Cet article met en lumière et déconstruit des pratiques locales de ciblage et de traitement particulier de populations vues comme des publics spécifiques de l’action sociale. À partir d’une enquête portant sur la politique de résorption des bidonvilles dans une grande agglomération française, nous démontrerons la mise en œuvre par les pouvoirs publics de parcours différenciés marqués par des pratiques institutionnalisées de non-recours aux droits. Nous proposons ainsi un enrichissement de la grille d’analyse du non-recours (Warin, 2016) en introduisant la notion de « non-recours par interdiction », consistant, dans une temporalité limitée, à interdire l’accès à un ensemble de services dits de droit commun pour des raisons d’ordre à la fois politique et opérationnel. Nous analyserons par ailleurs les réactions et stratégies mises en place par les intervenants sociaux et les personnes concernées par les dispositifs – entre acceptation, contestation, contournement ou neutralisation (Le Bourhis et Lascoumes, 2014). Au-delà des populations ici concernées (familles migrantes reconnues comme Roms européens), nous posons l’hypothèse que ces logiques de ciblage et de non-recours institutionnalisés sont présentes dans un large nombre de secteurs de l’action sociale, posant ainsi la question de l’universalité des droits et de la citoyenneté des destinataires de l’action publique.
Article
Très présente dans les discours des acteurs des politiques sociales, la notion de « droit commun », et la question de son accès, semble relever de l’évidence à la fois pour les intervenants sociaux, les décideurs et les chercheurs. Fortement lié au développement des notions d’« insertion » puis d’« inclusion », l’accès au droit reposerait ainsi sur l’idée apparemment simple « de ramener les bénéficiaires de l’action sociale au “droit commun”, c’est-à-dire au bénéfice de biens, services et prestations disponibles pour tous les citoyens » (Lafore, 2014). Malgré les apparences, ce principe remet en partie en cause le fonctionnement actuel des politiques sociales en France, qui ont vu un fort développement des mécanismes de ciblage des publics (Gourgues et Mazeaud, 2018 ; Warin, 2016) menant à la création de filières et services spécialisés, notamment dans le champ du handicap, de la psychiatrie ou encore de la protection de l’enfance. Le principe de l’accès au droit commun, largement inspiré selon R. Lafore des politiques anglo-saxonnes de « mainstream », incite ainsi à repenser l’action sociale non comme le développement de réponses spécifiques en fonction des situations particulières, mais comme l’adaptation du « droit commun » appelé à être « inclusif » et non-discriminant (Borgetto, 2008). Il amène également à remettre en cause les pratiques discrétionnaires voir discriminatoires dans l’accès au droit, dont par exemple l’accès au logement social (Bourgeois, 2015 ; Weill, 2014), aux prestations de compensation du handicap ou aux fonds d’aide aux jeunes (Burea…
Résumé
Plan
- Introduction
- Les villages d’insertion, des dispositifs en tension au sein des politiques locales
- Dérogation aux droits et non-recours institutionnalisé
- Retour sur la notion de non-recours aux droits et les différents types de non-recours
- Le non-recours par interdiction : proposition d’enrichissement de la grille explicative de l’Odenore
- Intervenants sociaux et usagers : entre compréhension, contournements et résistances
- Conclusion : non-recours, citoyenneté : une insertion à bas bruit
Auteur
Sur un sujet proche
- Mis en ligne sur Cairn.info le 10/08/2020
- https://doi.org/10.3917/rfas.202.0245

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