Introduction
1 L’existence d’une formation à un métier tel que celui d’aide-soignante [1] (AS) n’a rien d’une évidence. Dans différents pays, lorsqu’un métier équivalent existe à l’hôpital, il n’est pas nécessairement lié à une formation spécifique, et cette éventuelle formation n’a pas partout la même durée ni le même contenu. La France apparaît de ce point de vue comme un modèle de la professionnalisation de ce métier, en proposant une formation théorique et pratique d’une année, sanctionnée par un diplôme d’État (DE), même si, comparée aux autres formations paramédicales, celle-ci apparaît limitée par sa durée et par son niveau [2], plaçant les AS à bonne distance des infirmières à la formation désormais universitaire. Au-delà des disparités nationales, si la formation au métier d’aide-soignante n’a rien d’une évidence, c’est aussi en raison de la nature des tâches concernées. Centrées sur les soins à la personne, dans le cadre d’une relation d’aide, elles sont souvent associées à des compétences domestiques traditionnellement attribuées aux femmes. En effet, l’aide-soignante est chargée de soins d’hygiène et de confort auprès des malades [3] et, par suite, doit contribuer à leur bien-être, en les accompagnant dans tous les gestes de la vie quotidienne et en aidant au maintien de leur autonomie. L’observation directe de ce travail permet de constater aux côtés de savoir-faire professionnels, la mobilisation au quotidien de savoirs profanes et de compétences sociales (Arborio, 2012, p. 137-142) ou encore le partage d’un « habitus domestique » propre aux femmes, contribuant à la construction d’un collectif de « gens de métier » (Divay, 2013). Pourtant, le métier d’aide-soignante s’est doté précocement d’une formation ; et s’il a pu apparaître comme un modèle pour d’autres métiers du care en voie de professionnalisation, par exemple dans le secteur de l’aide à la personne (Doniol-Shaw, 2011), c’est parce que ces tâches, lorsqu’elles s’exercent auprès du malade hospitalisé, dans un contexte médicalisé, requièrent de façon plus évidente des savoir-faire techniques et des compétences spécifiques. Une formation n’a pourtant pas toujours été, même en France, associée à l’exercice de ce métier : d’abord parce qu’elle a été mise en place ultérieurement à l’invention du titre, et surtout parce que nombre de personnels sont chargés de fonctions similaires à titre plus ou moins officiel et qu’ils les exercent sans en avoir le diplôme, en qualité d’agent des services hospitaliers (ASH), certains établissements allant jusqu’à l’indifférenciation des tâches entre aides-soignantes (AS) et ASH.
Encadré 1 : Les aides-soignantes en France
2 On propose ici de s’interroger sur l’évolution des enjeux portés par la formation à ce métier depuis la création du titre d’aide-soignante en 1949, pour les établissements comme pour les personnels. L’analyse portera plus précisément sur les modalités d’accès successives qui ont conduit à des usages différenciés du titre d’aide-soignante par les personnels visés. La formation n’est donc pas ici analysée pour son contenu, mais plutôt pour son rôle dans la sélection de personnels, du point de vue de l’institution, et dans l’orientation de leurs parcours du point de vue des individus qui la suivent. C’est pourquoi les matériaux utilisés ici seront de double nature, rendant compte des règles de sélection des personnels et de la manière dont des AS s’en saisissent à un moment donné de leurs parcours (voir encadré 2).
Encadré 2 : Méthodologie
Il utilise en outre des matériaux tirés d’enquêtes en terrain hospitalier (Arborio, 2012 ; Méhaut et al., 2009) au cours desquelles ont été recueillis nombre d’entretiens avec des AS de différentes générations (une cinquantaine en 1993-1995 et une trentaine en 2005-2006). Il s’agit de l’exploitation secondaire de matériaux qui n’ont pas été initialement recueillis dans l’objectif d’analyser les usages de la formation, mais où le déroulé des entretiens, restituant à chaque fois la trajectoire singulière de l’enquêtée, a permis le récit de la formation, mis en perspective avec les expériences scolaires, professionnelles, hospitalières. La relative ancienneté de la première de ces enquêtes, menée dans les années 1990, permet de disposer de témoignages d’AS des toutes premières générations formées, l’ensemble du corpus étant constitué d’AS ayant suivi leur formation entre 1956 et 2003.
Le parti pris ici est donc celui de la combinaison de l’histoire et de l’ethnographie (Arborio et al., 2008) : la mise en contexte – permise par l’exploitation conjointe du corpus de textes réglementaires – des séquences d’entretiens concernant la formation et l’analyse comparée de ces séquences permettent de les comprendre autrement que lors de leur analyse première et d’éclairer les enjeux de la formation d’aide-soignante du double point de vue de l’institution et des impétrantes.
3 Le titre d’aide-soignante apparaît dans une conjoncture historique particulière qui en fait d’abord un instrument de reclassement, puis de promotion du personnel en poste dans les hôpitaux, davantage qu’un titre validant une formation à un métier spécifique. Cependant, les besoins croissants en personnels qualifiés pour les hôpitaux imposent, dès les années 1970, le renouvellement du recrutement et de l’organisation de la formation. Les évolutions plus récentes laissent voir les contradictions de l’histoire d’un métier considéré comme peu qualifié qui recrute cependant des jeunes de plus en plus diplômées.
De l’invention du titre d’aide-soignante à la mise en place d’une formation
Aux origines du métier : un titre de reclassement des personnels hospitaliers
4 Au xix e siècle, le terme d’infirmier désigne toute personne laïque travaillant à l’hôpital, avec une distinction progressive entre le personnel qui « soigne » et celui qui « sert ». À la fin du xix e siècle, certaines infirmières commencent à être formées dans les hôpitaux de Paris (Chevandier, 2011), avant que la circulaire Combes (1902) ne demande l’ouverture d’écoles régionales, dans un contexte de débats entre partisans du recrutement de « femmes de qualités » (féminines et de classe) et partisans d’une formation professionnelle (Acker, Arborio, 2004). La formation d’infirmière continue à se codifier avec l’instauration d’un diplôme d’État (DE) en 1922, qui n’est cependant pas exigé pour exercer dans les hôpitaux, une certaine diversité régnant ainsi parmi le personnel soignant. Au sortir de la guerre, face aux transformations de l’hôpital qui s’ouvre à l’ensemble de la population, avec des besoins en personnels accrus, et face aux revendications de l’élite infirmière, la loi du 8 avril 1946 impose une restriction à l’exercice de la profession, qui exige désormais de détenir le DE. Se pose alors la question des personnels nommés « infirmiers » sans le moindre diplôme. Les mesures transitoires proposées – que ce soit l’organisation d’examens de « récupération » favorisant leur accès au DE ou bien l’attribution d’autorisations d’exercer comme infirmières – sont vite épuisées, et restent en activité des personnels privés de leur titre d’infirmière – puisqu’ils n’ont ni DE ni autorisation d’exercer – mais non de leur compétence ni de leur utilité. C’est pour répondre à cette situation conjoncturelle et sous la pression des syndicats qu’est mis en place, en 1949, le titre d’aide-soignante [7].
5 Celui-ci instaure une position intermédiaire dans la hiérarchie entre les ASH, personnel de service recruté sans aucune exigence de diplôme, et les infirmières stricto sensu. Il vise d’abord le reclassement de personnels en poste dans cette conjoncture, avec un double enjeu : d’une part symbolique par l’attribution d’un titre plus valorisant que celui d’ASH, mettant en évidence leur participation au soin ou tout au moins leur assistance à des soignants désormais qualifiés et, d’autre part, matériel, car les AS s’inscrivent dans une position plus favorable que les ASH dans la grille salariale. À l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (APHP), les conditions d’accès à ce nouveau titre sont précisées : l’avis du chef de service y est déterminant [8]. Le métier n’est défini que par son rôle d’assistance et par sa position hiérarchique : « personnel utilisé sous le contrôle de l’infirmier dans les salles ou quartiers de malades pour aider celui-ci dans l’exercice de ses fonctions » [9]. Il n’est alors question ni de formation, ni de tâches particulières à exécuter, mais plutôt d’une expérience validée par la hiérarchie.
6 Le titre d’aide-soignante ainsi créé a donc eu pour premier usage de pallier une difficulté transitoire née d’une transformation des règles d’exercice du métier d’infirmière, sans qu’apparaisse la nécessité de lui associer une formation spécifique.
La mise en place d’une formation qui pérennise le titre d’aide-soignante
7 Très vite apparaissent des arguments favorables au maintien de ce titre, tant du côté des personnels que du côté de l’administration des hôpitaux. En effet, il donne un espoir de promotion aux ASH, pour qui le passage dans la catégorie d’infirmière, imposant le DE, est peu fréquent. À l’APHP par exemple, la quasi-totalité des ASH comptant un an de service au 1er janvier 1949 ont été reclassées aides-soignantes [10], ce qui répond aux souhaits des syndicats de limiter les écarts de rémunérations entre les personnels aux fonctions souvent proches. Et de fait, la perspective d’une promotion comme AS pourrait permettre de stabiliser un personnel expérimenté dans un contexte de pénurie.
8 La mise en place, en 1956, d’un certificat d’aptitude à la fonction d’aide-soignante (CAFAS) [11], valable sur tout le territoire national, pérennise le titre d’aide-soignante. La durée de l’enseignement préparatoire à ce certificat est fixée à dix mois, quand celle du DE infirmier est alors de deux ans. Cet enseignement comporte, sur le modèle de la formation infirmière, une partie théorique et des stages pratiques. L’annexe de l’arrêté de 1956 détaille assez sommairement le programme théorique de l’enseignement. Les études sont sanctionnées par un examen comportant une épreuve écrite d’une heure et deux épreuves pratiques au lit du malade. Les objectifs fixés à cette formation permettent de définir pour la première fois le métier d’aide-soignante, en rappelant sa position subordonnée dans la hiérarchie : « Ce certificat permet […] de donner des soins d’hygiène générale, à l’exclusion de tout soin médical, sous l’autorité du personnel infirmier » (art. 7), une définition là encore sommaire de ce que l’AS peut faire et de ce qu’elle ne doit pas faire [12], largement reprise dans les textes ultérieurs.
9 Les conditions d’admission en formation confirment le caractère central des enjeux de promotion et de fixation de la main-d’œuvre la moins qualifiée des établissements hospitaliers : aucune condition d’accès autre que statutaire – une ancienneté d’une année – n’est exigée [13]. Ce dispositif s’inscrit bien dans un « modèle de gestion statutaire », alors caractéristique des hôpitaux publics et de leur marché du travail fermé, offrant des emplois à vie à un personnel sans formation initiale, privilégiant la promotion interne pour les personnels les moins qualifiés (Acker, Denis, 1991).
Du point de vue des agents choisis pour leur expérience : une formation limitée
10 L’invention du titre d’aide-soignante et la définition des contours de la formation modifient la structure du personnel des hôpitaux et le cours de la vie professionnelle de certains agents [14]. Nombre d’entre eux suivent la procédure de reclassement ou passent le CAFAS dans les conditions décrites plus haut, l’arrêté de 1956 restant en vigueur jusqu’en 1971. Que représentent ce titre et cette formation pour des agents choisis pour leur expérience ?
11 Pour Robert, embauché à l’Assistance publique (AP) en 1952, la mise en place du CAFAS contrarie une promotion qu’il attendait à ses débuts comme plus simple : « Maintenant, pour parvenir à n’importe quel grade, il faut réussir un concours, suivre des cours. Avant, c’était pas pareil, on montait par échelon. Quand on était agent hospitalier à l’échelon supérieur, on passait aide-soignant, suivant la qualité des agents bien sûr. À l’époque, on débutait agent hospitalier et on était versé dans les salles. Donc, on faisait toutes les corvées et puis, on aidait les infirmières. Et puis après, l’échelon arrivait, jusqu’à ce qu’on passe aide-soignant. Seulement vers 1956, […] on a fait l’examen d’aide-soignant. D’abord, c’était seulement les agents qui étaient vraiment capables ou alors les anciens qui passaient aides-soignants. Maintenant aussi on passe un examen, mais en plus, on fait des stages dans les établissements. En 1956, tous les anciens étaient sur le point de passer aides-soignants sans les cours, mais y a eu une évolution et il a fallu passer un examen. »
12 Robert, titularisé en 1956, est nommé aide-soignant la même année, après avoir passé un examen qu’il décrit avec précision : une épreuve pratique au cours de laquelle il est chargé de nettoyer une salle d’opération devant la surveillante panseuse du bloc et de faire la toilette d’un malade, ce qui correspond à la prescription d’évaluer un « travail d’hygiène et d’entretien des locaux et du matériel » et un « travail au chevet du malade » [15]. Il n’a cependant aucun souvenir d’une éventuelle formation théorique qu’il aurait suivie à cette occasion.
13 Sonia et Josette, elles, entrent à l’AP juste après la mise en place du CAFAS, l’une en 1956 et l’autre en 1958. Bien qu’elles en exercent les tâches, devenir infirmière leur reste inaccessible. Toutes deux tentent une fois (respectivement en 1963 et en 1969) l’examen d’entrée à l’école d’infirmières, poussées par leurs surveillantes, mais elles se sentent loin du niveau exigé. Devenir aide-soignante leur apparaît déjà comme une réussite inespérée, compte tenu de leurs milieux d’origine et des expériences qui les ont amenées à travailler dans les hôpitaux [16].
14 Josette repousse plusieurs fois la promotion d’aide-soignante, qui lui est proposée comme palliatif de son échec à l’entrée en formation d’infirmière : elle ne veut pas prendre le risque de perdre son poste, dans lequel elle assure un travail d’infirmière. Rassurée sur son maintien à ce poste, douze ans après son entrée à l’AP, elle entreprend la formation. Elle avoue avoir fait seulement trois semaines de stages en salle, « un peu pistonnée », et elle a continué à travailler dans son service pendant sa formation. Celle-ci ne lui a donné aucune expérience pratique supplémentaire, et le titre d’aide-soignante ne change rien au contenu de son travail, sinon qu’il en augmente la rémunération.
15 Sonia, après plusieurs postes d’ASH en services généraux (blanchisserie, cuisine…), obtient un « travail de salle », c’est-à-dire dans les services de soins, en médecine, puis en pneumologie, où elle reste plus de trente ans. Elle apprend d’emblée, « avec les anciennes », l’essentiel des gestes infirmiers [17]. Elle accède à la formation d’aide-soignante cinq ans après son entrée à l’AP : c’est moins un palliatif qu’une éventuelle étape vers le métier d’infirmière. Elle confirme le caractère sommaire de la formation et des « stages », effectués pour l’essentiel dans son service antérieur. Elle en espère moins une réelle formation qu’une rémunération supérieure, l’évitement des services généraux – où, comme Robert, elle a débuté par les « corvées » – et la garantie de postes « en salle », moins pénibles et plus prestigieux.
16 Ces témoignages convergent pour décrire un contenu relativement indigent de la formation théorique (quelques cours donnés le soir ou pendant le service, par des surveillantes) et la prééminence de l’emploi occupé sur les « stages », puisque ceux-ci se font pour partie dans le service d’exercice antérieur. Le titre d’aide-soignante valide une expérience plus qu’il ne propose d’en acquérir une nouvelle. La formation apparaît comme un « rite d’institution » (Bourdieu, 1982) au terme duquel l’agent désigné aide-soignant accède à un titre valorisé, associé à des avantages matériels et symboliques dont certains agents restent cependant à l’écart, finissant leur carrière comme ASH.
17 Si la mise en place d’une formation pérennise le métier d’aide-soignante et lui donne un premier contenu, les enjeux initiaux de promotion et de fixation de la main-d’œuvre demeurent pour valoriser l’expérience d’agents hospitaliers davantage que pour leur faire acquérir de nouveaux savoir-faire.
La formation d’un public différencié et ses dilemmes
18 Les choses restent en l’état pendant une quinzaine d’années, au cours desquelles l’effectif aide-soignant augmente, avec un recrutement exclusivement interne [18]. Une rupture apparaît au début des années 1970, où la formation commence à se préciser et à s’intensifier et où des candidats, nouveaux venus dans le monde de l’hôpital, concurrencent les ASH pour l’accès à la formation.
Une formation plus exigeante
19 À partir de 1971, les réformes se succèdent pour approfondir la formation. Le nombre d’heures qui lui sont dévolues augmente (voir tableau), sans pour autant que les études ne soient allongées [19], ni modifiées dans leurs principes : le modèle de l’alternance est conservé, les sessions d’enseignements théoriques se combinant à des sessions de formation pratique sous forme de stages. Le volume global de ces sessions croît progressivement et se stabilise autour de 1 500 heures ; le programme est de plus en plus diversifié, au-delà des seuls soins d’hygiène, et de plus en plus précis, chaque titre étant associé à un volume d’heures à partir de 1982 [20], assurant davantage d’unité aux formations dispensées sur le territoire.
Tableau. La formation d’aide-soignante depuis 1956 : volumes d’enseignements et de stages

Tableau. La formation d’aide-soignante depuis 1956 : volumes d’enseignements et de stages
20 Du point de vue des ASH entrées en formation dans les années 1970, la formation est encore limitée :
« Ma génération à moi, c’était encore très simple. C’était apprendre la toilette des gens, apprendre certaines… C’était une petite formation à ce moment-là. […] On avait quatre heures de cours par semaine, de cours de pratique et de cours de théorie. Et on avait deux stages à faire, un en médecine, un en chirurgie. Alors que maintenant, c’est beaucoup plus évolué. On leur apprend beaucoup plus de choses. […] Une infirmière de service, Mme C., qui était à ce moment-là chef du personnel infirmier, qui nous donnait les cours de théorie, et puis voilà c’est tout.
– Ça ne vous a pas appris grand-chose ?
– Si, si, parce que malgré tout ça nous a appris quand même assez de choses, par exemple sur les régimes, sur plein de choses qui n’étaient pas évidentes au départ. […] Au retour dans le service, ça n’a pas changé grand-chose, puisque nous faisions avec les ASH le même travail. On avait une même équipe qui était aides-soignantes et ASH sur le même moment, ça voulait dire que souvent les AS faisaient le ménage et que les ASH étaient aux changes, aux soins des malades. Voilà, ça, ça arrivait régulièrement. »
22 Mais au fil de ses réformes, la formation est perçue comme plus intense jusqu’à apparaître, pour certaines, parfois trop poussée par rapport à l’exercice réel du métier :
« Au niveau aide-soignante, c’est pas que c’est dur, mais enfin, ils t’en mettent plein la tête. Ils t’apprennent comme à un toubib. Et tout ça pour te dire : “faites-en le moins possible. Videz les poubelles et faites les toilettes, et voilà”. Alors tu te trouves avec un classeur comme ça (elle montre entre ses mains une épaisseur de 20 cm) pour que tu en fasses le minimum. Je te dis, ils t’en apprennent comme si tu allais devenir médecin. Bon, c’est pour soi que c’est intéressant, c’est vrai. C’est bien qu’on sache. Mais ce que tu apprends, ça n’a rien à voir avec la pratique. »
24 La hausse des exigences de la formation tient sans doute à l’évolution des compétences requises en matière de soins d’hygiène et de confort, et aussi à des évolutions du modèle de gestion des personnels : le souci de rationalisation budgétaire, dès les années 1970, s’accompagne d’une flexibilisation de la main-d’œuvre qui doit être formée à des compétences de plus en plus formalisées pour être mises en œuvre dans différents services tout au long de la carrière (Acker et Denis, 1991). La gestion individuelle des compétences, alignée sur le modèle des grandes entreprises, remplace peu à peu la gestion administrative ou statutaire (Acker et Rapieu, 2008). Les personnels doivent être plus performants et plus mobiles. Cependant, ces évolutions n’empêchent pas le creusement de l’écart avec le DE infirmier [21]. L’harmonisation européenne des diplômes universitaires sur le modèle licence, master, doctorat (LMD), suite aux accords de Bologne (1999), qui laisse en marge les formations, comme celle d’aide-soignante, de niveau inférieur au baccalauréat, ne fait que prolonger l’éloignement progressif des deux formations [22].
L’ouverture de la formation à de nouveaux publics
25 La formation d’aide-soignante prend de l’ampleur au début des années 1970 : tous les établissements publics sont désormais censés proposer une formation à ce métier et, en 1971, le ministère de la Santé leur donne l’objectif de mettre 10 % de leurs ASH en formation, avec un objectif de plus long terme de pouvoir disposer de trois AS pour une ASH au plan national [23]. Ce mouvement s’inscrit dans un contexte favorable à la formation professionnelle, avec la loi du 16 juillet 1971, dont l’application est élargie, dès 1975, aux personnels hospitaliers [24]. Les exigences à l’entrée en formation se durcissent toutefois pour les ASH, qui doivent désormais justifier d’une expérience plus longue, portée à trois ans de service [25].
26 Cependant, la formation s’ouvre en même temps à de nouveaux publics. Il s’agit tout d’abord de recruter sur titres ou diplômes, avec une priorité affirmée aux détenteurs du brevet d’études professionnelles préparatoire aux carrières sanitaires et sociales (BEPSS) récemment créé [26] : la formation d’aide-soignante, sous tutelle du ministère de la Santé, doit composer avec les formations proposées par l’Éducation nationale. Il s’agit ensuite d’ouvrir l’accès à des personnes n’ayant ni l’expérience hospitalière, ni les titres scolaires requis : elles entrent sous condition de réussite à un examen, devant un jury mixte (Éducation nationale et professionnels de santé). À la faveur de la crise de l’emploi, cette voie sera suivie par des personnes dont la formation est financée par des dispositifs successifs relevant des politiques de l’emploi, mettant en avant le CAFAS comme un titre accessible, susceptible de faire sortir du chômage des femmes peu qualifiées ayant eu diverses expériences professionnelles avant l’hôpital. De fait, ce dernier public s’apparente donc, par ses caractéristiques, aux ASH : peu scolarisé, déjà doté d’une expérience professionnelle, utilisant des dispositifs de financements publics pour suivre une formation qualifiante, avec pour enjeu supplémentaire l’accès au marché de l’emploi.
27 Les élèves recrutées sur titres scolaires constituent en revanche un public bien distinct, plus diplômé et plus jeune. De leur point de vue, passer le CAFAS en continuité avec un BEP dans le secteur prend un sens différent de celui qu’il a pour les ASH :
« Ça poussait un peu plus qu’en BEP, surtout pour les “patho”. Pour le reste, on répétait, c’était pareil qu’en BEP, mais ça faisait plaisir d’avoir bien compris. »
« Avec le BEP, c’était possible de travailler, mais au ménage, comme agent hospitalier, et ça m’intéressait pas du tout. J’étais déçue quand on m’a dit ça : je croyais qu’on pouvait se lancer dans la vie rien qu’avec un BEP.
— Et comment tu as compris que c’était pas possible ?
— Ben, les profs nous l’ont dit juste avant de passer le BEP. Alors, j’étais déçue sur le coup. Mais bon, c’était pas grave, parce qu’on nous a offert de passer soit le concours d’entrée pour le CAFAS soit de passer en F8. Ils nous ont expliqué ce que c’était le CAFAS, et je me suis dit : “allez, je me lance”. »
30 Pour certaines, il a certes fallu réviser un projet initial de devenir infirmière, faute d’avoir pu accéder au baccalauréat, mais leur rapport à l’école ou à la formation est très positif, avec le sentiment d’un « plus » qualifiant, moins pour le contenu de la formation que pour l’accès rapide à l’emploi. Il en va différemment pour les ASH promues, moins titrées scolairement :
« Aide-soignante ? C’est rien du tout. Même si moi j’ai peut-être eu du mal. Parce que c’est vrai, je peux pas vous le cacher, j’ai toujours eu peur de l’école. J’ai ça qui m’est… qui m’est resté là. Mais c’est rien du tout. Si je l’ai fait déjà… Même si j’en suis fière. C’est vrai que j’en suis fière, mais je me verrais pas dire ça pour me mettre en avant. »
32 Même si leur discours est aussi empreint d’une forme de revanche sociale ou de réhabilitation culturelle, perceptible chez ceux qui ont des diplômes tardifs (Poliak, 2011) :
« La surveillante m’a dit que je pouvais faire l’école d’aides-soignantes. […] J’avais quand même 40 ans. C’est pas que c’est vieux, mais on n’a plus la mémoire comme avant. Et puis, l’école, c’est loin. Mais en travaillant… D’ailleurs, moi, ça m’a toujours plu, l’école. J’ai toujours bien marché. Si j’ai pas continué après le certificat d’études, c’était parce qu’il fallait bien travailler, mais ça marchait bien. Finalement, le CAFAS, je l’ai eu avec de bonnes notes, et meilleures pour la théorie que pour la pratique. »
34 L’ouverture à de nouveaux publics fait du CAFAS un instrument de formation initiale et non plus seulement de complément ou de valorisation de l’expérience acquise. Elle ajoute à la voie exclusive du marché interne le recrutement d’AS sur un marché externe. Les conditions précises d’accès sont revues au fil du temps [27], mais le principe d’une double voie de recrutement demeure.
Une même formation pour un public différencié ?
35 Cette ouverture ne va pas sans aménagement de la formation, au-delà des conditions d’admission, tenant compte à la fois des caractéristiques et des contraintes de chacun des publics. Au début des années 1970, les études, pourtant communes, débouchent sur des examens distincts : chacun comporte une épreuve écrite et une épreuve pratique, mais les élèves recrutées sur titres se voient attribuer une « note de stage », alors que les ASH sont notées sur « leur manière de servir ». Il faut dire que les ASH suivent des enseignements regroupés et ont une dispense partielle des stages [28]. L’épreuve écrite est prévue pour être commune, mais, dans une phase transitoire [29], les ASH sont chargées du commentaire oral d’une note ou d’une instruction, évitant ainsi la manifestation de leurs rapports distanciés à l’écrit, quand certaines n’ont parfois que le certificat d’études primaires. Les jurys sont également différents, avec des représentants de l’établissement d’origine des ASH. Les dispositions particulières visant les ASH jusqu’au début des années 1990 tendent à limiter leur temps consacré aux études et à prendre en compte leur expérience pratique : lorsque la formation s’ouvre à celles qui ont exercé auprès de personnes âgées, dix années d’exercice peuvent dispenser totalement des stages [30]. Une bonification d’un demi-point par année d’exercice leur est attribuée pour l’obtention du CAFAS. En 1982, huit années d’exercice permettent d’éviter les vingt-quatre semaines de stage prévues pour n’en faire que quatre, « dans un service et une discipline autres que ceux de la dernière affectation ». Pour les ASH un peu moins expérimentées, la durée des stages s’étale entre quatre et douze semaines, avec une répartition veillant à la diversité des services [31]. La promotion du personnel en poste, qui reste un objectif, suppose une évaluation des pratiques dans la carrière hospitalière et pas seulement des compétences scolaires ou des acquis de la formation.
36 La réforme des études de 1994 marque cependant une étape dans l’unification de la formation [32] : le programme unique d’études se précise et les conditions d’admission, de formation et de validation du titre réduisent les particularités des différents publics. Les BEPSS – et a fortiori les titulaires de diplômes de niveau baccalauréat – se distinguent par une dispense de l’épreuve d’admissibilité (art. 6), mais passent désormais l’épreuve commune d’admission [33]. Les ASH de la fonction publique hospitalière, dont la part des élèves doit rester en deçà de 80 % des élèves (art. 12), restent sélectionnées suivant des règles spécifiques. Au-delà de l’admission, toutes suivent les mêmes études aux volumes et aux contenus renforcés pour toutes, qu’il s’agisse des enseignements ou des stages, et passent les mêmes épreuves finales.
37 Ces évolutions laissent apparaître, au-delà de l’enjeu de promotion – qui perdure – pour les personnels en poste, de vrais enjeux de formation, initiale pour des jeunes sortant du système scolaire, continue pour les ASH, et des enjeux d’insertion professionnelle pour des femmes peu qualifiées. Elles renvoient aussi à des exigences plus importantes, quant à l’exercice du métier, auxquelles la formation doit répondre, quelle que soit l’expérience antérieure de chacun. Il s’agit désormais de faire bénéficier l’hôpital d’une main-d’œuvre qualifiée, d’origines diverses, prête à assurer les diverses tâches de l’aide-soignante, dans des services ou établissements aux exigences variées, dans un contexte de flexibilisation accrue.
Valorisation de l’expérience, déclassement des diplômes scolaires ?
38 De fait, l’aide-soignante reste sous le contrôle de l’infirmière. On a évoqué le creusement des écarts de niveaux de formation qui s’ajoute au niveau initial exigé [34]. L’encadrement de proximité comme l’encadrement au plus haut niveau, avec la création du grade d’infirmier général en 1975, est issu de la filière infirmière. Pourtant, de nouvelles formes de valorisation des AS et de leur expérience apparaissent, au-delà des évolutions symboliques, avec la labellisation du diplôme professionnel d’aide-soignante qui remplace le CAFAS en 1996 et même du DE, en 2005. Dans le même temps, l’élévation du niveau scolaire initial d’une fraction des élèves interroge sur l’existence de formes de déclassement conduisant à ce métier.
La reconnaissance tardive du rôle des pairs dans la transmission de leur expérience
39 La valorisation de l’expérience pratique via le recrutement d’ASH pour entrer en formation supposait un début d’apprentissage dans les services, auprès des autres personnels. Pourtant, la contribution des AS à la formation de leurs pairs ne fait l’objet d’aucune reconnaissance jusqu’en 1994. Sans parler de la formation théorique, entièrement assurée par d’autres professionnels de santé (essentiellement des infirmières), alors que la formation des infirmières est assurée par des enseignantes issues du corps infirmier, la participation des AS à l’encadrement pratique n’est d’abord pas prévue par les textes : les stages se font sous la responsabilité d’une infirmière et sont évalués par des infirmières, même si dans la réalité l’apprentissage se fait auprès de pairs. C’est seulement à partir de 1994, qu’une aide-soignante du service [35] est officiellement associée à l’évaluation des mises en situation professionnelle des élèves dans le cadre du contrôle continu introduit alors ou dans l’épreuve pratique finale [36]. La réforme des études de 2005 va plus loin. En effet, au-delà du changement d’appellation du diplôme, elle propose un référentiel de formation, décliné en huit modules, la « formation des pairs » apparaissant dans le module « organisation du travail » : contribuer à la formation des élèves devient une compétence commune et nécessaire des AS. Les stages des élèves doivent être encadrés par du « personnel diplômé » et font l’objet d’un « tutorat », le tuteur pouvant être infirmier ou AS. Une aide-soignante en exercice peut également faire partie du jury du DE. Le rôle des pairs dans la formation des AS est ainsi officiellement reconnu, prenant alors en compte une réalité, qui se poursuit au-delà de la période de stage, par exemple lorsqu’une nouvelle aide-soignante est recrutée dans une équipe, avec pour enjeu la bonne intégration par la reconnaissance des « compétences » jugées nécessaires par ses collègues (Aubry, 2010).
Une autre valorisation de l’expérience : passerelles et VAE
40 Pour autant que le nombre d’inscrits en formation tende à augmenter depuis qu’il est suivi [37], on observe une stabilité de certaines caractéristiques sociales des élèves. La proportion de femmes y est stable (autour de 90 %) et proche du taux de féminisation de la catégorie, « l’empreinte du genre » marquant toujours la formation et l’orientation vers ce métier « féminin » (Vouillot, 2007). Il continue en outre de recruter massivement dans les classes populaires – classe ouvrière et employée –, même si toutes les catégories d’origine sont bien sûr représentées. La formation est suivie en continuité avec des études pour un peu plus de 20 % des élèves en 2014, en continuité avec une expérience professionnelle pour près de 50 % (dont les trois quarts dans le secteur sanitaire ou social), les autres relevant de l’inactivité, du chômage ou d’un dispositif de formation pour chômeurs l’année précédant leur inscription. Les entretiens laissent voir que les frontières entre ces parcours sont plus floues qu’il n’y paraît : certaines titulaires du BEP, par nécessité économique, préfèrent différer la formation d’AS qu’elles visent et exercer un temps comme ASH pour bénéficier d’un salaire immédiat et de conditions futures d’études plus favorables, grâce au financement éventuel de leur formation par l’établissement. Les élèves les plus âgées disposent d’une expérience professionnelle antérieure, qui peut être sans rapport avec la santé ou bien avoir une certaine proximité. Dans ce cas, au lieu d’être dispensées de quelques stages, comme autrefois, elles peuvent faire reconnaître leur expérience dans le cadre de la validation des acquis de l’expérience (VAE). Cette procédure permet d’obtenir son DEAS soit avec une dispense totale de la formation, soit avec une validation partielle, accordant quelques-unes des compétences inscrites dans le référentiel [38]. En 2014, par exemple, environ 2 300 validations partielles ont été délivrées et un peu plus de 1 000 validations totales (Casteran-Sacreste, 2016, p. 91). Cependant, la lourdeur de la démarche semble décourager certaines de ces ASH, qui préfèrent suivre la totalité de la formation (Baudry, 2013). D’ailleurs, on note qu’en 2014, plus de 800 candidates se sont présentées sans obtenir aucune validation. Parmi les élèves, près d’un sixième bénéficient d’un allègement de la scolarité, du fait d’une VAE partielle ou du fait des passerelles prévues avec d’autres formations de santé [39], tenant compte des compétences communes à différents diplômes du secteur sanitaire et social, permettant la mobilité entre des métiers voisins (Mengin et al., 2011). Une méfiance à l’égard de ce dispositif – alors récent – était perceptible dans le discours des représentants syndicaux rencontrés au cours de l’enquête sur les bas-salaires en Europe, alors que la VAE venait de se mettre en place : elle apparaissait comme une voie possible pour des agents faisant fonction d’AS, mais craignant le retour à l’école, en même temps qu’un possible prétexte des directions d’établissement pour retarder des entrées en formation.
L’attrait d’un diplôme de niveau V pour des bachelières
41 Considérant les caractéristiques scolaires des entrantes, on perçoit des évolutions dans les générations les plus récentes. Si le DEAS est resté de niveau V, les prétendantes sont de plus en plus nombreuses à s’y présenter après avoir atteint des niveaux plus élevés : depuis 2000, où seulement 20,5 % de titulaires d’un diplôme supérieur ou égal au baccalauréat étaient présentes parmi les élèves entrant en formation, leur proportion a plus que doublé. En 2014, la part de ces élèves a passé la barre symbolique de 50 %. Cette évolution se fait au détriment des moins diplômées, parmi lesquelles sont comptées les 15 % des élèves du niveau – ou titulaires du – BEPSS ou BEPA services aux personnes. L’absence totale de diplôme est devenue marginale. Les bachelières sont massivement issues des filières technologiques et professionnelles, 19 % provenant du baccalauréat technologique médico-social. Leur forte présence s’accentue encore avec la réforme récente de la voie professionnelle dans les lycées : la mise en place d’un baccalauréat professionnel accompagnement, soins et services à la personne (ASSP), avec ses deux options « à domicile » et « en structure », peut conduire encore davantage de bachelières à passer le DEAS. Une disposition récente [40] introduit des conditions de sélection (dossier et entretien) spécifiques aux bachelières ASSP et un quota minimum de 15 % des effectifs. Celles-ci sont en outre dispensées de suivre 5 des 8 modules de formation, évitant ainsi le sentiment de « redite » que pouvaient avoir parfois les BEPSS pour des titulaires d’un diplôme de niveau a priori supérieur.
42 La formation d’aide-soignante a offert des possibilités de promotion et d’accès à une formation qualifiante à des personnes peu diplômées, puis a permis à d’autres de compléter une formation de niveau équivalent par un titre professionnel. La démocratisation scolaire en fait une voie d’apparent déclassement scolaire pour des bachelières (et parfois pour des diplômées de l’université, qui représentent 9 % des élèves) intégrant une formation de niveau V. Elle donne cependant accès à un emploi-refuge en période de crise, avec des conditions de travail difficiles compensées par des conditions d’emploi appréciées (Méhaut et al., 2009), et plutôt meilleures que celles des métiers voisins, notamment dans l’aide à domicile (Avril, 2014), pour lesquels la mise en place d’un DE n’a pas eu d’effet sur les conditions de travail et d’emploi (Trabut, 2014).
43 Certaines peuvent cependant ne considérer ce métier que comme une étape dans une carrière plus ambitieuse : devenir infirmière apparaît comme moins inaccessible lorsque l’aide-soignante a le titre scolaire exigé pour le concours externe alors que l’investissement anticipé de la formation d’infirmière pour les AS les moins scolarisées les fait se contenter de leur position, dans laquelle elles trouvent quelque valeur et satisfaction (Arborio, 2012). Dans tous les cas, même lorsqu’elles ont accédé à ces études, les anciennes AS n’ont obtenu que très progressivement une petite reconnaissance de leur expérience professionnelle. D’abord, plutôt sous forme d’épreuves d’admission distinctes [41], mais sans dispense, en cas de réussite, du suivi de tel stage ou de tel enseignement. Plus récemment, la mise en place de la VAE n’a pas touché la profession d’infirmière, mais a inspiré une reconnaissance de l’expérience des AS qui, sous condition d’avoir exercé pendant trois ans, bénéficient d’une procédure d’admission spécifique [42] et, en cas de réussite à l’entrée en formation (leur place étant limitée à 20 % des effectifs), d’une équivalence de la compétence « Accompagner une personne dans la réalisation de ses soins quotidiens » et du premier stage de cinq semaines, le temps ainsi dégagé étant consacré à favoriser l’adaptation de ces étudiantes à la poursuite de leurs parcours [43]. Inversement, l’élève infirmière ayant validé sa première année mais ne poursuivant pas ses études peut demander l’équivalence du DEAS. Le nécessaire réapprentissage de compétences déjà acquises ne découragera sans doute pas les AS prétendantes aux études d’infirmière. Pour les générations précédentes, qui ne bénéficiaient d’ailleurs d’aucune équivalence, le récit d’éventuelles difficultés dans cette promotion était plutôt associé au sentiment d’un jugement négatif sur le métier d’aide-soignante, mêlé à un jugement sur soi, produit d’expériences sociales antérieures parfois associées à l’échec – scolaire, familial… – (Arborio, 2012, p. 204-205). La détention du baccalauréat pourrait-elle renverser cette perception ?
Conclusion
44 De simple rite d’institution, avec pour enjeu la promotion et la fixation du personnel, la formation d’aide-soignante est devenue de plus en plus consistante, avec pour enjeu l’exercice d’un métier de mieux en mieux identifié et avec pour effet de donner le sentiment d’être plus qualifiée à celle qui le détient, qu’il s’agisse de compléter une expérience pratique ou bien une formation initiale scolaire. Ces évolutions ne sont pas allées jusqu’à la réévaluation du niveau de la formation, ni à la reconnaissance d’une autonomie que les AS réclament parfois dans l’exercice d’un rôle qui leur serait propre : elles se maintiennent à distance des infirmières et continuent à exercer sous leur autorité et leur contrôle. On peut se demander si ce ne sont pas les effets de la démocratisation scolaire qui pourraient bouleverser le plus la formation d’aide-soignante, avec l’arrivée massive d’élèves de niveau baccalauréat. De nouveaux clivages sont-ils susceptibles de se créer, que ce soit en cours de formation ou bien dans l’exercice quotidien du métier où se retrouvent des AS de générations et d’horizons divers ? Avec quels effets éventuels pour l’encadrement de la formation ou du travail hospitalier, du point de vue des formateurs ou des cadres de santé ? De nouvelles aspirations peuvent-elles naître, qu’elles soient individuelles, visant des progressions de carrière plus nombreuses ou plus rapides, ou bien collectives, visant une meilleure reconnaissance du diplôme ou du métier, avec davantage d’autonomie ? Une autre piste consisterait à cerner inversement le rôle joué par le DEAS pour les jeunes filles de classes populaires portées par la démocratisation scolaire vers le baccalauréat, notamment technique ou professionnel : leur orientation vers un diplôme moins élevé, mais assurant une insertion sur le marché du travail tranche avec la tendance à la précarisation des bacheliers de mêmes générations et de mêmes origines, qui tentent l’université, mais la quittent sans diplôme (Beaud, 2001). Elle supposerait une étude centrée sur les filles diplômées des filières techniques et professionnelles à orientation médico-sociale, pour comprendre comment le métier d’aide-soignante se situe par rapport à l’horizon de leurs possibles.
Notes
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[1]
Les AS constituent un groupe féminisé à 92 %, sans qu’apparaisse aucune évolution vers une masculinisation du métier. D’où le choix, ici, d’utiliser le féminin en dépit de la mixité du groupe et des enquêtés, sauf lors de citations de textes réglementaires où le masculin est employé. Il en sera de même pour les infirmières.
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[2]
Niveau V, équivalent, dans la nomenclature de l’Éducation nationale, au niveau du brevet d’études professionnelles (BEP) ou du certificat d’aptitude professionnelle (CAP).
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[3]
Suivant les textes réglementaires, par exemple, en annexe de l’arrêté du 25 janvier 2005.
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[4]
227 646 équivalents temps plein (ETP) en 2012 (DREES, 2014).
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[5]
En équivalents temps plein dans l’enquête Établissements d’hébergements pour personnes âgées (EHPA) 2011.
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[6]
Les séries statistiques de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS) sur les formations aux professions de santé ont été également reprises pour repérer les effets réels de ces règles sur les caractéristiques du public en formation ces vingt dernières années, ces séries ne prenant en compte la formation d’AS qu’à partir de 1992.
-
[7]
Arrêté du 2 février 1949.
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[8]
Arrêté préfectoral du 14 avril 1949.
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[9]
Arrêté du 2 février 1949.
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[10]
Procès-verbal du conseil d’administration de l’Assistance publique (AP), 23 octobre 1962, 1962-1963, p. 822-826, Archives de l’AP.
-
[11]
Arrêté du 23 janvier 1956.
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[12]
L’application de l’arrêté de 1956 est sans doute diverse suivant les établissements. À l’AP, un arrêté directorial en détermine les modalités pour ses établissements (Recueil des arrêtés, instructions et circulaires réglementaires de l’AP (RAC), 1957, p. 251-254, Archives de l’AP) : les servantes en poste au 1er janvier 1956 doivent désormais passer un examen devant un médecin et une surveillante pour devenir AS.
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[13]
Arrêté du 23 janvier 1956, art. 2.
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[14]
À l’AP, sans doute à l’avant-garde de ce mouvement, les AS deviennent le groupe le plus nombreux dans les effectifs dès le début des années 1960.
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[15]
RAC, 1957, p. 220-221, Archives de l’AP.
-
[16]
Pour leurs biographies plus détaillées, voir Arborio (2012), p. 55-63.
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[17]
Ses feuilles de notation mentionnent, dès 1962, qu’elle « fait le travail d’une infirmière », qu’elle « est une très bonne infirmière » et, plus tard, qu’elle « aurait dû passer le concours d’infirmière ».
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[18]
Le décret du 17 décembre 1970 ouvre, à défaut, le recrutement aux élèves ayant réussi l’examen de passage en deuxième année d’études d’infirmière et au recrutement de titulaires du CAFAS acquis hors de l’établissement.
-
[19]
Sauf en 1971, où elles passent de dix à douze mois, pour inclure un temps de vacances d’un mois et demi.
-
[20]
Programme relatif au CAFAS, Journal Officiel du 2 mars 1982.
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[21]
Les études passent de deux ans à vingt-huit mois en 1972, puis à trente-trois mois en 1979, à trois ans et trois mois en 1992 (arrêtés du 5 septembre 1972, du 12 avril 1979, du 23 mars 1992).
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[22]
En organisant les études d’infirmières en six semestres universitaires, correspondant à 4 760 heures de formation. Arrêté du 31 juillet 2009.
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[23]
Décret du 17 décembre 1970, art. 11.
-
[24]
L’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH) se tient prête, dès 1974, à gérer les fonds versés à la formation professionnelle par les établissements publics.
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[25]
Arrêté du 25 mai 1971.
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[26]
Arrêté du 24 février 1969.
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[27]
Avec par exemple, d’un côté, la prise en considération de l’expérience des ASH faisant fonction d’AS dans des structures non hospitalières (arrêté du 15 juin 1981) et, de l’autre, l’ouverture aux titulaires du BEP agricole (BEPA) « Économie familiale rurale » (arrêté du 18 juin 1980).
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[28]
Arrêté du 25 mai 1971, article 18.
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[29]
Arrêté du 7 octobre 1975.
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[30]
Arrêté du 15 juin 1981.
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[31]
Arrêté du 26 décembre 1989.
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[32]
Arrêté du 22 juillet 1994.
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[33]
Une observation de ces épreuves et de la confrontation de ces publics présenterait un grand intérêt, comme l’a fait M. Cartier (2001) pour les épreuves orales du concours de facteur où se présentent des agents expérimentés en même temps que des étudiants surdiplômés par rapport à l’emploi visé.
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[34]
L’arrêté du 13 juin 1983 impose le baccalauréat pour accéder aux études d’infirmière, même si la réussite préalable à un « examen de niveau » permet de s’y présenter également. Jusqu’ici, les titulaires du baccalauréat étaient dispensés d’un premier groupe d’épreuves.
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[35]
Notons que l’AS est le seul examinateur pour lequel est proposée une condition d’ancienneté, réduite de trois ans à deux ans en 2005.
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[36]
Les notes de contrôle continu sont prises en compte pour le diplôme qui comporte cependant toujours une épreuve écrite et une épreuve pratique.
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[37]
Les séries statistiques de la direction de la recherche, des études, de l’évaluations et des statistiques (DREES) sur la formation aux professions de santé ne prennent en compte la formation d’AS qu’à compter de 1992. Les informations quantifiées qui suivent sont tirées de ces études (Casteran-Sacreste, 2016).
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[38]
Arrêté du 25 janvier 2005.
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[39]
Par exemple, les auxiliaires de puériculture sont dispensées de 6 des 8 modules de compétences associés au DEAS, et les aides à domicile de 4 modules.
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[40]
Arrêté du 21 mai 2014 modifiant l’arrêté du 22 octobre 2005 relatif à la formation conduisant au DEAS.
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[41]
L’arrêté du 21 juillet 1975 réserve un examen d’admission dans les écoles préparant au DE d’infirmière aux AS ayant exercé six ans auprès des malades.
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[42]
Ils passent une épreuve de pré-sélection sur la base de leur dossier et d’une épreuve écrite de français, puis une épreuve de sélection devant le même jury que les autres candidats, mais de nature différente (analyse écrite de trois situations professionnelles).
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[43]
Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au DE d’infirmière.