Cet article explore les effets croisés et paradoxaux des réformes comptables et des politiques d’immigration sur les pratiques des professionnels hospitaliers dans l’accueil des patients étrangers. À l’aide de données empiriques issues de trois études en sciences sociales (notamment au sein de permanences d’accès aux soins de santé [PASS] et de services de néphrologie), il montre que le contexte hospitalier depuis le début des années 1990 a permis d’affirmer une mission d’accueil envers les étrangers dépourvus de couverture maladie. Cette mission n’a été possible que parce qu’elle s’est accommodée des objectifs de réduction des dépenses hospitalières qui se sont imposés avec force dans l’institution lors de la même période. Si cette évolution a profité aux étrangers les plus proches des critères d’éligibilité de l’Assurance maladie (eux-mêmes fixés par des politiques d’immigration restrictives) qui ont vu leur légitimité à accéder aux soins auprès des soignants s’accroître, elle a eu tendance à favoriser des pratiques discriminatoires et de refus de soins envers les étrangers dont le statut de séjour est le plus précaire.
Article
En octobre 2019, les inspections générales des finances et des affaires sociales rendent à la ministre de la Santé un rapport sur l’aide médicale d’État (AME), prestation d’aide sociale permettant la prise en charge des soins des personnes étrangères en situation irrégulière (Latournerie et al., 2019). Les recommandations de ce rapport sont partiellement suivies par le gouvernement, qui fait voter au parlement une série de mesures, notamment la réduction du panier de soins pris en charge par l’AME et l’impossibilité pour les étrangers demandeurs d’asile d’accéder à une couverture sociale lors de leur arrivée en France. Il est difficile de ne pas rapprocher ce fort investissement institutionnel et politique visant à restreindre les conditions de prise en charge d’une frange minoritaire des personnes étrangères en France (celles et ceux en situation administrative précaire et souvent nouvellement arrivés sur le territoire français) avec les données démontrant la très forte surmortalité des étrangers pendant la crise du Covid-19 qui frappe de plein fouet la France quelques mois plus tard. En 2020, les décès de personnes nées à l’étranger ont augmenté deux fois plus que ceux des personnes nées en France : +17 % contre +8 % (Papon et Robert-Bobée, 2021). Rétrospectivement, il apparaît que la question de la santé des étrangers en France ait pu faire l’objet d’une attention partielle et d’un cadrage peu cohérent avec les préoccupations de santé publique.
De nombreux travaux ont montré comment, depuis les années 1980, l’évolution des conditions d’octroi d’une couverture sociale aux étrangers a été guidée par la volonté de mettre une politique de protection sociale au service des objectifs de maîtrise des flux migratoires (Isidro, 2017 ; Izambert, 2018b)…
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 01/02/2022
- https://doi.org/10.3917/rfas.214.0077

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