CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction : les enjeux de l’évaluation économique des produits de santé innovants [1]

1 Vers la fin des années 1960, l’utilisation des techniques du calcul économique pour éclairer la politique de santé a été tentée en France dans le cadre de la rationalisation des choix budgétaires (Abecassis, 2014). Suite à l’échec de cette expérience, il faudra attendre le milieu des années 1980 pour observer une réminiscence du calcul économique, dans le cadre du développement de l’évaluation des technologies de santé. L’adoption de ces méthodes en France a été très tardive, comparativement aux autres pays s’étant dotés d’agences d’évaluation des technologies de santé et mobilisant les évaluations économiques dans le cadre du remboursement de biens et services de santé – Angleterre et Pays de Galles, Nouvelle-Zélande, Australie, Suède, Danemark, Norvège, Belgique, Pays-Bas notamment – (Le Pen, 2005 ; Benamouzig, 2005).

2 Deux dates récentes marquent un virage législatif dans l’adoption de l’évaluation économique des produits de santé en France. En 2007, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2008 introduit le critère d’efficience dans les missions de la Haute Autorité de santé (HAS) créée trois ans plus tôt : « Dans le cadre de ses missions, la Haute Autorité de santé émet des recommandations et avis médico-économiques sur les stratégies de soins, de prescription ou de prise en charge les plus efficientes. » (art. 41). L’évaluation économique est alors mise en œuvre par la HAS dans le cadre d’évaluations de santé publique ou d’évaluations de stratégies thérapeutiques, dans lesquelles elle contribue à la hiérarchisation des stratégies recommandées.

3 En 2011, la LFSS pour 2012 et le décret n° 2012-1116 du 2 octobre 2012 (art. R. 161-71-1 du Code de la sécurité sociale) établissent que, lorsque le remboursement d’un médicament ou dispositif médical par l’assurance maladie est sollicité, l’efficience du produit doit être documentée par l’industriel auprès de la HAS et du CEPS si l’industriel revendique une amélioration du service rendu par son produit, et si le produit est susceptible d’avoir un impact significatif sur les dépenses de santé [2]. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 3 octobre 2013 (Midy, Raimond et al., 2015 ; Polton, 2015). Si les outils mobilisés sont sensiblement les mêmes sur le plan technique, il s’agit désormais de juger de l’efficience d’un produit de santé afin d’aider à en déterminer le prix. Le travail présenté s’inscrit dans ce contexte particulier des avis d’efficience rendus par la HAS, même si la plupart des questions soulevées ont un caractère générique et sont transposables à tous les champs d’application de l’évaluation économique en santé.

4 L’utilisation du calcul économique répond à une exigence de rationalisation de la dépense collective, pour garantir le meilleur usage possible des ressources. Il ne s’agit pas de limiter les coûts, mais de garantir que des gains potentiels de santé ne sont pas perdus par une utilisation non efficiente des ressources. Elle correspond également à une recherche de transparence : tout arbitrage qui engage des ressources collectives, dont chacun attend qu’elles soient mobilisées dans l’intérêt de la collectivité, doit pouvoir être justifié et chacun doit pouvoir examiner l’usage qui en est fait. Par conséquent, le calcul économique vise à répondre à la question suivante : « comment juger qu’il est économiquement fondé d’utiliser les ressources collectives pour mettre en œuvre telle option thérapeutique plutôt que d’utiliser ces ressources pour un usage alternatif ? » La réponse à cette question comporte deux dimensions : une dimension scientifique sur la qualité méthodologique de la preuve et une dimension normative sur l’interprétation de la preuve.

5 Pour documenter la dimension scientifique, la Haute Autorité de santé a défini les modalités d’évaluation de l’efficience en publiant, en 2011, un document intitulé « Choix méthodologiques pour l’évaluation économique à la HAS », dans lequel elle retient certains principes méthodologiques généraux (Haute Autorité de santé, 2011). En particulier, la HAS privilégie les analyses coût-résultat (ACR) et retient l’indicateur de résultat qui mesure le gain en années de vie ajustées par la qualité (Quality adjusted life years-QALY) [3].

6 Se pose ensuite la question de l’interprétation du résultat d’une ACR qui mesure, entre deux options, le différentiel de coût et le différentiel d’effet de santé. Lorsqu’une option est plus coûteuse et moins efficace que l’autre, l’interprétation est facile : on dit alors que l’option la plus efficace et la moins coûteuse domine l’autre et doit donc recevoir les ressources budgétaires à la place de l’option moins efficace et plus coûteuse.

7 Lorsqu’une option est plus efficace mais aussi plus coûteuse que l’autre, la règle d’interprétation la plus couramment utilisée pour interpréter une ACR repose sur la métrique du ratio différentiel coût-résultat (RDCR = ΔC / ΔE), ΔC étant la différence de coûts entre la plus chère et la moins chère et ΔE la mesure de différence de résultat entre la plus efficace et la moins efficace. L’interprétation de ce ratio nécessite de porter un jugement de valeur sur l’acceptabilité du surcoût monétaire estimé par rapport au gain de santé qu’il permet d’obtenir. Conclure à l’efficience d’une intervention requiert donc d’être capables, collectivement, de définir une valeur de référence, généralement notée lambda (λ) dans la littérature, qui correspond au montant maximum que la collectivité est prête à dépenser pour obtenir une unité de santé supplémentaire. Or, en France, cette valeur de référence n’est pas explicitement spécifiée et l’interprétation des ratios issus des évaluations économiques se fait au cas par cas, ce qui soulève la question de sa transparence et de sa cohérence.

8 L’intégration de l’efficience dans le processus de négociation des prix des produits innovants met en lumière les enjeux de l’évaluation économique pour éclairer la décision en santé. La méthode d’évaluation économique retenue par la HAS soulève des interrogations sur les méthodes qui permettent d’estimer une valeur de référence pour juger de l’efficience d’un produit de santé. Au-delà de l’estimation d’une valeur, les limites associées à un processus de décision strictement fondé sur la confrontation à une valeur de référence invitent à préciser le rôle de l’évaluation économique dans la décision et à analyser les premiers résultats de cette pratique en France.

Mesurer et donner du sens à une valeur de référence

9 La littérature rend compte de plusieurs méthodes permettant d’estimer une valeur de référence pour l’évaluation économique. Elles relèvent de quatre approches de natures très différentes (encadré 1) ; les trois premières se rattachent à différents courants de la théorie économique, la quatrième est de nature empirique (Haute Autorité de santé, 2014). Dès lors, en fonction de la méthode retenue, la valeur de référence estimée n’aura pas le même sens. Par ailleurs, chacune souffre de limites théoriques spécifiques et se caractérise par des contraintes techniques, en particulier en termes de volume de données nécessaires. Ces dernières sont susceptibles de remettre en cause leur faisabilité dans le contexte français.

Encadré 1 : Approches pour estimer une valeur de référence pour l’évaluation économique

1) Déterminer le coût d’opportunité d’un QALY supplémentaire.
La valeur de référence est égale à la valeur qui permet de maximiser la santé de la collectivité sous la contrainte d’un budget défini a priori.
La valeur de référence est estimée par des méthodes dérivées de la résolution d’un programme d’optimisation, maximisant la santé pondérée ou non par la qualité sous contrainte budgétaire (méthode des Leagues Tables, méthode Center for Health Economics CHE).
2) Déterminer la disposition à payer pour un QALY supplémentaire.
La valeur de référence est égale à la valeur monétaire qui serait équivalente, en termes d’effet sur le bien-être, au gain ou à la préservation d’une unité de santé exprimée en année de vie ou en QALY.
La valeur de référence est estimée empiriquement par des enquêtes en population, mobilisant des méthodes de mesure, directe ou indirecte, de la disposition à payer.
3) Transposer la valeur de la vie statistique (VVS) telle qu’utilisée dans d’autres secteurs d’intervention publique.
La valeur de référence est déduite de la valeur de la vie statistique, qui attribue une valeur monétaire aux vies que des investissements (p. ex. dans le réseau routier) permettent – statistiquement – de sauver.
La valeur de référence est estimée en modélisant la valeur de l’année de vie comme une fonction de la VVS et de l’espérance de vie restante et en appliquant une pondération par la qualité de vie.
4) Inférer une valeur implicite à partir des décisions antérieures.
La valeur de référence correspond à la valeur accordée à un gain marginal en santé lors de décisions similaires antérieures.
Elle est estimée à partir de l’observation de décisions réelles de remboursement ou de fixation des prix.

Approche 1 : Déterminer le coût d’opportunité d’un QALY supplémentaire

10 Les méthodes développées selon cette approche cherchent à résoudre un programme d’optimisation, en maximisant le résultat de santé attendu sous contrainte budgétaire. La valeur de référence s’interprète comme le coût d’opportunité de la dépense marginale. Par construction, la valeur de référence dépend du budget dédié à la santé et de la productivité du secteur santé ; elle est donc variable dans le temps.

11 La méthode « historique » de résolution de ce programme (League table), consiste à ranger les interventions par ordre croissant de ratio coût-efficacité et à financer les interventions de la plus efficiente à la moins efficiente jusqu’à saturation du budget. Si elle a fondé la première liste de priorisation développée en Oregon dans le cadre du programme social Medicaid [4], elle n’est plus aujourd’hui considérée comme envisageable, en raison de la remise en cause des hypothèses sur lesquelles elle repose, du volume très important d’études qu’il serait nécessaire de réaliser et surtout des difficultés politiques entraînées par la réévaluation globale de l’ensemble du panier de biens et services remboursés (Weitzenblum et Wittwer, 2012 ; Cleemput, Neyt et al., 2008).

12 Une seconde méthode, développée par des universitaires du Center for Health Economics (CHE) au Royaume-Uni, consiste à estimer les effets de santé obtenus par une variation marginale des dépenses du Nation Health Service (NHS) à partir de l’analyse rétrospective des données de dépenses par pathologie et de taux de mortalité (Claxton, Martin et al., 2013). La méthode permet d’estimer – en moyenne – le coût marginal d’un QALY dans le système NHS. Une nouvelle intervention sera alors jugée efficiente si son coût marginal par QALY est inférieur au coût marginal moyen observé dans le système actuellement financé. Cette méthode présente l’avantage d’être opérationnelle, mais sa transposition en France pose d’une part la question de la disponibilité des données de dépenses et de mortalité par catégorie de diagnostics, et d’autre part la question des choix méthodologiques à retenir parmi les options développées par les auteurs. Cette méthode doit encore être considérée comme un objet de recherche.

Approche 2 : Déterminer la disposition à payer pour un QALY supplémentaire

13 Les méthodes s’appuyant sur les préférences sont fondées sur la théorie du bien-être, selon laquelle les choix publics doivent se fonder sur le bien-être des individus, évalué par le degré de satisfaction des préférences individuelles (Goold et Blackster, 2011 ; Office of Health Economics et Donaldson, 2011). La valeur de référence représente alors la somme maximale que les individus accepteraient de payer en contrepartie d’un gain marginal de santé.

14 L’application de ces méthodes pose cependant de nombreuses difficultés, liées en particulier à la nature expérimentale de la procédure et au manque de standardisation de la méthodologie ; les hypothèses qui fondent ces méthodes, telle que l’existence d’une relation proportionnelle – même approximative – entre disposition à payer individuelle et QALY, sont également remises en cause (Haute Autorité de santé, 2014).

15 Le projet européen EuroVAQ a cherché à estimer dans 10 pays européens, dont la France, la valeur d’un QALY sur la base d’un recueil de dispositions à payer (Institute of Health and Society et Donaldson, 2010). L’étude repose sur deux approches méthodologiques différentes, qui permettent de déterminer, pour la France, des valeurs moyennes pour le QALY comprises, respectivement, entre 11 317 euros et 25 600 000 euros et entre 1 811 euros et 54 612 euros selon l’approche retenue. Du fait de la variation importante et inattendue des résultats pour une méthode donnée, les auteurs concluent à la nécessité de poursuivre les recherches sur cette question.

Approche 3 : Transposer la valeur de la vie statistique (VVS) telle qu’utilisée dans d’autres secteurs d’intervention publique

16 La valeur de la vie statistique permet d’associer une valeur tutélaire à un décès évité, dans le cadre d’un investissement public, l’individu concerné in fine par la décision étant à ce stade inconnu (Baumstark, 2008). Lorsque la valeur de référence en santé repose sur la valeur de la vie statistique, elle correspond donc au montant à payer pour éviter la perte d’une année de vie pour un individu anonyme. Cette approche repose sur un principe fondamental d’égalité de la valeur d’une unité de santé produite dans le secteur de la santé et de la même unité de santé produite par un autre secteur d’activité économique (le transport, l’environnement, l’éducation, etc.), qui garantit a priori l’efficience des décisions d’allocation de ressources entre les différents secteurs d’activité (Devlin, 2002 ; Guesnerie, 2012).

17 En France, le rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective a établi une valeur de référence, pour la vie humaine statistique dans les investissements publics, de 3 millions d’euros2010 (Quinet, 2013). Les auteurs du rapport préconisent le recours à une valeur unique, dont le montant évolue dans le temps en fonction du produit intérieur brut (PIB) par tête. Le caractère unique de cette valeur est justifié d’une part par les limites d’estimation des facteurs susceptibles de la faire varier, et d’autre part par le principe éthique d’une valeur tutélaire unique quels que soient le secteur ou l’individu concernés. La valeur de l’année de vie sauvée est estimée à 115 000 euros2010. Le CGSP juge souhaitable l’introduction du QALY pour les projets dont l’impact sur la santé est important. Il recommande que des travaux de recherche soient entrepris pour construire une référence française.

Approche 4 : Inférer une valeur implicite à partir des décisions antérieures

18 Lorsque la valeur de référence est estimée à partir de l’observation des ratios différentiels coûts-résultats (RDCR) estimés pour les produits acceptés ou refusés au remboursement, elle représente la valeur implicite de la santé pour les décideurs publics. Pour autant, cette valeur n’est pas nécessairement légitime. Premièrement, les décisions ne sont pas uniquement fondées sur un critère économique et il n’est généralement pas possible d’identifier et de contrôler les autres critères de jugement. C’est particulièrement vrai pour la France, puisque le critère d’efficience n’était pas pris en compte dans les négociations de prix avant 2013. Deuxièmement, il n’est pas nécessairement légitime de faire reposer les décisions actuelles et futures sur des critères de décision historiques. La décision est dépendante du contexte, qui est par nature évolutif : le contexte actuel pourrait conduire à une décision différente de celle qui a été prise par le passé (Cleemput, Neyt et al., 2008).

19 Néanmoins, une analyse rétrospective pourrait à terme être conduite sur la base des avis d’efficience publiés et des prix faciaux négociés, à l’image des recherches menées au Royaume-Uni avant la reconnaissance explicite de valeurs de référence (Devlin et Parkin, 2004).

20 En conclusion, si chacune des méthodes identifiées permet d’estimer une valeur de référence spécifique, aucune n’apparaît, à ce jour, comme suffisamment fiable pour fonder la décision publique en l’état ; la question de la détermination d’une valeur de référence reste un champ de recherche à poursuivre.

Les limites d’un processus de décision strictement fondé sur la confrontation à une valeur de référence

21 Les limites d’un processus de décision fondé sur la seule confrontation à une valeur de référence ont été mises en lumière principalement dans le cadre de la maximisation d’un gain de santé sous contrainte budgétaire. Cependant, ces objections concernent plus largement le processus de décisions fondé sur les ACR.

L’application d’une valeur de référence ne suffit pas à maximiser la santé collective sous contrainte budgétaire

22 La proposition d’une méthode à la fois valide et opérationnelle est un prérequis à l’adoption d’une valeur de référence. Compte tenu des méthodes actuellement envisageables en France, cette valeur ne représentera pas le coût d’opportunité de la dépense susceptible de garantir l’efficience de la décision.

23 Certains travaux remettent en cause plus fondamentalement la capacité d’une règle de décision mécanique, conduisant à rembourser toutes les interventions dont le prix produit un RDCR inférieur ou égal à cette valeur de référence, à garantir à la fois la maximisation de la santé collective et le respect de la contrainte budgétaire (Gafni et Birch, 2006).

24 À budget constant, toute intervention acceptée dans le panier de soins remboursés implique une redistribution des financements sociaux : la dépense nouvelle en santé se fait au détriment d’autres biens et services financés collectivement dans le secteur de la santé ou dans d’autres secteurs. Selon Gafni et Birch (1993), pour que le calcul économique soit réellement utile au décideur, il devrait intégrer le coût d’opportunité réel de la décision de rembourser cette intervention, c’est-à-dire les effets de santé produits par les interventions exclues du panier pour compenser son coût. Cette approche permettrait de garantir le respect de la contrainte budgétaire, mais ne garantirait pas néanmoins la maximisation des effets de santé. Il faudrait pour cela être capable d’identifier, parmi toutes les interventions existantes, l’intervention (ou la combinaison d’interventions) d’un coût équivalent à l’intervention évaluée et dont l’abandon générerait le plus grand différentiel d’effet de santé avec l’intervention évaluée. De fait, cette analyse est rarement mise en œuvre dans l’aide à la décision publique, laquelle considère généralement le remboursement d’un produit de santé, sans remettre en cause les interventions déjà financées.

25 Ainsi, l’information disponible est imparfaite, et l’application d’une valeur de référence ne pourrait suffire à garantir l’optimisation de la prise en charge collective : ce n’est pas parce qu’un produit aurait un RDCR sous la valeur de référence qu’il devrait automatiquement être remboursé.

26 Les limites discutées dans la littérature renvoient fondamentalement à l’impossibilité d’interpréter une valeur de référence comme un seuil permettant de discriminer les interventions dont le remboursement maximise l’effet de santé collectif sous contrainte budgétaire, avec trois conséquences principales :

  • la valeur de référence ne se définit plus en termes de coût d’opportunité, mais renvoie à une notion de valeur de référence acceptable, ce qui pose la question de sa légitimité et de son identification ;
  • l’objectif poursuivi s’exprime davantage en termes d’amélioration marginale de la santé collective qu’en termes de maximisation ;
  • le respect de la contrainte budgétaire suppose le recours à un critère de jugement supplémentaire pour sélectionner les interventions éligibles au remboursement, parmi les interventions dont le RDCR est inférieur à la valeur de référence.

27 La valeur de référence serait ainsi davantage un premier critère de sélection pour identifier les produits manifestement trop coûteux, sans justifier pour autant l’acceptabilité du prix des produits non rejetés.

L’objectif du décideur ne se résume pas à la maximisation de la somme de santé produite sous contrainte budgétaire

28 Ancré dans la théorie du bien-être, le calcul économique propose des méthodes d’évaluation visant à déterminer l’allocation des ressources qui permet de garantir un optimum social en termes de bien-être. Cette approche implique de caractériser la notion d’optimum social et la notion de bien-être.

29 L’utilitarisme, sur lequel se fondent historiquement les méthodes d’évaluation économique des interventions de santé, caractérise la notion de bien-être par la satisfaction des préférences individuelles et la notion d’optimum social par deux principes qui vont déterminer les méthodes du calcul économique :

  • l’allocation des ressources vise la maximisation de la somme des bien-être individuels, l’objectif du calcul économique est alors la résolution de ce programme d’optimisation (« le plus grand bonheur pour le plus grand nombre », cf. l’utilitarisme philosophique de Bentham, 1789) ;
  • l’amélioration du bien-être de chaque individu a une valeur identique quelle que soit sa situation personnelle, selon la formule consacrée « chacun compte pour un et pas pour plus d’un ».

30 La remise en cause de ce fondement historique s’est développée, depuis la parution de la Théorie de la justice de Rawls (1971), autour de deux axes principaux :

  • l’idée selon laquelle le bien-être individuel, comme satisfaction des préférences, est le fondement de toute appréciation normative des règles d’allocations des ressources collectives est remise en cause au profit d’une appréciation objective des besoins (Sen, 1987 ; Roemer, 1985 ; Fleurbaey, 1995) ;
  • le principe d’une répartition des ressources fondée sur un objectif de maximisation est remis en cause au profit d’un objectif d’égalisation des situations individuelles. La société ou le décideur peuvent souhaiter, dans certaines circonstances, allouer davantage de ressources pour améliorer la situation de certains individus en particulier, même si cela implique de diminuer la quantité globale de bien-être dont jouit la collectivité dans son ensemble.

31 Ces deux axes de recherche convergent dans le cadre de doctrines proposant de chercher à égaliser des situations, non plus seulement évaluées en termes de bien-être, mais évaluées au moyen d’indicateurs plus complets, incluant différentes dimensions, comme le proposent notamment l’approche par les « capabilités » (Sen, 1987 ; Coast, 2008).

32 La littérature identifie de nombreux exemples d’arbitrages implicites ou explicites en matière d’allocations des ressources en santé en faveur de certaines pathologies ou de circonstances particulières. Ainsi, une règle de devoir d’assistance envers les personnes dont la vie est menacée – the rule of rescue – a été définie au Royaume-Uni (National Institute for Health and Clinical Excellence, 2009) et en Australie. Cette règle permet de prendre en charge des interventions dont l’évaluation économique est défavorable. Un second exemple de dérogation à la règle commune, qualifié de proportional shortfall (déficit proportionnel), est décrit aux Pays-Bas. En plus de l’efficacité et de l’efficience, le critère de nécessité d’un traitement permet d’accorder davantage de valeur aux traitements permettant à des individus de limiter la perte d’une proportion importante de leur espérance de vie (Van de Wetering, Stolk et al., 2013 ; Towse et Barnsley, 2013).

33 La poursuite par les décideurs publics d’autres objectifs que la maximisation du bénéfice santé collectif sous contrainte budgétaire ne remet pas en cause la règle d’optimisation de l’allocation des ressources. En effet, le programme d’optimisation peut intégrer d’autres fonctions objectif que la fonction de sommation des QALYs individuels.

34 – Deux voies de recherche principales sont identifiées pour adapter le calcul économique ou sa règle d’interprétation :

  • l’application de pondérations sur le résultat de santé dans le calcul du RDCR (Van de Wetering, Stolk et al., 2013 ; Wagstaff, 1991 ; Hughes, Tunnage et al., 2005 ; Bobinac, Van Exel et al., 2012) ;
  • l’adoption de différentes valeurs de référence dans l’interprétation du RDCR (Van de Wetering, Stolk et al., 2013 ; Bobinac, Van Exel et al., 2012).

35 La déclinaison pratique de ces deux options constitue à l’heure actuelle un champ de recherche au niveau international et les travaux universitaires auxquels il donne lieu sont encore rarement mobilisés dans le cadre de l’aide à la décision publique « en routine ».

36 Plus fondamentalement, le niveau d’intégration dans le calcul économique des considérants de la décision doit être débattu.

Préciser le rôle de l’évaluation économique dans la décision

37 Vouloir interpréter l’évaluation économique à l’aune d’une valeur de référence conduit à une règle de décision imparfaite. Cependant, rejeter sur cet argument l’intérêt d’une évaluation économique pour éclairer la décision publique est difficilement défendable. Quels que soient les débats théoriques et les limites des informations disponibles pour le décideur, l’indécision en matière de priorisation n’existe pas. En présence d’une alternative entre une option existante et une option nouvelle, refuser de choisir sur l’argument d’une information imparfaite revient à choisir le statu quo. En ce sens, l’introduction du calcul économique, même imparfait, contribue à une meilleure allocation des ressources que l’absence de calcul économique (Drummond, 2007 ; Gold et Bryan, 2007), car il permet d’estimer le coût et les résultats de santé des interventions de santé, selon une méthodologie transparente, rigoureuse et standardisée.

38 Alors qu’en France les acteurs commencent à intégrer formellement un critère d’efficience dans le champ des produits de santé remboursables, il est intéressant de réexaminer la place qu’occupe l’évaluation économique parmi les autres critères de décision dans les pays l’expérimentant depuis plus longtemps.

L’explicitation d’une valeur de référence

39 Les arguments identifiés dans la littérature internationale sont principalement fondés sur une réflexion théorique et sont peu dépendants du contexte local de décision. Trois arguments soutiennent l’explicitation d’une valeur de référence et ont été plus précisément examinés dans un rapport de la Haute autorité de santé, publié en 2014 (Haute autorité de santé, 2014).

40 Concernant les décideurs, la publication d’une valeur de référence améliorerait leur responsabilisation à l’égard des principes sur lesquels se fondent leurs décisions et augmenterait leur capacité à rendre compte de leurs décisions auprès du public. La référence à une valeur explicite favoriserait ainsi la cohérence de la prise de décision, son impartialité et son adéquation par rapport aux objectifs du système de santé.

41 Concernant les industriels, la connaissance partagée de cette valeur contribuerait à améliorer l’efficacité des interventions, par exemple en les incitant à mieux définir la population ciblée par leur produit.

42 Concernant les chercheurs et les méthodologistes, l’information favoriserait le développement de nouvelles techniques d’aide à la décision, telles que la valeur attendue d’une information parfaite (EVPI, Expected value of perfect information).

43 À l’inverse, une explicitation de la valeur de référence aurait des conséquences négatives sur les stratégies des industriels en matière de revendication du prix et de recherche et développement. La valeur de référence enverrait un double signal aux industriels :

  • sur la disposition à payer du système de financement de la santé, incitant les firmes à proposer le prix juste en dessous de la valeur de référence qui leur assurerait un surplus maximal ;
  • sur la répartition du surplus social généré par l’innovation. Une valeur de référence trop faible conduit à un niveau trop faible d’investissements en recherche et développement. À l’inverse, si la valeur de référence est fixée sur la disposition à payer collective, la totalité du surplus social est captée par l’industriel.

44 L’explicitation d’une valeur de référence pourrait également introduire des manipulations dans les études présentées pour soutenir une demande de remboursement, y compris lorsque des standards méthodologiques rigoureux ont été définis (Cleemput, Neyt et al., 2008).

45 L’analyse des arguments avancés dans la littérature contre l’explicitation d’une valeur de référence suggère plutôt qu’ils rejettent une règle systématique et quasi automatique de décision de remboursement fondée sur cette valeur. La portée de ces arguments est réduite dans un processus de délibération intégrant plusieurs critères de jugement.

L’efficience est un critère de décision dans un processus de délibération multicritère

46 Le processus de décision le plus communément mis en place repose sur des arbitrages délibératifs entre différents critères (l’efficacité de l’intervention, la sévérité de la pathologie, la disponibilité d’alternatives thérapeutique, l’efficience, etc.), qu’il est possible de caractériser au regard d’une règle d’interprétation préalablement définie. Cependant, pour porter un jugement sur le caractère efficient ou non d’une intervention, la définition d’une règle d’interprétation quantitative et explicite est l’exception dont l’exemple du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) est illustratif. La plupart des autres pays intégrant le critère d’efficience dans leurs décisions (Nouvelle-Zélande, Australie, Suède, Danemark, Norvège, Belgique, Pays-Bas), ne font pas référence à une valeur explicite (Haute Autorité de santé, 2014). Les documents publiés listent les critères pris en compte dans la décision et décrivent les différents instances impliquées, sans pouvoir toutefois formaliser de façon détaillée la manière dont les arbitrages entre l’efficience et les autres critères sont réalisés.

47 La règle d’interprétation du RDCR semble davantage être de nature probabiliste (plus le RDCR est élevé, plus la probabilité d’interprétation favorable est faible) que de nature binaire (efficient versus non efficient). Cette approche induit qu’une décision contraire à l’interprétation spontanée du RDCR estimé, par exemple le remboursement d’une intervention avec un RDCR très élevé, nécessite une explicitation des arguments qui la justifient. La valeur de référence s’apparente alors à un « indicateur sentinelle » (Towse, Pritchard et al., 2002).

L’apport des avis d’efficience dans le processus de décision en France : un premier bilan

48 Depuis 2013, l’évaluation médico-économique est un des critères de la fixation du prix des médicaments et dispositifs médicaux innovants [5]. L’accès au remboursement reste, quant à lui, fondé sur des critères médicaux documentés par les commissions médico-techniques de la HAS. Cependant, si, formellement, l’avis favorable au remboursement est distinct de la négociation de prix, le remboursement effectif ne peut intervenir qu’une fois le prix négocié par le CEPS. De ce fait, la distinction de la place de l’évaluation économique dans la négociation de prix et dans la décision de remboursement est difficile à opérer (encadré 2).

Encadré 2 : Remboursement et fixation du prix des médicaments en France

Après son autorisation de mise sur le marché (AMM), le médicament est évalué par la Commission de la transparence, qui rend un avis sur son inscription au remboursement, considérant l’intérêt et le progrès cliniques ou diagnostiques qu’il représente par rapport aux options existantes.
Lorsque le médicament revendique un caractère innovant et qu’il est susceptible d’avoir un impact sur les dépenses de l’assurance maladie, il est simultanément examiné par la Commission d’évaluation économique et santé publique (CEESP), qui rend un avis sur son efficience. Cet avis n’intervient pas dans l’accès au remboursement, mais vient étayer la négociation du prix entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et l’industriel, dans le cadre de la politique conventionnelle.
L’inscription au remboursement est renouvelable tous les cinq ans auprès des mêmes instances et donne lieu à de nouveaux avis.
Les dispositifs médicaux sont examinés par la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDIMTS) et, le cas échéant, par la CEESP, puis par le CEPS.

49 Au 31 juillet 2015, la Commission d’évaluation économique et de santé publique (CEESP) a rendu 30 avis d’efficience (Midy, Raimond et al., 2015).

50 – Dans 10 dossiers, l’efficience n’est pas démontrée, du fait de choix méthodologiques irrecevables (réserve majeure) ou d’une incertitude trop importante pour pouvoir interpréter le RDCR estimé.

51 – Dans 20 dossiers, l’avis de la CEESP rend compte d’un RDCR avec des résultats très hétérogènes. Deux produits sont dominants (plus efficaces et moins coûteux que le comparateur). Les ratios différentiels coûts-résultats des autres produits varient de moins de 10 000 euros par QALY à plus de 200 000 euros par QALY, avec une majorité de produits pour lesquels le RDCR est supérieur à 50 000 euros par QALY (11 sur 20), dont les produits en cancérologie (3 sur 3) et les produits traitant l’hépatite C (3 sur 4). Les RDCR des vaccins, a contrario, sont inférieurs à 30 000 euros par QALY.

52 – L’interprétation des résultats fournis par l’industriel permet à la CEESP de conclure à une probable sous-estimation du RDCR pour 10 dossiers, de mentionner un risque important d’observer un RDCR d’une valeur très différente en pratique courante pour 3 dossiers et de souligner l’intérêt limité du résultat pour 4 dossiers.

53 Le prix négocié est un élément fondamental de la transposition du RDCR estimé en pratique courante. Puisque l’évaluation est fondée sur un prix revendiqué, la CEESP veille à la simulation de RDCR pour différents niveaux de prix. Dans certains avis, la CEESP sensibilise le CEPS sur les enjeux de la décision (l’existence d’un débat public, de caractéristiques spécifiques de la population qui n’apparaissent pas dans l’évaluation ou d’évolutions de marché prévisibles, mais non simulées par exemple).

54 L’analyse qualitative des données disponibles permet au CEPS d’identifier les produits pour lesquels l’évaluation initiale est incertaine et soutient des accords de prix contrôlant les effets pervers d’une inscription fondée sur des bases fragiles. Cette identification est d’autant plus sensible que l’évaluation des produits pour un premier remboursement est de plus en plus précoce (Polton, 2015). L’identification des limites méthodologiques des évaluations soumises permet également d’orienter les demandes de données complémentaires pour le renouvellement d’inscription.

55 Selon le CEPS, l’avis de la CEESP lui offre un outil complémentaire pour négocier les prix des produits de santé (Comité économique des produits de santé, 2015).

56 Révisé fin 2015, l’accord encadrant la politique conventionnelle du médicament a explicitement renforcé la place de l’évaluation économique dans la régulation du médicament [6]. Au-delà de son usage pour déterminer ou réviser le prix (art. 6 et 10), un avis « permettant au Comité d’établir les conditions de [l’]efficience » du produit est nécessaire pour bénéficier de la garantie de prix européens pour les produits innovants (art. 9) et de la procédure accélérée de dépôt de prix, dont le « caractère excessif […] au regard de l’avis médico-économique » peut justifier le refus (art. 8). L’évaluation économique peut également être mobilisée pour réviser ou refuser les prix définis pour les produits hospitaliers de la liste « en sus » et de la liste « rétrocession » (art. 11).

57 Enfin, l’accord confirme l’usage de l’évaluation économique comme support des contrats de partage de risque : « pour les médicaments ayant fait l’objet d’une évaluation médico-économique […] les parties conviennent de dispositions conventionnelles permettant d’assurer les conditions d’efficience » (art. 10).

58 Plusieurs voies d’amélioration du dispositif ont été relevées dans des travaux récents, pouvant contribuer à la qualité de l’information produite. Surmonter certaines difficultés méthodologiques (Midy, Raimond et al., 2015 ; Polton, 2015) pourraient conduire à réduire le nombre d’évaluations non conclusives, qui reste important. Par ailleurs, un effort de clarté et d’intelligibilité des avis et d’appropriation de l’évaluation économique par le décideur est nécessaire afin que les avis d’efficience remplissent pleinement leur rôle d’aide à la décision (Polton, 2015). Enfin, la capacité du dispositif mis en place est fragilisée par le contexte de faible offre académique pour réaliser et expertiser les modélisations réalisées (Jeantet, Lopez et al., 2014 ; Polton, 2015). Dès lors, le risque de concentrer les ressources de la HAS sur les avis d’efficience au détriment de ses autres activités d’évaluation économique, pourtant pertinentes, est également souligné (Polton, 2015).

Conclusion

59 L’efficience est un critère de jugement dont la documentation peut être améliorée, mais dont le décideur peut d’ores et déjà se saisir. En effet, les évaluations produites par les industriels, l’analyse critique qui en est faite par la HAS et les avis d’efficience rendus par la CEESP éclairent la relation entre le coût d’un produit de santé et les résultats de santé qu’il génère. Les améliorations nécessaires sont inhérentes à la mise en place d’une activité récente et devraient pouvoir s’observer à court terme : meilleure rédaction des avis, amélioration des dossiers déposés par les industriels et appropriation de l’outil par le décideur.

60 Comme cela a pu être observé dans de nombreux pays étrangers, le critère d’efficience dans les décisions en santé doit trouver sa place dans un arbitrage délibératif et transparent entre plusieurs critères de jugement, identifiés comme pertinents pour définir la valeur sociale d’un produit de santé. La demande d’une analyse systématique de l’impact budgétaire en complément de l’étude médico-économique pour les produits avec un chiffre d’affaires prévisionnel supérieur à 50 millions d’euros (art. 9 de l’accord cadre du 11 janvier 2016) peut être interprétée dans cette perspective.

61 L’intérêt du décideur pour l’évaluation économique dans la régulation des prix des produits de santé rend d’autant plus nécessaire la réflexion sur l’acceptabilité en France des dépenses au regard du résultat de santé attendu.

62 Si la réalisation et la publication des avis d’efficience contribuent à expliciter l’arbitrage coût-résultat sous-jacent à la décision, l’absence de valeur de référence explicite limite la portée de la conclusion de la CEESP. L’interprétation du RDCR et sa prise en compte dans la décision par rapport à d’autres critères de jugement restent l’apanage exclusif du CEPS. L’accord-cadre définit un certain nombre de conditions ou de critères déterminant le niveau de prix, mais l’usage des différents critères produit par produit et l’interprétation du calcul économique pour conclure à l’acceptabilité de la dépense restent largement méconnus. L’absence d’information sur le niveau de prix réel (après remise) permet difficilement d’estimer a posteriori un RDCR finalement consenti.

63 Dans ce contexte, l’explicitation d’un spectre de valeurs de références semble présenter plus d’avantages que d’inconvénients.

64 Les valeurs de référence ne peuvent être issues d’une approche strictement calculatoire, dont la fragilité a été présentée. Elles doivent être éclairées par des travaux issus de plusieurs disciplines, avant d’être débattues politiquement. La légitimité de ces valeurs reposera sur la reconnaissance du processus politique mobilisé pour les définir et également sur l’explicitation d’une méthodologie et d’un cadre théorique clairs et transparents. Dans le cas contraire, les valeurs de référence retenues ou implicitement utilisées pourraient être remises en cause ; par voie de conséquence, les décisions qui en découlent en matière de remboursements et de fixations des prix le seraient également.

65 À ce titre, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) souligne que le consentement collectif au financement des interventions en santé « devra s’appuyer sur l’emploi d’un référentiel pour l’interprétation des résultats des évaluations » et recommande de « constituer une base de données publiques rapportant les valeurs des rapports coût-efficacité incrémentaux des produits et des stratégies évalués afin de faire émerger des valeurs de référence » (Jeantet, Lopez et al., 2014). L’objectif de mener les avis jusqu’à une conclusion en termes d’efficience, en référence à des valeurs de référence « larges », est également proposé par le rapport sur la réforme des modalités d’évaluation des médicaments (Polton, 2015).

Notes

  • [*]
    L’ordre de présentation a été défini par les auteurs.
  • [1]
    L’examen des premiers avis d’efficience par la Commission d’évaluation économique et de santé publique (CEESP), alors présidée par le Pr Lise Rochaix, puis par le Pr Jean-Luc Harousseau, a conduit les auteurs à s’interroger sur l’interprétation des évaluations produites et des avis rendus (Haute Autorité de santé, 2014). Les auteurs remercient les membres de la CEESP, les relecteurs anonymes de la revue et le Pr Michel Grignon, dont les commentaires ont permis d’améliorer l’article. Les conclusions n’engagent que leurs auteurs et ne représentent pas une position officielle de la Haute Autorité de santé.
  • [2]
    En l’absence de précision dans le décret, le collège de la HAS juge du caractère significatif de l’impact sur les dépenses de santé, notamment lorsque le chiffre d’affaires annuel prévisionnel dépasse 20 millions d’euros ou selon les revendications d’impact sur l’organisation des soins, les pratiques professionnelles ou les modes de prise en charge des malades faites par l’industriel.
  • [3]
    Le QALY permet de mesurer simultanément l’impact d’un produit de santé sur la survie et sur la qualité de vie. Son caractère universel permet la comparaison entre pathologies (à l’inverse d’un indicateur comme le coût par infarctus du myocarde dans la prévention cardio-vasculaire ou par rechute évitée en cancérologie par exemple). Sans mésestimer les débats qui existent sur l’estimation des QALYs et leur utilisation dans la décision publique, ce texte ne revient pas sur le choix de ce critère, dans la mesure où la question de l’interprétation d’une ACR traitée dans le présent article se pose indépendamment du critère de résultat retenu.
  • [4]
    L’état de l’Oregon a tenté d’établir une liste d’interventions à financer sur la base de l’optimisation du bénéfice santé (bénéfice net à cinq ans) sous contrainte budgétaire. Cette méthode a été abandonnée en raison de l’incohérence des choix auxquels elle aboutissait et n’a donc jamais été appliquée (Haute Autorité de santé, 2014).
  • [5]
    Le prix tient également compte de l’amélioration du service médical rendu, apportée par le médicament, des prix des médicaments à même visée thérapeutique, des volumes de ventes prévus ou constatés et des conditions prévisibles et réelles d’utilisation du médicament (art. L.162-16-4 du Code de la sécurité sociale).
  • [6]
    Accord-cadre du 31 décembre 2015 entre le Comité économique des produits de santé et les entreprises du médicament (Leem). [En ligne] http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/accord_cadre_11_janvier_2016.compressed.pdf (page consultée le 20 avril 2016).
Français

La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2012 a introduit le critère d’efficience dans la détermination du prix des produits de santé innovants. La mise en œuvre de cette disposition par la Haute Autorité de santé (HAS) et le Comité économique des produits de santé (CEPS) met en lumière les enjeux de l’évaluation économique pour éclairer la décision en santé.
Pour documenter le critère d’efficience, la Haute Autorité de santé privilégie les analyses coût-résultat (ACR) comparant le gain en santé à son coût marginal. L’interprétation du résultat quantitatif issu de ces analyses est confrontée à la nécessité de définir collectivement le montant que la collectivité est prête à dépenser pour obtenir une unité de santé supplémentaire. Quatre méthodes permettant d’estimer cette valeur de référence sont identifiées dans la littérature. Elles permettent toutes d’estimer un indicateur d’acceptabilité, mais elles souffrent de limites qui appellent la poursuite de recherches académiques sur ce sujet.
Pour autant, les évaluations produites par les industriels, l’analyse critique qui en est faite par la HAS et les avis d’efficience rendus par la Commission d’évaluation économique et de santé publique (CEESP) éclairent la relation entre le coût d’un produit de santé et les résultats de santé qu’il génère.
L’élaboration récente des avis d’efficience en France semble jouer un rôle effectif dans la négociation des prix, même si son usage dans la décision reste largement confidentiel. À l’image des pratiques observées dans les pays étrangers, le critère d’efficience dans les décisions en santé doit trouver sa place dans un arbitrage délibératif et transparent parmi les autres critères de jugement, identifiés comme pertinents pour définir la valeur sociale d’un produit de santé.

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Véronique Raimond
Chef de projet dans le service d’évaluation économique et de santé publique de la Haute Autorité de santé (HAS), où elle contribue notamment à l’élaboration des avis d’efficience et à la rédaction des documents méthodologiques relatifs à l’évaluation économique ; inscrite en doctorat d’économie à l’université Paris-1 Sorbonne, au sein de la chaire Hospinnomics.
Fabienne Midy
Chef de projet dans le service d’évaluation économique et de santé publique de la Haute Autorité de santé (HAS), où elle contribue notamment à l’élaboration des avis d’efficience et à la rédaction des documents méthodologiques relatifs à l’évaluation économique.
Clémence Thébaut
Ancienne chef de projet dans le service d’évaluation économique et de santé publique de la Haute Autorité de santé (HAS) ; maître de conférences en économie de la santé à l’université de Limoges.
Catherine Rumeau-Pichon [*]
Adjointe au directeur de l’évaluation ; chef du service d’évaluation économique et de santé publique à la Haute Autorité de santé (HAS).
  • [*]
    L’ordre de présentation a été défini par les auteurs.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/11/2016
https://doi.org/10.3917/rfas.163.0263
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