CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dans un contexte d’accroissement de la pauvreté et des inégalités dans le monde, la création d’un revenu universel sans condition est en débat en Europe et plus particulièrement en France. Ce concept qui prévoit l’attribution du même montant à tous sans considération de revenu ni de patrimoine et sans aucune contrepartie en termes de travail est une idée déjà ancienne, mais, quelques expérimentations mises à part, il n’est encore entré nulle part en vigueur dans le monde. C’est la valeur du travail rémunéré en tant que moyen assurant la subsistance des hommes qui a été à l’origine des débats actuels. Carcan aliénant qu’il convient de briser pour les uns, outil d’émancipation et d’affirmation sociale pour les autres, son rôle dans une économie où la robotisation pourrait progresser à grands pas est vivement discuté. Si l’idée est séduisante pour le plus grand nombre, c’est la faisabilité pratique qui pose problème, notamment en raison du foisonnement des propositions portant sur le montant du revenu universel, son positionnement comme substitution ou en complément des minima sociaux. S’agissant d’une refonte totale du système actuel, le coût d’une telle mesure est considérable, même en fixant un montant relativement modeste et en y intégrant certaines allocations existantes. Pour la financer, deux voies sont principalement évoquées, celle de l’impôt négatif prôné par les libéraux et celle d’une augmentation massive des impôts payés par les bénéficiaires de hauts revenus, voire des classes moyennes, solution soutenue par la gauche.

Introduction

2Le revenu de base sans conditions de ressources – une idée qui remonte au xvie siècle – est actuellement débattu, voire expérimenté, dans plusieurs pays. Les inégalités socio-économiques allant croissant, notamment dans les pays développés, la conviction s’étend que les minima sociaux ne sont pas l’instrument adéquat pour combattre la pauvreté qui touche un pourcentage important de la population, tant en Europe qu’ailleurs dans le monde [1]. L’idée du revenu universel, considéré comme le meilleur moyen pour lutter contre la misère et le déclassement, séduit à gauche comme à droite, et se trouve d’autant plus au centre des débats dans certains pays qu’une élection nationale se profile à l’horizon. Que ce soit au nom d’un partage égalitaire des ressources naturelles, de l’accès de tous à l’héritage technologique du passé ou de l’égale contribution de tous les citoyens au fonctionnement de la société, un large consensus a émergé autour de la notion que tous les citoyens ont droit à une vie décente. Les raisonnements avancés pour appuyer la demande de changement peuvent varier, allant de la complexité du système de minima sociaux actuel à la mise en cause du capitalisme en passant par la crainte de la disparition du travail, mais la demande d’une réforme en profondeur est la même.

3Or les débats auxquels les médias donnent un large écho montrent l’extrême complexité du sujet qui affleure déjà dans la multitude d’appellations d’un système – revenu universel, revenu de base, allocation sans conditions, revenu d’existence, revenu décent – dont le périmètre varie selon les propositions émises. Les questions sont en effet nombreuses : un revenu universel sans conditions de ressources ou sous conditions ? Pour se substituer aux minima sociaux, à tous ou à certains ? À partir de quel âge ? À cette question cruciale du périmètre d’application s’ajoutent des interrogations sur le financement de la mesure et sur ses éventuels effets sur le travail et l’emploi. Après un retour sur la naissance de ce concept et un aperçu des différentes applications qu’il a connu, cette contribution se propose d’analyser les arguments avancés par les protagonistes du revenu universel ainsi que ceux de ses détracteurs. S’agissant d’un changement de système tel qu’aucun pays au monde ne l’a expérimenté jusqu’à présent, il est essentiel de se pencher sur les différentes études concernant le coût des mesures proposées ainsi que leurs modalités de financement. Le revenu universel n’étant toujours qu’au stade du débat, les conclusions ne pourront être que partielles et provisoires.

Définition et naissance du concept

4La définition du revenu de base est difficile à établir, car elle dépend de la vision de sa fonction aux yeux de ceux qui le proposent. Dans sa forme la plus pure, il présente les caractéristiques suivantes :

  • le montant du revenu universel, individualisé, est le même pour tous, sans considération d’éventuels revenus du travail ou de patrimoine ;
  • aucune contrepartie en termes de travail ou de participation aux tâches de la société n’est exigée pour en bénéficier.

5Ces principes posés, on constate que la plupart des protagonistes s’interrogent sur les variables d’application et d’éventuelles variantes possibles :

6– À partir de quel âge les personnes peuvent ou doivent le percevoir ? À la naissance ? À la majorité ?

7– Ne faudrait-il pas en faire varier le montant selon l’âge des bénéficiaires ?

8– Le montant du revenu universel doit-il couvrir l’ensemble des dépenses nécessaires à la vie des citoyens, la nourriture, le logement, l’éducation des enfants, l’accès à la culture, etc. ?

9– Doit-il se substituer aux minima sociaux actuels et, si oui, auxquels et dans quelle mesure ? Doit-il se substituer également aux aides de l’État du type aide au logement, voire aux assurances sociales ?

10– Comment financer le revenu universel pour tous ?

11Les réponses à ces questions montrent que deux catégories de concepts se dégagent actuellement, une conception dite sociale qui prévoit un revenu minimum décent pour tous, leur permettant d’en vivre sans être obligé de travailler, et une conception dite libérale qui voit dans le revenu universel un instrument destiné à se substituer aux minima sociaux actuels pour mettre fin à un système considéré comme complexe et onéreux [2]. Dans le premier cas, ses défenseurs considèrent qu’il s’agit d’une mesure de libération des travailleurs, car, assurés de moyens de subsistance corrects, ils pourraient envisager de se consacrer à des activités autres que l’emploi salarié, telles que le bénévolat ou la participation à la vie politique, par exemple. La vision libérale privilégie le concept de la simplification du système des minima sociaux en les réunissant dans une allocation unique. Les moyens financiers nécessaires divergent fortement d’un concept à l’autre.

12Le débat actuel en France autour de la notion de revenu universel tend à occulter le fait que cette idée n’est pas nouvelle. Elle aurait été avancée pour la première fois par l’auteur britannique Thomas Morus qui a proposé dans son roman Utopia publié en 1516 que tous les citoyens du pays reçoivent des moyens financiers pour vivre afin d’éviter qu’ils ne soient obligés de voler. L’idée de Thomas Morus a été très rapidement reprise et développée dans la plupart des pays européens. La justification de l’attribution d’un revenu universel aux citoyens se fondait pour ces penseurs sur ce qu’ils appelaient le « droit naturel ». Estimant que la terre appartenait à tous, ils considéraient que la propriété privée du sol ne permettait plus à la population d’en profiter – par la chasse, la pêche, la cueillette ou l’accès libre aux pâturages communs – et que la société leur devait par conséquent un revenu universel en tant que compensation [3]. C’est un penseur belge, Joseph Charlier, dans son ouvrage Solution du problème social ou constitution humanitaire basée sur la loi naturelle, qui le premier, dès 1848, a esquissé le concept d’un revenu de base garanti. Selon lui, tout citoyen irréprochable devait percevoir une allocation trimestrielle ou mensuelle dont le montant serait fixé par le gouvernement. La mesure serait financée par l’attribution de droits d’utilisation des ressources naturelles, une conception incompatible avec la propriété privée. Plus près de nous, et de l’autre côté de l’échiquier politique, c’est l’économiste américain libéral Milton Friedman, l’inspirateur des politiques de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, qui a proposé le revenu universel sous forme d’impôt négatif dans son ouvrage Capitalism and Freedom de 1962.

13Si l’intérêt des penseurs pour la création d’un revenu universel s’est développé en Europe, le xxe siècle a vu cette idée prendre racine dans le monde entier, en Australie, au Canada et en Nouvelle-Zélande, par exemple, au point de permettre à ses défenseurs d’engranger quelques succès électoraux. Aux États-Unis, l’idée s’enracina également dans les années 1970. Le défenseur du revenu universel le plus connu, Martin Luther King, parvint même à convaincre le président de l’époque, Lyndon B. Johnson, d’instaurer une commission destinée à étudier cette question. Un certain nombre de projets pilotes a vu le jour, tant au Canada qu’aux États-Unis, mais leur généralisation s’est heurtée partout à l’opposition de la majorité des électeurs, un phénomène observable encore récemment en Europe, où les électeurs néerlandais et suisses ont opposé une fin de non-recevoir à l’idée d’un revenu minimum pour tous. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que les tentatives de réalisation soient peu nombreuses et parcellaires.

Tentatives de réalisation

14Depuis les années 1970, plusieurs expérimentations ont eu lieu dans le monde, en Inde, en Namibie et au Kenya, par exemple, qui se caractérisaient soit par un petit nombre de personnes concernées, soit par le versement d’un montant relativement faible, soit par des problèmes au niveau politique. Dans les années 1970, une initiative a été réalisée à une large échelle au Canada. Le Mincome a été versé pendant cinq ans à certains habitants du Manitoba, mais il a été mis fin à cette expérience à la suite d’une alternance politique, sans qu’un bilan en fût dressé.

15Le Brésil est allé plus loin en inscrivant en 2004 le droit à un revenu universel sans conditions dans sa Constitution. Cette prestation, destinée à tous les citoyens présents dans le pays depuis au moins cinq ans, devait couvrir les besoins de base dans les domaines de la nourriture, de l’éducation et de la santé de tous, indépendamment du fait qu’ils aient un emploi ou qu’ils détiennent un patrimoine. Cette mesure est le pas le plus important jamais réalisé en vue de l’introduction du revenu universel [4]. Si le Brésil doit faire face à des problèmes de financement pour réaliser son engagement désormais inscrit dans la Constitution, deux pays, l’Alaska et la Mongolie, s’inspirant des réflexions de Thomas Paine sur la propriété naturelle, ont introduit un revenu universel dont le financement est garanti par des ressources de l’État, le pétrole pour l’Alaska et l’or et le cuivre pour la Mongolie. Toutefois, si dans ces deux cas le revenu est versé sans condition de ressources, le montant perçu est trop faible pour couvrir toutes les dépenses nécessaires.

16En Europe, l’idée séduit aussi, mais l’intérêt reste marginal, et les tentatives comme celle, récente, dans plusieurs municipalités des Pays-Bas, n’aboutissent pas. En Suisse, où la création d’un revenu universel a été soumise à référendum en 2016, la population s’est opposée à 78 % à ce que soit accordé un montant de 2 500 francs suisses par mois à chaque citoyen ainsi qu’aux étrangers présents sur le territoire helvétique depuis au moins cinq ans. C’est la Finlande qui, la première, s’est lancée dans l’expérimentation du revenu universel. L’objectif de cette expérimentation d’une durée de deux ans, qui a débuté le 1er janvier 2017, est d’étudier si l’attribution du revenu universel a un effet dissuasif sur la recherche d’emploi (Kanga et al., 2016). C’est pourquoi les personnes tirées au hasard qui participent à ce test sont toutes des chômeurs âgés de 25 à 58 ans qui touchent 560 euros mensuels sans aucune contrepartie. Les allocations chômage sont supprimées, le revenu universel les ayant remplacées, mais ils continuent de bénéficier de l’allocation logement et du remboursement des frais médicaux, s’il y a lieu. Le revenu universel leur reste acquis, même s’ils retrouvent du travail. Le coût de la mesure est évalué à 20 millions d’euros sur deux ans. Si les résultats sont concluants, le gouvernement envisage de l’étendre à l’ensemble du pays. On peut s’étonner de la faiblesse du montant alloué aux bénéficiaires, le revenu moyen des Finlandais étant supérieur à 2 200 euros [5]. Le financement du revenu universel, s’il devait être étendu à l’ensemble du pays, n’a pas été évalué, mais les résultats de l’étude seront observés avec attention tant au niveau des gouvernements qu’à celui des nombreux acteurs civils intéressés par le sujet. Il est vrai que les expérimentations entreprises dans divers endroits du monde ont rarement bénéficié d’un accompagnement scientifique [6].

Les arguments pour et contre le revenu universel

17L’ampleur des débats actuels est inversement proportionnelle à celle des recherches menées sur le sujet. Les arguments pour ou contre l’introduction d’un revenu universel font d’autant plus rage que les discussions ne respectent pas les lignes de partage habituelles entre la gauche et la droite, les défenseurs ainsi que les pourfendeurs se trouvant de part et d’autre, même si leurs arguments ne se recouvrent pas toujours. À examiner les prises de position des défenseurs de cette idée, on constate qu’ils relèvent de deux volets différents, une approche qu’on pourrait qualifier d’humaniste et une autre qui relèverait davantage de considérations économiques.

18La création d’un revenu universel, qualifié « d’utopie réaliste » par certains, semble en effet promettre un monde meilleur, un monde où la grande pauvreté et l’extrême précarité sont éradiquées, où, tous étant égaux devant la perception du même montant qu’on soit chômeur, ouvrier ou PDG, les laissés pour compte retrouvent leur dignité. Ce caractère d’universalité et d’inconditionnalité, attrait puissant, s’accompagne en effet de la suppression de ce maquis des minima sociaux dans lequel bon nombre de demandeurs n’osent plus s’aventurer, écrasés par la prolifération des justificatifs à produire [7], car ils n’auront plus de demande à formuler, le revenu universel leur étant attribué d’office. À l’argument du recul, voire de l’éradication de la pauvreté s’ajoute donc celui d’une plus grande égalité, une notion de plus en plus mise à mal dans nos sociétés actuelles.

19Recul de la pauvreté, égalité, mais aussi davantage de liberté, car le revenu universel est perçu comme le moyen de se libérer du carcan du travail en tant qu’obligation. Les moyens de subsistance étant assurés, les citoyens peuvent s’adonner à l’activité qui leur permet de s’épanouir, que ce soit le bénévolat ou toute autre activité artistique ou sportive, un choix d’autant plus séduisant que les emplois de très courte durée et sans attrait se multiplient [8]. Le travail rémunéré ne serait plus conçu comme le centre de la vie de chacun, mais un choix de vie parmi d’autres. Aucune contribution au fonctionnement de la société n’est réellement exigée, mais les individus peuvent bien entendu exercer une profession rémunérée, ce qui aurait l’avantage de leur procurer un revenu supplémentaire. Cette vision s’inspire de la conception de propriété naturelle de Thomas Paine, même si elle est rarement citée. Se libérer du travail est perçu comme d’autant plus nécessaire par les défenseurs du revenu universel, qu’ils estiment qu’il est déjà en train de se raréfier, voire de disparaître.

20D’après eux, la menace de la fin du travail, théorisée déjà en 1995 par l’essayiste américain Jeremy Rifkin [9], se concrétise de façon croissante avec l’avènement de la robotisation. Toutefois, la raréfaction ou la disparition du travail salarié n’est pas perçue comme une menace par tous les tenants du revenu universel, mais plutôt comme une évidence. Si la plupart des métiers, ceux de l’enseignement et de la santé peut-être exceptés, sont susceptibles d’être pris en charge par des robots, ils estiment qu’il serait temps de prendre des mesures pour s’assurer que la population puisse bénéficier d’un revenu stable. Dans un article paru dix-huit ans après celui de Rifkin, deux chercheurs américains [10] ont calculé les risques de disparition de plus de 700 métiers. D’après eux, 47 %, près d’un actif américain sur deux, travailleraient dans un secteur où le recours à l’informatique les pousserait vers la sortie. Ce sont donc essentiellement des arguments de liberté qu’avancent les protagonistes du revenu universel, liberté et autodétermination dans un monde qui serait en passe de s’affranchir de la notion de travail.

21Les opposants au revenu universel réfutent ces arguments, tant le scénario catastrophe de la disparition prochaine du travail que son caractère aliénant. La fin du travail a été pronostiquée un certain nombre de fois, généralement pendant des époques de grande fragilité économique, telles que la grande dépression des années 1930 ou la crise pétrolière des années 1970, périodes marquées par une explosion du chômage. Or, aucune étude statistique nationale ou internationale n’a fait état d’une éventuelle disparition du travail. Le récent rapport du Conseil d’Orientation pour l’Emploi de 2017, dont le premier tome étudie les effets possibles du progrès technologique sur la structure de l’emploi, conclut que, si « la moitié des emplois existants pourrait voir son contenu notablement ou profondément transformé, moins de 10 % des emplois cumulent des vulnérabilités qui pourraient en menacer l’existence dans un contexte d’automatisation [11]. » Si la plupart des spécialistes [12] s’accordent sur le fait que la nature des emplois risque de se modifier sous l’impact des nouvelles technologies, le travail ne disparaîtra pas, comme le montre l’étonnante stabilité de la prééminence des contrats à durée indéterminée, en dépit de la montée incontestable des contrats de très courte durée [13]. Par contre, les opposants au revenu universel soulignent le danger que la perception d’un revenu régulier sans contrepartie ne conduise à un refus du travail des bénéficiaires, ce qui pourrait conduire à de graves pénuries dans certains métiers difficiles à robotiser, notamment dans le domaine des activités à caractère social.

22Sur le caractère aliénant du travail, la plupart des opinions sont tout aussi tranchées. Si bon nombre de penseurs estiment que le travail ne peut être considéré comme un facteur d’intégration et de reconnaissance sociale en se référant sans doute à la prolifération d’emplois précaires dans les pays développés, d’autres sont plus nuancés, voire totalement opposés à cette vision. Pour eux, le travail possède des fonctions qui vont bien au-delà de l’assise financière qu’il procure. L’indépendance économique s’accompagne en effet de la reconnaissance sociale que procure l’insertion dans un contexte qui permet aux travailleurs de s’affirmer comme élément utile, non seulement au sein d’une entreprise quelle qu’elle soit, mais dans la société dans son ensemble. L’emploi dans nos sociétés capitalistes est encadré par une multitude de règlements, comme en témoignent les Codes du travail qui existent dans tous les pays qui se réclament de ce régime. Il est inséré dans le dialogue entre patronat et syndicats et il commande la plupart des volets de la protection sociale. C’est pourquoi les opposants au revenu universel considèrent que le travail a une fonction d’émancipation que le revenu versé à tous sans condition aucune ne peut conférer. C’est ce qu’affirme Robert Castel dans un article publié en 2012 peu avant sa mort, en déclarant son opposition au revenu universel au nom de la « reconnaissance de l’utilité sociale du travailleur [14] ». Si la plupart des penseurs opposés au revenu universel ne nient pas ce que le travail peut avoir d’aliénant, ils considèrent que ce qu’on appelle « le compromis social du capitalisme industriel » a apporté une « citoyenneté sociale » aux travailleurs assortie d’un statut aux droits supérieurs à ceux accordés dans les pays dits socialistes.

La question du financement

23L’instauration d’un revenu universel proposée actuellement par certains milieux politiques en France et dans plusieurs pays européens, idée qui jouit d’une réelle popularité, soulève la question cruciale de son financement. Les indications qui existent à ce sujet sont très floues, et ce pour une raison essentielle déjà évoquée : ni le périmètre des personnes concernées ni le montant à leur verser ne font l’objet d’un consensus. Le revenu universel serait-il versé à tous dès la naissance ? Ou à tous à partir d’un certain âge ? Viendrait-il en complément aux minima sociaux existants, à certains d’entre eux ou à tous ? Ou, au contraire, est-il destiné à se substituer à eux ? Doit-il être d’un montant qui couvre l’ensemble des besoins d’existence des citoyens ou ne serait-ce qu’un complément ? Toutes ces incertitudes font qu’il est impossible de proposer un schéma chiffré sérieux. Dans le débat actuel en France, des ordres de grandeur de 350 milliards à 400 milliards de coûts supplémentaires sont évoqués, sachant que les minima sociaux actuels seraient maintenus. Étant donné que l’ensemble des impôts représente environ 600 milliards d’euros du côté des recettes (Cadoret, 2016), ce changement impliquerait un effort considérable.

24Sur le principe, plusieurs pistes de financement sont évoquées, à savoir, l’imposition des ressources naturelles, la création d’un impôt négatif ainsi que celle d’une imposition accrue des hauts revenus. Même la contribution de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) a été citée comme source de financement possible [15]. Le financement par le recours aux ressources naturelles, tel qu’il existe par exemple en Alaska et en Mongolie, n’est guère évoqué, la plupart des pays n’ayant pas de ressources de ce type en quantité suffisante. Une méthode de financement par l’impôt sur le revenu, moins souvent évoquée, est l’impôt négatif. Considérée comme une idée de droite, car prônée par le Prix Nobel d’économie Milton Friedman, elle a le mérite de la simplicité. Les personnes pauvres perçoivent individuellement un complément de revenu de la part des pouvoirs publics, et ce sans aucune contrepartie. Si les ressources du contribuable augmentent, l’impôt négatif décroît jusqu’au stade où il devient un impôt normal versé à l’État.

25L’impôt négatif se définit par un seuil, fixé par les pouvoirs publics, à partir duquel les citoyens ne reçoivent ni ne versent d’impôt et par un taux d’imposition unique. Si on prend comme seuil 1 000 € et un pourcentage de 50 %, une personne sans aucun revenu perçoit 500 € au titre de l’impôt négatif. Chaque euro gagné de plus, jusqu’au seuil de 1 000 €, augmente le revenu d’un demi-euro. Pour un revenu du travail supplémentaire de 400 €, le récipiendaire aurait un revenu total de 700 € (500 € de l’impôt négatif ainsi que la moitié de ses gains du travail). Ce n’est qu’à partir d’un revenu du travail de 1 000 € que les citoyens deviennent contributeurs nets. La fixation du niveau de revenu où les versements de l’État cessent est évidemment une question très politique [16].

26Hormis son but premier de combattre la pauvreté, ce système présente de nombreux avantages aux yeux de ses protagonistes (Friedman, Stoleru, Parijs, de Basquiat) : il lutte contre la pauvreté, réduit le chômage et les dépenses de l’État. De plus, il évite les trappes à inactivité [17]. Son mécanisme évite que ceux qui perçoivent de hauts revenus bénéficient également de l’allocation universelle, un aspect qui paraît choquant à certains. Toutefois, aux yeux de ses détracteurs, l’impôt négatif ne correspond pas à la notion de revenu universel sans conditions, dont tous bénéficient de la même manière. Simple outil fiscal, il n’est pas de nature à conférer la liberté et l’émancipation des citoyens, de tous les citoyens, que ses protagonistes appellent de leurs vœux.

27Comparé au financement par l’impôt négatif, qui a connu un début d’application dans les pays anglo-saxons, celui par l’impôt positif apparaît particulièrement flou. Il est vrai que ces considérations ne sont sérieusement examinées que s’il existe une réelle volonté d’introduction du revenu universel. Actuellement, ce débat est surtout mené en France, où il soulève de nombreuses questions. Les besoins de financement étant étroitement liés au modèle choisi, que ce soit dans une optique de subsistance pour offrir un filet de sécurité aux pauvres ou une optique d’émancipation permettant aux citoyens de choisir entre le travail rémunéré et une éventuelle activité bénévole (Percheron, 2016), les calculs présentent de nombreuses difficultés. De plus, il convient de tenir compte de la population visée, de sa provenance, de son statut, de son âge, de conditions liées à la perception du revenu universel, etc. Les différents paramètres établis, il est possible de bâtir des hypothèses sur le coût brut des scénarios choisis. D’après une étude récente (Fondation Jean-Jaurès, 2016), les besoins de financement varieraient de 336 milliards d’euros à 675 milliards d’euros, selon le niveau du montant accordé aux bénéficiaires, qui varie de 500 € à 1 000 € par mois.

28Ces coûts très élevés, qui correspondent à 16 % ou 31 % du produit intérieur brut (PIB), doivent être corrigés en tenant compte des suppressions de dépenses éventuelles, selon l’effet de substitution recherché par les pouvoirs publics. Une partie des financements pourrait être assurée par la réallocation des fonds consacrés à certains minima sociaux, auxquels le revenu universel pourrait se substituer, comme le montre un exemple cité dans un ouvrage du Mouvement français pour un revenu de base (MFRB [18]). Toutefois, les différents promoteurs du revenu de base, qu’ils proviennent d’instituts de recherche ou du monde politique, ne s’accordent pas sur le champ des dispositifs qui pourraient être remplacés par un revenu de base, certains se limitant à une partie des prestations non contributives alors que d’autres vont jusqu’à inclure l’ensemble des prestations contributives à leur modèle. Ce foisonnement de propositions ne permet pas d’établir des hypothèses de coûts nets de l’introduction d’un revenu universel.

29La substitution du revenu universel aux systèmes de Sécurité sociale existants, un changement de paradigme d’une ampleur inégalée, s’accompagne donc, aux yeux de ses protagonistes comme de ses détracteurs, de besoins de financement considérables. C’est peut-être pour cette raison que les propositions actuelles émanant des candidats de gauche pendant la campagne électorale en France restent floues. Il est prévu de procéder par étapes en augmentant dans un premier temps le revenu de solidarité active (RSA) de 10 % à 600 euros environ et en étendant cette prestation aux jeunes de 18 à 25 ans, une mesure dont le coût est évalué à 45 milliards d’euros environ selon certains, soit l’équivalent de ce que le gouvernement actuel a concédé aux entreprises dans le cadre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), dont la suppression n’est pas prévue. Dans un deuxième temps est envisagée la tenue d’une grande conférence citoyenne en 2019 destinée à fixer le périmètre du revenu universel, c’est-à-dire son montant – une somme de 750 euros est envisagée –, son financement et son articulation avec les autres allocations sociales qui seront maintenues dans ce schéma. Du point de vue du financement, ce projet prévoit une refonte totale du système fiscal avec la fusion de l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée (CSG) accompagnée de la création d’un impôt unique sur le patrimoine réunissant tout ce qui existe actuellement, de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) à la taxe foncière en passant par les droits de mutation. Si les défenseurs de ce schéma savent que le niveau des prélèvements augmentera, ils argumentent que cette hausse n’affectera pratiquement que les plus hauts revenus, une affirmation qui n’est pas partagée par tous (Allègre et Sterdyniak 2016), vu l’ampleur des dépenses à couvrir, sans parler des endettements publics existants, voisins de 100 % du PIB.

30On peut s’étonner que, dans ce débat, deux aspects importants soient omis, celui de la position de la France économique par rapport à ses concurrents et celui de l’avenir des bullshit jobs que personne ne ferait volontiers, mais qui restent indispensables pour le fonctionnement de la société. Sur le plan économique, personne ne semble s’interroger sur l’impact du nouveau système sur les conditions de formation du PIB, la compétitivité et le volume des productions et des importations du pays, donc sur une balance des paiements actuellement déficitaire. Qui produirait les biens servant à financer les importations dans un pays où le travail est devenu facultatif ? De même pour les emplois indispensables mais peu gratifiants – les soins nécessaires aux personnes très âgées, la maîtrise d’une classe d’élèves turbulents –, qui s’en chargerait ? Il est difficile de s’imaginer que toute contrainte puisse être absente du schéma de l’introduction généralisée du revenu universel.

31Alors qu’en France les questions de financement du revenu universel gravitent essentiellement autour d’éventuelles réformes fiscales, les réflexions menées ailleurs en Europe, Suisse, Allemagne, Pays-Bas, privilégient la solution de l’impôt négatif : suppression de l’ensemble des minima sociaux et des allocations de toute nature, suppression de toutes les cotisations, mais imposition de la création de valeur à la source depuis le premier euro, tant du travail que du capital, des hommes et des robots, ce qui implique la définition préalable par le gouvernement du montant de l’allocation et du taux d’imposition, deux valeurs également uniformes pour tous. Alors que l’État social actuel corrige a posteriori les dysfonctionnements du système, l’impôt négatif prôné par des penseurs comme Straubhaar par exemple fixe les règles a priori, simples et faciles à comprendre d’après lui, comparées au maquis des correctifs sociaux actuels. Le revenu universel financé par l’impôt positif, tel que le projet s’en dessine actuellement en France, tend toutefois à maintenir la profusion d’allocations, donc un fort accroissement des impositions malgré le « ras-le-bol fiscal » déjà sensible actuellement.

Conclusion

32Le concept du revenu universel est favorablement accueilli dans la plupart des pays européens où quelques expérimentations, sur une très petite échelle, sont envisagées ou ont été mises en place. Toutefois, aucun pays n’envisage pour l’instant une transformation aussi radicale que celle débattue actuellement en France où il est question de supprimer à terme l’ensemble des minima sociaux pour leur substituer un revenu universel octroyé sans aucune contrepartie en termes de travail. À la faveur de la campagne présidentielle 2017, de nombreux candidats, de gauche comme de droite, se sont emparés du sujet. Les propositions avancées varient très fortement, tant en ce qui concerne le montant du revenu universel que les coûts et les modalités de financement. Deux modèles s’opposent, un modèle libéral et un modèle à vision sociale. Pour le premier, la nouvelle allocation se substitue à l’ensemble des minima sociaux actuels. Elle a l’avantage de mettre fin à la complexité du système actuel qui conduit à un taux important de non-recours et, en raison de la suppression de toutes les aides existantes, son coût net est moins important. En revanche, elle n’a que peu d’effet sur le combat contre la pauvreté. Le deuxième modèle prévoit de même le versement d’une allocation individualisée uniforme pour tous, mais celle-ci vise l’introduction d’un revenu d’existence décent, à un niveau égal ou légèrement supérieur au seuil de pauvreté. Cette exigence conduit ses défenseurs à maintenir le filet de Sécurité sociale actuelle. Le coût net de ce système est nettement supérieur.

33La plupart des propositions avancées dans ce débat s’apparentent à l’un ou l’autre de ces deux modèles, mais les variantes sont nombreuses, car, avec dix minima sociaux existant actuellement en France, qui sont autant de réponses à des aléas de la vie différents, la majorité des projets estime indispensable de les maintenir, tous ou au moins certains d’entre eux. Dès lors, les estimations de coûts varient considérablement. Pour ce qui est du financement du revenu universel, ou plutôt de la refonte totale du système de couverture sociale, les milieux politiques restent discrets, conscients du fait que la France fait partie des pays européens les plus soumis à la pression fiscale. Toutefois, un certain nombre d’études ont été publiées qui explorent la faisabilité financière des projets. Deux méthodes principales se dégagent de ces travaux. La version libérale préconise le financement par l’impôt négatif qui impose l’ensemble des revenus du travail et du capital dès le premier euro, mais qui prévoit le versement d’un certain montant à tous ceux qui ont un revenu inférieur à une somme à définir. L’impôt négatif se substitue à l’ensemble des allocations. Il peut être plus ou moins généreux selon le montant fixé par les pouvoirs publics, désireux ou non de maintenir une incitation au travail. L’autre méthode prévoit une augmentation considérable des impôts et une refonte du système fiscal actuel pour réunir les moyens nécessaires au financement du revenu universel. Devant les débats sur les questions financières, les autres aspects de nature plus philosophique sur la valeur du travail ou le changement de nature des emplois, débats lancés par nombre de penseurs en France, sont passés à l’arrière-plan ; il en est de même des conséquences sur les équilibres économiques qui ne sont pas évoqués.

34En bref, il est très difficile de décrire une société où serait instauré un véritable revenu universel, couvrant l’intégralité des besoins et sans conditions. Les problèmes concrets seraient multiples et immenses ; à tout le moins, la nécessité de l’assortir de conditions de perception, comme dans l’exemple brésilien, apparaîtrait très rapidement. On irait ainsi vers une société nouvelle créée par une véritable révolution qui en toucherait tous les aspects, mais qui aussi devrait être soumise à des contraintes peut-être très lourdes. Dans ces conditions, on peut se demander si une réforme en profondeur du système de minima sociaux ne serait pas préférable à un tel saut dans l’inconnu, ce qui n’empêcherait pas – et préparerait éventuellement – une évolution ultérieure.

Notes

  • [1]
    À titre d’exemple, le nombre d’allocataires de minima sociaux en France était d’environ 4 millions en 2014 contre 3,3 millions en 2000. En Allemagne – pays réputé prospère –, presque 8 millions de personnes, soit 9,7 % de la population, percevaient des minima sociaux en 2015, un chiffre en nette progression par rapport à 2014 (7,4 millions). Si la perception de minima sociaux n’est pas synonyme de pauvreté, celle-ci s’est accrue en parallèle, atteignant 14,1 % en France et 16,1 % en Allemagne (Observatoire des inégalités, Destatis).
  • [2]
    Cette vision est partagée par le gouvernement français actuel, comme le montre la publication du rapport de M. Christophe Sirugue du 18 avril 2016, « Repenser les minima sociaux : vers une couverture socle commune », [en ligne] http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/liseuse/6952/master/index.htm
  • [3]
    Citons à titre d’exemple Agrarian Justice de Thomas Paine, un rapport adressé en 1796 au directorat du gouvernement révolutionnaire français, dans lequel il défend l’idée de la propriété naturelle, et La fausse Industrie de Charles Fourier de 1836, où il considère que la « civilisation » doit couvrir les besoins de ceux qui ne peuvent y subvenir seuls.
  • [4]
    Il est vrai que, jusqu’à présent, cet engagement du gouvernement brésilien ne s’est traduit que par l’introduction de la bolsa familia. Ce programme, lancé en 2003 au début de la présidence de Luiz Inácio Lula da Silva, accorde un revenu aux familles pauvres à la condition qu’elles veillent à la scolarisation des enfants, qu’elles les fassent vacciner et les nourrissent correctement. Actuellement le programme, qui est une forme de minimum social et non un revenu universel, touche environ un quart des Brésiliens. Il a fortement contribué à réduire la pauvreté et à faire baisser le coefficient de Gini. Devant le succès de la bolsa familia, d’autres pays latino- américains ont emboîté le pas au Brésil.
  • [5]
    La relative faiblesse du montant s’explique par une particularité du système d’assurance chômage en Finlande. Un Finlandais qui perçoit un salaire mensuel d’au moins 400 euros perd ses allocations chômage. C’est pourquoi ils sont nombreux à refuser un emploi faiblement rémunéré, car ils seraient dans une situation financière plus difficile que s’ils étaient au chômage.
  • [6]
    Le projet mené en Inde est une exception, mais il ne porte que sur 6 000 personnes dans trois villages (SEWA Bharat, 2014).
  • [7]
    Un indice de la difficulté pour les chômeurs à accéder aux prestations auxquelles ils ont droit est le nombre important de demandeurs, plus de 50 %, qui auraient renoncé à postuler à l’ancien revenu de solidarité active (RSA).
  • [8]
    David Graeber, professeur d’anthropologie à la London School of Economics, a formalisé ce concept des emplois sans attrait qu’il a qualifiés de « bullshit jobs ». [En ligne] http://evonomics.com/why-capitalism-creates-pointless-jobs-david-graeber/
  • [9]
    Rifkin J. (1995), The End of Work : The Decline of the Global Labor Force and the Dawn of the Post-Market Era, New York, Jeremy Tarcher/G.P. Putnam’s Sons.
  • [10]
    Frey C.B. et Osborne M., « The future of employment : how susceptible are jobs to computerisation », [en ligne] http://www.oxfordmartin.ox.ac.uk/downloads/academic/The_Future_of_Employment.pdf
  • [11]
    La présidente du Conseil d’orientation pour l’emploi, Marie-Claire Carrère-Gée, écrit à ce sujet : « S’agissant de leurs conséquences sur l’emploi, les robots, l’intelligence artificielle ou l’impression 3D ne justifient ni frayeur ni exaltation. Les transformations d’emplois existants, pour être probablement de très grande ampleur, pourront constituer autant d’opportunités et rendre bien des tâches moins pénibles et plus performantes. Les pertes d’emploi, peut-être significatives, pourront être compensées, et plus que, par des créations d’emplois en France. À nous – acteurs économiques, citoyens, pouvoirs publics –, de nous en donner les moyens. » Conseil d’orientation pour l’emploi : Automatisation, numérisation et emploi, tome 1 : « Les impacts sur le volume, la structure et la localisation de l’emploi », janvier 2017, [en ligne] http://www.coe.gouv.fr/IMG/pdf/COE_170110_Rapport_Automatisation_numerisation_et_emploi_Tome_1.pdf
  • [12]
    Citons à titre d’exemple le rapport de Georg Graeth et Guy Michaels de la London School of Economics de 2015 intitulé « Robots at work » qui constate, en analysant 17 pays sur une durée de 15 ans, que la robotisation avait fait progresser la croissance de près d’un demi-point par an sans nuire à l’emploi. [en ligne] http://cep.lse.ac.uk/pubs/download/dp1335.pdf
  • [13]
    D’après les chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) de 2004, 88,5 % des 28,6 millions d’actifs en France sont salariés. Parmi ces salariés, plus de 85 % sont en CDI, près de 10 % sont en CDD, 2,4 % en intérim et 1,6 % en apprentissage.
  • [14]
    Castel R. (2012), « Salariat ou revenu d’existence », La Vie des idées, [en ligne] http://www.laviedesidees.fr/Salariat-ou-revenu-d-existence.html
  • [15]
    D’après le modèle du professeur allemand Götz W. Werner, toute personne touche un revenu minimum qui couvre les besoins de l’existence, assorti d’une couverture santé gratuite. Il prévoit la suppression de l’impôt sur le revenu et des cotisations sociales ainsi que celle des minima sociaux. L’impôt sur les sociétés et la taxe professionnelle sont également destinés à disparaître. Les coûts de production réduits en raison de la suppression de l’impôt sur les salaires et des cotisations sociales permettent la diminution des prix nets d’un produit. Puis, lors de la vente du produit, un impôt sur la consommation de 100 % est ajouté au prix net, qui correspond en gros à la somme des impôts actuels sur les salaires, des cotisations sociales et de la TVA actuelles. Les sommes ainsi récoltées seront largement suffisantes, d’après l’étude de l’auteur, pour couvrir toutes les dépenses relatives au revenu minimum (Werner, 2007), à condition que la fraude à cet impôt puisse être maîtrisée.
  • [16]
    C’est ainsi que les propositions vont de 450 euros par mois (Koenig, de Basquiat), un montant très insuffisant pour couvrir les besoins de l’existence, à 750, voire 1 000 euros émanant de certains candidats aux élections en France.
  • [17]
    La « trappe à inactivité » désigne une situation où la reprise d’un emploi faiblement rémunéré par un bénéficiaire de l’allocation chômage, par exemple, est susceptible de conduire à une stagnation, voire une baisse du niveau de vie, de telle sorte que celui-ci pourrait préférer demeurer dans le dispositif d’assistance au lieu d’intégrer le marché de l’emploi. Voir aussi note 5 sur l’expérimentation en Finlande.
  • [18]
    Cet exemple cité par J.-É. Hyafil et T. Laurentjoye s’appuie sur l’attribution d’un revenu de base de 465 € mensuels qui remplacerait le RSA, la prime d’activité ainsi que les bourses étudiantes. Il se déduirait des prestations telles que l’allocation adulte handicapé, le minimum vieillesse, les allocations chômage et les pensions de retraite, tout en garantissant un montant de prestations identique. Les besoins de financement seraient de 179 milliards d’euros, pour un coût brut s’élevant à 193 milliards d’euros. La faiblesse du montant de ce revenu de base proposé, assortie de la suppression de plusieurs minima sociaux, indique que cet outil n’est guère de nature à faire baisser la pauvreté en France.

Références bibliographiques

  • Allègre G. et Sterdyniak H. (2016), « Le revenu universel : une utopie utile ? », Policy brief, OFCE, no 9, 15 décembre.
  • Bureau international du travail, département de la Sécurité sociale (2009), « Bolsa Familia au Brésil, contexte, concept, impact », Genève, mars. [en ligne] http://staging.ilo.org/public/libdoc/ilo/2009/109B09_28_fren.pdf
  • Busse R. et Blümel M. (2014), « Health systems in transition », Health, vol. 16, no 2.
  • Cadoret C. (2016), « Revenu universel : halte à la pensée magique ? », [en ligne] http://www.laviedesidees.fr/L-adieu-au-gagne-pain.html
  • Fondation Jean-Jaurès (2016), « Le revenu de base, de l’utopie à la réalité », Rapport du groupe de travail « Revenu universel », [en ligne] https://jean-jaures.org/sites/default/files/notefjj-revenubase.pdf
  • Hyafil J.-É. et Laurentjoye T. (2016), « Revenu de base : comment le financer ? Panorama des modalités de financement », Mouvement français pour un revenu de base (MFRB).
  • Kangas O. et Kalliomma-Puha I. (2016), « Basic income experiment in Finland », ESPN Flash Report, European Commission, no 2016/13.
  • Koenig G. et Basquiat (de) M. (2014), « Liber, un revenu de liberté pour tous. Une proposition d’impôt négatif en France », Génération libre, Alternative France Europe, [en ligne] https://www.generationlibre.eu/wp-content/uploads/2014/05/un-LIBER-pour-tous.pdf
  • Percheron D. (2016), « Le revenu de base en France : de l’utopie à l’expérimentation », Rapport d’information au nom de la mission d’information du Sénat, Sénat, no 35, [en ligne] https://www.senat.fr/rap/r16-035/r16-035_mono.html#toc217
  • SEWA Bharat (2014), « A Little More How Much It Is…, Piloting Basic Income Transfers in Madhya Pradesh India », Supported by UNICEF India Office, janvier, [en ligne] http://unicef.in/Uploads/Publications/Resources/pub_doc83.pdf
  • Straubhaar T. (2017), Radikal gerecht. Wie das bedingungslose Grundeinkommen den Sozialstaat revolutioniert, Édition Körber-Stiftung, 248 p.
  • Werner G. et Presse A. (éd.) [2007], Grundeinkommen und Konsumsteuer – Impulse für Unternimm die Zukunft, Universitätsverlag Karlsruhe, KIT Scientific Publishing, 194 p.
Brigitte Lestrade
Professeur émérite de civilisation allemande contemporaine à l’université de Cergy-Pontoise, membre du laboratoire AGORA. Ses recherches portent sur les aspects socio-culturels de l’Allemagne d’aujourd’hui et notamment sur les mutations du travail.
Mis en ligne sur Cairn.info le 25/10/2017
https://doi.org/10.3917/rfas.173.0129
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