CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« Il n?est pas difficile de fabriquer des modèles à partir d?un ensemble d?hypothèses. La difficulté est de trouver les hypothèses qui aient un rapport avec la réalité. »
Joan Robinson, Hérésies économiques
« Le quaker représentait donc une véritable loi ambulante de l'utilité marginale. »
Max Weber, L?Éthique protestante et l'esprit du capitalisme

1 L?équivocité du terme économie, qui peut être employé pour désigner tantôt la science économique tantôt son objet, comme si sociologie et société n?étaient qu?un seul mot, n?aide pas à la clarification des relations entre la science économique, entrée depuis trente ans dans une phase d?expansion de son territoire, et les autres sciences sociales, anthropologie, histoire, sociologie, qui ont connu pendant la même période une baisse d?intérêt pour les phénomènes économiques. Un premier résultat de la confrontation interdisciplinaire, entamée de façon convergente en plusieurs occasions récentes [1], pourrait bien être la distinction entre des « querelles de méthodes », qui opposent formalisation mathématique et réalisme de la description, et une « guerre de frontières », la science économique conquérant sans cesse de nouveaux objets dans les domaines de prédilection de la sociologie et de l'anthropologie ? éducation, famille, santé ou criminalité ? tandis que ces dernières commencent seulement à réinvestir leurs objets les plus économiques ? monnaie, commerce et marché [2].

2 La remise en cause du partage fondé sur les objets pourrait représenter une chance pour l'ensemble des sciences sociales : construire et étudier les mêmes phénomènes avec des postulats et des méthodes distincts, voilà qui devrait conduire à un dialogue d?autant plus fructueux qu?il s?effectue sans rien céder sur la rigueur respective de chaque discipline. Encore faut-il admettre que les disciplines ne se définissent pas par leur territoire mais par les questions qu?elles posent et les outils conceptuels dont elles disposent, que spécialisation disciplinaire ne signifie pas méconnaissance réciproque, et que la critique extérieure peut être stimulante. Peut-on aller plus loin que ce dialogue respectueux ? Peut-on définir ensemble des questions communes et coordonner toutes les étapes de la démarche scientifique, depuis l'observation ethnographique des pratiques et des dispositifs institutionnels jusqu?à l'estimation économétrique d?outils de prévision et de simulation, en passant par l'élaboration d?un questionnaire, l'exploitation sociologique des données statistiques et la modélisation microéconomique ?

3 C?est le pari que nous avons fait, en nous engageant dans une recherche pluridisplinaire sur l'économie domestique [3]. Nous voudrions simplement restituer ici l'élaboration progressive de cette coopération originale. C?est d?abord la confrontation entre deux recherches autonomes, menées par une ethnographe et par une économètre, qui a permis l'émergence d?une question commune mais aussi, à partir de nos résultats respectifs, la formulation de quelques hypothèses partagées. Nous restituerons rapidement cette étape, qui reprend des travaux déjà publiés, dans la première partie de cet article. Puis il a fallu vaincre nos réticences en examinant de près les incompatibilités théoriques et les complémentarités méthodologiques de nos deux démarches : c?est l'objet de notre deuxième partie. Nous nous contenterons d?évoquer, pour finir, les outils d?analyse que nous proposons de mettre en ?uvre à présent, dans le cadre d?une division du travail qui respecte, à chaque étape menée en commun, un double va-et-vient entre empirie et théorie, conceptualisation sociologique des observations ethnographiques et estimation statistique de modélisations économiques.

Deux approches de l'économie domestique

4 C?est la confrontation entre une ethnographie des pratiques domestiques, sur l'exemple du jardinage amateur, et une microéconométrie des soins de long terme aux personnes âgées dépendantes qui nous a amenées à poser une question commune : comment et pourquoi certains biens (par exemple des légumes) et services (par exemple la prise en charge des personnes âgées) sont-ils, dans certains cas, produits et échangés dans le cadre d?une économie domestique (ou plus exactement inframarchande), et dans d?autres cas passent dans un cadre marchand ou institutionnel ? Cette question est formulée dans des termes différents par l'économètre ? comment expliquer le recours des ménages aux services publics ou privés ? et par l'ethnographe ? quelles sont les frontières, spatiales et rituelles, de l'économie inframarchande. Mais elle nous a amenées toutes deux à nous intéresser aux relations familiales, dans leurs dimensions juridiques, affectives, monétaires et productives.

5 Le projet de conjuguer analyses ethnographique et microéconométrique de l'économie domestique s?est construit à partir de points de contact inattendus entre ces deux approches, révélés par la confrontation des méthodes et des résultats de deux recherches dont les objets étaient, en apparence, fort éloignés : le jardinage amateur et l'autoconsommation alimentaire, d?un côté, les choix de prise en charge effectués par les personnes âgées dépendantes et leurs proches, de l'autre. Ces points de contact étaient facilités par un intérêt mutuel pour nos méthodes respectives : l'économètre ne déléguait pas la production de ses données, et effectuait elle-même entretiens et passation d?un questionnaire ; l'ethnographe tentait de formaliser ses résultats, et effectuait elle-même codage et traitements d?un questionnaire. Ils ont abouti à la formulation de deux questions communes qui portent sur l'économie domestique en général au-delà des deux exemples analysés : comment mettre en évidence que, pour certaines personnes, il n?existe pas de substitut à la réalisation personnelle des tâches ? En d?autres termes, que certaines tâches domestiques ne peuvent pas être déléguées à des tiers, parce qu?elles engagent l'estime de soi de celui ou de celle qui les effectue ? Quelle est l'unité d?analyse pertinente de la production domestique : l'individu qui effectue les tâches ; le ménage auquel il appartient ; l'ensemble des bénéficiaires de ces tâches, groupe domestique ou « maisonnée » non nécessairement co-habitante ?

Logiques de calcul des jardiniers

6 L?ethnographie des pratiques de jardinage, qui débouchait sur la question de leur signification sociale, avait pour objectif premier de confronter deux interprétations possibles du jardinage dans le cadre d?une sociologie des cultures populaires : contre-handicap des ouvriers d?origine agricole ? c?est-à-dire moyen de compenser la faiblesse de leurs revenus [4] ? ou affirmation de soi propre au travail à-côté ? c?est-à-dire affirmation, dans une activité productrice effectuée pour soi, des compétences, de l'ardeur au travail et de l'autonomie ouvrières niées dans le cadre professionnel de l'usine [5]. La première interprétation devait être confirmée par la mise en évidence de l'efficacité productive du jardinage (coûts de production inférieurs aux économies réalisées sur le budget alimentaire), la seconde par la mise en évidence de son inefficacité, qui conduirait à envisager les coûts de production comme des dépenses de « loisir ». Loin d?opposer des ménages à bas revenus caractérisés par la soumission à la nécessité, à des ménages aisés caractérisés par l'accès à des loisirs de luxe, les deux interprétations portaient sur des ménages ouvriers, avec des niveaux de revenu comparables.

7 Le questionnaire envoyé aux adhérents d?une association de jardiniers amateurs intégrait les catégories standards du calcul économique appliquées à la production domestique : temps de travail au jardin, quantité de produits alimentaires obtenus, coût des consommations intermédiaires, investissements en terrain et en machines, revenus du ménage. Mais il omettait de préciser a priori les unités de mesure, pour évaluer la production alimentaire, les ressources foncières et le temps passé à jardiner, révélant du même coup que ces éléments étaient quantifiés différemment selon les jardiniers. On a pu ainsi distinguer plusieurs façons de compter, chacune ayant sa cohérence, qui renvoyaient à des significations différentes du jardinage : activité valorisée pour elle-même, comme parenthèse dans le temps social, et rendue visible à travers l'aspect du jardin ; moyen d?obtenir des produits alimentaires, pour son propre ménage ou pour un ensemble plus vaste de donataires ; entretien et décoration de l'espace domestique [6].

8 Ainsi, pour ceux qui comptent leur temps en heures et connaissent précisément la surface qu?ils cultivent et les intrants de leur production, qui sont donc capables de calculer le coût de production de leurs légumes, le jardinage obéit à une logique d?atelier de production alimentaire qui s?accompagne d?un système de stockage de la nourriture, ce qui correspond à l'hypothèse du contre-handicap.

9 Pour ceux qui ne comptent pas leur temps mais connaissent le montant des dépenses consenties annuellement, le jardinage obéit à une éthique du travail ostentatoire qui conduit soit à l'élaboration d?un type particulier de jardin, le « potager propre », soit à une surproduction chronique ? l'ensemble des destinataires des produits dépasse alors le ménage. On retrouve là une logique d?affirmation de soi et de construction du « nous ». Ne pas compter son temps ne signifie pas que ces individus seraient « irrationnels » ou feraient une erreur de calcul, mais que le jardinage est un « passe-temps » où se construit leur identité individuelle qui renvoie, le cas échéant, à une appartenance collective.

10 Enfin, un troisième type de jardinage est apparu au cours de l'enquête, celui des jardiniers qui ne séparent pas le budget du jardinage du budget de l'entretien de la maison. Pour eux, le jardinage est avant tout ornemental ? le potager représente une faible part de la surface disponible ? et même le potager obéit à une logique du résultat décoratif ; dans ce cas, si les ressources le permettent, l'entretien du jardin, activité source de « désutilité » dont seul le résultat est utile, peut être délégué sans honte ? au même titre que, dans certains cas, les tâches ménagères.

11 Le jardinage produit donc deux résultats différents, disponibles tous deux sur le marché : des produits alimentaires (marché des légumes frais), l'entretien d?un espace domestique (marché du travail et des services, de l'homme à tout faire au paysagiste). Mais il est également un temps de loisir qui participe à la définition de soi, analysable en termes de dignité, d?estime de soi et de construction du « nous ». Sans la confrontation avec les catégories de calcul des économistes, ces différentes logiques de calcul indigènes, qui correspondent à des significations différentes du jardinage, n?auraient pu être décrites. L?observateur muni de ces trois définitions du jardinage (atelier de production alimentaire, travail ostentatoire, production d?un décor) voit alors apparaître des jardins typiques (se distinguant par les légumes cultivés, les variétés de pommes de terre, l'agencement et le style du jardin), des modes de culture caractéristiques (usage de châssis ou non, quantité d?eau consommée, compétences culturales orientées vers la quantité, la précocité, le goût, l'aspect?) et des populations de jardiniers socialement différenciées (origine agricole ou non, ouvriers plus ou moins qualifiés, propriétaires de terrains ou non).

12 Ce recours critique aux concepts des économistes dans une recherche ethnographique a eu plusieurs conséquences. Tout d?abord, il a montré qu?en participant au processus d?organisation des observations, les outils d?analyse économique de la production marchande aident l'ethnographe à comprendre l'économie (production et échanges) infra-marchande. Il a ainsi permis de voir qu?une « même » activité de production domestique peut avoir différentes significations, et admettre de ce fait différents substituts marchands, ce dont il faut tenir compte dans une modélisation économique. Ce résultat suggère par exemple que la comparaison du coût de production des légumes avec leur prix sur le marché local apprendra peu sur le comportement des jardiniers qui les cultivent pour affirmer leur compétence jardinière ou pour soigner l'aspect extérieur de leur maison. Ce résultat permet aussi d?expliquer que, dans certains cas, la délégation du travail du jardinage n?est pas envisageable, puisqu?elle supprimerait la dimension de l'estime de soi et du travail ostentatoire. Autrement dit, dans certains cas, l'activité de jardinage ne peut admettre aucun service ou produit substitut.

13 Pour autant, il est important de noter que la signification subjective d?une activité n?est pas visible si l'on se contente d?observer isolément cette activité pour elle-même sans restituer son cadre matériel et affectif et ses bénéficiaires. Ainsi, le devenir des produits du jardin, stockés ou donnés, suffit presque à discriminer deux pratiques de jardinage, l'atelier de production alimentaire ou contre-handicap et le plaisir du faire ou affirmation de soi. Plus encore, la signification d?un don de produits du jardin dépend de la séquence de transferts dans laquelle ce don s?inscrit : don ponctuel qui affirme la supériorité du donateur, don qui appelle en retour un contre-don comparable, don qui s?inscrit dans une spirale de cadeaux, sans commencement ni fin, et qui échappe à toute comptabilité parce qu?elle ne fait qu?affirmer l'appartenance des donateurs/donataires à un même groupe.

14 La restitution de ces séquences de transferts est à l'origine de la mise en évidence de deux points importants pour la suite de nos recherches sur l'économie domestique : l'existence d?un ensemble de bénéficiaires du jardin (produits et espace), plus étendu que le ménage ; une division du travail dans le ménage qui peut, le cas échéant, transformer le plaisir de l'un (cultiver des légumes) en corvée pour l'autre (cueillir, stocker, cuisiner ces légumes).

Choix de prise en charge des personnes âgées

15 La seconde recherche évoquée, consacrée à la modélisation des choix de prise en charge des personnes âgées dépendantes [7], a été conduite dans une démarche symétrique : au recours critique de l'ethnographe aux outils d?analyse économique répond le recours critique de l'économiste à la méthode ethnographique. Au-delà de la confrontation avec une littérature scientifique prise dans d?autres enjeux, il s?agissait de mettre en pratique l'observation et la rencontre directe avec les enquêtés, chères aux ethnographes.

16 Cette brève expérience ethnographique a tout d?abord influencé le recueil des données, et plus tard l'interprétation des résultats empiriques, en attirant l'attention sur les catégories indigènes, par exemple dans la manière de décrire l'état de dépendance des personnes âgées. La littérature classique sur la dépendance des personnes âgées considère deux dimensions de la dépendance : la dépendance d?origine physique mesurée en niveaux d?incapacité, et celle d?origine psychique mesurée par des scores de détérioration cognitive. Elle s?intéresse à l'impact de chacune de ces dimensions sur les modes de prise en charge. Pourtant, l'attention prêtée aux récits d?aidants de personnes âgées suggère qu?on ne peut raisonner séparément sur ces deux dimensions. En effet, alors que les aidants de personnes saines d?esprit évoquent une charge plus lourde à mesure que les incapacités (physiques) se développent, les aidants de personnes démentes décrivent combien il est difficile, contraignant et angoissant de surveiller et de protéger une personne démente tant qu?elle est assez « alerte » pour fuguer ou avoir des comportements violents : c?est dire que, dans ce cas, l'aggravation des incapacités physiques simplifie leur tâches. À leur manière, certains experts médicaux de la prise en charge de la dépendance développent la même idée lorsqu?ils évoquent, en des termes plus crus, comment les professionnels de soins peuvent avoir la tentation répréhensible, face à une surcharge de travail, de « transformer des déments verticaux en déments horizontaux ». La traduction de cette remarque dans les analyses statistiques ? par une interaction entre degré d?incapacité physique et existence de troubles du comportement ? apporte des résultats significatifs en termes de trajectoires de prise en charge : l'aggravation de l'incapacité physique augmente la probabilité de finir ses jours à domicile pour les personnes souffrant de détérioration cognitive, alors qu?elle augmente la probabilité d?entrer en institution des personnes sans troubles psychiques. Ce phénomène serait certainement resté inaperçu si la spécification statistique n?avait été guidée par les catégories qu?utilisent les aidants de personnes âgées, professionnels ou non, pour décrire leur situation quotidienne. Ces résultats ne sont pas sans implications sur le ciblage des prestations car les droits à prestation reposent sur des scores de dépendance (à partir de la grille AGGIR [8] par exemple pour l'attribution de la prestation spécifique dépendance). Considérer séparément le degré de dépendance physique et la présence de troubles du comportement, comme ce fut longtemps le cas, conduisait donc à exclure « les déments alertes et leurs proches » des bénéfices de la solidarité publique malgré la lourdeur de leur prise en charge.

17 Par ailleurs, la confrontation avec les méthodes et les résultats ethnographiques a aussi modifié la modélisation des choix de prise en charge. Une première modification concerne les contraintes qui pèsent sur ces choix. Les résultats d?études ethnographiques antérieures montrent en effet que les ressources budgétaires de la personne aidée ne constituent qu?une faible partie des ressources que celle-ci peut mobiliser [9]. Ainsi, l'entourage, qu?il s?agisse de personnes cohabitant avec la personne prise en charge ou non, participe souvent au financement de la prise en charge [10], soit qu?il paie directement des services professionnels soit qu?il effectue bénévolement certaines tâches (hébergement à titre gratuit, réalisation des tâches domestiques mais aussi de certains soins du corps comme l'habillage ou la toilette). Les analyses ethnographiques soulignent ainsi qu?on ne peut concentrer l'analyse sur l'individu âgé, ou même sur son ménage, et négliger l'apport de l'entourage en termes de budget complémentaire ou de main-d??uvre gratuite, sans prendre le risque de déformer, voire de faire disparaître les logiques économiques à l'?uvre dans les choix de prise en charge.

18 Il nous fallut donc effectuer un changement d?échelle et d?unité d?analyse, de l'individu au groupe domestique. Nous entendons ici par « groupe domestique » l'ensemble des personnes qui participent à la prise en charge pour des raisons non professionnelles, qu?il s?agisse de financer des aides professionnelles, d?aider directement la personne pour la réalisation des activités quotidiennes, ou même indirectement en déchargeant les aidants informels d?autres tâches domestiques (courses, ménages, etc.). Derrière le terme « groupe domestique » on est tenté d?entendre le terme « ménage » au sens statistique. Cependant, si le ménage constitue souvent une bonne approximation du groupe domestique, on verra plus loin que des personnes non co-habitantes peuvent appartenir, dans certaines situations, à un même groupe domestique.

19 Le recours partiel à l'observation ethnographique s?est aussi traduit par des modifications dans la désignation de l'agent décideur. En effet, les travaux les plus aboutis consacrés à la modélisation microéconométrique des choix de prise en charge considèrent en général que l'essentiel voire la totalité du pouvoir de décision appartient à la personne âgée dépendante [11]. Or, outre qu?une telle hypothèse est peu adaptée dans le cas des personnes âgées « démentes », l'analyse des récits recueillis montre, même dans le cas de personnes souffrant uniquement d?incapacité physique, l'importance des discussions dans l'entourage (entre les enfants par exemple) et le faible poids de la personne âgée elle-même dans une décision la concernant pourtant au premier chef. Les entretiens réalisés auprès d?aidants de personnes âgées dépendantes suggèrent que, dans bien des cas, la décision d?institutionnalisation ou de recours à des aides professionnelles appartient à l'aidant principal, mais qu?elle est prise en tenant compte du bien-être de la personne aidée (ou de l'idée que l'aidant s?en fait). Les observations et les propos recueillis ont donc conduit à délaisser l'hypothèse d?une décision individuelle de la personne âgée et à focaliser l'analyse sur le processus décisionnel d?un aidant « altruiste », au sens technique du terme.

Convergences de problématique et de résultats

20 La mise en regard de ces deux recherches montre tout d?abord l'intérêt heuristique d?une articulation entre outils d?analyse économique et méthode ethnographique, tout au moins pour les thèmes étudiés ici. Elle fait aussi apparaître des convergences plus inattendues dans les problématiques construites et les résultats obtenus. Malgré des objets et des approches a priori éloignés, les deux recherches évoquées ici reposent en effet sur une problématique proche : analyser les activités domestiques (jardinage et aide à la dépendance) en tenant compte des offres alternatives, c?est-à-dire de la possibilité de recourir au marché ou à l'État.

21 Elles aboutissent aussi aux deux résultats suivants, qui s?avèrent des points fondamentaux pour repenser l'économie domestique en vue d?une modélisation formalisée. Pour modéliser l'économie domestique, il faut tout d?abord bien cerner l'ensemble des solutions effectivement alternatives à la production domestique, alternatives qui ne sont pas données à l'avance, mais doivent être construites par l'observateur en confrontant les catégories du marché (marché des biens ou marché du travail), les catégories de l'action publique (subventions, services sociaux, mesures incitatives, droits et ayants droit) et les diverses catégories à l'?uvre dans les pratiques domestiques (qui varient selon l'histoire sociale des individus concernés). L?ensemble des individus et des institutions auxquels peut être confiée une activité domestique (jardinier rémunéré, paysagiste, maraîchers auxquels on achète des légumes ; voisine bien intentionnée, aide ménagère subventionnée, dame de compagnie rémunérée, maison de retraite) dépend non seulement de la nature technique de l'activité, des conditions objectives de l'offre, mais aussi de la signification que revêt l'activité effectuée pour les individus. Si l'activité concernée participe de la définition de soi ou de l'affirmation de son appartenance au groupe domestique, il est clair qu?aucune solution alternative à la production domestique n?est envisageable : être « un bon jardinier » suppose de s?occuper soi-même de son jardin ; pour certaines personnes, être « une bonne épouse » interdit de laisser des professionnels « prendre soin » de son conjoint.

22 Ensuite, pour modéliser l'économie domestique, il faut résoudre la question de l'unité d?analyse. Il est clair que l'échelle individuelle est insuffisante : elle ferait perdre de vue la marge de man?uvre dont disposent certaines personnes pour réajuster la répartition des tâches entre différents membres de leur entourage, marge de man?uvre qui permet d?augmenter l'activité domestique sans recourir au marché ou à l'État ; elle ferait aussi perdre de vue le fait que les activités domestiques sont effectuées au profit d?un ensemble d?individus. Pour le dire en économiste, si les enfants s?occupent de leur parent dépendant, c?est certainement parce que lui assurer un minimum de bien-être fait partie de leurs objectifs, qu?il s?agisse d?un choix affectif, d?une norme sociale ou d?une contrainte institutionnelle. Pour le dire en ethnographe, l'appartenance à un collectif (l'usage du pronom personnel « nous »), à la fois protection et contrainte, entraîne des choix individuels qui s?imposent dans la mesure où se détacher du « nous » transformerait profondément sa propre identité (ou conscience de soi). Quant au ménage, il a montré ses limites [12]. Le jardin est l'exemple même d?un espace domestique dont les usagers ne sont pas forcément des cohabitants ; dans le cas des personnes dépendantes, on observe parfois une telle implication quotidienne de proches ayant leur logement propre que ces situations ont pu être qualifiées de « cohabitation à distance ». Faut-il lui préférer la famille ? L?ambiguïté sémantique du terme « famille », qui oblige à préciser famille nucléaire, élargie, monoparentale ou encore recomposée, nous semble le reflet d?une confusion d?une part entre les catégories juridiques et les pratiques et, d?autre part, entre trois dimensions de la parenté qui gagnent à être distinguées : la filiation, l'alliance, la résidence.

23 De ce point de vue, la comparaison entre la prise en charge des personnes âgées dépendantes et les pratiques de jardinage est instructive. Elle permet en effet d?isoler, d?une part, ce qui relève de l'économie domestique stricto sensu ? pratiques quotidiennes de production de biens, d?espaces et de services dont les logiques peuvent être analysées en termes de définition des substituts marchands et de construction de soi ou de « nous » ? et, d?autre part, ce qui relève de la transmission au sein des lignées ? arrangements financiers entre héritiers, obligation alimentaire, recours sur succession, autant de phénomènes qui renvoient à un encadrement juridique précisément absent dans le cas du jardinage. On est alors amené à considérer deux unités d?analyse différentes pour deux objets imbriqués mais distincts. Alors que la « résidence » est l'outil adapté pour analyser l'économie domestique ? cette dimension économique et quotidienne de la parenté définit le groupe domestique comme l'ensemble provisoire des personnes, juridiquement apparentées ou non, dépendant au moins partiellement d?un même budget et collaborant au moins partiellement à la réalisation des tâches de la vie domestique ? les aspects patrimoniaux relèvent évidemment d?une analyse en termes de filiation ? autrement dit, en termes de lignée, groupe éternel de personnes juridiquement apparentées « par le sang », souvent nommées par réduction « parenté » dans le langage courant.

Les difficultés d?un dialogue efficace

24 Les résultats convergents et les complémentarités de méthode présentés ci-dessus ouvrent une voie plus ambitieuse pour l'étude de l'économie domestique : la mise en place de recherches communes conjuguant ethnographie et économétrie, depuis l'élaboration des problématiques jusqu?à l'interprétation des résultats. Cependant, une telle démarche fait courir les risques de toute tentative interdisciplinaire, à savoir une incertitude sur les postulats et un manque de rigueur méthodologique. C?est pourquoi il nous a semblé nécessaire d?expliciter et de confronter brièvement les postulats et les méthodes de nos recherches pour souligner les modalités d?une coopération rigoureuse et en cerner les limites. Il ne s?agit pas pour nous, en effet, de séparer l'économétrie de ses fondements théoriques en économie, ni de séparer l'ethnographie de ses implications théoriques qui la rattachent à une sociologie générale, mais de combiner ces approches ? d?aller aussi loin que possible dans la coopération ? tout en respectant leurs profondes divergences théoriques.

Des postulats éloignés

25 Prenons acte, tout d?abord, de l'existence de postulats différents. Pour modéliser les comportements, le micro-économiste [13] considère habituellement des agents économiques, atomes de la décision, et fait l'hypothèse que chaque agent maximise une fonction objectif (utilité du consommateur ou profit du producteur dans les cas les plus standards) sous contraintes (budget, temps disponible, information). Chaque agent est caractérisé par sa fonction-objectif, chaque situation se traduit en contraintes (y compris le comportement d?autres agents). L?hypothèse de maximisation sous contraintes permet de déduire les comportements individuels à partir de ces quelques éléments donnés a priori. L?agent économique peut être un individu au sens commun du terme ou un agent collectif se composant de plusieurs individus ayant le même objectif. C?est l'unicité de l'objectif poursuivi qui amène à qualifier les comportements modélisés de comportements individuels [14]. Par ailleurs, dans une perspective dynamique, on peut formaliser l'impact des caractéristiques présentes des agents sur la situation future et réciproquement.

Encadré 1 : Norbert Elias, une ethnographie généralisée

Reprenant la conception weberienne de la sociologie comme science des groupes et l'analyse par Gregory Bateson de la dynamique des interactions deux à deux (processus de schismogenèse), N. Elias formalise l'analyse de la « société des individus » en rompant à la fois avec la société comme entité collective et avec les individus comme unités closes (homo clausus) [15]. Pour N. Elias, ce sont les chaînes d?interdépendance entre les individus qui permettent d?expliquer l'histoire comme processus. Ce sont ces chaînes et leur mouvement qui constituent l'objet d?étude des sciences de la société (y compris les sciences historiques). La formalisation de N. Elias constitue ainsi une généralisation, à l'échelle universelle (totalité de l'histoire humaine depuis la préhistoire et sur l'ensemble de la planète), des principes mêmes de la description ethnographique, conduite pour sa part à l'échelle élémentaire (temporelle et spatiale) des événements et des objets directement observables. Cette lecture de N. Elias comme généralisation de l'ethnographie interactionniste à la Bateson repose sur l'idée chère à Émile Durkheim et Maurice Halbwachs, que la différence entre les « libres courants de la vie sociale » et les institutions n?est pas une différence de nature ? les uns comme les autres sont faits de relations sociales ? mais une différence de cristallisation ? les institutions, comme les choses matérielles, sont des relations sociales cristallisées qui survivent aux individus. Le présent ethnographique, quant à lui, renvoie à la présence de l'observateur ; l'univers étudié est celui des interactions ou des cérémonies observables ou à la rigueur reconstituables par l'observateur. Bien que G. Bateson soit surtout reconnu en psychiatrie, on ne saurait oublier que sa théorie de la schismogenèse est issue de son travail ethnographique sur le rituel du naven.
À ce niveau élémentaire, seules les interactions sont des événements directement observables dans leur totalité. Les interactions observées par l'ethnographe sont de différentes natures : interactions anonymes de face-à-face (auxquelles Erving Goffman a consacré son ?uvre), interactions fondées sur l'interconnaissance personnelle (auxquelles s?attache l'ethnographe des groupes primaires ? parenté, voisinage, association), interactions dans l'institution (auxquelles s?intéresse la sociologie des organisations), cérémonies (objet de prédilection de la sociologie des religions et de l'anthropologie exotique), interactions médiatisées (depuis l'écriture jusqu?à internet).
L?ethnographie affirme donc de facto le primat de l'interaction sur les individus et les institutions, même si l'analyse du cadre de l'interaction, de ses formes et de son contexte, est centrale dans toute bonne description ethnographique et amène à restituer, au sein même du présent ethnographique, le poids des institutions et des objets, leur durée propre (le mort saisit le vif) ainsi que leurs manipulations et leurs réinterprétations incessantes par le présent.

26 En ce qui concerne la démarche ethnographique appliquée aux sociétés contemporaines, qui, comme la démarche historienne, part d?une description empirique armée conceptuellement [16] et non d?une construction logique, la formulation des hypothèses est plus hésitante et moins routinisée. Nous empruntons nos formulations axiomatiques à Norbert Elias (voir encadré 1).

27 L?ethnographe soucieux de la rigueur de ses observations s?accommode en effet particulièrement bien de l'hypothèse philosophique qui affirme que les individus (homines aperti) comme l'institution (société des individus) sont produits par des interactions, autrement dit que ni les objets, ni les sujets ne préexistent à l'intersubjectivité. Le produit des interactions peut aussi bien être une personne individuelle (qui dit « je ») ou une personne collective (l'ensemble des individus qui disent « nous »), un individu à durée de vie physiologique ou une institution à durée de vie sociale. Ainsi, le masque et le nom propre définissent des identités personnelles qui peuvent être partagées par plusieurs porteurs [17].

28 On voit par là qu?il est non seulement stérile mais factice de placer systématiquement le débat entre économie et sociologie dans une opposition frontale entre « individualisme » et « holisme », dans une opposition entre une économie comme science des comportements individuels et une sociologie ou une anthropologie définies comme sciences de la Société ou de la Culture, totalités globales ou locales, c?est-à-dire comme science du collectif.

29 Cette opposition entre individuel et collectif passe en fait au sein même de chacune des disciplines concernées. En économie, elle sépare ceux qui assimilent agent économique et individu physiologique et ceux qui se concentrent sur l'existence d?objectifs collectifs (les objectifs d?une firme, d?un État, d?un ménage?) [18]. En sociologie, elle sépare ceux qui restituent le poids des objets et des institutions dans le déroulement des interactions (au premier rang desquels E. Goffman) de ceux qui isolent l'interaction de ses contextes et ses partenaires de leurs appartenances pour la rapporter à un « individu générique » auquel chacun de nous pourrait sans difficulté s?identifier [19].

30 Finalement, si une opposition existe entre nos postulats, elle est à chercher dans le statut de l'interaction : c?est l'interaction qui produit les individus ou les institutions en présence dans un cas, elle est produite par les individus ou les institutions en présence dans l'autre. Encore cette distinction est-elle sensiblement atténuée par la prise en compte, dans chacune des approches, d?effets de retour.

Des méthodes complémentaires

31 À bien y regarder, la différence fondamentale entre nos approches tient plus aux méthodes et surtout à la place respective qu?y occupent l'empirie et la théorie.

32 ? Théoriser des observations empiriques ou vérifier des résultats théoriques

33 L?ethnographe, comme l'historien aux archives, commence par des observations empiriques, « sur le terrain », puis construit ses interprétations au cours d?un va-et-vient entre théorisations provisoires et surprises de l'enquête. Il sélectionne ses concepts analytiques, puisés dans une sociologie générale plus ou moins explicitée, pour rendre compte de l'observation des pratiques et des interactions. L?économiste procède à l'inverse, partant d?un modèle théorique pour le soumettre ensuite à l'épreuve des faits, grâce au travail de l'économètre. En cas de réfutation du modèle par les données empiriques, un nouveau modèle est construit puis testé à son tour.

34 Il s?agit en réalité d?une différence dans l'explicitation et dans la valorisation relative de deux versants de la recherche : en règle générale, l'ethnographe comme l'historien passe sous silence une élaboration théorique nécessaire mais parfois fragile ; l'économiste ne s?étend pas sur le bricolage de ses variables et sur les tâtonnements de ses modèles. C?est que le second se considère aujourd?hui comme un spécialiste de la modélisation, que l'on pourrait comparer à une construction syntaxique, et le premier comme un spécialiste des catégories de perception, que l'on pourrait comparer à un répertoire lexical.

35 Il n?en a pas toujours été ainsi. L?ethnographe, dont la compétence consiste avant tout, aujourd?hui, à faire émerger les lexiques à l'aide desquels les personnes pensent et agissent, est un orphelin récent des grandes écoles anthropologiques (marxisme, structuralisme) dont l'ambition théorique et modélisatrice était grande. Quant à la tâche de l'économètre, elle porte bien en partie sur le lexique (il lui faut tenter d?harmoniser les variables institutionnelles et les catégories théoriques sur lesquelles reposent les modèles), même si l'essentiel est ailleurs, dans l'appréciation de la pertinence de la syntaxe proposée par l'économiste [20].

36 Devenues aujourd?hui extrêmement nettes, ces divergences fondées sur la place respective de l'observation et des modèles étaient déjà au c?ur de la querelle des méthodes qui opposa l'École historique allemande et l'économie marginaliste au début du xxe siècle [21]. Ces différences de méthode relèvent cependant plus de l'habitude que de l'axiomatique, traduisent plus des savoir-faire que des interdits. Loin de mener à une incompatibilité, elles pourraient donc au contraire devenir la base de la complémentarité entre nos approches.

37 ? La nécessité d?une traduction préalable

38 Encore faut-il que nous puissions identifier des objets scientifiques et des outils d?analyse communs. Le primat donné à la modélisation ou à l'observation, à la théorie ou à l'empirie entraîne en effet des différences de vocabulaire, sources de malentendus : alors que les catégories de l'économie sont élaborées a priori, la terminologie des ethnographes repose au moins en partie sur les catégories indigènes [22]. Identifier des objets et des concepts communs appelle donc une étape de « traduction » préalable (voir encadré 2). Ces efforts de traduction ne sont d?ailleurs pas aujourd?hui propres au dialogue interdisciplinaire : ils sont aussi d?actualité au sein de chaque discipline, entre différents courants, ce qui peut compliquer notre tâche de clarification mais ne la rend pas moins utile.

Encadré 2 Utilité directe/utilité indirecte, plaisir du faire/plaisir du résultat : nécessité d?une traduction inter-disciplinaire et intra-disciplinaire

Les termes économiques d?« utilité directe » et « utilité indirecte » fournissent un exemple éclairant des problèmes de traduction tant entre disciplines qu?à l'intérieur de l'une d?elles. Dans son acception économique la plus courante, celle de la microéconomie standard du consommateur, ce couple de termes renvoie à la distinction entre utilité de la consommation indépendamment de toute contrainte (utilité directe) et utilité des demandes effectivement exprimées une fois prise en compte la contrainte budgétaire (utilité indirecte). Cependant, ces mêmes termes s?emploient aussi, dans un sens tout à fait différent, en économie de la production domestique : ils renvoient alors à la distinction entre l'utilité retirée d?une activité en tant que telle (utilité directe) et l'utilité retirée du résultat de cette activité (utilité indirecte). Étonnamment, cette deuxième acception recouvre exactement une distinction formulée à partir des conclusions d?une enquête ethnographique sur les activités extra-professionnelles ou « travail à côté » des ouvriers d?usine, qui conduit à opposer « plaisir du faire » (dès lors équivalent à « utilité directe », second sens) et « plaisir du résultat » (dès lors équivalent à « utilité indirecte », second sens). Un tel recouvrement des catégories serait resté inaperçu sans nos tentatives de traduction interdisciplinaires.

39 La présentation métaphorique que nous venons d?esquisser, aussi partiale voire caricaturale qu?elle soit, a le mérite de mettre l'accent sur de possibles complémentarités. À quoi sert le test sophistiqué d?une syntaxe si elle ne s?applique pas aux bons lexiques ? Qu?apporte une description érudite des lexiques sans syntaxe formelle ? Nous faisons le pari que les sciences sociales aujourd?hui sont assez mûres pour dépasser l'opposition traditionnelle entre ce que l'on désigne souvent comme la « démarche inductive » de l'ethnographie et la « démarche hypothético-déductive » de la science économique standard et que les difficultés de traduction ne sont que le premier pas nécessaire d?un dialogue efficace.

Modéliser l'économie domestique

40 Les convergences repérées lors de nos recherches antérieures nous incitent donc à considérer l'économie domestique comme un objet scientifique commun et à tenter, sur cet objet, une nouvelle division du travail. En réunissant dans une même équipe, et autour des mêmes questions, les compétences diversifiées de l'ethnographie (observation et critique des sources), de la sociologie (cohérence des concepts, réflexion sur les catégories statistiques), de la modélisation microéconomique (logique et formalisation) et de l'économétrie (estimation, prévision et simulations quantitatives), nous pourrons enrichir nos disciplines respectives sans remettre en cause leur cohérence interne et mettre en place des outils d?analyse qui permettent d?avancer dans un domaine où la division actuelle des disciplines s?est révélée peu fructueuse. La question des frontières de l'économie domestique, autrement dit celle des déterminants du recours au marché et aux institutions publiques, reste la question centrale de notre nouvelle recherche. On peut à présent la préciser dans deux directions : intérêt personnel pour la réalisation ou pour le résultat de l'activité, d?une part ; frontières du groupe domestique d?autre part.

Une division du travail inédite

41 D?un point de vue pratique, la méthodologie retenue comporte trois phases successives articulant analyses empiriques et modélisation théorique.

42 Dans une première phase, inductive, il s?agit d?étudier, par des monographies, comment des groupes domestiques réagissent face à l'apparition de la dépendance d?un de leurs membres (naissance d?un enfant, entrée en dépendance d?une personne âgée, survenue du handicap?). Le caractère parcellaire et rudimentaire des connaissances dont on dispose sur les comportements de prise en charge rend cette première phase nécessaire pour nourrir la modélisation théorique et en fait une condition pour un recueil de données statistiques pertinent (comment repérer l'ensemble des individus concernés, quelles catégories utiliser pour décrire leur situation, avec quels marqueurs objectifs peut-on caractériser le rôle des différents individus, etc.). Cette phase d?enquête directe permet de comprendre les pratiques familiales en lien avec les règles juridiques qui régissent les rapports de parenté et les attentes institutionnelles à l'égard des « familles ».

43 La modélisation constitue la seconde phase de la démarche. Il s?agit d?adapter les modèles microéconomiques de référence au cas particulier des décisions collectives de prise en charge en s?appuyant sur les principaux résultats des monographies.

44 Enfin, la dernière étape économétrique comporte un retour vers l'empirie. Il s?agit de traduire les modèles théoriques en modèles testables et de les confronter aux données, statistiques cette fois, afin d?en évaluer la pertinence. À terme, elle doit permettre de construire des outils de prévision et de simulation.

45 À l'issue de ces trois phases, l'analyse des résultats économétriques obtenus peut être l'occasion d?un retour sur le terrain. En effet, si les méthodes statistiques permettent de mettre en évidence des comportements typiques, elles font aussi apparaître des « points aberrants », des « cas ». Une étude monographique de ces cas peut permettre de mieux comprendre en quoi ils se distinguent de la norme et de repérer de nouveaux éléments, restés invisibles jusque-là, qui permettent de restituer la cohérence de ces comportements et d?améliorer la modélisation, initiant ainsi une nouvelle navette induction/modélisation/estimation.

46 Cette brève description souligne que la méthodologie envisagée ne repose pas sur de nouvelles méthodes d?investigation mais bien sur l'articulation, autour d?une même problématique, des méthodes les plus classiques de chaque discipline (observation ethnographique, formalisation microéconomique, estimation économétrique). Cette articulation des méthodes est imposée par la nature de nos hypothèses de recherche et de nos outils d?analyse, élaborés dans la rencontre entre l'étude économétrique de la demande de service domestique et l'analyse ethnographique de l'autoconsommation alimentaire.

Des outils d?analyse communs

47 En ce qui concerne les principes de modélisation, les nouvelles théories économiques du comportement de consommation des ménages [23], telles qu?elles sont développées, par exemple, dans les travaux de Bourguignon et de Chiappori [24] offrent une modélisation de référence pour des décisions prises en commun par des individus ayant des objectifs distincts. Des extensions récentes portent sur l'introduction de la production domestique des ménages dans la modélisation [25]. Il s?agit donc principalement de développer ce type de modèles pour des ensembles d?individus pris dans d?autres relations que les relations conjugales : selon nos hypothèses, le groupe domestique ou maisonnée pour ce qui concerne l'organisation quotidienne des prises en charge, la lignée pour ce qui concerne les choix des modes de prise en charge. Se placer dans ce nouveau cadre d?analyse permet d?éviter certains écueils classiques, tels que la continuité de l'espace domestique ou l'absence de logique économique dans les comportements, et aide à reposer dans de nouveaux termes certaines questions théoriques ou techniques telles que l'altruisme par exemple.

48 ? La maisonnée pour modéliser l'organisation quotidienne des prises en charge

49 Comme nous l'avons déjà mentionné, les personnes impliquées dans l'organisation et la réalisation de la prise en charge d?individus dépendants sont prises dans des liens provisoires de co-production, matériels et affectifs, qu?il faut distinguer de la cohabitation stricto sensu, qui définit le « ménage », et des relations juridiques de parenté, qui définissent la « famille ». C?est pourquoi, il nous semble plus pertinent de proposer d?analyser les comportements de prise en charge à l'échelle du groupe domestique ou maisonnée.

50 Cette notion a pour avantage de conduire à une redéfinition de l'espace domestique comme un espace discontinu qui associe l'ensemble des logements habités par les individus appartenant à la maisonnée. Cette nouvelle définition permet par exemple de penser la dispersion spatiale des lieux associés à la famille (élargie) sans l'interpréter en termes d?éclatement de la famille (nucléaire). Parallèlement, elle permet de penser la dispersion spatiale des acteurs de la production domestique sans l'interpréter en termes de multiplicité des unités de décision.

51 La maisonnée est aussi une notion dynamique : ses contours changent inévitablement au gré des naissances et des décès. Mais, plus profondément, la définition même du groupe domestique est en jeu dans chaque activité domestique [26].

52 Se placer à l'échelle du groupe domestique, au lieu de considérer les personnes dépendantes et leurs aidants uniquement, permet aussi d?élargir le cadre d?analyse, des tâches d?aide aux dépendants à l'ensemble des tâches domestiques : cet élargissement devrait permettre de faire apparaître la logique économique des choix d?organisation des prises en charge, logique dont la restitution est encore confuse.

53 En effet, des analyses économétriques récentes montrent que, s?il existe bien une rationalité économique dans le comportement des aidants informels des personnes âgées dépendantes [27], certaines hypothèses habituellement utilisées dans les modèles microéconomiques courants ne semblent pas vérifiées. Ainsi, l'hypothèse de substituabilité des facteurs (dans ce cas particulier, il s?agit de la substituabilité entre aides professionnelle et informelle) n?est que très partiellement confirmée par les données empiriques [28]. De la même manière, l'écriture traditionnelle des contraintes budgétaire et temporelle ne permet par de rendre compte de l'impact du revenu et du temps disponible des aidants sur l'arbitrage entre production domestique de l'aide et recours à des professionnels rémunérés [29].

54 Or, ces résultats économétriques peuvent être relus à la lumière de résultats ethnographiques simples. Comme le rappelle G. Favrot [30], lorsque les besoins en soins d?un membre du groupe domestique s?accroissent, et que celui-ci choisit de recourir à des professionnels rémunérés, ce ne sont pas nécessairement les soins eux-mêmes dont la réalisation est transférée aux professionnels. Ce peut être d?autres activités relevant jusque-là de la production domestique telles que les courses, le ménage, etc. On peut ainsi penser que le caractère inhabituel des arbitrages observés entre aides informelle et professionnelle provient de ce que les activités d?aide et les soins ne peuvent être isolés du reste des activités.

55 ? Maisonnée et lignée, altruisme et héritages

56 L?existence de liens de parenté définis juridiquement (alliance ou filiation) et de liens affectifs entre les différents protagonistes constitue une autre difficulté majeure pour une approche économique des choix de prise en charge [31]. L?introduction d?une hypothèse d?altruisme dans les modèles de décision offre une première piste. Les travaux qui viennent d?être cités l'ont déjà en partie explorée, en faisant varier la forme des fonctions d?utilité retenue pour les différents membres du ménage (egoistic, caring ou altruistic) dans le modèle de décision [32].

57 Cependant, dans le cas présent, l'hypothèse d?altruisme ne saurait faire oublier la question du patrimoine et de l'héritage. En effet, il n?est pas rare que le financement privé des prises en charge se fasse par une ponction sur le patrimoine actuel ou différé des personnes dépendantes ou de leurs alliés [33]. Il convient donc de distinguer un « altruisme de maisonnée », visant la vie quotidienne du moment et un « altruisme de lignée », reposant sur la transmission verticale, des parents aux enfants. Une telle distinction devrait permettre de mieux saisir les logiques de certains comportements de prise en charge : des stratégies d?utilisation du patrimoine pour éviter du temps d?aide informel ou, à l'inverse, le recours quasi exclusif à la production domestique d?aide pour préserver le patrimoine, par exemple.

58 Travailler à la rencontre entre l'observation ethnographique et la modélisation économétrique constitue donc un enjeu méthodologique mais aussi un enjeu scientifique pour avancer dans la compréhension des économies domestiques. La poursuite d?un dialogue interdisciplinaire dans l'étude des comportements de prise en charge des personnes âgées dépendantes a déjà permis de développer de nouveaux outils d?analyse tels que la maisonnée et de formuler de nouvelles questions concernant par exemple les relations entre logique de maisonnée et logique de lignée. À ces deux enjeux, il convient cependant d?en ajouter un troisième plus opérationnel : l'aide à la décision publique dans un domaine d?actualité. La mise en place de politiques sociales efficaces pour la prise en charge des personnes dépendantes (en particulier des personnes âgées, mais aussi des jeunes enfants ou encore des personnes handicapées) suppose en effet de comprendre comment les individus réagissent aux différents dispositifs de prestations sociales et de modéliser les comportements de production domestique, de recours aux services d?aide professionnels et au financement public. Les économistes, comme les ethnographes, sont encore loin de pouvoir fournir de tels modèles. Gageons qu?associer leurs savoir-faire dans une démarche scientifique rigoureuse et cohérente ne peut que nous faire progresser dans cette voie.

Notes

  • [1]
    On peut noter la parution depuis 1995, en France, de plusieurs numéros spéciaux de revues scientifiques et d?ouvrages collectifs. Par exemple : Louis-André Gérard-Varet, Jean-Claude Passeron (éd.), Le modèle et l'enquête, Paris, EHESS, 1995 ; « Ethnographie économique », numéro spécial de Genèses, n° 25, 1996 ; « Sociologie et économie », numéro spécial de la Revue française de sociologie, vol. 38, n° 3, 1997 ; Jean-Yves Grenier, Claude Grignon, Pierre-Michel Menger (éd.), Le modèle et le récit, Paris, MSH, 2001.
  • [2]
    Par exemple, l'ouvrage collectif dirigé par Michel Aglietta, La monnaie souveraine, Paris, Odile Jacob, 1998, fait appel à des anthropologues et des historiens, tandis qu?on assiste à l'arrivée en France de la nouvelle sociologie économique, florissante aux États-Unis depuis quinze ans, grâce à de nombreuses traductions ou manuels. Par exemple : Richard Swedberg, Une histoire de la sociologie économique, Paris, Desclée de Brouwer, 1994 ; Mark Granovetter, Le marché autrement, Paris, Desclée de Brouwer, 2000. Voir aussi le site électronique de l'European Electronic Newsletter of Economic Sociology (www. siswo. uva. nl/ ES).
  • [3]
    Il s?agit d?une équipe financée par le ministère de l'Éducation nationale, intitulée « la prise en charge des personnes dépendantes : modélisation de l'économie domestique et incidence des politiques sociales » (ou Medips), à laquelle participent, outre les auteurs de cet article, deux sociologues, Stéphane Beaud et Séverine Gojard, et un économiste théoricien, Jérôme Wittwer.
  • [4]
    C. Grignon et Christiane Grignon, « Styles d?alimentation et goûts populaires », Revue française de sociologie, vol. 21, n° 4, 1980, pp. 531-569.
  • [5]
    Florence Weber, Le travail à-côté. Étude d?ethnographie ouvrière en milieu rural, Paris, Inra-EHESS, 1989.
  • [6]
    Florence Weber, L?honneur des jardiniers. Les potagers dans la France du xxe siècle, Paris, Belin, coll. « Socio-histoire », 1998.
  • [7]
    Agnès Gramain, « Décisions de recours au système de soins dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes : un modèle de choix discret dynamique », Économie et Prévision, vol. 129-130, n° 3-4, 1997, pp. 239-254.
  • [8]
    Cette grille, élaborée par des médecins à partir d?indicateurs de dépendance physique (activités de la vie quotidienne impossibles à effectuer sans aide), sert de base de calcul, sous condition de ressources, pour le taux des prestations sociales censées compenser la perte de l'autonomie. Cet aspect de la politique de la vieillesse se trouve au croisement entre l'aide aux handicapés et l'aide aux pauvres, ce qui explique en partie la priorité donnée aux incapacités physiques sur les incapacités mentales (qui relèvent, elles, d?une politique de la folie). Voir Jean-Marie Vetel, « AGGIR : guide pratique pour la codification des variables. Principaux profils de groupes iso-ressources », Revue de Gériatrie, vol. 19, n° 3, 1994.
  • [9]
    Geneviève Favrot, L?activité de soins dans le système d?activité familial. Facteurs d?insertion et de rejet, Paris, rapport de recherche pour la Mire, 1986.
  • [10]
    Le droit l'y oblige d?ailleurs dans certains cas, via l'obligation alimentaire. Voir Isabelle Sayn, L?obligation alimentaire, Paris, LGDJ, coll. « Droit et Société », 2000.
  • [11]
    Voir par exemple Susan L. Ettner, « The Effect of Medicaid Home Care Benefit on Long-Term Care Choices of the Elderly », Economic Inquiry, n° 32, 1994, pp. 103-127.
  • [12]
    Cette remise en cause est avancée par certains chercheurs : en sociologie Maryse Marpsat, « Les échanges au sein de la famille. Héritage, aides financières, garde des enfants et visites aux grands-parents », Économie et Statistique, n° 239, 1991, pp. 59-66 ; Claudine Attias-Donfut, Les solidarités entre générations. Vieillesse, famille, État, Paris, Nathan, coll. « Essais et Recherches », 1995 ; Catherine Bonvalet, « Sociologie de la famille, sociologie du logement : un lien à redéfinir », Sociétés contemporaines, n° 25, 1997, pp. 25-44 ; en économie Guy Lacroix, Michel Picot et Catherine Sofer, « Y a-t-il une division du travail dans la famille élargie ? », Économie et Prévision, n° 121, 1995, pp. 87-100 ; Steven Stern, « Estimating Family Long-Term Care Decisions in the Presence of Endogeneous Child Caracteristics », Journal of Human Resources, vol. 30, n° 3, 1995, pp. 551-580 ; Nancy Folbre, The Economics of the Family, Cheltenham, Elgar, 1996.
  • [13]
    Nous concentrons ici notre présentation sur la micro-économie et la micro-économétrie. Ce parti pris s?explique avant tout par la pratique de recherche des auteurs. Cependant la coopération entre ethnographie et macro-économie paraît, a priori, plus difficile à mettre en ?uvre.
  • [14]
    L?analyse des comportements de consommation fournit un exemple particulièrement clair. L?économiste peut en effet adopter deux points de vue. Soit, il prend le ménage comme atome d?analyse (faisant ainsi correspondre l'unité de décision avec l'unité d?observation courante des grandes enquêtes nationales), considérant ainsi que « the household systematically behaves ?as if? it is a single agent ». Soit, il considère le comportement de consommation du ménage « as the outcome of some interaction between household members with different preferences », prenant ainsi l'individu comme atome d?analyse. Voir Martin Browning, François Bourguignon, Pierre-André Chiappori, Valérie Lechêne, « Income and Outcomes : a Structural Model of Intrahousehold Allocation », Journal of Political Economy, vol. 102, n° 6, 1994, pp. 1067-1096.
  • [15]
    Norbert Elias rapporte cette opposition, caractéristique des sciences sociales de l'après-Seconde Guerre mondiale, entre « individualisme » et « holisme », au contexte international de la guerre froide et expose clairement sa nouvelle proposition dans Qu?est-ce que la sociologie, La Tour-d?Aigre, Éditions de l'Aube, coll. « Agora Pocket », 1991 ; il fait explicitement référence à Gregory Bateson dans Engagement et Distanciation, Paris, Fayard, 1993, pp. 74-75.
  • [16]
    Voir Olivier Schwartz, « L?empirisme irréductible », postface à Nels Anderson, Le hobo. Sociologie du sans-abri, Paris, Nathan, coll. « Essais et Recherches », 1993, pp. 265-305.
  • [17]
    Pour reprendre l'exemple des comportements de consommation, l'ethnographe peut lui aussi adopter deux points de vue. Soit il analyse le ménage comme la coexistence de personnes définies par les relations qu?elles nouent à l'extérieur de l'univers domestique (univers de voisinage, univers familial, univers professionnel de chaque actif, univers scolaire des enfants, univers sportif ou associatif éventuels de chacun?). Soit il considère le ménage comme une personne collective, observable lors de ses relations avec l'État et avec les autres ménages, qui dispose d?une réputation collective et manifeste une unité d?action, fût-elle provisoire ; alors ses membres ne perdent pas leur qualité de membres du ménage lorsqu?ils nouent des relations à l'extérieur.
  • [18]
    On peut noter dès lors que l'hypothèse d?altruisme à la Becker est une procédure technique qui permet d?introduire des objectifs collectifs dans l'approche individualiste.
  • [19]
    Voir Nicolas Dodier, Isabelle Baszanger, « Totalisation et altérité dans l'enquête ethnographique », Revue française de sociologie, vol. 38, n° 1, 1997, p. 57.
  • [20]
    Nous faisons ici référence à la pratique la plus courante de l'économétrie. Mais on peut signaler l'existence d?une démarche quasiment inverse dans certaines études économétriques de la demande.
  • [21]
    Les sociologues connaissent cette querelle des méthodes grâce à la participation de Max Weber à ce débat. La traduction attendue des articles de M. Weber sur Roscher et Knies devrait permettre de mieux comprendre la position de M. Weber dans cette querelle des méthodes. Voir Catherine Colliot-Thélène, Max Weber et l'histoire, Paris, Puf, coll. « Philosophies », 1990, pp. 13-25.
  • [22]
    On peut ainsi trouver dans la littérature classique des concepts célèbres issus du discours indigène : chez Marcel Mauss, les termes de « hau » et de « mana » ont été critiqués comme tels par Claude Lévi-Strauss mais on s?avise moins souvent que, chez M. Weber, des termes comme « Beruf » (profession-vocation) ou « Erlösung » (rédemption) étaient des concepts indigènes (issus du langage théologique) avant d?être introduits dans le langage professionnel des sociologues. On trouverait chez les historiens beaucoup plus d?exemples encore de reprise, parfois implicite ou naïve, des concepts « indigènes ».
  • [23]
    Le terme « ménage » est ici ambigu. Si d?un point de vue théorique, ces modèles peuvent s?appliquer à des ménages de n individus, ils sont en fait conçus pour rendre compte du comportement de consommation des couples sans enfants (voire d?un certain type de couples sans enfants) : le principe de décision retenu dans ces modèles ? la pareto-optimalité ? traduit une sorte d?égalité parfaite des différents protagonistes.
  • [24]
    F. Bourguignon, « Rationalité individuelle ou rationalité stratégique : le cas de l'offre familiale de travail », Revue Économique, vol. 35, n° 1, 1984, pp. 147-162 ; M. Browning, F. Bourguignon, P.-A. Chiappori, V. Lechêne, « Income and Outcomes? » op. cit., n. 11 ; P.-A. Chiappori, « Rational-Household Labor Supply », Econometrica, vol. 56, n° 1, 1988, pp. 63-89. M. Browning, P.-A. Chiappori, « Efficient Intra-Household Allocations : General Characterization and Empirical Tests », Econometrica, vol. 66, n° 6, 1998, pp. 1241-1478.
  • [25]
    Voir la discussion engagée dans le Journal of Political Economy en 1997 : d?une part Patricia F. Apps et Ray Rees, « Labour Supply and Household Production », Journal of Political Economy, vol. 105, n° 1, 1997, pp. 178-190 et, d?autre part, P.-A. Chiappori, « Introducing Household Production in Collective Models of Labor Supply ? », Journal of Political Economy, vol. 105, n° 1, 1997, pp. 191-209. Voir aussi Thomas Aronsson, Sven-Olof Daunfeldt et Magnus Wikström, « Estimating Intra-Household Allocation in a Collective Model with Household Production », texte non publié, 1999.
  • [26]
    Cette endogénéité des contours du groupe domestique, si elle semble indéniable, risque de poser des problèmes insurmontables pour une modélisation économétrique. L?analyse des fluctuations du groupe domestique et de leurs déterminants sera donc probablement réservée à l'approche ethnographique.
  • [27]
    A. Gramain, « Décisions de recours? », op. cit., n. 6 ; Thomas J. Hoerger, Gabriel Picone, Frank A. Sloan, « Public Subsidies, Private Provision of Care and Living Arrangements of the Elderly », Review of Economics and Statistics, vol. 78, n° 3, 1996, pp. 428-440 ; S. Stern, « Estimating Family? », op. cit., n. 10.
  • [28]
    S. L. Ettner, « The Effect? », op. cit., n. 9.
  • [29]
    Rachelle F. Boaz, Charlotte F. Muller, « Paid work and unpaid help by caregivers of the disabled and frail elders », Medical Care, vol. 30, n° 2, 1992, pp. 149-158. Marie-Eve Joël, A. Gramain, Elisabeth Cozette, Alain Colvez, « Situation économique et qualité de vie des aidants aux malades atteints de démence sénile de type Alzheimer », Revue Économique, 2000, (numéro hors-série « Les enjeux économiques du financement des retraites »), pp. 163-184.
  • [30]
    G. Favrot, L?activité de soins?, op. cit., n. 6.
  • [31]
    Alice Barthez, Famille, travail et agriculture, Paris, Economica, 1982 ; Françoise Bloch et Monique Buisson, « Du don à la dette : la construction du lien social familial », La revue du MAUSS, n° 11, 1991.
  • [32]
    Comme la forme de la fonction d?utilité conditionne la nature économique des biens consommés (biens publics, privés ou exclusifs) et détermine ce faisant les informations nécessaires à l'identification des modèles, on peut dériver différents tests correspondant à des modèles théoriques reposant sur diverses formes de fonctions d?utilité et comparer leurs résultats.
  • [33]
    Dans le cas des personnes âgées dépendantes, le dispositif d?aide au financement de la prise en charge, mis en place en France, comporte des conditions de ressources assez restrictives et des procédures de recours sur succession. Voir M. E. Joël, A. Gramain, E. Cozette, A. Colvez, « Situation économique? », op. cit., n. 26.
Français

Résumé

L?article examine les difficultés d?une entreprise de recherche pluridisciplinaire qui associe les compétences complémentaires de l'ethnographe (réflexivité critique sur l'enquête de terrain) et de l'économètre (rigueur dans l'exploitation de données statistiques). Les auteures exposent d?abord la rencontre entre deux approches de l'économie domestique (ethnographie du jardinage amateur et économétrie de la décision de prise en charge des personnes âgées). Elles s?interrogent ensuite sur les incompatibilités théoriques et épistémologiques entre leurs courants disciplinaires de référence (microéconomie de la décision sous contraintes, sociologie de l'interaction socialement située). Elles exposent enfin les questions et les outils qui leur permettent de mettre en ?uvre, sur la question de la prise en charge familiale des personnes dépendantes, une division du travail scientifique inédite, où le va-et-vient entre empirie et théorie s?appuie, du côté de l'empirie, sur la combinaison entre études de cas et statistiques, et du côté de la théorie, sur la confrontation entre théories issues de l'observation et modélisation a priori.

Agnès Gramain
Florence Weber
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Belin © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...