. Nous croyons avoir asservi et plié à nos fins les forces matérielles. Mais ce sont elles qui nous ont réduits en esclavage. Nous sommes les esclaves du téléphone, de l’électricité, de nos automobiles, de notre confort, de nos conventions et de nos distractions. Nous donnons à cela tout notre temps, toute notre peine. Notre vie devient monotone, uniforme. Nous nous agitons dans le vide. Le poids du conformisme des mœurs est en réalité un bien plus lourd que n’importe quel joug.
Le conformisme. Voilà peut-être le mot, la clef de toute la psychologie et de toute la vie sociale américaine [26]. La statue colossale de la Liberté peut bien vous accueillir à New-York, tendant vers le ciel son bras qui éclaire le monde. Ce geste d’émancipation pourrait aussi bien signifier une menace, un avertissement sévère à ceux qui veulent entrer dans le paradis de la civilisation : « Vous serez des citoyens américains, c’est-à-dire de vrais hommes libres, à condition de vous conformer d’abord aux modes et aux façons d’agir habituelles des habitants de ce pays. Vous n’avez pas le droit de régler votre vie comme vous l’entendez, ni, surtout, de penser par vous-même. »
Considérons quatre chiffres seulement. D’après le Census de 1920, sur environ 105 millions d’habitants, on comptait aux Etats-Unis 14 millions d’étrangers, soit un dixième de la population totale [27]. Si on y ajoute tous ceux qui sont nés aux Etats-Unis de parents dont l’un au moins était étranger, cela fait 36 millions, soit le tiers de la population — sans compter 10 millions de nègres, qui sont Américains, mais reconnus inassimilables. Notons d’ailleurs que ce peuple a le sentiment qu’il diffère de tous les autres, qu’il croit avoir une mission qui est de maintenir intact un certain type de civilisation. Dans ces conditions, on s’explique que le devoir essentiel, dans un tel pays, c’est, aussi vite que possible, de se mettre à ressembler aux autres. Hors du conformisme, point de salut.
C’est pourquoi toute la vie sociale américaine ressemble à une machine bien montée, sur un plan uniforme. Il est vrai que, quelquefois, le mécanisme se détraque. Voici en effet ce qu’on lit dans les journaux de Chicago : « Dans les neuf mois de cette année, il y a eu cinquante-quatre bombes, au lieu de quatre-vingt-dix-huit l’an dernier dans le même intervalle. Mais les dommages sont plus de deux fois plus élevés, trois fois plus qu’en 1928. » C’est un autre genre de statistiques, qui ne laissent pas de faire réfléchir. L’affaire des gangsters, et le secret de leurs rapports possibles avec la police, c’est une sombre histoire, qui met peut-être en lumière certains aspects de la « machine » américaine. Mais il est sans doute trop tôt pour en parler [28].
M. H.

Lettres des Etats-Unis L’instruction[29]

Chicago, le 26 octobre 1930 [30].
« L’histoire n’offre point d’exemple d’un développement national, d’une prospérité nationale et de réalisations nationales telles que les nôtres. En somme, tout cela a été accompli depuis que nous avons adopté notre présente forme de gouvernement, et cela nous donne le droit d’affirmer que nos conceptions politiques sont justes, et que ceux qui les attaquent ont tort. Pour comprendre exactement la philosophie de notre gouvernement, il faut une connaissance exacte de notre histoire. »
(Manuel d’Etat pour les écoles secondaires en 1923) [31]
« Il faut développer dans l’esprit des enfants un sentiment de fierté et d’orgueil, en leur enseignant l’histoire de cet Etat… Le droit de révolution n’existe pas en Amérique. Nous avons fait, il y a 140 ans, une révolution qui rend désormais inutile toute autre révolution dans ce pays. Un des principaux caractères de la démocratie, c’est que c’est une forme de gouvernement dans laquelle on a perdu le droit de révolution. Aucun homme ne peut être un bon, un véritable Américain, s’il croit que la force est nécessaire pour réaliser la volonté populaire. L’américanisme signifie essentiellement que nous avons répudié les vieilles méthodes qu’emploient les Européens pour régler leurs querelles domestiques, et que nous avons créé à notre usage un mécanisme qui nous permet de reléguer au musée des vieilleries des procédés révolutionnaires. »
(Manuel d’Etat pour les écoles élémentaires en 1921) [32]
« Nous avons besoin avant tout de faire connaître aux enfants les héros américains et les idéaux américains. »
(Discours prononcé par le président du Conseil d’éducation à une assemblée de parents, en 1923) [33]
De ces textes – et on pourrait en citer beaucoup d’autres – il résulte que les Américains se servent de l’école avant tout en vue d’inculquer aux enfants et jeunes gens les nouveaux principes sur lesquels repose leur civilisation. De fait, les institutions d’enseignement sont le plus puissant instrument de formation et de propagande. On est étonné quelquefois aux Etats-Unis de constater qu’une différence s’établit si vite, et que les distances s’élargissent à ce point, entre les parents venus d’Europe, qui conservent longtemps une bonne partie de leurs habitudes et traditions, et leurs enfants. De fait, il suffit d’une génération pour faire des Américains. Comment cela serait-il possible sans l’école, sans l’action convergente de tous les maîtres ? S’ils donnent l’impression d’avoir perdu tout souvenir de leur origine, si un grand nombre d’entre eux ne savent même point de quel pays européen leur famille est venue, c’est que l’Europe est pour eux une vague région dont on ne leur a parlé que pour exalter par contraste les vertus, les avantages et la supériorité à tous égards du peuple américain.
Comment fonctionne cette machine scolaire ? De 6 à 9 ans, les enfants vont aux elementary schools ; de 9 à 13 ans, dans les grammar schools. A 13 ans, ils entrent dans une high school, d’où ils sortent à 17 ans. A ce moment ils sont étudiants d’un collège pendant quatre années, avant d’être admis aux cours supérieurs d’université. Mais collège et université forment un même tout. La période essentielle, celle qui correspond à la partie moyenne et supérieure de notre enseignement secondaire, c’est le temps passé à la high school, qui n’est rien d’autre en somme qu’un lycée. Comment est-il employé ?
Voici d’abord un tableau, établi suivant les méthodes ingénieuses de la statistique américaine, et qui indique, pour chaque matière, la proportion (sur 100 heures de cours par semaine au total), des « heures d’étudiant » consacrées à cette matière. [34] Heures d’étudiant signifie qu’on a multiplié le nombre d’heures consacrées à la matière dans chaque classe par le nombre d’étudiants de cette classe. C’est bien le meilleur moyen de représenter l’importance relative de chaque matière.
tableau im2
DISTRIBUTION DES SUJETS ENSEIGNÉS DANS LES HIGH SCHOOLS POUR 100 HEURES D’ÉTUDIANT PAR SEMAINE Mathématiques 14,9 Anglais 22 Sciences sociales 1,7 Histoire 13,9 Sciences 6,7 Langues 14 Latin 10,4 Français 2 Espagnol 1,6 Art 1 Gymnastique 2,6 Musique 5,7 Science domestique 3,1 Commerce 8,7 Arts manuels 2,1 Enseignement professionnel 3,6 TOTAL 100
De ce tableau, il résulte en somme que l’enseignement américain n’est peut-être pas aussi utilitaire qu’on l’imagine. L’indice des « heures d’étudiant » correspondant au latin est faible, si l’on songe à nos programmes. Il n’en reste pas moins que la proportion du latin au français est assez inattendue en Amérique. En réalité, c’est l’anglais qui est la langue de culture, obligatoire pendant les deux premières années ; dans la troisième année, dans la moitié des sections (il y en a 12), l’anglais littéraire fait place à l’anglais commercial. La quatrième et dernière année, il est facultatif dans cinq sections. Si, d’autre part, nous faisons le total pour les sept dernières années, arts d’agrément ou études utilitaires, nous trouvons 26.8 %, ce qui est tout de même une grosse proportion, et qui marque bien le caractère pratique de l’enseignement américain [35].
Voici maintenant qui donnera une idée de ce que pensent, sur quelques questions assez générales, les jeunes gens et jeunes filles prêts à sortir des high schools [36]. On a interrogé 241 garçons et 315 filles, et indiqué combien, sur 100 garçons et sur 100 filles, ont fait les réponses indiquées en tête des colonnes :
tableau im3
OUI NON NI OUI, NI NON Garçons Filles Garçons Filles Garçons Filles La race blanche est la meilleure qu’il y ait sur terre 66 75 19 17 14 6 Les E. U. sont indiscutablement le meilleur pays du monde 77 88 10 6 11 5 Chaque bon citoyen doit agir suivant le principe : « C’est mon pays, qu’il ait raison ou non » 47 56 40 29 9 10 Les E. U. ont entièrement raison, et l’Angleterre entièrement tort, au moment de la Révolution américaine 30 33 55 40 13 25 Les gouvernements alliés, dans la guerre mondiale, combattaient pour une cause entièrement juste 65 75 22 8 11 14 L’Allemagne et l’Autriche ont été seules responsables de la guerre 22 25 62 42 15 31 Le gouvernement bolcheviste russe doit être réorganisé par les E. U. 8 5 73 67 17 24 Un pacifiste en temps de guerre doit être poursuivi 40 36 34 28 22 28 Le fait que certains sont à ce point plus riches que les autres prouve qu’il y a des conditions injustes qu’il faut transformer 25 31 70 62 4 5
Il n’y avait pas de nègres parmi ceux qu’on a interrogés [37]. De 3 à 12 % des élèves n’ont pas répondu. On remarquera que les filles paraissent moins avancées que les garçons.
Ce qui nous déconcerte le plus, à vrai dire, c’est qu’on puisse poser de telles questions, qu’on dresse de telles statistiques, qu’on juge là-dessus la portée et les résultats d’une méthode d’enseignement. Il est un peu enfantin (et d’ailleurs les Américains sont peut-être de grands enfants [38]) de supposer qu’à ces questions assez compliquées on peut répondre en effet par oui ou par non. Trop de simplisme. L’enseignement réduit à une sorte de catéchisme. Ce sont bien là les traits auxquels on reconnaît un peuple très jeune, trop confiant en lui-même, et dénué à l’excès de cet esprit critique que nous avons acquis en Europe au prix de bien des siècles d’expérience.
M. H.

Lettres des Etats-Unis Les nègres[39]

Chicago, le 9 novembre
« Vous allez à Chicago ? » me disaient des Américains rencontrés en France. « C’est là que vous pourrez le mieux étudier le nouvel aspect du problème des nègres. Vous verrez que c’est tragique, et quelle menace ils constituent pour notre civilisation. » – « Vous allez à Chicago ? » me disait un ami français qui connaît bien l’Amérique, et que l’orgueil d’un certain nombre de ses habitants a dû plus d’une fois piquer au vif. « Vous allez bien vous amuser. Les nègres les empoisonnent. Et ils savent bien qu’ils n’en sortiront pas. » [40]
De fait, il y a eu, depuis la guerre, une véritable invasion de nègres à Chicago, ce qui n’est d’ailleurs qu’une conséquence d’un courant qui a porté et porte de plus en plus les hommes de couleur du sud vers le nord. Voici quelques chiffres.
Il y a environ 10 millions de nègres aux Etats-Unis, sur une population totale de 100 à 110 millions d’habitants, soit près d’un dixième. De cette masse noire, en 1900, les neuf dixièmes se trouvaient dans le sud. Ils y représentaient 30 % de la population totale. Dans certains Etats, comme le Mississipi et la Caroline du Sud, ils étaient plus nombreux que les blancs, et atteignaient une proportion de plus de 55 %. Dans le Nord, ils n’occupaient qu’une place infime. A cause de la couleur de leur peau, ils ne passaient pas inaperçus, bien que l’historien de la littérature, Brunetière, ait déclaré, à son retour des Etats-Unis, qu’il n’avait pas vu de nègre [41]. En réalité, on en rencontre dans tous les lieux publics, gares, restaurants, boutiques de coiffeurs, où ils cirent les souliers, dans les chemins de fer aussi, où ils sont préposés aux pullmann. Mais ce n’étaient que quelques unités dispersées, ne dépassant pas 2 % de la population, dans cette partie des Etats-Unis qui s’étend au nord du Delaware, du Maryland, de la Virginie Occidentale, de l’Arkhansas, de l’Oklohama, que, depuis la guerre de Sécession, on a l’habitude d’appeler : le Nord.
Or, à partir de 1916, alors que les mouvements de migration transocéanique s’arrêtaient, les nègres ont commencé à émigrer vers le nord. Il y a eu deux principales vagues, l’une entre 1916 et 1920, l’autre entre 1922 et 1924 [42]. Si bien que la population nègre de Chicago a augmenté de 44 103 en 1910 à 109 594 en 1920 (soit un accroissement de 148 % en dix ans), qu’à présent elle dépasse de beaucoup 150 000, et qu’au lieu de 2 %, elle approche de 6 à 8 % de la population, dans cette grande agglomération du Middlewest qui est dès maintenant la seconde ville des Etats-Unis.
De ce courant migratoire intérieur les causes sont très simples. C’est d’une part, la guerre, et le départ pour l’Europe d’une quantité d’Américains, et c’est, d’autre part, la politique suivie par l’Amérique depuis la guerre vis-à-vis des immigrants, dont un nombre très réduit est autorisé à pénétrer aux Etats-Unis. Enfin, c’est, au même moment, dans ce pays, un essor industriel sans précédent. L’industrie américaine produisait à plein rendement, et s’étendait chaque jour. Il lui fallait de la main-d’œuvre. Or, les ouvriers américains pendant la guerre, et, depuis, les immigrants lui ont fait défaut. Alors les nègres sont venus, attirés par les hauts salaires, et mus aussi par d’autres motifs.
Au lieu de 1 à 3 dollars par jour dans les plantations du Mississipi, ils gagnent souvent de 8 à 10 dollars dans la région industrielle des Grands Lacs. C’est la loi de l’offre et de la demande. Dernièrement, comme je me promenais dans le quartier nègre de Chicago, je voyais des négresses se consulter avant d’entrer dans une banque [43]. Dans le sud, ils étaient misérables, presque autant que leurs parents, les anciens esclaves. Aujourd’hui ils peuvent faire des placements. Les planteurs de coton, de tabac, dans le sud, voient leur main-d’œuvre se raréfier. Le sud ne s’est jamais relevé du coup que lui a porté le nord en abolissant l’esclavage. Maintenant, c’est une nouvelle émancipation qui aura des conséquences économiques peut-être encore plus graves.
Les blancs du sud se défendent, en publiant dans leurs journaux des articles sur les souffrances endurées par les nègres qui ont été assez imprudents pour quitter les provinces ensoleillées, pour les villes du nord tristes, au climat sévère. Mais les nègres ne s’y laissent pas prendre. Entre 1885 et 1908, 2 885 nègres ont été lynchés, mais plus de 85 pour 100 l’ont été dans le sud. Dans le sud, également, les Jim Crow Laws les obligent à voyager dans des voitures séparées, et à s’asseoir seulement à l’arrière des tramways. Dans le nord, noirs et blancs prennent place les uns à côté des autres dans les tramways et les autobus.
Le 15e amendement de la Constitution des Etats-Unis leur donne le droit de vote depuis 1870. Mais en fait les Etats du sud ont promulgué des lois qui les privent pratiquement de l’exercice de ce droit, par exemple en exigeant des électeurs qu’ils soient capables « d’interpréter raisonnablement la Constitution ». Tout en exemptant de cette obligation les blancs anciens soldats, ou descendants de ceux qui ont voté en 1867. Dans le nord, ils peuvent voter, ils constituent d’ailleurs un appoint sérieux dans certaines élections disputées.
Tout cela explique bien que les noirs, un grand nombre d’entre eux tout au moins, se soient transportés dans les villes du nord. Leur situation économique y est meilleure. Ils sont, en droit, égaux aux blancs. Mais, mis en contact avec les nègres de façon plus étroite que jadis, voici que les Américains du Nord s’inquiètent, que les mœurs rétablissent les barrières supprimées par les lois.
Citons deux exemples. J’ai, à l’Université, un étudiant nègre [44]. Il me serait impossible de l’inviter à déjeuner, à mon club ou au restaurant. Dans aucun des restaurants où je suis entré je n’ai vu de nègre, sauf parmi le personnel. Je pourrais même difficilement le recevoir chez moi. On m’a raconté qu’à New-Jersey un portier (janitor ou concierge) qui était nègre, recevant la visite de son pasteur, également nègre, le laisse entrer par la porte principale. Energiques protestations des locataires. Un nègre ne peut entrer dans une maison habitée par les blancs que par la porte de derrière. Presque tous les nègres sont protestants, mais ils ont leurs églises, et ne sont pas admis dans les autres. Quelquefois une jeune fille, qui a 16 % ou même 8 % de sang nègre, réussit à s’introduire dans un bureau. Dès qu’on s’en doute, les autres employées refusent de rester. Il faut la renvoyer.
Il y a un droit qu’on n’a pu leur retirer. C’est celui de louer ou acheter des maisons. D’où cette conséquence curieuse. Dès que des nègres se sont installés quelque part, dans toute la rue, sur une longueur de 10 à 15 kilomètres, les blancs s’en vont. Les maisons se déprécient. C’est la cause d’une moins-value immédiate. Les propriétaires n’y peuvent rien. C’est ainsi qu’à Chicago, le quartier nègre, ou blanck belt (bande noire) s’étend du nord au sud en un très mince rectangle indéfiniment allongé. Les nègres ont l’air d’être partout.
C’est une caste entièrement isolée, qui comprend d’ailleurs une quantité de classes, les nègres riches qui ne se voient qu’entre eux, les nègres de la classe ouvrière, exclus des syndicats par les ouvriers blancs, qui redoutent leur concurrence et les détestent [45]. Au reste, ils sont là très légitimement. Ils ne sont pas venus en Amérique de leur plein gré, comme les immigrants. Les blancs ne peuvent pas leur dire : « Que faites-vous ici ? » Ne pouvant ni les exterminer, ni les chasser, il faut bien qu’ils s’habituent à leur présence. Il est bien entendu d’ailleurs que jamais ils ne seront assimilés. C’est bien, pour les Américains, un problème angoissant, parce qu’insoluble [46].
M. H.

16 La seconde partie de ce document (soit les lettres v à viii, 28/11, s.d., 20/12 et 24/12) paraîtra dans le n° 59 de Genèses (juin 2005)

Notes

  • [*]
    Je remercie Nathalie Montel pour sa lecture amicale et attentive d’une première version de ce travail.
  • [1]
    « The Board of Trustees », by John F. Moulds, Secretary of the Board, n° 3, July, p. 197, in The University Record, n.s., vol. 16, 1930.
  • [2]
    Par la suite, il passa en outre quelques semaines à Istanbul (1938) et à Jérusalem (1 939).
  • [3]
    Voir Christophe Charle, « Ambassadeurs ou chercheurs ? Les relations internationales des professeurs de la Sorbonne sous la Troisième République », Genèses, n° 14, 1994, pp. 42-62.En ligne
  • [4]
    Lettre à Yvonne (2 novembre 1930). La correspondance familiale se trouve dans le Fonds Halbwachs à l’Institut mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), où Olivier Corpet m’a reçu avec une chaleureuse hospitalité dont je le remercie. Les lettres à Yvonne sont parfois écrites sur plusieurs jours, à la manière d’un journal : la référence adoptée ici est la date à laquelle le passage cité fut écrit.
  • [5]
    À Yvonne (3 novembre). Maurice Halbwachs précisait dans cette lettre qu’il s’agissait d’« impressions ». C’est la mention de Delaroche qui m’a permis de retrouver la série d’articles du Progrès.
  • [6]
    Léon Delaroche (1877-1940) et Henri (1881 ou 1882-1936) étaient les neveux de Léon Delaroche, le fondateur du Progrès. Journal de Lyon, et succédèrent à la veuve de celui-ci en 1903 à la direction du quotidien (Le Progrès, 10 décembre 1936 et 9 avril 1940). Comme nombre de grands notables de province, l’un et l’autre résidaient pour une part de leur temps à Paris, où ils furent ensevelis. Je remercie Patrick Ramseyer, de la Bibliothèque nationale de France, des informations qu’il m’a données sur ces personnages.
  • [7]
    Voir Christian Topalov, « Maurice Halbwachs, photographe des taudis parisiens (1908) », Genèses, n° 28, 1997, pp. 128-145. On ne peut pas imaginer qu’il craignait qu’il lui arrivât aux États-Unis un désagrément analogue à l’expulsion de Prusse qui sanctionna sa chronique d’une grève ouvrière à Berlin en novembre 1910.En ligne
  • [8]
    Halbwachs, qui n’avait pas de fortune, était soucieux que son enseignement lui-même produisît un « gain » aussi substantiel que possible (à Yvonne, 2 novembre).
  • [9]
    Le volume de ces documents a conduit à les répartir entre la présente livraison de Genèses et la suivante.
  • [10]
    « Chicago, expérience ethnique », Annales d’histoire économique et sociale, vol. 4, n° 13, 1932, pp. 11-49.
  • [11]
    « Les budgets de familles ouvrières aux Etats-Unis », Bulletin de la Statistique générale de la France, vol. 20, n° 3, 1931, pp. 395-430.
  • [12]
    Maurice Halbwachs à Albert Thomas, Strasbourg, 19 janvier 1931. La correspondance avec Albert Thomas se trouve dans les papiers de celui-ci, déposés aux Archives nationales (pour la période étudiée ici, un seul carton est concerné : 94 AP 381).
  • [13]
    Les travaux sur le sujet, nombreux, sont marqués par les méthodes de l’histoire littéraire et rapprochent des textes sans guère s’intéresser aux champs ou réseaux de locuteurs, ni même aux décrochements temporels. Parmi les études les mieux documentées (notamment sur l’entre-deux-guerres), signalons : Jean-Philippe Mathy, Extrême Occident : French Intellectuals and America, Chicago, University of Chicago Press, 1993 (notamment ch. ii et v) et Philippe Roger, L’ennemi américain. Généalogie de l’antiaméricanisme français, Paris, Seuil, 2002 (notamment partie 1, ch. vii et partie 2, ch. iv-vi). On peut citer aussi un colloque plus ancien : Denis Lacorne, Jacques Rupnik et Marie-France Toinet (éd.), L’Amérique dans les têtes. Un siècle de fascinations et d’aversions, Paris, Hachette, 1986 et Dominique Jullien, Récits du Nouveau Monde. Les voyageurs français en Amérique de Chateaubriand à nos jours, Paris, Nathan, 1992. Une place à part doit être faite aux excellents Jean-Louis Cohen et Hubert Damisch (éd.), Américanisme et modernité. L’idéal américain dans l’architecture, Paris, EHESS-Flammarion, 1993 et Jean-Louis Cohen, Scènes de la vie future. L’architecture européenne et la tentation de l’Amérique, 1893-1960, Paris, Flammarion, 1995.
  • [14]
    Je référerai à ces articles par un numéro d’ordre de i à viii. Les dates qui leur sont attribuées ci-dessous sont celles où ils ont été (en principe) écrits et non celles de leur publication.
  • [15]
    Émile Durkheim, « Morphologie sociale », Année sociologique, vol. 2 [1897-1898], 1899, p. 520.
  • [1]
    L’orthographe originelle, y compris les incorrections concernant l’anglais et les noms propres, a été strictement respectée, mais on n’alourdira pas le texte de « [sic] ».
  • [2]
    Le Progrès, lundi 20 octobre 1930 (pp. 1-2). Article référencé ici comme « lettre i ».
  • [3]
    Trois jours après son arrivée à Chicago : « Me suis mis à écrire un article pour Delaroche » (à Yvonne, 3 octobre).
  • [4]
    Le rapprochement peut surprendre. Maurice Halbwachs avait pu observer de près les slogans fascistes lors d’un voyage à Rome au cours de l’hiver 1929-1930 (Fonds Halbwachs, IMEC, cahier 1, ff. 115-118).
  • [5]
    Sur l’importance de cette notion de « civilisation » parmi les savants qui gravitaient autour du Centre de synthèse et des Annales, voir : Lucien Febvre et al., Civilisation. Le mot et l’idée, Centre international de synthèse. Première semaine internationale de synthèse, Deuxième fascicule, Paris, La Renaissance du livre, 1930.
  • [6]
    La prohibition de la production et de la vente d’alcool était en vigueur sur l’ensemble du territoire des États-Unis depuis 1919 en vertu du 18e amendement à la constitution fédérale. Cette interdiction fut levée par le 21e amendement en 1933.
  • [7]
    Ce « dominicain en vêtements laïques » (à Yvonne, 22 septembre) était Marie-Dominique Chenu (1895-1990). Halbwachs fit le voyage du Havre à New York, puis en train jusqu’à Chicago en compagnie de Chenu, d’Étienne Gilson (1884-1978), professeur de philosophie à la Sorbonne et historien de la pensée médiévale, qui avait enseigné à l’université de Strasbourg en 1919-1920, l’année où Halbwachs y prit son poste, et d’un jeune professeur irlandais ami de Gilson. « Gilson a été exquis. Il m’avait pris en charge et a été pour moi un père et une mère. » (à Yvonne, 30 septembre). Gilson se rendit ensuite à Toronto (à Yvonne, 25 octobre) et à l’université d’Urbana, dans l’Illinois (à Yvonne, 20 novembre), puis fit la traversée de retour avec Halbwachs (à Yvonne, 24 décembre).
  • [8]
    Ce candidat wet désigné par la convention républicaine de l’État de New York fin septembre 1930 était « Tiger Tamer » Charles H. Tuttle. Il se présenta, sans succès, en novembre contre Franklin D. Roosevelt, gouverneur démocrate (lui aussi antiprohibition) de l’État de New York depuis 1928. On peut noter que M. Halwachs n’a accordé aucune attention aux mid-term elections de novembre 1930, plus généralement à la vie politique.
  • [9]
    Halbwachs est arrivé à New York par le De Grasse de la Compagnie générale transatlantique (à Yvonne, 25 septembre) le 29 septembre 1930 au matin : « Lever à 6 heures. Breakfast d’adieu. Le bateau s’avance lentement. A l’ouest, les collines New Jersey qui font penser à un tableau de Constable, puis les docks s’allongeant indéfiniment. Bientôt, on voit sortir de la brume Manhattan, et les skyscrapers. Vision extraordinaire, des tours, des remparts, qui paraissent découpés dans du carton, escaladant le ciel, silhouettes cubistes de géants qui font penser aux moulins de Don Quichotte, avec je ne sais quoi d’audacieux, comme si des surhommes géomètres avaient engagé des paris énormes. Très saisissant et non sans grandeur » (à Yvonne, 30 septembre).
  • [10]
    Il s’agit là d’une allusion approximative à la zoning law new-yorkaise de 1916. Dans la zone commerciale centrale, celle-ci obligeait les constructions de grande hauteur à un retrait par rapport à la limite de parcelle et à des décrochements dans les étages supérieurs.
  • [11]
    Les impressions new-yorkaises de M. Halbwachs reposent sur une très brève journée passée dans cette ville en compagnie de Gilson, Chenu et du professeur irlandais : ils allèrent dans « une très large auto » du débarcadère (celui de la CGT était à Pier 57, au débouché de W 14th St) à « la magnifique gare de Grand Central » (E 42d St et Park Ave S), déjeunèrent dans un petit restaurant allemand, parcoururent « l’énorme Broadway » en tramway à l’aller, en partie à pied au retour. Les ascenseurs rapides étaient ceux d’un des skyscrapers ouverts aux visiteurs ou d’un grand magasin (comme Macy’s, Broadway et 34th Street). Le train pour Chicago partait à 17 heures (à Yvonne, 30 septembre).
  • [12]
    Le « beau livre » de Georges Duhamel (1884-1966) est Scènes de la vie future (Paris, Mercure de France), achevé d’imprimer le 28 avril 1930, qui fut rapidement traduit et publié aux États-Unis (America the Menace : Scenes From the Life of the Future, trad. Charles M. Thompson, Boston, Houghton Mifflin, 1931).
  • [13]
    Le Quadrangle Club de l’université de Chicago, où Halbwachs logea pendant tout son séjour, comprenait un restaurant réservé aux professeurs : « On voit les types européens les plus opposés, mais qui sont devenus de parfaits american citizens » (à Yvonne, 2 octobre).
  • [14]
    « [Ces gens] ne paraissent pas se douter qu’il y a une Europe avec des traditions qui nous sont chères. C’est tout un peuple qui ignore l’autre ou qui l’a oublié » (à sa mère, 9 octobre).
  • [15]
    Ce « vieux cimetière », situé sur Broadway au débouché de Wall Street, est celui de Trinity Church, paroisse fondée par charte royale en 1697 et dotée d’un important domaine foncier par la reine Anne en 1705. Le contraste entre l’église (reconstruite en style Gothic Revival en 1846) et les gratte-ciel avoisinants (notamment Equitable Building, construit en 1915) est un lieu commun de l’époque. Voir la photo publiée dans Jacques Greber, L’architecture aux États-Unis […], Paris, Payot, 1920, reproduite par Isabelle Gournay, « Quand la France découvrait le gratte-ciel », Architecture d’aujourd’hui, n° 263, 1989, p. 48. J. Greber (1882-1962) avait publié l’introduction à cet ouvrage dans la Revue de synthèse historique, vol. 29, n° 85-87, 1919, pp. 189-203.
  • [16]
    Le Progrès, lundi 27 octobre 1930 (pp. 1-2). Article référencé ici comme « lettre ii ».
  • [17]
    Le 13 octobre, Halbwachs écrivit à sa femme qu’il avait « fait un second article pour Delaroche » (à Yvonne, 13 octobre).
  • [18]
    Le président Hoover fit un grand discours le 7 octobre à Kingsmountain (Caroline du Sud), qui était le site d’une des dernières batailles de la guerre d’indépendance, mais aussi « au cœur d’une région qui, il y a moins d’un an, fut troublée par des prêches communisants [communistic preachments] et déchirée par des conflits du travail » (New York Times, 8 octobre 1930, p. 1). Le New York Times titrait à la une : « Hoover met en garde la foule à Kingsmoutain des dangers des doctrines des Rouges [Red Doctrines]. » Le titre du Chicago Tribune (8 octobre 1930) était moins belliqueux : « Hoover fait l’éloge de l’idéal américain d’égalité des chances. Il attribue le succès des E.-U. à l’égalité ; il affirme la nécessité de la religion. »
  • [19]
    Un faux sens de traduction : les « grade schools » dont parlait Hoover ne sont pas « des écoles préparant aux examens », mais les écoles primaires (elementary schools).
  • [20]
    L’université de Chicago fut fondée en 1891 par John D. Rockefeller et occupait une grande partie du quartier de Hyde Park. Halbwachs fréquentait notamment le Social Science Research Building, « beau bâtiment neuf de cinq étages, avec ascenseur, bureaux nombreux, salles de cours claires et spacieuses, beau mobilier » (à Yvonne, 30 septembre). Ce bâtiment de style néo-Tudor usuellement appelé le « 11-26 » [East 59th Street] avait été inauguré en 1929. Intégralement financé par la Rockefeller Foundation, il regroupait les chercheurs de toutes les disciplines de sciences sociales associés aux programme de recherche de celle-ci (voir Martin Bulmer, The Chicago School of Sociology, Chicago, University of Chicago Press, 1984, pp. 195-198).
  • [21]
    Ce « jeune professeur de biologie » fut probablement rencontré au restaurant du Quadrangle Club, où les convives se plaçaient librement et faisaient ainsi connaissance indépendamment de leur discipline (à Yvonne, 2 octobre).
  • [22]
    Le 10 ou 11 octobre, Halbwachs a dîné, sans doute pour la première fois, dans une « cafeteria » (moins cher qu’au club, précise-t-il) dans le quartier de l’université (à son fils Francis, 11 octobre).
  • [23]
    Sur les poires (et les jambes des femmes) produites industriellement, voir Scènes de la vie future, op. cit., p. 64.
  • [24]
    Halbwachs, intéressé par l’étude des budgets ouvriers depuis sa thèse de lettres (La classe ouvrière et les niveaux de vie, 1912), a profité de son séjour à Chicago pour dépouiller les enquêtes disponibles aux États-Unis sur le sujet. Il en tira un long article, publié à son retour (« Les budgets de familles ouvrières aux Etats-Unis », Bulletin de la Statistique générale de la France, vol. 20, n° 3, 1931, pp. 395-430). Cet article ne cite pas l’enquête mentionnée ici.
  • [25]
    Cette visite a sans doute eu lieu le dimanche 12 octobre. Halbwachs décrit ici les élèves de la Divinity School [École de Théologie], créée lors de la fondation de l’université de Chicago par l’intégration du Morgan Park Seminary de la Baptist Theological Union. Le chapelain de l’université avait été Charles R. Henderson, ministre baptiste et professeur de sociologie, jusqu’à la mort de celui-ci en 1915.
  • [26]
    Le thème revient fréquemment dans la correspondance : « Population sans rapport avec la nôtre, vigoureuse, heureuse de vivre, avec beaucoup de conventions. Vie de clubs, vie au dehors. » (à sa mère, 9 octobre) ; « […] il me semblait que j’avais retrouvé un instant l’Europe, des figures et des allures de chez nous, sur lesquelles le conformisme américain n’avait pas encore mis sa marque » (à Yvonne, 3 novembre).
  • [27]
    Le 14e recensement des États-Unis (réalisé en 1920) fut la principale source de M. Halbwachs pour étudier les groupes d’origine dans la population, ici à l’échelle du pays entier, dans son article des Annales à l’échelle de la ville de Chicago. Les résultats de ce recensement avaient été publiés en totalité entre 1920 et 1928, tandis que seuls les résultats globaux par État du 15e recensement (réalisé en 1930) étaient disponibles.
  • [28]
    À son arrivée à Chicago, Halbwachs s’attendait à chaque instant à rencontrer des gangsters. D’où, lors de sa première nuit au paisible Quadrangle Club (57th St et University Ave, au cœur du quartier de l’université), l’épisode cocasse suivant : « Figure toi que le premier soir, comme je m’étais couché de bonne heure, j’ai été soudain tiré de mon sommeil par un jet de lumière, et j’ai vu la porte, fermée à clef, s’ouvrir et se refermer aussitôt. J’ai tout de suite pensé aux gangsters et caché ma tête sous la couverture. […] C’était un employé du club qui apportait un verre d’eau » (à Yvonne, 30 septembre-3 octobre). Environ deux semaines plus tard : « Je n’ai pas vu de gangsters jusqu’ici, mais il n’est question dans les journaux que de l’entente secrète qui existe entre leurs bandes et la police » (à Francis, 11 octobre). Il revint prudemment sur le sujet dans l’article daté du 20 décembre.
  • [29]
    Le Progrès, lundi 10 novembre 1930 (pp. 1-2). Article référencé ici comme « lettre iii ».
  • [30]
    Halbwachs signala à sa femme qu’il avait écrit un troisième article pour Delaroche (à Yvonne, 30 octobre). Il ne mentionna plus les suivants dans sa correspondance.
  • [31]
    Cette citation et celles qui suivent, ainsi que tous les chiffres donnés dans cet article sont extraits de l’ouvrage de Robert S. Lynd (1892-1970) et Helen Merrell Lynd (1894-1982), Middletown : A Study in Modern American Culture (New York, Harcourt, Brace & World, 1929) au chapitre xiv (« The Things Children Learn ») et dans les annexes. Lorsqu’il écrivit cet article, Halbwachs venait juste de lire le livre : « [J’ai lu] une étude intitulée : Middletown, par Lynd, qui est de la sociologie comique souvent, mais minutieuse et vivante » (à Yvonne, 20 octobre). Cette étude avait été réalisée en 1924 et 1925 à Muncie, dans l’Indiana, une petite ville censée représenter l’Amérique moyenne (Middle America). Cette lecture a pu être recommandée à Halbwachs par Ogburn, qui est remercié par les Lynd pour ses conseils (p. xi). La citation du State Manual for Secondary Schools for 1923 se trouve p. 198.
  • [32]
    Cette citation du State Manual for Elementary Schools for 1921 se trouve aussi p. 198. Relevons que « l’histoire de cet Etat » réfère à celle de l’Indiana.
  • [33]
    Cette citation d’un discours du président du Board of Education à une assemblée de parents de Middletown en 1923 se trouve aussi p. 198. On n’oubliera pas que le lendemain de la Grande Guerre et le début des années 1920 sont marqués par la Red Scare, un patriotisme exacerbé affiché par les autorités et une répression multiforme des organisations ouvrières soupçonnées de sympathies bolchevistes.
  • [34]
    Ici encore, « les méthodes ingénieuses de la statistique américaine » sont celles des Lynd, dont l’étude était décrite dans la préface de Clark Wissler (de l’American Museum of Natural History) comme « une tentative pionnière pour traiter une communauté américaine prise au hasard selon la manière de l’anthropologie sociale » (p. vi). Cette statistique a été établie en dépouillant les programmes de l’unique high school de Middletown pour le premier semestre de 1923-1924 (Middletown, tableau XVI, p. 525). Contrairement à Halbwachs, le tableau originel additionne history à civics et sociology, ces trois matières constituant ensemble la rubrique social sciences.
  • [35]
    La high school de Middletown proposait à ses élèves douze différents courses of study (appelés par Halbwachs « sections »), dont dix spécialisés (comme : musique, art, sténodactylographie, comptabilité, dessin industriel) qui comprenaient une première année commune et des matières générales obligatoires (Middletown, p. 192, n. 1).
  • [36]
    Ce tableau résulte d’un « true-false » questionnaire administré aux étudiants des cours de sciences sociales pendant les heures de classe. L’objectif de l’enquête n’étant pas de mesurer « une “attitude” générale quelle qu’elle soit », il ne fut pas calculé de résultats globaux pour l’ensemble des questionnaires (Middletown, p. 509). Le tableau (que M. Halbwachs a reproduit intégralement à l’exception des deux colonnes « sans réponse ») se trouve pp. 200-201. Les Lynd commentent ainsi la politique scolaire qu’ils décrivent : « Middletown pousse ses écoles à être au service immédiat de ses institutions – dans ce cas, à soutenir la solidarité de la communauté contre diverses tendances à la division » (p. 196). Il existe « un souci évident à Middletown de dicter à ses jeunes citoyens l’attitude sociale qu’ils doivent avoir » (p. 190, n. 10). Quant aux résultats du questionnaire, ils montrent que « l’empreinte du groupe » est très nette (p. 200).
  • [37]
    « Aucune réponse de noirs [negroes] ne fut incluse dans le tableau » (Middletown, p. 509), sans doute pour même la raison qui avait présidé au choix de Middletown, considérée comme une communauté aussi homogène que possible.
  • [38]
    C’est une conviction de M. Halbwachs, du moins au début de son voyage : « Ces Américains sont de grands enfants » (à Yvonne, 25 septembre). Déjà, en 1923 : « Au fond, les Américains ont été et sont encore de grands enfants. On les amuse avec un nom qui évoque des histoires de sauvages » (« Carnet du sociologue. La légende de Tammany », Libres Propos, vol. 2, n° 20, 6 janvier 1923, pp. 260-261). Sur la récurrence du thème chez les commentateurs français, voir Dominique Jullien, Récits du Nouveau Monde. Les voyageurs français en Amérique de Chateaubriand à nos jours, Paris, Nathan, 1992, pp. 34-36.
  • [39]
    Le Progrès, lundi 24 novembre 1930 (pp. 1-2). Article référencé ici comme « lettre iv ».
  • [40]
    Le thème des « nègres » apparaît dans la correspondance dès le 2 octobre, à la suite d’une conversation avec Ogburn (à Yvonne, 2 octobre). Il revient ensuite fréquemment : à propos d’un étudiant noir qui fréquentait ses cours (à Francis, 11 octobre), des domestiques noires de collègues universitaires, observées lors d’invitations à dîner (à Yvonne, 13 octobre et 1er novembre), d’une promenade dans le quartier noir (à Yvonne, 8 novembre). Le thème disparaît ensuite de la correspondance, comme si avoir écrit le présent article avait clos le dossier. Le mot « nègre » (plutôt que « noir ») est constamment utilisé par Halbwachs dans ces articles, comme dans sa correspondance ou son article des Annales. C’est aussi l’usage constant de ses contemporains, notamment des auteurs d’ouvrages sur l’Amérique : André Siegfried, Paul Morand, André Maurois, Georges Duhamel, par exemple. On peut considérer ce terme comme une traduction de l’anglais américain negro (dont les connotations racistes sont minimales par comparaison à nigger). On peut aussi penser, plus simplement, que ce mot paraît tout naturel dans une France colonialiste qui est à la tête d’un vaste empire africain.
  • [41]
    L’historien de la littérature Ferdinand Brunetière (1849-1906), catholique militant et l’un des chefs de l’antidreyfusisme dans le monde universitaire, avait été maître de conférences à l’École normale (1886-1904) quand Halbwachs y était élève. Invité aux États-Unis par l’université Johns Hopkins en 1897, il avait fait une tournée de conférences dans les grandes universités de la côte Est (« En l’honneur des universités Columbia et Harvard, discours de R. Doumic », Revue internationale de l’enseignement, vol. 66, 1913, pp. 91-93). La pique de M. Halbwachs contre une sottise proférée par ce symbole du combat catholique à l’université n’est donc pas innocente, d’autant moins que « [Brunetière] fut très souvent brocardé par les élèves dans leur revue annuelle » (Maîtres et élèves, célébrités et savants : l’École normale supérieure, 1794-1994 […], Paris, Archives nationales, 1994, relevé dans World Biographical Information System, Bibliothèque nationale de France).
  • [42]
    Les affirmations sur les deux vagues migratoires et, plus loin, sur les salaires dans le Mississipi et dans la région des Grands Lacs sont empruntées à André Siegfried, Les États-Unis d’aujourd’hui, Paris, Armand Colin, 1927, p. 97.
  • [43]
    Le « quartier nègre de Chicago » (ou Black Belt) formait un rectangle qui se développait le long de State Street, de la limite du Loop au nord (12th St) jusqu’au-delà de Hyde Park, le quartier de l’université, au sud (71st St) – voir un plan, par exemple, dans E. Franklin Frazier, « The Negro Family in Chicago », in Ernest W. Burgess et Donald J. Bogue (éd.), Contributions to Urban Sociology, Chicago, University of Chicago Press, 1964, p. 406. Cette proximité a permis à Halbwachs d’apercevoir tôt dans son séjour la présence des Noirs dans la rue : « Je n’ai pas besoin d’aller très loin pour flâner, et voir défiler tous les types, nègres, mexicains, juifs, allemands, et même américains » (à Francis, 11 octobre). Mais c’est seulement le lundi 3 novembre, quelques jours avant d’écrire le présent article, qu’il a véritablement parcouru le quartier noir, à pied : « Lundi, j’ai été voir les vieux quartiers peuplés d’immigrants. C’est au diable. J’ai marché longtemps, traversé un immense parc [Washington Park], puis le “black belt”, “la ceinture noire”, le quartier des nègres qui s’étend du centre au sud sur des dizaines de kilomètres » (à Yvonne, 8 novembre).
  • [44]
    Il pourrait s’agir d’Edwin Franklin Frazier (1894-1962), qui était en train d’achever la préparation de son PhD, soutenu en 1931. Halbwachs a mentionné cet étudiant un mois plus tôt dans une lettre à son fils : « Les nègres sont théoriquement les égaux des blancs. Il y en a un, très beau, très luisant, qui suit mon cours. Les professeurs américains les reçoivent avec beaucoup de prévenances, leur serrent la main, etc. Mais ils ne peuvent devenir professeurs que dans des instituts et lycées de nègres. Toutes les fois qu’ils ont un procès ou une discussion avec un blanc, on donne raison au blanc. […] Tu vois que ce pays ne respecte pas le principe d’égalité… » (à Francis, 11 octobre).
  • [45]
    « [Les nègres] forment une société avec toutes les distinctions sociales de la nôtre, mais entièrement séparée. Ils donnent l’impression de gens qui acceptent entièrement leur destin, résignés à l’inévitable, un peu étonnés tout de même, adaptés d’ailleurs plus que les émigrants, assis depuis longtemps et pour tout le temps dans leur situation de parias » (à Yvonne, 1er novembre).
  • [46]
    A. Siegfried concluait sur ce point : « Ce problème est un gouffre, sur lequel on ne peut se pencher sans effroi, et où la race supérieure elle-même risque de perdre quelque chose de sa dignité » (Les États-Unis d’aujourd’hui, op. cit., p. 103).
Français

Résumé

Lors de son séjour à l’université de Chicago à l’automne 1930, le sociologue durkheimien Maurice Halbwachs écrivit une série de huit brefs articles qui furent publiés dans le quotidien lyonnais Le Progrès sous le titre « Lettres des Etats-Unis ». Nous publions, pour la première fois et avec un appareil critique, cette relation de voyage anonyme (elle est signée « M. H. ») passée inaperçue jusqu’ici. Le document est replacé dans la série des « voyages d’Amérique » contemporains et comparé à la correspondance familiale de M. Halbwachs et à ses articles savants. Il permet d’observer ce que faisait un sociologue en voyage et la façon dont il abordait les grands thèmes qui rendaient les États-Unis fascinants pour ses contemporains : abondance matérielle, absence de traditions, problèmes de l’assimilation des immigrants et des Noirs.

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