Introduction
1 Le fardeau épidémiologique représenté par les troubles mentaux est conséquent : ils affectent un individu sur trois au cours de la vie et représenteront la première cause de perte de qualité de vie d’ici 2020 (Murray et al., 2012 ; Murray et Lopez, 1997 ; Organisation mondiale de la santé, 2005, 2002). En France, où le taux de suicide est l’un des plus élevés d’Europe, les données de prévalence nationale sont rares, mais il est estimé que les troubles mentaux représentent 14 % du fardeau total de l’ensemble des maladies et qu’ils constituent la première cause d’invalidité (Cuerq et al., 2008 ; Organisation de coopération et de développement économique, 2011 ; Organisation mondiale de la santé, 2012). Le coût de la prise en charge sanitaire des troubles mentaux équivalait par ailleurs à 8 % des dépenses totales de santé en 2007, et ces troubles représentaient le premier poste de dépenses de l’assurance maladie en 2011 (Assurance maladie, 2013 ; Chevreul et al., 2012b). Malgré ce fardeau significatif, peu d’attention a été accordée aux troubles mentaux pendant de nombreuses années, et la recherche sur les pathologies psychiatriques reste encore insuffisamment financée en comparaison avec les autres pays européens (Chevreul et al., 2012a ; Gandré et al., 2015).
2 La France bénéficie pourtant d’une organisation des soins psychiatriques considérée comme innovante, car elle est la première à avoir initié la sectorisation dans une logique intégrative et égalitaire (Coldefy et al., 2009 ; Piel et Roelandt, 2001), malgré des insuffisances liées à des critères non homogènes de découpage des secteurs et des difficultés dans la coordination des prises en charge ambulatoires (Massé et Vigneron, 2006 ; Piel et Roelandt, 2001). Si les secteurs psychiatriques français ne sont aujourd’hui plus définis par leur dimension géo-démographique, ils conservent leur dimension fonctionnelle dans l’organisation interne de l’hôpital (Cour des comptes, 2011 ; loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, 2009). Dans ce contexte organisationnel en évolution, un des défis majeurs du système de soins est de permettre l’accès à des soins de qualité. L’amélioration de la qualité des soins psychiatriques est ainsi une priorité des décideurs politiques dans de nombreux pays, qui ne considèrent plus l’hospitalo-centrisme comme incontournable et développent les prises en charge alternatives. C’est le cas, par exemple, de l’Italie, de la Norvège, du Danemark ou du Royaume-Uni (Jacobs et Barrenho, 2011 ; Organisation de coopération et de développement économique, 2013a). En France, le développement des alternatives à l’hospitalisation à temps plein (AHTP) en milieu hospitalier – définies ici comme l’ensemble des prises en charge en hospitalisation à temps complet hors hospitalisation à temps plein, ainsi que l’hospitalisation à temps partiel et l’ambulatoire en milieu hospitalier – reste faible. Ainsi, en 2011, l’ensemble des établissements assurant une prise en charge hospitalière en psychiatrie proposait 55 390 lits d’hospitalisation à temps plein en psychiatrie générale contre 6 290 lits ou places en alternatives à l’hospitalisation à temps plein en temps complet (tels que les appartements thérapeutiques ou le placement familial thérapeutique) et 18 970 places en hospitalisation à temps partiel de jour ou de nuit (DREES, 2013). Si le Plan psychiatrie et santé mentale 2011-2015 souligne la nécessité du développement des AHTP, une évaluation menée par la Cour des comptes, en 2011, a montré que le développement de ces alternatives était freiné par les réticences des professionnels. Ces réticences seraient dues à une absence de consensus quant à leurs bénéfices liée à des « courants parfois antagonistes » divisant les professionnels (Cour des comptes, 2011).
3 Des premiers travaux étrangers ont pourtant montré l’existence d’un bénéfice des AHTP, en particulier en termes de réduction de la fréquence et de la durée des hospitalisations, d’amélioration de la qualité de vie, des résultats cliniques et de l’observance, ainsi que d’accessibilité, de continuité des soins et de satisfaction des usagers (Creed et al., 1990 ; Johnson et al., 2008 ; Ryu et al., 2006 ; Schene et al., 1993 ; Sharifi et al., 2012). La spécificité des structures de soins étudiées rend cependant difficile la transposition des résultats issus de travaux de recherche étrangers au contexte français. Il apparaît donc primordial de développer les recherches conduisant à obtenir des données sur le bénéfice des AHTP en France, en étudiant leur lien avec la variabilité de la qualité des prises en charge, qui peut remettre en cause l’équité et l’efficience du système de santé. Cette problématique est d’autant plus importante que les thématiques liées à la qualité des soins en psychiatrie constituent une préoccupation majeure des instances publiques (Haute Autorité de santé, « Programme psychiatrie et santé mentale de la HAS », 2014). Le manque d’outils et de données scientifiques pour développer une organisation des soins adaptée aux besoins de santé mentale à l’échelle nationale a par ailleurs été mis en évidence par plusieurs rapports institutionnels (Conseil économique, social et environnemental, 2012 ; Cour des comptes, 2011 ; Couty, 2009).
4 Le travail présenté ci-après cherche ainsi à répondre à deux objectifs principaux :
- objectiver les variations des critères illustrant la qualité des prises en charge dans les secteurs français de psychiatrie générale,
- mettre en évidence, de façon préliminaire à une analyse multivariée, un lien éventuel entre le niveau de développement des AHTP et les variations des critères illustrant la qualité de la prise en charge.
Méthode
5 Cette étude est une étude rétrospective utilisant des données médico-administratives sur les prises en charge des patients dans les secteurs de psychiatrie générale et des données d’enquêtes sur leurs établissements de rattachement. Elle a été réalisée au niveau du secteur de psychiatrie générale en faisant l’hypothèse, soutenue par les professionnels de terrain, que les variations sont plus importantes entre secteurs qu’entre établissements.
Critères d’inclusion
6 En raison de modes d’organisation différents entre la psychiatrie générale, la psychiatrie infanto-juvénile et la psychiatrie pénitentiaire, nous avons fait le choix de nous concentrer sur la psychiatrie générale. De même, du fait des différences d’activités entre établissements publics et privés, nous n’avons inclus que les établissements publics et les établissements privés d’intérêt collectif (ESPIC) participant aux missions de service public, qu’il s’agisse d’établissements spécialisés en psychiatrie ou d’établissements généraux avec une autorisation d’exercer en psychiatrie. N’ont été inclus que les établissements situés en France métropolitaine et présents dans le Recueil d’informations médicalisé en psychiatrie (RIM-P) qui permet d’obtenir des informations détaillées sur les séjours des patients dans les établissements de santé ayant une activité en psychiatrie. Cette étude a été conduite pour l’année 2012, qui correspond à la dernière année disponible dans les bases de données considérées au moment de l’initiation de ce travail.
Critères d’exclusion
7 Les séjours réalisés dans des établissements ayant un taux de cohérence inférieur à 80 % entre le nombre de journées de prise en charge en hospitalisation à temps plein rapporté dans le RIM-P et celui déclaré dans la statistique annuelle des établissements de santé (SAE) – base comportant des données d’activité agrégées par établissement – ont été exclus afin de ne travailler que sur des données de qualité. De même, les séjours réalisés dans des établissements n’ayant rapporté que leurs données relatives aux hospitalisations et non aux prises en charge ambulatoires n’ont pas été considérés dans l’étude. Nous avons également exclu les séjours effectués dans des établissements pour lesquels les données sur la répartition des ressources humaines entre l’hospitalisation à temps plein et les AHTP en termes de nombre d’équivalents temps plein (ETP) de personnel n’étaient pas disponibles ou étaient aberrantes. À toutes les étapes, nous avons vérifié si les caractéristiques principales des établissements retenus dans l’analyse différaient significativement de celles des établissements exclus.
8 Enfin, pour la description de la variabilité des critères illustrant la qualité des prises en charge, nous avons exclu les établissements pour lesquels le taux de cohérence en nombre de journées d’hospitalisation à temps plein ne pouvait être extrapolé au secteur, c’est-à-dire ceux où le nombre de secteurs de psychiatrie générale renseigné dans le RIM-P ne correspondait pas à celui renseigné dans la SAE.
Population d’intérêt
9 Nous n’avons considéré que les séjours psychiatriques des patients ayant eu au moins un diagnostic de trouble psychiatrique, selon le chapitre V de la Classification internationale des maladies 10e version (CIM-10), au cours de leur prise en charge sur l’année considérée.
10 Nous avons exclu les patients ayant eu au moins un diagnostic de troubles mentaux organiques, de retard mental ou de troubles du développement psychologique – hors troubles envahissants du développement – ou pour lesquels aucun diagnostic n’était renseigné au cours de l’année considérée. Les diagnostics retenus (tableau 1) couvrent le champ de la santé mentale, tel que défini à l’échelle européenne (Haro et al., 2014) et correspondent au champ classique d’exercice de la psychiatrie en France.
Liste des groupes diagnostiques utilisés selon la CIM-10

Liste des groupes diagnostiques utilisés selon la CIM-10
Critères décrivant les prises en charge et illustrant leur qualité
11 À l’heure actuelle, il n’existe pas d’indicateur unique reconnu internationalement pour juger de la qualité de la prise en charge en psychiatrie. Des études précédentes ont néanmoins montré que plusieurs variables, disponibles à partir des informations collectées dans les bases médico-administratives et ne demandant pas une charge de travail additionnelle pour les cliniciens, étaient associées aux résultats cliniques des patients souffrant de troubles mentaux. Elles peuvent être utilisées comme un faisceau d’indices pour illustrer la qualité des prises en charge, et les professionnels soutiennent une utilisation accrue de ce type de variables en psychiatrie (Rosenheck et al., 1999 ; Valenstein et al., 2004 ; Wobrock et al., 2009). Il a ainsi été montré pour un grand nombre de pathologies qu’une durée de séjour significativement plus élevée était associée à des soins de mauvaise qualité, alors qu’une durée de séjour moyenne plus courte reflétait une meilleure prise en charge globale (Thomas et al., 1997). Dans la littérature scientifique, les ré-hospitalisations sont également l’un des indicateurs de qualité des soins les plus employés dans l’ensemble des spécialités médicales (Ashton et al., 1997 ; Benbassat et Taragin, 2000 ; Courtney et al., 2003 ; Department of Health, 1999 ; Sabatino et al., 1992 ; Weissman et al., 1999), et tout particulièrement en psychiatrie (Byrne et al., 2010 ; Centre pour l’évaluation et l’amélioration de la qualité en santé mentale, 2015 ; Comité national pour l’assurance qualité, 1993 ; Eisen, 2005 ; Hermann, 2006 ; Hermann et al., 2004 ; Organisation de coopération et de développement économique, 2013a, 2013b, 2012 ; Sharifi et al., 2012). Des travaux de recherche ont par ailleurs souligné que les ré-hospitalisations précoces, à savoir peu de temps après l’hospitalisation initiale, permettaient de mieux évaluer la qualité de la prise en charge initiale que les ré-hospitalisations à plus long terme, davantage influencées par l’évolution naturelle de la maladie (Craig et al., 2000 ; Heggestad, 2001 ; Heggestad et Lilleeng, 2003 ; Zilber et al., 2011). La majorité des travaux portant sur la qualité des soins dans toutes les spécialités médicales ont considéré les ré-hospitalisations à trente jours. Ce délai est en effet suffisamment long pour inclure les pics de ré-hospitalisations se produisant peu de temps après l’hospitalisation initiale et suffisamment court pour limiter l’impact de facteurs autres que la qualité des soins sur les ré-hospitalisations (Benbassat et Taragin, 2000 ; Rumball-Smith et Hider, 2009). Par ailleurs, le nombre de ré-hospitalisations semble se stabiliser après ce délai (Chambers et Clarke, 1990 ; SINTEF [2], 1999). Enfin, une prise en charge de qualité doit tendre à favoriser le libre recours aux soins, et des travaux de recherches incluent donc également la fréquence des hospitalisations sans consentement comme un indicateur de la qualité des soins (Center for Quality Assessment and Improvement in Mental Health – CQAIMH, n.d. ; Hermann, 2006).
12 En nous référant à ces études et à la nécessité, soulignée par des travaux précédents (Durbin et al., 2007 ; Valenstein et al., 2004), d’étudier conjointement plusieurs critères, nous avons utilisé un ensemble de variables décrivant la prise en charge et illustrant sa qualité. Ces critères sont les valeurs par secteurs de la durée moyenne de séjour (DMS) en hospitalisation à temps plein, du taux de ré-hospitalisation à trente jours en hospitalisation à temps plein, du taux d’hospitalisation à temps plein et du taux d’hospitalisation sans consentement à temps plein.
13 La DMS en hospitalisation à temps plein des secteurs peut être calculée pour les patients hospitalisés à temps plein ou pour l’ensemble des patients pris en charge par le secteur, quel que soit leur mode de prise de charge. La première méthode permet de caractériser la prise en charge des patients hospitalisés à temps plein, tandis que la deuxième tient compte de la répartition des patients entre hospitalisation à temps plein et alternatives dans le secteur. Du fait de leur complémentarité, nous les avons considérées toutes les deux. De même, les taux d’hospitalisation et d’hospitalisation sans consentement à temps plein par secteurs peuvent être calculés pour les patients pris en charge par le secteur ou pour l’ensemble de la population desservie par le secteur.
14 Les critères de jugement sélectionnés ont été calculés à partir du RIM-P 2012 après obtention d’une autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (décision DE-2013-077). Les patients ont été identifiés à partir de leur numéro d’identification permanent (IPP) dans une entité donnée et du Fichier national des établissements sanitaires et sociaux (FINESS) de l’entité juridique pour les établissements publics (ou du FINESS de l’entité géographique pour les établissements privés).
15 Les taux d’hospitalisation et d’hospitalisation sans consentement ont été calculés pour 1 000 patients ou pour 1 000 habitants de la zone de chalandise desservie par les secteurs. Dans ce dernier cas, les zones de chalandise, définies comme la zone géographique d’où proviennent les patients du secteur, ont été construites à partir des codes géographiques des patients extraits du RIM-P. Les codes géographiques ont été convertis en données spatiales grâce au système d’information géographique Geoconcept®. Ces projections cartographiques nous ont permis de fixer un seuil minimum de patients pour inclure le code géographique dans la zone de chalandise du secteur, afin de ne pas prendre en compte les quelques patients isolés provenant de localisations lointaines (hospitalisation lors de vacances ou de déplacements professionnels par exemple), qui introduiraient un biais dans le calcul des variables déterminées au niveau de la zone de chalandise.
16 Pour les soins sans consentement, nous n’avons considéré que les secteurs rattachés à des établissements autorisés à réaliser ce type de soins dans le cadre d’une mission de service public.
Niveau de développement des alternatives à l’hospitalisation à temps plein
17 Le développement des AHTP a été estimé par le ratio du nombre d’ETP en AHTP sur le nombre total d’ETP dans l’établissement de rattachement des secteurs pour l’ensemble des professionnels (psychiatres, médecins non psychiatres, infirmiers et cadres, aides-soignants, psychologues, personnels de rééducation et personnels éducatifs et sociaux), soit :

19 Le nombre d’ETP total et le nombre d’ETP en hospitalisation à temps plein ont été extraits de la SAE. Néanmoins, cette base comporte de nombreuses données manquantes, en particulier pour les ETP de personnels paramédicaux hors infirmiers et cadres. Pour les établissements où les ETP de toutes les professions n’étaient pas renseignés, nous avons émis l’hypothèse que le ratio calculé sur l’ensemble des professionnels était similaire au ratio calculé à partir des psychiatres, infirmiers et cadres, et ce après avoir vérifié que les moyennes des ratios mesurés par ces deux méthodes n’étaient pas significativement différentes et possédaient une forte corrélation. Quand les données relatives aux autres professions étaient manquantes, nous avons donc calculé le ratio des ETP à partir des ETP totaux et des ETP alloués à l’hospitalisation à temps plein des psychiatres et des infirmiers et cadres.
Analyse
20 Les caractéristiques principales des patients, des secteurs et des établissements inclus dans notre étude ont été décrites par des approches numériques (effectif, fréquence, moyenne, etc.). Du fait des objectifs de notre étude, une attention particulière a été portée au niveau de développement des AHTP pour lequel des graphiques complémentaires ont été générés (waterfall plot). Nous avons par ailleurs étudié la variation du niveau de développement des AHTP en fonction du statut juridique des établissements (public ou ESPIC), de leur spécialisation – spécialisé ou non en psychiatrie – et de leur activité universitaire, calculée approximativement par la présence d’ETP ayant un statut hospitalo-universitaire dans les données de la SAE.
21 Afin d’objectiver la variabilité des critères illustrant la qualité des prises en charge, nous avons conduit une analyse univariée à l’aide de la moyenne, de l’écart-type, de la médiane, de l’écart interquartile et de l’étendue. Nous avons également calculé pour chaque variable un coefficient de variation (CV) – rapport entre l’écart-type calculé sur l’ensemble des secteurs considérés et la moyenne calculée sur ce même ensemble – qui, n’ayant pas d’unité, permet de comparer les variations de différentes variables (Abdi, 2010). Cependant, le coefficient de variation est influencé par les valeurs extrêmes et peut donc entraîner une surestimation des variations, si quelques secteurs présentent des différences majeures par rapport aux autres. Nous avons donc interprété ce coefficient conjointement avec le ratio entre les 90e et 10e percentiles de la distribution de chaque variable considérée, qui limite l’impact des valeurs extrêmes (Organisation de coopération et de développement économique, 2014).
22 Nous avons étudié le lien entre la variabilité des critères illustrant la qualité des prises en charge et le niveau de développement des AHTP par une analyse bivariée. Le niveau de développement des AHTP a été considéré à la fois comme une variable continue et comme une variable catégorielle (après découpage en quartiles), afin d’étudier l’existence d’une éventuelle évolution non linéaire. Dans un premier temps, nous avons réalisé des graphiques représentant la variabilité de chaque critère illustrant la qualité en fonction du développement des AHTP et nous avons calculé les coefficients de la courbe de tendance associée. Dans un second temps, nous avons étudié la significativité des associations, en utilisant les tests statistiques adaptés à la nature et à la distribution des variables (test de corrélation de Pearson ou de Spearman, analyse de variance ou test de Kruskal-Wallis). Pour tous les tests, nous avons utilisé un seuil de significativité statistique de 0,05. L’analyse statistique a été conduite avec le logiciel SAS version 9.3 (SAS Institute Inc, Cary, NC, USA).
Résultats
23 Sur les 255 établissements publics et ESPIC répertoriés dans le RIM-P en 2012, 135 répondaient à nos critères d’inclusion et d’exclusion généraux (tableau 2). Leurs caractéristiques principales sont présentées dans le tableau 3. Pour 122 d’entre eux, correspondant à 413 secteurs de psychiatrie générale, le taux de cohérence en nombre de journées d’hospitalisation à temps plein pouvait être extrapolé au secteur.
24 578 438 patients étaient pris en charge dans ces établissements, après exclusion de 122 869 patients n’ayant aucun diagnostic renseigné et de 159 978 patients ayant au moins un diagnostic d’exclusion sur la période considérée. 209 903 séjours – correspondant à 122 706 patients – comportaient une hospitalisation à temps plein. L’âge moyen des patients était de quarante-huit ans et 53 % étaient de sexe féminin (contre 46 % pour les patients hospitalisés au moins une fois en hospitalisation à temps plein). Les troubles les plus fréquents étaient les troubles anxieux – 26 % des patients – et les troubles de l’humeur hors troubles bipolaires – 25 % des patients. Les patients ayant au moins un séjour en hospitalisation à temps plein étaient plus souvent diagnostiqués comme souffrant de troubles psychiatriques multiples et de schizophrénie que l’ensemble des patients.
25 La valeur moyenne du ratio des ETP alloués aux AHTP sur les ETP totaux par établissement était de 0,33. Il variait dans un rapport de un à neuf entre établissements (tableau 4 et figure 1). Par ailleurs, il n’existait pas de différence significative dans le niveau de développement des AHTP selon le statut juridique des établissements, leur spécialisation ou leur activité universitaire.
Sélection des établissements retenus pour l’analyse*

Sélection des établissements retenus pour l’analyse*
* La sélection est présentée par étape : ainsi, pour chaque ligne, il s’agit du nombre d’établissements présentant ce critère et répondant également au(x) critère(s) précédent(s).Caractéristiques des établissements inclus dans l’analyse

Caractéristiques des établissements inclus dans l’analyse

Position de chaque établissement par rapport aux valeurs moyenne, médiane, de la limite supérieure du premier quartile (Q1) et de la limite inférieure du dernier quartile (Q3) du niveau de développement des AHTP

Position de chaque établissement par rapport aux valeurs moyenne, médiane, de la limite supérieure du premier quartile (Q1) et de la limite inférieure du dernier quartile (Q3) du niveau de développement des AHTP
Durée moyenne de séjour en hospitalisation à temps plein
DMS des patients hospitalisés à temps plein
26 La DMS par secteur des patients hospitalisés à temps plein était en moyenne de 36,0 jours. Les variations entre secteurs étaient importantes : la DMS variait ainsi entre 11,0 et 247,9 jours et présentait un coefficient de variation supérieur à 60 %. Ces variations ne résultaient pas uniquement de l’existence de secteurs avec des DMS extrêmes, car le ratio entre le 90e et le 10e percentile de la distribution était supérieur à 3 (tableau 5).
27 L’analyse par quartile montre une association négative entre la DMS par secteur et le niveau de développement des AHTP (tableau 6). Cette tendance retrouvée lorsque l’on étudie la DMS considérée en variable continue n’est cependant pas significative au seuil de 5 % (figure 2).
Variabilité des critères illustrant la qualité des prises en charge

Variabilité des critères illustrant la qualité des prises en charge
Variations des critères illustrant la qualité des prises en charge en fonction des quartiles du niveau de développement des AHTP

Variations des critères illustrant la qualité des prises en charge en fonction des quartiles du niveau de développement des AHTP
DMS de l’ensemble des patients pris en charge
28 La DMS en hospitalisation à temps plein de l’ensemble des patients pris en charge dans le secteur était en moyenne de 7,0 jours. Ses variations (entre 0,4 et 56,4 jours) étaient du même ordre de grandeur que celles de la DMS des patients hospitalisés à temps plein. En effet, le CV était proche de 70 % (tableau 5).
29 Elle diminuait de façon significative avec le niveau de développement des AHTP (p < 0,0001) ainsi qu’avec les quartiles de cette variable (tableau 6).
Taux de ré-hospitalisation à 30 jours en hospitalisation à temps plein
30 Le taux de ré-hospitalisation à trente jours en hospitalisation à temps plein par secteurs était en moyenne de 22,8 % et variait entre 0 et 68,7 %. Le ratio entre le 90e et le 10e percentile de la distribution était proche de 4 (tableau 5).
31 Une tendance (p = 0,0479) à l’augmentation de ce taux avec le développement des AHTP était observée (figure 2), et l’analyse par quartile montrait une valeur maximale du taux de ré-hospitalisation pour le deuxième quartile (tableau 6).
Taux d’hospitalisation à temps plein
Taux d’hospitalisation à temps plein de la population desservie
32 Le taux d’hospitalisation à temps plein pour 1 000 habitants de la zone de chalandise des secteurs était en moyenne de 0,76. Il présentait des variations majeures entre secteurs avec des valeurs allant de 0,01 à 4,98. Par ailleurs, le ratio entre le 90e et le 10e percentile de la distribution était égal à 7.
33 Ce taux diminuait de façon significative avec le développement des AHTP considéré en continu – p = 0,0027 – (figure 2) ou en quartiles (tableau 6).
Taux d’hospitalisation à temps plein des patients pris en charge
34 Le taux d’hospitalisation à temps plein pour 1 000 patients pris en charge dans le secteur était en moyenne de 208,2. Il variait entre 18,1 et 912,6, mais ses variations étaient inférieures à celles du taux d’hospitalisation de la population desservie – CV 1,5 fois inférieur – (tableau 5).
35 Il diminuait de façon significative avec l’augmentation du développement des AHTP considéré comme une variable continue – p < 0,0001 – ou en quartiles (tableau 6).
Taux d’hospitalisation à temps plein sans consentement
Taux d’hospitalisation à temps plein sans consentement de la population desservie
36 Le taux d’hospitalisation à temps plein sans consentement pour 1 000 habitants de la zone de chalandise des secteurs était en moyenne de 0,22 et variait entre 0,001 et 1,35. Le ratio entre le 90e et le 10e percentile de la distribution était proche de 11 (tableau 5).
37 Une tendance non significative à la diminution du taux d’hospitalisation à temps plein sans consentement était observée avec l’augmentation du niveau de développement des AHTP considéré comme une variable continue – p = 0,1823 – (figure 2) ou en quartiles (tableau 6).
Taux d’hospitalisation à temps plein sans consentement des patients pris en charge
38 Le taux d’hospitalisation à temps plein sans consentement pour 1 000 patients pris en charge dans le secteur était en moyenne de 67,5 et variait entre 0,4 et 355,2. L’ampleur des variations inter-secteurs était inférieure à celle observée pour le taux d’hospitalisation sans consentement de la population desservie (tableau 5).
39 De façon similaire, la tendance à la diminution retrouvée avec l’augmentation du niveau de développement des AHTP n’était pas significative lorsque cette variable était considérée en continu – p = 0,2250 – (figure 2) ou en quartiles (tableau 6).
Variations des critères illustrant la qualité en fonction du niveau de développement des AHTP



Variations des critères illustrant la qualité en fonction du niveau de développement des AHTP
Discussion
40 Des variations importantes entre secteurs de psychiatrie générale ont été observées pour les critères illustrant la qualité des prises en charge psychiatriques. Elles sont particulièrement élevées pour les taux d’hospitalisation à temps plein et sans consentement de la population desservie. La valeur élevée des ratios, entre les 90e et 10e percentiles des distributions des variables, suggère que ces variations ne résultent pas uniquement de quelques secteurs isolés, mais représentent un risque potentiel pour l’efficience et l’équité des soins à grande échelle. Les variations des critères illustrant la qualité des prises en charge observées dans notre étude sont similaires à celles mises en évidence dans d’autres pays. Ainsi, les variations du taux d’hospitalisation à temps plein sont proches de celles observées au Royaume-Uni, aussi bien entre zones géographiques de petite taille (Kammerling et O’Connor, 1993 ; Thompson et al., 2004) qu’entre producteurs de soins (Comité d’audit britannique, 2010), et les variations de la durée de séjour en hospitalisation à temps plein sont proches de celles observées aux États-Unis (Fortney et al., 1996).
41 Nos résultats montrent qu’il existe une association entre certaines de ces variations et le niveau de développement des AHTP. Lorsque ce dernier augmente, on constate une diminution significative de la DMS en hospitalisation à temps plein des patients pris en charge ainsi que du taux d’hospitalisation à temps plein, tant pour les patients pris en charge que pour la population desservie par le secteur. Une association significative est également observée avec la DMS et le taux de ré-hospitalisation à 30 jours des patients hospitalisés à temps plein. Cependant, ces deux dernières associations ne sont retrouvées que lorsqu’on considère les quartiles du niveau de développement des AHTP, suggérant une relation non linéaire entre les variables.
42 Il est intéressant de constater que des associations significatives avec le niveau de développement des AHTP sont retrouvées pour les critères illustrant la qualité, considérés sur l’ensemble de la population prise en charge par le secteur. Ceci pourrait illustrer un changement de pratique au sein même des secteurs : les patients seraient plus pris en charge en AHTP, ce qui serait associé à une moindre hospitalisation à temps plein. Cette hypothèse est corroborée par la diminution de la DMS et du taux d’hospitalisation à temps plein de l’ensemble des patients pris en charge par le secteur. Elle est également étayée par le fait que nous n’observons pas de diminution du taux de ré-hospitalisation à trente jours à temps plein avec l’augmentation du développement des AHTP. Ainsi, les patients les plus sévères, plus susceptibles d’être ré-hospitalisés, resteraient en plus grande proportion pris en charge en hospitalisation à temps plein.
43 Notre étude est la première à s’intéresser à l’impact du niveau de développement des AHTP sur les critères illustrant la qualité des prises en charge, dans le contexte français et à l’échelle nationale, en utilisant les bases de données administratives mises à la disposition des chercheurs dans le champ de la santé mentale. Nos résultats doivent cependant être interprétés à la lumière de plusieurs limites. Certaines sont liées aux données utilisées, d’autres sont d’ordre méthodologique.
44 La principale limite liée aux données est l’utilisation rétrospective de bases de données administratives, considérées comme moins précises que les données issues d’études prospectives (Euser et al., 2009). Elle constitue néanmoins la façon la plus efficace d’obtenir des données à grande échelle au moindre coût et permet un recueil des données non invasif pour les patients et non chronophage pour les cliniciens (Gandhi et al., 1999). Les limites liées à l’utilisation du RIM-P ont été soulignées précédemment (Cour des comptes, 2011), bien qu’il soit estimé que la qualité des données collectées ne cesse d’augmenter au cours du temps (Coldefy et al., 2012). Par ailleurs, afin de contrôler la qualité des données introduites dans notre analyse, nous avons comparé les informations issues du RIM-P avec celles présentes dans les autres bases de données, en particulier la SAE, dès que cela était possible.
45 Il existe également des limites liées à l’exhaustivité des données, notamment perceptibles dans le nombre restreint de secteurs ayant pu être inclus dans l’analyse en raison de nombreuses données manquantes dans la SAE. Il est possible que la validité externe de nos résultats et leur extrapolation à l’ensemble des secteurs de psychiatrie générale s’en trouvent limitées. De même, il existe également des limitations liées à la précision des données : ainsi les informations présentes dans le RIM-P ne permettent pas de distinguer les ré-hospitalisations planifiées – qui ne sont pas la conséquence d’une mauvaise qualité de prise en charge, mais d’une stratégie thérapeutique – de celles qui ne le sont pas, mais cette limite n’est pas propre aux bases françaises et a déjà été soulignée dans des études internationales (Organisation de coopération et de développement économique, 2013a). De plus, aucune information n’est disponible dans la SAE quant à la répartition des ETP entre les types d’AHTP : il n’est ainsi pas possible de déterminer, à partir des bases actuelles, si les ETP dédiés aux alternatives le sont majoritairement pour des alternatives en hospitalisation à temps complet, en hospitalisation à temps partiel ou en ambulatoire. De la même façon, nous n’avons pas pu obtenir d’informations sur le niveau de développement des AHTP dans les différents secteurs d’un établissement, car les dernières données disponibles relatives à leurs ETP datent de 2003 et ne peuvent pas être ajustées de façon robuste à notre année d’étude.
46 Les limites d’ordre méthodologique sont essentiellement liées au fait que les différences potentielles de populations desservies ou prises en charge entre secteurs ne sont pas prises en compte. Des différences dans leurs caractéristiques démographiques et cliniques (en particulier en termes de sévérité des troubles) peuvent en effet expliquer une part des variations observées. Enfin, nous avons fait le choix d’utiliser le couple FINESS-IPP pour identifier les prises en charge d’un même patient, plutôt que l’identifiant national, le numéro anonyme. Or, l’IPP ne permet pas d’identifier les prises en charge d’un même patient au sein d’un autre établissement, car il est propre au système d’information de chaque établissement. Cependant cette limite nous a semblé moins importante que celle engendrée par l’utilisation du numéro anonyme qui ne permet pas de faire le lien entre les prises en charge hospitalières et ambulatoires d’un même patient, contrairement à l’IPP. Ce choix méthodologique est par ailleurs soutenu par le fait que la part des patients pris en charge dans plusieurs établissements est estimée comme étant minoritaire en psychiatrie (Coldefy et al., 2012).
47 Malgré ces limites, notre travail figure parmi les rares études mobilisant les bases de données actuelles dans le domaine de la santé mentale, et s’il permet d’en souligner les manques, il en démontre également l’utilité. Bien que le manque d’investissement de ces bases par les chercheurs soit à déplorer, l’amélioration de la qualité des données collectées au cours du temps pourra contribuer à en augmenter l’exploitation et à produire des connaissances scientifiques pour appuyer l’aide à la décision publique. Cette évolution doit être maintenue et soutenue par les pouvoirs publics, par le biais de mesures incitatives auprès des établissements de santé, afin de les encourager à transmettre leurs données.
48 L’analyse descriptive présentée ici propose un état des lieux des variations des critères illustrant la qualité des prises en charge et de leur lien avec le niveau de développement des AHTP en France métropolitaine, sur lesquels peu de données étaient disponibles jusqu’alors. Elle démontre par ailleurs la variabilité importante de la qualité des prises en charge psychiatriques, justifiant le développement de travaux de recherche complémentaires, ainsi qu’une attention soutenue des pouvoirs publics pour limiter les risques d’iniquité et d’inefficience découlant de cette variabilité. S’il n’est pas possible de conclure de façon définitive sur l’association entre qualité des prises en charge et développement des AHTP au stade de l’analyse bivariée, notre travail constitue une étape préliminaire à une modélisation multivariée, qui permettra de déterminer si une association significative apparaît après ajustement sur les autres facteurs potentiellement associés à ces critères. Ainsi, la mise en œuvre de modélisations multivariées permettra de prendre en compte les différences existant entre les populations desservies ou prises en charge, ainsi que les caractéristiques institutionnelles et organisationnelles des producteurs de soins et de leur environnement (notamment en termes d’offre sanitaire et médico-sociale disponible). Par ailleurs, il sera particulièrement intéressant de tenter d’expliquer les variations des ré-hospitalisations en hospitalisation à temps plein à 30 jours, en fonction du niveau de développement des AHTP, en ajustant sur le taux d’hospitalisation à temps plein. Cela permettra de confirmer notre hypothèse quant au fait que seuls les patients les plus sévères, plus susceptibles d’être ré-hospitalisés, sont hospitalisés à temps plein. Un ajustement sera également réalisé sur la durée de séjour en hospitalisation à temps complet (y compris en alternatives à l’hospitalisation à temps plein) pour déterminer si les patients pris en charge en AHTP au cours de leur séjour sont moins ré-hospitalisés que les autres. Cette approche quantitative pourra être complétée par des études qualitatives menées auprès des différents acteurs de la santé mentale en France. Ces approches combinées permettront d’éclairer les décideurs publics, les gestionnaires d’établissements et les professionnels de santé sur le juste niveau de répartition des moyens entre l’hospitalisation à temps plein et les alternatives pour améliorer la qualité des prises en charge en psychiatrie. Elles faciliteront ainsi l’acceptabilité du développement des AHTP, en levant les barrières inhérentes au manque de consensus quant à son bien-fondé en France. Par ailleurs, elles mettront en évidence d’autres facteurs associés à la qualité des prises en charge, tels que le contexte socio-économique ou la disponibilité des solutions d’aval, qui pourront être pris en compte pour mieux organiser l’offre de soins de santé mentale.
Notes
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[1]
L’ordre de présentation a été défini par les auteurs.
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[2]
Stiftelsen for industriell og teknisk forskning, Fondation norvégienne pour la recherche scientifique et industrielle.