CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Confrontés à la question de la garde de leurs jeunes enfants, les parents font face à une série complexe d’arbitrages où se mêlent non seulement des contraintes économiques, professionnelles et relatives à l’offre de modes d’accueil, mais aussi des normes et des aspirations sociales en termes de carrières professionnelles et de rôles parentaux (Pailhé et Solaz, 2009). Si les marges de manœuvre des parents apparaissent bien souvent limitées, les préférences subjectives n’en restent pas moins marquées par l’injonction croissante à être de « bons parents » (Martin, 2014). Dans ces préférences, la place désormais accordée au jeune enfant dans la société (Segalen, 2010) confère un rôle central à la perception du caractère bénéfique ou non des différents modes d’accueil pour l’enfant, perçu à la fois comme un être fragile, qu’il convient de protéger, et comme un être social en formation, dont il faut préparer l’avenir. On sait que, dans leur majorité, les parents jugent être le mode d’accueil « le plus bénéfique pour l’enfant » (Galtier, 2011, p. 46) : l’arbitrage se pose ainsi, en particulier pour les mères, entre garder soi-même son enfant ou le confier à un tiers afin de reprendre le travail après le congé maternité. Pourtant, sous l’effet d’une part de la consolidation de la norme de l’emploi féminin et d’autre part des politiques de création de places d’accueil au cours des années 1990 et d’aides financières au début des années 2000 (Vanovermeir, 2012), le recours aux parents comme mode d’accueil principal a nettement diminué depuis quinze ans (Villaume et Legendre, 2014). En dehors des solutions plus rares, comme la garde à domicile ou par les grands-parents, l’alternative principale se pose souvent entre le recours à une assistante maternelle ou à une crèche [1].

2À partir d’une enquête auprès de couples parents de jeunes enfants (voir encadré), nous proposons ici d’analyser les perceptions parentales de ces deux modes d’accueil formels. Ce type de questionnement n’est pas nouveau et rejoint des travaux plus anciens (Bloch et Buisson, 1998 ; Bouve, 2001, 2007). Si notre recherche confirme certains de ces résultats, elle les complète également en s’inscrivant dans une sociologie de la stratification sociale, qui met l’accent sur la différenciation des perceptions selon les classes sociales appréhendées sous l’angle économique et culturel. Nous insisterons non seulement sur le caractère socialement situé des morales éducatives en jeu dans les représentations des modes de garde, mais aussi sur leurs déclinaisons selon le genre, avec une prise en compte plus appuyée que dans les travaux précédemment cités du point de vue des pères. Or ces derniers formulent plus ouvertement certains jugements sur les modes de garde, dans la mesure où ils restent socialement moins assignés que les mères à l’organisation pratique de la garde de leurs enfants, plus dégagés de cette prise en charge et de la nécessité d’y suppléer en cas de défaillance des tiers gardiens. Nous montrerons tout d’abord qu’au-delà de leurs différences de positions sociales, les parents partagent une perception hiérarchisée des modes d’accueil, dans laquelle la crèche est fortement valorisée (1). La disqualification des assistantes maternelles repose notamment sur la mobilisation de rumeurs et sur une représentation de la supériorité éducative de la crèche, école de l’école, censée garantir une meilleure adaptation à l’institution scolaire (2). Ces discours routinisés renvoient à des enjeux de positionnement social et à une forme de méfiance envers l’assistante maternelle, qui prend toutefois un sens très différent selon les positions et les trajectoires des parents (3).

Une enquête auprès de couples parents de jeunes enfants

Cet article s’appuie sur une enquête collective [2] conduite en 2015, auprès de 32 couples parents de jeunes enfants, visant à saisir la façon dont se construisent les arrangements conjugaux autour de la garde des enfants. Elle porte d’une part sur les processus qui conduisent les couples à adopter tel mode de garde, ce choix résultant autant d’ajustements à une série de contraintes que de l’activation de préférences socialement situées et d’autre part, elle analyse la façon dont l’arrivée des enfants et l’organisation de leur garde affectent la division sexuée des tâches au sein des couples, en restituant les logiques de socialisation genrée au rôle de parents. L’enquête visait en particulier à mesurer l’influence de deux facteurs : le contexte résidentiel, à travers l’offre de modes de garde, la proximité de membres de la famille ou encore la distance domicile-travail ; la position sociale, associée à la variation des conditions de travail, des revenus et des styles de vie. Les données de l’enquête Modes de garde et d’accueil des jeunes enfants en 2013 ont permis de sélectionner des parents aux profils différenciés, en matière de mode de garde, de contexte résidentiel – urbain, périurbain ou rural, dans cinq régions françaises – et d’appartenance de classe (en fonction de la profession et catégorie socioprofessionnelle des deux conjoints, qui forment des couples plus ou moins homogames ou hétérogames [3]). Afin de saisir les proximités et les distances entre les pratiques et les représentations au sein du couple, le dispositif d’enquête reposait sur des entretiens séparés avec chaque conjoint [4] (durée : une heure à trois heures trente), qui abordaient le processus d’arbitrage du mode de garde, l’organisation quotidienne de la garde et les relations avec les tiers gardiens, les pratiques quotidiennes de travail domestique et parental, les expériences passées et récentes de socialisation à la parentalité, ainsi que les trajectoires sociales et résidentielles.

Une perception hiérarchisée des modes de garde : l’évidence socialement partagée de la crèche ?

3Restituer les arbitrages des parents quant au mode de garde de leurs enfants, à partir d’entretiens conduits quelques années après, n’est pas toujours aisé : la mémoire des enquêtés est souvent défaillante et les « choix » qu’ils exposent, en grande partie dictés par des contraintes professionnelles et par l’offre disponible de modes d’accueil, s’inscrivent bien souvent dans des justifications a posteriori[5]. Les perceptions a priori peuvent en effet très vite se dissiper dans l’expérience concrète du mode de garde, ce qui conduit souvent les parents des fractions supérieures des classes populaires et des petites classes moyennes à valoriser la garde par une assistante maternelle (Geay, 2014). Dans notre enquête, si certains parents produisent, en situation d’entretien, des visions très assurées de leurs attentes, beaucoup ne défendent pas de point de vue tranché et invoquent le poids des contraintes, puisant dans la réserve d’arguments éducatifs et moraux en faveur de tel ou tel mode de garde – réserve qui renvoie à la forte variabilité des normes de puériculture au fil du temps (Delaisi de Parseval et Lallemand, 1980). Au-delà de la diversité des discours se dessine pourtant un ensemble assez cohérent de représentations des modes de garde professionnels, fondé sur leur hiérarchisation : la crèche s’impose comme le mode de garde légitime, par opposition aux assistantes maternelles soupçonnées d’incompétence. Cette perception, qui confirme les résultats d’autres enquêtes [6], est très nettement portée par les enquêtés appartenant aux classes moyennes, tout particulièrement lorsqu’ils sont dotés en capital culturel et/ou exercent des professions dans les secteurs de la santé, du travail social et de l’éducation. Mais elle s’étend aussi aux enquêtés appartenant plutôt au pôle économique des classes supérieures ainsi qu’aux enquêtés de classes populaires, notamment lorsqu’ils connaissent une trajectoire ascendante.

4Comment interpréter la préférence affichée par les parents à l’égard de la crèche, alors que l’institution a longtemps été associée à l’encadrement des classes populaires les plus dominées et à la puériculture hygiéniste, aujourd’hui partiellement disqualifiée (Mozère, 1992 ; Bouve, 2001) ? Comment expliquer la diffusion de ce sens commun qui les conduit à dire assez souvent qu’ils voulaient inscrire leurs enfants en crèche ou l’auraient voulu mais ont dû y renoncer ? Quelles attentes et quelles peurs socialement situées la méfiance vis-à-vis des assistantes maternelles exprime-t-elle ?

5Des travaux antérieurs permettent de répondre en partie à ces questions. Le rejet des « nounous » s’explique notamment par le rapport de concurrence affective et éducative entre les parents (la mère en particulier) et l’assistante maternelle, cette dernière pouvant, de plus, être soupçonnée de ne garder les enfants « que pour l’argent » ; le caractère collectif de la crèche, à l’inverse, permet de mettre à distance le risque de « marchandage » susceptible d’émerger dans une relation de gré à gré et de neutraliser ces craintes parentales (Bloch et Buisson, 1998). Par ailleurs, le rejet des assistantes maternelles s’inscrit dans un « imaginaire social » (Bouve, 2007) qui renvoie à une histoire longue, marquée par la disqualification des nourrices par les élites savantes aux xviiie et xixe siècles [7] et, à partir des années 1960, par une profonde transformation de l’image et des pratiques des crèches qui, en lien avec la diffusion des savoirs issus de la psychologie, ont connu la « définition progressive d’une nouvelle fonction de socialisation et d’épanouissement individuel des enfants » (Bouve, 2001, p. 73). À ce changement d’image est liée la transformation du recrutement du public des crèches, les classes populaires autrefois dominantes s’étant relativement effacées au profit des classes moyennes et supérieures. Ces dernières développent progressivement une conception pré-scolaire de la crèche, dont les activités doivent favoriser le développement expressif de l’enfant et l’acquisition de compétences préparant aux apprentissages scolaires (ibid.).

6Ces travaux soulignent l’importance de l’adéquation entre l’offre éducative des modes de garde et les aspirations sociales des parents. Dans la continuité de ces analyses, notre enquête permet également de souligner l’importance des trajectoires sociales et de l’appartenance de classe dans la construction sociale des préférences en matière de mode de garde. Nous insisterons sur les cas des parents appartenant au pôle économique des classes moyennes et, plus encore, des parents employés et ouvriers. En effet, plusieurs enquêtes montrent que, dans les années 1980 et 1990, les parents de milieux populaires manifestaient une certaine défiance envers l’institution des crèches et valorisaient au contraire – en la pratiquant pour une part – la garde par la « nounou », dotée d’une expérience et d’une réputation locale garanties par l’inscription dans des réseaux d’interconnaissance communs (Desplanques, 1985 ; de Ridder et Legrand, 1995 ; Dussuet, 1997).

7Or si l’on rencontre encore cette représentation dans certains milieux populaires ruraux, les parents employés et ouvriers enquêtés affirment plutôt une préférence pour la crèche. Même lorsqu’ils emploient une assistante maternelle, ils sont, eux aussi, susceptibles d’exprimer à son endroit des jugements sociaux négatifs [8], alors même que ces salariées de la petite enfance n’ont jamais été autant formées et contrôlées, à travers notamment la procédure de sélection que constitue l’agrément [9] (Bouve et Sellenet, 2011 ; Vozari, 2014). Ces discours sont certes en partie le fruit de la situation d’entretien, qui pousse les enquêtés à se mettre en conformité avec les normes qu’ils prêtent – le plus souvent à raison – aux enquêteurs/enquêtrices appartenant aux fractions culturelles des classes moyennes et supérieures. Ils traduisent cependant un processus plus profond de transformation des attentes et des pratiques éducatives, des représentations du bien-être de l’enfant, de la délégation de sa garde et de l’avenir socialement souhaité pour lui, qui amène ces parents employés et ouvriers à se distancier de la figure populaire de l’assistante maternelle et, à travers elle, de la femme au foyer.

Disqualification des assistantes maternelles et préparation à l’école : le sens pluriel de « l’éveil » en crèche

8La disqualification des assistantes maternelles s’exprime assez souvent avec force, mais de façon socialement différenciée. Avant toute expérience de recours à ce mode de garde, et même s’ils découvrent des professionnelles rassurantes lorsqu’ils leur confient leurs enfants par nécessité, beaucoup d’enquêtés expriment des réserves ou mobilisent des « rumeurs » [10] – phénomène déjà pointé dans le passé (Bouve, 2007). Allant bien au-delà des observations que les parents ont réellement pu faire, ces rumeurs évoquent des assistantes maternelles qui, hors de tout contrôle, s’affranchiraient des règles élémentaires d’hygiène et de sécurité ou maltraiteraient les enfants dont elles ont la garde. La méfiance, voire l’hostilité, qui s’exprime ainsi parfois sans réserve tient sans doute à un contexte historique marqué par l’élévation des normes de « bonne parentalité » et la prégnance de la « cause des enfants » (Garcia, 2011), qui alimentent les inquiétudes des parents.

9Représentations positives de la crèche et représentations négatives des assistantes maternelles s’entremêlent généralement dans une série d’oppositions bien connues : d’un côté une « structure », avec une équipe de collègues et une hiérarchie, des salariées qui proposent non seulement un « cadre » mais aussi un « programme » d’activités d’éveil pour lequel elles ont été formées, des enfants qui sont préparés à la « collectivité » ; de l’autre, une femme seule, qui travaille chez elle, sans collègue ni contrôle hiérarchique, éventuellement sans autre enfant, libre d’organiser ou non des jeux et des activités, libre de s’occuper ou non de son propre travail domestique et familial.

10Les activités d’éveil suscitent une forte adhésion des parents, quelle que soit leur position sociale, même s’ils ne leur accordent pas les mêmes vertus en fonction de leurs projections dans l’avenir ou de leurs stratégies de reproduction sociale. Surtout chez les parents appartenant aux classes moyennes, l’éveil est justifié au nom du développement psychique et physique de l’enfant, au nom de son droit à la « découverte ». Ces parents ont pour une part intériorisé la « puériculture psy » (Gojard, 2010 ; Garcia, 2011), modèle qui, en rupture avec la puériculture hygiéniste ou sanitaire, accorde une grande place à la sécurité affective de l’enfant, considéré comme une personne autonome et en devenir, dont les désirs, les tâtonnements et les rythmes doivent être respectés. Aux yeux des salariées qualifiées des crèches et notamment des éducatrices de jeunes enfants [11], l’éveil s’oppose au scolaire, promeut l’épanouissement de l’enfant et non l’apprentissage de savoirs formels et d’une discipline corporelle associés à l’institution scolaire. Or aux yeux de nombreux parents appartenant aux classes moyennes, ces activités sont investies d’un double sens associé à la notion de « développement » de l’enfant : un sens « psy » – « l’épanouissement » – et un sens proprement scolaire – la préparation à la maîtrise de savoirs et de comportements scolaires. Chez d’autres parents, appartenant plutôt aux classes populaires, l’éveil comporte une autre double dimension : ils attendent des salariées de la crèche (ou de l’assistante maternelle, qu’ils apprécient parce qu’elle se conforme à ces normes éducatives) qu’elles occupent activement leurs enfants et que des traces soient rapportées de ces journées bien remplies – par exemple des petits objets ou « bricolages » transformés en cadeaux ou encore des photos des enfants « en action », jouant et se dépensant. Mais ils attendent également de ces activités d’éveil le développement de savoir-faire indissociablement manuels et « créatifs », de nature à familiariser les enfants avec les activités de l’école maternelle [12].

11Si l’éveil est investi de sens socialement différenciés, il exprime aussi une préoccupation commune, la « préparation à l’école maternelle », qui explique la préférence de nombreux parents pour la crèche, quelle que soit leur position sociale. Lorsque leurs enfants ont plus d’un an et/ou savent marcher, les enquêtés ont en tête l’horizon scolaire de deux façons. D’une part, la crèche est perçue comme un lieu proposant aux enfants des activités en lien avec celles qui seront pratiquées en école maternelle, où seront transmis des savoirs formels et socialement stratégiques : les contes, le maniement des livres, les jeux éducatifs destinés à familiariser les enfants avec les couleurs, les lettres de l’alphabet, les chiffres et le langage, et également les sorties en ludothèque ou en bibliothèque, les spectacles, etc. Cette représentation de la crèche comme anticipation de l’école maternelle est surtout activée par les mères occupant des professions intermédiaires ou par les mères employées et ouvrières, caractérisées par cette « bonne volonté scolaire » repérée dans d’autres enquêtes (Terrail, 1984 ; Lahire, 1995). On la trouve également parmi les pères enrôlés dans la prise en charge des enfants et faisant preuve de ce qu’on pourrait appeler, en référence à la diffusion de nouvelles normes de paternité (Le Pape, 2009 ; Martin, 2014), une bonne volonté parentale.

12D’autre part, la crèche s’impose en tant que lieu préparant à l’école au sens où ces deux institutions constituent des espaces de vie collective dans lesquels les enfants doivent prendre leur place et faire preuve d’autonomie. Les parents ont souvent intériorisé une représentation de la crèche comme un lieu de socialisation – la crèche « sociabilise », notent plusieurs parents – préparant mieux les enfants à la collectivité que l’accueil chez une assistante maternelle qui ne peut pas garder ensemble plus de quatre enfants et dont l’accueil est perçu comme plus « protecteur », favorisant moins l’autonomie. Mères et pères sont attentifs à cette dimension collective, mais une telle préoccupation ne s’accompagne pas nécessairement d’une bonne volonté scolaire et culturelle : chez certains parents, il s’agit plutôt d’éviter le marquage négatif de l’enfant et de la famille au moment de l’entrée en maternelle. Plusieurs enquêtés prennent ainsi l’exemple d’enfants qui, lors des premières semaines d’école maternelle, ont pleuré tous les matins et gêné la classe parce que, gardés par des assistantes maternelles ou par leurs parents, ils avaient peur des autres enfants et peinaient à s’adapter à la vie en classe. De telles anecdotes, scènes observées ou rapportées, expriment la crainte d’une mise à l’écart, plus forte chez les parents des classes populaires : peur que leurs enfants pleurent, refusent de partager les jouets, n’osent pas parler aux autres, ne « participent » pas aux différents exercices de prise de parole, soient « pris en grippe » par les personnels éducatifs, etc. Ces parents semblent ainsi redouter les jugements des enseignants sur leurs enfants – crainte qui trouve son origine dans les catégories négatives que peuvent mobiliser les institutions de prise en charge des enfants à l’égard des « enfants-rois », « collés à leur mère » et « repliés » sur eux-mêmes, qui sont souvent originaires de familles populaires, comme le suggèrent des enquêtes menées en centre de protection maternelle et infantile (PMI) ou en école maternelle (Darmon, 2001 ; Millet Croizet, 2016 ; Serre, 1998 ; Vozari, 2014).

13Chez certains pères ouvriers ou techniciens, la crèche n’est pas préférée parce qu’elle prépare à la réussite scolaire, mais parce qu’elle dote les enfants d’un sens du collectif, de la discipline et des limites. Grâce au travail de véritables « professionnelles », elle est perçue comme aidant les parents à faire de leurs enfants des êtres sociables, à l’aise avec les autres, comme le suggère un père ouvrier non qualifié de l’industrie automobile, qui n’aime pas lire d’histoires à son enfant ni le faire dessiner ou chanter, mais l’« occupe à [sa] façon », en lui faisant faire de la cuisine ou des promenades. Il salue le travail des personnels de la crèche qui ont transmis à son fils un certain sens des autres, une habitude et, par là, une maîtrise de la collectivité.

Les assistantes maternelles : des femmes de classes populaires jugées incontrôlables

14Les assistantes maternelles sortent donc plutôt perdantes de cette comparaison entre modes de garde professionnels et occupent une position dominée dans les représentations des institutions de la petite enfance intériorisées par les parents. Si le « cocon » protecteur qu’elles offrent aux bébés peut être recherché, les enfants, à partir du moment où ils sont capables de marcher, sont censés gagner en autonomie et « progresser » plus rapidement dans une structure collective comme la crèche. À travers cette méfiance a priori, les assistantes maternelles sont implicitement associées par les parents aux classes populaires situées à distance de l’école. Dans la confiance accordée ou refusée au mode de garde se jouent en effet des jugements pratiques et également sociaux, retraduits pour une part dans les représentations du bien-être et de l’intérêt de l’enfant.

15Schématiquement, nous pouvons distinguer trois formes de jugement social porté sur les assistantes maternelles, qui indiquent aussi la façon dont les parents se situent dans l’espace social et se projettent dans l’avenir à travers leurs enfants : un mépris relativement euphémisé, chez les enquêtés les plus bourgeois ; un rejet plus radical chez les enquêtés appartenant aux classes moyennes et engagés dans une logique d’ascension sociale peu assurée ; une « exigence d’égalité » (Weber, 1989) chez les enquêtés appartenant plutôt aux classes populaires. Dans ces trois modes d’évaluation sociale, on relève un élément commun, une forme d’agacement moral face à la situation de l’assistante maternelle qui, malgré sa position socialement et professionnellement dominée, est en mesure d’inverser le rapport de forces employeur/employée, puisqu’elle travaille seule et s’occupe des enfants à sa guise. Son métier s’effectuant à domicile, elle dispose d’une liberté qui la rapproche des travailleurs indépendants, sans en avoir toujours la légitimité aux yeux des parents.

16Les parents occupant la position sociale la plus élevée parmi nos enquêtés font preuve à l’égard de ces professionnelles d’un mépris exprimé avec une sorte de sérénité, sur le mode de l’évidence. Agnès Carrel [13] est enseignante à temps partiel dans un établissement scolaire privé, titulaire d’un certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (CAPES). Résidant dans le 17e arrondissement de Paris, elle et son mari excluent le recours à une assistante maternelle, notamment pour des raisons de distance à leur domicile, la plupart résidant, selon eux, « vers le périphérique ». Si Agnès Carrel, qui appartient à la bourgeoisie catholique, ne met pas frontalement en cause les compétences des assistantes maternelles et défend même ce mode de garde pour les enfants de moins d’un an, elle formule de manière explicite un argument que l’on retrouve plus implicitement chez d’autres enquêtés : les mères ont vocation à s’occuper elles-mêmes de leurs enfants en bas âge et la délégation de cette tâche à une assistante maternelle ne se justifie pas. Son conjoint, dégagé de ces enjeux, exprime quant à lui un jugement sans ambages :

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« Dans le 17e [arrondissement], les assistantes maternelles, globalement, il y a quand même un problème de compétences, parce qu’il n’y a aucun contrôle, puisque finalement n’importe qui peut se proclamer assistante maternelle, quasiment. Et d’autre part, quasiment toutes sont globalement sur le périphérique, pour des raisons de contraintes immobilières, tout simplement. Et c’est vrai que d’être élevé au-dessus du périphérique avec toute la pollution que ça engendre, c’est quand même pas transcendant. Donc, c’était tout ça mis bout à bout qui faisait que c’était pas forcément très intéressant. »
(Aymeric Carrel ; cadre supérieur dans une entreprise privée, titulaire d’un diplôme d’ingénieur informaticien)

18Pour ce couple, le mode de garde doit garantir un environnement protecteur. Lorsque leurs jumeaux ont deux ans, Agnès et Aymeric Carrel déménagent ainsi à Versailles, où Agnès a grandi et où ils peuvent compter sur l’aide de la grand-mère maternelle ainsi que sur des établissements scolaires socialement très sélectifs. Par leur stratégie résidentielle et par le congé parental, puis la reprise à mi-temps du travail d’Agnès, ils cherchent à contrôler les conditions de socialisation de leurs enfants dans un entre-soi de classe (Van Zanten, 2009).

19Chez certains couples au profil similaire, ce souci de maîtrise se traduit par la préférence, à la place de l’assistante maternelle, pour la garde à domicile – une solution réservée aux ménages les plus fortunés (Villaume et Legendre, 2014). C’est ainsi que Guillaume et Lise Aulagner font garder leurs enfants. Pour ce cadre du privé dans une grande entreprise du bâtiment et cette architecte d’intérieur qui résident dans une commune de l’Ouest parisien, cette solution présente les avantages « pratiques » de la domesticité : souplesse et amplitude horaire, gain de temps lors des déplacements domicile-travail, possibilité de déléguer une partie des tâches domestiques et parentales. Surtout, le fait que la garde s’exerce à domicile permet de contrôler à la fois les conditions matérielles d’accueil des enfants et le travail de l’employée, implicitement perçue par les parents comme moins en mesure d’imposer son style de vie ou de laisser son empreinte sociale sur les enfants que si elle travaillait chez elle.

20D’autres couples appartenant aux classes moyennes font état d’une perception proche, avec des mots plus tranchants. L’accusation d’incompétence est ainsi très nette chez ce couple hypogame en ascension sociale et résidant dans les Hauts-de-Seine ; lui, agent de sûreté dans une entreprise publique et elle, cadre, tous les deux en contrat à durée indéterminée (CDI) et originaires des classes populaires. La méfiance envers les assistantes maternelles est justifiée par l’expérience traumatisante du père, gardé enfant par une « nounou » qui l’aurait enfermé dans un placard. Cadre par promotion dans une entreprise publique en cours de privatisation, la mère « [s]e bat » pour obtenir une place en crèche. Le père, très investi dans le travail domestique et familial, ayant lui-même été scolarisé dans des établissements privés, est lui aussi très préoccupé par l’environnement social de la crèche et la « violence » des autres enfants. Les stratégies de consolidation de la position sociale de cette famille se concentrent sur l’école – d’où plusieurs déménagements pour éviter les publics qui, à leurs yeux, les tireraient « vers le bas » – et sur le mode de garde. Le couple a ainsi arbitré entre une assistante maternelle, solution radicalement rejetée par la mère, et la crèche, néanmoins perçue par le père comme un lieu potentiellement « violent » fréquenté par des enfants « à recadrer ». Le contexte de la région parisienne joue ici doublement : il s’agit pour ce couple de tenir à distance les enfants des classes populaires les plus démunies ou les « enfants de cité » et d’éviter les assistantes maternelles, perçues comme bénéficiant indûment de salaires élevés sur un marché de la garde où la demande excède largement l’offre :

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« Excusez-moi, mais c’est quand même bien souvent mieux payé qu’une femme qui passe sa journée en crèche, où c’est pas évident. Eh ben, elles passent quand même leur temps à faire le ménage, à faire le repassage, et les enfants sont en train de jouer devant ; mais voilà, elles jouent pas avec, elles font pas… Moi, mes enfants, ben, ils savent s’habiller : Sébastien il a quatre ans, il sait s’habiller tout seul, il est assez autonome […]. Parce qu’à l’école, il y a des règles aussi, on dit bonjour, on rentre, on se tape pas, on fait attention, tranquillement, on range, voilà. Que chez une nourrice, je suis désolée… »
(Leila Zerkaoui-Pochart)

22Cette vision des assistantes maternelles se retrouve chez d’autres parents aux propriétés sociales équivalentes : des trajectoires plutôt ascendantes, des titres scolaires moyens, une position entre pôle économique et pôle culturel de l’espace social, des origines sociales populaires. Ces enquêtés perçoivent les assistantes maternelles comme des femmes inactives, au foyer. Elles sont associées à une représentation polarisée entre, d’un côté, l’image de la trop bonne mère, susceptible de rivaliser, voire de supplanter les mères employeuses qui leur confient leurs enfants, et de l’autre, l’image de la mauvaise mère, soupçonnée de « mercantilisme » (Bloch et Buisson, 1998). C’est cette seconde dimension qui prévaut ici, sous la forme d’une double accusation : celle de faire passer leur travail domestique avant tout et d’être finalement très bien rémunérées pour des femmes au foyer ; et de délaisser les enfants, livrés à eux-mêmes ou surveillés de loin. On retrouve ici une concurrence à la fois affective, sociale et éducative entre mères et assistantes maternelles, ces dernières étant perçues comme n’aidant pas les enfants à « grandir », parce que trop occupées par leur foyer.

23L’indistinction entre espace privé et espace professionnel propre au travail à domicile contribue à cette dénonciation, portée notamment par des couples aux horaires de travail décalés ou extensifs, qui ne s’économisent pas (ni au travail ni dans l’éducation de leurs enfants) et manifestent des signes de fatigue au cours des entretiens. Ces enquêtés semblent activer une morale sociale spécifique qui s’exprime tout particulièrement à travers le choix du mode de garde et la disqualification a priori des assistantes maternelles : transmettre aux enfants le sens du travail (à l’école et face aux employeurs) et une forme de droiture ; « tenir » et lutter contre la fatigue provoquée par l’arrivée des enfants et l’intensification du travail domestique ; se distinguer de ceux qui vivent de l’assistance ou des opportunités données par l’État pour travailler le moins possible, comme les assistantes maternelles, soupçonnées de gagner de l’argent « plus ou moins facile » en « restant entre quatre murs ».

24Mais le jugement social porté sur les assistantes maternelles peut aussi relever d’un sentiment d’inégalité face à la contrainte salariale. Les mêmes enquêtés et également des parents appartenant aux classes populaires peuvent assimiler les assistantes maternelles à des salariées qui imposent des règles qu’ils sont, eux, obligés d’accepter face à leurs propres employeurs, en termes de salaire, de conditions de travail et d’horaires. Ce sont notamment des pères irrités d’avoir à négocier le salaire, l’emploi du temps hebdomadaire ou les périodes de vacances des assistantes maternelles. Didier Witz, opérateur de commandes numériques, a ainsi eu un vif échange avec l’assistante maternelle à propos d’un post-it sur lequel elle demandait une augmentation. « Je lui ai dit : “Non, c’est pas possible ! Ça va quasiment doubler votre salaire”. Je lui ai dit :Non, moi, je vais pas demander à mon patron qu’il me double mon salaire” ». « J’aimerais bien, moi, pouvoir faire mes courses sur mon temps de travail », note Yannick Braud, ouvrier menuisier dont les enfants ont été gardés par une assistante maternelle. Estimant que ces salariées « se prennent un peu pour des chefs et dictent leur loi », son agacement exprime peut-être, au-delà d’une « exigence d’égalité » (Weber, 1989), une certaine intolérance face aux avantages associés à ce métier « féminin » n’exigeant pas de qualification.

25Au sein des classes populaires, certaines enquêtées détiennent des diplômes professionnels dans le domaine de la petite enfance : titulaires de BEP sanitaire et social, de baccalauréats sciences et techniques médico-sociales (SMS) ou de CAP petite enfance, elles ont pu réaliser des stages en crèche et ont été exposées non seulement aux normes légitimes de puériculture, mais aussi à la disqualification diffuse du travail des assistantes maternelles, souvent à l’œuvre dans ces institutions. Ayant rencontré des difficultés pour organiser emploi du temps professionnel et emploi du temps familial, elles ont pu envisager ou même exercer temporairement le métier d’assistante maternelle – c’est le cas de deux enquêtées.

26Or ces femmes qui ont exercé temporairement le métier d’assistante maternelle, sans doute assez nombreuses dans les classes populaires, semblent en tirer une représentation négative : à leurs yeux, ce travail « enferme » et « isole », voire assigne à la place de « bonne de tout le monde à la maison » et peut conduire au désengagement des conjoints, qui se perçoivent désormais comme seuls véritables travailleurs et s’autorisent de ce fait à moins participer aux tâches domestiques et familiales (Cartier et al., 2012). À l’inverse des femmes qui deviennent assistantes maternelles plus tard, à la suite par exemple de licenciements économiques, et qui semblent faire plus facilement de nécessité vertu, ces jeunes femmes portent sur ce métier le même jugement disqualifiant que les parents assimilant les assistantes maternelles à des « femmes au foyer » pseudo-actives.

27C’est plus largement l’expérience même de femme au foyer qui est parfois rejetée dans ce métier et dans ce mode de garde. Plusieurs enquêtées employées ou ouvrières ont ainsi pris un congé parental, faute d’autres possibilités, et déclarent avoir repris leur travail avec « soulagement ». Même si elles regrettent d’avoir à « courir tout le temps », elles projettent sans doute sur le travail d’assistante maternelle leur propre expérience ambivalente du congé parental : d’un côté le plaisir de s’occuper de ses enfants en bas âge et le sentiment d’accomplissement qui en découle (« ne pas passer à côté de ces moments »), en raison de l’intériorisation de l’injonction à la disponibilité maternelle qui ne cesse de se renforcer et de se renouveler depuis le xixe siècle ; de l’autre la fatigue, le « besoin de voir du monde », d’avoir « une vie sociale », qui finit par peser, voire par donner le sentiment d’être précisément la « mauvaise mère », impatiente et « criarde », qu’elles ne voulaient pas être. À travers ces perceptions se mesure la diffusion de l’attachement à l’emploi des femmes dans les classes populaires, soulignée notamment par Christelle Avril (2014) à propos des aides à domicile. Comme chez beaucoup d’enquêtées, quelle que soit leur position sociale, les représentations a priori du travail d’assistante maternelle renvoient aussi à cette expérience du congé parental : elles n’imaginent pas que le travail de ces salariées de la petite enfance puisse être très différent de celui d’une mère et d’une femme au foyer.

Conclusion

28Dans la préférence spontanément accordée à la crèche s’expriment ainsi plusieurs logiques qui renvoient à des mutations sociales profondes : les transformations des attentes et des pratiques éducatives, alimentées par la montée de l’enjeu scolaire ; la fin de la « parenthèse historique de la femme au foyer » (Maruani et Méron, 2012) et la redéfinition qui en découle de la « bonne mère » mais aussi du « bon père » (Le Pape, 2009 ; Martin, 2014) ; la diffusion de la psychologie et le nouveau regard porté sur l’enfant dès son plus jeune âge (Gojard, 2010 ; Garcia, 2011). Mais le rejet des assistantes maternelles s’inscrit également dans des rapports de classe et, en fonction de la trajectoire et de la position sociale des parents, répond à des logiques en partie distinctes. La « remise à leur place » des assistantes maternelles par les parents des classes supérieures s’explique avant tout par la présomption d’une « incompétence de classe » (Bouve, 2001), c’est-à-dire un manque présumé de volontarisme éducatif qui, à leurs yeux, fait peser le risque d’un mode de socialisation produisant des enfants trop peu éveillés et/ou trop protégés. Le rejet exprimé par les parents des classes populaires s’inscrit dans des logiques sensiblement différentes : on y perçoit certes la montée de l’enjeu scolaire et la diffusion de la culture psychologique, notamment chez les ménages en ascension sociale, mais s’y jouent aussi des attentes spécifiques liées au manque de « cadre » et de « structure » offerts par les assistantes maternelles, ainsi qu’une exigence d’égalité face à des professionnelles en mesure de s’affranchir de leur condition salariale subordonnée.

Notes

  • [1]
    Ainsi, en 2013, 19 % des enfants de moins de trois ans sont gardés à titre principal par une assistante maternelle agréée et 13 % en établissement d’accueil du jeune enfant, contre 3 % par les grands-parents et 5 % par un autre mode d’accueil. Si les parents constituent le mode d’accueil principal des enfants de moins de trois ans, seuls 32 % d’entre eux sont en réalité gardés uniquement par leurs parents (Villaume et Legendre, 2014).
  • [2]
    Cette recherche a bénéficié d’un financement de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), dans le cadre des post-enquêtes consécutives à l’enquête statistique Modes de garde et d’accueil des jeunes enfants en 2013. Elle a bénéficié de la participation de Jennifer Bidet. Voir Collet et al. (2016).
  • [3]
    Dans notre corpus, six couples sur dix sont homogames (quatre de classes populaires, formés d’un employé et/ou d’un ouvrier et deux de classes moyennes ou supérieures) ; deux couples sur dix sont hypergames (femme ouvrière ou employée et homme membre d’une autre PCS) et enfin deux sur dix sont hypogames (homme ouvrier ou employé et femme d’une autre PCS).
  • [4]
    Seuls des couples hétérosexuels ont été rencontrés – il ne s’agissait pas d’un choix initial de recherche, mais du résultat du tirage aléatoire de l’échantillon par la DREES.
  • [5]
    Les opinions sur les différents modes d’accueil, comme le montre l’enquête quantitative Modes de garde et d’accueil des enfants en 2013, sont en effet fortement corrélées avec le mode d’accueil effectif, les parents tendant à valoriser celui auquel ils ont recours (Galtier, 2011).
  • [6]
    Les opinions des parents sur les modes de garde varient en fonction de l’âge de l’enfant : l’assistante maternelle serait ainsi préférée pour les enfants de moins d’un an et la crèche pour les enfants âgés de un an à trois ans (Crepin et Boyer, 2015). Les opinions sur les modes d’accueil extrafamiliaux varient aussi en fonction des revenus (avec une préférence des parents modestes pour la crèche et des autres pour les assistantes maternelles). On constate cependant un plébiscite général de la crèche comme mode d’accueil contribuant au développement de l’enfant, au nom de la compétence du personnel, de la sécurité, des conditions d’hygiène, d’autonomie de l’enfant, d’éveil et de préparation à l’école maternelle (Galtier, 2011).
  • [7]
    Sur la stigmatisation des nourrices (perçues comme incultes, cupides et maltraitantes), voir aussi Martin-Fugier (1978).
  • [8]
    Précisons que la question du choix entre crèche et assistante maternelle se pose d’autant moins dans les communes rurales que les parents y vivent avec leur famille à proximité et qu’elles sont dépourvues de mode d’accueil collectif.
  • [9]
    La politique de « professionnalisation » du métier d’assistante maternelle, menée notamment par les centres de protection maternelle et infantile (PMI), les caisses d’allocations familiales (CAF) et les relais assistantes maternelles (RAM) – créés à partir de 1989, sous l’impulsion de la Caisse nationale des affaires familiales (CNAF) pour rompre l’isolement des salariées –, semble sans effet sur la représentation hiérarchisée des modes de garde professionnels. Le terme même de « professionnalisation », comme le notait une responsable de RAM, peut nourrir la méfiance envers ces salariées de la petite enfance, puisqu’il tend à présupposer qu’elles ne sont pas ou pas assez professionnelles.
  • [10]
    Le plus souvent, les termes entre guillemets correspondent aux expressions utilisées par les personnes interviewées.
  • [11]
    Dont les trajectoires scolaires sont plutôt moyennes et/ou heurtées, l’école étant souvent décrite par les éducatrices de jeunes enfants, et plus généralement par les travailleurs sociaux, comme une épreuve douloureuse et ennuyeuse (Verba, 2006 ; Garcia, 2014).
  • [12]
    Voir, dans ce même numéro, Marie Cartier et Marie-Hélène Lechien : « Asseoir sa légitimité professionnelle auprès des parents : les stratégies de légitimation éducative des assistantes maternelles » p. 265.
  • [13]
    Il s’agit, comme pour les noms cités par la suite, d’un nom d’emprunt, par respect pour l’anonymat des enquêtés.
Français

Dans un contexte de montée de la bi-activité des conjoints, la question du choix du mode de garde se pose de façon aiguë pour les parents de jeunes enfants. Or, bien que l’offre de garde en crèche soit moins répandue que celle par les assistantes maternelles, les parents manifestent un rejet assez net de ces dernières et leur accordent moins spontanément leur confiance. À partir d’une enquête par entretiens auprès de 32 couples, l’article interroge les raisons de cette disqualification persistante des assistantes maternelles, en soulignant les différenciations sociales de ce jugement selon la position des parents et la pente de leur trajectoire, et également selon le genre. Si les parents des classes supérieures tendent à écarter le recours aux assistantes maternelles dans le cadre de ce qui s’apparente à une présomption d’incompétence de classe, les parents des classes moyennes et populaires expriment quant à eux des attentes éducatives et socialisatrices différenciées, inspirées de la « culture psy », d’une réinterprétation scolaire de l’éveil de l’enfant et d’un attachement à la crèche comme préparation à l’école maternelle exigeant des enfants discipline et autonomie. Ces attentes se doublent, dans les couples de classes populaires interviewés, de la crainte de confier leurs enfants à des femmes incontrôlables, soupçonnées d’échapper aux contraintes de l’emploi salarié.

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Marie Cartier
Professeure de sociologie à l’université de Nantes et directrice du Centre nantais de sociologie (CENS), elle mène des recherches en sociologie du travail et des classes sociales, plus particulièrement sur les métiers de la petite enfance et sur les transformations des classes populaires contemporaines.
Anaïs Collet
Maîtresse de conférences à l’université de Strasbourg et membre de Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe – SAGE (UMR 7363). Ses recherches portent sur les transformations des classes moyennes et supérieures, le changement urbain et les espaces résidentiels, ainsi que sur la socialisation urbaine des enfants.
Estelle Czerny
Ingénieure d’études à Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe – SAGE (UMR 7363), spécialisée dans les méthodes qualitatives. Les recherches auxquelles elle participe portent sur le traitement judiciaire des violences conjugales, les arrangements conjugaux autour de la garde des jeunes enfants et la sociologie de la médecine.
Pierre Gilbert
Maître de conférences à l’université Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis et membre du Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (CRESPPA)-Cultures et sociétés urbaines (CSU). Au croisement de la sociologie des classes sociales et de la sociologie urbaine, ses recherches portent sur les classes populaires, sur l’espace résidentiel et la vie privée, ainsi que sur les politiques urbaines.
Marie-Hélène Lechien
Maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Limoges et membre du Groupe de recherches sociologiques sur les sociétés contemporaines (GRESCO), elle mène des recherches sur le militantisme, le travail et les classes sociales, plus particulièrement sur les métiers de la petite enfance et les classes populaires.
Sylvie Monchatre
Maîtresse de conférences à l’université de Strasbourg et membre de Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe – SAGE (UMR 7363). Ses recherches, qui relèvent de la sociologie du travail, du genre et du salariat, interrogent la façon dont la dynamique salariale affecte les rapports de genre dans et en dehors de la sphère professionnelle.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
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Mis en ligne sur Cairn.info le 18/07/2017
https://doi.org/10.3917/rfas.172.0247
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