CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction [1]

1 La législation française pose le consentement aux soins comme une condition indispensable à toute prise en charge thérapeutique (article L1111-4 du Code de santé publique). Elle prévoit aussi, dans le cas de troubles psychiatriques sévères, où la conscience du trouble ou du besoin de soins peut être altérée sur une courte durée, le recours aux soins sans consentement en psychiatrie afin de corriger le préjudice pour le patient, voire pour la société, de l’absence de soins. Le consentement aux soins doit rester privilégié et la contrainte constituer une exception. S’ils sont désormais largement minoritaires, les soins psychiatriques sous contrainte sont possibles dans de nombreux pays, à certaines conditions, en cas de troubles mentaux sévères (Dressing et Salize, 2004 ; Kisely et al., 2011). En France, jusqu’en 2011, la loi du 27 juin 1990 distinguait principalement deux modes d’hospitalisation sans consentement : l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) et l’hospitalisation d’office (HO). Trois critères doivent être rassemblés pour définir une HDT : la présence de troubles mentaux, l’impossibilité de consentir à l’hospitalisation en raison de ces troubles et la nécessité de soins immédiats et d’une surveillance continue en milieu hospitalier (HAS, 2005). La mesure nécessite, premièrement, la demande d’admission par le tiers, qui en général est un membre de la famille du patient ou une autre personne de son environnement social susceptible d’agir dans l’intérêt de la personne malade (hors personnel soignant de l’établissement) et deuxièmement, l’établissement de deux certificats médicaux concordants et circonstanciés, dont l’un par un médecin n’exerçant pas dans l’établissement accueillant le patient. À titre exceptionnel et uniquement en cas de péril imminent pour la santé du patient, l’admission peut être prononcée au vu d’un seul certificat médical. En ce qui concerne l’HO, il s’agit d’une mesure médico-administrative prononcée par arrêté par le préfet (ou le préfet de police à Paris), au vu d’un certificat médical circonstancié réalisé par un médecin extérieur à l’établissement d’accueil. Dans le cadre d’une HO et au-delà des critères médicaux requis pour l’HDT, l’état de santé du patient doit compromettre la sûreté des personnes (y compris lui-même) ou risquer de nuire gravement à l’ordre public. En cas de « danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical ou, à défaut, par la notoriété publique », une procédure d’urgence peut être engagée par le maire (ou les commissaires de police à Paris).

2 L’hospitalisation à temps plein constituait jusqu’en 2011 la seule modalité de soins sous contrainte, les prises en charge alternatives, à temps partiel ou en ambulatoire, au sein des établissements de santé, étaient exclues du processus, sauf dans le cas de sorties d’essai. C’est une des modifications majeures apportées par la loi de 2011 qui ouvre les soins sous contrainte en psychiatrie aux modalités autres que l’hospitalisation à temps plein et prévoit l’intervention systématique d’un juge des libertés et de la détention afin de renforcer les droits des personnes soignées sans leur consentement. Cette réforme vise ainsi à minimiser l’atteinte aux libertés qui pouvait être portée aux personnes vivant avec un trouble psychique et mettre la France en conformité avec les exigences constitutionnelles. La loi de 2011 a confirmé les deux modes d’hospitalisation sans consentement : l’hospitalisation à la demande d’un tiers (à laquelle a été ajoutée la possibilité d’hospitalisation pour péril imminent en l’absence de tiers) et l’hospitalisation à la demande du représentant de l’État.

3 Dans les pays occidentaux, engagés dans le processus de désinstitutionalisation des soins psychiatriques à partir des années 1950 et notamment dans les années 1990, des évolutions temporelles variables ont été rapportées : augmentation des soins sans consentement en Angleterre entre 1998 et 2012 (Green et Griffiths, 2014) ou dans d’autres pays tels que l’Allemagne, le Danemark ou les États-Unis ; diminution des soins sans consentement en Italie, en Espagne ou en Suède (Munk-Jorgensen, 1999). De façon plus consensuelle, une forte variabilité du recours entre pays, zones géographiques ou services hospitaliers est établie (Salize et Dressing, 2004 ; Juckel et Haussleiter, 2014 ; Ravelli, 2006 ; Priebe et al., 2005). Plusieurs études ont montré l’importance de la variabilité territoriale du recours aux soins sans consentement en psychiatrie, entre pays (Kallert, 2007) ou à l’intérieur d’un pays (Hansson et al., 1999 ; Siponenen et al., 2011). Les taux d’hospitalisations sans consentement (nombre annuel d’admissions pour 100 000 habitants) enregistrent des variations de un à plus de dix entre pays (Zinkler et Priebe, 2002 ; Kallert, 2007). En France, en 2010, près de 71 000 patients ont été hospitalisés sans leur consentement et le taux de recours à ces pratiques varierait fortement selon les territoires, de un à dix selon les départements (Boisguérin et Minodier, 2012).

4 L’importance de la variabilité du recours aux soins sans consentement en psychiatrie interroge. Une partie de la variabilité, notamment entre pays, pourrait être expliquée par des différences dans les cadres légaux, dans les pratiques et les attitudes des professionnels (Salize, 2004 ; Zinkler 2002). La plupart des études publiées sur ce thème ont mis en évidence le rôle de certaines caractéristiques individuelles des patients, telles que le sexe, l’âge, le diagnostic, le statut par rapport à l’emploi, la précarité, l’origine ethnique, culturelle et religieuse, la conscience des troubles (Bindman et al., 2002 ; Kallert et al., 2008 ; Casella, Loch, 2014 ; Braitman et al., 2014). Dawson (2005), qui synthétise les résultats de plusieurs travaux, dresse un portrait-type du patient admis en hospitalisation sans consentement : il s’agit d’un homme, âgé de quarante ans, vivant avec un trouble schizophrénique, habitant seul, rarement marié et très souvent sans emploi. Il est établi que le chômage et la précarité augmentent significativement le risque de soins sans consentement (Bindman et al., 2002). Les caractéristiques cliniques des patients, telles que la présence d’un diagnostic de schizophrénie, jouent clairement un rôle important dans la décision d’hospitalisation sans consentement (Cougnard et al., 2004). L’origine ethnique des patients est également régulièrement pointée dans les études comme associée à un plus fort taux d’hospitalisation sans consentement (Bhui et al., 2003 ; Morgan et al., 2005).

5 Mais d’autres études, moins nombreuses et reprises ci-après, se sont intéressées au rôle d’autres facteurs environnementaux, géographiques, socio-économiques ou liés à l’offre de soins sur les territoires dans l’explication de la variabilité du recours aux soins sans consentement, soulignant le caractère multifactoriel des dimensions en jeu et la nécessité de poursuivre les recherches sur ce thème. De nombreuses études restent par ailleurs limitées localement à un établissement, un territoire et peuvent présenter des biais en termes de représentativité. En France, seule une étude récente (Joubert et al., 2016) a cherché à comparer le recours aux soins sans consentement des personnes résidant ou non en zones urbaines sensibles (ZUS). Elle se limite à l’agglomération lyonnaise. Cet article cherche ici à pallier ce manque et à proposer une étude nationale de la variabilité du recours aux soins sans consentement en psychiatrie en France.

Objectifs

6 Mobilisant des données nationales exhaustives, cette étude vise à :

  • décrire la population hospitalisée sans consentement en psychiatrie en France ;
  • mesurer la variabilité territoriale du recours aux soins sans consentement en France, avant la réforme de 2011, cette étude étant appelée à être renouvelée dans le cadre du suivi de la mise en place de la loi. Au moment de l’étude, seules les données 2010 et 2011 étaient disponibles ;
  • analyser, au-delà des caractéristiques individuelles, le rôle potentiel de l’environnement socio-économique et géographique, de l’état de santé de la population et de l’organisation des soins, qualifiés au niveau des territoires, dans la variabilité observée.

7 Le choix de ces dimensions s’appuie sur les résultats observés dans la littérature scientifique sur ce thème. Les différents articles identifiés traitant de la variabilité du recours aux soins sans consentement nous font privilégier une approche multifactorielle.

8 Le rôle des caractéristiques cliniques des individus dans le recours à l’hospitalisation sans consentement a été clairement démontré dans plusieurs études citées précédemment. Afin de prendre en compte ces éléments dans notre étude, nous avons donc cherché à mesurer la prévalence potentiellement différente des troubles psychiques sur le territoire.

9 De même, plusieurs études contextuelles se sont intéressées à l’environnement géographique et socio-économique des individus. L’étude de Brophy (2006), en Australie, a montré que les patients hospitalisés sans consentement résident plus souvent dans des centres-villes ou banlieues défavorisées. En France, Joubert et al. (2016) observent des taux bruts de recours aux soins sans consentement plus élevés dans les quartiers ZUS. Pour Thornicroft et al. (1991), les indicateurs contextuels de désavantage social constitueraient de forts prédicateurs du recours à l’hospitalisation sans consentement.

10 Les études ayant cherché à analyser les effets des facteurs organisationnels d’offre de soins sur les hospitalisations sans consentement sont moins nombreuses et n’ont pas toujours abouti à des résultats concluants. Nous avons déjà évoqué les observations temporelles contradictoires, mais indiquant plutôt que la réduction du nombre de lits hospitaliers s’accompagnait d’une augmentation des taux de patients hospitalisés sans consentement (Keown et al. 2011). Selon les auteurs, la diminution des durées de séjours induite par la réduction du nombre de lits pourrait en partie expliquer cette augmentation de la proportion de patients hospitalisés sans consentement. Les patients sortiraient plus fréquemment de l’hôpital sans être suffisamment rétablis, ce qui favoriserait les rechutes et, à terme, les hospitalisations sans consentement. De même, la réduction des lits amène à réserver l’hospitalisation aux patients les plus sévères et plus sujets à recevoir des soins sans consentement, certaines études raisonnant en part de patients hospitalisés vont observer une augmentation du recours aux soins sans consentement parmi le recours aux soins hospitaliers. Myklebust et al. (2014), dans une étude norvégienne, montrent que le fait d’avoir des lits disponibles dans de petites unités d’hospitalisation locales réduit la part d’hospitalisations sans consentement par rapport à des organisations où les lits sont concentrés dans un établissement spécialisé plus éloigné, les auteurs arguant ainsi une continuité des soins favorisée dans le cas des petites unités locales. Une étude scandinave a montré que la variabilité des taux d’hospitalisation sans consentement était plus liée au service spécifique avec lequel le patient était en contact qu’avec les caractéristiques individuelles des patients (Hansson et al., 1999). Thornicroft (1991) montre que le rôle de l’offre de soins est incontestable dans la mesure où des associations significatives persistent entre les taux d’hospitalisation sans consentement et les variables sur le fonctionnement de l’offre de soins lorsque l’on tient compte des indicateurs de désavantages sociaux. Néanmoins, pour Thornicroft, le rôle du contexte socio-économique reste plus important pour expliquer la variabilité du recours aux soins sans consentement. Plusieurs études allemandes de grande ampleur (Juckel et Hausleiter, 2014 ; Emons et al., 2014) montrent l’impact de l’étendue et de la qualité des services psychosociaux et des soins à domicile sur la réduction des taux de recours aux soins sans consentement. Lorant et al. (2007) montrent que l’hospitalisation sans consentement traduit l’absence ou le manque de forme de soins alternatifs pouvant agir comme substitut. L’existence d’équipes mobiles de soins intensifs à domicile, d’équipes communautaires, d’équipes de gestion de crise peut contribuer à réduire l’utilisation des services hospitaliers (Wierdsma et al., 2007). Dans le même ordre idée, Siponen et al. (2011) mettent en évidence le fait que les régions avec de faibles taux d’hospitalisation sans consentement sont aussi celles où le nombre de consultations en ambulatoire est le plus important, un suivi ambulatoire intensif permettant d’éviter les hospitalisations. Les résultats de l’étude de Segal et al. (2001) aux États-Unis allaient dans le même sens : le manque d’offre de soins alternative était positivement corrélé à l’hospitalisation sans consentement, et la disponibilité de ce type d’offre diminuait fortement le recours à la contrainte.

Méthodes

11 L’approche géographique proposée ici requiert l’utilisation de bases de données nationales, exhaustives. Plusieurs sources ont été mobilisées dans ce projet. Certaines sont relatives à la prise en charge sanitaire : recueil d’informations médicalisé pour la psychiatrie (Rim-P) 2010, statistique annuelle des établissements de santé (SAE) 2010, rapports d’activité de psychiatrie (RAPSY) 2008, système national d’information inter-régimes d’assurance maladie (SNIIRAM) 2010, d’autres à l’offre médico-sociale : enquête sur les établissements sociaux de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES, Enquête ES, 2010). Certaines données non recensées par le système d’information national en santé ont été recueillies en 2013 auprès de partenaires tels que le centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la recherche et la formation en santé mentale et le Psycom pour les conseils locaux de santé mentale et les groupes d’entraide mutuelle.

Population et mode de calcul du taux de recours à l’hospitalisation sans consentement à l’échelle du territoire

12 Les patients hospitalisés sans leur consentement sont identifiés à partir des données du Rim-P de l’année 2010. Le périmètre d’étude concerne les patients âgés de seize ans et plus, pris en charge en France métropolitaine. Sont inclus l’ensemble des patients ayant eu au moins une séquence d’hospitalisation à temps plein (y compris en postcure ou centre de crise) associée à un mode légal d’hospitalisation non libre – à la demande d’un tiers, hospitalisation d’office, hospitalisation pour personnes jugées pénalement irresponsables, hospitalisation sur ordonnance provisoire de placement ou hospitalisation d’un détenu –, hors patients suivis en unités pour malades difficiles.

13 Le taux de recours à l’hospitalisation sans consentement est défini en rapportant le nombre de patients hospitalisés à la population âgée de seize ans ou plus de sa zone de résidence recueillie dans le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Le zonage géographique PMSI est proche du zonage postal et constitue le niveau géographique le plus fin disponible pour observer ce mode de recours dans le Rim-P. On compte ainsi en France 5 623 zones géographiques PMSI de taille très variable, oscillant entre 1 000 et 440 000 habitants (Institut national de la statistique et des études économiques – INSEE, Recensement de la population 2009).

14 Le taux de recours est exprimé pour 100 000 personnes âgées de seize ans ou plus. Afin de contrôler la singularité des caractéristiques démographiques des territoires et de pouvoir comparer les différents taux de recours entre eux, ces derniers sont standardisés selon l’âge et le sexe à partir des valeurs nationales. Par ailleurs, l’analyse de la variabilité du taux de recours à l’hospitalisation sans consentement au niveau des zones géographiques PMSI nous a conduit à réaliser un lissage de type bayésien (Wakefield et al., 2000) sur les taux, afin de prendre en compte le problème d’instabilité de la variance induit par le faible nombre de cas par zone et la grande variabilité des tailles de population des zones géographiques PMSI (Anselin, 2006). Les techniques de lissage bayésien permettent de stabiliser ces estimations fondées sur de petits effectifs. Dans notre cas, nous avons décidé de nous appuyer sur le lissage bayésien global, où l’estimation du risque relatif est un compromis entre le taux de recours moyen et le taux de recours de l’unité géographique considérée.

État de santé au niveau du territoire

15 La littérature ayant mis en évidence le plus fréquent recours à l’hospitalisation sans consentement pour les personnes vivant avec un trouble schizophrénique, afin d’approcher la prévalence des troubles psychotiques par territoire, nous avons mobilisé les données de l’assurance maladie dans le cadre de ses travaux sur la cartographie médicalisée des dépenses de santé (CNAMTS, 2015). La prévalence de la prise en charge des troubles schizophréniques par territoire est ainsi estimée à partir des données du SNIIRAM et de l’algorithme identifiant les personnes vivant avec un trouble schizophrénique à partir des critères suivants : « avoir été hospitalisé pour un trouble schizophrénique ou être en affection de longue durée pour ce trouble ou avoir eu un arrêt de travail supérieur à six mois avec un diagnostic de trouble schizophrénique ». Les données disponibles en France ne nous permettent pas de connaître précisément la prévalence des troubles en population générale ; nous limitons donc notre approche aux personnes prises en charge par le système de soins.

Environnement socio-économique

16 Pour décrire l’environnement socio-économique dans lequel opèrent les pratiques de soins et le recours aux soins, les données du recensement de la population de l’INSEE 2010 ont été utilisées. Afin de capter au mieux les diverses composantes que revêt le contexte socio-économique des territoires, deux indicateurs synthétiques ont été construits au niveau des zones géographiques PMSI de résidence des individus :

  • un indice de désavantage social, adapté de Rey et al. (2011), visant à mesurer la précarité économique et sociale sur un territoire. Cet indicateur écologique résulte de la combinaison du revenu fiscal par unité de consommation, de la proportion de bacheliers parmi les personnes âgées de quinze ans ou plus, de la proportion d’ouvriers et de celle de chômeurs parmi les personnes actives. Cet indicateur synthétique permet d’ordonner les zones géographiques PMSI selon un gradient allant des zones les plus favorisées socialement aux zones les plus défavorisées. Le rôle de la précarité sociale a été mis en évidence dans plusieurs études visant à expliquer la variabilité du recours aux soins sans consentement ;
  • un indice de fragmentation sociale, adapté d’Ivory et al. (2012), visant à mesurer la qualité des liens sociaux, de la cohésion sociale sur un territoire. Cet indicateur composite tente d’approcher les dimensions suivantes de la cohésion ou fragmentation sociale : les ponts ou barrières au partage de valeurs et normes communes – à travers la proportion de ménages immigrés, celle d’enfants d’âge scolaire –, à l’attachement aux lieux et aux personnes – à travers la mobilité résidentielle, la part de locataires, celle de personnes mariées ou en famille, l’isolement social. Cet indicateur ordonne les zones géographiques PMSI suivant un gradient allant des zones les plus fragmentées socialement aux zones les plus soudées. Cet indicateur, qui apparaît corrélé à une plus mauvaise santé mentale et un recours plus important aux services de santé mentale, n’a pas été testé à notre connaissance sur le recours aux soins sans consentement. L’hypothèse sous-jacente est qu’un environnement de vie marqué par un manque de cohésion sociale et une faiblesse des liens sociaux peut être moins inclusif pour la personne et amener une dégradation de son état de santé mentale pouvant se traduire par une hospitalisation sans consentement.

Contexte géographique, urbanité, centralité

17 Pour rendre compte du contexte géographique de vie des individus, du caractère urbain ou rural, central ou périphérique du lieu de vie, mis en avant dans l’étude de Brophy (2006) notamment, le zonage en aires urbaines de l’INSEE a été mobilisé et distingue les parts de la population de la zone géographique PMSI résidant :

  1. dans une commune des grands pôles,
  2. dans une commune urbaine de la couronne des grands pôles ou dans une commune urbaine multipolaire des grandes aires urbaines,
  3. dans une commune rurale de la couronne des grands pôles ou dans une commune rurale multipolaire des grandes aires urbaines,
  4. dans une commune des moyens ou petits pôles,
  5. dans une commune de la couronne des moyens ou petits pôles ou dans une autre commune multipolaire,
  6. dans une commune hors de l’influence des pôles.

Offre de soins

18 Pour caractériser l’offre et l’organisation des soins en psychiatrie, une typologie a été réalisée au niveau des territoires de santé à partir des sources de données citées précédemment (Coldefy et Le Neindre, 2014). Elle prend en compte à la fois l’offre hospitalière, de ville, médico-sociale en direction des personnes vivant avec un trouble psychique et émanant de la communauté, et la caractérise en matière de capacités et diversité. Cinq profils ont ainsi été distingués.

  • Classe 1 : des territoires faiblement dotés en personnels et en équipements psychiatriques, souvent implantés à l’hôpital général ;
  • Classe 2 : des territoires où s’exercent les missions d’intérêt général de la psychiatrie publique spécialisée ouverte vers son environnement, mais aux ressources concentrées sur l’intra-hospitalier ;
  • Classe 3 : des territoires majoritairement urbains, à l’offre privée importante et dotés d’une organisation adaptée aux pratiques urbaines ;
  • classe 4 : des territoires bien pourvus en équipements et en personnels, où domine une psychiatrie publique spécialisée à l’approche « totale » ;
  • Classe 5 : des territoires à dominante rurale, qui combinent une offre sanitaire et médico-sociale importante.

19 C’est à l’échelle des territoires de santé (ou départements, lorsqu’un territoire regroupe plusieurs départements) que nous avons choisi de qualifier l’organisation de la prise en charge des maladies mentales. Le Plan psychiatrie santé mentale 2011-2015 décrit le territoire de santé et l’organisation départementale comme le territoire de coordination entre professionnels libéraux, établissements de santé et établissements et services médico-sociaux et sociaux. En ce sens, c’est une échelle pertinente de mesure de l’organisation des soins psychiatriques. Par ailleurs, cette pertinence est d’autant plus importante que les hospitalisations sans consentement entretiennent des liens forts avec l’échelon départemental, du fait des relations avec le préfet. Or plus de la moitié des régions ont choisi un découpage départemental ou supra-départemental des territoires de santé (Coldefy et Lucas-Gabrielli, 2012).

Mode d’analyse des données

20 Des analyses descriptives sur les hospitalisations sans consentement ont d’abord été conduites.

21 La variabilité des taux d’hospitalisation sans consentement est mesurée au niveau des zones géographiques PMSI, plus petite échelle d’observation disponible dans le Rim-P.

22 L’existence d’une autocorrélation spatiale au niveau des zones géographiques PMSI nous a amenés à privilégier un modèle avec autocorrélation spatiale des erreurs afin d’analyser la contribution de chacune des dimensions précédemment décrites dans la variabilité du recours aux soins sans consentement en psychiatrie. Ce modèle est estimé par la méthode du maximum de vraisemblance et prend la forme suivante :

23

equation im1

24 e voisins(i) = Σwijej/ni et ni correspond au nombre de voisins de la zone géographique PMSI i.

25 wij est la matrice de contiguïté, elle permet de spécifier la structure de voisinage pour chaque zone i. La distance topologique est d’ordre 1. Elle correspond au nombre de frontières qu’il faut franchir pour aller d’une zone à une autre. Cette définition d’un voisinage permet d’obtenir des structures de voisinage relativement comparables en termes de superficie, pour chaque zone PMSI.

26 Pour chacune des dimensions retenues dans le modèle ont été calculés le coefficient de régression, la valeur p du test statistique et le niveau de significativité. Le coefficient de détermination multiple est également renseigné pour mesurer la qualité de l’ajustement de l’équation de régression. La modélisation spatiale a été réalisée à partir du logiciel GeoDa 1.4.6.

Aspects réglementaires

27 L’étude a recueilli l’accord de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pour l’exploitation des données du Rim-P à des fins d’évaluation et d’analyse des pratiques et des activités de soins et de prévention.

Résultats

Description de la population hospitalisée sans consentement en France

28 En 2010, plus de 71 000 personnes ont été hospitalisés sans leur consentement en psychiatrie dans les établissements de santé français (données non redressées par les données des établissements non répondants au Rim-P) [2]. Seule une partie des établissements de santé sont habilités à prendre en charge des patients sous ce mode (essentiellement des établissements publics ou privés d’intérêt collectif participant à la sectorisation psychiatrique). Au sein de ces établissements, ces patients représentent 5 % de la file active et 29 % des patients hospitalisés à temps plein en 2010.

29 L’hospitalisation sans consentement se fait dans 80 % des cas à la demande d’un tiers, et 19 % en hospitalisation d’office – HO (tableau 1).

Tableau 1

Répartition des modes légaux

Tableau 1
Mode légal Nombre de patients Proportion Hospitalisation à la demande d’un tiers 57 166 80,3 % Hospitalisation d’office 13 749 19,3 % Personnes jugées pénalement irresponsables 360 0,5 % Ordonnance de placement provisoire 98 0,1 % Détenus 1 326 1,9 % Total 71 156 102,2 %

Répartition des modes légaux

Note : Le pourcentage est déterminé à partir du nombre total de patients et non pas du nombre des différents modes légaux. Sachant qu’un patient peut être hospitalisé plusieurs fois dans l’année avec différents modes légaux, le pourcentage est supérieur à 100 %.

30 Avec 60 % des patients hospitalisés en psychiatrie sans leur consentement (contre 47 % parmi les patients hospitalisés librement), les hommes sont majoritaires. L’âge moyen est de quarante-trois ans (contre quarante-sept ans pour les patients hospitalisés librement). Il varie de quarante-quatre ans – pour les patients admis en HDT – à quarante ans – pour ceux admis en HO ou pour les personnes jugées pénalement irresponsables – et, enfin, à trente-trois ans en moyenne pour les détenus.

31 Les patients hospitalisés sans leur consentement diffèrent en termes diagnostiques des patients hospitalisés librement en psychiatrie (figure 1). Les troubles psychotiques (schizophrénie et autres troubles psychotiques) représentent plus de la moitié des diagnostics principaux observés chez les patients hospitalisés sans leur consentement.

Figure 1

Principaux diagnostics des personnes hospitalisées à temps plein en psychiatrie, selon le mode légal

Figure 1

Principaux diagnostics des personnes hospitalisées à temps plein en psychiatrie, selon le mode légal

Variabilité des taux de recours à l’hospitalisation sans consentement

32 Le taux de recours standardisé lissé est de 152/100 000 habitants avec un écart type de 76 et une médiane de 121/100 000 habitants âgés de seize ans ou plus. Avec un coefficient de variation de 50 %, la variation est considérée comme très élevée et, dès lors, la moyenne peu fiable (Martin et Gendron, 2004). Elle est donc difficilement interprétable. Par ailleurs, le taux lissé de recours aux soins sans consentement varie de 14 à 1 264/100 000 habitants, soit un rapport de 1 à 90. Cependant, si nous ne tenons pas compte de 5 % des valeurs extrêmes de la distribution, la variabilité est contenue dans un rapport de un à quatre entre zones géographiques PMSI.

Résultats du modèle multivarié

33 Les résultats du modèle multivarié sont présentés dans le tableau 2.

Tableau 2

Déterminants du taux de recours à l’hospitalisation sans consentement

Tableau 2
Coefficient z value Offre de soins : Territoires bien dotés, psychiatrie publique spécialisée à l’approche "totale" (classe 4) 11,83 <.0001 * * * Territoires à dominante rurale combinant offre sanitaire spécialisée et médico-sociale importante (classe 5) 17,35 <.0001 * * * Densité de CLSM 1,80 0.0044 * * * Densité de lits pour patients agités ou difficiles 0,45 0.0478 ** Caractéristiques socio-économiques, géographiques et sanitaires Ind. Favorisation sociale -2,73 <.0001 * * * Ind. Fragmentation sociale 10,70 <.0001 * * * Part population "Communes isolées" Ref. Part population "Communes des grands pôles urbains" 0,12 <.0001 * * * Part population "Communes urbaines des couronnes des grands pôles ou multipolarisées" 0,05 0.1456 ns Part population "Communes rurales des couronnes des grands pôles ou multipolarisées" 0,06 0.0716 * Part population "Communes des moyens ou petits pôles" 0,18 <.0001 * * * Part population "Communes des couronnes des moyens ou petits pôles" 0,18 0.035 ** Densité de patients pris en charge pour des troubles schizophréniques 5,82 <.0001 *** R2 29 %

Déterminants du taux de recours à l’hospitalisation sans consentement

34 Le coefficient de détermination permet d’établir que notre modèle, à travers les informations intégrées dans la régression, explique 29 % de la variabilité du taux de recours à l’hospitalisation sans consentement. Une part importante de la variabilité du recours aux hospitalisations sans consentement reste inexpliquée par les variables introduites.

35 L’analyse des facteurs propres à l’offre de soins observée au niveau des territoires de santé montre que ces derniers sont significativement corrélés au recours à l’hospitalisation sans consentement. En effet, à partir des résultats de la typologie des territoires de santé en matière de prise en charge de la maladie mentale, nous observons que les taux de recours à l’hospitalisation sans consentement sont plus élevés pour les territoires des classes 4 et 5 perçus comme relativement bien dotés en équipements et en personnel avec une forte représentation des établissements publics ou privés d’intérêt collectif (ESPIC) spécialisés dans la prise en charge des maladies mentales. L’interprétation de ces résultats est sujette à discussion : doit-on y voir la théorie économique de la demande induite, l’offre de soins influençant la demande ? Est-ce la quantité de l’offre de soins ou sa qualité (ici le caractère spécialisé des établissements qui sont souvent le seul opérateur hospitalier du territoire pour la prise en charge des maladies mentales) qui induit un plus fort recours à l’hospitalisation sans consentement ? C’est ce que semble confirmer le résultat suivant. Toutes choses égales par ailleurs, l’accroissement de la densité de lits pour patients agités ou difficiles entraîne une augmentation du recours à l’hospitalisation sans consentement. L’hospitalisation sans consentement nécessite parfois de pouvoir fermer des unités d’hospitalisation, et tous les établissements, notamment les établissements pluridisciplinaires, ne sont pas équipés d’unités pouvant être fermées ; ils peuvent donc se trouver en difficulté pour accueillir des patients hospitalisés sans consentement.

36 De façon plus surprenante, plus la densité de conseils locaux de santé mentale est importante sur le territoire, plus le recours à l’hospitalisation sans consentement est conséquent. Notre hypothèse était qu’à l’inverse, la présence de conseils locaux de santé mentale (CLSM) et la rencontre des acteurs sanitaires, sociaux, politiques qu’elle permet serait associée à un plus faible recours aux hospitalisations sans consentement. Ces résultats contraires à nos hypothèses initiales seraient peut-être dus à une question de temporalité, les CLSM étant des dispositifs récents. Ils sont discutés dans la partie suivante.

37 Dans notre modèle, plus que l’offre de soins, c’est la dimension relative au contexte socio-économique qui va contribuer à expliquer une part importante de la variabilité du recours aux soins sans consentement. En effet, l’indicateur de (dés)avantage social, qui tient compte du niveau de revenu, d’éducation, des catégories socioprofessionnelles et du chômage, est significatif au seuil de 1 % avec un coefficient négatif. Ainsi, plus le territoire est favorisé socialement, plus le taux de recours à l’hospitalisation sans consentement est faible. Par ailleurs, l’indicateur de fragmentation sociale, prenant en compte le statut marital, l’isolement du ménage et le type d’habitat entre autres, est également significatif au seuil de 1 %, avec cette fois-ci un coefficient positif. Ainsi, plus la fragmentation sociale est importante sur le territoire, plus le recours à l’hospitalisation sans consentement est fort. Il est à noter que, lorsque la régression est réalisée uniquement à partir de l’indicateur de fragmentation sociale, ce dernier est bien entendu significatif, mais il explique surtout 25 % de la variabilité totale. Le contexte de vie de l’individu en termes de fragmentation/désorganisation sociale paraît donc fortement corrélé au recours à l’hospitalisation sans consentement.

38 Le degré d’urbanité/ruralité semble également lié à la variabilité du taux de recours à l’hospitalisation sans consentement. En effet, les taux de recours sont plus élevés en milieu urbain comparativement aux communes isolées situées hors de l’influence des pôles. Par ailleurs, en zone urbaine, les centres villes, qu’ils soient grands ou petits, sont associés à un taux de recours plus élevé qu’en périphérie des villes.

39 Enfin, la variable approchant la prévalence des troubles schizophréniques au sein des différentes zones géographiques PMSI est également fortement corrélée au taux d’hospitalisation sans consentement. Lorsque la prévalence de la prise en charge des troubles schizophréniques est forte, le recours aux hospitalisations sans consentement est plus fréquent. Une partie de la variabilité territoriale observée serait donc bien due à des prévalences sensiblement différentes des pathologies selon les territoires et des besoins de soins différents.

Discussion et conclusion

40 Les hospitalisations sans consentement ont concerné 71 000 patients en 2010, soit 5 % de la file active des patients suivis en psychiatrie en établissement de santé et 29 % des patients hospitalisés à temps plein. Les soins librement consentis restent majoritaires en psychiatrie.

41 En ce qui concerne le profil des patients concernés par les hospitalisations sans consentement, nos résultats ne diffèrent pas de ceux observés dans la littérature internationale en termes de prédominance masculine (Brophy et al., 2006 ; Hustoft et al., 2013 ; Lorant et al., 2007), et de cadre diagnostique (Hansson et al., 1999 ; Hustoft et al., 2013 ; Lorant et al., 2007 ; Riecher et al., 1991 ; Spengler, 1986 ; Webber et Huxley, 2004).

42 Notre étude montre une forte variabilité du recours aux soins sans consentement selon les territoires (dans un rapport de 1 à 90 ou de 1 à 4 si nous ne tenons pas compte de 5 % des valeurs extrêmes de la distribution). Ces résultats sont dans la ligne de ce qui a été décrit en termes de variabilité entre pays (Salize et Dressing, 2004 ; Juckel et Haussleiter, 2014 ; Ravelli, 2006 ; Priebe et al., 2005 ; Kallert, 2007) ou à l’intérieur d’un pays (Hansson et al., 1999 ; Siponenen et al., 2011), avec un rapport compris dans les fourchettes rapportées précédemment (Zinkler et Priebe, 2002 ; Kallert, 2007). Notre étude constitue cependant la première étude nationale exhaustive pour mesurer ces disparités à l’intérieur d’un pays.

43 Nous avons exploré le rôle potentiel de plusieurs dimensions environnementales dans l’explication de cette variabilité. L’offre et l’organisation des soins disponibles sur les territoires semblent intervenir pour expliquer cette variabilité, même si leur rôle précis et les caractéristiques de l’offre qui ont une influence réelle restent à mieux apprécier. Dans notre étude, les territoires caractérisés comme relativement bien dotés en termes de personnels et de capacités, où la prise en charge des troubles psychiques est essentiellement gérée par un établissement spécialisé (public ou ESPIC), présentent des taux d’hospitalisation sans consentement plus élevés que les territoires moins bien dotés et où la prise en charge est faite au sein d’établissements pluridisciplinaires, ou encore de territoires où interviennent plusieurs acteurs publics et privés dans le champ de la psychiatrie, ou de territoires présentant des pratiques plus ouvertes vers leur environnement. Les données disponibles pour caractériser l’offre de soins nous permettent difficilement d’aller plus loin dans l’interprétation de ces résultats. Le rôle de l’organisation des soins et des pratiques professionnelles mérite d’être approfondi dans des analyses complémentaires. De façon surprenante, la présence des CSLM apparaît associée à un recours plus élevé aux hospitalisations sans consentement. Notre hypothèse était que ces plateformes de concertation entre acteurs locaux, qui visent à décloisonner et à mieux coordonner les relations entre intervenants, allaient améliorer la gestion des situations de crise et diminuer le recours aux hospitalisations sans consentement. La tendance contraire observée dans le modèle peut s’expliquer de différentes façons : en 2010, les CLSM sont des dispositifs récents, certains ont justement été mis en place pour répondre à des situations complexes ; il se peut que l’effet ne soit pas visible à la date d’observation des pratiques hospitalières. De même, la meilleure connaissance des différents acteurs dans le cadre des CLSM peut, dans un premier temps, augmenter le recours à la psychiatrie et aux soins sans consentement. Il serait intéressant d’observer l’impact des CLSM à plus long terme sur les pratiques locales.

44 Les résultats forts de notre étude concernent les caractéristiques géographiques des territoires, que nous approchons de façon inédite et approfondie. Nous montrons que les caractéristiques sanitaires, géographiques et, de façon prépondérante, socio-économiques des territoires contribuent plus fortement à expliquer la variabilité territoriale du recours aux soins sans consentement que l’organisation des soins mesurée au niveau des territoires de santé, confirmant les résultats de Thornicroft (1991). L’indicateur de fragmentation sociale, développé pour la première fois en France et cherchant à qualifier la faiblesse des liens sociaux sur un territoire, l’isolement des individus, apparaît comme un facteur fortement corrélé au recours aux soins sans consentement en psychiatrie. Il joue plus fortement dans notre modèle que l’indicateur de désavantage social, qui qualifie davantage la situation matérielle et économique du contexte de vie de l’individu. L’utilisation de ces indicateurs synthétiques permet de mieux approcher la dimension complexe de ce qui se joue au sein des territoires. Par ailleurs, il y a bien une variabilité du recours aux soins sans consentement liée à la différence de prévalence des pathologies sur le territoire, la densité de personnes suivies pour des troubles schizophréniques en établissement de santé étant corrélée aux taux d’hospitalisation sans consentement.

45 Des limites doivent être rapportées. Premièrement, la valeur explicative peu élevée du modèle relatif à la variabilité du recours aux hospitalisations sans consentement suggère que d’autres éléments, non pris en compte dans le modèle, peuvent intervenir. Elle peut être également liée au fait que l’échelle d’observation et de qualification de l’offre de soins n’est pas l’échelle pertinente pour expliquer la variabilité de ce mode de prise en charge. Les pratiques soignantes se jouent à une échelle plus fine telle que celle du secteur, pour les établissements sectorisés, ou des services, équipes soignantes. L’incapacité du système d’information en santé à qualifier les pratiques à ce niveau ne nous a pas permis d’aller plus loin dans cette analyse, mais il est vraisemblable qu’une partie des déterminants du recours, liés à l’offre et à l’organisation des soins, opère à une échelle plus fine que celle des territoires de santé. Cela nous paraît être une limite importante de cette approche quantitative nationale et qui mériterait d’être creusée dans des études ultérieures, à travers des monographies régionales ou départementales notamment. Deuxièmement, une autre limite liée à l’analyse du recours aux hospitalisations sans consentement en psychiatrie est l’absence de distinction effectuée entre les hospitalisations à la demande d’un tiers et les hospitalisations d’office ; ces deux modes d’hospitalisation font intervenir des acteurs différents, et, notamment dans le cadre des hospitalisations d’office, le rôle de l’environnement social aurait pu être apprécié différemment. Les effectifs des établissements accueillant les personnes hospitalisées en HDT ou HO ne permettaient pas de travailler à l’échelle des zones PMSI. Enfin, les données existantes renseignent de façon parcellaire les données individuelles, dont nous avons vu l’importance dans d’autres travaux et que nous n’avons pas pu prendre en compte totalement dans notre analyse afin de contrôler les caractéristiques individuelles.

46 Malgré ces limites, notre étude constitue une première analyse nationale de la variabilité territoriale du recours aux hospitalisations sans consentement, soins spécifiques en psychiatrie, qui constituent une problématique majeure pour les équipes de soins et les personnes concernées. Elle mérite désormais d’être poursuivie, approfondie par des travaux plus qualitatifs sur des territoires plus réduits, et actualisée suite aux modifications entraînées par la loi du 5 juillet 2011.

Notes

  • [1]
    Remerciements
    Cette recherche a bénéficié de l’aide conjointe de la Direction générale de la santé (DGS), de la Mission recherche de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (MIRE-DREES), de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), du Régime social des indépendants (RSI), de la Caisse nationale de solidarité (CNSA) et de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), dans le cadre de l’appel à recherches lancé par l’Institut de recherche en santé publique (IRESP) en 2011.
  • [2]
    Sont exclus les patients en sortie d’essai en 2010, estimés à 3000 (Coldefy, Tartour, 2015). Un patient hospitalisé dans plusieurs établissements n’est ici compté qu’une seule fois. 4 % des patients hospitalisés sans leur consentement ont été suivis dans plusieurs établissements en 2010. Moins de 5 % des établissements de santé n’avaient pas remonté les données du Rim-P en 2010. On estime à moins de 3 % la sous-estimation du nombre de patients hospitalisés sans leur consentement en 2010 dans le Rim-P, par rapport aux données produites par la statistique annuelle des établissements.
Français

En France, 71 000 personnes ont été hospitalisées sans leur consentement en psychiatrie, en 2010. Le taux de recours à l’hospitalisation sans consentement varie fortement géographiquement, à la fois entre pays et à l’intérieur d’un pays. Si la contrainte aux soins est une exception psychiatrique, le soin librement consenti reste privilégié et majoritaire. Nécessaire dans certains cas, elle pose des questions en termes d’atteinte aux libertés des personnes et constitue une problématique majeure pour les équipes soignantes et les personnes concernées.
À partir de l’exploitation des données du recueil d’informations médicalisées en psychiatrie, la présente étude propose de décrire cette population, de mesurer la variabilité géographique du recours aux soins sans consentement, et d’explorer le rôle de l’environnement géographique, socio-économique et sanitaire dans les disparités observées. Elle conclut au rôle prépondérant du contexte social et économique pour expliquer cette variabilité.

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Clément Nestrigue
Économiste de la santé et chargé de recherche à l’IRDES, rattaché au pôle hôpital. Spécialiste des systèmes d’information en santé, notamment sur l’activité hospitalière, ses domaines de recherche portent sur la variabilité des consommations de soins et sur les parcours de soins.
Louis-Marie Paget
Épidémiologiste à l’InVS, programme santé mentale. Ses travaux portent sur les conduites suicidaires en population générale et dans des sous-groupes spécifiques. Il a contribué à ce travail lors de son stage de Master 2 à l’IRDES.
Nadia Younès
Maître de conférences des universités, praticien hospitalier en psychiatrie. UFR des sciences de la santé (UVSQ), chercheur au sein de l’EA 40-47 HANDIReSP « Études cliniques et épidémiologiques sur les handicaps psychique, cognitif et moteur » et service de psychiatrie pour adultes au Centre hospitalier de Versailles. Ses domaines de recherche s’inscrivent dans le champ de l’épidémiologie évaluative en psychiatrie autour des organisations de soins pour les troubles mentaux fréquents et pour les troubles mentaux sévères.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 22/06/2016
https://doi.org/10.3917/rfas.162.0253
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