Introduction
1Les demandeurs d’emploi qui travaillent, c’est-à-dire qui sont inscrits à Pôle emploi tout en exerçant une activité rémunérée, sont de plus en plus nombreux. En septembre 2016, un tiers des demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi (catégories A, B ou C) ont exercé une activité rémunérée dans le mois. Cette part de « demandeurs d’emploi en activité » ne cesse de croître depuis juin 2013 (figure 1). Une tendance qui ne semble guère modifiée par la reprise économique : alors que le nombre de demandeurs d’emploi sans activité [1] a diminué de 1,7 % entre septembre 2015 et septembre 2016, le nombre de demandeurs d’emploi en activité réduite [2] a sensiblement augmenté (+ 6 % en glissement annuel, figure 2). En raison de cette dynamique, et dans un contexte de déficit de l’assurance chômage, l’indemnisation des demandeurs d’emploi en activité fait actuellement l’objet de débats importants : la dépense annuelle correspondant à l’indemnisation des demandeurs d’emploi en activité atteint 4,9 milliards d’euros en 2014 [3].
Part des demandeurs d’emploi en activité réduite parmi les catégories A, B, C

Part des demandeurs d’emploi en activité réduite parmi les catégories A, B, C
Champ : demandeurs d’emploi en catégories A, B, C ; France métropolitaine.Variation mensuelle du nombre de demandeurs d’emploi, en glissement annuel

Variation mensuelle du nombre de demandeurs d’emploi, en glissement annuel
Champ : demandeurs d’emploi en catégories A, B, C ; France métropolitaine.2La possibilité de cumuler salaire d’activité et allocation chômage existe depuis 1986 au sein de l’assurance chômage. Cependant, les règles de cumul n’ont cessé d’évoluer. Conformément à la logique d’activation des dépenses d’indemnisation (Erhel, 2014), le cumul vise à favoriser la reprise d’activité, même pour un faible salaire, en évitant que celle-ci n’entraîne la perte totale du revenu de remplacement. Par effet tremplin, l’exercice d’une « activité réduite » devrait permettre in fine le retour à l’emploi. De précédents travaux ont néanmoins montré que l’activité réduite pouvait être, au contraire, associée à des trajectoires d’enfermement dans la précarité, avec des situations de cumul régulières et durables (Fremigacci et Terracol, 2013 ; Fontaine et Rochut, 2014). L’indemnisation du chômage devient alors un revenu complémentaire d’une activité caractérisée par un salaire et un volume horaire faibles, c’est-à-dire un outil de soutien au revenu des travailleurs pauvres.
3Il existe à ce jour peu de portraits statistiques détaillés des demandeurs d’emploi en activité réduite qui rendent compte de la diversité des caractéristiques sociodémographiques, professionnelles, des trajectoires d’emploi et de revenu des demandeurs d’emploi en activité. Cet article contribue à résorber partiellement cet angle mort de la littérature, en analysant les trajectoires d’emploi et de revenus de demandeurs d’emploi ayant exercé une activité réduite entre 2012 et 2014 – ponctuellement ou de façon récurrente. Parmi les trajectoires effectivement observées, il cherche en particulier à déterminer l’importance relative des deux types d’usage du dispositif (tremplin vers l’emploi ou enfermement dans des contrats précaires), en décrivant les profils respectifs des demandeurs d’emploi concernés par chacun. L’enjeu n’est pas anodin pour l’action publique : si le dispositif d’activité réduite, initialement conçu comme tremplin vers l’emploi, se révélait jouer, en pratique, prioritairement un rôle de complément de revenu pour un grand nombre d’allocataires faiblement indemnisés mais durablement inscrits sur les listes, son intérêt par rapport à d’autres dispositifs de soutien au revenu (RSA notamment) pourrait être rediscuté, de même que son rattachement théorique aux politiques « actives » de l’emploi.
4Après une brève revue de littérature permettant de contextualiser l’étude, une typologie statistique des trajectoires des demandeurs d’emploi indemnisables ayant eu recours à l’activité réduite entre 2012 et 2014 est réalisée. Il en ressort sept grands groupes de trajectoires, dont les caractéristiques sociodémographiques et professionnelles spécifiques sont succinctement décrites. Les revenus mensuels de deux individus illustratifs des classes dans lesquelles le recours à l’activité réduite est le plus intensif sont ensuite simulés. Il est tenu compte, non seulement des salaires et des allocations d’assurance chômage, mais également des prélèvements fiscaux et sociaux et des principales prestations sociales théoriquement perçues au cours du temps. Cette approche globale des revenus permet d’apprécier plus précisément le niveau de vie des individus en « activité réduite », tout en révélant les interactions entre assurance chômage et système de redistribution.
L’activité réduite, tremplin vers l’emploi ou soutien au revenu des travailleurs pauvres : les angles morts de la littérature existante
5La littérature économique empirique a principalement étudié l’activité réduite sous l’angle du retour à l’emploi, conformément à la logique d’activation des dépenses d’indemnisation qui sous-tend ce dispositif (Erhel, 2014). La possibilité de cumuler un revenu d’activité avec une allocation chômage devait permettre d’accélérer la reprise d’emploi (en diminuant le salaire de réservation, hors allocation, du demandeur d’emploi) et par conséquent de maintenir l’employabilité des demandeurs d’emploi en évitant un éloignement prolongé du marché du travail [4]. Ainsi envisagée, l’activité réduite constituerait un tremplin vers le retour à l’emploi, le demandeur d’emploi n’ayant pas vocation à demeurer durablement dans le dispositif.
6Les études empiriques concluent pourtant à des effets ambigus sur le retour à l’emploi, fortement différenciés selon le profil des demandeurs d’emploi (Fremigacci et Terracol, 2013 ; Fontaine et Rochut, 2014). Si l’exercice d’une activité réduite paraît en moyenne améliorer la vitesse du retour à l’emploi, elle conduirait également à un enfermement de certains individus dans des activités précaires ou sous-qualifiées (Fremigacci et Terracol, 2013). Une telle situation constitue un effet indésirable de l’activité réduite, contraire à son objectif premier.
7Les raisons sous-jacentes au maintien durable dans le dispositif ne sont généralement pas analysées per se. L’activité réduite joue de facto un rôle de complément de revenu pour les individus occupant des emplois faiblement rémunérés [5] (emploi à faible volume horaire ou succession de contrats à durée déterminée – CDD de très courtes durées). Elle peut être exercée de façon durable, sans perspective de retour rapide à un emploi stable et à temps complet. Ces trajectoires d’activité réduite durable « subie » émergent des entretiens qualitatifs menés par Issehnane et al. (2016).
8Elles apparaissent également dans les résultats d’une enquête de l’Unédic réalisée en 2011 (Blouard et al., 2012) : 46 % des allocataires en activité réduite depuis huit mois déclarent ne pas avoir l’intention d’occuper un autre emploi. Ces usages du dispositif, associés à des contrats précaires, peuvent difficilement être ignorés.
9Cet article apporte plusieurs contributions à la littérature existante. Il propose une classification des trajectoires des demandeurs d’emploi ayant recours à l’activité réduite permettant de comparer les classes concernées par l’effet tremplin aux autres, et d’évaluer l’importance relative des différents usages de l’activité réduite. En outre, au travers d’une approche globale des revenus mensuels des demandeurs d’emploi en activité réduite, tenant compte des variations des prestations sociales de solidarité (prime d’activité, aides au logement, RSA) consécutives aux variations des revenus d’activité, il analyse la façon dont assurance chômage et système de solidarité interagissent de façon à sécuriser les revenus des travailleurs pauvres. L’originalité de l’analyse est ici de quantifier, pour les deux trajectoires étudiées, les effets de substitution entre l’activité réduite, financée par l’assurance chômage d’une part, et les prestations sociales de solidarité, financées par l’État d’autre part.
Les sept visages de l’activité réduite
Une analyse séquentielle des trajectoires par optimal matching
10Partant du constat que les modes de recours à l’activité réduite sont très variés, nous cherchons à établir dans un premier temps une typologie des trajectoires des demandeurs d’emploi concernés par le dispositif. Nous recourons, pour ce faire, à une méthode d’analyse des séquences, appelée Optimal Matching Analysis (ou « méthode d’appariement optimal »). Elle consiste à comparer les trajectoires des individus en vue de constituer des classes les plus homogènes possible. La justification du recours à l’analyse de séquences, plutôt qu’aux méthodes classiques de classification, ainsi que des choix méthodologiques sous-tendant cette classification, est présentée et discutée en annexe (annexe 2). La classification est opérée sur un sous-échantillon aléatoire de 10 000 individus tirés au sein de l’échantillon d’étude de 1 560 700 personnes, représentatif de la population d’entrants en catégories A, B et C sur les listes de Pôle emploi en 2012, ayant déclaré avoir exercé au moins un mois d’activité réduite dans les deux ans ayant suivi leur entrée (voir encadré 1).
[Encadré 1] Construction de l’échantillon d’étude
L’échantillon d’étude pour la classification porte sur l’ensemble des demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi (catégories A, B ou C) entrés sur les listes de Pôle emploi au cours de l’année 2012. Parmi eux, seules les personnes ayant eu recours au moins une fois au dispositif d’activité réduite (tel que défini par l’assurance chômage, c’est-à-dire indemnisables tout en exerçant une activité professionnelle) dans les deux années suivant leur entrée sur les listes ont été retenues. L’échantillon d’étude représente 1 560 700 personnes et contient leur trajectoire d’indemnisation pendant les deux années suivant leur inscription sur les listes.
La construction de l’échantillon d’étude comporte donc deux étapes :
- Sélection de l’ensemble des demandeurs d’emploi entrés sur les listes de Pôle emploi au cours de l’année 2012, en catégorie A, B ou C, dans la France entière (Mayotte inclus).
Il ne s’agit pas nécessairement d’une première inscription : les demandeurs d’emploi conservés dans le champ de l’étude peuvent avoir été déjà inscrits sur les listes de Pôle emploi les années précédentes, puis sortis des listes, avant de se réinscrire en 2012. Les demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi (inscrits en catégories D ou E) ainsi que les bénéficiaires de la dispense de recherche d’emploi, pour qui le recours au dispositif d’activité réduite est très peu fréquent, sont exclus de l’analyse. Ces entrants en catégories A, B, C sur les listes de Pôle emploi représentent 4 705 800 personnes en 2012. - Au sein de cet ensemble, sélection des personnes ayant eu recours au dispositif d’activité réduite au moins une fois dans les deux années suivant leur entrée sur les listes, tout en étant au cours de ce mois continûment indemnisables. Seuls les mois d’exercice d’activité réduite durant lesquels le demandeur d’emploi était continûment indemnisable ont été retenus : cette restriction permet de s’assurer que les montants d’allocation renseignés pour les mois d’activité réduite ne sont pas biaisés par une période durant laquelle le demandeur d’emploi n’est pas indemnisable au cours du mois. On obtient ainsi l’échantillon final représentant 1 560 700 personnes.
11Les trajectoires sont modélisées par une succession d’« états » décrivant chaque mois la situation du demandeur d’emploi vis-à-vis de l’inscription à Pôle emploi et de l’indemnisation. Six états, obtenus par classification ascendante hiérarchique (annexe 2), sont retenus : absent des listes, inscrit sans activité réduite, inscrit avec activité réduite sans cumul de salaire avec une allocation chômage, en activité réduite avec cumul « faiblement rémunérée » (le salaire perçu étant relativement faible par rapport à l’allocation), en activité réduite avec cumul « moyennement rémunérée » ou en activité réduite avec cumul « bien rémunérée » (allocation faible relativement au revenu d’activité).
12Onze classes sont retenues à l’issue de cette analyse de séquences. Ce nombre de classes permet de donner un aperçu relativement synthétique de l’intensité du recours à l’activité réduite dans les parcours individuels, sans trop atténuer la diversité des situations. Pour simplifier l’analyse, ces onze classes sont ensuite rassemblées en sept groupes présentant de fortes similarités du point de vue de leur fréquence de recours à l’activité réduite, de la probabilité de sortie des listes en fin de période, du niveau de cumul entre salaire d’activité réduite et allocation chômage (tableau 1). Afin de visualiser l’importance de l’activité réduite dans les trajectoires qui constituent ces différentes classes, les « chronogrammes » associés à chaque classe sont également présentés (figure 3) : pour chacun des mois de la période observée, le chronogramme présente les proportions d’individus de la classe dans les différents états.
Répartition de l’échantillon entre les onze classes de la typologie

Répartition de l’échantillon entre les onze classes de la typologie
Champ : échantillon de 10 000 demandeurs d’emploi entrant en catégories A, B ou C, en 2012, ayant déclaré au moins un mois d’activité réduite tout en étant continûment indemnisables sur ce mois, dans les deux ans qui suivent leur inscription ; France.Chronogrammes des trajectoires d’inscription sur les listes de Pôle emploi


Chronogrammes des trajectoires d’inscription sur les listes de Pôle emploi
Champs : échantillon de 10 000 demandeurs d’emploi entrant en catégories A, B, C en 2012, ayant déclaré au moins un mois d’activité réduite tout en étant continûment indemnisables sur le mois, dans les deux ans qui suivent leur inscription à Pôle emploi ; France.Physionomie générale de l’activité réduite : description des sept visages de l’activité réduite et de leur mode de recours
13La comparaison des caractéristiques démographiques, socioprofessionnelles et des modalités d’indemnisation dominantes au sein de chaque groupe permet d’apporter des éléments d’interprétation aux différents modes de recours à l’activité réduite (tableaux 2 et 3).
Caractéristiques sociodémographiques et professionnelles des individus appartenant aux classes issues de l’optimal matching


Caractéristiques sociodémographiques et professionnelles des individus appartenant aux classes issues de l’optimal matching
Caractéristiques en termes d’indemnisation des individus appartenant aux classes issues de l’optimal matching


Caractéristiques en termes d’indemnisation des individus appartenant aux classes issues de l’optimal matching
14Il est tout d’abord intéressant de souligner que le recours intensif à l’activité réduite concerne un nombre relativement restreint d’allocataires : 27 % des individus de l’échantillon exercent à eux seuls 54 % des mois d’activité réduite de l’échantillon, sur les deux années d’observation (classes 7 à 11) [6]. Nous décrivons par la suite uniquement ces classes 1 à 7 de façon détaillée, mais les statistiques descriptives des classes 1 à 6 figurent dans les tableaux 2 et 3.
15Les classes 9 et 10 se distinguent du reste de l’échantillon par leur régime d’indemnisation : les intérimaires, intermittents ou professions à statut particulier (assistantes maternelles notamment, dans la classe 9) y sont surreprésentés. Les classes 8, 9 et 11 présentent quant à elles des caractéristiques démographiques particulières, avec une surreprésentation des femmes en couple avec enfants.
16Afin de visualiser comment les caractéristiques démographiques, socioprofessionnelles et les statuts d’indemnisation interagissent, nous réalisons une analyse des correspondances multiples (ACM) pour ces quatre classes (figure 4). La catégorie d’âge, le sexe, la qualification et le régime d’indemnisation (en distinguant les assistantes maternelles au sein du régime général) sont exploités en tant que variables actives, et la classe est considérée comme variable supplémentaire [7].
Caractéristiques sociodémographiques, régime d’indemnisation et trajectoires d’activité réduite (analyse des composantes multiples)

Caractéristiques sociodémographiques, régime d’indemnisation et trajectoires d’activité réduite (analyse des composantes multiples)
Note de lecture : les rectangles rouges permettent uniquement de faciliter la lecture, en mettant en évidence certaines proximités ; ils n’ont aucune signification particulière.Liste des abréviations : « Emp_q » : employé qualifié ; « Emp_nq » : employé non qualifié ; « prof_int » : profession intermédiaire ; « Ouv_nq » : ouvrier non qualifié ; « Ouv_q » : ouvrier qualifié ; « ac_enf » : avec enfants ; « ss_enf » : sans enfant ; « RG » : régime général de l’assurance chômage ; « autr » : autre régime d’indemnisation (hors intermittent, intérimaire, assistante maternelle et régime général ; « cl x » : classe x.
Champ : individus appartenant aux classes 4 à 7 dans l’échantillon de 10 000 demandeurs d’emploi entrant en catégories A, B, C en 2012, ayant déclaré au moins un mois d’activité réduite tout en étant continûment indemnisables sur le mois, dans les deux ans qui suivent leur inscription à Pôle emploi ; France.
17La projection des classes 7 à 11 sur ce graphique, utilisées comme variables dites « supplémentaires », fait ressortir la spécificité des classes 9 et 10. Celles-ci se retrouvent en effet plus éloignées du centre des axes. La classe 9 est projetée sur la gauche de la figure, où se trouvent également les modalités « femme », « assistante maternelle », les âges plus élevés et les catégories socioprofessionnelles « employé qualifié » et « employé non qualifié » ; la classe 10 est projetée sur la droite, aux côtés des modalités « homme », « intérim » et des catégories socioprofessionnelles « ouvrier qualifié » et « ouvrier non qualifié ». Ces deux classes, auxquelles est prêtée une attention particulière dans la suite de l’analyse, ont donc des visages particuliers et s’opposent l’une à l’autre par le sexe des individus qui les composent.
18A contrario, les classes 7, 8 et 11 n’apparaissent pas associées à des caractéristiques démographiques ou socioprofessionnelles particulières.
19Ces cinq classes correspondent à des profils de demandeurs d’emploi très différents, qu’il est possible de décrire plus en détail (tableaux 2 et 3). Nous distinguons quatre groupes ou « visages » de l’activité réduite, en raison de la proximité des classes 9 et 10 en termes de recours à l’activité réduite.
20La classe 9 rassemble les individus ayant le plus précocement, le plus fréquemment et le plus longuement recours à une activité réduite avec cumul salaire et allocation. Deux profils professionnels y sont surreprésentés : les intermittents d’une part (7 % des individus de la classe), les assistantes maternelles d’autre part (23 % des individus de la classe). Cette classe se caractérise également par une très forte proportion d’individus qui exerçaient un emploi à temps partiel de faible intensité (durée inférieure à un mi-temps) avant leur inscription sur les listes de Pôle emploi. D’un point de vue sociodémographique, les individus de plus de 40 ans, les femmes, les individus en couple, avec enfants et les individus non diplômés sont surreprésentés.
21La classe 10 est proche de la classe 9 du point de vue de la fréquence, de la durée de recours à l’activité réduite et de la propension à cumuler allocation et salaire d’activité, ce qui explique leur regroupement. Cependant, le salaire d’activité représente une part plus importante du revenu en situation de cumul pour la classe 10 que pour la classe 9. Les intérimaires et les individus exerçant un emploi à temps plein avant leur inscription sur les listes y sont surreprésentés.
22Dans la classe 8, les individus ont recours plus tardivement à l’activité réduite que dans les classes 9 et 10 : en moyenne, l’activité réduite intervient après neuf à dix mois d’inscription sur les listes. Elle se poursuit de façon relativement continue jusqu’à la fin de la période observée, avec ou sans cumul.
23Dans la classe 11, les individus ont rapidement recours à l’activité réduite, celle-ci se poursuit jusqu’à la fin de l’épisode de chômage, mais elle a pour spécificité d’être exercée sans cumul. Il s’agit donc de demandeurs d’emploi occupant très régulièrement un emploi, avec un volume horaire et/ou un salaire qui ne leur permettent pas de cumuler leur revenu avec une allocation chômage.
24Enfin, la classe 7 a la particularité de recouvrir des trajectoires dans lesquelles l’activité réduite précède une sortie vers l’emploi. La plupart des individus de la classe 7 sont d’abord inscrits sur les listes sans exercer d’activité réduite durant près de six mois, puis reprennent une activité salariale rémunérée au-delà des seuils permettant de cumuler un revenu d’activité avec une allocation de retour à l’emploi. Le ratio de nombre de mois indemnisés sur le nombre de mois indemnisables est donc particulièrement faible au sein de cette classe (29 %, tableau 1). Ils sortent ensuite des listes, plus fréquemment pour reprise d’emploi que dans les autres classes. Cette classe pourrait illustrer le cas favorable dans lequel l’activité réduite constitue un tremplin vers l’emploi. Il ne s’agit là que d’une hypothèse : la typologie proposée ici, de nature descriptive, ne permet pas de prouver cette causalité. Les individus diplômés (niveau bac + 2 ou plus) sont surreprésentés dans cette classe.
25Les motifs de recours à l’activité réduite, pour ces utilisateurs intensifs du dispositif, apparaissent donc variés. Le salaire d’activité constituerait un complément d’allocation structurel pour les classes 9 et 10, dans lesquelles sont observées des situations d’emploi particulières (intermittence, intérim, temps partiel). Les motivations des individus de la classe 11, qui ne cumulent pas, sont nécessairement d’un autre ordre. Elles pourraient s’expliquer par le fait que la permanence sur les listes permette de bénéficier de mesures d’accompagnement et de rester éligible aux droits connexes (par exemple, un abattement sur les ressources est appliqué pour le calcul des aides au logement lorsque l’individu est inscrit sur les listes). D’autre part, la permanence sur les listes facilite les démarches administratives en cas de nouvelle perte d’emploi : elle refléterait dans ce cas l’instabilité de l’emploi retrouvé. Le rôle de l’activité réduite pour les individus de la classe 8 semble moins évident. Il semblerait qu’elle soit généralement exercée en vue d’obtenir un complément de revenu, mais non liée à une situation professionnelle particulière, et intervenant tardivement dans l’épisode de chômage. Ces trajectoires pourraient correspondre au cas mis en évidence dans les entretiens qualitatifs conduits par Issehnane et al. (2016), dans lequel une longue période sans emploi conduit finalement à accepter un emploi en activité réduite pour « subvenir [aux] besoins primaires », même si celui-ci ne correspond pas à l’emploi recherché.
Le revenu global des demandeurs d’emploi en activité réduite : comment l’activité réduite interagit-elle avec les prestations sociales de solidarité ?
26Afin de connaître l’impact du cumul salaire et activité sur le revenu total net des individus, nous concentrons notre analyse sur les classes 9 à 11 présentant les plus forts recours à l’activité réduite : classes « travailleurs précaires en activité réduite » (9), « intérimaires en activité réduite » (10) et « activité réduite longue sans cumul » (11).
27L’évaluation précise du niveau et des variations mensuelles du revenu total des individus de ces trois classes requiert de tenir compte des principaux prélèvements et prestations constitutifs de ce revenu : impôt sur le revenu, prime d’activité, aides au logement et RSA socle, le cas échéant. Or, les données administratives mobilisées ne permettent pas de disposer d’informations relatives aux montants de ces prélèvements et prestations pour les demandeurs d’emploi. L’analyse proposée ci-après se fonde donc sur l’utilisation d’une maquette de micro-simulation, qui permet d’estimer ces montants. Cette simulation nécessite de recourir à quelques hypothèses restrictives.
28Il est d’abord supposé que les individus considérés ont effectivement eu recours à ces différentes prestations sociales, en adressant une demande à la Caisse d’allocations familiales (CAF) au 1er janvier de l’année n (date de l’ouverture du droit), puis en actualisant chaque mois leur situation. Dans la pratique, le taux de non-recours n’est pas négligeable pour le RSA et la prime d’activité. Il reste limité pour les aides au logement, mais les retards d’actualisation des situations en cas de reprise d’emploi, par exemple, peuvent donner lieu à des rappels : les variations mensuelles de revenu sont, de ce fait, potentiellement plus fortes dans la réalité que celles présentées ici.
29Les individus considérés sont supposés célibataires, sans enfants à charge et sans autres ressources que leur revenu d’activité et leur indemnisation chômage. Les données mobilisées sont incomplètes à cet égard (aucune information sur la situation sur le marché du travail, sur les revenus du patrimoine du ménage, les revenus du conjoint si l’individu est en couple, ni sur l’âge des enfants à charge) et ne recoupent pas nécessairement les définitions de foyer fiscal et de ménage utilisées pour le calcul de l’impôt sur le revenu et des prestations sociales. Ces simplifications sont nécessaires pour limiter le nombre de cas-types et la quantité d’informations à imputer ; elles permettent également de se concentrer sur les principales interactions entre l’assurance chômage et le système de solidarité, indépendamment des effets propres des politiques familiales. Elles conduisent néanmoins à minorer le revenu global des individus considérés, la configuration « célibataire sans enfants » étant la plus désavantagée en termes de prestations sociales et de prélèvements fiscaux.
30Les données dont nous disposons indiquent le nombre d’heures travaillées en activité réduite, le salaire d’activité réduite des individus, et apportent indirectement des éléments relatifs à l’historique de leurs périodes d’emploi. À partir de ces informations, les montants mensuels de prime d’activité, d’aides au logement et de RSA socle sont simulés, conformément à la législation en vigueur en 2016. Les règles d’assurance chômage, et notamment de cumul entre salaire d’activité et allocation de retour à l’emploi, sont celles définies par la convention d’assurance chômage de 2014. Les individus sont considérés non éligibles à l’allocation de solidarité spécifique (qui suppose d’avoir travaillé cinq années au cours d’une période de référence de dix ans, condition que nous n’avons pas vérifiée pour les parangons étudiés) mais éligibles au RSA socle.
31La simulation requiert enfin de sélectionner, au sein de chaque classe, une trajectoire unique, pour laquelle l’ensemble des prestations est calculé. La trajectoire réelle observée du « parangon », c’est-à-dire de l’individu ayant la trajectoire la plus proche de celle du centre de la classe, est retenue comme illustrative des trajectoires de l’ensemble de la classe. Il s’agit en d’autres termes de la trajectoire de l’individu ayant une fréquence, un mode de recours à l’activité réduite (intensité du cumul salaire plus activité) et une durée d’inscription sur les listes les plus proches de la moyenne de la classe.
Un revenu mensuel moyen qui varie entre 1 250 € et 1 840 € selon les trajectoires analysées
32Le niveau de revenu net moyen après impôt, ainsi que la structure de ce revenu, entre salaire d’activité, allocation chômage, prestations sociales et impôt, diffèrent fortement pour les trois trajectoires analysées (tableau 4).
Décomposition du revenu perçu par les demandeurs d’emploi représentatifs des cinq profils ayant un recours intense à l’activité réduite

Décomposition du revenu perçu par les demandeurs d’emploi représentatifs des cinq profils ayant un recours intense à l’activité réduite
Champs : échantillon de 10 000 demandeurs d’emploi entrant en catégories A, B ou C, en 2012, ayant déclaré au moins un mois d’activité réduite tout en étant continûment indemnisables sur ce mois, dans les deux ans qui suivent leur inscription ; France.33Le revenu moyen sur la période janvier année n - décembre année n + 1 oscille entre 1 250 € par mois pour l’individu de la classe 9 et 1 840 € par mois pour l’individu de la classe 10. Les variations de revenu peuvent être fortes d’un mois sur l’autre, en témoigne l’amplitude des revenus sur la période : le revenu net maximal après impôt s’élève au double du revenu minimal pour le parangon 10.
34La structure des revenus est également variable, compte tenu des trajectoires d’activité et des règles de calcul des allocations logement. Le revenu des parangons 9 et 10 (travailleur précaire et intérimaire) est principalement constitué des revenus d’activité et de remplacement : leurs types de trajectoires s’inscrivent pleinement dans le système d’assurance chômage, quoique ces deux profils soient très différents (cf. supra). Le revenu du parangon 11 (activité réduite longue sans cumul) est constitué à 15 % d’aides au logement. Il faut y voir la conséquence d’un calcul des aides au logement sur l’année n - 2 au cours de laquelle cet individu était peu en emploi [8].
L’activité réduite comme substitut (partiel) aux prestations sociales de solidarité
35Si les parangons 9 et 10 présentent une intensité comparable de recours à l’activité réduite, ils se distinguent en revanche nettement l’un de l’autre par leur niveau moyen de revenu : 1 250 € par mois pour le parangon 9 contre 1 840 € par mois pour le parangon 10. Cette différence s’explique par le nombre d’heures travaillées en activité réduite, plus faible pour le parangon 9 que pour le parangon 10.
36L’activité réduite constitue pour eux un complément structurel du revenu, en se substituant partiellement aux prestations sociales de soutien au revenu (RSA socle, prime d’activité [9] et aides au logement). Elle assure ainsi un lissage des revenus. Pour mettre en évidence la substitution entre dépenses d’activité réduite et dépenses sociales dites de « solidarité », il est possible de simuler ce que seraient les trajectoires de revenu des parangons 9 et 10 en l’absence d’activité réduite, c’est-à-dire en faisant comme si le cumul allocation et salaire était impossible. Cette simulation tient compte des variations des autres prestations sociales, qui interviendraient pour compenser partiellement l’absence totale d’allocation chômage pendant les mois d’activité. Les trajectoires de revenu avec et sans activité réduite pour ces deux parangons sont détaillées ci-dessous. Le complément de revenu issu de l’activité réduite est estimé entre 150 € et 180 € nets par mois en moyenne, une fois prises en compte les variations de l’ensemble des autres prestations sociales [10].
Une subvention au travail à temps partiel ?
37Le parangon 9 cumule de façon quasi permanente son salaire d’activité réduite avec une partie de l’allocation chômage (catégorie B). Il exerce une activité professionnelle, le plus souvent à mi-temps (ou dans une proportion moindre), pour un salaire mensuel légèrement inférieur à 700 € (tableau 5). Le dispositif d’activité réduite conjugué au rechargement des droits (mis en place par la convention d’assurance chômage 2014) lui permet de repousser la date de fin de droits en allongeant la durée de son droit initial. Son revenu avant transfert est constitué à 55 % du salaire d’activité et à 45 % d’allocation chômage.
Impact de l’activité réduite sur le revenu net après impôt moyen et les montants de prestations sociales

Impact de l’activité réduite sur le revenu net après impôt moyen et les montants de prestations sociales
Champs : échantillon de 10 000 demandeurs d’emploi entrant en catégories A, B ou C, en 2012, ayant déclaré au moins un mois d’activité réduite tout en étant continûment indemnisables sur ce mois, dans les deux ans qui suivent leur inscription ; France.38La trajectoire de revenu avec activité réduite est présentée sur la figure 5, tandis que la situation contrefactuelle sans activité réduite, c’est-à-dire en faisant comme si le cumul allocation et salaire était impossible, apparaît sur la figure 6.
Trajectoire de revenu du parangon 9 avec activité réduite

Trajectoire de revenu du parangon 9 avec activité réduite
Note : l’impôt sur le revenu n’apparaît pas en raison de sa faible ampleur comparativement aux autres prestations.Trajectoire de revenu du parangon 9 en l’absence d’activité réduite

Trajectoire de revenu du parangon 9 en l’absence d’activité réduite
Note : l’impôt sur le revenu n’apparaît pas en raison de sa faible ampleur comparativement aux autres prestations.39L’activité réduite lui permet d’accroître son revenu total net moyen de 180 € par mois par rapport à une situation où le cumul allocation et salaire ne serait pas possible, soit un supplément de revenu de 15 %. Ce supplément de revenu se décompose en un surcroît d’allocation chômage (+ 460 € par mois en moyenne) dû au cumul entre salaire d’activité et allocation chômage, et une diminution des montants de prime d’activité (- 160 € par mois en moyenne), de RSA (- 30 € par mois en moyenne) et d’aides au logement (- 90 € par mois en moyenne) perçus par l’individu.
40En définitive, bien que 60 % du surcroît de dépenses d’assurance chômage lié au cumul allocation et salaire soit contrebalancé par une diminution des prestations sociales de solidarité, l’existence du cumul allocation et salaire améliore nettement le revenu disponible de l’individu.
Activité réduite, intérim et intermittence : un mariage heureux ?
41La classe 10 est caractérisée par une surreprésentation des intérimaires et des intermittents. Elle se distingue assez nettement des autres classes par un niveau de salaire d’activité plus élevé – entre 1,5 et 2 salaires minimums de croissance (SMIC), contre 1 à 1,2 SMIC pour les autres classes – ainsi que par des quotités travaillées en activité réduite généralement élevées. Le parangon 10 bénéficie assez fréquemment du dispositif de cumul entre allocation chômage et salaire d’activité. L’activité réduite lui apporte un complément de revenu lorsqu’il ne travaille pas à temps plein et permet également de pallier les fortes irrégularités de son activité professionnelle, en lissant ses revenus (avec un emploi alimentaire par exemple, comme le soulignent Issehnane et al. [2016] à partir de leurs entretiens qualitatifs). Le dispositif est particulièrement adapté à sa situation professionnelle, l’activité réduite pouvant être alors considérée comme « choisie » (Issehnane et al., 2016, p. 31).
42Le bénéfice lié aux règles d’activité réduite est moins important pour ce parangon que pour le parangon 9 (travailleur précaire inscrit au régime général). L’activité réduite permet d’accroître son revenu total net moyen de 150 € par mois par rapport à une situation où le cumul allocation et salaire ne serait pas possible, soit un supplément de revenu de 10 % environ (tableau 6). Le surcroît de dépenses d’assurance chômage (250 € par mois en moyenne) est moins fort que pour le parangon 9 − travailleur précaire inscrit au régime général −, puisque le parangon 10 − intérimaire − se situe plus régulièrement au-dessus du seuil de cumul et perçoit donc peu ou pas d’allocation chômage lorsqu’il est en activité. L’augmentation de ses ressources, liée à la possibilité de cumuler, se traduit par une diminution du montant des prestations sociales (- 70 € par mois en moyenne). En raison du niveau de ses revenus d’activité, cet individu paie l’impôt sur le revenu : le cumul lié à l’activité réduite entraîne une augmentation de 30 € par mois en moyenne du montant de son impôt sur le revenu.
Impact de l’activité réduite sur le revenu net après impôt moyen et les montants de prestations sociales

Impact de l’activité réduite sur le revenu net après impôt moyen et les montants de prestations sociales
Champs : échantillon de 10 000 demandeurs d’emploi entrant en catégories A, B ou C, en 2012, ayant déclaré au moins un mois d’activité réduite tout en étant continûment indemnisables sur ce mois, dans les deux ans qui suivent leur inscription ; France.43En définitive, 40 % du supplément de dépenses d’assurance chômage liées au cumul est contrebalancé par une diminution des prestations sociales et une augmentation de l’impôt sur le revenu.
Trajectoire de revenu du parangon 10 avec activité réduite

Trajectoire de revenu du parangon 10 avec activité réduite
Trajectoire de revenu du parangon 10 en l’absence d’activité réduite

Trajectoire de revenu du parangon 10 en l’absence d’activité réduite
Conclusion
44Conçue pour contribuer à l’activation des dépenses d’indemnisation, l’activité réduite remplit dans les faits différents rôles : elle peut constituer un complément de revenu lorsque l’allocation chômage est très faible ; permettre de décaler la date de fin de droits à l’assurance chômage ; représenter un filet de sécurité pour un individu actif à temps plein en contrat précaire, qui reste inscrit sur les listes de Pôle emploi pour bénéficier de droits connexes, ou simplement par crainte de perdre à nouveau son emploi. Elle ne saurait donc être évaluée uniquement à l’aune de sa capacité à accélérer le retour à l’emploi stable.
45En faisant apparaître sept grands groupes de trajectoires, la typologie établie dans cet article permet d’éclairer l’importance quantitative des différents usages du dispositif. Près de 75 % des trajectoires de l’échantillon étudié se caractérisent par un faible recours à l’activité réduite (classes 1 à 6). Le quart restant est constitué de trajectoires dans lesquelles les mois d’activité réduite sont fortement représentés − classes 7 et 8 : 14 % des trajectoires − voire surreprésentés − classes 9 à 11 : 13 % des trajectoires. Il rassemble à lui seul 54 % des mois d’activité réduite observés dans l’échantillon, pour la période étudiée.
46Deux classes retiennent particulièrement notre attention dans cet article. Il s’agit des classes réunissant les individus qui recourent très fréquemment (presque tous les mois) à l’activité réduite, en cumulant salaire et allocation. Dans l’une de ces classes (classe 10), les intérimaires et intermittents sont surreprésentés. L’activité réduite leur permet de lisser leurs revenus mensuels, en couvrant les périodes peu ou non travaillées, et répond ainsi aux difficultés induites par des trajectoires d’emploi atypiques. Cet usage de l’activité réduite par les intermittents et les intérimaires est relativement bien connu (Issehnane et al., 2016). Il est moins souvent souligné, en revanche, que ces profils de trajectoires sont également partagés par un certain nombre d’individus relevant du régime général : 48 % des trajectoires de la classe 10 relèvent du régime général. L’activité réduite pourrait être interprétée, à ce titre, comme une « zone grise » entre le régime général et des régimes spécifiques, un « halo » de l’intermittence et de l’intérim.
47Dans la classe 9, les individus sont employés de façon durable sur des contrats particulièrement précaires (faible quotité horaire). L’indemnisation chômage en activité réduite constitue un complément structurel du revenu d’activité. Elle se substitue partiellement aux prestations sociales de solidarité : il est estimé que 60 % du surcroît de dépenses d’assurance chômage lié au cumul allocation et salaire est contrebalancé par une diminution des prestations sociales de solidarité, pour la trajectoire du parangon étudié. L’activité réduite s’apparente alors, de fait, à un outil de soutien au revenu et de lutte contre la pauvreté des travailleurs – si l’on assimile ces « chômeurs qui travaillent » à des travailleurs à part entière, en les excluant de la catégorie des demandeurs d’emploi. Cela renvoie aux débats relatifs à la définition statistique des travailleurs pauvres (Allègre, 2013). La forte augmentation des demandeurs d’emploi en activité réduite refléterait en partie le développement de contrats insuffisamment rémunérateurs pour constituer des emplois autonomes, hypothèse évoquée notamment par Paola et al. (2016), qui invite à étudier davantage les usages éventuels de l’activité réduite par les employeurs. Les rôles respectifs de l’assurance chômage et des dispositifs de solidarité face à ces mutations du marché du travail peuvent être interrogés, la frontière entre assurance chômage et solidarité apparaissant ici ténue. En termes institutionnels, il n’est pas évident de définir qui, de l’assurance chômage ou de l’État social, devrait assurer le soutien au revenu de ces « demandeurs d’emploi » (plus si souvent) atypiques.
Annexe 1. Les règles de l’activité réduite telles que définies dans la convention d’assurance chômage du 6 mai 2011
48Les règles de l’indemnisation par l’allocation de retour à l’emploi (ARE) sont définies par l’Unédic dans le cadre de conventions d’assurance chômage, révisées en général tous les deux ou trois ans. La convention d’assurance chômage en vigueur en 2012, 2013 et jusqu’au 30 juin 2014 était celle du 6 mai 2011 ; elle s’applique aux salariés dont la fin du contrat de travail intervient à compter du 1er juin 2011.
49Sous la réglementation de 2011, le cumul entre salaire et allocation est possible pour les allocataires du régime général sous trois conditions :
- l’activité réduite ne dépasse pas 110 heures dans le mois ;
- le salaire mensuel retiré de cette activité réduite ne dépasse pas 70 % du salaire mensuel précédant la perte d’emploi ;
- la durée du cumul est limitée à 15 mois, ou à la durée du droit si elle est inférieure.
50En deçà de ces plafonds, l’allocation mensuelle est diminuée d’un nombre de jours non indemnisés, selon la formule suivante :

52où :
- Nbni = Nombre de jours non indemnisés.
- Salaire = Salaire brut mensuel procuré par l’activité réduite.
- SJR = Salaire journalier de référence.
53Au-delà de ces plafonds, l’indemnisation est suspendue : l’allocataire est alors indemnisable, mais non indemnisé. Les jours non indemnisés au titre de l’activité réduite sont conservés et pourront être consommés ultérieurement.
Annexe 2. Justification de la méthode de classification retenue et des choix méthodologiques sous-jacents
54Le choix de recourir à l’analyse de séquences tient au fait qu’elle rend compte, au-delà du nombre de mois passés en activité réduite, des dimensions temporelle et séquentielle du phénomène étudié : fréquence d’alternance entre chômage total et activité réduite, précocité de l’entrée en activité réduite. Elle permet de distinguer deux trajectoires d’activité réduite comportant, sur deux ans, une même durée cumulée d’activité réduite de six mois, l’une caractérisée par six mois d’activité réduite ininterrompus, l’autre par une alternance un mois sur deux de chômage total et d’activité réduite. Cette capacité à distinguer les trajectoires selon le positionnement dans le temps des périodes d’activité réduite est importante pour caractériser le rôle de cette dernière dans le parcours des demandeurs d’emploi. La fréquence de l’alternance entre chômage total et activité réduite affecte par ailleurs le profil de revenu mensuel de l’individu, puisque les prestations sociales ne s’ajustent qu’avec un certain délai aux changements de situation professionnelle. Elle importe donc pour estimer les variations du revenu global mensuel net des demandeurs d’emploi en activité réduite.
55L’application de la méthode d’optimal matching nécessite d’abord de définir les « états » vis-à-vis de l’activité et de l’indemnisation dans lesquels chaque demandeur peut se trouver chaque mois. Les trajectoires des individus sont ensuite modélisées comme la suite de ces « états » mensuels.
56Six états mensuels sont retenus :
- 0 : absent des listes de Pôle emploi en catégories A, B ou C (en emploi ou non) ;
- 1 : inscrit à Pôle emploi sans activité réduite [11] (sans activité ou/et non indemnisable) ;
- 2 : inscrit à Pôle emploi avec activité réduite sans cumul (actif, indemnisable, mais sans cumul du revenu d’activité avec une allocation chômage) ;
- 3 : inscrit à Pôle emploi avec activité réduite et cumul faible (revenu d’activité élevé, l’allocation perçue étant faible relativement à ce revenu d’activité) ;
- 4 : inscrit à Pôle emploi avec activité réduite et cumul moyen (l’allocation représentant une part modérée du revenu total [12]) ;
- 5 : inscrit à Pôle emploi avec activité réduite et cumul fort (l’allocation représentant une part importante du revenu total).
57Les trois derniers états, concernant l’activité réduite avec cumul, ont été construits par classification ascendante hiérarchique. Cette dernière est fondée sur le nombre d’heures d’activité réduite déclaré au cours du mois, le salaire perçu au titre de cette activité, ainsi que la durée indemnisée au cours du mois. Cette méthode statistique permet de tenir compte à la fois du nombre d’heures et du salaire perçu en activité réduite [13], contrairement aux catégories administratives B et C habituellement utilisées dans la littérature. Une fois les trajectoires définies comme la succession de ces états au cours des 24 mois considérés, la méthode consiste à calculer les « distances » entre paires de trajectoires, deux trajectoires étant d’autant plus éloignées qu’il faut réaliser un grand nombre d’opérations élémentaires pour transformer l’une des trajectoires en l’autre. Par exemple pour transformer une trajectoire 2 en une trajectoire 1 (figure A), trois opérations élémentaires sont utilisées : l’insertion d’un élément dans la séquence – il pourrait s’agir de l’insertion d’un mois de chômage total « état 1 » en début de chaîne pour la trajectoire 1 –, la suppression d’un élément dans la séquence, la substitution d’un élément par un autre – comme la substitution dans la trajectoire 2 au mois 5 de l’état « chômage en activité réduite sans cumul (2) » par l’état « activité réduite faiblement rémunérée avec cumul (5) ».
Exemple de trajectoires comparables par optimal matching

Exemple de trajectoires comparables par optimal matching
58À chacune de ces opérations de transformation est associé un « coût » spécifique qui accroît la distance entre les deux trajectoires comparées. Dans cette étude, le coût de substitution entre deux états dépend de la probabilité de transition entre les deux événements : plus la probabilité de transition entre deux états est élevée, plus le coût de substitution est faible. Par exemple, les états « activité réduite sans cumul » et « activité réduite bien rémunérée » sont considérés comme proches par l’algorithme, les passages de l’un à l’autre étant fréquemment [14] observés dans les données.
59La définition de ces coûts, et donc de la distance entre les trajectoires, permet ensuite de constituer les classes de trajectoires. Pour déterminer le nombre de classes à retenir in fine dans l’analyse, on calcule les inerties interclasses et intraclasses pour différents choix possibles de nombre de classes (voir dendrogramme ci-dessous). L’inertie intraclasse doit être minimale, alors que l’inertie interclasse doit être maximale. L’objectif de cette étude étant de documenter l’hétérogénéité des parcours en activité réduite, le nombre de classes ne doit pas être trop faible, ce qui risquerait de masquer la grande diversité des profils au sein de chaque classe. La troncature au niveau de la ligne pointillée rouge est celle que nous choisissons. Elle aboutit à distinguer 11 classes de trajectoires en activité réduite.
Dendrogramme issu de l’optimal matching

Dendrogramme issu de l’optimal matching
Champs : échantillon de 10 000 demandeurs d’emploi entrant en catégories A, B ou C, en 2012, ayant déclaré au moins un mois d’activité réduite tout en étant continûment indemnisables sur ce mois, dans les deux ans qui suivent leur inscription ; France.Notes
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[1]
C’est-à-dire inscrits en catégorie A.
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[2]
Dans la littérature, différentes situations combinant recherche d’emploi, éventuellement indemnisée, et exercice d’une activité rémunérée peuvent être, selon le contexte, englobées sous le vocable assez imprécis « d’activité réduite ». Dans la suite de l’article, le terme « en activité réduite » est utilisé pour caractériser l’activité des demandeurs d’emploi ayant un droit ouvert à l’assurance chômage tout en étant inscrits en catégories B ou C, par commodité, et par cohérence avec la terminologie de l’Unédic. La terminologie « demandeur d’emploi indemnisable en activité » devrait en toute rigueur être employée.
-
[3]
En outre, les dispositions de la dernière convention d’octobre 2014 (droits rechargeables, suppression de la limite de la durée du cumul) ont élargi les possibilités de cumul, accroissant de ce fait l’attractivité du dispositif. Les effets de cette convention sont laissés hors du champ de notre article, compte tenu de la période couverte par les données exploitées (2012-2014).
-
[4]
Motivation régulièrement citée dans une enquête menée par l’Unédic auprès des allocataires en activité réduite en 2012, voir Blouard et al., 2012.
-
[5]
Les personnes en activité réduite interrogées dans l’enquête sont plus souvent employées sur des contrats à temps partiel et à durée déterminée de moins d’un mois que les personnes en emploi sans être inscrites sur les listes de Pôle emploi. En effet, 86 % des personnes exerçant une activité réduite, employées sur un contrat à durée indéterminée (CDI) sont à temps partiel, contre seulement 27 % des personnes sorties des listes pour reprise d’emploi en CDI, hors activité réduite. Par ailleurs, 18 % des personnes exerçant une activité réduite sont employées sur un CDD de moins d’un mois, contre seulement 8 % des personnes en CDD hors activité réduite.
-
[6]
L’Unédic considère l’ensemble des mois d’activité réduite déclarés par l’ensemble des personnes indemnisables par l’assurance chômage entre 2000 et 2011. De notre côté, nous considérons l’ensemble des mois d’activité réduite durant lesquels l’allocataire était indemnisable, déclarés par l’ensemble des personnes de l’échantillon, c’est-à-dire l’ensemble des demandeurs d’emploi entrés sur les listes de Pôle emploi en catégories A, B ou C (tenus de rechercher un emploi), ayant effectué au moins un mois d’activité réduite (tout en étant indemnisables durant l’intégralité du mois), dans les deux ans suivant leur entrée sur les listes. Par ailleurs, l’Unédic exclut dans son calcul les intermittents du spectacle (annexes 8 et 10).
-
[7]
Les variables supplémentaires, par opposition aux variables actives, ne contribuent pas à la construction des axes. La proximité spatiale de deux caractéristiques sur la figure 4 signifie que les individus possédant l’une des caractéristiques possèdent souvent l’autre : par exemple, la proximité des points « femme », « employé qualifié », « employé non qualifié » reflète le fait que les femmes des classes étudiées sont souvent employées, plutôt qu’ouvrières, tandis que la catégorie « ouvrier » est plus souvent associée aux hommes. La distance au centre de certaines modalités (assistante maternelle, intérim) reflète la spécificité de ces modalités : cela s’explique ici par le fait que les assistantes maternelles sont presque toutes des femmes, tandis que les hommes sont surreprésentés parmi les intérimaires. La proximité des points « intermittents » et « professions intermédiaires » traduit une qualification moyenne plus élevée des personnes intermittentes, alors que l’intérim est associé aux catégories socioprofessionnelles « ouvriers qualifiés » et « ouvriers non qualifiés ». Pour une présentation détaillée de la méthode d’analyse des correspondances multiples, voir R. Le Lan (2005).
-
[8]
L’historique d’emploi en année n - 2 est ici reconstitué par hypothèse : cet individu a un droit à indemnisation d’une durée inférieure à 16 mois au moment de l’ouverture du droit, on considère donc qu’il était en emploi en année n - 1, mais seulement quelques mois en année n - 2.
-
[9]
On notera toutefois que l’activité réduite permet de compléter les revenus d’un individu rémunéré à un salaire inférieur à 0,3 salaire minimum de croissance (SMIC), alors que la prime d’activité a été expressément calibrée pour n’intervenir qu’à partir de 0,5 SMIC et ne pas favoriser, ainsi, le développement des contrats précaires.
-
[10]
En effet, la diminution de revenu résultant de l’impossibilité de cumuler allocation chômage et salaire d’activité serait partiellement compensée par l’augmentation d’autres prestations sociales destinées à soutenir le revenu (aides au logement, prime d’activité ou RSA socle notamment).
-
[11]
L’activité réduite est ici définie au sens de l’assurance chômage : sont considérés en activité réduite les demandeurs d’emploi exerçant une activité réduite tout en étant simultanément indemnisables par l’assurance chômage. Cet état comprend ainsi la situation dans laquelle le demandeur d’emploi serait inscrit un mois donné tout en exerçant une activité réduite, mais sans être indemnisable.
-
[12]
En moyenne, l’allocation a été versée pendant dix jours au cours du mois. Le reste du mois, les allocataires n’ont perçu que leur salaire d’activité.
-
[13]
L’individu statistique considéré pour mettre au point cette méthode est le mois d’activité réduite. Nous avons choisi de ne pas fixer de façon théorique les seuils d’heures d’activité réduite et de salaire permettant de construire des classes de mois d’activité réduite, mais de nous en remettre aux résultats d’une classification ascendante hiérarchique (CAH) neutre. Nous avons choisi, pour construire nos « états », une classification ascendante hiérarchique fondée sur trois variables : le nombre d’heures d’activité réduite déclaré au cours du mois, le salaire perçu au titre de cette activité, ainsi que la durée indemnisée au cours du mois. Les résultats de la CAH nous ont conduites à retenir trois classes, dans lesquelles nous avons pu calculer le salaire moyen perçu, le nombre moyen d’heures travaillées, ainsi que la durée moyenne indemnisée.
-
[14]
Le passage de l’un à l’autre dépend de façon continue du ratio du salaire d’activité sur le salaire journalier de référence. Une légère différence d’augmentation du salaire d’activité peut faire basculer un demandeur d’emploi de la catégorie « activité réduite bien rémunérée » vers la catégorie « activité réduite sans cumul ».