Introduction
1 Depuis quarante ans, la France consacre des enveloppes budgétaires importantes au secteur de l’immobilier et du logement. En 2014, selon les derniers « Compte du logement » [1], 41 milliards d’euros ont ainsi été affectés à la politique du logement, soit 2,0 % du produit intérieur brut (PIB) [2]. Pour autant et malgré une augmentation constante de ces soutiens publics, la France s’est enfoncée dans une crise du logement profonde. La pénurie d’offre est grandissante dans les zones les plus tendues, la situation des ménages s’y dégrade et le nombre de ménages mal logés ne cesse de croître. Face à ce constat, la question de l’efficacité des aides publiques au logement et, spécifiquement, des aides dites « à la personne » est posée.
2 En 2015, 6,3 millions de ménages ont bénéficié d’une prestation sociale au logement pour un budget global de 18 milliards d’euros. Dans une période où la dépense publique et son efficacité sont en permanence sous le feu des critiques, le système français des aides personnelles au logement n’est pas épargné. L’effort budgétaire consenti pour permettre aux ménages les plus modestes d’accéder à une relative solvabilité est-il trop important ? Entre des aides à la solvabilité et leurs potentiels effets inflationnistes sur les loyers, comment arbitrer ? Peut-on améliorer le ciblage de ces aides au logement et, plus globalement, quelles sont les pistes de réformes proposées et réalisables ?
Un effort budgétaire conséquent mais contenu
3 En France, depuis 1977, trois aides distinctes, accordées sous conditions de ressources, sont destinées aux ménages les plus modestes – locataires ou accédants à la propriété pour leur résidence principale – afin de réduire le poids de leurs dépenses en logement.
- l’allocation de logement à caractère familial (ALF), créée dès 1948, est accordée aux familles logeant en dehors du parc conventionné [3] (essentiellement le parc social) ;
- l’allocation de logement à caractère social (ALS), créée en 1971, est accordée aux ménages sans enfant ni personne à charge, logeant en dehors du parc conventionné ;
- l’aide personnalisée au logement (APL), créée en 1977, est accordée aux ménages, avec ou sans enfant, occupant un logement du parc conventionné.
4 Le montant de l’aide dépend principalement de trois paramètres : les ressources du foyer du bénéficiaire, sa situation familiale et la charge de logement (loyer ou remboursement de prêt) qu’il doit assumer. L’aide est fonction d’un loyer-plafond dont le montant dépend de la situation de la personne (isolée, en couple, en colocation), de l’emplacement géographique (variation selon trois zones : I, II et III [4]) et du nombre de personnes à charge [5].
5 Sous l’effet conjugué des réformes successives et de l’augmentation du nombre de bénéficiaires, les montants alloués n’ont cessé de croître. Au total, en 2014, ce sont 6,3 millions de ménages qui ont bénéficié d’une aide personnelle au logement pour un budget global de 18 milliards d’euros, soit une aide moyenne de 232 € par foyer (« Compte du logement », 2014). Corrigé de l’inflation, ce montant a augmenté de 25 % au cours des deux dernières décennies. Sur la même période (1994-2014), le nombre de bénéficiaires d’aides à la personne a crû de plus de 600 000, soit une hausse supérieure à 10 %.
6 Dans le contexte actuel où l’efficacité de la dépense publique et sa maîtrise sont étudiées attentivement, ces évolutions posent question. Il est malgré tout possible de porter sur elles un autre regard.
7 D’une part, bien qu’appartenant au haut de la fourchette des pays de l’OCDE subventionnant l’accès au logement des ménages les plus modestes par l’octroi de prestations sociales ciblées (1 % du PIB), la France ne s’écarte que peu des pratiques de ses voisins. Au Royaume-Uni, pays confronté à des tensions locatives comparables à celles de la France dans les zones urbaines les plus denses, les pouvoirs publics consacrent chaque année près de 1,5 point de PIB en dépenses sociales en faveur du logement. Au Danemark, ces dépenses sont proches de 0,8 point de PIB. L’Allemagne ou l’Espagne consacrent certes des montants moindres, de l’ordre de 0,5 point de PIB, mais les marchés locatifs privés y sont très différents. L’Allemagne possède un marché locatif privé important (39 % du parc total contre 19 % en France, d’après Eurostat) aux loyers encadrés (Vorms, 2012). Le parc locatif privé espagnol est quant à lui bien plus réduit (13 %), mais les pouvoirs publics subventionnent massivement l’accession à la propriété. Le pays compte ainsi 78 % de propriétaires, alors qu’ils ne sont que 60 % en France.
8 D’autre part, la dérive budgétaire souvent dénoncée perd quelque peu de son sens une fois rapportée à d’autres grandeurs macroéconomiques. Depuis le milieu des années 1990, la part des aides à la personne dans le PIB est restée particulièrement stable et ce alors même que les dépenses en logement des ménages ont crû sensiblement. En 1994, ces dernières représentaient 16,8 % des dépenses de consommation finale des ménages ; cette part atteint 18,6 % en 2014. Dans le même temps, la part des aides personnelles dans les dépenses en logement s’est réduite de 0,3 point sur la période pour atteindre 6,1 % en 2014 (figure 1).
Part des aides à la personne dans la dépense en logement et part des dépenses en logement dans la consommation finale des ménages (en pourcentage)

Part des aides à la personne dans la dépense en logement et part des dépenses en logement dans la consommation finale des ménages (en pourcentage)
9 Dans ce contexte de hausse continue des dépenses en logement, les pouvoirs publics se trouvent constamment dans l’obligation d’arbitrer entre l’augmentation du montant des aides personnelles (revalorisation des plafonds d’éligibilité et/ou de loyers, augmentation des montants versés [6]) et l’augmentation du taux d’effort des ménages. Ces dernières années, le choix a été fait de stabiliser l’effort budgétaire ; ce sont donc les ménages qui ont supporté en grande partie les conséquences de l’augmentation du coût du logement. Entre 2000 et 2010, du fait de l’indexation des barèmes sur l’indice de référence des loyers (IRL) – dont l’évolution a été bien moindre que celle des loyers –, le loyer moyen des allocataires d’aides au logement s’est accru de 32,3 %, tandis que les loyers-plafonds servant de base au calcul des aides n’étaient revalorisés que de 16,3 %. Cette maîtrise des finances publiques a principalement affecté les conditions de vie des ménages les plus modestes, principaux bénéficiaires d’aides personnelles.
Un impact réel, mais en baisse sur les taux d’effort et la réduction des inégalités de niveaux de vie
10 Compte tenu des conditions de ressources requises pour l’attribution des aides personnelles, ces dernières sont fortement ciblées vers les ménages les plus modestes : plus de 75 % des bénéficiaires appartiennent aux trois premiers déciles de revenus (figure 2). De même, les aides personnelles demeurent l’une des prestations sociales les plus redistributives, puisque plus de trois ménages du premier décile de revenus sur quatre en bénéficient alors qu’ils ne sont que 57 % à percevoir un minimum social. Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), en 2012, 91 % des dépenses relatives aux prestations de logement se concentrent sur ces trois premiers déciles ce qui en fait la prestation sociale pour laquelle la redistribution verticale [7] est la plus élevée (DREES, 2012).
Nombre de bénéficiaires d’aides personnelles au logement par statuts d’occupation et par décile de revenus en 2012 [8]

Nombre de bénéficiaires d’aides personnelles au logement par statuts d’occupation et par décile de revenus en 2012 [8]
Note de lecture : Les ménages du premier décile de revenus (les 10 % les plus modestes) sont 1,7 million à percevoir des aides personnelles au logement (soit 27 % des allocataires). Les locataires du parc privé y sont majoritaires, avec 1,2 million d’allocataires.11 En moyenne, les prestations logement représentent 1,5 % du niveau de vie moyen de l’ensemble des ménages français [9], soit environ 350 euros par an [10] (INSEE, 2015). Pour les ménages appartenant au premier décile de revenus, cette part atteint 20,6 % du niveau de vie. Si elles sont majoritairement versées à des personnes isolées (53 % des bénéficiaires) et plus généralement à des locataires sans enfant, dont les ressources sont inférieures au seuil de pauvreté [11] (près de 60 % des bénéficiaires), la redistribution horizontale des aides – c’est-à-dire en fonction de la structure familiale – est importante, puisque près d’un tiers des allocataires sont des familles avec enfants. La redistribution en faveur des familles nombreuses passe par deux canaux. D’une part, plus le nombre d’enfants est important, plus le revenu d’exclusion des aides est élevé ; ainsi, alors que le revenu d’exclusion pour une personne seule est proche du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), celui pour une famille avec trois enfants est d’environ 2,3 SMIC (figure 3). D’autre part, à revenus et charges de logement identiques, le montant de l’aide versée augmente avec la taille de la famille.
Points de sortie des aides au logement, au 1er octobre 2014, en parts de SMIC, selon les configurations familiales

Points de sortie des aides au logement, au 1er octobre 2014, en parts de SMIC, selon les configurations familiales
Notes de lecture : en ordonnée, montant mensuel de l’aide au logement ; en abscisse, ressources du ménage en part ou multiple de Smic ; le point de sortie (intersection entre chaque courbe et l’axe de l’abscisse) est le niveau de revenu du ménage à partir duquel l’aide n’est plus versée.Le point de sortie des aides personnelles pour les personnes seules est de 1,1 SMIC en 2014 : au-delà de ce niveau de ressources, une personne seule ne perçoit plus d’aides personnelles.
12 Parmi l’ensemble des prélèvements et des prestations sociales du système socio-fiscal français, les aides au logement sont également les plus progressives. Cette progressivité, mesurée par l’INSEE comme la différence entre l’indice de Gini [12] avant et après versement des aides au logement [13] (INSEE, 2015), est de 2,1 pour l’ensemble des prélèvements (cotisations sociales, contribution sociale généralisée – CSG, impôt sur le revenu et taxe d’habitation) et de 9,2 pour l’ensemble des prestations en 2014. Elle s’élève à 11,2 pour les seules aides au logement. Autrement dit, les aides au logement sont, avec les minima sociaux, les prestations sociales tenant le mieux compte des revenus du ménage. En outre, elles contribuent très significativement à la réduction des inégalités de revenus en France.
13 Avant redistribution – c’est-à-dire avant prélèvement des cotisations et des impôts directs et versement des prestations sociales –, le rapport interdéciles était en France de 20 en 2014 : les 10 % de ménages les plus aisés avaient un revenu 20 fois supérieur à celui des 10 % de ménages les plus modestes (INSEE, 2015). Après redistribution, ce rapport n’est plus que de 6 et les aides au logement participent à hauteur de 18 % à la réduction des inégalités. Bien évidemment, elles remplissent également leur objectif premier : contenir le taux d’effort des ménages allocataires. Selon la dernière enquête nationale « Logement » de l’INSEE de 2013, elles permettent à elles seules de diminuer le taux d’effort des allocataires, charges comprises, de 12,6 points.
14 Enfin, et même si cela ne figure pas dans les objectifs initiaux des aides personnelles, ces dernières participent de façon importante au système de financement du logement social en France. Plus de 2 millions de ménages allocataires résident en effet dans le parc social. Ils représentent plus de la moitié des allocataires et plus de 60 % des locataires du parc social. Pour les opérateurs du secteur, les aides personnelles, dont 98 % sont versées en tiers payant – c’est-à-dire directement par la caisse d’allocations familiales (CAF) aux organismes d’habitations à loyer modéré (HLM) – sont indispensables pour équilibrer un grand nombre d’opérations. En moyenne, selon le dernier « Compte du logement », les aides couvrent 35 % des loyers versés par les ménages résidant dans le secteur social.
15 Malgré tout, sous l’effet de la maîtrise budgétaire soulignée précédemment, l’efficacité des aides personnelles s’érode peu à peu. En indexant les plafonds d’aides sur l’indice des prix ou, depuis 2007, sur l’indice de référence des loyers (IRL) [14] – dont les évolutions respectives ont été bien moindres que celles observées pour les loyers –, les pouvoirs publics sont certes parvenus à contenir la dépense publique, mais ont également rendu le calcul des aides au logement largement déconnecté des réalités, non seulement du marché locatif privé, mais également du marché locatif social. En 2013, d’après l’enquête nationale « Logement » de l’INSEE, 90 % des locataires du parc privé s’acquittaient ainsi d’un loyer supérieur au loyer-plafond défini par la loi. Dans le parc social, cette proportion dépassait les 50 %. À structure familiale et à niveau de ressources identiques, toute hausse de loyer subie par ces ménages ne se traduit donc pas par une augmentation du montant des aides personnelles.
16 Cette sous-indexation a également eu pour effet d’exclure un certain nombre de ménages du champ des bénéficiaires. L’absence d’actualisation des paramètres des barèmes a abaissé les seuils d’exclusion des aides relativement au SMIC et aux salaires, excluant ainsi les ménages se situant à son voisinage et expliquant la faible progression du nombre de bénéficiaires au cours des dernières années (+ 75 000 depuis 2000).
17 Parallèlement à la remise en question des aides pour limiter la dérive budgétaire, d’autres critiques ont été portées au système français des aides au logement. De nombreuses études ont notamment mis en exergue, du côté de l’offre cette fois, de possibles effets inflationnistes des aides à la personne sur les loyers (Grislain-Letrémy et Trevien, 2014 ; Fack, 2005 ; Laferrère et Le Blanc, 2002).
Des effets inflationnistes anciens et difficiles à mesurer
18 Bien que difficilement chiffrables, ces effets semblent agir à deux niveaux distincts : d’une part les allocations perçues par les ménages à bas revenus seraient absorbées par des augmentations de loyers et ce, indépendamment de l’amélioration de la qualité des logements ; d’autre part l’amélioration de la solvabilité des ménages les plus modestes augmenterait la demande sur le marché locatif et, compte tenu de la faible élasticité de l’offre de logements à court terme, alimenterait l’effet inflationniste. Si ces effets sont relativement bien documentés, tant en France que dans d’autres pays, ils se doivent d’être mis en lien avec les évolutions récentes développées précédemment.
19 Si l’existence d’effets inflationnistes significatifs semble probable, notamment lors des fortes revalorisations passées, leurs quantifications sur la période récente est sujette à débat. Du reste, l’ensemble des prestations sociales visant à améliorer la solvabilité des ménages les plus modestes ont théoriquement un impact inflationniste. Si ce dernier est accentué du fait du caractère « affecté » des aides au logement – le montant d’aide étant théoriquement lié à la dépense effective en logement –, il semble tout de même à mettre en perspective une fois pris en compte les résultats issus de la littérature.
20 En France, les travaux réalisés au début des années 2000 se sont efforcés de quantifier l’impact inflationniste des aides au logement en analysant les conséquences des réformes mises en place entre 1990 et 1993 (Fack, 2005). Ces réformes ont étendu le bénéfice des aides à tous les ménages à faibles revenus du secteur social et du secteur privé. Les premiers résultats descriptifs mettent en exergue les hausses importantes des niveaux de loyers subséquentes aux réformes. Afin de contrôler l’ensemble des facteurs potentiellement explicatifs de ces hausses, l’auteur met en place des modélisations économétriques en doubles différences permettant de comparer l’évolution des loyers des ménages ayant été touchés par les réformes et de ceux ne l’ayant pas été, toutes choses égales par ailleurs. Les résultats détaillés révèlent qu’une grande partie des augmentations des montants alloués − entre 60 % et 80 % selon l’auteur − a été réalisée, au cours de la période étudiée, au profit des bailleurs à travers des augmentations de loyers, et ce à niveau de confort du logement identique. Ces résultats confortent l’idée selon laquelle l’augmentation de la demande entraînée par une solvabilité améliorée des locataires s’est traduite par des augmentations de loyer dans un contexte de faible élasticité de l’offre de logement. Malgré tout, ces résultats peuvent-ils être extrapolés à la période actuelle ? Nous l’avons vu, au cours de la période récente, le nombre d’allocataires des aides au logement n’a que très peu augmenté. De plus, la sous-indexation des plafonds de loyer utilisés pour le calcul des aides a entraîné une déconnection entre les montants d’aides versés et l’évolution des loyers. Autrement dit, pour les 90 % des locataires du parc privé dont le loyer réel est au plafond [15], les aides allouées ne dépendent plus du loyer acquitté, et une augmentation de loyer ne se traduira pas par une augmentation du montant d’aide au logement [16]. La situation actuelle semble donc relativement éloignée de celle observée au début des années 1990.
21 Afin de mettre à jour ces travaux, Grislain-Letrémy et Trevien (INSEE, 2014) ont exploité l’enquête « Loyers et Charges » de l’INSEE de 2005 à 2012. Ces derniers cherchent à mesurer l’impact des aides au logement sur les loyers du parc locatif privé en exploitant le zonage des aides et concluent à l’existence d’un impact inflationniste significatif des montants d’aides versées sur les loyers. Si les auteurs ne sont pas en mesure de quantifier la part des aides captées par les bailleurs, ils chiffrent à 5,3 % la différence de loyer entre la zone II, où les aides sont supérieures, et la zone III, où les aides sont moindres, et cela toutes choses égales par ailleurs. Si les caractéristiques intrinsèques du parc semblent relativement bien contrôlées (surface, nombre de pièces, ancienneté d’occupation, date d’achèvement, présence d’un jardin, d’un balcon, d’une salle d’eau et d’une baignoire, nombre de logements du bâtiment, maison individuelle, équipements de sécurité), les résultats semblent difficilement extrapolables à l’ensemble du territoire compte tenu, comme le soulignent les auteurs eux-mêmes, du caractère localisé de l’étude qui porte sur un sous-échantillon de certaines communes comptant entre 50 000 et 200 000 habitants – sauf à faire l’hypothèse que l’offre de logements évolue de façon similaire dans les autres agglomérations. Cette dernière hypothèse apparaît largement discutable, notamment en raison de la montée en puissance de la loi solidarité et renouvellement urbains (SRU), qui a largement développé l’offre de logements du parc social dans les zones tendues. De même, la persistance de certains biais (variables omises et endogénéités) n’est pas à écarter, puisque la modélisation économétrique n’a pas pu inclure certains facteurs pouvant influer à la fois sur la tension du marché locatif (i.e. l’appartenance à une zone plutôt qu’à une autre) et sur le dynamisme des loyers. En effet, si certaines caractéristiques extrinsèques sont prises en compte (densité de population, part des espaces verts, part du secteur locatif privé, croissance de la population de l’agglomération dans le passé), l’ensemble des facteurs potentiellement explicatifs d’une croissance plus rapide des loyers dans les zones recevant les aides à la personne les plus importantes n’est pas intégré (prix immobiliers, éligibilité aux aides à la pierre, situation du marché du travail local…). Plus globalement, les auteurs soulignent le caractère endogène de la localisation en zone II : l’appartenance à la zone II serait directement liée aux niveaux des loyers de l’agglomération. Si cela était théoriquement vrai lors de la mise en place dudit zonage dans les années 1980, bien que ce dernier– de par son caractère simpliste (trois zones seulement) – ne soit jamais parvenu à capter la grande hétérogénéité des loyers, cela ne l’est plus aujourd’hui où il existe une extrême hétérogénéité des loyers au sein même de chaque zone. D’après l’enquête nationale « Logement » de l’INSEE, en 2013, les zones II et III enregistraient respectivement des loyers moyens de 487 euros et 444 euros et des écarts-types respectifs de 208 euros et 187 euros pour ces loyers. Il est clair que ces zones ne sont plus aussi homogènes qu’elles pouvaient l’être lors de leur conception – si tant est qu’elles l’étaient alors, compte tenu du très faible nombre de zones retenues.
22 Malgré tout, les résultats de ces études ne peuvent être sous-estimés. Les fortes revalorisations d’aides résultant des réformes des années 1990, en favorisant un accès, pour nombre de ménages, à une meilleure solvabilité dans le cadre de leur dépense en logement, ont entretenu les hausses de loyers déjà à l’œuvre. C’est notamment le cas des étudiants, jusqu’alors exclus de la perception des aides et dont l’éligibilité nouvelle a entraîné une augmentation importante de la demande, notamment sur le marché locatif privé des petites surfaces dont les loyers ont fortement crû au cours des dernières décennies. Sur la période plus récente, en soutenant le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes, les aides au logement ont également dû contribuer au relatif maintien du niveau des loyers. Néanmoins, une fois ce constat acté, il n’en demeure pas moins que la situation des locataires les plus modestes s’est fortement dégradée (Le Bayon, Madec et Rifflart, 2013). Entre 1996 et 2006, le taux d’effort médian net des aides au logement des ménages du premier quartile de revenu, locataires du parc privé, a crû de 7,6 points (Arnault et Crusson, 2012). Entre 2008 et 2010 ce dernier a augmenté de 1,9 point pour atteindre 33,6 %. Dès lors, des solutions doivent être trouvées pour enrayer ces évolutions – et celles-ci ne peuvent résider dans la seule critique du système d’aides au logement actuel.
23 À l’évidence, à terme, la mise en place d’une politique de construction ambitieuse permettrait de se soustraire, du moins partiellement, à la nécessité de subventionner la dépense en logement des ménages les plus modestes. Si cette augmentation importante de l’offre locative, notamment sociale, était rendue possible à moyen terme par la mise en place de dispositifs incitatifs de densification ou de mise à la disposition de foncier (Timbeau, 2013 ; Goldberg, 2016), elle demeurerait difficile à mettre en œuvre à court terme dans les zones les plus tendues. A court terme, la mise en place d’un dispositif de maîtrise des loyers du parc privé pourrait permettre d’enrayer en partie ces phénomènes de captation. Très éloigné d’un blocage généralisé des loyers, dont les effets néfastes ont été largement démontrés, un tel dispositif doit avoir pour objectif premier d’homogénéiser les niveaux des loyers qui connaissent une dispersion de plus en plus importante. À titre d’exemple, les locataires parisiens qui emménagent dans un logement ont des loyers en moyenne 40 % supérieurs à ceux acquittés par les locataires en place depuis plus de dix ans (Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne-OLAP, 2015). Deux dispositions ont, ces dernières années, été prises dans ce sens. Depuis juillet 2012, un décret encadre l’évolution des loyers à la relocation dans les communes où la hausse des loyers observée sur la période 2002-2010 est supérieure à deux fois la hausse de l’IRL (soit 3,2 % par an) et où le loyer de marché au mètre carré dépasse de 5 % la moyenne nationale hors Île-de-France (soit 11,1 euros/m2). Cela concerne près de 1 400 communes situées dans 38 agglomérations (27 en métropole et 11 outre-mer). D’après l’Observatoire des loyers en agglomération parisienne (OLAP), qui regroupe également certains observatoires locaux de province [17], les effets du décret ont pu être observés dès la fin de l’année 2012. En 2014, les loyers des logements remis ou mis en location ont crû de 1,3 % en agglomération parisienne, soit la plus faible hausse observée depuis 2001 (OLAP, 2015).
24 Si pour le moment aucune évaluation n’a pu être faite sur l’évolution du parc locatif privé des zones soumises à l’encadrement, en termes de qualité (dégradation de la qualité des logements) ou de quantité (baisse du nombre de logements mis en location), les mesures prises en prévention des possibles effets néfastes semblent à première vue efficaces. Il existe ainsi nombre de dérogations au décret d’encadrement, puisque des revalorisations supérieures à l’IRL restent possibles en cas de réalisation de travaux d’amélioration des logements ou lorsque l’écart entre le loyer pratiqué et les loyers de marché est important. Le risque évoqué de dégradation du parc de logements existe donc ; celui, souvent négligé, de montée en gamme d’une partie du parc également, pour les bailleurs souhaitant s’affranchir de l’encadrement. Notons de plus que les loyers en cours de bail et lors du renouvellement de bail sont encadrés à Paris depuis 1991 dans un cadre législatif comparable et qu’aucune dégradation constatée du parc locatif n’a été jusqu’ici démontrée.
25 En augmentant les montants d’aides personnelles au logement distribuées dans les zones tendues soumises à l’encadrement, l’État améliorerait de fait la solvabilité des allocataires puisqu’il s’assurerait que toute augmentation des aides d’un montant supérieur à l’augmentation de loyers autorisée par la loi aboutisse à une baisse du taux d’effort net des aides des allocataires. Évidemment, une revalorisation des montants d’aides alloués ne sera pas sans impact sur les finances publiques. Le coût d’une augmentation de 1 % de l’ensemble des barèmes des aides personnelles est estimé à près de 300 millions d’euros (Conseil général de l’environnement et du développement durable-CGEDD, Inspection générale des affaires sociales-IGAS, Inspection générale des finances-IGF, 2014). En inscrivant les aides personnelles dans une logique de « bouclier logement » (Haut Conseil de la famille-HCF, 2012), l’impact budgétaire d’une revalorisation des aides à même de maintenir le taux d’effort des allocataires en deçà d’un plafond maximal est extrêmement important. D’après l’enquête nationale « Logement » de l’INSEE, en 2013, 2 millions d’allocataires subissaient à la fois un taux d’effort, en termes de dépenses de logement, supérieur à 30 % et un « reste à vivre [18] » inférieur à 60 % du reste à vivre médian (Madec, 2016). On peut estimer le montant d’aide publique supplémentaire nécessaire à la résorption de ces situations [19] à 2,8 milliards d’euros, soit une augmentation d’aides personnelles d’en moyenne 280 euros par mois et par foyer bénéficiaire de ce supplément [20]. Sur ce montant, 500 millions d’euros iraient aux 270 000 allocataires répondant aux critères de sélection et logeant en zone I et 1,2 milliard irait au million d’allocataires de la zone II répondant aux critères.
26 Bien évidemment, dans le contexte budgétaire actuel, une telle revalorisation semble impossible sans redéploiement d’autres aides publiques vers les aides à la personne – et sans être accompagnée d’un système de maîtrise des loyers. Malgré tout, cette estimation fournit un ordre de grandeur quant à l’effort budgétaire à consentir et doit être mise en perspective avec l’ensemble des montants alloués à la politique de soutien au secteur du logement en France qui s’élevaient, en 2014, à 41 milliards d’euros dont plus de 20 milliards pour les aides dites « à la pierre ».
Un ciblage social et territorial contesté
27 L’analyse du parc locatif social illustre la complémentarité des aides à la personne et des aides à la pierre. Alors même que des aides à la pierre sont versées lors de la construction de logements sociaux en contrepartie de loyers plafonnés, les locataires du parc social sont 2,4 millions à bénéficier d’aides personnelles au logement. Ce nombre a plus que doublé en vingt ans. Ces évolutions s’expliquent en partie par la réforme du mode de calcul et par l’uniformisation des barèmes des aides, opérée dans les années 1990. Elles trouvent également leurs sources dans l’évolution des loyers du secteur social et celle de la situation socio-économique des ménages qui y résident.
28 Au sein du parc social, les évolutions de loyers sont fortement encadrées en cours de bail. Néanmoins, l’augmentation importante des coûts de production (foncier et coûts de construction) a entraîné une inflation importante des loyers des productions nouvelles. Ainsi, les loyers de sortie des nouveaux logements produits sont pour certains supérieurs aux loyers-plafonds des aides personnelles. Selon la dernière enquête « Logement » de l’INSEE, le niveau de vie des ménages locataires du parc social était, en 2013, inférieur de 20 % à celui des locataires du parc locataire privé, pourtant bien plus jeunes. Associées à cette paupérisation des ménages locataires du parc social, ces évolutions ont entraîné une augmentation à la fois du nombre de bénéficiaires dans le parc social et également des montants alloués à ces derniers. Malgré des niveaux et des augmentations de loyers bien moindres que dans le parc privé, les allocataires du parc social ont connu des augmentations d’aides comparables. En 2014, ils percevaient en moyenne 278 euros par mois d’aide au logement, soit un montant légèrement supérieur à la moyenne des aides du parc privé (274 euros) (« Compte du logement », 2014), cet écart s’expliquant en grande partie par des effets de composition : les locataires du parc social sont plus modestes et les familles nombreuses y sont surreprésentées.
29 Afin de mesurer le « double avantage HLM », il convient d’ajouter à ces aides l’avantage monétaire conféré par le fait de résider dans le parc social, c’est-à-dire l’écart de loyer entre celui effectivement acquitté dans le parc social et celui qu’aurait acquitté le locataire s’il avait dû se loger dans le parc privé. En 2014, une étude de l’INSEE (Trevien, 2013) chiffrait cet « avantage HLM » à 261 euros par ménage en moyenne (jusqu’à 400 euros en Île-de-France). S’il est vrai que du fait de l’indexation conjointe des aides aux loyers privés et sociaux [21], un certain nombre de locataires du parc social perçoivent des montants d’allocation proches de ceux perçus par les locataires du parc privé aux loyers pourtant bien plus élevés, en réalité, cette situation résulte surtout de la sous-indexation des plafonds de loyers, explicitée précédemment. Une réévaluation des loyers-plafonds engendrerait de facto une meilleure différenciation des secteurs locatifs, puisqu’elle rétablirait une progressivité des aides en fonction du loyer.
30 Rappelons une fois encore que les aides personnelles constituent un élément important de l’équilibre budgétaire des bailleurs sociaux. Bien que la réflexion doive être poursuivie sur l’arbitrage le plus efficace à mettre en place entre aides à la pierre et aides à la personne dans le secteur locatif social, la décision de substituer une aide à la pierre conséquente aux aides à la personne ne pourrait concerner que les nouvelles constructions ; cela semble plus complexe en ce qui concerne les opérations achevées et, donc, les locataires en place. À l’heure actuelle, les loyers du parc social sont dépendants des aides à la pierre versées lors de la construction et ne tiennent que très peu compte des revenus des locataires en place (excepté lors de l’attribution). Ces distinctions de traitement entre locataires selon le niveau de ressources de leur foyer se fait, théoriquement, à travers l’octroi des aides à la personne. En 2013, selon la dernière enquête nationale « Logement » de l’INSEE, un locataire du parc social sur deux s’acquittait d’un loyer supérieur aux loyers-plafonds de l’APL ; l’allocation logement est de fait devenue majoritairement forfaitaire, au sens où elle varie peu en fonction des dépenses de loyer à niveaux de ressources et structure familiale donnés, enrayant ainsi le caractère progressif des aides au logement souligné précédemment.
31 L’éligibilité aux aides personnelles des ménages accédant à la propriété et des étudiants est également régulièrement remise en question. À ce jour, sous réserve qu’ils jouissent d’un prêt qualifié de « conventionné » (à taux bonifié ou non) et qu’ils aient des revenus inférieurs à un plafond, les accédants à la propriété sont éligibles aux aides personnelles et le montant accordé est calculé de façon comparable à celui des locataires. Depuis vingt ans, le nombre d’allocataires et les montants distribués ont été réduits de moitié sous l’effet conjugué de la hausse des prix de l’immobilier et du resserrement des barèmes d’éligibilité. En 2014, d’après le « Compte du logement », ce sont ainsi 480 000 ménages qui ont pu en bénéficier, soit 7,6 % des allocataires pour un montant total distribué de 890 millions d’euros. Vingt ans auparavant, les accédants à la propriété en représentaient 20 %. Les aides personnelles versées aux accédants apparaissent de moins en moins adaptées. Une refonte globale des aides à l’accession – APL accession et également prêts bonifiés – semble à terme souhaitable, afin de simplifier les plans de financement des ménages accédants et de clarifier l’objectif des aides à la personne.
32 Dès lors qu’ils résident hors du domicile familial et dans un logement éligible et que leurs revenus sont inférieurs aux seuils prévus par la loi, les étudiants ont le droit de percevoir une aide au logement, même s’ils sont rattachés au foyer fiscal de leurs parents. En 2015, près de 600 000 étudiants percevaient une aide au logement – un étudiant sur trois âgé de 18 à 24 ans – pour un montant global de 1,5 milliard d’euros. En 2015, un groupe de travail parlementaire de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, devant statuer sur les réformes du système actuel des aides à la personne, a notamment proposé de mieux prendre en compte le revenu parental dans le mode de calcul de l’aide. Ce nouveau système, dont la logique s’approche de celle des bourses étudiantes, permettrait de réaliser une économie de l’ordre de 150 millions à 200 millions d’euros.
33 Au sein des pistes de réformes nécessaires figure également la meilleure prise en compte de la localisation territoriale du logement, afin de reconnecter le mode de calcul aux réalités des marchés locatifs. L’observation des taux d’effort moyens des allocataires d’aides personnelles dans les différents départements suffit à mettre en exergue la faible efficacité des aides à résorber les divergences territoriales en matière de dépenses en logement (Figure 1). Alors que 20 % des départements accusent un taux d’effort net moyen des allocataires inférieur à 16,4 %, 20 % enregistrent un taux d’effort moyen supérieur à 19,9 %, signe de la difficulté des aides à homogénéiser les restes à charge des ménages les plus modestes.
Taux d’effort net des allocataires d’aides personnelles en 2014

Taux d’effort net des allocataires d’aides personnelles en 2014
34 Il serait également pertinent de réintégrer une distinction plus marquée entre parcs privé et social. Si, dans le secteur privé, les aides au logement permettent de réduire plus fortement le taux d’effort des ménages résidant dans les zones les plus tendues, les écarts entre territoires restent élevés. À titre d’exemple, l’écart de taux d’effort brut entre un allocataire en zone I et un allocataire en zone II était, en 2011, de 17,6 points, l’écart de taux d’effort net des aides au logement était de 15,4 points (Cour des comptes – CAF, 2015). Les aides permettent certes de réduire la divergence des situations, mais elles ne semblent le faire qu’à la marge. De plus, les situations au sein même des zones identifiées sont très disparates, compte tenu de l’extrême hétérogénéité des niveaux de loyers. Une meilleure prise en compte de ces disparités est donc nécessaire. Pour ce faire, la prise en compte des taux d’effort supportés par les ménages dans le calcul des allocations pourrait être une solution, bien que cette dernière soit à même, sauf en cas de mise en place d’un système de contrôle des loyers, d’accroître l’impact inflationniste souligné précédemment.
35 Ces dernières années, nombre de propositions de réformes ont été émises. Certaines s’attèlent à réformer en profondeur le système d’allocations, d’autres recensent les mesures pouvant aboutir à des économies substantielles.
36 Sur ce dernier point, le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF), de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) fait figure d’exemple. Gel des barèmes, suppression de l’APL étudiant, intégration de critères patrimoniaux dans le calcul des allocations ou encore introduction de maxima de loyers sont autant de mesures proposées afin de réduire le coût global des prestations sociales au logement. La loi de finances n° 2015-1785 pour 2016 reprend un certain nombre de ces propositions. Ainsi, à partir du 1er octobre 2016, les enfants des familles assujetties à l’impôt sur la forture (ISF) seront exclus des aides personnelles, et la valeur du patrimoine sera prise en compte dans le calcul des aides, dès lors que ce dernier dépasse 30 000 euros. Si la liste définitive des biens pris en compte doit être définie par décret, elle pourrait potentiellement inclure les résidences secondaires et également les livrets A, les contrats d’assurance vie ou les plans d’épargne logement, à partir d’un certain niveau de dépôts. Le principe sera d’assigner à ce patrimoine des revenus annuels théoriques qui viendront augmenter les ressources prises en compte pour le calcul des aides. Cette mesure aura pour impact d’exclure certains ménages actuellement proches des plafonds d’éligibilité et de réduire les montants d’aides reçus par les ménages détenant du patrimoine. Actuellement, pour une personne seule, les aides au logement sont versées à taux plein jusqu’au seuil de 0,5 SMIC, puis décroissent d’environ 33 centimes par euro gagné (figure 3). Ainsi, 30 000 euros de patrimoine générant 3 % de rendement annuel (900 euros) se traduiront par une baisse des aides personnelles d’environ 300 euros par an.
37 Concernant les locataires s’acquittant d’un loyer trop élevé – limite fixée à deux fois et demie le plafond APL –, ils ont vu leurs aides réduites dès le 1er juillet 2016. Cette mesure devrait concerner 655 000 allocataires, et les économies espérées par l’entrée en vigueur de l’ensemble de ces mesures s’élèvent à 123 millions d’euros pour l’année 2017. À terme, l’économie générée par ces ajustements est estimée à 400 millions d’euros par an.
38 Évidemment, les aides au logement ne doivent pas pouvoir bénéficier à des ménages au patrimoine élevé, mais rappelons que le revenu d’exclusion des aides pour un ménage de deux personnes avec deux enfants se situe aux alentours de deux SMIC (contre 2,12 SMIC en 2001). Il paraît peu probable que ces ménages aient un patrimoine excessivement important [22]. A contrario, l’instauration d’un maximum de montant de loyer serait à même de concerner un nombre relativement important d’allocataires. La sous-indexation massive des plafonds de loyers définis dans le calcul des aides, associée à la hausse continue des loyers dans les zones les plus tendues, a de fait entraîné une augmentation importante des taux d’effort des locataires les plus modestes. Malgré tout, réduire les aides allouées à ces ménages ne peut être une solution. Rappelons que le loyer-plafond en zone I pour un ménage ayant deux enfants est de 445 euros en 2015. Les mesures proposées engendreraient une dégressivité des aides dès lors que le loyer acquitté serait supérieur à 1 113 euros, augmentant ainsi le reste à charge des ménages concernés.
39 Dans une autre optique, le Conseil d’analyse économique (CAE), en 2013, et, plus récemment, l’Institut des politiques publiques (IPP) ont émis un certain nombre de propositions visant à réformer en profondeur le système français d’aides au logement.
40 De son côté, le CAE propose, en lieu et place des aides à la personne actuelles, l’ouverture de la possibilité de déduire les loyers versés, dans la limite d’un plafond, de ses revenus (CAE, 2013), les ménages non imposables percevant alors un impôt négatif. De fait, l’existence de revenus d’exclusion relativement faibles pour les allocations logement a pour conséquence de rendre la très grande majorité des ménages allocataires non imposables. La réforme proposée viserait donc à verser un impôt négatif, soit une aide directe, aux 80 % d’allocataires actuellement non imposables. De fait, la situation de ces derniers ne serait guère modifiée si les montants versés demeurent identiques [23]. Les effets de redistribution à l’œuvre au sein des ménages imposables sont plus complexes à chiffrer et nécessiteraient de pouvoir disposer d’un outil de microsimulation du système socio-fiscal. Malgré tout, la viabilité d’une telle réforme – qui vise à lutter contre les effets inflationnistes des aides personnelles – est grandement dépendante de la capacité des bailleurs à apprécier le montant dudit impôt et de leur propension à adapter le loyer en conséquence, lors de la fixation de ce dernier. Enfin, la possibilité de versement en tiers payant (directement par la CAF aux bailleurs), très largement utilisée (98%) au sein du parc social, serait dès lors abandonnée. Si celle-ci peut expliquer une partie des effets inflationnistes évoqués précédemment, elle constitue une sécurité importante pour les bailleurs (Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées-HCLPD, 2005).
41 Poursuivant un objectif similaire de remplacement des aides à la personne dans leur forme actuelle, l’Institut des politiques publiques proposait plus récemment (IPP, 2015) de fusionner l’ensemble des aides adressées aux ménages modestes, c’est-à-dire le revenu de solidarité active (RSA), socle et activité, la prime pour l’emploi (PPE) et les allocations logement. Les propositions des auteurs présentent un intérêt réel, puisque leur mise en application permettrait une meilleure adéquation entre les différents systèmes d’aides. Le remplacement, depuis début 2016, de la prime pour l’emploi et du RSA activité par la prime d’activité est une étape importante permettant de mettre en cohérence deux dispositifs qui poursuivaient le même objectif : inciter à la reprise d’emploi. Cette mise en cohérence repose sur l’une des bases des politiques économiques contemporaines qu’est la règle de Tinbergen : pour être efficace, tout instrument de politique économique ne doit poursuivre qu’un unique objectif, et réciproquement chaque objectif ne doit être traité que par un seul outil. Rappelons que l’objectif des aides personnelles est, depuis leur création, non pas de verser une prestation sociale aux bas revenus ni même d’influer sur la reprise d’activité, mais d’améliorer la solvabilité des ménages dans leurs dépenses en logement dans leurs dépenses en logement. Le caractère « affecté » de l’aide, bien que potentiellement explicatif des possibles effets inflationnistes soulevés précédemment, constitue à l’heure actuelle l’une des principales caractéristiques des aides au logement. À travers son mode de calcul, l’aide varie selon les ressources et la composition du ménage, à l’image d’une prestation sociale classique et également, tout du moins théoriquement, de la dépense effective en logement et de la localisation géographique. En sauvegardant le zonage actuel – certes critiquable, nous l’avons vu –, mais en extrayant la dépense effective en logement du calcul de l’aide « fusionnée », les auteurs de l’IPP mettent fin de facto aux aides personnelles au logement et proposent une augmentation des minima sociaux. À titre d’exemple, à ressources et composition familiale équivalentes, un locataire du parc privé francilien présent depuis plus de dix ans dans son logement se verrait verser un montant d’aide identique à celui perçu par un locataire nouvellement emménagé, alors que leurs loyers peuvent diverger de près de 40 %. De même, aucune distinction ne serait faite entre locataire des parcs privés et sociaux aux taux d’effort très différents. Enfin, la possibilité de versement en tiers payant serait là encore abandonnée.
42 La fusion de l’ensemble des prestations sociales adressées aux ménages modestes, telle qu’elle est proposée, permettrait un meilleur pilotage économique. Plusieurs arguments plaident en sa faveur : lutte contre l’effet inflationniste, simplification du droit, incitation au retour à l’emploi. Malgré tout, les conséquences d’une telle mesure pourraient s’avérer néfastes pour les ménages les plus modestes. Comme le souligne un rapport du Haut Conseil à la famille, datant de 2012 (HCF, 2012), l’entrée en vigueur d’une telle mesure pourrait inciter les ménages les plus modestes à arbitrer entre leurs dépenses en logement et d’autres dépenses de consommation, au risque de détériorer leurs conditions de logement. Elle serait, de plus, contraire aux préconisations du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, qui soulignait en 2005 l’importance du caractère affecté des aides personnelles. Pour les bailleurs, elles constituent une sécurité quant au paiement du loyer. Pour les locataires, en plus de leur permettre d’être solvables, leur caractère affecté et les conditions de décence auxquelles elles sont attachées les protègent de l’arbitrage entre dépenses de logement et autres dépenses de consommation (HCLPD, 2005).
Conclusion
43 Si des ajustements importants sont nécessaires pour accroître l’efficacité des aides personnelles au logement, la place qu’elles occupent dans le système de redistribution français et leur capacité à soutenir la dépense en logement des ménages les plus modestes en font l’outil d’action publique à privilégier dans la lutte contre la paupérisation des locataires, l’insuffisante capacité de production du parc social ne pouvant permettre à court terme d’enrayer les augmentations importantes de taux d’effort observées ces dernières années. En premier lieu, il semble indispensable de réadapter le mode de calcul des aides aux réalités des marchés locatifs, en revalorisant les plafonds de loyer depuis trop longtemps sous-indexés. Compte tenu de l’efficacité du ciblage actuel des aides, une meilleure répartition des aides entre allocataires – par simple redéploiement – semble complexe à atteindre. Il faudrait donc augmenter le montant global des aides personnelles.
44 Néanmoins, des scénarii alternatifs existent à une revalorisation globale des barèmes, qui impacterait massivement les dépenses publiques (300 millions d’euros pour 1 % de revalorisation de l’ensemble des barèmes). En 2012, à la demande du Haut Conseil à la famille, la CNAF évaluait à 1,1 milliard d’euros le coût de la mise en place d’un système de « bonus d’aide au logement » visant à réduire à 30 % le taux d’effort des allocataires supportant un taux d’effort « abusif » (HCF, 2012). La réforme proposée consistait à majorer, sous forme de bonus, l’aide au logement pour les allocataires dont le loyer est très supérieur au loyer-plafond. Ce bonus, versé au million d’allocataires dont le loyer réel excède 120 % du loyer-plafond pris en compte pour le calcul des aides au logement, ne serait pas versé aux ménages qui auraient fait le choix de louer un logement dont le loyer est manifestement excessif par rapport à leurs revenus, le bonus n’augmentant plus à partir d’un niveau de dépassement du loyer réel par rapport au loyer-plafond de 180 %. Afin d’éviter la captation de ces revalorisations par les bailleurs, celles-ci pourraient aisément être conditionnées à la mise en place de système locaux de maîtrise des loyers. Là aussi, bien qu’important, l’impact budgétaire d’une telle mesure doit être relativisé. En 2014, la France a consacré 41 milliards d’euros d’aides publiques au logement. Le coût de la mise en place d’une réforme de ce type représente donc 2,5 % de cette enveloppe, à comparer à 1,8 milliard d’euros consacrés aux seules incitations à l’investissement locatif privé (Scellier, Duflot, Pinel…) en 2014, pour des résultats décriés (Madec, 2016).
45 Si, à terme, il semble nécessaire d’améliorer le ciblage et le zonage des aides personnelles, aucune réforme d’ampleur ne semble pouvoir être envisagée à enveloppe budgétaire constante. Dans le cas contraire, la déconnection entre le mode de calcul des aides et les loyers réels, observée ces dernières années, ne pourra que se généraliser ; ce que l’on ne peut que déplorer, puisque c’est leur progressivité, associée à leur caractère affecté (qui se manifeste à travers la prise en compte des dépenses en logement réellement acquittées) qui en font les deux principaux facteurs explicatifs de leur efficacité redistributive.
Notes
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[1]
Comptes publiés par le service de l’Observation et des Statistiques (SOeS) du ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer.
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[2]
Ces aides publiques regroupent en 2014 trois grands types d’aides : les prestations sociales au logement (allocation logement, aide sociale à l’hébergement, autres prestations sociales liées aux locaux d’hébergement collectif, prime de déménagement…), représentant 20,5 milliards d’euros ; les aides à la pierre versées au secteur privé (propriété occupante et investissement locatif), s’élevant à 10,8 milliards d’euros ; les aides à la pierre adressées au secteur locatif social sous la forme de prêts bonifiés, d’exonérations fiscales et de subventions, soit 9,6 milliards d’euros.
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[3]
La convention APL est un acte conclu entre l’État (le préfet) et les propriétaires bailleurs de logements locatifs, qui fixe notamment les plafonds de ressources et de loyers applicables à la location de ces logements.
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[4]
La zone I regroupe l’agglomération parisienne et une partie de la grande couronne francilienne ; la zone II regroupe toutes les agglomérations de plus de 100 000 habitants, le reste de l’Île-de-France et quelques communes plus petites au marché immobilier particulièrement tendu (zone frontalière ou côtière par exemple) et la zone III correspond au reste du territoire.
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[5]
À titre indicatif, en 2015, le montant mensuel du loyer-plafond est de 292,62 € en zone I pour une personne isolée et de 456,73 € pour un couple avec deux enfants en zone I. En zone II, ces loyers-plafonds s’élevaient respectivement à 255,03 € et 402,37 €. En zone III, ils étaient de 239,02 € et 371,45 €. Au montant d’aide s’additionne un « forfait charges » calculé selon la seule composition du foyer. De même, le versement des aides est conditionné à des normes de « décence » du logement (surface, confort minimum, pas d’atteinte à la sécurité et la santé du locataire, etc.).
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[6]
Les effets sont différenciés : revaloriser le montant de l’aide versée ne bénéficie qu’aux allocataires actuels ; augmenter les plafonds de ressources élargit le cercle des bénéficiaires ; revaloriser les loyers-plafonds améliore la modulation de l’aide selon la dépense de loyer, dans un contexte où une large partie des allocataires ont un loyer réel égal ou supérieur au loyer-plafond.
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[7]
On parle de redistribution verticale lorsque celle-ci aboutit à une réduction des inégalités de revenus ou de niveaux de vie.
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[8]
Les accédants à la propriété représentent 6 % des allocataires d’aides personnelles au logement (source Études et Résultats, DRESS).
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[9]
Le niveau de vie d’un ménage est égal à son revenu disponible (ressources après impôts et prestations) divisé par le nombre d’unités de consommation (UC). Les unités de consommation sont généralement calculées selon l’échelle d’équivalence dite de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) modifiée, qui attribue une UC au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans.
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[10]
Cette part est comparable à celle des minima sociaux (revenu de solidarité active (RSA) socle, minimum vieillesse, allocation adulte handicapé, allocation supplémentaire d’invalidité), cumulée à celle du RSA activité.
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[11]
Mesuré comme inférieur ou égal à 60 % de la médiane des niveaux de vie.
-
[12]
L’indice (ou coefficient) de Gini est un indicateur synthétique d’inégalités de niveaux de vie. Il varie entre 0 et 1. Il est égal à 0 dans une situation d’égalité parfaite où tous les niveaux de vie seraient égaux.
-
[13]
Plus précisément, la progressivité d’un transfert (prestation, cotisation, impôt…) est mesurée par la différence entre son pseudo-Gini et le Gini du niveau de vie initial (multipliée par 10 par souci de lisibilité).
-
[14]
Calculé comme la moyenne sur les douze derniers mois de l’évolution des prix à la consommation hors tabac et hors loyers.
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[15]
Pour rappel, dans le parc social, cette proportion dépasse les 50 %.
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[16]
Les prestations logement versées restent cependant modulées en fonction des ressources du foyer du bénéficiaire et de la configuration familiale.
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[17]
11 jusqu’en 2012 et 6 en 2013.
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[18]
En 2009, le Sénat définissait ainsi le « reste à vivre » du ménage : « il s’agit des sommes qui […] sont nécessaires pour […] permettre de vivre dans des conditions décentes. Ce “reste à vivre” doit être au moins égal au revenu minimum d’insertion dont disposerait le ménage. »
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[19]
C’est-à-dire le montant total d’aides au logement nécessaire pour que les taux d’effort des allocataires en situation de dépassement de leur contrainte budgétaire (Madec, 2016) ne dépassent pas 30 %.
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[20]
Ce chiffrage repose sur des données redressées et un échantillon dont les observations aberrantes (revenus trop faibles, dépenses en logement incohérentes…) ont été exclues.
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[21]
Depuis le 1er janvier 2001, le montant de l’aide est obtenu par application de la même formule de calcul, quel que soit le secteur locatif.
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[22]
L’Inspection générale des finances chiffrait d’ailleurs à 4 % le nombre de bénéficiaires d’aides ayant un patrimoine global (financier et immobilier) supérieur à 75 000 euros.
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[23]
Notons qu’un tel système introduirait un décalage entre l’acquittement du loyer par le ménage et l’avantage fiscal récupéré une année après. Les ménages mobiles ou les nouveaux entrants sur le marché locatif se verraient donc dans l’obligation de s’acquitter de leur loyer durant cette période, ce qui pourrait poser des difficultés particulières de trésorerie pour des ménages modestes.