CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Au début des années 1970, la moitié des femmes âgées de 25 ans à 59 ans étaient actives. Aujourd’hui, les trois quarts le sont et ce, quel que soit leur niveau d’éducation (Afsa Essafi et Buffeteau, 2006). Malgré cette progression de l’activité féminine, la quasi-totalité des personnes qui cessent de travailler ou réduisent leur activité professionnelle pour s’occuper de leur enfant est des femmes (Pailhé et Solaz, 2009). Leur activité professionnelle étant encore largement conditionnée par la maternité, l’asymétrie des transitions professionnelles en fonction du genre reste la norme.

2Dans ce contexte, il apparaît intéressant d’analyser les pratiques organisationnelles et temporelles ainsi que les vécus subjectifs de mères ayant maintenu une activité continue à temps plein tout au long de leur carrière. La relation entre le temps professionnel et le temps familial est désignée, selon les approches, par l’utilisation du terme « articulation » ou celui de « conciliation ». Comme l’indiquent A. Pailhée et A. Sollaz (2010), étymologiquement, ce dernier signifie « rendre compatibles des univers opposés », ce qui renvoie à une image harmonieuse masquant les rapports sociaux de sexe et les difficultés liées à la gestion des temps sociaux (Junter-Loiseau, 1999). Or pour les mères maintenant une activité continue à temps plein, cette résolution du conflit matériel et moral est loin d’être atteinte : les contraintes, débordements, compromis et renoncements demeurent multiples (Letablier, 1999 ; Méda et al., 2003 ; Garner et al., 2004 ; Nicole-Drancourt, 2009). La notion d’articulation travail-famille permet d’en rendre compte.

3Qu’en est-il alors de l’articulation travail-famille pour les mères en activité continue et à temps plein du point de vue pratique, temporel, logistique (relevant pour l’essentiel du mode de garde) et mental ? Nous verrons que cette question renvoie à la « distanciation subjective » entendue par B. Fusulier, D. Laloy et E. Sanchez (2009) au sens de « coupure mentale » entre le familial et le professionnel, permettant autant que possible une « disponibilité mentale » dans chacune des sphères. La distanciation subjective est ainsi étroitement liée à la « charge mentale » qui recouvre l’ensemble des contraintes psychiques et des opérations mentales visant l’anticipation, la planification et la gestion des tâches, distinguant ainsi le fait de s’en occuper matériellement et de s’en pré-occuper affectivement et cognitivement (Haicault, 1984). Revers de la distanciation subjective, la charge mentale est à la fois double – familiale et professionnelle –, intangible, cumulative, permanente et sans frontière, puisque les mères l’emmènent partout.

Méthodologie

Les matériaux sur lesquels s’appuie cet article ont été recueillis dans le cadre d’une post-enquête qualitative sur les modes de garde et d’accueil des jeunes enfants, réalisée pour la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) en 2015. Les contacts ont été obtenus par le biais de la DREES ; certaines familles ayant participé à l’enquête Modes de garde et d’accueil des jeunes enfants en 2013 ont en effet donné leur accord pour être recontactées dans ce cadre.
La population d’enquête est constituée de 40 femmes en couple biparental classique, avec un ou plusieurs enfants de moins de six ans, ayant toujours travaillé à temps plein. Leur profil est varié tant sur le plan professionnel (tableau 1) que familial (tableau 2), de même que leur niveau de qualification (tableau 3).
Tableau 1

Statut professionnel des parents enquêtés

Tableau 1
STATUT MÈRE PÈRE Demandeur d’emploi 1 2 Ouvrier 0 2 Employé 11 15 Profession intermédiaire 11 6 Cadre (ou prof. intellectuelle sup.) 14 9 Indépendant ou profession libérale 3 6 TOTAL ENQUÊTÉS 40 40

Statut professionnel des parents enquêtés

Tableau 2

Nombre d’enfants des 40 familles enquêtées

Tableau 2
NOMBRE D’ENFANTS NOMBRE DE FAMILLES 1 enfant 16 2 enfants 19 3 enfants 3 4 enfants 1 7 enfants 1 TOTAL ENQUÊTÉES 40

Nombre d’enfants des 40 familles enquêtées

Tableau 3

Niveau de qualification des 40 mères enquêtées

Tableau 3
NIVEAU D’ÉTUDES NOMBRE DE MÈRES CAP 1 BACCALAURÉAT 3 BAC + 2 4 BAC + 3 14 BAC + 4 5 BAC + 5 8 BAC + 6 4 BAC + 8 1 TOTAL ENQUÊTÉES 40

Niveau de qualification des 40 mères enquêtées

Concernant les modes de garde et d’accueil, 26 familles sur 40 ont recours à des assistantes maternelles, majoritairement agréées et très rarement au domicile familial ou en garde partagée (exclusivement à Paris). Près d’un tiers des familles (14 sur les 40) ont eu recours à un établissement d’accueil de jeunes enfants (EAJE, essentiellement en crèche collective) pour au moins l’un des enfants de moins de trois ans. Près d’un tiers des familles (14 sur les 40) font appel régulièrement ou ponctuellement à la parentèle. Trois familles ont pour mode de garde principal la garde parentale, qu’elle soit permise par le chômage du père ou par une organisation en parents relais. Un peu plus d’un quart des enfants scolarisés utilisent l’accueil périscolaire, essentiellement à partir de quatre ans, car durant la première année de maternelle, la majorité des familles maintiennent l’assistante maternelle, surtout dans les fratries. Enfin, notons que la grande majorité des familles ont recours à plusieurs modes de garde en parallèle pour leurs enfants.
Lors des entretiens, menés sous la forme de récits biographiques, nous nous sommes intéressées aux histoires conjugales, professionnelles et familiales, aux arrangements pratiques et aux compromis réalisés en termes de répartition des activités domestiques et parentales, en accordant une attention particulière à l’appropriation par ces familles des mesures légales visant à faciliter l’articulation travail-famille à travers les modes de garde et d’accueil de leurs jeunes enfants.

4Cet article montre que les mères exerçant une activité continue à temps plein constituent un groupe hétérogène du point de vue des configurations familiales et professionnelles ainsi que des modes de garde auxquels les familles ont recours. Cette diversité donne lieu à des vécus variés de l’articulation travail-famille, mis en évidence par le biais d’une typologie rendant compte à la fois du rapport à l’emploi (type d’emploi, conditions de travail et rapport à l’activité), du rapport à la maternité et du modèle d’articulation [1] qui prévaut au sein des couples – sur le plan des pratiques comme sur celui des aspirations. Nous verrons que ces trois dimensions structurent également le rapport au mode de garde des jeunes enfants et les attentes que les mères nourrissent à leur égard.

5Le premier type identifié concerne les mères empêchées, dont l’investissement maternel est contrarié par un investissement professionnel continu à temps plein contraint. Dans le deuxième type, celui des travailleuses empêchées, c’est à l’inverse l’engagement professionnel qui est mis à mal par le rôle maternel. Le troisième type renvoie quant à lui aux mères travailleuses désenchantées. Pour elles, la symétrie des pratiques professionnelles et familiales se heurte à une articulation travail-famille porteuse de conflits de valeurs et susceptible de les faire basculer vers un quatrième type de vécu (les mères travailleuses submergées), où prime la difficulté de mener de front un fort engagement professionnel et un engagement maternel conforme à la norme traditionnelle [2].

Les mères empêchées : un investissement maternel empêché par l’engagement professionnel

6Ce modèle rend compte de l’expérience des mères qui ne remettent pas en cause le partage traditionnel des rôles entre hommes et femmes et qui vivent leur emploi continu à temps plein comme une contrainte. Elles souhaiteraient s’investir davantage dans l’éducation des enfants et culpabilisent d’avoir un recours intensif aux modes de gardes externalisés. Ces mères se rattachent subjectivement au modèle familial « traditionnel [3] » dans le sens où, pour elles, la valeur famille est supérieure à la valeur travail et où l’investissement familial féminin doit primer sur l’investissement familial masculin. Dans la pratique, elles sont toutefois contraintes de renverser l’ordre de ces priorités, en raison du sous-emploi de leur conjoint, de leurs horaires atypiques ou de l’ethos professionnel qui prévaut dans leur métier. Il résulte de ce conflit de valeurs une articulation subjective conflictuelle, donnant lieu, pour nombre d’entre elles, à une volonté de rééquilibrer cette inadéquation en réduisant ou en modifiant leur situation professionnelle.

Un surinvestissement professionnel féminin contraint

7L’emploi continu de la première figure de mères empêchées tient à la situation professionnelle de leurs conjoints. Ceux-ci sont souvent peu qualifiés, avec des trajectoires professionnelles discontinues marquées par des périodes longues et répétées de chômage ou par une activité intermittente (intermittents du spectacle, intérimaires, activité saisonnière pour les vignerons notamment). Les mères sont alors contraintes, faute de revenus suffisants, de maintenir leur activité à temps plein.

8Dans d’autres familles, la transgression des normes traditionnelles auxquelles ces mères aspirent tient à l’ethos professionnel qui prévaut dans leur groupe professionnel, notamment dans le secteur médico-social ou dans l’enseignement. L’importance accordée à la relation, à la vocation et au temps passé dans ces métiers implique en effet un engagement au travail particulièrement fort, tant à un niveau pratique que subjectif par l’empathie, l’implication émotionnelle et l’investissement personnel (Fusulier, Laloy et Sanchez, 2009). Si les stratégies pour tenir le travail à distance sont observées chez les « professionnels de la relation » (Fusulier, Laloy et Sanchez, 2009) elles ne sont pour autant pas faciles à faire siennes et à appliquer. En devenant mère, la distanciation subjective se fait de plus en plus difficilement, elle entre en conflit avec le rôle maternel traditionnel et confère à l’activité professionnelle un caractère d’autant plus contraignant.

Une articulation subjective mise à mal

9Les mères empêchées éprouvent un sentiment de culpabilité lié à leur manque de disponibilité, notamment pour les « premières fois » des enfants ou pour les moments symboliques, sans pour autant pouvoir se désinvestir de leur travail. Évidemment, ce ressenti est intimement lié aux représentations qu’elles se font de leur rôle parental. Au-delà des divergences interindividuelles, toutes regrettent d’avoir un recours intensif aux modes de garde externalisés. Ne pouvant investir leur rôle maternel comme elles le souhaiteraient, elles se montrent très sensibles à la qualité des activités éducatives dispensées au sein des lieux d’accueil de leurs enfants, au respect des règles qu’elles souhaitent leur imposer et aux soins qui leur sont portés. Ainsi en est-il de Claudia [4] qui a « harcelé » le maire et les élus de sa ville pour obtenir une place en crèche de toute urgence quand elle s’est aperçue que l’assistante maternelle de son fils ne respectait pas un rythme régulier pour les repas, les couchers et les changes, le récupérant régulièrement « sale, fatigué et complètement décalé au niveau du sommeil » [5]. De même pour Camille, une infirmière aux horaires atypiques, qui a particulièrement mal vécu le fait de ne pouvoir imposer ses propres règles à l’assistante maternelle de sa fille, n’ayant d’autre possibilité pour la faire garder lorsqu’elle travaille de nuit, le week-end et durant les jours fériés :

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« Elle imposait ses règles et pas nos règles, on n’avait aucun mot à dire, elle embrassait ma fille sur la bouche, alors que moi je ne le fais pas. Elle était hyper possessive, j’avais vraiment l’impression d’abandonner mon enfant à une mère adoptive. C’était dur d’aller au travail. On essayait de lui dire les choses, mais on n’avait qu’elle, donc si on se la mettait à dos, on n’avait plus personne pour la garder. […] On a vraiment mal vécu le fait qu’elle l’embrasse sur la bouche ; moi ça me fendait le cœur. »
(Camille, 33 ans, infirmière en centre hospitalier universitaire (CHU), deux enfants de trois ans et six ans ; conjoint contrôleur à la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) ; Champagne-Ardenne, secteur rural ; assistantes maternelles pour le premier enfant, crèche collective pour le second, à chaque fois associées à une garde parentale sous la forme de parents relais)

11De surcroît, l’importante charge mentale, tant professionnelle que familiale de ces mères, met à mal la distanciation subjective. Contraintes par cette vigilance permanente, elles ne veulent pas pour autant la diminuer, puisqu’elle « est un enjeu de pouvoir au sein du couple » (Castelain Meunier, 1996). Il en résulte certaines formes de résistances des mères vis-à-vis de la prise de responsabilités des pères, notamment lorsqu’ils sont au chômage, bénéficient d’horaires flexibles ou décalés par rapport aux mères. Craignant que le surinvestissement paternel ne donne lieu à une inversion des rôles, elles supervisent les activités des pères, reléguant ceux-ci à une fonction-support et estiment parfois devoir surveiller leurs pratiques :

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« Quand je pars en déplacement, je prépare toutes les affaires à l’avance, parce qu’à chaque fois que je ne l’ai pas fait, c’était n’importe quoi ! […] Une fois, en plein hiver, je l’ai retrouvée en body avec un petit gilet par-dessus et rien entre les deux ! Petite anecdote : elle apprend la propreté, donc elle avait fait caca dans son pot ; moi, j’étais sous la douche, et il est venu me voir avec les lingettes Ajax : “Je lui essuie les fesses avec ça ?” On est obligé de surveiller ! »
(Rachelle, 32 ans, chargée de diffusion, un enfant de deux ans et demi ; conjoint agent immobilier, Île-de-France, secteur urbain ; garde partagée)

13Ces stratégies de résistances sont pour beaucoup une façon de se sentir mère, malgré un alourdissement de la charge mentale.

Entre risque de basculement vers l’idéal-type des mères travailleuses submergées et volonté de réajustement du professionnel

14Le risque de basculement vers l’idéal-type des mères travailleuses submergées résulte de la difficulté de mener de front un fort engagement professionnel avec un engagement maternel conforme à la norme traditionnelle. Il peut aller jusqu’à un syndrome d’épuisement familial physique et moral intense, généré par une articulation travail-famille sur le fil qui donne lieu à un sentiment d’impuissance, d’abattement et d’insatisfaction, faute de pouvoir investir leur rôle maternel, tel que les injonctions sociales le leurs imposent. Les obligations extérieures qui pèsent sur les mères peuvent ensuite provoquer un sentiment de défaillance (Laloy, 2011) pouvant se traduire par des troubles de la santé (perte de poids, douleurs, épuisement physique et moral, dépression). Cet effacement de soi apparaît difficilement tenable pour certaines mères sur le long terme, faisant dire à Alexia :

« Il y a eu des jours où j’étais physiquement et moralement détruite. Deux ans d’apocalypse à courir dans tous les sens. C’était plus une vie, c’était un carnage. »
(Alexia, 37 ans, deux enfants de trois ans et six ans, responsable de boutique au chômage ; conjoint directeur d’entreprise ; Île-de-France, zone urbaine ; crèche collective à titre principal, puis garde parentale depuis qu’elle est au chômage)
La diminution du temps de travail est alors vue comme un mode d’atténuation des conflits temporels pratiques et des conflits de distanciation subjective. Certaines mères envisagent ainsi un temps partiel ou un changement d’horaires, de service ou de lieu de travail, voire une reconversion professionnelle, notamment à l’arrivée d’un nouvel enfant ou à la scolarisation du premier. Cette volonté d’infléchir la place du travail chez les mères empêchées démontre bien l’importance de prendre en compte l’aspect subjectif de l’articulation tout en réduisant le poids de la charge mentale.

Les travailleuses empêchées : un investissement professionnel féminin empêché par le rôle maternel

15Le deuxième type d’expérience féminin de l’articulation travail-famille concerne les mères qui souhaiteraient s’investir davantage dans la sphère professionnelle, mais qui ne le peuvent pas en raison du sous-engagement familial de leur conjoint. Ces travailleuses empêchées appartiennent à des couples à double carrière, où les deux conjoints occupent des postes à responsabilité. Sur le plan pratique, l’articulation travail-famille est rendue possible grâce à une importante délégation du travail domestique et parental avec un recours conséquent aux modes de garde et d’accueil. Elle s’avère toutefois conflictuelle sur le plan subjectif, car ces mères aspirent à un nouveau partage des rôles qui ne se concrétise pas totalement en raison du primat accordé à la carrière masculine.

Les couples à double carrière : une nouvelle répartition des rôles ?

16Les travailleuses empêchées appartiennent à des couples à double carrière : les deux conjoints sont très qualifiés, occupent des postes à responsabilités, encadrent des équipes ou exercent des fonctions d’expertise. Cadres d’entreprise, chercheuses, pharmaciennes ou consultantes, elles appartiennent par ailleurs à des métiers connus pour imposer à leurs membres une disponibilité particulièrement forte et de longues journées de travail (Bouffartigue et Bocchino, 1997 ; Lapeyre et Le Feuvre, 2004 ; Boni-Le Goff, 2013 ; Lanciano-Morandat, 2013).

17Sur le plan subjectif, ces mères contraintes par le poids de leur charge mentale professionnelle ont pris des distances avec les injonctions normatives féminines. Elles aspirent à un modèle « égalitaire » (Lapeyre, 2006) au niveau domestique et également au niveau professionnel, au sens où leurs aspirations de carrière sont tout autant légitimes à leurs yeux que celles de leurs conjoints. Elles ont d’ailleurs souvent retardé la naissance de leurs enfants pour s’engager pleinement dans leur travail, dans la première partie de leur carrière. Mais au moment des naissances, la prise de distance avec le modèle traditionnel se trouve bouleversée par le sous-investissement familial des pères, qui ne vient pas compenser l’accroissement de la charge de travail domestique. C’est ce que signifie Nacima, une ergonome :

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« Mon mari, il part à 7 heures et rentre après 20 heures et il travaille le soir à la maison, le week-end aussi […]. C’est moi qui gère tout : mes filles, la maison, tout ça, c’est moi. Lui, il doit tout le temps être présent pour son travail. […] Sa vie à lui, elle est orientée vers son travail, alors que la mienne, non. Avant oui, mais plus maintenant. »
(Nacima, 39 ans, ergonome, deux enfants de deux ans et cinq ans ; mariée à un chef d’entreprise dans le bâtiment ; Île-de-France, secteur urbain ; assistante maternelle et crèche collective avant la scolarisation, puis accueil périscolaire et garde grand-parentale régulière)

19Le maintien d’une activité féminine continue à temps plein peut aussi être vécu comme un choix sous contraintes, lié à des enjeux de carrière, comme une norme à respecter strictement sous peine d’être désavouée professionnellement.

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« Le temps partiel, c’est inter… [rires]. C’est très rare ! Et le congé parental… c’est quoi ça, déjà ? [rires] Non, quand on est consultant, ça ne se fait pas, ce n’est même pas la peine d’y penser ! »
(Anna, 34 ans, consultante en finance, mère d’un enfant de trois ans ; conjoint consultant en finance à son compte ; Île-de-France, secteur urbain ; assistante maternelle, puis crèche collective, associées à une garde à domicile quotidienne en soirée)

21Les femmes rencontrées ont d’ailleurs observé des pratiques discriminatoires et des brimades à l’égard de collègues ayant réduit leur activité professionnelle au moment des naissances. Ces expériences sont révélatrices du « modèle de carrière idéal » qui prévaut dans les professions d’expertise et d’encadrement (Laufer, 2005 ; Guillaume et Pochic, 2007). Ce modèle se caractérise par la continuité des parcours professionnels et la disponibilité permanente des salariés, excluant les éventuels retards ou ralentissements liés aux contraintes familiales et privées. Il présuppose que les salariés sont dégagés de toute responsabilité parentale et révèle des attentes professionnelles façonnées par le rôle traditionnel masculin, auxquelles les femmes concernées tentent de se conformer. En dépit du surengagement professionnel de leur conjoint – chef d’entreprise, exploitant agricole, consultant ou cadre dirigeant –, elles accomplissent des journées de travail d’au moins douze heures, sont régulièrement en déplacement, se rendent disponibles pour les réunions tardives, acceptent de travailler durant leurs vacances ou leur congé maternité. Carine, responsable des achats dans une entreprise de jeux vidéo [6], a par exemple travaillé à distance jusqu’à la veille de ses deux accouchements et a continué de traiter ses mails professionnels durant son séjour à la maternité, depuis son Smartphone.

La délégation comme clé de l’articulation pratique

22Ce surengagement professionnel féminin est rendu possible grâce à une importante externalisation du travail domestique et au recours intensif aux modes de garde. Les revenus conséquents du couple permettent en effet de faire appel à des prestataires pour l’entretien du linge et de la maison et de cumuler plusieurs modes de garde pour leurs enfants. Dans l’une des familles rencontrées, les deux conjoints effectuent des journées de douze heures de travail, le plus souvent de 8 heures à 20 heures. Pour couvrir cette amplitude horaire, ils cumulent plusieurs modes de garde : leur fille de deux ans est gardée en collectivité tous les matins de 7 h 30 à midi, puis de midi à 20 heures par une garde à domicile. Leur fils de cinq ans, lui, rejoint l’accueil périscolaire tous les matins de 7 h 30 à 8 h 30 et tous les soirs, de 16 heures à 18 heures, avant de retrouver la garde à domicile employée par la famille. Ponctuellement, le couple fait aussi appel aux grands-parents ou à des modes de garde informels, en sollicitant des amis ou des voisins.

23Le regard porté par les couples à double carrière sur les différents modes de garde dépend alors grandement de la souplesse de leurs horaires. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils optent souvent pour une garde à domicile, jugée plus flexible et autorisant d’éventuels retards. Ils mettent par ailleurs l’accent sur le fait que les gardes à domicile prennent en charge une partie des activités classiquement dévolues aux parents, comme l’entretien du linge, le bain des enfants, la préparation du dîner ou l’aide aux devoirs. L’externalisation du « temps parental domestique » et du « temps parental scolaire » (Barrère-Maurisson, Marchand et Rivier, 2000) apparaît alors comme un levier essentiel de leur surinvestissement professionnel.

De l’investissement professionnel empêché à l’articulation subjective sous tension

24Si, sur le plan pratique, on observe dans ces familles une volonté de trouver des arrangements pour que les deux conjoints puissent fortement s’investir sur le plan professionnel, la « déspécialisation des tâches » (Méda, 2001) à laquelle ces mères aspirent ne se concrétise pas totalement. Dans leur fonctionnement quotidien, elles assurent la majorité du travail domestique et parental qui n’est pas externalisé et investissent tout particulièrement les activités de maternage, au nom du bien-être des enfants qui ne doivent « payer » ni leur investissement professionnel, ni celui de leur conjoint.

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« Je pars du principe qu’on a des vies dures mon mari et moi. On travaille beaucoup, mais ce n’est pas à mes gamines de le payer. Donc quand je rentre à la maison, fatiguée ou pas, malade ou pas, il faut que j’assure avec mes filles. Des fois je suis épuisée de ma journée, mais il faut gérer. C’est comme ça. »
(Nacima, ergonome, deux enfants)

26L’expérience de travailleuses empêchées résulte donc de la tension particulièrement forte entre le rôle maternel et le désir de se réaliser sur le plan professionnel, tension qui donne elle-même lieu à une double culpabilité : à la fois à l’égard des enfants auprès de qui elles souhaiteraient passer davantage de temps et à l’égard du travail, avec le sentiment de ne pas être suffisamment investies.

27Si la plupart des mères interrogées n’émettent malgré tout pas de regret quant au maintien d’une activité continue à temps plein, la tension entre les exigences familiales et les impératifs professionnels est parfois si forte qu’elle s’accompagne d’une mise en cause personnelle. C’est ainsi que l’une d’elles a fait un burn out après la naissance de son premier enfant.

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« J’étais sur un nouveau poste et je ne le maîtrisais pas du tout quand j’ai repris, donc j’ai travaillé comme une damnée. J’ai pété un câble à ce moment-là, parce que je travaillais trop et je gérais la petite la nuit. Je retravaillais tous les soirs pour essayer d’être à jour dans mes dossiers, c’était vraiment tout le temps. […] J’ai fait – comment on appelle ça ? –, je crois que j’ai fait un burn out. »
(Carine, responsable des achats, deux enfants)

29Comme les mères empêchées, les travailleuses empêchées sont ainsi susceptibles de basculer vers un autre vécu de l’articulation travail-famille, celui des mères travailleuses submergées.

30L’appui organisationnel (externalisation, délégation) et institutionnel (mode de garde et d’accueil) est déterminant dans l’articulation des couples à double carrière, où malgré l’aspiration à un modèle idéal égalitaire demeure en pratique un modèle « transitionnel » (Lapeyre, 2006), dans la division du travail professionnel et familial.

Les mères travailleuses désenchantées par la symétrie des pratiques

31L’idéal-type minoritaire des mères travailleuses désenchantées renvoie aux expériences réussies de l’activité féminine continue à temps plein du point de vue de l’articulation pratique des engagements professionnels et des engagements familiaux, avec une tentative de dépassement de la division du travail productif et reproductif. La clé de leur articulation pratique réside dans le fort engagement paternel dans la sphère familiale, rendu possible par des caractéristiques professionnelles particulières, que l’on retrouve dans les couples hypoconjugaux et dans la figure des parents-relais, ayant des horaires atypiques ou décalés. Mais nous allons voir que cette articulation réussie sur le plan pratique ne l’est pas mécaniquement du point de vue subjectif, puisqu’elle demeure porteuse de conflits de valeurs.

Les couples hypoconjugaux : vers un modèle égalitaire ?

32Par opposition au modèle traditionnel de l’« hyperconjugalité », où toute la famille – et, bien sûr, plus spécialement la femme – est mobilisée en vue de la bonne réalisation des stratégies masculines (Nicole-Drancourt, 1989), les femmes appartenant à des couples hypoconjugaux affirment leur volonté de se réaliser dans leur activité professionnelle jusqu’à bousculer les normes de mobilité classiques de leur conjoint, afin que la carrière de ces derniers ne compromettent pas la mise en œuvre de leurs propres stratégies professionnelles (Nicole-Drancourt, 1989 ; Commaille, 2010). Ce type de configuration conjugale facilite ou, du moins, ne freine pas l’investissement des mères dans le champ professionnel.

33Dans ces familles, c’est donc le père qui infléchit son activité continue à temps plein pour assurer totalement ou en partie la garde des enfants. Cette organisation peut aller jusqu’à choisir un temps partiel ou un congé parental – ce qui relève d’un choix encore largement minoritaire aujourd’hui (Boyer, 2004 et 2013) – ou encore une modification du lieu de travail, pour faciliter l’articulation travail-famille ; une partie du travail étant effectuée à domicile ou en télétravail. Si cette hypoconjugalité existe et rend possible une articulation objective réussie, elle représente une part infime de notre population.

Les parents-relais : une articulation pratique réussie

34Alors que les horaires atypiques sont souvent considérés comme un obstacle à la vie familiale (Senik, Méda et Garner, 2004), certaines mères interrogées les présentent, au contraire, comme un atout sur le plan pratique. En discordance avec la semaine standard de cinq jours de travail consécutifs avec horaires diurnes réguliers, les horaires atypiques regroupent une grande diversité de configurations de travail (Le Bihan et Martin, 2004) : ils peuvent être décalés par rapport à la journée ou à la semaine classique de travail, variables en fonction des jours, des semaines ou de la période de l’année et être plus ou moins prévisibles (Campéon et al., 2005). C’est justement lorsque les horaires des mères sont décalés par rapport à ceux des pères – ce qui suppose une certaine régularité au niveau des rythmes de travail de chaque conjoint –, qu’ils constituent un atout pour l’articulation travail-famille. Ainsi, un couple de policiers [7] travaille de nuit au sein de la même brigade. Leurs horaires s’organisent en « 3/3 sur 7 jours » : trois nuits travaillées de 19 heures à 6 h 30, puis trois nuits de repos. Les horaires des parents sont décalés : lorsque la mère travaille de nuit, elle dort de 9 heures à 15 heures, pendant que le père s’occupe des enfants, puisqu’il est de repos, et inversement. Cette figure de parents-relais purs est minoritaire et concerne uniquement les parents aux horaires de travail irréguliers, décalés [8] ou alternants (2 x 8 ou 3 x 8 ou brigades). Dans la majorité des cas, ce type d’horaires atypiques, que l’on retrouve surtout dans le secteur de la santé et du social, associe au mode de garde parental des besoins de garde ponctuels (recours à la parentèle essentiellement). L’articulation travail-famille est alors construite empiriquement au mois, au gré des plannings croisés, imposant une organisation ajustée à la demi-heure près tout en étant flexible [avec des systèmes de “roue de secours”]. Cette désynchronisation temporelle facilite la garde des enfants par l’un, puis par l’autre parent (Coombe, 1999 ; Foster et Broad, 1998 ; Gaucher, 1997). Néanmoins, ce fonctionnement impose des contraintes supplémentaires (Bressé, Le Bihan et

35Martin, 2007), notamment en termes d’ajustements et de réajustements quotidiens très majoritairement pris en charge par les femmes, qui s’avèrent d’autant plus fortes quand la fratrie n’est pas sur le même rythme (enfants scolarisés et non scolarisés).

Les conflits de rôles parentaux

36Attardons-nous sur les représentations du rôle de mère. Pour la quasi-totalité des mères interrogées, tenir son rôle de mère passe par le maintien de la répartition genrée des activités domestiques et parentales, notamment au niveau qualitatif. Plusieurs recherches ont mis en lumière un plus grand engagement de la part des pères en général (Tremblay, 2004 ; Fagnani, 1999 ; Brayfield, 1995 ; Preston et al., 1999) notamment lorsque les mères ont des horaires atypiques (Fagnani, 1999). Si nous pensions que l’activité féminine continue à temps plein pouvait contribuer à rééquilibrer la répartition des tâches, voire à redéfinir les rôles de façon globale, en réalité, il n’en est rien. Lorsque le partage apparaît quantitativement et qualitativement plus égalitaire, il s’agit d’un simple effet mécanique lié à l’absence des mères. Les normes de genre ne semblent pas remises en cause, puisqu’au retour des mères, on observe systématiquement un effet de compensation et de rattrapage. Les activités domestiques majoritairement dévolues aux femmes, telles que le ménage, le linge, la cuisine et les courses (Kaufmann, 2010) le demeurent. Et si la répartition des activités parentales semble se maintenir de manière plus équilibrée en présence des deux parents, les mères se contraignent à demeurer plus investies que les pères, notamment pour les tâches de maternage. Le père, relégué à un rôle de fonction support, apparaît alors davantage comme une « aide ».

37Ces couples empreints, en apparence, de pratiques égalitaires (pas toujours ouvertement revendiquées), ne remettent pas pour autant en cause les représentations axées sur le genre. De surcroît, lorsqu’exceptionnellement une répartition égalitaire des activités domestiques et parentales est maintenue en présence de la mère, celle-ci peut paradoxalement très mal le vivre, ayant alors le sentiment que le père « lui prend son rôle », voire déstabilise totalement l’équilibre familial :

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« Nos horaires et le mode de garde font que ça a totalement détruit la notion de famille, c’est-à-dire qu’à la maison on n’est pas un papa et une maman, on est deux mamans. Il n’est pas fait pour être une maman, mais pour être un papa. Il n’est pas fait pour faire les tâches ménagères ni pour élever les enfants comme une maman. […] Quand je rentre, mon linge est repassé, il a lavé la baraque, le manger est fait. Du coup, j’ai l’impression d’être redevable, j’ai l’impression que je ne tiens pas mon rôle. Lui, il se dit que si je travaille, c’est normal qu’il fasse son boulot dans la maison, mais pour moi, ça ne l’est pas. Quand elles étaient petites, j’avais vraiment l’impression qu’il prenait ma place. En plus, il s’occupe à merveille des enfants, alors quand il te dit “non, moi je ne fais pas comme ça, moi, je mets cette crème-là, elle est mieux”, tu as l’impression d’être remise en question, d’avoir affaire à une deuxième mère. Sauf que c’est moi, la mère, c’est moi normalement qui dois t’expliquer comment t’occuper des enfants ! »
(Camille, infirmière, deux enfants)

39Le surinvestissement paternel est ainsi vu comme une inversion des rôles pour ces mères qui vivent difficilement le fait de ne pas tenir celui de « bonne mère » assigné socialement. Le poids social transmis par l’éducation s’exerce au quotidien par le regard, voire par les ingérences des grands-parents, de l’entourage et des professionnels de la petite enfance. Il s’agit par exemple d’une assistante maternelle déclarant à une mère rencontrée que « 20 heures, ce n’est pas une heure pour récupérer un bébé, qu’il a besoin de dormir à cette heure-là et d’une maman qui ne travaille pas autant ». Avec le temps, ces conflits de rôle peuvent conduire les mères à opérer des rééquilibrages professionnels ou parentaux afin de correspondre davantage aux normes et aux valeurs sociétales, toujours marquées par le modèle traditionnel. C’est ainsi que dans un couple hypoconjugal de statisticiens, la mère qui travaille à temps plein [9] vit très mal le surinvestissement familial de son conjoint qui a réduit son activité professionnelle pour s’occuper de leur enfant. Se sentant « mise à distance » et « jalouse de leur proximité », elle envisage de prendre un temps partiel à 80 % pour que son conjoint travaille à 80 % et non plus à 60 %. Le décalage entre la place du travail, le rôle qu’il tient et les valeurs incorporées par les individus est donc à l’origine du rééquilibrage du modèle égalitaire ou plutôt du « redéséquilibrage » vers davantage de division genrée du travail productif et reproductif.

40Si les caractéristiques d’emploi des couples hypoconjugaux et des parents relais permettent une articulation pratique réussie, elle demeure subjectivement sous tensions. N’ayant pas rompu avec les injonctions normatives féminines du modèle traditionnel, ces mères subissent la tentation du rattrapage, voire un risque de débordement et de basculement vers l’idéal-type des mères travailleuses submergées.

Conclusion

41L’activité féminine continue à temps plein, donnant lieu à des expériences variées de l’articulation travail-famille, s’avère porteuse de tensions organisationnelles, temporelles et subjectives tant sur le plan professionnel que sur le plan familial, comme nous l’avons vu au travers de ces idéaux-types. On observe que la « distanciation subjective » entre les sphères familiales et professionnelles (Fusulier, Laloy et Sanchez, 2009) est mise à mal tant pour les mères qui vivent leur activité continue et à temps plein comme une contrainte que pour celles qui l’ont choisie : toutes se soumettent à vigilance permanente que représente la charge mentale sans nécessairement vouloir la diminuer de par le poids des rôles sociaux et des injonctions normatives de genre qui pèsent sur l’exercice de la parentalité. Il en résulte certaines formes de résistances des mères qui amplifient les mises en tension de l’articulation travail-famille, y compris au sein des familles qui tendent vers un modèle égalitaire sur le plan des pratiques professionnelles et familiales.

Notes

  • [1]
    Nous nous appuierons sur les trois modèles d’arrangements parentaux et domestiques identifiés par N Lapeyre (2006) : le modèle normatif ou traditionnel, le modèle transitionnel et le modèle égalitaire.
  • [2]
    Précisons que, dans la réalité, ces quatre types d’expérience ne sont bien sûr pas hermétiques : les mères que nous avons rencontrées peuvent correspondre à plusieurs types en même temps ou passer d’un type à un autre au fil de leur trajectoire. À ce titre, le quatrième type de vécu est significatif, car il représente un risque de basculement pour chacun des trois types. Il n’est pas développé en tant que tel, car il renvoie à l’extrémité du continuum pour chacun des types.
  • [3]
    Le modèle « traditionnel » de N. Lapeyre (2006) se caractérise par une assignation masculine à la sphère professionnelle et une assignation féminine à la sphère familiale.
  • [4]
    Les prénoms des mères interrogées ont été modifiés afin de préserver leur anonymat.
  • [5]
    Claudia, 43 ans, professeur des écoles, deux enfants de trois ans et huit ans et demi, conjoint agent de sécurité intérimaire, Île-de-France, secteur urbain, recours à des assistantes maternelles, à une crèche collective avant la scolarisation des enfants, puis à la garderie, la garde par le père et la garde grand-parentale ponctuelle depuis leur scolarisation.
  • [6]
    Carine, 37 ans, responsable des achats, deux enfants de deux ans et cinq ans ; conjoint responsable marketing, Île-de-France, secteur urbain ; crèche et accueil périscolaire associés à une garde à domicile quotidienne en soirée et à une aide grand-parentale occasionnelle.
  • [7]
    Élise, 36 ans, capitaine de police, deux enfants de 10 mois et cinq ans ; conjoint lieutenant de police ; Île-de-France, secteur urbain ; garde parentale à titre principal.
  • [8]
    Les parents ont des horaires de travail décalés dès lors qu’ils travaillent moins de la moitié de la période standard (du lundi au vendredi entre 9 heures et 19 heures) sur les mêmes plages horaires (Sautory, 2011).
  • [9]
    Amélie, 30 ans, statisticienne de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), un enfant de deux ans et demi ; conjoint statisticien dans le privé ; Picardie, secteur urbain ; crèche d’entreprise à temps partiel associée à une garde parentale assurée principalement par le père.
Français

L’activité féminine continue à temps plein donne lieu à des expériences variées de l’articulation travail-famille et s’avère porteuse de tensions organisationnelles (renvoyant aux modes de garde), temporelles et subjectives, tant sur le plan professionnel que familial. La « distanciation subjective » est mise à mal lorsque des interférences du travail dans la famille et de la famille dans le travail apparaissent. Cette vigilance permanente que représente la charge mentale est difficilement quantifiable. Elle est relative, au sens où son poids varie d’une femme à une autre et selon les moments dans la trajectoire socioprofessionnelle. Les mères sont souvent prises au piège de cette vigilance permanente en raison de la pesanteur des rôles sociaux. Il en résulte certaines formes de « résistances » amplifiant les mises en tension de l’articulation travail-famille.

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Lucie Goussard
Sociologue, université d’Évry-Val d’Essonne, Centre Pierre-Naville (CPN).
Laetitia Sibaud
Sociologue, NEOMA Business School, chercheure associée au Centre d’études et de recherches sur les emplois et les professionnalisations (CEREP), université de Reims Champagne-Ardenne.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 18/07/2017
https://doi.org/10.3917/rfas.172.0169
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