1Cet appel à contribution s’adresse aux chercheurs en philosophie, science politique, histoire, géographie, droit, économie et sociologie, ainsi qu’aux acteurs du champ de la protection sociale.
Les articles sont attendus avant le 1er février 2017
2Les minima sociaux, visant à assurer un revenu minimum à une personne ou à une famille en situation de précarité, existent à des degrés divers dans tous les pays européens. Versées sans contrepartie de cotisations, ces prestations sociales sont destinées à lutter contre l’exclusion et la très grande pauvreté. Elles concernent des populations aussi diverses que les chômeurs de longue durée, les personnes handicapées, les personnes âgées, les jeunes adultes ou tout autre groupe exposé à un risque de fragilité sociale.
3Depuis la crise économique et financière de 2008, la situation a beaucoup évolué, tant du point de vue du nombre de personnes percevant les minima sociaux que de celui des réformes entreprises pour assurer leur financement.
4En France, du fait de l’augmentation rapide du nombre d’allocataires de minima sociaux (tous minima confondus), soit plus de 4 millions en 2014 [1], la RFAS a souhaité procéder à un nouveau bilan de ces prestations, et ce dans un contexte de comparaison avec nos pays voisins. Dans quelle mesure ces dispositifs ont-ils amélioré – ou au contraire détérioré – leurs performances relatives à la réduction de la pauvreté, compte tenu du développement des emplois précaires, de la crise du logement et de la baisse du niveau de vie des personnes les plus pauvres ces dernières années ?
5On constate que les pays européens, confrontés aux mêmes situations de fragilité, procèdent de façon très différente pour assurer une vie décente aux personnes en situation de précarité : celle-ci n’est pas définie de la même manière partout, les allocations sont de niveaux très disparates et les périmètres des populations susceptibles de bénéficier des minima sociaux ne se recouvrent pas d’un pays européen à l’autre. Il est vrai que l’introduction des minima sociaux dans les pays européens s’est effectuée différemment, à des époques différentes, et a abouti à des systèmes dont la finalité est voisine, mais dont les modalités varient souvent de façon considérable.
6Ainsi, pour mieux comprendre les systèmes de nos pays voisins et s’inspirer de leurs éventuelles réussites ou échec au regard de leurs objectifs, la RFAS souhaite également réunir des études portant sur l’organisation des minima sociaux dans d’autres pays européens.
7À la suite de la crise économique et financière, la plupart des pays européens ont procédé à des réajustements de leurs dispositifs. Quels résultats de ces réformes au regard des objectifs poursuivis et compte tenu des variations de la situation économique ? En ce qui concerne la France, par exemple, les bénéficiaires du revenu de solidarité active - RSA (dont le nombre a connu une hausse de +12,9%, entre 2012 et 2014, mais de seulement +2,6% en 2015), les difficultés d’insertion sur le marché du travail se sont-elles aggravées dans un contexte où le taux de chômage reste élevé ?
8Les nombreuses critiques adressées aux minima sociaux [2] (complexité excessive, manque de lisibilité pour les personnes éligibles, importance du non recours, effets de seuil, risque de stigmatisation sociale….) ont ainsi contribué à l’émergence sur la scène médiatique de tous les pays européens de nombreux débats sur les avantages et inconvénients d’un « revenu universel » ou « de base » qui à leur tour ont réactualisé les controverses sur ces dispositifs. Dans ce contexte, il convient donc de dresser un nouveau bilan de l’ensemble de ces prestations non seulement en France, mais dans l’ensemble des pays européens, afin de permettre une prise de conscience des meilleures pratiques et des réformes les plus efficaces.
Pour répondre aux nombreuses questions soulevées par cette thématique, ce numéro de la RFAS souhaite :
9• Faire le point des connaissances sur les différents thèmes exposés dans cet appel.
10• Publier des articles sur des sujets particuliers de recherche. On trouvera ci-dessous quelques suggestions de domaines de recherches regroupés en grands thèmes et sur lesquels la RFAS souhaite rassembler des contributions originales et innovantes.
THÈME 1 : Aspects transversaux des prestations et profils des bénéficiaires
11De nombreuses questions peuvent porter sur le profil des allocataires de minima sociaux : quels facteurs déterminent le montant des allocations (patrimoine, contexte familial,…) ? Quelle prise en compte des besoins des bénéficiaires dans leur calcul ? Tous les revenus sont-ils pris en compte (y compris ceux issus du patrimoine ?) ou seulement une partie ? Qu’en est-il des aides des proches ? Y a-t-il une prise en compte du niveau du patrimoine (comme pour l’Allocation de solidarité aux personnes âgées en France avec le recours sur succession) ?
12Le profil socio-économique des bénéficiaires s’est modifié dans presque tous les pays européens depuis le début de la crise économique. Quels sont les changements intervenus en la matière depuis une dizaine d’années ? Les réformes entreprises dans les pays européens ont-elles conduit à une redéfinition du périmètre des bénéficiaires, par exemple concernant leur âge ou la composition familiale (compte tenu de la croissance du nombre des familles monoparentales en particulier) ? En particulier, l’enjeu spécifique de la lutte contre la pauvreté infantile a-t-il pu guider les ajustements apportés aux minima sociaux dans certains pays ?
13La France, au sein de l’Union européenne, fait figure d’exception par le nombre important de ses dispositifs (dix contre un seul en Finlande par exemple) et la complexité des critères l’éligibilité régissant l’accès aux droits. Les autres pays européens ont-ils, en revanche, procédé à des changements significatifs dans ce domaine soit pour mieux cibler les publics les plus en difficulté ou pour simplement restreindre les dépenses publiques ? Depuis 2008, le revenu des 10 % de personnes les plus pauvres a diminué de 1 % par an en moyenne, selon l’OCDE [3]. Quelle est la réponse des pays européens à cette aggravation de la pauvreté ? Les disparités géographiques (les départements, régions et collectivités d’outre-mer pour la France, le Nord de l’Allemagne ou le Sud de l’Italie, par exemple) sont-elles plus prononcées qu’avant la crise économique, ceci débouchant éventuellement sur une polarisation spatiale accrue des bénéficiaires des minima sociaux ?
14Par ailleurs, depuis 2015, le nombre de réfugiés s’est considérablement accru dans certains pays européens. Les procédures d’accès et les critères d’éligibilité des étrangers et des nouveaux migrants aux minima sociaux ont-ils fait l’objet de modifications traduisant une tendance à une discrimination accrue ? En France, par exemple, les multiples démarches à entreprendre pour avoir accès à leurs droits n’aboutissent-elles pas à exclure plusieurs catégories de personnes potentiellement éligibles à l’Allocation pour les demandeurs d’asile (ADA) ?
15La prise en compte de la dimension du genre serait bienvenue : les femmes et les familles monoparentales sont-elles surreprésentées parmi les bénéficiaires dans tous les pays ?
THÈME 2 : Chômage et précarité sur le marché du travail
16La précarité étant souvent liée au chômage, de nombreuses questions se posent sur l’interaction entre minima sociaux et accès à l’emploi, dans un souci d’équilibre entre droits et devoirs des bénéficiaires, une conception appliquée de façon très variable dans les pays européens. Dans un contexte de précarisation accrue du travail (fréquence des CDD, durée très courte des contrats), des études longitudinales portant sur des cohortes ont-elles identifié parmi les nouveaux bénéficiaires des parcours professionnels plus chaotiques que ceux des précédentes générations ?
17Quels effets de seuil liés à la prise en compte des allocations et droits connexes ? Quels processus d’incitation à la reprise d’un emploi ? Quelle efficacité des sanctions applicables aux allocataires qui ne remplissent pas leurs obligations, s’ils sont soumis à des obligations ? Quelles offres de formation et d’accompagnement pour hâter le retour à l’emploi ? Avec quels résultats ? Dans quelle mesure les minima sociaux destinés aux chômeurs de longue durée constituent-ils des trappes à inactivité ?
18La situation des personnes handicapées, qui constituent entre 7 % et 10 % de la population des pays européens, soulève également de nombreuses questions : quelle différence de traitement fait-on entre les personnes en situation de handicap aptes au travail et celles qui ne le sont pas ? Beaucoup d’entre elles sont en effet inaptes au travail dans nos pays. Comment analyser leur situation pour les faire bénéficier des minima sociaux ? Quels critères sont pris en compte dans le calcul de leur allocation ? Quelles sont les mesures d’insertion spécifiques pour améliorer leur situation ? Quelle perte de revenu éventuelle lors de la reprise d’un emploi ? Pourquoi cette réticence, dans bon nombre de pays, dont la France, de créer une protection spécifique contre la dépendance ?
THÈME 3 : Les personnes âgées et le minimum vieillesse
19L’allocation de solidarité aux personnes âgées, qui concerne plus de 500 000 personnes en France [4], existe sous des formes diverses dans la plupart des pays européens. Quels sont les systèmes mis en place dans les différents pays pour assurer que tout retraité ait droit à un minimum de ressources pour vivre ? Les aspects susceptibles d’être étudiés, à fins de comparaison, peuvent porter sur le périmètre des personnes concernées : dans quelle mesure l’âge, l’état de santé, le nombre de trimestres cotisés pour en bénéficier, totalement ou en partie, pour ne citer que ces exemples, sont-ils pris en considération ? Quelle prise en compte de leurs ressources ? Quelles conditions d’obtention d’éventuelles majorations ? Dans quelles conditions le conjoint survivant peut-il bénéficier à son tour du minimum vieillesse de réversion ? Comment est calculé son montant ?
THÈME 4 : Les jeunes adultes
20La lutte contre la pauvreté et la désaffiliation des jeunes adultes est un sujet majeur de réflexion pour les pouvoirs publics en France et ce dossier pourrait également permettre de faire le point sur les dispositifs existant ailleurs en Europe.
21À quels minima ont-ils droit ? Sous quelles conditions d’âge, de ressources, de formation et d’insertion ? Sont-ils dans le droit commun ? Sinon qu’est-ce qui les en distingue ?
22Prend-on en compte les ressources des parents ? Y a-t-il une obligation alimentaire ?
THÈME 5 : Les droits connexes légaux
23Dans la plupart des pays européens, le droit aux minima sociaux, que ce soit en situation de chômage de longue durée, d’âge ou d’invalidité, ouvre des droits à d’autres prestations ou à des avantages parfois multiples, un aspect souvent négligé dans l’étude des systèmes sociaux. Qu’en est-il de l’accès au logement social et de l’aide au logement ? Quel est l’impact éventuel sur la situation de l’allocataire en matière fiscale ? Quelle prise en charge de ses frais de santé ? Quelle est la situation des bénéficiaires avec enfants en matière de prestations familiales ?
24Un autre aspect des droits connexes concerne les avantages spécifiques accordés dans certains pays aux bénéficiaires des minima sociaux : qu’en est-il des mesures ponctuelles, telles qu’une prime de Noël ou des chèques vacances ? Quelle incidence sur le paiement des factures de téléphone, d’électricité, de gaz ou d’eau ? Quel accès privilégié aux dispositifs de lutte contre les exclusions ? Les transferts sociaux locaux pourraient aussi donner lieu à des investigations pour tenter de procéder à des évaluations de leur efficacité dans le contexte de de politiques publiques centralisées.
THÈME 6 : Les organismes gestionnaires des minima sociaux : vécu et conditions de travail des salariés
25Ce thème est divisé en deux questions.
26Tout d’abord : quelle est la gouvernance des minima sociaux dans les pays considérés : qui les gère, qui les verse ? S’agit-il des communes, des régions, de l’État, de caisses de sécurité sociale ou d’autres acteurs ? Comment s’articulent les organismes versant les prestations et les organismes en charge de l’accompagnement professionnel ? Sont-ils fusionnés ? Sinon, comment collaborent-ils (conventionnement, appel d’offres, …) ?
27Ensuite, nous remarquons que dans les caisses d’allocations familiales (CAF) l’augmentation du nombre de dossiers à traiter oblige parfois la direction de certaines caisses à fermer temporairement leur établissement pour faire face à l’afflux de demandes ou de réclamations, entraînant ainsi une dégradation de la qualité de l’accueil des allocataires concernés.
28Par ailleurs, les agents des CAF semblent de plus en plus souvent victimes d’incivilités et parfois d’agressions verbales ou physiques. L’exaspération de certains allocataires, provoquée par des retards de paiement ou par leur incompréhension des procédures conduisant à la cessation de leurs droits, confronte les agents des CAF à des situations difficiles à gérer. Leurs conditions de travail s’en ressentent.
29Dans ce contexte de tensions sociales, quel rôle les travailleurs sociaux sont-ils en mesure de jouer ?
30Aux thématiques évoquées ci-dessus pourraient s’ajouter des travaux qui ont pour objet l’étude de questions qui ont surgi plus récemment, telles que celle portant sur la création éventuelle d’une allocation universelle versée à tous sans considération d’âge et de ressources. Cette question, actuellement débattue en France, a déjà reçu un début de réponse dans certains pays européens, des tentatives qu’il serait intéressant d’examiner.
□ Les auteurs souhaitant proposer à la revue un article sur cette question devront l’adresser accompagné d’un résumé et d’une présentation de l’auteur (cf. les « conseils aux auteurs » de la RFAS [en ligne] http://drees.social-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/publications/revue-francaise-des-affaires-sociales/) à cette adresse :
Avant le 1er février 2017
Notes
-
[1]
Au 31 décembre 2014, 4,13 millions d’allocataires perçoivent l’un des neuf minima sociaux existant en France, soit une hausse de 2,7 % en un an (Mathieu Calvo (DREES), 2016, « Minima sociaux : la croissance soutenue du nombre d’allocataires s’atténue en 2014 », Études et Résultats, n°964, Drees, Juin [en ligne] http://drees.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er964.pdf).
-
[2]
Voir le rapport du député Christophe Sirugue au Premier ministre « Repenser les minima sociaux. Vers une couverture socle commune », avril 2016 (http://www.gouvernement.fr/partage/6952-remise-du-rapport-de-christophe-sirugue-repenser-les-minima-sociaux-vers-une-couverture-socle).
-
[3]
Base de données sur la distribution des revenus de l’OCDE, juin 2014 (https://www.oecd.org/fr/els/soc/OCDE2014-Le-point-sur-les-inegalites-de-revenu.pdf).
-
[4]
554 200 bénéficiaires de l’allocation supplémentaire vieillesse (ASV) ou de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) au 31 décembre 2014 (Mathieu Calvo (DREES), 2016, « Minima sociaux : la croissance soutenue du nombre d’allocataires s’atténue en 2014 », Études et Résultats, n°964, Drees, Juin [en ligne] http://drees.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er964.pdf).