Introduction
1 En Suisse, comme en France, force est de constater que les secteurs social et sanitaire peinent à coordonner leurs actions. Des réponses globales commencent à émerger, par exemple la constitution de la filière de psychiatrie adulte dans le canton de Vaud (Antille et Resplendino, 2013), qui vise à coordonner l’accompagnement des usagers entre les services de soins, les établissements offrant de l’hébergement et les structures sociales et de réinsertion autour du modèle du rétablissement. Néanmoins, ces réponses globales ne sauraient se passer de collaborations locales et concrètes. Ainsi, depuis plusieurs années, la Fondation de Nant – responsable de l’organisation des soins psychiatriques du secteur est-vaudois – collabore de diverses façons avec l’antenne est-vaudoise du Groupe d’accueil et d’action psychiatrique-Fondation (GRAAP-Fondation). Récemment, des projets de déménagement et de restructuration des deux institutions les ont amenées à réfléchir au renforcement de leur collaboration.
2 En particulier, les réflexions communes entre les auteurs de l’article – l’infirmier chef de l’une des structures intermédiaires de Nant, le chef de l’antenne est-vaudoise du GRAAP-Fondation et une sociologue alors employée de Nant – nous ont conduits à mettre sur pied une recherche-intervention avec un volet quantitatif descriptif et un volet qualitatif. L’objectif était de mieux comprendre la manière dont sont vécues les transitions entre les structures intermédiaires de Nant et le GRAAP-Fondation par les usagers, afin d’en dégager des pistes de renforcement et d’amélioration de notre collaboration. Ces dernières ont souvent été proposées par les usagers, situant les entretiens entre entretien de recherche classique et processus de consultation des usagers en tant qu’« experts par expérience » (Boevink, 2012 ; Lampshire, 2012). Par là même, nous nous sommes engagés, en tant que professionnels, dans une dynamique de co-construction avec les usagers. Après une brève description des structures intermédiaires de Nant et du GRAAP-Fondation ainsi que de leurs collaborations préexistantes, nous présenterons la démarche et les résultats de notre recherche-intervention. Enfin, nous présenterons les perspectives d’avenir de notre collaboration interinstitutionnelle.
Les unités intermédiaires de la Fondation de Nant (Unité de réhabilitation thérapeutique – URT et Centre thérapeutique de jour – CTJ)
Histoire
3 La Fondation de Nant est un établissement psychiatrique privé qui a reçu de l’État [1] la mission d’assurer les prestations de psychiatrie publique du secteur est-vaudois (180 000 habitants). En 1961 déjà, lorsqu’elle s’organise en fondation, ses statuts prévoient le rétablissement [2] des patients comme l’un des principaux objectifs. Dix ans plus tard, le projet de l’établissement se formalise dans une approche plus psychodynamique que médicale, dont l’objectif n’est pas la réduction symptomatique ou l’adaptation sociale, mais le confort de vie et l’équilibre psychique en respectant la volonté du patient. Pour favoriser le rétablissement et articuler les soins dans une logique de trajectoire entre les différentes unités, la psychiatrie intermédiaire est créée dans les années 1980. Elle se compose de trois unités, dont l’Unité de réhabilitation thérapeutique (URT) et le Centre thérapeutique de jour (CTJ). Les équipes de ces unités sont constituées de six infirmiers, d’un médecin chef et d’une psychologue psychothérapeute.
L’URT et le CTJ
4 L’URT et le CTJ sont deux unités qui visent une réhabilitation interne et sociale du patient (Linder et Bussy, 2014 ; Heller Miazza et Bussy, 2014). Par leur organisation inspirée du modèle de la communauté thérapeutique et de la psychothérapie institutionnelle (Sassolas, 2011), elles allient approches psychanalytique et psychosociale au travers d’une double finalité : la transformation psychique et la reconstruction de l’interaction sociale. Au pôle individuel du traitement se joint le pôle socio-environnemental, avec la vie en communauté, l’approche groupale et la prise en compte des aspects concrets de la vie, comme le logement, l’activité professionnelle ou occupationnelle, la pharmacologie et le revenu. Le lien avec les proches est favorisé chaque fois que cela est possible, et ils ont l’occasion d’être entendus durant le traitement. Comme nous l’expliquions dans un précédent article : « la vie de groupe offre à chaque patient la relation avec des pairs, dans un respect inconditionnel de la personne, ce qui est source d’amitié et d’espoir. La position du thérapeute, dans une relation d’ “impouvoir”, consiste à aider le patient à augmenter son pouvoir sur lui-même, et à lui servir de guide vers le groupe-communauté, puis le groupe-société. […] Avant tout, ces unités offrent à tous les patients un environnement approprié, un milieu social tolérant et soutenant qui permet la réalisation d’expériences relationnelles ; un environnement prévisible, mais pas trop, également confrontant et mobilisateur pour favoriser un travail personnel d’implication et de responsabilisation. » (Linder et Bussy, 2014, p. 48.)
5 L’URT comprend quinze lits pour des séjours d’une durée moyenne de quatre mois, suivis fréquemment par un traitement en hôpital de jour selon un programme individualisé. Les patients viennent majoritairement des unités hospitalières de soins aigus. Selon les jours, il peut y avoir jusqu’à trente-cinq patients dans l’unité. Le CTJ s’adresse à des personnes pourvues d’un domicile et capables d’y vivre en autonomie. Cette unité accueille près de cinquante patients pour un traitement au long cours organisé sous forme d’hôpital de jour.
Le Graap-Fondation
Histoire : le Graap-Association
6 En 1987, une assistante sociale réunissait sept personnes souffrant de troubles psychiques ainsi que deux proches pour une soirée de partage autour de la maladie. Cette soirée a été la première d’une longue série, marquant une première réussite du GRAAP : la rupture de l’isolement. En moins de cinq ans, l’association GRAAP a posé les bases de ce qu’elle est encore aujourd’hui : un espace d’entraide et de partage, où chacun est accueilli tel qu’il est, offrant des lieux d’accueil, un service social, de l’information, des ateliers et des animations. Dès le départ, le militantisme a été la pierre angulaire de l’action du GRAAP.
7 Entre 1997 et 2000, le développement de partenariats a permis progressivement d’offrir des prestations sur l’ensemble du canton, réparties en quatre sites. En 2012, l’association GRAAP a constitué le GRAAP-Fondation, qui a repris sa mission et ses valeurs. L’assise juridique de la fondation a permis d’assurer une pérennité du développement des prestations et des activités de l’association, en lien avec une réorganisation structurelle.
Le Graap-Fondation
8 Le GRAAP-Fondation offre des prestations aux personnes en situation de handicap suite à des troubles psychiques, ainsi qu’à leurs proches. Il œuvre pour informer, déstigmatiser et défendre leurs intérêts. Il offre un service social qui apporte conseil, soutien et orientation, des ateliers coopératifs, des animations culturelles, sportives et récréatives. Il publie le magazine Diagonales traitant de santé mentale, organise des conférences-débats et un congrès annuel. Il gère une garderie d’intégration pour favoriser l’apprentissage du français et la vie en groupe des enfants allophones dans une perspective d’intégration scolaire et sociale.
9 Le GRAAP-Fondation fonctionne sur le mode de la gestion participative, impliquant les usagers tant dans la réalisation des prestations que dans des dynamiques citoyennes. Ces dernières se caractérisent par l’inscription du projet individuel de l’usager dans des objets institutionnels en lien avec notre mission, notamment l’entraide et la défense des intérêts des personnes touchées dans leur santé. Ainsi, le mode de gouvernance du GRAAP-Fondation cherche à réconcilier liberté individuelle et pouvoir de l’intelligence collective au service de la mission commune, facilitant la rencontre des personnes au sein d’actions communautaires et offrant à chacun l’occasion d’influer sur son environnement quotidien ou sociétal. L’autodétermination et l’empowerment impliquent également le recours à la dynamique du projet, que celui-ci soit personnel, institutionnel ou citoyen (Daumerie, 2011).
Le centre La Rive à Montreux
10 La Rive est le centre d’accueil pour l’Est vaudois, installé au centre-ville de Montreux. Depuis sa création en juin 2000, il s’est beaucoup développé. À ses débuts, seules trois à cinq personnes venaient donner de leur temps pour la mise en route de l’atelier de mise sous pli. Mais très vite sa fréquentation, ses horaires et ses activités se sont étendus pour devenir ce qu’il est aujourd’hui : un centre aux prestations variées, accueillant plus de soixante personnes. Entre les ateliers coopératifs, le programme d’animation citoyenne et les services d’entraide, La Rive offre l’éventail complet des prestations du GRAAP-Fondation.
Une collaboration socio-sanitaire
11 Ces quinze dernières années, le GRAAP-Fondation et la Fondation de Nant ont développé trois axes principaux de collaboration.
12 Depuis l’an 2000, le service d’entraide sociale du GRAAP-Fondation et les équipes soignantes de l’URT et du CTJ se réunissent à raison d’environ dix rencontres par an, au sujet des suivis des usagers qui fréquentent les deux institutions.
13 Depuis 2011, le GRAAP-Fondation se rend à l’hôpital deux fois par an pour y présenter ses prestations. Sur invitation, le GRAAP-Fondation se rend ponctuellement à l’URT ou au CTJ pour des présentations.
14 Depuis 2014, en prévision d’une réorganisation institutionnelle de Nant et de l’acquisition de nouveaux locaux dans le cadre du développement du centre de Montreux du GRAAP-Fondation, les collaborations entre nos institutions ont été amenées à se renforcer. En toile de fond, on retrouve une volonté commune de renforcer la participation des usagers dans la future collaboration de nos institutions et dans leur développement respectif. Un groupe de travail réunissant une vingtaine d’usagers et un salarié du GRAAP-Fondation a été constitué et il s’est réuni plusieurs fois afin de définir un concept de collaboration et de fixer les bases du futur travail avec Nant. Le résultat de ces réflexions a été présenté lors de réunions avec deux cadres médico-infirmiers de Nant. C’est également dans ce mouvement de renforcement des collaborations qu’a émergé l’idée d’une recherche conjointe entre le chef du centre de Montreux et la sociologue de l’URT, concernant les transitions entre nos institutions.
Vers l’amélioration de la collaboration entre Nant et le Graap-Fondation : une recherche-intervention (RI)
15 Selon Mérini et Ponté (2008, p. 92), la recherche-intervention « soutient […] l’impossibilité de produire des connaissances pertinentes pour un chercheur qui serait justement situé en extériorité : “le chercheur ne peut produire de connaissances pertinentes s’il n’est pas acteur, partie prenante du processus d’action” (A. Hatchuel, Symposium INRA de Montpellier, janvier 2000). […] Cette situation d’entre-deux est rendue particulièrement instable par la proximité de position (chercheur/praticien), de fonction (modélisation/amélioration des pratiques) et la relation étroite qui s’instaure entre observation et action. Ces mises en relation sont sans arrêt négociées entre deux communautés, celle des chercheurs et celle des praticiens. Parfois, les acteurs de la RI sont ce que Chambon et Proux (1988) ont appelé “interacteurs”, c’est-à-dire qu’ils sont à la fois chercheurs et praticiens. »
16 La démarche que nous avons adoptée est proche de la recherche-intervention telle que définie par Mérini et Ponté (2008 ; voir également Moisdon, 2010). Menée par une sociologue alors membre de l’équipe soignante de l’URT et par le chef du centre est-vaudois du GRAAP-Fondation [3], la recherche visait à mieux comprendre comment les patients qui étaient passés des unités intermédiaires de Nant au GRAAP-Fondation avaient vécu la transition. Cela devait à la fois nous permettre d’évaluer nos pratiques actuelles et également de dégager des pistes d’amélioration des transitions et de renforcement de notre collaboration.
17 La recherche s’inscrivait précisément dans ces « situation[s] d’entre-deux » que décrivent Mérini et Ponté (2008). En effet, nous étions à la fois chercheurs et praticiens, à l’intersection de trois professions (sociologue, travailleur social, infirmier) et si l’amélioration de notre collaboration était l’un des objectifs de cette recherche, elle en était également le moyen. Au cours de la recherche, nous avons été amenés à ajuster nos points de vue et notre compréhension mutuelle de nos institutions ainsi que de nos différentes postures disciplinaires. Dès lors, le processus de recherche se confond avec le processus de renforcement de la collaboration en soi.
18 À l’instar de Giust-Desprairies et Massa (2013, p. 17), nous avons considéré cette recherche comme « une coproduction, comme copensée. Les individus […] impliqués dans la recherche sont considérés comme sujets en capacité d’élucidation et d’élaboration de sens ». Les entretiens avec les usagers se situaient entre entretien de recherche classique et processus de consultation des usagers en tant qu’experts par expérience (Boevink, 2012 ; Lampshire, 2012). La recherche constituait alors une première étape dans l’implication des usagers, en vue de la mise en place d’une démarche participative pour les deux institutions (voir paragraphe intitulé « Les perspectives d’avenir pour la collaboration interinstitutionnelle »).
19 Ainsi, cette recherche ne visait pas à répondre à tous les critères de scientificité afin d’aboutir à des résultats permettant une généralisation. Pour autant, nous n’avons pas renoncé à mener cette recherche-intervention avec une certaine rigueur scientifique. Au cours de la recherche, nous nous sommes distanciés de notre position institutionnelle définie comme « les attentes exprimées par l’institution » (Jouffroy, 2006, p. 81). À l’instar de Giust-Desprairies et Massa (2013, p. 21-22), nous avons veillé à porter constamment « une attention […] aux répercussions concrètes, sur le processus de recherche, de la position du chercheur, des difficultés, conflits, contradictions vécus », renonçant également « au mythe de la neutralité au profit d’une prise en compte des implications du chercheur » (Giust-Desprairies et Massa, 2013, p. 17).
20 Concrètement, nous avons adopté une méthodologie mixte, avec une partie quantitative descriptive nous permettant d’identifier le type de population qui transite de Nant au GRAAP-Fondation et une partie qualitative – sous forme d’entretiens semi-directifs – permettant de mieux saisir la façon dont les personnes ont vécu cette transition et les améliorations possibles.
Analyses quantitatives
21 Pour la partie quantitative, grâce à la mémoire collective des équipes soignantes [4] de l’URT et du CTJ, nous avons identifié trente-huit patients qui totalisaient 554 prises en charge différentes à la Fondation de Nant. C’est sur cette base que nous avons effectué nos analyses statistiques descriptives [5].
22 Il s’agit de prises en charge complexes et longues : la durée moyenne du séjour à l’hôpital est de trente-deux jours et la moyenne d’admissions de cinq. Le temps cumulé à l’hôpital est de 184 jours en moyenne. Près d’un tiers des personnes (29 %) n’a eu qu’une seule ou aucune hospitalisation. Près de la moitié (47 %) a eu entre deux et cinq hospitalisations. Le dernier tiers (28 %) a eu plus de six hospitalisations [6]. Pour les traitements dans les unités intermédiaires et ambulatoires, le constat est le même. En effet, seuls 13 % ont été suivis dans une ou deux unités. Un quart (26 %) a été suivi dans trois unités, plus d’un tiers (36 %) a été suivi dans quatre ou cinq unités et un quart (24 %) a été suivi dans six unités et plus. Se dégage de ces prises en charge un profil de psychiatrie de crise, puisque 41 % de ces patients ont été suivis dans une unité de traitement de crise et 38 % ont fait appel à la ligne téléphonique d’urgence. On retrouve également une importante consommation de toxiques, puisque 30 % sont suivis dans les unités de traitement des toxicodépendances, et plus de 14 % des diagnostics posés sont des « troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives » [7].
23 En termes de diagnostics, la moitié des patients (49 %) ont un diagnostic de « schizophrénie, trouble schizotypique et troubles délirants ». Les deux autres diagnostics principaux sont les « troubles de la personnalité et du comportement chez l’adulte » (19 %) et les « troubles de l’humeur » (16 %). Paradoxalement, ces patients présentent une entrée en psychiatrie tardive, avec une moyenne d’âge de trente-cinq ans lors du premier contact avec la Fondation de Nant et de trente-six ans lors de la première hospitalisation – que ce soit en aigu ou en intermédiaire. Enfin, l’entrée au GRAAP-Fondation intervient en moyenne six ans et demie après la première prise en charge à Nant. Lors des entretiens, plusieurs patients ont déploré ce délai, exprimant qu’ils auraient souhaité qu’on leur parle du GRAAP-Fondation plus tôt.
Analyses qualitatives
24 Parmi ces trente-huit patients, nous en avons sélectionnés sept pour des entretiens. La condition était qu’ils bénéficient toujours de l’une des prestations du GRAAP-Fondation, dans l’idée de pouvoir les intégrer par la suite dans les projets de développement de nos institutions. Nous avons veillé à ce qu’il y ait un équilibre entre hommes (3) et femmes (4) et entre les patients du CTJ (3) et de l’URT (4). Toutes les personnes à qui nous avons proposé l’entretien ont accepté. Elles avaient entre trente et soixante-cinq ans (moyenne = 48 ans) et comptaient entre une et trente-quatre hospitalisations (cinq personnes comptaient entre une et quatre hospitalisations ; les deux autres personnes comptaient quinze et trente-quatre hospitalisations). Il y avait deux diagnostics de « troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives », deux diagnostics de « schizophrénie, trouble schizotypique et troubles délirants », un diagnostic de « troubles de l’humeur » et un diagnostic de « troubles névrotiques, troubles liés à des facteurs de stress et troubles somatoformes ». Si la majorité des personnes interrogées avait vécu une transition de l’URT/CTJ vers le GRAAP-Fondation, deux d’entre elles ne sont pas passées directement d’une structure à l’autre. L’une est arrivée au GRAAP-Fondation depuis un foyer, alors que l’autre est arrivée depuis son domicile, avec une continuité des soins à l’hôpital. Ces deux personnes avaient été prises en charge, auparavant, soit par l’URT soit par le CTJ.
25 Ainsi, si l’échantillon est restreint, il a les mêmes caractéristiques que l’ensemble des personnes ayant effectué une transition entre Nant et le GRAAP-Fondation (voir analyses quantitatives). Au vu des objectifs de la recherche-intervention, le nombre de sept nous semblait suffisant pour obtenir des résultats significatifs, tout en respectant le critère de faisabilité – la recherche devant être effectuée en sus de notre travail clinique. Les questions posées au cours de l’entretien étaient ouvertes et l’intervention des chercheurs limitée, afin de laisser l’interviewé souligner ce qui lui paraissait pertinent (Nils et Rimé, 2003). Les entretiens ont duré entre 30 min et 2 h ; ils ont eu lieu au GRAAP-Fondation, sur les heures de présence de ces personnes dans la structure. Nous avons intégralement retranscrit les entretiens, puis une analyse de contenu (Bardin, 1977) a été effectuée. La saturation des données obtenues vient confirmer une certaine validité des résultats, que nous présentons ci-dessous.
Obtenir des informations sur le GRAAP-Fondation
26 Depuis quatre ans, le GRAAP-Fondation se rend deux fois par an à l’hôpital de Nant pour informer soignants et patients de ses prestations. Bien qu’appréciée, une telle démarche n’existe pas auprès des unités intermédiaires. Les entretiens montrent que la communication au sujet du GRAAP-Fondation et de ses prestations n’est pas suffisante. Ainsi, sur les sept usagers interrogés, trois ont entendu parler du GRAAP-Fondation par le bouche-à-oreille, c’est-à-dire par d’autres patients qui fréquentent le GRAAP-Fondation. Trois autres ont été informés des prestations par le milieu de la santé, soit deux par les soignants des équipes intermédiaires et un par sa psychiatre privée. Enfin, dans le cas de la septième personne interrogée, c’est sa mère qui a entrepris des recherches et qui l’a guidée vers le GRAAP-Fondation. Sans exception, tous les enquêtés ont souligné le rôle prépondérant du tiers qui déclenche l’envie de visiter le GRAAP-Fondation. Lorsque ce tiers est un infirmier-référent, son rôle est important, puisqu’en sus d’expliquer les prestations du GRAAP-Fondation, il permet de faire le lien avec les projets – actuels et futurs – du patient.
27 La motivation à visiter le GRAAP-Fondation est soutenue par 3 facteurs prégnants :
- le témoignage d’un pair, qui permet à la personne de se projeter grâce à l’expérience positive qu’elle entend ;
- l’appui d’une personne de confiance, tels le psychiatre, un proche ou un référent thérapeutique et
- la possibilité, pour l’usager, de faire un lien entre l’information qu’il a sur le GRAAP-Fondation et son projet de réinsertion.
Premiers contacts avec le GRAAP-Fondation
28 Quatre personnes sur sept disaient avoir eu des inquiétudes avant la visite ou des a priori sur le centre. Quatre d’entre elles sont venues seules et trois sont venues accompagnées d’un infirmier. Cette seconde option est à favoriser, et il paraît important de soigner la préparation de la première visite au vu des inquiétudes qu’elle peut susciter.
29 Les premières impressions étaient excellentes, les personnes interrogées soulevant qu’elles avaient eu un « bon accueil », que leur « instinct » leur disait « qu’il y avait quelque chose », « une ambiance familiale ». Elles se disaient rassurées, mises en confiance, contentes, à l’aise. Il est surprenant de noter que, bien que l’accueil et la visite du centre soient menés par un usager du GRAAP-Fondation, aucun des enquêtés ne l’a mentionné. Ce sont plutôt leurs rencontres avec les professionnels qu’ils ont gardées en tête lors de ces premiers contacts. Il nous semble donc important de renforcer la visibilité des pairs. Nous relevons que la notion d’accueil a un impact direct sur le fait d’être rassuré par une éventuelle entrée au GRAAP-Fondation. Dans un premier temps, les impressions sur les prestations – notamment celles d’ateliers, de service d’entraide sociale et d’animation citoyenne – restent secondaires voire inexistantes et n’influencent que peu la première impression.
La transition vers le GRAAP-Fondation
30 Sur les sept personnes interrogées, quatre ont bénéficié, pendant la transition, d’un suivi dans les deux structures (GRAAP-Fondation et URT/CTJ). Trois d’entre elles considèrent avoir été très bien accompagnées, mises en confiance, et la transition s’est faite « en douceur » et « au bon moment », comme l’exprime l’une des personnes interrogées : « Ça s’est fait en douceur, j’ai juste, j’ai gentiment glissé comme sur un toboggan, glissé jusqu’au GRAAP-F, comme ça … Pis une fois que j’étais bien intégrée dans le GRAAP-F, j’ai fini au CTJ ».
31 Les entretiens ont montré que la présence simultanée dans les deux structures (GRAAP-Fondation /unités intermédiaires) durant un temps de transition de quelques semaines est ressentie comme un facteur améliorant l’état général de la santé. A contrario, lorsque la transition est rapide, nous ne relevons pas de commentaires sur des bénéfices secondaires, mais un ressenti tendanciellement négatif sur la durée du séjour à Nant. En effet, certains considéraient avoir « perdu du temps » dans ces unités, et, en conséquence, la transition vers le GRAAP-Fondation était rapide voire précipitée.
32 Dans cette phase de transition, 3 personnes ont souligné le rôle important joué par leur infirmier-référent dans l’accompagnement au GRAAP-Fondation. S’il ne semble pas indispensable, il est néanmoins très apprécié et permet à la personne d’appréhender le passage au GRAAP-Fondation avec davantage de sérénité.
Intérêts pour le GRAAP-Fondation
33 Les enquêtés étaient unanimes quant au fait que l’un des points forts du GRAAP-Fondation était de favoriser une activité, ce qui permettait de retrouver un rythme de vie. Cette possibilité de « bouger », de « faire quelque chose » contrastait fortement d’une part avec le domicile et d’autre part avec l’unité dans laquelle ils étaient pris en charge avant de venir au GRAAP-Fondation, comme l’illustre cet extrait d’entretien : « Mais pour moi … c’est, c’était … sortie d’une trappe [silence] C’était un souffle de liberté. Mais pas une liberté, euh, pas la liberté de rien faire et de … c’était la liberté qu’il me fallait en fait. Avec une activité. Pas la liberté d’être chez moi toute seule tranquille à rien faire ou de rester devant la télé, parce que ça, c’est pas bien. Moi, je me valorise pas avec ça. »
34 Cet intérêt de retrouver une activité et un rythme de vie se déclinait sous différentes formes. Pour cinq d’entre eux, le GRAAP-Fondation leur a permis de retrouver une activité proche de leur formation de base, ce qui était perçu positivement. En effet, certains avaient une formation dans la restauration, alors que d’autres avaient une formation dans le secrétariat et l’administration, des postes qu’ils ont pu retrouver au GRAAP-Fondation. La possibilité de retrouver quelque chose de proche de leur formation, dans un cadre souple, leur permet de se projeter dans un retour à l’emploi. Nous y reviendrons.
35 En lien avec cette possibilité, on retrouvait également l’idée de reprendre confiance en soi et en particulier dans ses capacités et ses compétences professionnelles. De plus, pour trois des enquêtés, le fait de fréquenter le GRAAP-Fondation et ses ateliers leur permettait de se sentir utiles en étant productifs. Certains ont également mentionné le plaisir de « fabriquer de bons produits ». Ces différents aspects – se sentir utile, être productif et aussi retrouver un rythme, reprendre confiance et rencontrer des gens – sont souvent liés les uns aux autres, comme l’illustre cet extrait : « le GRAAP-Fondation a répondu à mes attentes, j’ai eu beaucoup de plaisir à venir, à enfin me sentir un peu utile dans la société, même si c’est des fois peu de chose, même quand j’étais à la production et que je faisais les biscuits etc. je me sentais quand même utile et je faisais quelque chose, et ça m’a donné aussi un rythme, ce qui était très important pour moi, et ça m’a permis de rencontrer des personnes ici, avec qui j’ai lié des amitiés etc. Oui, ça a vraiment répondu à mes attentes. »
36 Un autre élément positif mentionné par tous les enquêtés était la possibilité de retrouver une activité dans un cadre suffisamment souple pour respecter les rythmes individuels. Notamment, lorsque la personne trouve que « ça fait trop », qu’elle n’arrive plus à faire ses tâches, elle se sent libre de s’arrêter un moment, de faire une pause. C’est très apprécié et mis en contraste direct avec le monde du travail qui, lui, est « impitoyable ». Ce cadre souple permet également d’augmenter progressivement son temps de travail, lorsqu’on voit que « ça marche bien », ce qui en retour améliore la confiance en soi et permet d’envisager un retour sur le marché de l’emploi.
37 Un autre intérêt du GRAAP-Fondation, mentionné dans quatre entretiens, est l’aspect social, à savoir la possibilité de créer de nouveaux liens, sortir de sa solitude, rencontrer de nouvelles personnes qui partagent ses difficultés et sont donc plus compréhensives. Ainsi, le GRAAP-Fondation apparaît comme un endroit un peu « protégé », un endroit « spécial » par rapport au reste de la société, où on y retrouverait des gens plus humains, moins stressés et donc plus compréhensifs par rapport aux problématiques liées aux troubles psychiques. Ce qui contribue à faire du GRAAP-Fondation un endroit protégé est également lié au fort sentiment de solidarité et d’entraide, que deux personnes ont mentionné. Cette solidarité va également au-delà du GRAAP-Fondation puisque, lorsqu’une personne doit être ré-hospitalisée, elle est soutenue par les membres du GRAAP-Fondation, qui lui envoient des cartes ou lui rendent visite.
38 Il est intéressant de relever que quatre personnes ont soulevé la question de l’argent pour rappeler que cela n’était pas pertinent et qu’ils venaient au GRAAP-Fondation pour d’autres raisons et avec d’autres valeurs. Le fait que ces personnes l’aient mentionné semble lié à l’incompréhension à laquelle elles font face, certains proches leur disant ne pas comprendre pourquoi ils vont travailler au GRAAP-Fondation alors que c’est « si mal payé », comme l’exprime cette patiente qui a dû faire face aux réticences de sa meilleure amie : « C’est vrai que mon amie comprend pas très bien ma démarche, pourquoi je vais travailler “pour rien” financièrement parlant, elle voit pas l’aspect psychologique qu’il y a derrière, de se mettre des repères dans une journée, d’être productive, mais moi ça me fait rien de gagner cinq francs [8] hein, vraiment, c’est le fait d’être avec des gens. »
Les facilitateurs de la transition
39 Comme déjà mentionné, le principal facilitateur est l’aspect protégé du GRAAP-Fondation, le fait qu’on s’y sente tout de suite bien et qu’on y soit bien accueilli. Le second facteur, mentionné par quatre personnes, est le soutien de la part de l’entourage (conjoint, patients, amis). Ce soutien est particulièrement important au moment du passage d’une institution à l’autre. La plupart du temps, les proches sont satisfaits et observent une amélioration de l’état de la personne suite à son investissement au GRAAP-Fondation : « Dans mon entourage tout le monde trouve que c’est très bien, dans ma famille ils me trouvent beaucoup plus épanouie depuis que je suis au GRAAP-Fondation aussi […] C’est vrai que de se sentir utile c’est … ça fait beaucoup de bien. Ça fait beaucoup de bien à l’entourage, ça me fait beaucoup de bien à moi, et ma famille est heureuse de me voir bien psychiquement. »
40 Quatre personnes ont également parlé du fait qu’elles avaient été soutenues par leur référent. Un tel soutien s’est fait non seulement pour prendre la décision d’aller au GRAAP-Fondation, mais également par un accompagnement lors des visites ou des journées d’essai.
Les obstacles à la transition
41 Il est intéressant de noter que contrairement aux autres éléments de l’analyse, il n’y a aucun consensus concernant les obstacles à la transition. Ces derniers sont divers et jamais partagés par plus de trois personnes. Ils sont même parfois contradictoires, certains usagers s’étant sentis retenus par l’URT/CTJ alors qu’ils avaient envie de partir, d’autres disant au contraire que c’est leur propre peur de quitter l’URT/CTJ qui a rendu la transition difficile. Nous considérons néanmoins qu’il est important de relayer les différents obstacles qui ont été relevés, mais il convient de garder en tête qu’aucun d’entre eux n’est collectivement partagé.
42 Il est ressorti dans trois entretiens que des personnes de l’entourage avaient des représentations négatives du GRAAP-Fondation ou comprenaient mal la démarche de la personne qui venait travailler au GRAAP-Fondation, d’autant plus que le travail se fait « pour rien » financièrement parlant. Dans le cas de deux patients, ce sont leurs propres représentations négatives du GRAAP-Fondation qui constituaient un obstacle. Elles étaient en grande partie liées à la difficulté d’accepter leur maladie, dès lors le GRAAP-Fondation était perçu comme un endroit « pour les fous » où la personne saine n’a pas sa place. Pourtant, le fait de visiter le GRAAP-Fondation, de rencontrer les gens et de voir comment cela fonctionne permet, en partie du moins, de modifier ces représentations : « Mes premières impressions [sur le GRAAP-F] étaient bonnes, disons que … c’est-à-dire, j’ai beaucoup changé d’avis, parce que moi, d’avoir été à Nant, c’était un peu un déshonneur, pour moi c’était pour les fadas et tout ça, comme beaucoup de monde hein ! Alors voilà. Et pis j’ai pas mal changé de … Si vous voulez, ce travail un peu m’a fait voir le GRAAP-F comme pour aider les personnes, euh, voilà en … avec des problèmes et des choses comme ça. Là, j’aurais dit, mais c’est un centre pour fadas ou des choses comme ça. Ouais, ouais, pour moi, c’était un grand déshonneur au début. Et pis, c’était, oui, c’était pour les fadas quoi, j’avais rien à y faire là et pis, mais il m’a fallu un petit moment … »
43 Trois enquêtés ont mentionné le fait qu’ils avaient découvert tardivement le GRAAP-Fondation, souvent après plusieurs années de traitement à Nant. Ils le regrettaient, ayant l’impression d’avoir « perdu du temps » à l’hôpital ou dans les unités intermédiaires, en raison du fait qu’ils n’avaient pas connaissance du GRAAP-Fondation. Au moment de la transition vers le GRAAP-Fondation, certains ont même exprimé le sentiment qu’on essayait de les retenir dans les unités intermédiaires. D’autres mettaient en avant le fait qu’ils avaient reçu des informations incomplètes et que, dès lors, ils n’avaient pas été intéressés par le GRAAP-Fondation. Ce n’est qu’à partir du moment où ils ont compris réellement ce qu’était le GRAAP-Fondation qu’ils ont souhaité y venir.
Les perspectives d’avenir des usagers
44 Sur les sept personnes interrogées, deux avaient un projet concret de retour sur le marché du travail. Ils parlaient du GRAAP-Fondation comme d’un « tremplin » pour retourner à la vie professionnelle. Cela est notamment lié à la possibilité d’augmenter progressivement son temps de travail, ce qui permet, au fur et à mesure de sa progression, de se projeter dans un retour à l’emploi. Une telle projection est notamment favorisée par les aspects du GRAAP-Fondation proches de ceux d’une entreprise : « Y a un contrat de travail, y a un suivi, ils ont un contrat et pis des règles en fait à respecter au niveau de l’hygiène, des choses qu’on peut faire, pas faire, comme toute entreprise, quoi ! Voilà, alors, c’est ça qu’est bien aussi. Donc direct, c’est bien cadré, […] le contrat de travail est évolutif. Par rapport au début où vous venez, vous faites peut-être une demi-journée ou une journée. Après, si y a des places ou des postes qui se libèrent, vous pouvez augmenter votre temps de travail […] qui permet justement de, et ben d’évoluer, pis d’avancer, pis d’avoir plus de fonctions, plus de charges, pis d’avoir surtout un plus haut rythme, quoi ! Parce que le but c’était ça, pour après justement partir, j’ai toujours dit en venant ici “je veux sortir de l’AI [9] ! Je fais que passer !” En arrivant au GRAAP-Fondation j’ai dit “je fais que passer !” […] Moi je le voyais comme un tremplin justement, pour me remettre en fait sur pied, psychologiquement, physiquement et pis retrouver la pêche et pis partir quoi ! Un jour, quoi ! Retourner dans la vie active à 100 %. »
45 Pour cette même personne, le GRAAP-Fondation n’a pas uniquement donné l’envie et la possibilité de se projeter dans un retour à l’emploi, il a également ouvert des voies, des idées de reconversion professionnelle. La deuxième personne souhaitant se réinsérer professionnellement a parlé du GRAAP-Fondation comme d’un « tremplin » et également d’une aide pour pouvoir sortir de l’assurance invalidité (AI), grâce à l’appui des différents membres du GRAAP-Fondation.
46 Enfin, une troisième personne interrogée était dans une période de doutes. En effet, elle ne se voyait pas retourner à son ancien métier, mais elle exprimait une certaine envie de retourner sur le marché de l’emploi à l’aide d’une reconversion professionnelle. L’idée était récente, en train d’émerger, ce qui fait qu’elle n’avait pas encore d’avis arrêté sur la question : « Parce que, bon, j’arrive déjà à la cinquantaine, donc voilà, j’ai pas envie de retourner spécialement […] dans la vente, parce que, euh … j’ai peut-être envie de faire un cours Croix-Rouge et puis d’aller travailler dans un milieu hospitalier ou peut-être un EMS [10] … enfin, une petite musique d’avenir. Voilà. […] C’est une idée qui est en train de prendre un petit peu forme. »
47 Cette hésitation quant à un retour sur le marché de l’emploi est liée à la peur que génère un tel projet. Cependant, dans le cas où elle décidait de ne pas retourner sur le marché du travail, cette personne se voyait continuer son travail au GRAAP-Fondation :
Usager : « Comme je vous ai dit, moi je manque beaucoup de confiance, et puis je suis quelqu’un de très lent, donc dans la société d’aujourd’hui, je suis un petit peu larguée par rapport à la vitesse, en plus je sais pas spécialement me servir d’un ordinateur, donc ouais, vous me direz ça s’apprend, mais, euh, le monde du travail me fait un peu peur, je sens, comme je vous dis c’est 50/50, hein ! J’ai envie, j’ai envie et pis en même temps j’ai une grande peur aussi. »
Enquêteur : « Vous vous verriez rester au GRAAP-F si vous abandonnez cette idée de retour dans le monde du travail ? »
Usager : « Oui, oui, moi, je me plais bien ici. On est une bonne équipe. »
49 Enfin, trois personnes se projetaient au sein du GRAAP-Fondation et une personne n’a pas émis de projet pour l’avenir. L’une des personnes évoquait le fait que le GRAAP-Fondation était une alternative au marché de l’emploi et que c’était nécessaire, dans la mesure où ils étaient plusieurs à ne pas se sentir capables de travailler.
Le partenariat entre le GRAAP-Fondation et la Fondation de Nant
50 Le partenariat entre la Fondation de Nant et le GRAAP-Fondation est globalement apprécié par les enquêtés qui souhaiteraient même le voir se développer. Le fait que les deux institutions collaborent est considéré comme « important », « positif », « rassurant » voire « nécessaire ». Les personnes interrogées perçoivent ce partenariat comme un facilitateur lorsqu’il s’agit de passer non seulement de Nant au GRAAP-Fondation, mais également du GRAAP-Fondation à Nant lorsqu’une ré-hospitalisation s’avère nécessaire.
51 Plusieurs enquêtés ont noté une amélioration de la communication, non seulement du GRAAP-Fondation, mais également de l’URT/CTJ à propos du GRAAP-Fondation. Elles souhaitent que cette communication soit encore améliorée, considérant que les équipes soignantes devraient systématiquement proposer le GRAAP-Fondation aux patients, voire organiser des visites collectives du GRAAP-Fondation.
52 Trois personnes pensent que le GRAAP-Fondation apporte une continuité aux soins, qu’il peut aider les patients du CTJ/URT et notamment les aider à quitter les unités de soin. Lors d’un entretien, une enquêtée a très bien décrit la manière dont elle perçoit la complémentarité de ces deux institutions. Alors que Nant semble porter sa « part malade », le GRAAP-Fondation porte sa « part saine ». Cette personne ne pouvait dès lors que concevoir une collaboration entre ces institutions, portant chacune un bout de ce qu’elle est et un bout de son histoire. La Fondation de Nant était également identifiée comme un potentiel donneur d’alerte, lorsque son état se détériore, alors qu’elle ne laisse rien paraître au GRAAP-Fondation. Il y avait également dans une certaine mesure une notion de temporalité, Nant étant rattachée davantage au passé alors que le GRAAP-Fondation semblait se conjuguer au futur, une institution avec laquelle la personne pouvait se projeter.
Les perspectives d’avenir pour la collaboration interinstitutionnelle
53 À partir de ces résultats, nous avons dégagé trois axes principaux d’amélioration de notre collaboration, que nous allons présenter ici. La démarche collaborative s’inscrit parfaitement dans la filière de psychiatrie adulte du canton de Vaud (Antille et Resplendino, 2013). Nous cherchons également à y intégrer la dimension participative des usagers, favorisant ainsi l’empowerment et l’autodétermination de ces derniers (Daumerie, 2011).
Améliorer la communication au sujet du GRAAP-Fondation
54 Un résultat prégnant de notre étude est la nécessité d’améliorer nos modes de communication. En effet, il est apparu que la plupart des usagers recevaient soit des informations partielles concernant le GRAAP-Fondation – par exemple des informations ne mentionnant qu’une seule des activités développées –, soit des informations complètes mais tardives, ce que la plupart des enquêtés regrettent.
55 Au cours de la recherche et des réflexions communes entre le GRAAP-Fondation et l’URT/CTJ, plusieurs pistes ont été soulevées afin d’améliorer la communication. L’une des possibilités est d’organiser la venue ponctuelle, dans les unités intermédiaires, d’usagers du GRAAP-Fondation pour présenter le GRAAP-Fondation et ses prestations. Inversement, il peut être envisagé d’organiser des visites groupées de patients de l’URT ou du CTJ au GRAAP-Fondation, par exemple pour prendre un repas avec les usagers. D’autre part, il semble bénéfique de mieux informer les soignants de l’URT/CTJ des prestations du GRAAP-Fondation. Enfin, au sein de la Fondation de Nant, il existe un système d’échanges d’infirmiers entre les unités pour un à deux jours. Le but est de leur permettre de mieux connaître les pratiques des autres unités de Nant. Un tel échange peut être envisagé entre le GRAAP-Fondation et Nant.
56 Afin d’assurer une transition optimale du patient venant du milieu de la santé dans un environnement social, nos institutions devront renforcer la relation de partenariat avec l’usager, afin de soutenir son rétablissement. En effet, la Fondation de Nant et le GRAAP-Fondation poursuivent un but qui les rassemble : le rétablissement psychique et social des usagers (Corin, 2002 ; Linder et Bussy, 2014 ; Deegan, 1997). Un véritable partenariat entre nos institutions ne pourrait que favoriser le processus de rétablissement, mais sa mise en œuvre implique une connaissance réciproque de nos structures. Dès lors, les modalités d’informations interinstitutionnelles devraient faciliter la fluidité des transitions. Ces dernières s’entendent dans les deux sens, le rétablissement n’étant pas linéaire. Ainsi, l’usager devrait être davantage capable d’activer les ressources des institutions socio-sanitaires selon ses besoins afin de pérenniser son rétablissement sur le long terme.
Des groupes d’experts constitués d’usagers
57 Au cours du renforcement de la collaboration entre nos institutions, nous avons constitué un groupe de réflexion composé d’usagers du GRAAP-Fondation. Deux collaborateurs de Nant, responsables du développement d’un service de psychiatrie communautaire, se sont rendus à deux reprises au GRAAP-Fondation pour y entendre l’avis des usagers. Ces rencontres ont contribué à l’émergence d’une expertise fondée sur l’expérience en favorisant le renforcement, voire la création d’un partenariat entre professionnels et usagers. Le projet doit se poursuivre par l’intégration de ces derniers dans les différents groupes de travail organisés en interne de la Fondation de Nant, pour le projet de service communautaire ou, au moins, afin que des séances de consultation soient régulièrement organisées. L’intérêt d’impliquer les usagers du GRAAP-Fondation est de plusieurs ordres. La plupart sont ou ont été patients à Nant, ils connaissent donc bien l’institution. Ensuite, la pratique de capitaliser ou collectiviser son expérience personnelle avec d’autres personnes est courante au GRAAP-Fondation, son fonctionnement induisant un aspect participatif auquel sont habitués ses usagers, pour agir sur l’environnement socio-sanitaire. Dès lors, les usagers du GRAAP-Fondation qui intégreront les groupes de travail pourront se faire de véritables porte-parole du groupe et non pas uniquement représenter leurs intérêts personnels.
58 La démarche s’inscrit dans une dynamique fondée sur l’équivalence des différentes expertises en présence, y compris celle de l’usager. Il s’agit moins de convaincre l’autre pour qu’il change de point de vue que de trouver un chemin partagé, respectueux des acteurs et des structures en présence, dans une démarche de co-construction. Le fait, pour des personnes souffrant de troubles psychiques, de réfléchir et d’agir ensemble afin d’impacter l’environnement et, en particulier, les politiques socio-sanitaires développe le sentiment d’appartenance et de citoyenneté et, par là, contribue au rétablissement.
Le pair praticien en santé mentale
59 La constitution de groupes reconnus comme partenaires pour leur « expertise-par-expérience » est une contribution incontournable pour l’amélioration des dispositifs médico-sociaux. La nouvelle formation, en Suisse romande, de pairs-praticiens en santé mentale permet l’arrivée progressive de ces derniers au sein des équipes soignantes. Cela constitue une nouvelle étape dans la reconnaissance de l’expertise issue de l’expérience. Les pairs-praticiens sont armés pour jouer un rôle important dans le renforcement des groupes de personnes concernées, comme partenaires socialement organisés. Ils pourraient aussi favoriser l’émergence du savoir acquis par l’expérience en accompagnant par exemple des usagers du GRAAP-Fondation et des patients de Nant vers les groupes de travail autour des questions de transition ou, dans les groupes de travail de la Fondation de Nant, concernant le futur service de psychiatrie communautaire. Le GRAAP-Fondation développera dans le futur des dynamiques pour soutenir l’émergence de cette expertise fondée sur l’expérience.
Conclusion
60 Selon Le Boterf (2000), le processus de mise en boucle d’apprentissage par l’expérience permet de transposer dans d’autres contextes ou dans d’autres situations les compétences collectives acquises. Par « collectives », nous entendons ici la participation de tous les acteurs de la transition (professionnels, usagers ou patients) en tant que sujets et également, à un niveau structurel, l’implication commune de nos institutions dans un objet commun au-delà des différences de nos missions respectives. S’inspirant des travaux de Kolb (1984) et Piaget (1977) en les revisitant, Le Boterf identifie quatre phases du processus d’apprentissage : le moment de l’expérience vécue, le moment de l’explication, le moment de la conceptualisation et de la modélisation, le moment du transfert ou de la transposition à de nouvelles situations. Ainsi, après avoir cherché à expliquer, conceptualiser et modéliser les transitions entre nos institutions ainsi que nos pratiques de collaboration, nous sommes face au défi de la transposition à de nouvelles situations, dans un environnement mouvant.
61 En effet, à l’horizon 2018, le GRAAP-Fondation de Montreux devra déménager, les structures actuelles ne correspondant plus aux activités qui se sont développées au fil des ans. Aujourd’hui, le GRAAP-Fondation travaille principalement sur les compétences transversales. Il offre des espaces d’activités pour développer la confiance en soi, réinstaurer et gérer des liens sociaux et reprendre des activités en fonction de ses ressources du moment. Demain, il compte compléter cette offre en développant des formations à des métiers, en aménageant des contextes de travail plus proches de la réalité économique, favorisant la (ré)acquisition des compétences professionnelles. Il s’agira d’offrir en interne des postes de travail adaptés – et non plus protégés – et de favoriser une reprise d’activité professionnelle, voire une formation. De nouvelles opportunités seront donc créées pour les patients de la Fondation de Nant, qui souhaitent intégrer le GRAAP-Fondation.
62 Cette période de transformation de nos institutions nous permet d’envisager de nombreux projets communs. Si certains ont d’ores et déjà dû être avortés – par exemple un restaurant géré en commun par nos institutions –, d’autres peuvent voir le jour. Le renforcement de notre collaboration et la participation des usagers devraient faciliter la mise en œuvre de projets communs, favorisant in fine le rétablissement des usagers de nos institutions.
Notes
-
[*]
L’ordre de présentation a été défini par les auteurs.
-
[1]
Par État, il faut entendre ici le canton de Vaud ; en effet, en Suisse chaque canton est responsable d’organiser le champ sanitaire de son territoire.
-
[2]
Sur le concept de rétablissement, voir notamment Corin (2002), Deegan (1997), Linder et Bussy (2014).
-
[3]
Le troisième auteur de cet article n’était pas directement impliqué dans la recherche, mais des réunions à trois étaient organisées ponctuellement pour discuter des résultats de recherche.
-
[4]
Les équipes soignantes de ces unités sont extrêmement stables, certains soignants y travaillant depuis plus de vingt ans.
-
[5]
Il est à noter que, si le chiffre de 38 paraît faible pour des analyses quantitatives, il représente néanmoins la totalité des personnes ayant vécu une transition entre Nant et le Graap-Fondation entre 1974 (année des premières données statistiques disponibles à la Fondation de Nant) et le 22 juin 2014 (date de l’extraction des données pour effectuer les statistiques).
-
[6]
S’agissant de statistiques descriptives devant essentiellement nous permettre d’identifier le type de population qui effectue une telle transition, il ne nous a pas semblé nécessaire de préciser les chiffres à la décimale. Le fait que le total soit supérieur à 100 % est donc lié au cumul des arrondissements.
-
[7]
À la Fondation de Nant, c’est la CIM-10 qui est utilisée pour poser les diagnostics.
-
[8]
Il s’agit ici de francs suisses, l’équivalent d’environ 4,50 euros. Les personnes travaillant dans les ateliers du GRAAP-Fondation bénéficient d’un contrat de travail et reçoivent des indemnités. La loi sur les mesures d’aide et d’intégration pour les personnes handicapées (LAIH) couvre au minimum les frais d’encadrement et d’infrastructure (article 43) ; la part d’indemnisation donnée aux bénéficiaires ainsi que le coût des matières premières des ateliers sont en principe autofinancés.
-
[9]
L’AI est l’assurance invalidité, l’équivalent de l’allocation adulte handicapé en France.
-
[10]
Un EMS est un établissement médico-social, l’équivalent des établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD) en France.