CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1 L’injonction de soins (IS), ordonnée par un juge dans le cadre de mesures pénales, et le programme de soins (PS), demandé par un médecin dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement, constituent deux formules de soins récentes fondées sur un principe de contrainte hors les murs. Bien que ces formules se déploient dans des champs différents (champ juridico-pénal pour l’IS et champ sanitaire pour le PS), elles reposent toutes les deux sur une contrainte consistant en un suivi médical régulier et obligatoire d’un patient évoluant librement dans la société [1]. Nous ambitionnons, dans cet article, de comprendre la nature de cette contrainte et la façon dont elle est exercée.

2 Ces mesures, qui n’inaugurent pas les soins ambulatoires contraints, ont toutefois été mises en place dans un contexte de juridicisation des normes sociales, où la règle juridique participe de plus en plus à encadrer les pratiques et les comportements [2]. Cette évolution s’accompagne d’une multiplication d’un autre type de règles : les recommandations de bonne pratique, énoncées par la Haute Autorité de santé (HAS) ou d’autres instances de régulation et qualifiées de « droit souple » par le Conseil d’État [3]. C’est ainsi que le législateur et ces différentes instances participent à définir avec précision dans quelles conditions doivent se mettre en place et se dérouler ces mesures. Ces dernières se caractérisent par le fait qu’elles font l’objet d’une régulation inédite et sont encadrées par une pluralité de règles écrites aux statuts hétérogènes.

3 Cet épaississement du cadre de régulation s’accompagne d’une prolifération d’écrits en situation, dont différents travaux indiquent qu’ils sont en augmentation au sein des lieux de travail (Rot, Borzeix et Demazière, 2014) et notamment des hôpitaux (Grosjean et Lacoste, 1998 ; Fraenkel, 2001). Les acteurs évoluent ainsi au milieu de murailles de papier pouvant constituer, pour le chercheur, tout à la fois des témoins et des actants de cette contrainte. L’étude des contextes de régulation et de ces écrits en situation (voir encadré méthodologique), qui visent tant à définir cette contrainte qu’à l’organiser, apparaît particulièrement heuristique pour en saisir la nature et comprendre comment elle se met en place. Cet article repose également sur l’idée que ces règles et écrits participent d’une rematérialisation [4] de cette contrainte, dont la description et l’analyse constituent notre objectif central.

4 Après avoir décrit et objectivé cet épaississement du contexte de régulation et cette prolifération de règles, nous montrerons quelles en sont les fonctions et de quelles façons ces règles et écrits participent à la définition et à la mise en place de cette contrainte hors les murs. Nous verrons alors que leur production et leur prolifération se trouvent au service d’évolutions contrastées : bien que ces règles et écrits visent à promouvoir les droits des patients et à exercer une contrainte soucieuse de leurs droits, ils visent également à davantage de contrôle des populations prises en charge. Cette distinction, bien qu’elle recoupe celle entre IS et PS, entre pénal et sanitaire, ne se confond pas avec elle. Tandis que la mise en place de l’IS implique la prise en compte de certains droits (par exemple celui de refuser les soins), le PS, lui, peut induire davantage de contrôle du patient. Il s’agit donc d’évolutions transversales aux dispositifs d’action publique que l’on retrouve toutefois avec plus ou moins d’intensités selon la mesure ou le secteur étudié.

De l’étude du contexte de régulation à l’ethnographie des écritures dans différents services de soins

Cet article s’adosse tout d’abord aux réflexions menées dans le cadre du programme de recherche Contrast, coordonné par Livia Velpry et Benoît Eyraud, et financée par l’Agence nationale de la recherche. Ce programme étudie dans différents lieux de soins la régulation des pratiques de soins imbriquant contrainte et consentement et vise notamment à analyser des « contextes de régulation », i. e. un ensemble de règles visant à encadrer les pratiques des acteurs. Cet article s’appuie ainsi sur une analyse des textes législatifs et des recommandations autour des soins pénalement ordonnés et également du PS et des sorties d’essais. Il s’appuie aussi sur trois recherches empiriques, effectuées dans divers établissements publics de santé mentale et différentes unités de soins (centres médico-psychologiques, unités d’hospitalisation à temps plein, unité ambulatoire spécialisée dans la prise en charge des personnes placées sous main de justice-PPSMJ, unité de soins en prison spécialisée dans la prise en charge d’auteurs d’infractions à caractère sexuel). Ces recherches reposaient notamment sur une ethnographie des écrits locaux. Notre démarche est inspirée de la posture présentée dans l’article introductif de Rot, Borzeix et Demazière (2014), visant à prendre au sérieux les écrits et à les envisager comme des sources fiables, « non fabriquées pour [le sociologue] ou à sa demande » (ibid., p. 7). Les documents et les écrits ont été envisagés comme des témoins, des traces et également comme des actants susceptibles de produire des effets dans la pratique et, dans le cas qui nous concerne, sur la mise en place de cette forme originale de contrainte hors les murs.

Épaississement du cadre de régulation et prolifération des écrits en situation

5 Même si l’IS et le PS peuvent donner l’impression d’inaugurer les soins contraints en ambulatoire, ceux-ci existaient auparavant tant dans le champ psychiatrique (Massé et Zwingenberger, 2006) que dans le champ pénal. En reprenant l’histoire longue des mesures de soins contraints hors les murs, cette partie met l’accent sur l’évolution de leurs contextes de régulation respectifs ainsi que sur la prolifération et la régulation des écrits en situation.

De la sortie d’essai au programme de soins : entre épaississement du cadre juridique et régulation des écrits en situation

6 La première loi qui encadre la psychiatrie est votée en 1838 [5] et instaure deux modes légaux permettant d’hospitaliser des personnes : le placement volontaire et le placement d’office, tous deux sans consentement. Ces placements ont lieu dans un lieu unique, l’asile d’aliénés, et le statut légal est celui de la contrainte. Bien que la seule sortie prévue par cette loi soit la sortie définitive, des sorties d’essai, régulées a minima par les règlements intérieurs des établissements [6], sont pratiquées [7]. On repère en 1957 une première tentative de régulation via la circulaire du 4 juin 1957 [8] définissant les modalités de leur mise en place (durée, réintégration éventuelle à l’hôpital, dispositions financières) et les objectifs thérapeutiques (« en facilitant la réinsertion sociale du sujet, en favorisant sa réadaptation professionnelle, la sortie d’essai permet, dans bien des cas, de hâter la convalescence et la guérison »), et précisant également l’importance du suivi des soins pendant la période de sortie. Parallèlement, le préambule du mouvement de réforme psychiatrique, désigné par le terme de « désinstitutionnalisation », produit des structures de soins autres que les unités d’hospitalisation à temps plein (notamment les « dispensaires d’hygiène mentale » qui deviendront, avec l’arrêté du 14 mars 1986 relatif aux équipements et services de lutte contre les maladies mentales, les « centres médico-psychologiques »). Ces structures permettent d’envisager des modalités de prise en charge nouvelles, notamment pour les patients en sortie d’essai. Les sorties d’essai font donc l’objet d’une régulation nationale via les règlements intérieurs et la circulaire de 1957. Il faut toutefois attendre la loi du 27 juin 1990 [9] pour que leur soit consacrée une partie du Code de la santé publique (CSP), l’article L350 mentionnant les conditions de leur mise en place, les acteurs compétents, le lieu de leur réalisation, la durée de la mesure (trois mois renouvelables) et les documents nécessaires dans le cadre de sa mise en place (« bulletin de sortie d’essai », « proposition écrite et motivée » d’un psychiatre).

7 Les lois de 2011 et de 2013 [10] remplacent la notion d’hospitalisation par celle de soins (« soins sur décision du représentant de l’État », « soins à la demande d’un tiers »), le législateur suggérant par ce changement qu’une forme de contrainte aux soins peut s’exercer en dehors des murs de l’institution (article L3211-2-1-II), sans préciser exactement ni quelle est cette contrainte ni comment elle doit ou peut être exercée. Par ailleurs, cet article stipule qu’aucune forme de contrainte ne peut être exercée vis-à-vis des personnes en programme de soins [11]. Ainsi, suite à une hospitalisation, si le médecin estime que l’état du patient ne demande plus une surveillance constante en milieu hospitalier, que des soins sont encore nécessaires, mais que la contrainte doit être appliquée afin de garantir l’observance du patient, il maintient la mesure de soins sans consentement et décide d’un programme de soins, encadré et défini de façon précise par deux articles du CSP, analysés infra. Pour ce faire, le médecin doit rédiger deux documents (au lieu du seul bulletin de sortie d’essai) :

  1. une demande de modification du mode de prise en charge motivant un PS en dehors de l’hospitalisation complète et
  2. le programme de soins, du même nom que la mesure [12].

8 Ce qui apparaît alors ici inédit concerne le fait que le droit, par le CSP, régule alors avec minutie ces documents. Tandis que la rédaction du bulletin de sortie d’essai était laissée à la discrétion des acteurs, le programme de soins fait par exemple l’objet d’un article de loi (R3211-1), décrivant avec précision ce qu’il doit contenir (« Ce document mentionne […] », « Le programme de soins indique […] », « Il précise […] »). C’est ainsi que l’on retrouve, dans les programmes de soins recueillis dans les services, les cases à cocher concernant la présence d’un traitement ainsi que l’information et l’avis du patient.

9 À ce sujet, on remarque que la HAS, qui n’avait rendu aucune décision concernant les hospitalisations sans consentement depuis son rapport de 2005 sur les indications d’urgence [13], a remis à l’agenda cette question via la régulation des écrits. La commission sur la psychiatrie a rendu publique en mars 2015 une note de cadrage intitulée « Protocoles pour la rédaction des certificats dans le cadre des soins sans consentement ». Bien que plusieurs institutions (agences régionales de santé, directions d’établissement) aient émis des modèles de certificats à l’usage des professionnels, l’importance croissante prise par les écrits dans la nouvelle législation a enclenché une réflexion collective sur les bonnes pratiques rédactionnelles. Le travail engagé concerne aussi bien les documents relatifs aux hospitalisations (certificats de maintien ou levée) qu’aux programmes de soins (changements de situation).

L’injonction de soins : le troisième volet du triptyque des soins pénalement ordonnés

10 Les soins pénalement ordonnés s’inscrivent dans une autre histoire qui n’est pas celle de la psychiatrie, mais celle de la justice et de la prison. Ils se développent après les années 1945, période durant laquelle sont mises en place diverses mesures visant à favoriser les peines en milieu ouvert et à mettre l’accent sur la réinsertion des condamnés. Cette période est sous l’influence d’une doctrine pénale prenant le nom de « défense sociale nouvelle [14] » qui, bien qu’elle énonce la nécessité de protéger la société, met davantage l’accent sur des mesures curatives et éducatives que sur des mesures de neutralisation et d’élimination. C’est dans ce contexte de médicalisation des criminels et de déploiement de la peine hors les murs que sont mises en place des mesures de soins visant à se substituer à la peine.

11 L’idée d’ordonner des soins à l’encontre d’un auteur d’infraction est introduite dans le droit pénal en 1954 par la loi sur les alcooliques dangereux [15]. Cette loi permettait à une personne, dont l’addiction était jugée dangereuse pour autrui ou pour elle-même, d’éviter les poursuites pénales en acceptant des soins. Rarement appliquée dans les faits, cette alternative aux poursuites pénales a été réactualisée en 1970 [16] par une loi énonçant la possibilité d’« enjoindre aux personnes ayant fait un usage illicite de stupéfiants de subir une cure de désintoxication ou de se placer sous surveillance médicale » (article L.628-1). Le texte précise également qu’il peut s’agir d’une hospitalisation ou d’un « traitement ambulatoire ». Cette mesure, dénommée « injonction thérapeutique », est aujourd’hui encore en vigueur et permet de forcer une personne à venir se faire soigner. Parallèlement à cette mesure est mise en place une mesure désignée par l’expression « obligation de soins ». Divers événements législatifs des années 1950 à aujourd’hui [17] ont organisé cette mesure et ont visé à énoncer la possibilité, pour un juge, d’ordonner des soins à divers moments d’une procédure judiciaire. Des « mesures d’examen médical, de traitement ou de soins » peuvent être ordonnées par un juge dans le cadre du contrôle judiciaire ou dans celui de diverses peines ou mesures (sursis avec mise à l’épreuve, mesures d’aménagement de peine). L’obligation de soins est toutefois peu encadrée par le droit, ce dernier se contentant d’énoncer la possibilité, pour le juge, de l’ordonner à différents moments de la procédure pénale.

12 L’IS, mise en place par la loi du 17 juin 1998, relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, constitue donc le troisième volet du triptyque des soins pénalement ordonnés. Qu’est-ce qui la distingue alors des deux autres mesures ?

13 On pourrait être amené à penser que l’IS se distingue par le fait qu’elle concerne spécifiquement les auteurs d’infractions à caractère sexuel. Toutefois, tel n’est pas le cas dans la mesure où elle a été élargie à d’autres types d’infractions, comme les crimes d’atteinte volontaire à la vie des personnes, les crimes d’enlèvement et de séquestration, les tortures ou actes de barbarie et d’autres crimes. Ce qui la distingue est, tout comme dans le cadre du PS, le fait d’être l’objet d’une régulation inédite et importante. Alors que, dans l’injonction thérapeutique et l’obligation de soins, la majeure partie des pratiques sont laissées à la discrétion des acteurs, elles sont, dans l’injonction de soins, encadrées par différentes parties du Code pénal, du Code de procédure pénale et du CSP, ainsi que par des recommandations énoncées entre 2001 et 2009 à l’occasion d’une conférence de consensus [18], d’auditions publiques [19] ou de recommandations de bonnes pratiques [20]. Cette profusion de règles hétérogènes, cet épaississement et cette complexification du cadre de régulation a d’ailleurs nécessité la rédaction de guides, comme le Guide de l’injonction de soins, édité en 2009 par le ministère de la Santé et des Sports et le ministère de la Justice, et dont l’objectif est « d’apporter aux professionnels qui ont à intervenir auprès des personnes soumises à une injonction de soins des bases de connaissances communes sur ces personnes, le cadre légal d’intervention et les différents acteurs concernés dans le champ de la justice et de la santé ». Lors des rencontres avec les professionnels, il est fréquent que ceux-ci fassent part de leurs difficultés face à cette complexification du cadre de régulation et saluent l’existence de tels guides.

14 Cet épaississement du cadre de régulation s’accompagne d’une multiplication et d’une régulation des écrits en situation et également d’une meilleure circulation de ces derniers. L’IS se distingue en effet des mesures antérieures par l’émergence de nouveaux acteurs dans le dispositif (médecin coordonnateur, expert psychiatre), dont les productions écrites (bilan de situation, rapport d’expertise) sont là aussi régulées par le droit qui se montre davantage prolixe concernant la façon dont ils doivent être rédigés et sur ce qu’ils doivent contenir, comme dans le cas de l’attestation que le médecin ou psychologue traitant est censé remettre au juge.

15 À un épaississement du contexte de régulation encadrant les deux mesures s’ajoutent une multiplication d’écrits en situation ainsi qu’une régulation plus précise de ces derniers. Ces documents doivent être rédigés et mis en circulation selon des règles strictes, énoncées par le législateur et d’autres instances de régulation. On peut à ce sujet mentionner le rôle croissant pris dans les établissements par les secrétaires, généralement peu étudiées par les sociologues (Marques et al., 2011) et chargées de veiller à la bonne utilisation de ces documents, ainsi que par les cellules qualités des établissements, chargées notamment de la traduction des règles générales en règles locales et de la confection et rédaction de documents tels que les protocoles, les chartes ou autres.

16 Quelle est la fonction de ces murailles de papier ? Sur quoi portent ces règles et quelle est la fonction des différents écrits qui les accompagnent ?

Entre démocratie sanitaire et société de surveillance : des règles et des écrits au service d’évolutions contrastées

17 On remarque que ces différents textes et écrits ne sont pas au service d’un objectif unique, mais s’inscrivent dans des évolutions contrastées. Tandis qu’une partie d’entre eux vise à promouvoir les droits des patients, une autre partie s’avère être au service d’un contrôle plus accru des populations prises en charge. Si cette distinction recoupe la distinction entre IS et PS, champ juridico-pénal et champ sanitaire, elle ne se confond pas complètement avec elle dans la mesure où la question des droits n’est pas absente du dispositif de l’IS et que celle de la surveillance reste un enjeu important du PS.

Contraindre tout en respectant les droits des patients

18 Ces deux mesures ont d’abord pour particularité d’avoir été instituées dans un contexte de valorisation des droits des patients, et notamment de leur consentement. Elles invitent notamment à se questionner sur l’articulation entre contrainte et consentement. Dans un tel contexte, que signifie contraindre hors les murs ? Autrement dit, de quels droits bénéficient des personnes sous le régime de soins sans consentement ou de soins pénalement ordonnés, et de quelle façon les écrits locaux participent-ils à leur matérialisation ?

Les droits dans le programme de soins : des règles et écrits visant à informer et à impliquer les patients

19 La densification de la partie du CSP concernant la lutte contre les maladies mentales s’est faite en partie en vue de promouvoir les droits des patients. C’est ainsi qu’a été inséré, par la loi de 1990, un chapitre introductif intitulé « Organisation générale de la lutte contre les maladies mentales et droits des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux », devenu, en 2002, « Droit des personnes hospitalisées ». La personne hospitalisée sans son consentement, qui nous intéresse ici, tombait notamment sous la coupe de l’article L3211-3 (aujourd’hui abrogé), énonçant la nécessité de l’informer « dès l’admission et, par la suite, à sa demande, de sa situation juridique et de ses droits [21] ». Cet article qui devient, en 2002, l’article L3211-3, reste toutefois inchangé de 1990 à 2011. Il est complété et étoffé par la loi de 2011 qui précise que la personne doit être également informée des décisions prises à son encontre et doit être encouragée à faire valoir ses observations. Elle doit aussi être informée « des voies de recours qui lui sont ouvertes et des garanties qui lui sont offertes en application de l’article L.311-12-1 ». Le droit construit ainsi la figure d’un patient informé, éclairé, impliqué, et ce, même dans les cas où celui-ci est hospitalisé sans son consentement. Comment ces droits sont-ils matérialisés ? De quelle façon les différents écrits présents dans l’établissement participent-ils à la construction de cette figure ?

20 Localement, ces droits sont d’abord matérialisés dans différents documents, comme le livret d’accueil de l’établissement, les courriers adressés par le directeur à chaque patient admis en soins sans consentement, la charte de l’unité, dans lesquels figurent les coordonnées des diverses personnes et institutions auprès desquelles le patient peut exercer son droit de recours (associations, directeur de l’établissement, Contrôleur général des lieux de privation de libertés, avocats). La personne concernée par un PS et qui a nécessairement fait l’objet d’une hospitalisation a normalement reçu ces documents. À ce sujet, on repère, dans les établissements, d’autres écrits ayant, eux, pour fonction d’attester du fait que ces documents ont bien été remis au patient et que celui-ci a été informé.

21 Dans le cadre du PS, ces différents droits prennent aussi corps dans le programme de soins. C’est en bas de ce document, comme dans les certificats médicaux exigés par la loi, que se retrouve une partie, également pré-remplie et standardisée, permettant d’attester du fait que les droits du patient ont été respectés. Le professionnel doit cocher la case précisant que le patient a été informé (« de la décision de poursuite des soins sous la forme de soins ambulatoires et de ces modalités », « des modifications relatives à sa prise en charge qui peuvent s’avérer nécessaires soit en vue d’adapter le programme de soins à son état de santé, soit en cas d’inobservance du programme de soins », « de sa situation juridique, de ses droits, des voies de recours ») ou, le cas échéant, que « l’état actuel du patient ne lui permet pas de prendre connaissance de ces informations [mais qu’] elles lui seront communiquées dès que possible ». Il doit ensuite attester du fait qu’il a recherché l’avis du patient sur les modalités de soins.

22 La nécessité de remplir scrupuleusement ces documents est devenue plus prégnante depuis que la loi de 2011 a instauré un contrôle obligatoire du juge des libertés et de la détention (JLD) pour les hospitalisations de plus de douze jours. Ce contrôle induit une plus grande proximité entre le champ de la santé et de la justice, qui rend alors plus présent le risque éventuel de judiciarisation – soit par une auto-saisine du juge, soit sur demande du patient ou de son entourage contestant la mesure de contrainte. Ainsi, l’éventualité d’un contrôle pousse les équipes à respecter ces règles avec assiduité, dans la mesure où le juge se montre attentif à la bonne rédaction des différents documents et peut vérifier la traçabilité de l’information donnée au patient. Ce droit à l’information se transforme ainsi en devoir pour les professionnels, dans la mesure où s’organise une forme de traçabilité des pratiques professionnelles (et notamment des pratiques d’écritures) autour de l’application des droits des patients. L’éventualité d’une décision par le juge de lever la mesure de soins sans consentement (et a fortiori l’annulation du PS en cas d’irrégularité formelle) est un horizon redouté par les professionnels, qui se montrent scrupuleux dans l’application de la règle.

23 Ces droits sont ainsi matérialisés dans des documents locaux, ces derniers incitant les professionnels à les respecter. Toutefois, le sont-ils vraiment ? Cette question, tout importante qu’elle soit, ne nous a pas intéressés ici et nécessiterait la réalisation d’un travail spécifique et d’une méthodologie adaptée (ethnographie des consultations et admissions). On peut toutefois supposer que la répétition écrite de la nécessité d’informer et de recueillir l’avis du patient est susceptible de produire des effets sur les pratiques. Tout comme nous pouvons faire l’hypothèse que le professionnel a coché des cases sans en informer le patient, nous pouvons également imaginer que l’écriture des règles dans une pluralité de documents circulant dans les services participe d’une meilleure information et d’une meilleure prise en compte de l’avis du patient.

Les droits dans le cadre de l’injonction de soins : un consentement resté lettre morte ?

24 L’analyse de l’IS sous l’angle de la valorisation du droit des patients conduit moins à constater l’affirmation d’un droit à l’information [22] que l’introduction de la notion de consentement. L’IS se démarque en effet des mesures antérieures par le fait que cette notion a été introduite dans le Code pénal (CP) : « Le président avertit alors le condamné qu’aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement, mais que s’il refuse les soins qui lui seront proposés, l’emprisonnement prononcé […] pourra être mis à exécution » (article 131-36-4 du CP). Le consentement est également rappelé par d’autres instances de régulations, comme par exemple la HAS [23]. Ainsi, selon le droit et ces différentes instances, point de soins sans consentement. Quid dans la pratique et de quelle matérialisation ces droits font-ils l’objet ?

25 À l’inverse de ce que l’on remarque dans le PS, on ne trouve aucune trace de ce droit dans les services et aucun document informant le PPSMJ de la nécessité de son consentement. Cela est censé lui être mentionné oralement par le président (est-ce fait ?) et peut également lui être rappelé par les thérapeutes lors du premier rendez-vous. Les observations permettent toutefois de remarquer que l’énonciation et le recueil de ce consentement ne sont pas un enjeu dans la pratique des thérapeutes, ces derniers considérant la venue de la personne comme une forme d’acquiescement (Marques, 2010), voire comme l’occasion de gagner la confiance des éventuels récalcitrants [24]. On peut même à cet égard remarquer une forme d’involution en matière de droits des patients et ce dans le cas des médicaments inhibiteurs de libido. L’article L3711-3, qui énonçait la nécessité dans la prescription de ce traitement d’un « consentement écrit et renouvelé, au moins une fois par an », a en effet été révisé en 2010 [25], supprimant cette exigence légale. De façon globale, que ce soit pour ce type de traitement ou d’autres, la seule trace « matérielle » se retrouve dans le dossier médical informatisé, une case pouvant être cochée afin d’attester du fait que le consentement a été recueilli. On remarque toutefois que cette pratique constitue une formalité, les thérapeutes omettant de la cocher ou la cochant par routine.

26 Outre le fait que l’on peut être amené à douter de la valeur d’un consentement obtenu dans un tel contexte et sous de telles conditions (ce qui conduit le juriste Patrick Mistretta (2011) à parler de « consentement pression » et de « chantage »), on remarque que ce droit n’est pas matérialisé et que le consentement n’est ni recueilli ni consigné. Cette pratique est laissée à la discrétion des acteurs, comme cela est également le cas en matière de droit à l’information, de droit de recours ou de droit d’accès au dossier médical. On peut donc en conclure non pas que le PPSMJ ne dispose pas de droits, mais que leur matérialisation constitue un enjeu moindre que dans le cas des soins sans consentement et du PS. À ce sujet, une différence réside dans le fait que la personne concernée par une IS n’a pas nécessairement fait l’objet d’une hospitalisation – comme cela est le cas dans le cadre du programme de soins – ou d’une peine privative de liberté dans un établissement pénitentiaire [26]. Elle est reçue soit en centre médico-psychologique ou autre structure ambulatoire, soit par un médecin libéral. Ainsi, elle n’a reçu ni livret d’accueil, ni charte de l’établissement, ni aucun document supposé l’informer de ses droits.

Une régulation et des écrits au service d’un contrôle plus efficace des populations

27 Il serait réducteur d’analyser cet épaississement du cadre de régulation et cette prolifération d’écrits en situation sous le seul angle de l’avènement d’une démocratie sanitaire. Bien que cette évolution soit indéniable et que les règles et écrits, on l’a vu, visent à garantir aux patients des droits dont ils ne bénéficiaient pas ou moins auparavant, on remarque qu’ils sont également au service d’une société de surveillance visant à contrôler de façon plus accrue les populations. C’est ainsi que le PS et l’IS se présentent tous deux comme des mesures plus contraignantes que les mesures qui les précèdent ou leur ressemblent, notamment du fait qu’ils reposent sur différents écrits œuvrant en partie à matérialiser la contrainte.

Des écrits au service d’une intériorisation du contrôle et d’une menace de ré-hospitalisation

28 Le programme de soins, régulé et rédigé de façon à favoriser l’information et l’implication du patient, l’est également en vue d’avoir davantage de prise sur ce dernier. Là où la circulaire de 1957 énonçait seulement « l’importance de la surveillance médicale », l’article R3211-1 précise ce que doit contenir le document du programme de soins : « s’il y a lieu, la forme que revêt l’hospitalisation partielle en établissement de santé ou la fréquence des consultations ou des visites en ambulatoire ou à domicile et, si elle est prévisible, la durée pendant laquelle ces soins sont dispensés. Il mentionne l’ensemble des lieux où se déroulent ces prises en charge. [27] » C’est ainsi qu’est par exemple indiqué dans l’un des documents recueillis dans les services : « Hospitalisation à temps partiel pour un mois du 22/08/2011 au 26/09/2011. Reprise de la formation professionnelle entreprise depuis plusieurs mois à compter du 22/08/2011. Le patient sera dans la journée à son domicile au […] ou sur son lieu de formation professionnelle. » Cet écrit, qui énonce les obligations et vise une meilleure surveillance des activités de la personne prise en charge, participe ainsi d’une rematérialisation de la contrainte. Le document précise également si la prise en charge inclut ou non un traitement médicamenteux (le médecin n’ayant plus, là encore, qu’à cocher « oui » ou « non »).

29 Ce document est susceptible de participer de deux façons à une meilleure surveillance des populations et des patients pris en charge. Mathias Couturier, dans un article sur les paradoxes de la contrainte et du consentement dans les programmes de soins, fait état d’un « contrôle social de type post-disciplinaire », qui ne repose plus tant sur une distribution de force brute envers l’individu que sur une « intériorisation du contrôle par ce dernier au travers d’une construction de l’adhésion à ce qui le contraint » (Couturier, 2014, p. 6). Or, on peut d’abord supposer que le programme et les différentes indications qu’il contient constituent des actants de cette intériorisation, dans la mesure où ils participent d’une matérialisation d’obligations auparavant énoncées à l’oral – et au sujet desquelles le patient est censé avoir donné son avis. On remarque également que ce document constitue un levier lors du non-respect, par le patient, des obligations qu’il était tenu de respecter. Il est en effet indiqué, dans l’article R3211-1 qu’« au cours de [l’entretien avec le patient], le psychiatre lui délivre l’information prévue à l’article L.3211-3 et lui indique en particulier que le programme de soins peut être modifié à tout moment pour tenir compte de l’évolution de son état de santé et qu’il peut proposer son hospitalisation complète notamment en cas d’une inobservance de ce programme susceptible d’entraîner une dégradation de son état de santé ». L’information dont il s’agit ici est d’une autre nature que celle étudiée supra. Elle s’apparente ici à une menace s’appuyant sur un écrit dans lequel ont été consignées les obligations auxquelles le patient doit se conformer. Si, comme l’explique Mathias Couturier, « la contrainte désigne aussi, en fait comme en droit, les formes aiguës de pression morale comme celle par laquelle un individu est menacé explicitement dans sa liberté d’aller et venir s’il n’obtempère pas », on repère ainsi un processus de formalisation de ces formes de pressions et de menaces, ces dernières étant désormais régulées par le droit, à travers notamment la production et la régulation de documents servant d’appui aux professionnels. Bien que la pratique discursive de la menace ne soit pas quelque chose d’inédit, on peut en conclure que celle-ci est désormais encadrée par le droit et s’appuie sur des leviers scripturaux.

30 Un autre document participe également à une surveillance de la personne : le certificat mensuel [28] qui rend possible le maintien et qui est rédigé par le médecin lors d’un rendez-vous avec le patient. Ce document peut également servir d’appui aux professionnels, comme dans le cas suivant, où un patient réticent réclame tout à la fois d’arrêter de prendre son traitement, la diminution de la fréquence des consultations ainsi que la levée de la mesure. Ce dernier se voit rappeler par le médecin qu’il est en soins sans consentement, que le juge a validé la mesure et qu’il faut donc venir au moins une fois par mois pour le certificat mensuel.

Des règles et écrits visant à décrypter le PPSMJ et à s’assurer qu’il se rend régulièrement chez le thérapeute

31 Mise à part l’ordonnance du juge, dans laquelle est mentionnée la mesure, aucun document ne consigne, comme cela est le cas dans le programme de soins, les obligations à respecter. Les rendez-vous sont pris au fil des séances comme à la fin de l’une d’entre elles où le psychologue traitant, tout en prenant son agenda, demande au justiciable : « Bon, on se revoit quand ? Dans deux semaines ? Mercredi 15 heures ? » On ne trouve, dans les services observés, aucun document de contractualisation de la relation de soins, dans lequel le PPSMJ s’engagerait par exemple à respecter des obligations. Si contrat il y a, celui-ci est de nature orale.

32 La contrainte se matérialise autrement au travers d’un autre document ayant pour fonction d’attester de la venue du PPSMJ chez le thérapeute et pouvant promouvoir l’intériorisation de la contrainte comme dans le PS : l’attestation de suivi du traitement. Alors que ce document n’est régulé qu’a minima dans le cadre de l’obligation de soins, on observe que le droit, dans le cadre de l’injonction, précise tant ce que doit contenir cette attestation que la fréquence à laquelle elle doit être remise au juge. Ce document doit en effet être remis une fois par trimestre et doit également attester de la régularité des soins entrepris [29]. On remarque que la non-remise de ce document est lourde de conséquences et peut entraîner la rédaction d’un rapport d’incident, un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) expliquant lors d’un entretien « s’il n’amène pas le certificat, je lui dis, “bon, vous l’amenez la prochaine fois, sinon, je fais un rapport d’incident” ». La menace s’organise et s’appuie là encore sur des documents dont la fonction est tout à la fois de vérifier l’assiduité du PPSMJ (attestation ou certificat), de signaler au juge un manquement dans le déroulement de la mesure (rapport d’incident) et de faire pression sur la personne.

33 L’IS se caractérise également par une multiplication des acteurs et un renforcement du contrôle de la personne. Tandis que l’obligation de soins implique trois acteurs (le juge d’application des peines, le médecin traitant et le conseiller d’insertion et de probation), l’IS en implique cinq (l’expert psychiatre qui se prononce sur l’opportunité de la mesure, le médecin ou psychologue traitant [30], le juge d’application des peines, le médecin coordonnateur situé à l’interface de la santé et de la justice et chargé d’évaluer régulièrement le patient, et le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation chargé de sa réinsertion). À cette multiplication d’acteurs évoluant dans des lieux géographiquement distincts [31] s’ajoute une modification de la façon dont ceux-ci rentrent en relation. Tandis que, dans le cadre de l’obligation de soins, la concertation entre l’autorité judiciaire et le personnel de santé reste à la discrétion des acteurs, elle est, dans le cadre de l’injonction de soins, régulée de façon plus précise et s’organise notamment autour de la circulation de différents écrits.

34 L’article L3711-2 du CSP énonce en effet que « le juge de l’application communique au médecin traitant, par l’intermédiaire du médecin coordonnateur, copie de la décision ayant ordonné l’injonction de soins. [Il] communique également au médecin traitant, à la demande de ce dernier ou à son initiative, par l’intermédiaire du médecin coordonnateur, copie des rapports des expertises médicales réalisées pendant l’enquête ou l’instruction, du réquisitoire définitif, de la décision de renvoi devant la juridiction de jugement, de la décision de condamnation ainsi que des rapports des expertises qu’il a ordonnées en cours d’exécution de la peine. Le juge peut, en outre, adresser au médecin traitant toute autre pièce utile du dossier ». Le médecin coordonnateur est également chargé de remettre au juge d’application des peines « au moins une fois par an, un rapport comportant tous les éléments nécessaires au contrôle du respect de l’injonction de soins » (L3711-20). L’objectif est ainsi de fluidifier la circulation des informations et de mettre à disposition de l’ensemble des acteurs des informations relatives au profil psychologique et psychiatrique du PPSMJ, à son évolution ainsi qu’à son parcours judiciaire et pénal. À la circulation, organisée par le droit, de ces documents officiels s’ajoutent de nombreux échanges informels, par téléphone, et également par mail entre ces différents acteurs.

Conclusion

35 Cette contrainte hors les murs et telle qu’elle se déploie dans le cadre du PS et de l’IS constitue une contrainte respectueuse des droits des patients et vise également à les contrôler. Ce contrôle, qui s’organise autour d’une intériorisation des obligations et aussi de pratiques de surveillance et que certains pourraient qualifier de chantage, s’apparentent ainsi à un autocontrôle. Une approche par les écrits en situation a permis de remarquer le rôle crucial qu’ils sont amenés à jouer dans le déploiement de cette forme de contrainte. Ces murailles de papiers régulés par le droit et de plus en plus standardisés participent tant à la matérialisation des droits des patients et la traçabilité des pratiques professionnelles qu’à l’exercice de cet autocontrôle. Ils sont ainsi les témoins et les actants d’évolutions contrastées et en tension.

36 Des différences sont toutefois à noter entre les deux mesures. L’introduction des droits des patients dans le cadre de l’IS s’effectue en effet timidement, l’épaississement du contexte de régulation et les différents écrits en situation participant à davantage contrôler le PPSMJ qu’à la matérialisation de ses droits. Le législateur et les différentes formes de régulation n’ont pas encouragé, comme cela est le cas dans le cadre du programme de soins, la création et la vérification de documents locaux supposés garantir ces droits. Aucune instance, aucun acteur ne vérifie non plus s’ils ont été appliqués, comme cela est le cas dans le programme de soins avec avec la possibilité de saisine du JDL. La personne concernée par une injonction de soins est avant tout un PPSMJ, et, secondairement, un patient.

37 Des questions, esquissées dans l’article et méritant d’être rappelées, concernent le rapport entre pratiques, écrits et écritures. À l’instar de Jérôme Denis dans son enquête sur le rôle d’une charte graphique au sein de services produisant des séquences autopromotionnelles au sein des chaînes télévisuelles françaises (2007), il s’imposerait d’étudier plus méthodiquement tant le contenu de ces écrits que la façon dont ils sont mobilisés et les pratiques qui les accompagnent. Cela permettrait d’en mesurer la performativité et les effets réels sur les situations. Les patients contemporains sont-ils, grâce à ces documents, davantage informés et impliqués que les patients d’autrefois ? Se sentent-ils davantage surveillés et contraints ? Du côté des professionnels, ces derniers sont-ils effectivement plus attentifs à l’application des droits des patients ? Ces différents écrits participent-ils à une modification de leurs pratiques ? Autant de questions qui appellent à la réalisation d’enquêtes empiriques permettant d’étudier finement l’articulation entre écrits et pratiques et entre pratiques et pratiques d’écriture.

Notes

  • [1]
    À titre indicatif, 26 000 patients ont été pris en charge en 2012 dans le cadre d’un programme de soins, soit 34 % des personnes ayant reçu des soins sans consentement ou ayant été prises en charge (Coldefy et Tartour, 2015). Concernant l’injonction de soins, et selon un Rapport des inspections générales des services judiciaires et des affaires sociales sur l’évaluation du dispositif d’injonction de soins de 2011, environ 66 % des personnes condamnées à un suivi socio-judiciaire (SSJ), soit environ 900 personnes, étaient concernées en 2010 par la mesure.
  • [2]
    La juridicisation étant définie comme « le processus par lequel les normes sociales partagées par un groupe sont transposées dans des règles et dispositifs juridiques explicites ». (Delpeuch, Dumoulin et de Galembert, 2014).
  • [3]
    Conseil d’État (2013), Étude annuelle 2013 – Le droit souple, La documentation française.
  • [4]
    Le concept de rematérialisation est mobilisé par Camille Allaria dans un article sur le placement sous surveillance électronique (Allaria, 2014) où cette dernière, après avoir montré que l’institution de sanction voit disparaître certains de ses attributs tangibles – son territoire et ses agents –, montre que le dispositif numérique redonne de la matière à cette forme particulière de sanction.
  • [5]
    Loi sur les aliénés du 30 juin 1838, dite « loi Esquirol ».
  • [6]
    Article 170 du modèle de règlement intérieur du 20 mars 1857, qui devait, selon ce qui est prévu par la loi de 1838, s’appliquer à tous les asiles publics d’aliénés : « aucun aliéné ne peut faire de promenades extérieures, s’il n’est accompagné d’un infirmier ou d’une infirmière, ou s’il n’est confié à un parent ou à un ami qui prend la responsabilité de la surveillance du malade au seuil de l’établissement. La permission de sortie, délivrée par le médecin en chef et visée par le directeur, doit mentionner le nom de la personne qui accompagnera ou recevra le malade et déterminer la durée de l’absence ».
  • [7]
    En témoignent par exemple une thèse sur le sujet (Hocquet, 1906) et une mention dans la circulaire du 10 février 1937 relative à la réorganisation de l’assistance psychiatrique dans le cadre départemental, qui prévoit le rôle des assistantes sociales spécialisées qui « veilleront à la réadaptation sociale des malades en sortie d’essai ».
  • [8]
    Circulaire du 4 juin 1957 relative à l’organisation des sorties d’essai dans les hôpitaux psychiatriques.
  • [9]
    Loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation.
  • [10]
    Loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge et loi du 27 septembre 2013 modifiant certaines dispositions issues de cette dernière.
  • [11]
    Cela signifie par exemple que l’on ne peut user de la force à l’encontre d’un patient en PS, et qu’il faut, pour le contraindre aux soins, procéder à une modification du statut (du programme de soins vers une hospitalisation à temps plein).
  • [12]
    Afin de ne pas introduire de confusion, la mesure serait indiquée par son abréviation (PS) et le document par l’intitulé entier.
  • [13]
    « Recommandations pour la pratique clinique – Modalités de prise de décision concernant l’indication en urgence d’une hospitalisation sans consentement d’une personne présentant des troubles mentaux », HAS, avril 2005.
  • [14]
    Voir Ancel (1981). Il s’agit d’une réédition d’un ouvrage initialement publié en 1954.
  • [15]
    Loi du 15 avril 1954 sur le traitement des alcooliques dangereux pour autrui.
  • [16]
    Loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite des substances vénéneuses.
  • [17]
    Voir Lameyre (2004).
  • [18]
    Cinquième conférence de consensus de la Fédération française de psychiatrie, organisée les 22 et 23 novembre 2001 et intitulée « Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agressions sexuelles ».
  • [19]
    Audition publique sur la « Prise en charge de la psychopathie » organisée par le ministère de la Santé et des Solidarités, mai 2006, et audition publique sur « L’expertise psychiatrique pénale » organisée par la Fédération française de psychiatrie les 25 et 26 janvier 2007.
  • [20]
    Recommandations de bonne pratique sur la « Prise en charge des auteurs d’agressions sexuelles à l’encontre de mineurs de moins de 15 ans », éditées par la Haute Autorité de santé en juillet 2009.
  • [21]
    Droit de communiquer avec les autorités, de saisir la commission départementale des hospitalisations psychiatriques, de prendre conseil d’un médecin ou d’un avocat de son choix, d’émettre ou de recevoir des courriers, de consulter le règlement intérieur de l’établissement et de recevoir les explications qui s’y rapportent, d’exercer son droit de vote, de se livrer aux activités religieuses ou philosophiques de son choix.
  • [22]
    Bien que la personne concernée par une injonction de soins dispose théoriquement et en tant que patient de ces droits, ceux-ci ne sont pas relayés dans les différents lois ou recommandations encadrant la mise en place de l’injonction de soins.
  • [23]
    Dans un document édité par la HAS en juillet 2009 sur « La prise en charge des auteurs d’agressions sexuelles à l’encontre des mineurs de moins de 15 ans », on trouve les recommandations suivantes : « les règles médicales habituelles sont donc en vigueur : pas de traitement sans indication médicale et accord préalable du sujet », « la prescription [de traitement hormonaux] doit être réalisée après information complète (en particulier concernant les effets secondaires du produit) et consentement du sujet », « les soins en détention reposent sur le principe du consentement ».
  • [24]
    On remarque à ce sujet que les thérapeutes développent des stratégies – par exemple l’humour – visant à instaurer un climat de confiance et à donner à la personne envie de revenir.
  • [25]
    Article révisé par la loi du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale.
  • [26]
    Dans le cadre d’observations réalisées en détention, nous avons pu remarquer la présence d’écrits précisant que les soins constituaient une possibilité et nécessitaient le consentement de la personne. Toutefois, cela n’enlève rien au fait que ce consentement reste un consentement obtenu sous la pression.
  • [27]
    Ces informations étaient déjà présentes dans les certificats antérieurs à la loi de 2011/2013, mais la nouveauté est l’inscription de leur obligation dans le CSP.
  • [28]
    Le certificat mensuel était déjà mentionné dans la loi de 1990 (article L.337). Il était également mentionné que la levée de la mesure était acquise si ce document n’était pas produit.
  • [29]
    Bien que ce fait soit moins systématique, on remarque que les attestations peuvent, dans des services, être pré-remplies et répondre de façon précise aux exigences du droit, indiquant soit sur quelle période se sont déroulés les soins, soit le nombre de rendez-vous et comportant parfois l’occurrence « régulièrement ».
  • [30]
    Tandis que l’obligation de soins nécessite que la PPSMJ se rende chez un médecin, l’injonction de soins offre la possibilité d’aller consulter un psychologue.
  • [31]
    Cabinet libéral, CMP ou autre structure ambulatoire dans le cas des médecins coordonnateurs et des médecins et psychologues traitants ; tribunal dans le cas du juge ; service d’insertion pénitentiaire d’insertion dans le cas du CPIP.
Français

L’injonction de soins et le programme de soins constituent deux formules de soins récentes fondées sur un principe de contrainte hors les murs. Elles ont également en commun d’avoir été instaurées dans un contexte de valorisation des droits des patients et de « juridicisation » des normes sociales, et d’être ainsi encadrées par un ensemble de règles et d’écrits en situation. Cet article propose de les mettre en évidence et d’analyser la façon dont ces cadres normatifs et ces contextes de régulation articulent les notions de contrainte et de consentement. Il s’agit d’être particulièrement attentif, au sein de ces deux axes d’analyse, à la façon dont des écrits, en situation, participent à une rematérialisation de la contrainte. Des différences sont toutefois à noter entre les deux mesures. La régulation du programme de soins dans les lois de 2011 et 2013 va dans le sens d’une affirmation des droits des patients. Ceux-ci sont en revanche introduits plus timidement dans le cadre de l’injonction de soins, où le contrôle des patients est plus important.

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Ana Marques
Sociologue, chargée d’étude pour l’Établissement public de santé mentale de Ville-Evrard.
Sébastien Saetta
Sociologue, chargé de recherche au CERMES 3.
Tonya Tartour
Doctorante en sociologie, Centre de sociologie des organisations.
Mis en ligne sur Cairn.info le 22/06/2016
https://doi.org/10.3917/rfas.162.0057
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