Introduction [2]
1Les besoins éducatifs des enfants d’âge préscolaire mobilisent d’importantes ressources en temps. La prise en charge quotidienne de l’enfant peut être effectuée sur le temps personnel des parents (le plus souvent celui de la mère) ou bien assurée par un tiers (le plus souvent rémunéré). Le choix des parents de confier ou non l’accueil de leur enfant en journée dépend de nombreux facteurs, dont les trois principaux sont d’une part le différentiel entre les revenus des parents et les frais de garde, d’autre part la disponibilité en modes de garde, enfin les préférences des parents en termes de qualité d’accueil et d’organisation quotidienne. La situation des foyers monoparentaux ajoute deux types d’enjeux à cette problématique générale – la gestion du temps repose pour l’essentiel sur un seul adulte [3] et les ressources économiques sont plus limitées – qui résultent dans des arrangements spécifiques (Boyer et Villaume, 2016).
2Cet article traite d’un cas de figure particulier, à savoir les familles de mères immigrées seules. Les familles immigrées occupent des positions socio-économiques plus précaires que les autres familles en France (Institut national de la statistique et des études économiques – INSEE, 2012). Les femmes immigrées ont des taux d’activité moindres que les non-immigrées, surtout lorsqu’elles ont des enfants en bas âge, dans la mesure où elles se retrouvent plus fréquemment dans le rôle de la principale pourvoyeuse de soins et, par conséquent, hors du marché de l’emploi. Ainsi, les familles de mères immigrées seules pourraient voir leurs conditions de vie et leur organisation au quotidien affectées à la fois par leur statut de foyer monoparental et par leur condition d’immigrée. L’absence du conjoint et l’éloignement géographique du réseau familial originel, un parcours d’insertion professionnelle plus ardu et un contexte socioculturel différent dans le pays de destination, pour ne citer que quelques facteurs, peuvent engendrer des comportements spécifiques en matière de mode d’accueil des enfants (Brandon, 2004 ; Wall et José, 2004 ; Bonizzoni, 2014). Ainsi, cet article vise à élucider la façon dont les mères immigrées en situation de monoparentalité composent entre leurs préférences et leurs contraintes.
3Pour répondre à ces questions, nous mobilisons deux enquêtes [4] multithématiques permettant d’étudier les modes de garde des enfants en France, du point de vue des préférences et des pratiques effectives des parents : l’Enquête Famille et Logements (EFL) et l’Étude longitudinale française depuis l’enfance (Elfe). Dans un premier temps, nous décrivons les déterminants socioculturels de la prise en charge des enfants d’âge préscolaire, mis en évidence dans des études récentes. L’encadré 1 expose les deux enquêtes sur lesquelles est fondé cet article. Après une présentation des caractéristiques des familles immigrées et/ou monoparentales, les préférences en matière de mode de garde des parents, énoncées peu de temps après la naissance de leur enfant, sont analysées. S’ensuivent les résultats sur les modes de garde auxquels les parents ont effectivement recours, incluant un encadré 2 sur la scolarisation à deux ans.
L’accueil des jeunes enfants, des pratiques sous contraintes
4Le statut socioéconomique de la famille conditionne, pour les femmes en particulier, l’arbitrage entre carrière professionnelle et travail parental auprès des jeunes enfants. Les rémunérations procurées par les emplois occupés par les mères les moins diplômées se situant à des montants proches des prestations familiales remboursant les coûts de garde, celles-ci ont une plus grande propension à renoncer à s’employer pour s’occuper des enfants et ce d’autant plus que s’accroît le nombre d’enfants à charge (Le Bouteillec et al., 2014). La décision d’occuper un emploi ou de garder soi-même ses enfants résulte d’une stratégie familiale certes, mais les rapports sociaux de sexe au sein du couple sont tels que les femmes restent les principales responsables de la garde des enfants et de son éventuelle externalisation, essentiellement en raison d’une assignation aux tâches de care, dans tous les milieux sociaux. Outre les modes de garde formels, les parents peuvent avoir recours à l’entourage familial et/ou réduire leur temps de travail. Le travail partiel, principalement féminin, est plus ou moins subi selon la position sur le marché de l’emploi, et il apparaît souvent au moment de l’arrivée des enfants être un moyen de concilier travail et famille (Berton, 2015).
5Les préférences des parents résultent de la satisfaction attendue vis-à-vis de divers critères qui, outre le coût, sont la qualité de l’accueil de l’enfant et les effets sur l’organisation quotidienne du foyer. La recherche de l’intérêt de l’enfant traduit l’importance accordée au bien-être affectif, aux conditions d’hygiène et de sécurité et aux contextes favorisant son autonomie et son développement. Les représentations des propriétés positives des divers modes d’accueil existants, y compris la garde par soi-même, ne sont pas identiques selon les couches sociales. Confier son enfant apparaît le gage d’une liberté pour les un•e•s, mais source de culpabilité pour les autres, opposant schématiquement un ensemble de représentations sur l’autonomie personnelle au sein de la famille dans les milieux aisés et une division sexuelle plus stricte des rôles dans les familles populaires ou traditionalistes (Gojard, 1999). De même, le soutien des grands-parents a des avantages – coût inférieur, souplesse horaire – et des inconvénients – encadrement non professionnel, dépendance morale entre générations – auxquels les parents accordent une importance plus ou moins grande.
6Selon l’enquête statistique sur les Modes de garde et d’accueil des jeunes enfants en 2013 de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), 61 % des enfants de moins de trois ans sont principalement gardés [5] dans la semaine par les parents (la mère le plus souvent), 19 % par un•e assistant•e maternel•le et 13 % par un établissement d’accueil du jeune enfant : crèche municipale, parentale ou familiale. Les grands-parents sont mobilisés dans 3 % des cas (Villaume et Legendre, 2014).
7Selon leur groupe social, les mères n’accordent pas la même importance à la recherche d’un mode d’accueil : les ouvrières préfèrent plus souvent arrêter leur activité professionnelle pour s’occuper de leur enfant, tandis que les cadres privilégient des solutions aménageant leur temps de travail (Galtier, 2011). Outre le niveau social des parents, l’âge des enfants, la situation conjugale et le lieu de résidence sont les principaux déterminants de l’usage des divers modes d’accueil extraparentaux. Les enfants de familles aisées sont plus souvent confiés à une assistante maternelle qu’à une crèche, tandis que c’est le contraire pour les familles aux revenus modestes (Villaume et Legendre, 2014). Avec l’avance en âge de l’enfant, les parents plébiscitent plus souvent la crèche, jugée plus propice à sa socialisation (Crepin et Boyer, 2015). Les enfants de mères seules ayant un emploi semblent plus souvent placés en crèche que ceux élevés au sein d’un couple biactif (Boyer et Villaume, 2016), mais ce résultat n’est pas confirmé par une autre étude comparable (Le Bouteillec et al., 2014). Les foyers monoparentaux ont également plus souvent recours aux grands-parents (Boyer et Villaume, 2016). Ces deux modes d’accueil sont aussi les moins coûteux. Enfin, le nombre et la répartition spatiale des places d’accueil étant contraints, le lieu d’habitation des familles limite les choix de modes de garde : habiter en milieu rural diminue la probabilité d’accès à une crèche (Villaume et Legendre, 2014).
8Les usages ne concordent pas étroitement avec les préférences. De fait, le recours à l’assistant•e maternel•le supplante l’accueil collectif, à l’inverse des souhaits. La garde par les grands-parents est aussi moins pratiquée qu’elle n’est désirée, ces derniers n’étant pas toujours disponibles, notamment en raison de l’éloignement géographique (Boyer et Villaume, 2016). Au final, l’adéquation entre solution souhaitée et solution trouvée n’est pas parfaite : seuls 68 % des parents ayant exprimé une préférence autre que l’accueil par la famille ont pu y accéder. Les familles monoparentales sont moins satisfaites de leur mode d’accueil que la moyenne (Crepin et Boyer, 2015).
9S’agissant des parents étrangers, ils préféreraient la crèche à l’assistant•e maternel•le du fait de leur statut socio-économique modeste et peut-être aussi du profil social des assistant•e•s maternel•le•s, assez proche du leur, procurant une valeur ajoutée moindre par rapport aux dispositions culturelles qu’ils peuvent transmettre à leur enfant (Galtier, 2011 ; Chaudry et al., 2011). Enfin, les services de garde formels étant peu développés dans certains pays d’origine, les immigrés sont plus souvent restés auprès de leur mère pendant l’enfance et seront possiblement plus enclins à reproduire le même type de relations avec leurs propres enfants (Karoly et Gonzalez, 2011). À défaut d’un tel choix, ils se tourneraient vers une personne de confiance de l’entourage familial, ayant des pratiques éducatives a priori plus proches des leurs (Chaudry et al., 2011). Cependant, ce n’est pas toujours une option viable du fait de l’absence d’un réseau familial dans le pays de destination (Wall et José, 2004).
Sources et méthodes
Les deux enquêtes permettent d’identifier la population d’intérêt – enfants vivant au sein de familles monoparentales immigrées – en croisant le statut migratoire de leur mère – immigrée ou non – et sa situation conjugale – vivant ou non avec un conjoint présent dans le ménage. Sont exclus les enfants vivant avec des mères déclarant être en couple avec une personne ne vivant pas dans le logement ainsi que les enfants vivant seulement avec leur père [6]. Dans EFL, les analyses portent sur des sous-échantillons distincts selon la thématique (tableau 1) :
- 22 074 enfants âgés de moins de quatre ans [7] pour l’étude des modes de garde effectifs dont 255 enfants vivant avec une mère immigrée seule,
- 7 410 enfants âgés de deux ans pour l’étude de la scolarisation précoce dont 110 enfants âgés de deux ans.
Les informations relatives aux modes de garde diffèrent d’une enquête à l’autre. Dans EFL, les parents déclarent le mode de garde habituel des enfants en répondant à une seule question : « Pour l’enfant/les enfants de moins de quatre ans qui vit/vivent dans ce logement, comment est-il/sont-ils gardé(s) habituellement dans la journée en semaine, en dehors de l’école, s’il y va/ils y vont ? ». Les informations issues de Elfe portent sur les préférences énoncées aux deux mois de l’enfant : « Quel est selon vous le mode de garde “idéal” pour votre enfant ? ».
Effectifs d’enfants dans les enquêtes EFL et Elfe selon la situation conjugale et le statut migratoire de la mère

Effectifs d’enfants dans les enquêtes EFL et Elfe selon la situation conjugale et le statut migratoire de la mère
- familles de mères non immigrées en couple ;
- familles de mères non immigrées seules ;
- familles de mères immigrées en couple ;
- familles de mères immigrées seules.
La précarité touche les familles monoparentales, surtout si le parent est immigré
10En 2011, la France métropolitaine comptait 1,6 million de familles monoparentales – entendues ici comme les familles dans lesquelles un adulte vit sans conjoint, avec un ou plusieurs enfants mineurs – dont environ 200 000 composées d’un parent seul immigré (INSEE, 2015). Les familles monoparentales connaissent une situation économique plus précaire que les autres familles : elles vivent trois fois plus souvent en dessous du seuil de pauvreté que les couples avec enfants : 35,9 % contre 11,4 % en 2014 (Argouarc’h et Boiron, 2016). Les difficultés semblent s’accentuer dans le cas de familles monoparentales immigrées (Mainguené, 2013). Comme il a été montré ailleurs par les auteurs de cet article, les femmes immigrées seules ayant au moins un enfant mineur ont des conditions de vie plus précaires que leurs homologues non immigrées (Moguérou et al., 2015). Elles sont à la tête de familles plus nombreuses avec des enfants en moyenne plus jeunes. Elles ont un lien plus fragile avec le marché de l’emploi, sont moins souvent en emploi et travaillent davantage à temps partiel que les autres femmes seules. Néanmoins, comparées à leurs homologues en couple, les mères immigrées seules se distinguent par un plus faible nombre d’enfants à charge et une participation au marché du travail plus élevée, bien que moins diplômées et davantage touchées par le chômage. Leurs deux statuts, d’immigrées et de femmes seules, sont ainsi susceptibles d’avoir un impact sur le mode de garde de leurs enfants.
11Ainsi, avant de procéder à l’analyse des modes de garde des enfants en bas âge, nous nous intéressons dans la suite de cette section aux caractéristiques des familles au sein desquelles vivent les enfants de moins de quatre ans, à partir de l’enquête EFL (tableau 2).
Caractéristiques des familles selon la situation conjugale et le statut migratoire de la mère


Caractéristiques des familles selon la situation conjugale et le statut migratoire de la mère
Champ : enfants de moins de quatre ans vivant avec leur mère.12Les enfants de mères immigrées seules vivent au sein de familles plus grandes que les enfants d’autres familles monoparentales. 67 % d’entre eux ont un frère ou une sœur vivant dans le logement, dont 19 % sont aussi en bas âge. En comparaison, c’est le cas de 53 % et de 10 % des enfants de mères non immigrées seules. Les enfants de familles monoparentales vivent plus souvent au sein de ménages complexes (cohabitation avec d’autres personnes que celles du noyau familial formé de la mère et des enfants), que la mère soit immigrée ou non (environ un enfant sur sept). Alors que dans le cas de mères non immigrées, il s’agit plus souvent de la cohabitation intergénérationnelle avec ses propres parents, les mères immigrées vivent plus fréquemment avec d’autres membres de la famille ou des personnes sans lien familial (données non présentées). La jeunesse des mères non immigrées seules (23 % ont moins de 25 ans) par rapport aux autres groupes laisse supposer un degré d’autonomie moindre vis-à-vis de la famille d’origine et donc, potentiellement, des relations d’entraide plus fortes. Elles peuvent notamment compter sur la présence des grands-parents à proximité pour les aider : 39 % d’entre elles ont une mère résidant dans la même commune (y compris dans le même logement). En revanche, les mères immigrées seules sont moins souvent des mères jeunes – seules 11 % ont moins de 25 ans – et peu vivent à proximité de leur propre mère (13 %), soit des proportions semblables aux mères immigrées en couple.
13Les spécificités des mères immigrées seules en termes de caractéristiques socio-économiques se confirment également au sein de notre population-cible (mères d’enfants de moins de quatre ans). Leur niveau d’éducation est plus bas que celui des mères immigrées en couple, notamment du fait d’une proportion moindre de diplômées du supérieur (tableau 2). Malgré cela, elles ont des taux d’activité plus élevés : seules 31 % se déclarent inactives versus 44 % des femmes immigrées en couple, ces dernières se classant plus souvent femmes au foyer (35 %). Les mères seules, qu’elles soient immigrées ou non, ont des niveaux de diplôme et des taux d’activité proches et comptent aussi peu de femmes au foyer. Malgré leur effort pour se maintenir sur le marché du travail, les femmes immigrées seules sont dans des situations socio-économiques plus précaires : elles sont plus souvent au chômage que les autres femmes seules (37 % versus 26 %) et ont des emplois peu qualifiés : 21 % sont ouvrières versus 10 % des femmes non immigrées seules. Ces emplois, générateurs de salaires moindres, pourraient donc les inciter à faire le choix de garder elles-mêmes leur enfant.
14Les familles immigrées vivent plus souvent dans les grandes unités urbaines, où il existe davantage de structures d’accueil de jeunes enfants, et cette tendance se trouve amplifiée dans le cas des familles monoparentales. 31 % des enfants de moins de quatre ans de mères seules immigrées vivent dans une unité urbaine de plus de 100 000 habitants et 51 % dans l’agglomération de Paris, alors que ceux de mères non immigrées seules sont respectivement 39 % et 16 % dans ces cas. Cette concentration dans les grandes unités urbaines pourrait faciliter leur accès aux modes de garde collectifs.
15Pour résumer, les familles monoparentales immigrées présentent des caractéristiques singulières : elles comptent plus d’enfants que les familles monoparentales non immigrées, forment plus souvent des ménages complexes, les mères chefs de famille sont moins diplômées, plus souvent au chômage et elles résident généralement dans de grandes unités urbaines ou dans l’agglomération parisienne. Ces caractéristiques – de même que leur situation conjugale et leur statut migratoire – sont susceptibles d’influer sur les préférences et les pratiques de garde des jeunes enfants, ce qui nous amènera par la suite à chercher à séparer ces « effets de structure ».
Lorsqu’elles ne souhaitent pas garder elles-mêmes leur enfant, les mères immigrées seules préfèrent le confier à une crèche
16Aux deux mois de l’enfant, une forte majorité des femmes estiment que garder soi-même son enfant est la solution idéale – 69 % –, et cette préférence est plus marquée parmi les mères immigrées en couple – 77 % – [10] (tableau 3). Parmi les mères non immigrées, le statut de mère seule semble peu jouer sur les préférences : les distributions des modes de garde idéaux sont proches, à l’exception de l’assistante maternelle, moins plébiscitée par les mères seules. En revanche, les différences sont plus marquées parmi les mères immigrées : les mères seules sont moins désireuses de garder elles-mêmes leur enfant (60 % versus 77 %) et souhaitent plus souvent le confier à une crèche (26 % versus 14 %). Alors que parmi les mères non immigrées, qu’elles soient en couple ou non, les préférences pour confier les enfants en dehors de la famille vont autant envers les assistantes maternelles que les crèches, les mères immigrées seules sont celles qui déclarent le plus vouloir confier leurs enfants à une crèche. Ce résultat confirme une relative préférence des parents d’origine étrangère envers les structures collectives déjà observée (Galtier, 2011).
Mode de garde « idéal » selon la situation conjugale et le statut migratoire de la mère

Mode de garde « idéal » selon la situation conjugale et le statut migratoire de la mère
Champ : enfants de deux mois vivant avec leur mère.17Les préférences énoncées pouvant être liées à d’autres caractéristiques des familles, par exemple la présence d’autres enfants en bas âge ou le niveau d’éducation des mères, un modèle logit multinomial a été réalisé (voir encadré 1 pour plus de détails) (tableau 4). Le niveau d’éducation et la situation d’emploi apparaissent comme les principaux déterminants des préférences des parents, en termes de modes de garde idéaux. Les mères les plus instruites préfèrent l’accueil extrafamilial : dans une crèche, par un•e assistant•e maternel•le ou une employée à domicile, plutôt que de garder elles-mêmes leur enfant. En revanche, elles déclarent moins souvent vouloir faire garder les enfants par d’autres membres de la famille. Les possibilités et les contraintes, notamment liées au coût des différents modes de garde, expliquent le lien entre les préférences énoncées et l’activité de la femme. Le choix d’une assistante maternelle différencie les femmes en emploi des autres groupes de femmes, potentiellement en lien avec son coût plus élevé. En revanche, la préférence des femmes au chômage en faveur de la crèche est à un niveau proche de celle exprimée par les femmes en emploi.
Mode de garde « idéal »

Mode de garde « idéal »
Odds-ratio du modèle logistique multinomialpseudo R-sq = 0,054.
N = 15 563.
Champ : enfants de deux mois vivant avec leur mère.
Degré de significativité : * p < 0,10 ; ** p < 0,05 ; *** p < 0,01.
18L’âge de la mère et la composition de la famille jouent sur les préférences dans une moindre mesure et seulement sur certains modes de garde. Faire garder les enfants par d’autres membres de la famille est plébiscité par les mères les plus jeunes et par celles qui vivent dans un ménage complexe, ces résultats pouvant traduire des possibilités de le faire (grands-parents toujours vivants, famille vivant à proximité). Lorsqu’il y a déjà un enfant en bas âge qui vit dans le logement, cette option (autres membres de la famille) est moins évoquée. Les mères résidant en Île-de-France déclarent plus souvent vouloir confier leur enfant à une crèche et moins souvent à un•e assistant•e maternel•le, ce résultat suggérant qu’elles sont conscientes de l’offre de places disponibles autour d’elles.
19Toutes choses égales par ailleurs, il apparaît que c’est la situation conjugale des mères qui façonne davantage leurs préférences, le statut migratoire jouant dans une moindre mesure. Les femmes en couple, quel que soit leur statut migratoire, préfèrent garder elles-mêmes leur enfant plutôt que de le confier à une crèche ou à un•e employé•e à domicile. En revanche, alors qu’on observe une réticence à confier son enfant à d’autres membres de la famille parmi les femmes non immigrées en couple, les femmes immigrées en couple ne se distinguent pas du groupe de référence (femmes non immigrées seules). On observe l’effet inverse pour les assistant•es maternel•le•s, où ce sont les femmes immigrées en couple qui déclarent une préférence moindre pour ce mode de garde. Nous n’observons pas de différences dans les préférences des mères seules selon leur statut migratoire, la forte préférence pour la crèche des mères immigrées seules devenant non significative lorsque nous prenons en compte leur lieu de résidence (davantage concentré en Île-de-France).
La concentration dans les grands centres urbains des mères immigrées seules influence les modes de garde effectifs
20Lorsque nous nous intéressons aux pratiques effectives des parents d’enfants de moins de quatre ans, nous observons que celles-ci reflètent leurs préférences, dans la mesure où la moitié des enfants sont habituellement gardés par leurs parents en semaine, le plus souvent par leur mère (tableau 5). La distribution des modes de garde d’enfants de mères immigrées seules n’est pas statistiquement différente de celle observée chez les enfants de mères non immigrées seules, à l’exception du fait que l’emploi d’un•e assistant•e maternel•le est plus fréquent chez ces dernières (Intervalle de confiance, IC, significatif). Le statut migratoire influe donc peu sur les pratiques de garde des familles monoparentales. En revanche, parmi les enfants vivant avec leurs deux parents, une différence nette apparaît : alors que seuls 43 % des enfants de mère non immigrée sont gardés par les parents, c’est le cas de 72 % des enfants de mère immigrée. Pour résumer, la monoparentalité conduit à des effets différents dans les familles immigrées et non immigrées : tandis que dans le premier cas, elle amène la mère à confier plus souvent son enfant à des tiers, dans le second cas, elle aboutit à une situation où les mères seules s’occupent plus souvent de leurs enfants que les mères en couple (58 % versus 43 %).
Mode de garde principal des enfants selon la situation conjugale et le statut migratoire de la mère

Mode de garde principal des enfants selon la situation conjugale et le statut migratoire de la mère
Champ : enfants de moins de quatre ans vivant avec leur mère.21Bien que faire garder les enfants par d’autres membres de la famille reste une situation minoritaire, elle est plus souvent observée chez les mères seules, qu’elles soient immigrées ou non (environ 6 %). Les femmes seules mobilisent plus souvent les solidarités familiales comme mode d’accueil de leurs enfants, vraisemblablement parce que cette solution constitue un mode de garde flexible et potentiellement gratuit. Les foyers monoparentaux faisant plus souvent partie des ménages complexes, ceci pourrait faciliter ces arrangements (voir tableau 2). Cependant, il est possible que les liens de parenté avec les personnes apportant cette aide soient différents selon qu’on est immigré ou non. En effet, si près d’un tiers de mères non immigrées seules résident à proximité de leur mère, ce n’est le cas que d’une mère immigrée seule sur huit. Ces dernières s’appuieraient donc davantage sur d’autres personnes. Cette situation est à rapprocher de la proportion d’enfants de mères seules immigrées, dont le mode de garde est « autre » (5 %). Il peut là aussi s’agir des modes de garde informels assurés par des membres du réseau social de mères immigrées (amis, compatriotes).
22Lorsque l’enfant est gardé hors de la famille, les choix des familles immigrées et non immigrées diffèrent. Les assistantes maternelles constituent la première option du mode d’accueil extraparental la plus fréquente parmi les dernières : 35 % d’enfants de mères non immigrées en couple et 19 % d’enfants de mères non immigrées seules sont gardés par elles. En revanche, les mères immigrées seules choisissent en première option les structures d’accueil collectives : leurs enfants les fréquentent aussi souvent que les enfants de mères non immigrées, en couple ou non, et davantage comparés aux enfants de mères immigrées en couple – 19 % versus 12 % – (IC significatif).
La scolarisation précoce à deux ans
Proportion d’enfants âgés de deux ans scolarisés selon la situation conjugale et le statut migratoire de la mère

Proportion d’enfants âgés de deux ans scolarisés selon la situation conjugale et le statut migratoire de la mère
Champ : enfants de deux ans vivant avec leur mère.23Un modèle logit multinomial a été réalisé pour mesurer l’influence propre du fait d’être mère seule et du statut d’immigré, toutes choses égales par ailleurs (voir encadré 1). Les modes de garde évoluent avec l’âge des enfants : tandis que les plus jeunes sont souvent gardés par leurs parents, avec l’avancée en âge, les probabilités d’être confiés à d’autres personnes – autres membres de la famille, assistant•e maternel•le, crèche, autre – s’accroissent (tableau 7). Comme pour les préférences, la probabilité d’être gardé par d’autres membres de la famille plutôt que par les parents diminue si la mère est plus âgée. La présence d’un autre enfant de moins de quatre ans au sein du foyer a systématiquement un impact significatif sur la probabilité d’accéder aux différents modes d’accueil. Sans surprise, la garde parentale s’intensifie lorsque le foyer comprend plusieurs enfants en bas âge, et les probabilités d’être gardé par d’autres membres de la famille, une assistante maternelle ou en crèche baissent. Faire partie d’un ménage complexe accroît la probabilité d’un enfant d’être gardé par d’autres membres de la famille, sans que l’on sache s’il s’agit des personnes cohabitant effectivement avec lui ou non. En revanche, les enfants appartenant à ces ménages sont moins souvent gardés par les assistantes maternelles.
Recours aux divers modes de garde

Recours aux divers modes de garde
Odds-ratio du modèle logistique multinomial.pseudo R-sq = 0,236
N = 22 074
Champ : enfants de moins de quatre ans vivant avec leur mère.
Degré de significativité : * p < 0,10 ; ** p < 0,05 ; *** p < 0,01.
24Le niveau du diplôme, et plus encore la situation vis-à-vis de l’emploi de la mère ont un effet important sur les modes de garde. Les mères avec un niveau d’éducation plus élevé, surtout celles diplômées de l’enseignement supérieur, préfèrent confier leurs enfants à des professionnels, dont les assistantes maternelles et les structures collectives. Les enfants dont les mères sont hors du marché de l’emploi – chômage, inactivité – ou occupent une position précaire – emploi à temps partiel – ont des probabilités moindres d’être gardés par d’autres personnes que leurs parents. Enfin, les enfants vivant dans les zones les moins densément peuplées ont une probabilité accrue d’être confiés aux assistant•e•s maternel•le•s, tandis que ceux vivant dans les grandes unités urbaines ou à Paris sont plus souvent accueillis en crèche, ainsi que dans d’autres types de modes de garde. Après ajustement sur l’ensemble des variables structurelles, les différences observées entre les modes d’accueil, notamment entre les familles monoparentales immigrées et non immigrées, deviennent non significatives. En effet, les écarts observés sont davantage liés aux caractéristiques des familles, notamment la situation des mères vis-à-vis de l’emploi et leur localisation sur le territoire. Alors que dans l’analyse bi-variée, on observait une moindre proportion d’enfants de mères seules immigrées accueillie par un•e assistant•e maternel•le, ce fait disparaît lorsque la situation des mères vis-à-vis de l’emploi et, dans une moindre mesure, la localisation des familles sur le territoire sont introduites dans le modèle. La probabilité de confier son enfant à une crèche est plus étroitement liée au lieu de résidence de la famille : l’inclusion de cette variable dans le modèle détermine le coefficient et la significativité associée aux mères seules immigrées. Autrement dit, ce sont plutôt les ressources limitées de ces familles ainsi que les possibilités d’autres modes de garde existant dans les grandes zones urbaines (davantage de places en crèche, proximité géographique des membres de la famille) qui expliquent les différences entre les deux groupes de familles monoparentales. En revanche, nous voyons toujours apparaître une différence nette entre les modes de garde choisis par les mères en couple – garder soi-même l’enfant – et par les mères seules – confier l’enfant à d’autres membres de la famille, une structure collective… Le statut migratoire joue un rôle dans le cas des familles biparentales : toutes choses égales par ailleurs, les enfants de mères immigrées en couple ont des probabilités plus grandes d’être gardés par les parents que ceux des mères non immigrées dans les mêmes situations familiales.
Conclusion
25L’objectif de cet article était de comprendre vers quels modes de garde se dirigent les parents d’enfants en bas âge en France aujourd’hui, et comment leurs préférences et leurs pratiques sont façonnées par l’expérience de la monoparentalité en contexte migratoire. Nous faisions l’hypothèse que les mères immigrées seules cumulent des contraintes et également des opportunités spécifiques de par leur statut d’immigrée et de femme seule, pouvant alors déboucher sur des comportements distincts.
26Nous observons que, à l’instar d’autres mères, la majorité de mères immigrées seules préfère garder elles-mêmes leur enfant en bas âge. Néanmoins, elles se distinguent des autres groupes de mères par une préférence et un recours effectif à la crèche plus marqués. Ce mode d’accueil extrafamilial présente l’avantage d’être moins onéreux que l’assistant•e maternel•le, tout en étant assuré par des professionnel•le•s, notamment des puéricult•eur•rice•s, jugées mieux formées et encadrées. Les analyses, toutes choses égales par ailleurs, nuancent néanmoins cette position singulière vis-à-vis d’autres mères seules, dans la mesure où elle semble en partie être liée à leur concentration dans les grands centres urbains et donc un accès facilité à ce type de structures. Ce résultat reste donc à approfondir : déclarent-elles la crèche « idéale » parce qu’elles ont conscience d’y avoir un accès privilégié ? Ou ont-elles une vision spécifique de la parentalité et des besoins de l’enfant ? En revanche, les préférences et les pratiques des femmes immigrées seules se différencient nettement de leurs homologues en couple, y compris lorsque nous tenons compte de leurs situations distinctes vis-à-vis de l’emploi. Ce résultat est à rapprocher de l’émergence de profils de femmes migrant de façon « autonome » (versus dans le cadre du regroupement familial) (Beauchemin et al., 2013) et connaissant plus souvent et plus précocement l’expérience de la monoparentalité (Eremenko et de Valk, 2016).
27Il est également important de rappeler que ces résultats portent, pour l’essentiel, sur des familles composées d’enfants vivant avec leurs parents en logements ordinaires. Ils occultent donc des situations dans lesquelles la question de la garde des enfants peut être plus problématique, notamment pour les mères immigrées seules. Entre 2001 et 2012, le nombre de femmes et d’enfants parmi les personnes sans domicile en France s’est accru, notamment parmi les personnes nées à l’étranger (Mordier, 2016). Un rapport sur les familles sans logement en Île-de-France a montré que l’absence de travail ou le faible niveau de rémunération étaient des obstacles importants pour sortir de cette situation précaire (Guyavarch et al., 2014). Alors que certaines difficultés dans l’accès à l’emploi étaient partagées par tous les parents – nationalité étrangère, absence de documents, problème de langue –, les mères de familles monoparentales (près de la moitié des familles enquêtées) étaient en plus concernées par l’absence de solutions de mode de garde pour leurs enfants en bas âge.
28La situation des enfants laissés dans le pays d’origine ou renvoyés là-bas par leurs parents migrants, relève parfois de choix éducatifs de certaines familles (Razy, 2007 ; Grysole et Beauchemin, 2013). Néanmoins, elle peut aussi résulter des difficultés rencontrées par les parents migrants à concilier le travail et la prise en charge des enfants en bas âge, cette conciliation étant là aussi plus difficile à trouver pour les mères seules (Bernhard et al., 2009 ; Bonizzoni, 2009).
Probabilités de scolariser les enfants de deux ans

Probabilités de scolariser les enfants de deux ans
Odds-ratio du modèle de régression logistiquepseudo R-sq = 0,031
N = 7 410
Champ : enfants de deux ans vivant avec leur mère.
Degré de significativité : * p < 0,10 ; ** p < 0,05 ; *** p < 0,01.
Notes
-
[1]
L’ordre de présentation a été défini par les auteurs.
-
[2]
Ce travail a bénéficié d’un financement de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) dans le cadre d’un appel à projets pour l’étude des liens entre monoparentalité et précarité.
-
[3]
Cependant, au sein des couples, l’investissement accru des femmes dans la sphère professionnelle ces trente dernières années ne s’est pas traduit par une diminution du temps qu’elles consacrent aux enfants, dont la plus grande part leur incombe toujours, en dépit de l’implication accrue des hommes (Champagne et al., 2015).
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[4]
Les mères élevant seules un enfant d’âge préscolaire constituant un groupe de petite taille, elles sont peu nombreuses dans les échantillons. Cependant, les enquêtes EFL et Elfe reposent sur des effectifs plus importants que les enquêtes spécifiquement dédiées à l’étude des modes de garde, telle que l’enquête sur les Modes de garde de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES).
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[5]
Le mode de garde principal est défini comme celui où l’enfant passe la plus longue durée en semaine de 8 heures à 19 heures (hors les jours de week-end). Le mode de garde secondaire est celui où il passe le plus de temps lorsqu’il n’est pas accueilli dans son mode de garde principal.
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[6]
La proportion des enfants vivant avec leur seul père est faible, particulièrement à ces âges (0,5 % des enfants de moins de quatre ans).
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[7]
Il s’agit de l’âge en différence de millésime, soit les enfants nés en 2008-2009-2010, la génération 2008 atteignant trois ans en 2011. L’EFL ayant été réalisée au premier trimestre 2011, la plupart des enfants de cette génération ont été scolarisés plus tard, en septembre 2011 (année scolaire 2011-2012). Les enfants nés en 2007 ont été exclus du champ d’analyse, car, ayant trois ans révolus au moment de l’enquête, ils sont peu susceptibles d’être concernés par un mode de garde.
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[8]
Le choix de ces deux enquêtes plutôt que de celle sur les Modes de garde de la DREES (réalisée au quatrième trimestre 2013 auprès de 6 700 ménages ayant au moins un enfant de moins de six ans) découle de l’absence d’information sur le lieu de naissance des parents dans cette enquête, rendant impossible le repérage du statut migratoire des parents. De plus, l’échantillon comporte environ 400 familles monoparentales avec un enfant de moins de trois ans, nettement moins nombreuses que celles extraites de EFL (Boyer et Villaume, 2016).
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[9]
Dans EFL, nous distinguons le type d’unité urbaine : moins de 100 000 habitants, 100 000 habitants ou plus, agglomération de Paris. Dans Elfe, nous sommes contraints de distinguer simplement les familles vivant en Île-de-France des autres familles.
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[10]
Cette proportion est très proche des réponses données par les parents d’enfants de moins de six mois interrogés dans le Baromètre de la petite enfance de la Caisse nationale des allocations familiales – CNAF (Crepin et Boyer, 2015).