Cet article propose de montrer comment la dimension émotionnelle du travail dans le secteur marchand de l’aide à domicile éclaire les inégalités sociales de santé au travail. En s’appuyant sur une enquête menée au sein de deux agences d’aide à domicile et en se basant sur plus de 328 h d’observation et plus de 63 h d’entretiens enregistrés sur dictaphone, cette contribution souligne l’importance du travail émotionnel dans la problématique de la santé et de la sécurité au travail des aides à domicile. Généralement masquée, voire réfrénée, la dimension émotionnelle du travail peut constituer pourtant une ressource pour les professionnelles cherchant à acquérir une autonomie plus importante dans l’organisation de leur travail. Les jeux stratégiques de nature émotionnelle déployés par les intervenantes ne leur assurent toutefois pas toujours des bénéfices. En analysant les relations entre les ressources émotionnelles et les transactions identitaires opérées, l’article met en évidence trois trajectoires de santé typiques : celles qui réussissent, celles qui tiennent et celles qui partent. La compréhension de tels enjeux éclaire la prévention de la désinsertion professionnelle dans un milieu particulièrement exposé.
Article
Selon la logique d’un gradient social explicatif des inégalités sociales de santé (Leclerc et al., 2000), on pourrait aisément situer la population des intervenantes à domicile (désormais IAD) parmi les travailleurs défavorisés. En France, en effet, l’aide à domicile figure en tête des secteurs d’activité les plus sinistrés en matière de risques professionnels, ayant dépassé depuis peu le secteur du BTP (Gayet, 2016). Ce milieu professionnel qui connaît une précarité de l’emploi prégnante (Ribault, 2008) a vu ses conditions de travail déjà peu favorables (temps partiel subi, horaires variables, horaires atypiques, etc.) se dégrader (Kulanthaivelu et Thiérus, 2018). Les problèmes de santé rencontrés relèvent majoritairement de troubles musculosquelettiques, de chutes (de hauteur et de plain-pied) et de risques psychosociaux. L’activité s’exerçant au domicile des bénéficiaires s’accompagne d’une atomisation des tâches et d’une solitude plus ou moins bien vécue par les IAD (Loones et Jeaumeau, 2012), ainsi que d’une impossibilité d’accès au lieu de travail par les instances de contrôle, comme l’inspection du travail ou la médecine du travail, ce qui limite la régulation des situations à risques (Avril, 2009). Ces caractéristiques contribuent à fragiliser l’emploi d’une population par ailleurs essentiellement féminine, peu qualifiée, âgée, populaire et ethnicisée. À ce titre, le milieu professionnel de l’aide à domicile présente des enjeux cruciaux au vu des besoins démographiques d’accompagnement du vieillissement de la population et des orientations politiques prises en France à l’égard du grand âge et de la perte d’autonomie (Libault, 2019)…
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 01/02/2022
- https://doi.org/10.3917/rfas.214.0227

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