Introduction
1 Au xvii e siècle, le verbe to empower désignait l’action de déléguer un pouvoir. Apparu un siècle plus tard, le mot empowerment définit une action : celle de donner du pouvoir. Repris aux États-Unis dans les années 1960-1970 par le mouvement pour les droits civiques, les luttes féministes ou encore les manifestations étudiantes, le terme fait référence aux « individus en tant que sujets actifs de leur propre histoire [1] » et se comprend comme une démarche d’auto-prise en charge initiée par des individus ou des groupes. Sa traduction en français n’est pas facile, si bien que la version anglo-saxonne du mot est très généralement utilisée, même si divers équivalents ont été proposés tels que « responsabilisation », « autonomisation », « émancipation », « capacitation » ou « empouvoir ». Comme le fait remarquer Claude Deutsch en 2015 [2], la notion d’empowerment peut être appréhendée au travers de démarches assez différentes : par l’examen des valeurs politico-sociales [3], l’analyse du processus [4] ou la différence entre l’empowerment individuel et l’empowerment collectif [5]. C’est cette dernière distinction qui sera utilisée dans le présent article.
2 Dans le champ de la santé, il s’agit de donner aux patients les moyens de s’impliquer dans les décisions concernant leur santé [6], les démarches d’éducation thérapeutique du patient par exemple, visant à améliorer la participation des patients à leurs soins [7]. S’il peut exister des différences selon l’âge, le niveau d’études ou encore l’état émotionnel [8], de nombreuses études montrent qu’une très large majorité de patients souhaitent être impliqués dans le processus décisionnel concernant leur santé (voir maladies chroniques [9], oncologie [10], soins palliatifs [11]), et ce, de façon croissante avec le temps [12]. Selon l’Agence publique de santé du Canada, l’empowerment permet ainsi aux individus et aux groupes sociaux d’exprimer leurs besoins et leurs préoccupations, d’élaborer des stratégies de participation à la prise de décisions et d’intervenir sur les plans politique, social et culturel pour combler leurs besoins [13].
3 La revue de littérature montre que l’implication du patient à la mise en œuvre d’un traitement dépend fortement de son adhésion aux décisions prises dans le champ somatique et également dans celui de la santé mentale [14]. Si l’éducation thérapeutique du patient (qui constitue une des facettes de l’empowerment) demeure hospitalo-centrée et fondamentalement tournée vers les maladies chroniques somatiques – diabète, broncho-pneumopathie chronique obstructive … –, la santé mentale s’est en effet largement ouverte sur ce champ malgré certaines interrogations sur la pertinence de la démarche [15] ou le manque de structuration des programmes d’éducation [16]. Différents spécialistes soulignent depuis plusieurs années l’importance de l’éducation thérapeutique du patient souffrant de troubles mentaux. Un article de 2006 dans le champ de la schizophrénie montrait ainsi qu’un malade sur deux en moyenne ne prend pas son traitement médicamenteux correctement et que les deux tiers des ré-hospitalisations sont dues à ces arrêts de traitement, les raisons de cette non-observance pouvant s’expliquer par des troubles cognitifs et aussi par des croyances erronées sur la maladie et le traitement [17]. Une analyse plus récente confirme ces résultats en évaluant l’impact d’un dispositif d’éducation thérapeutique sur la diminution du taux de rechute avec hospitalisation à 14 mois, chez des patients psychotiques [18].
4 Si certaines expériences d’empowerment datent de plusieurs décennies pour certaines, les politiques de santé mentale étant précisément porteuses d’un projet émancipateur pour les malades souffrant de troubles psychiatriques, force est de constater que l’empowerment n’est que récemment devenu un objet du droit sanitaire. Au travers du présent article tourné vers les récentes expériences de terrain d’empowerment en psychiatrie, il s’agit en toute modestie de souligner la nécessité de faire encore évoluer le droit codifié français.
5 Si le droit sanitaire français a récemment évolué en faveur de l’empowerment individuel, il est en effet largement limité aux questions d’hospitalisation sous contrainte, de tutelle et de libertés individuelles et il demeure balbutiant au regard des expériences de terrain d’empowerment collectif.
Un arsenal juridique récent mais limité face au processus d’empowerment individuel
6 Malgré l’évolution des pratiques, la France a pris du retard sur l’adaptation de son arsenal juridique. En vingt ans, la législation française a cependant fondamentalement été bouleversée afin d’accorder plus de droits aux patients hospitalisés en psychiatrie et ce sous une double pression : celle du droit international et celle du juge.
Une évolution juridique récente sous la pression du droit international
7 Depuis de nombreuses années, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) promeut l’empowerment dans le champ sanitaire :
- l’article IV de la Déclaration d’Alma-Ata du 12 septembre 1978 sur les soins de santé primaires dispose que « tout être humain a le droit et le devoir de participer individuellement et collectivement à la planification et à la mise en œuvre des soins de santé qui lui sont destinés [19] » ;
- la Charte d’Ottawa du 21 novembre 1986 indique que « la promotion de la santé a pour but de donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l’améliorer. Pour parvenir à un état de complet bien-être physique, mental et social, l’individu, ou le groupe, doit pouvoir identifier et réaliser ses ambitions, satisfaire ses besoins et évoluer avec son milieu ou s’y adapter », tout en décrivant cinq stratégies de promotion de la santé (élaborer des politiques publiques favorisant la santé, créer des environnements favorables, renforcer l’action communautaire, acquérir des aptitudes individuelles et réorienter les services de santé) [20] ;
- la déclaration du 9 novembre 2010 sur l’empowerment des usagers en santé mentale propose des actions selon cinq idées-clés : la protection des droits de l’homme et la lutte contre la discrimination et la stigmatisation ; l’assurance de la délivrance de soins de qualité et la surveillance des pratiques des services ; l’accessibilité à l’information et aux ressources financières ; la participation aux processus de décision ; la présence d’une organisation locale qui offre la possibilité d’avoir une voix dans les institutions et de gouverner les structures [21].
8 Le législateur français a mis énormément de temps pour réagir face à cette tendance. Première étape, bien que non spécifique à la santé mentale, la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a produit des effets en psychiatrie, en consacrant deux principes fondamentaux : le consentement libre et éclairé du patient aux actes et aux traitements qui lui sont proposés et son corollaire, le droit du patient d’être informé sur son état de santé (articles L. 1110-2 et suivants du Code de la santé publique). Révolution juridique de 2002, la loi dispose que toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé et qu’elle peut accéder à ces informations directement ou par l’intermédiaire d’un médecin qu’elle désigne et en obtenir communication. À titre exceptionnel, la consultation des informations recueillies, dans le cadre d’une admission en soins psychiatriques, peut être subordonnée à la présence d’un médecin désigné par le demandeur en cas de risques d’une gravité particulière. En cas de refus du demandeur, la commission départementale des soins psychiatriques est saisie et donne un avis qui s’impose au détenteur des informations comme au demandeur (article L. 1111-7 du Code de la santé publique).
9 Parallèlement, suite à la ratification du protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines et traitement cruels, inhumains et dégradants, adopté par l’assemblée générale des Nations unies le 18 décembre 2002, le législateur français a, par la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 (modifiée par la loi n° 2014-528 du 26 mai 2014), institué un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, à qui elle a conféré le statut d’autorité administrative indépendante. Le Contrôleur général peut visiter à tout moment, sur l’ensemble du territoire français, tout lieu où des personnes sont privées de liberté et notamment les établissements ou unités de santé recevant des personnes hospitalisées sans leur consentement – hospitalisation d’office ou à la demande d’un tiers. La loi de 2007 donne la possibilité aux personnes privées de liberté de saisir directement le Contrôleur général. Ce dernier peut procéder à des investigations auprès des établissements concernés lorsque les faits portés à sa connaissance paraissent attentatoires aux droits fondamentaux d’une personne privée de liberté. À cette occasion, il peut se faire remettre tout document qu’il juge utile et se déplacer au sein de l’établissement concerné.
10 Cette même année, la loi du 5 mars 2007 est venue réformer un dispositif datant de 1968 sur la protection juridique des majeurs. Les personnes sont désormais obligatoirement entendues lors de la procédure de mise sous tutelle, les mesures prises doivent être révisées tous les cinq ans, tandis que les décisions en matière de santé et de logement sont prises par la personne concernée (dans la mesure de ses possibilités), le tuteur n’ayant sur ces sujets qu’un rôle d’information et d’aide.
11 Plusieurs années plus tard, le Code de la santé publique n’a cependant toujours pas intégré ces dispositions, comme le souligne l’avis n° 126 du 16 avril 2015 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Ainsi, seul l’article 211 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé permet au gouvernement de prendre, par ordonnances, des mesures relevant du domaine de la loi pour mieux articuler les dispositions du Code civil et du Code de la santé publique relatives aux conditions dans lesquelles peut s’exprimer la volonté des personnes faisant l’objet d’une mesure de protection juridique pour toute décision relative à un acte médical.
12 En outre, il a fallu attendre la fin des années 2000 pour que la France ratifie la Convention relative aux droits des personnes handicapées, adoptée par l’assemblée générale des Nations unies le 13 décembre 2006, dans le but de « promouvoir, protéger et assurer » la dignité, l’égalité devant la loi, les droits humains et les libertés fondamentales des personnes en situation de handicap. Dans le champ sanitaire, il a également fallu patienter jusqu’à la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » du 21 juillet 2009, pour qu’apparaisse dans la législation la notion, non spécifique à la psychiatrie, d’éducation thérapeutique.
Une évolution juridique récente sous la pression du juge
13 La seconde évolution du dispositif législatif et réglementaire est encore plus récente. Il avait déjà fallu attendre la loi du 27 juin 1990 (modifiant la célèbre loi des aliénés du 30 juin 1838) pour que le placement sous contrainte soit reconnu comme l’exception des modes d’hospitalisation en psychiatrie, sous le contrôle des commissions départementales des hospitalisations en psychiatrie. Le 26 novembre 2010, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie, le Conseil constitutionnel a jugé contraires à la Constitution plusieurs dispositions du Code de la santé publique relatives aux hospitalisations sans consentement. Le législateur a réagi avec la loi du 5 juillet 2011 (modifiée par celle du 27 septembre 2013), le juge des libertés et de la détention intervenant désormais systématiquement lors des procédures d’hospitalisation sans consentement. Ce nouveau dispositif législatif fait indéniablement évoluer les droits des patients qui deviennent acteurs et partenaires de leur prise en charge : obligation d’information à chaque étape de la prise en charge, audience devant le juge ou encore incitations aux soins.
14 Aux termes des articles L. 3211-2-1 et L. 3211-3 du Code de la santé publique, avant chaque décision prononçant le maintien de soins ou définissant la forme de la prise en charge, la personne faisant l’objet de soins psychiatriques est, dans la mesure où son état le permet, informée de ce projet de décision et mise à même de faire valoir ses observations, par tout moyen et de manière appropriée à cet état. En outre, pour l’établissement et la modification du programme de soins, le psychiatre de l’établissement d’accueil recueille l’avis du patient lors d’un entretien au cours duquel il donne l’information au patient.
15 Si ces obligations juridiques relatives au recueil de ses observations sur les mesures et soins ambulatoires peuvent paraître somme toute évidentes, elles ne sont que juridiquement récentes. En outre, si elles responsabilisent indéniablement le patient en modifiant le rapport soignant/soigné, elles marquent une vision particulière de la démocratie sanitaire, toujours liée à l’institution, notamment l’hôpital. Sans nul doute, la pression des associations de familles et de malades souffrant de troubles psychiques viendra poursuivre la mutation de la législation en faveur de la promotion du droit des personnes en situation de troubles psychiatriques graves, notamment en dehors des murs de l’hôpital.
Un arsenal juridique quasi inexistant face au processus d’empowerment collectif
16 Les 30 et 31 janvier 2014, les 4es Rencontres internationales du Centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé pour la recherche et la formation en santé mentale de Lille – CCOMS [22] ont permis de recueillir différents points de vue (élus, usagers, aidants, professionnels) sur la base d’un questionnaire auquel ont répondu 350 personnes issues de 27 pays européens, africains et américains. Une centaine de bonnes pratiques favorables à l’empowerment en santé mentale ont ainsi été identifiées dans la région Europe de l’OMS.
17 En France, on peut regrouper les initiatives sous trois axes :
- out d’abord, l’association des usagers ou de leurs représentants au pilotage national ou local des institutions de santé ;
- ensuite, les structures visant à permettre une coordination des actions menées au niveau local entre les différents acteurs dans les domaines sanitaire, social, éducatif, judiciaire, culturel, sportif, du logement et de l’insertion professionnelle ;
- enfin, les initiatives visant à déstigmatiser la maladie mentale et à permettre une vision globale des problématiques des personnes souffrant de maladie mentale.
18 Force est néanmoins de constater que l’arsenal juridique français est quasiment inexistant en la matière.
L’association des usagers
19 L’empowerment collectif peut prendre la forme d’un partenariat avec les associations d’usagers ou de familles, ce qui au demeurant n’est pas spécifique au domaine de la santé mentale. La loi a ainsi prévu que des représentants des usagers siègent dans les organes délibérants ou consultatifs soit au niveau national : Conférence nationale de santé ; régional : conférences régionales de la santé et de l’autonomie ; ou local : conseil de surveillance des établissements publics de santé. Le législateur a aussi prévu que, dans chaque établissement de santé, une commission des usagers ait pour mission de veiller au respect des droits des usagers et de contribuer à l’amélioration de la qualité de l’accueil des personnes malades et de leurs proches, et de la prise en charge. Cette commission – dont l’objet est de faciliter les démarches de ces personnes et de veiller à ce qu’elles puissent, le cas échéant, exprimer leurs griefs auprès des responsables de l’établissement, entendre les explications de ceux-ci et être informées des suites de leurs demandes – participe à l’élaboration de la politique menée dans l’établissement en ce qui concerne l’accueil, la prise en charge, l’information et les droits des usagers. Elle fait également des propositions en ce domaine et est informée de l’ensemble des plaintes ou réclamations formées par les usagers de l’établissement ainsi que des suites données (article L. 1112-3 du Code de la santé publique).
20 Certains établissements ont par ailleurs mis en place une maison des usagers, lieu d’accueil, d’échanges, d’écoute, d’expression et d’information pour les usagers et les associations [23]. Il n’existe cependant aucun encadrement juridique, si ce n’est une circulaire du ministère de la Santé du 28 décembre 2006, qui suggère aux établissements de santé de mettre en place un dispositif de ce type.
La coordination des acteurs locaux
21 Deuxième forme d’empowerment collectif, les conseils locaux de santé mentale (CLSM) visent à décloisonner les pratiques et les acteurs. Lieux de convergence et de débats pour la mise en œuvre de politiques locales de santé mentale et l’application des politiques nationales, ils s’adressent à la population des zones concernées, représentées par les élus, les habitants des quartiers, les associations d’usagers en santé somatique et psychique, les aidants, ainsi que tous les professionnels concernés. Les CLSM sont aussi un outil d’évaluation des besoins des populations ainsi que des professionnels censés y répondre. Avec l’appui du CCOMS, une dynamique de création de conseils locaux s’est engagée au niveau national, en lien d’une part avec les agences régionales de santé au travers de leur plan stratégique régional de santé (PSRS) et d’appels à projets, et d’autre part avec les collectivités locales, en particulier les communes sensibles à la nécessité d’une politique de prévention, d’accès aux soins et d’inclusion sociale [24].
22 Les conseils locaux de santé mentale ne sont cependant encadrés par aucun dispositif législatif et réglementaire, même si différents rapports, circulaires et plans nationaux suggèrent leur création :
- les circulaires DGS-2030 du 12 décembre 1972 et DGS-891 du 9 mai 1974 incitaient déjà à la mise en place de conseils de santé mentale de secteur ;
- le décret 86-602 du 14 mars 1986 relatif à la lutte contre les maladies mentales et à l’organisation de la sectorisation psychiatrique instituait les conseils départementaux de santé mentale, mais la multiplicité et la diversité des acteurs des conseils départementaux ont constitué un obstacle à leur efficacité, au point qu’une ordonnance de septembre 2003 les a supprimés ;
- la circulaire du 14 mars 1990 relative aux orientations de la politique de santé mentale réitérait l’incitation à créer des instances de coordination de proximité ;
- le rapport Couty (janvier 2009) sur les missions et l’organisation de la santé mentale et de la psychiatrie recommandait la création de conseils locaux de santé mentale tout en articulant leur fonctionnement à des groupements de coordination pour la santé mentale, à mettre en place sous la responsabilité des ARS ;
- les Plans de santé mentale 2005-2008 et 2011-2015 suggéraient la création de CLSM et la Cour des comptes ainsi que le Haut Conseil de santé publique recommandaient le développement de ces outils ;
- les CLSM sont référencés depuis 2010 par l’Union européenne comme des outils techniques permettant de formaliser, au niveau local, les recommandations formulées par l’OMS visant au décloisonnement des partenariats multisectoriels locaux et à la coordination locale des services et des stratégies de prévention et de lutte contre la stigmatisation en santé mentale.
Les initiatives nationales et locales de déstigmatisation
23 Dernière modalité d’empowerment collectif, différentes initiatives visent à mettre fin à la stigmatisation de la maladie mentale et à prendre l’individu dans sa globalité avec l’ensemble des problématiques auxquelles il est confronté. À l’origine, il s’agit pour l’essentiel de projets développés par les associations d’usagers et de familles ou de professionnels de santé. C’est à partir des années 1960 que les familles se sont en effet organisées entre elles avec la création l’Union nationale de familles et amis de personnes malades ou handicapées psychiques (UNAFAM), suivie par les associations de patients, qui se sont fédérées au début des années 1990 au sein de la Fédération nationale des patients en psychiatrie (FNAPSY). De la même façon, le PsyCom, qui regroupe cinq établissements de santé mentale, est un organisme public d’information, de formation et de lutte contre la stigmatisation en santé mentale. Des campagnes de sensibilisation nationale ont ainsi été lancées, telles que les semaines d’information sur la santé mentale (SISM) créées en 1990 par l’Association française de psychiatrie, coordonnées par un collectif de dix-neuf partenaires et mettant en avant des thématiques différentes chaque année : « Culture, société et santé mentale » (2012), « Ville et santé mentale » (2013), « Information et santé mentale » (2014), « Être adolescent aujourd’hui » (2015), « Santé mentale et santé physique : un lien vital » (2016) …
24 Le Pacte européen pour la santé mentale et le bien-être de 2008 précise que « les personnes ayant rencontré des problèmes de santé mentale possèdent une expérience précieuse et doivent pouvoir jouer un rôle actif dans l’élaboration et la mise en œuvre des actions [25] ». Dans cet esprit, l’Union européenne a soutenu différents projets :
- la recherche Anti Stigma Programme European Network – ASPEN, qui fait suite à l’étude International Study of Discrimination and Stigma Outcomes – INDIGO, est une recherche-action coordonnée par le CCOMS (Londres), visant à contribuer à la lutte contre la stigmatisation et la discrimination en santé mentale au niveau européen. Cette recherche, coordonnée par l’institut de psychiatrie du King’s College de Londres et financée par la Commission européenne, était un projet de trois ans (2009-2011) rassemblant vingt sites dans dix-huit pays de l’Union européenne [26] ;
- le programme européen Empowerment of Mental Health Service Users Through Life-Long Learning, Integration and Action – EMILIA, qui faisait partie du 6e programme-cadre de la Commission européenne (2005-2010) a, pendant près de deux ans, permis à une équipe de chercheurs et de professionnels de la santé, du social et de l’emploi d’accompagner trente personnes souffrant de troubles psychiques, pour les aider à accéder à un emploi ou à une activité [27].
25 On peut noter aussi quelques expériences de terrain originales, qui concernent :
- la notion de tutorat : le programme national expérimental Médiateur de santé-pair, qui fait suite à quatre années de recherche-action menée par le CCOMS, a été développé en partenariat avec la FNAPSY, l’université Paris-8 et le ministère de la Santé. Ce programme expérimental a consisté en l’intégration pendant vingt-quatre mois de trente médiateurs de santé-pairs en formation en cours d’emploi, dans quinze services de psychiatrie et d’insertion sociale de ces trois régions. Les évaluations de ces programmes ont mis en avant la pertinence de ces approches et l’impact positif de la présence des pairs-aidants sur le rétablissement [28] ;
- le logement : le programme « Un chez-soi d’abord » a été lancé à l’initiative des ministres en charge du logement et de la santé sur quatre sites (Lille, Marseille, Toulouse et Paris). Financé par l’État et piloté par le délégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans-abri ou mal logées, il s’adresse aux sans-abri souffrant de troubles psychiques sévères (schizophrénie, troubles bipolaires) et d’addictions [29] ;
- et même le recrutement des professionnels : dans certains cas, l’hôpital psychiatrique de Rouffach associe les malades à l’embauche de nouveaux soignants [30].
26 Cependant, là encore, aucun dispositif législatif ou réglementaire ne vient conforter les initiatives de terrain, le régime juridique français étant trop souvent cloisonné entre les différents secteurs d’activité (sanitaire/médico-social, somatique/psychiatrique, politique de la ville/handicap …). La seule exception notable est la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui a proposé une définition du handicap psychique et créé les groupes d’entraide mutuelle (GEM) [31]. Les 300 GEM implantés sur tout le territoire français sont des associations de personnes souffrant de troubles psychiques (ou usagers de la psychiatrie), qui se réunissent et s’entraident, pour lutter contre l’isolement et organiser des activités visant tant au développement personnel qu’à la création de liens avec la communauté environnante. Accompagnés dans la mise en place de leur activité par l’emploi de personnels d’animation, ces groupes sont destinés aux personnes souffrant de troubles psychiques, qu’elles se considèrent ou non comme étant handicapées et qu’elles aient ou non choisi de faire reconnaître leur handicap.
27 Gageons que la création de l’Institut pour la démocratie en santé, en mai 2015, à l’initiative de la Fédération hospitalière de France, du Collectif interassociatif sur la santé et de l’École des hautes études en santé publique, permettra de mieux mobiliser les publics les plus éloignés et les plus vulnérables pour les mettre au cœur des politiques qui les concernent et notamment dans le domaine de la santé mentale.
Conclusion
28 Sous l’influence des normes internationales et du juge, le législateur français a en définitive fait évoluer la loi en faveur de l’empowerment des personnes souffrant de troubles mentaux en modifiant le rapport soignant/soigné : intervention systématique du juge des libertés pour les personnes hospitalisées sous contrainte (qui peuvent également saisir le Contrôleur général des lieux de privation de liberté), obligation d’information et d’association du patient au programme de soins, évolution du régime des tutelles, reconnaissance de la notion d’éducation thérapeutique … Cependant, malgré diverses expériences très intéressantes, certains pans de la prise en charge restent insuffisamment développés : logement, éducation, accompagnement des personnes, articulation avec les soins somatiques … Reconnaître le patient comme un acteur et un partenaire à part entière suppose un véritable changement de paradigme pour le législateur. L’essor de la démocratie sanitaire en santé mentale passe sans aucun doute par une reconnaissance législative ou réglementaire des structures visant à déstigmatiser la maladie et à mieux coordonner les acteurs de terrain : maisons de santé, conseils locaux de santé mentale …, ou à rendre perméables certaines frontières juridiques (voir séparation entre le sanitaire et le médico-social). Il implique également d’aller plus loin, en menant une réflexion plus générale sur le poids sans doute trop important de l’hôpital en la matière, la vision du territoire de santé, ainsi que la place de l’usager et de ses droits spécifiques en tant que citoyen. Comme le souligne Claude Deutsch, « l’empowerment est un geste d’émancipation collective, et ne peut être compris que comme tel [32] ».
Notes
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Rousseau N. (2014), « À l’hôpital psychiatrique de Rouffach, les malades font passer un audit d’embauche aux nouveaux soignants », Paris, Libération, 23 novembre.
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[31]
Barrès M. (2009), « Les groupes d’entraide mutuelle (GEM). Présentation du dispositif », Revue française des affaires sociales, n° 1, p. 205-208.
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[32]
Deutsch C. (2015), « L’empowerment en santé mentale », op. cit, [En ligne] http://www.sasrevue.org/images/pdf/n1d1/Lempowerment_en_sante_mentale.pdf, consulté le 16 avril 2015.