Partant de l’hypothèse que la survenue d’un cancer va de pair avec un relâchement ménager et parental opéré par les femmes qui en sont touchées, en raison du caractère affaiblissant sur les plans physique et moral de ses traitements, il nous reviendra de montrer que celle-ci ne se vérifie que partiellement. Si elle est valide pour le ménager où celles qui ont été interrogées dans le cadre de notre travail de thèse ont toutes fait part d’un moindre investissement, nous ne pouvons pas en dire de même pour ce qui se rapporte aux aspects maternels. En effet, lorsqu’elles interrompent leur activité professionnelle, qu’elles habitent à proximité des lieux où elles sont soignées et que les effets secondaires des traitements sont limités dans leur nombre et dans leur intensité, le cancer va constituer une occasion pour un grand nombre de mères interrogées de surinvestir la sphère parentale. Déclarant « faire autant [voire] plus » et « faire mieux » auprès de leurs enfants, elles y voient des modalités de pouvoir sur soi qui leur permettent de garder la maîtrise de leur existence. Réaliser autant ou plus de tâches parentales sur un registre plus qualitatif constitue pour elles un marqueur de domination sur le cancer. Elles s’en saisissent à la fois comme signe de leur robustesse physique et intellectuelle face aux effets des traitements et comme moyen de contrer les caractères perturbateur et (potentiellement) funeste de cette maladie ; l’exercice des tâches parentales étant inchangé par rapport à ce qu’il était avant le cancer et étant mobilisé comme une preuve qu’elles se font à elles-mêmes et aux personnes qui les entourent qu’elles sont encore bien vivantes. Surtout, elles considèrent que l’exercice de ces tâches leur permet de demeurer les cheffes d’orchestre de la vie familiale ; ce même titre dont celles qui ont délégué les tâches parentales regrettent de ne pas pouvoir se réclamer.
Article
« Être parent », que l’on soit un père ou une mère, signifie devoir répondre à de nombreuses obligations en vertu des normes sociales, morales et légales qui régissent notre société. Ainsi, comme le rappelle l’article 371-1 du Code civil, si l’autorité parentale est constituée de « droits », elle est surtout un « ensemble de devoirs ». Ces derniers sont inhérents à la sécurité, à la santé, à la moralité et à l’instruction des enfants, constituant ce que des auteurs reprennent sous l’expression de « travail parental » (Molénat, 2013 ; Déchaux, 2009/4 ; Verjus, Vogel, 2009/4). Dans une première dimension, ce travail suppose la réalisation d’un ensemble de tâches allant de leur hébergement jusqu’à la planification de leurs loisirs en passant par leur suivi scolaire, etc. Dans une deuxième dimension, il renvoie à un aspect plus mental de disponibilité et de préoccupations diverses vis-à-vis des enfants (Molénat, 2013 ; Déchaux, 2009/4 ; Verjus, Vogel, 2009/4). Quel que soit le plan considéré de ce « travail parental », notons que celui-ci, tout du moins jusqu’à la majorité ou l’émancipation des enfants, s’inscrit dans la permanence qui fonde sa particularité. En effet, contrairement au travail salarié dont l’interruption peut être pensée, dans le cadre de vacances ou d’un arrêt maladie par exemple, il n’en est pas de même en ce qui concerne la parentalité sous peine de se voir sanctionner socialement voire juridiquement. Qu’en est-il en cas de maladie grave comme le cancer, qui fait l’objet de notre thèse, de laquelle est issu cet article …
Résumé
Plan
- Introduction
- Avant le cancer, prédominance ménagère et parentale des femmes contre ponctualité sympathique des hommes
- Pendant le cancer, des mères qui font moins de ménage mais encore plus et encore mieux avec et pour leurs enfants !
- Le cancer, un moment propice à la prise de distance vis-à-vis des tâches ménagères
- Prendre de la distance vis-à-vis des tâches ménagères quand hommes et enfants sont d’accord pour les réaliser
- Prendre de la distance vis-à-vis des tâches ménagères quand hommes et enfants sont capables de les réaliser
- Des pères plus sollicités que les enfants pour ne pas contrevenir à la réussite scolaire et à l’épanouissement des seconds
- Le cancer, un moment propice au maintien voire à l’accroissement de l’investissement maternel
- Avoir le temps, être chez soi et être en « bonne » santé : trois conditions nécessaires pour faire autant voire encore plus et encore mieux pendant les traitements
- Assurer les tâches parentales pendant un cancer : un moyen de rester maîtresse de son existence
- Dominer le cancer
- Rester la cheffe d’orchestre de la vie familiale ou déléguer sous haute tension
- Quand réaliser les tâches parentales permet de garder un pouvoir décisionnaire propre aux adultes…
- … par la possibilité de donner les ordres de leur exécution…
- … et par le maintien de ses règles d’éducation auprès de ses enfants
- Les jours de « rattrapage » et l’après-cancer comme moments de la reprise de contrôle
- Conclusion
Auteur
Sur un sujet proche
- Mis en ligne sur Cairn.info le 27/01/2020
- https://doi.org/10.3917/rfas.194.0049

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