Introduction [1]
1 Les jeunes Français inscrits dans l’enseignement supérieur sont particulièrement exposés aux troubles de santé mentale, comme la dépression, les troubles anxieux et ceux liés à la consommation de substances psychoactives. Que ce soit pour des raisons économiques (indépendance, faible autonomie financière, difficulté à remplir un emploi pendant les études), par peur de la stigmatisation ou, simplement, par manque de connaissances et d’informations sur les services de santé disponibles et le système de remboursement, il existe un réel défaut de prise en charge des problèmes de santé mentale des étudiants.
2 L’objectif de cet article est de décrire les services de santé mentale disponibles pour les étudiants inscrits dans des études de troisième cycle à Bordeaux, comme exemple de l’offre de soins en santé mentale à l’université. Cette description vise à apporter un éclairage de santé publique sur l’organisation des soins et les types de professionnels impliqués dans l’amélioration de la santé mentale des étudiants. Enfin, la description de ces structures de soins a également pour objectif l’analyse de leur articulation et de leur coordination.
La santé mentale des étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur et leur recours aux soins
La santé mentale des étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur
3 En France, les troubles psychiatriques, incluant les troubles liés à l’usage de substances, constituent la première cause d’invalidité et d’arrêt maladie de longue durée (Caridade et al., 2008), et ils représentent un dixième des dépenses de santé (Fleury et Grenier, 2012), occupant le premier poste de dépense hospitalière. La plupart de ces troubles se déclenchent au début de l’âge adulte. Même si les jeunes disposent en général d’une bonne santé physique, l’incidence de divers problèmes psychiatriques (état dépressif, idées suicidaires …) et comportementaux (conduites alimentaires, conduites addictives …) est très élevée dans cette population (Kessler et al. 2005 ; Nerdrum, Rustøen et Rønnestad, 2006 ; Boujut et al., 2009). Le suicide représente la seconde cause de mortalité dans la classe d’âge des 15-24 ans, après les accidents de la circulation, avec 16,3 % du total des décès (Chan Chee et Jezewski-Serra, 2014). En France et notamment dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, les jeunes de 15-25 ans présentent des taux élevés d’épisodes dépressifs caractérisés et de tentatives de suicide (Dumesnil, Cortaredona et Verger, 2012). De plus, la consommation de substances psychoactives, une pratique très répandue chez les jeunes Français (Beck et Richard, 2013), peut déclencher et aggraver les troubles psychiatriques (Hunt et Eisenberg, 2010). Cette population est à la fois très exposée à ce type de conduites à risque et peu sensible aux messages de prévention (Arria et al., 2009).
4 Près de la moitié des jeunes français âgés de 18 à 25 ans sont inscrits dans l’enseignement supérieur (Louvel, Fayard et Broussouloux, 2008). Le début de la vie universitaire génère souvent des pressions liées à la compétition dans certaines filières et à une nécessité d’autonomie dans les études et dans la vie personnelle. La plupart des étudiants disent subir un mal-être transitoire lié à la séparation avec le milieu familial, allant parfois jusqu’à une véritable détresse psychologique, notamment chez les étudiants en première année, en partie liée à des difficultés d’adaptation (Verger et al., 2008). Certains signes, comme l’isolement ou un changement de comportement, peuvent annoncer des pathologies telles que la phobie sociale ou le trouble panique. Pour certains individus plus vulnérables, les bouleversements liés à l’entrée dans les filières universitaires peuvent participer au déclenchement de pathologies graves.
5 À Bordeaux, l’enquête « Conditions de vie des étudiants », réalisée par l’observatoire régional des parcours étudiants aquitains (ORPEA) en collaboration avec les universités et les établissements membres de la communauté d’universités et établissements d’Aquitaine (CUEA), a recueilli des informations sur l’état de santé de 10 055 étudiants (58 % femmes) en 2015 (ORPEA, 2015). Près de 54 % des étudiants ont déclaré être souvent fatigués et 35 % souvent stressés. Les femmes se sont évaluées plus souvent fragiles que les hommes, quel que soit le symptôme considéré (fatigue, stress, déprime, sentiment de solitude) ; 44 % des étudiantes se disent souvent stressées contre 22 % des étudiants. Cependant, cette enquête ayant eu un taux de participation faible, avec un retour d’environ un septième des étudiants sollicités (68 739 étudiants), sa représentativité est limitée.
6 Toutes les études le montrent, la santé mentale des étudiants représente un enjeu de société majeur et les années à l’université un moment-clé en matière de déclenchement et donc de prévention des troubles psychiatriques. Pour répondre à la nécessité d’étudier différentes questions sur la santé de la population estudiantine en France, la cohorte d’étudiants appelée i-Share (internet-based Students Health Research Enterprise) a été mise en place. Officiellement lancée en avril 2013 et financée dans le cadre du programme Investissements d’avenir, cette étude est portée par l’université de Bordeaux en collaboration avec l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ). Elle a pour objectifs d’obtenir une image de la santé et du bien-être, notamment psychique, de 30 000 étudiants et de suivre ces indicateurs sur une période de dix ans. Les étudiants doivent être majeurs et inscrits dans une structure d’enseignement supérieur pour pouvoir participer. Ils sont inclus et suivis au travers de questionnaires sur Internet, accessibles sur le site officiel [2]. La santé mentale et le bien-être psychique sont un des aspects les plus importants de i-Share, du fait de la fréquence de ces troubles et de leur impact dans cette population. L’étude concerne tous les étudiants francophones, mais à l’heure actuelle une importante proportion des participants est inscrite à l’université de Bordeaux. Pendant l’année universitaire 2014-2015, plus de 50 000 étudiants étaient inscrits à l’université de Bordeaux, dont 6 200 étudiants étrangers et 1 900 doctorants. Des résultats préliminaires ont été obtenus en avril 2015 à partir d’un échantillon de 4 000 étudiants bordelais de cette cohorte. Ils ont montré que 69 % des jeunes adultes déclaraient un sentiment de tristesse et un manque d’intérêt et d’énergie prolongé survenus au cours de la dernière année, sans que l’on puisse affirmer la présence d’une dépression. Au cours des douze derniers mois, 14 % des étudiants de la cohorte déclaraient avoir consulté un psychiatre, un psychologue ou un psychothérapeute.
Le recours aux soins en santé mentale de la part des étudiants : barrières et renoncement aux soins
7 Alors que les troubles psychiques sont en augmentation chez les jeunes adultes (Gore et al., 2011 ; Beiter et al., 2015), cette population renonce plus fréquemment aux soins que les autres groupes d’âge (emeVia, 2015). Les étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur font face à des barrières pour accéder à la santé, telles que l’éloignement géographique, le niveau socioculturel et le niveau économique (Boisguerin, 2007).
8 L’éloignement géographique est en lien avec la distribution sur le territoire des services de santé et leur accessibilité via les différents moyens de transport. Les résidences universitaires sont souvent éloignées du centre-ville où se concentrent les services de santé. De plus, les étudiants qui déménagent dans une nouvelle ville pour faire leurs études ne connaissent pas la localisation des différents services et peuvent rencontrer des difficultés dans leurs déplacements urbains.
9 Le niveau social et culturel des étudiants est très spécifique pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ils représentent un public jeune qui commence à entrer en contact avec le système de santé et qui doit en comprendre le fonctionnement, souvent obscur. Ils montrent une grande méconnaissance de l’offre de soins, ce qui peut être lié au changement de lieu de résidence en raison des études, à l’absence d’intérêt pour ces services pendant la période du lycée et au manque d’information préalable (Booth et al., 2004). Mal informés, les jeunes adultes utilisent rarement les structures de santé. Ils sont conduits et guidés durant leur adolescence par les parents, ils n’ont pas acquis l’habitude de consulter les médecins de manière autonome et se retrouvent seuls et inexpérimentés face au système de soins. De plus, à un âge de transition vers la vie adulte, les étudiants sont à la recherche de leur indépendance. Pris dans leur processus d’autonomisation, ils souhaiteraient bien souvent résoudre leurs problèmes eux-mêmes, sans l’aide d’un adulte (Amsellem-Mainguy, 2015). Les étudiants sont également peu accoutumés aux différentes démarches administratives : loyer à payer, abonnement aux transports collectifs, prise de contact avec un nouveau médecin généraliste, accès aux services offerts par la mairie, etc. Trouver un service (surtout gratuit ou peu cher et facile d’accès, qu’il soit public ou privé) devient un vrai défi pour le nouvel arrivant en ville.
10 Du point de vue économique, les ressources des étudiants sont limitées, et ils exercent souvent de petits emplois pour financer leurs études. Leur autonomie financière est faible, tandis que les coûts des services en santé peuvent être élevés. L’étudiant en souffrance psychologique se heurte à la nécessité d’avancer le prix des consultations médicales, au remboursement partiel des frais médicaux, à l’absence de remboursement par le système national d’assurance maladie des consultations par un psychothérapeute non-médecin, dont le prix varie entre 40 euros et 70 euros (Comprendre Choisir, 2015). Ces coûts élevés représentent une raison majeure de renoncement aux soins selon les premiers retours des participants à l’étude i-Share. Les étudiants qui font face pour la première fois aux coûts de la vie quotidienne ne sont pas toujours en mesure de protéger et de garantir leur santé, surtout ceux en situation de précarité. Selon la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), la moitié des étudiants vivent avec moins de 600 € par mois. Ils sont donc contraints d’arbitrer chaque jour parmi leurs dépenses prioritaires, comme le loyer, les frais d’inscription, l’alimentation et la santé (FAGE, 2014).
11 Enfin, l’accès aux soins en santé mentale est particulièrement problématique en raison de la stigmatisation liée aux troubles mentaux (Clement et al., 2015). La peur de la stigmatisation et, souvent, la difficulté de reconnaître la survenue d’un trouble mental compliquent encore plus l’accès aux services de santé mentale. Même pour les étudiants qui vivent chez leurs parents, cela peut être difficile de parler d’un problème psychologique qui échappe souvent à l’entourage.
L’offre de soins en santé mentale à l’université de Bordeaux
Méthodologie
12 L’identification des services de santé mentale offerts aux étudiants à Bordeaux est fondée sur :
- une revue de la littérature (articles de recherche, rapports nationaux et documents officiels) ;
- la consultation du site officiel de l’université (www.u-bordeaux.fr) ;
- des entretiens (N = 3, dont 2 individuels et 1 avec deux personnes en même temps) menés avec le personnel concerné par la santé mentale des étudiants (médecins, psychiatres et enseignants-chercheurs).
13 Des notes, prises par deux investigateurs, ont été comparées et vérifiées par les personnes interviewées.
14 Pour être inclus dans notre étude, les services devaient avoir certaines caractéristiques : être en relation avec les questions de santé mentale, mais pas avec les troubles psychiatriques sévères (i. e. schizophrénie) ; avoir dans ses priorités l’objectif d’aider les étudiants en détresse psychique et émotionnelle ; être gratuitement accessibles aux étudiants de Bordeaux sans aucune distinction ; être utilisés par une population âgée de 18 à 25 ans.
15 Nous avons choisi de ne pas aborder la dimension des troubles psychiatriques sévères – parce qu’il s’agit de troubles générant souvent un handicap –, plus rares et dont la prise en charge est souvent gérée par des structures hospitalières. Les problèmes de santé mentale traités dans cet article sont par conséquent les troubles psychiques dits fréquents (troubles dépressifs ou anxieux, addictions, etc.) et incluant également la détresse psychologique de façon indifférenciée.
Résultats
16 La revue de la littérature, la consultation du site et les entretiens en face à face ont permis de produire une liste des services en santé mentale disponibles et utilisés par les étudiants de Bordeaux. Un total de six services a été identifié dans les campus et les locaux universitaires de Bordeaux. Plus précisément, la consultation du site de l’université de Bordeaux a permis d’identifier le service Espace santé étudiants (ex-SIUMPPS). Les cinq autres services ont été repérés grâce aux entretiens en face à face : service pour public handicapé, artistes, sportifs, étudiants (service PHASE) ; bureaux de la vie étudiante ; organisation spécifique pour les étudiants en médecine (aucun nom officiel) ; la maison des adolescents de la Gironde ; le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS Bordeaux-Aquitaine).
L’Espace santé étudiants
17 L’Espace santé étudiants (ESE) s’intéresse à plusieurs problèmes de santé, sans se focaliser exclusivement sur la santé mentale. Il s’agit d’un service centralisé et holistique où les étudiants peuvent être pris en charge pour un ou plusieurs troubles de santé. Ainsi, les étudiants n’ont pas à s’adresser à plusieurs spécialistes et gagnent du temps. En outre, une modalité d’accès flexible et rapide permet à l’étudiant d’être envoyé vers un autre spécialiste dans la même structure. Cette organisation réduit le risque de stigmatisation : les différentes disciplines médicales sont réunies dans le même centre, et l’étudiant peut s’adresser à l’ESE sans en expliciter la raison. En revanche, cette approche holistique peut avoir l’inconvénient d’une faible visibilité de l’offre de soins en santé mentale dans un centre qui peut être vu comme uniquement médical. Ainsi, les étudiants ayant un problème de santé mentale d’intensité légère à modérée pourraient ne pas s’adresser à l’ESE.
18 Une consultation dite de prévention avec une infirmière est proposée à tous les étudiants au tout début de leur cursus. Au cours de cet entretien qui se déroule à l’ESE, certains troubles mentaux peuvent être dépistés, et les étudiants concernés sont alors adressés au personnel spécialisé en santé mentale. Celui-ci comprend différents types d’intervenants : trois psychologues cliniciennes qui proposent des consultations individuelles et un soutien psychologique ; un infirmier psychiatrique, mis à disposition par le centre hospitalier Charles-Perrens, qui suit des étudiants présentant des troubles psychiatriques, soit en amont de la consultation avec un psychiatre, soit lors d’un suivi ; trois psychiatres spécialistes en troubles anxio-dépressifs et troubles psychotiques, disponibles pendant cinq demi-journées ; une infirmière sophrologue responsable d’un atelier de gestion du stress individuel ; les médecins généralistes et les infirmières sont également à même de faire une prise en charge pour des troubles mineurs. L’ESE propose des consultations individuelles et offre des ateliers et un groupe de parole à visée psychothérapeutique, menés par des psychologues mis à disposition par l’association Rénovation et la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN). L’activité de consultation des psychologues est d’importance croissante et ne leur permet pas de réaliser un suivi à long terme. Alors que le temps d’attente était d’un mois et demi, la décision a été prise récemment d’instaurer une prise de rendez-vous directe par mail, pour une première rencontre dans la semaine avec l’équipe. Ce premier entretien permet de sélectionner les étudiants qui peuvent patienter pour un rendez-vous, pour une réorientation interne avec le psychiatre ou le psychologue.
19 En moyenne, quatre séances sont réalisées par étudiant avec une psychologue.
« En moyenne l’étudiant va avoir 3-4 consultations. On ne peut pas faire des suivis de longue durée, car il n’y a pas suffisamment de ressources économiques et de personnel. Pour plus de quatre consultations, l’étudiant est adressé à des services extérieurs. »
21 Une consultation avec un psychiatre en amont est nécessaire pour accéder aux ateliers. Les étudiants sont adressés aux psychiatres uniquement sur orientation en interne par un psychologue ou un infirmier psychiatrique.
22 Seuls les troubles mentaux modérés sont pris en charge :
« C’est très rare qu’il y ait des étudiants qui s’adressent à l’ESE avec des troubles mentaux graves. En ce cas, ils sont renvoyés aux urgences pour que le médecin ou le psychiatre puissent les orienter ou les hospitaliser. »
24 Enfin, les entretiens que les auteurs ont menés auprès du personnel soignant de l’ESE concerné par la santé mentale des étudiants bordelais ont mis en évidence un manque important de ressources humaines et matérielles pour pouvoir répondre à une demande croissante.
« Il nous faut plus de psychologues, car il y a une forte demande de consultations. »
Les cinq autres services pour la santé mentale des étudiants bordelais
26 Le service PHASE s’adresse aux étudiants qui ont des besoins spéciaux, comme les étudiants avec un handicap ou une maladie chronique, les sportifs de haut niveau ou les étudiants menant une carrière artistique. L’aide fournie par le service
27 PHASE peut être humaine ou matérielle, par exemple un aide-enseignant personnalisé ou des systèmes de prise de notes numériques. Le personnel est surtout composé de professionnels non-médicaux.
28 Les bureaux de la vie étudiante (BVE) représentent la porte d’accès pour les étudiants en recherche d’aide, quelle qu’elle soit. Ce service a par conséquent une fonction d’intermédiaire entre l’étudiant et l’offre de soins appropriée à ses besoins.
29 L’université de Bordeaux s’est, depuis quelques années, inquiétée pour la santé mentale des étudiants en médecine et a organisé un système de veille reposant sur les responsables pédagogiques et les responsables de stage. Ceux-ci repèrent les étudiants en difficulté et tentent de les accompagner et de les orienter de façon adéquate vers une évaluation ou des soins, lorsque c’est nécessaire.
« Les études de médecine sont de très longue durée et sont associées à une grande quantité de travail. Surtout quand les étudiants sont à mi-temps en stage à l’hôpital pendant leurs études, ils sont partagés entre la pratique, les cours et le travail personnel et ils font face à une nouvelle responsabilité qui peut être difficile à gérer sans aide. »
31 La maison des adolescents de la Gironde (MDA33) fournit un service de consultations anonymes et gratuites concernant l’éducation, la sexualité, les troubles du comportement, les doutes sur son propre parcours de vie et ses problèmes relationnels. Le personnel se compose de psychologues, d’assistants sociaux, d’une infirmière et d’un psychiatre. Elle est financée par l’agence régionale de santé (ARS), le conseil général [3] et la mairie.
32 Le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) de Bordeaux-Aquitaine dépend du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Le CROUS gère les résidences universitaires, les bourses et les aides financières aux étudiants, ainsi que les services de restauration dans les campus. Le CROUS organise aussi des événements culturels et constitue un soutien administratif et social pour les étudiants. Ce rôle est rempli par ses assistantes sociales.
Discussion
Système de santé mentale dédié aux étudiants versus système de santé mentale commun pour les jeunes à Bordeaux
33 Les structures que nous venons de décrire s’adressent toutes spécifiquement aux étudiants, à l’exception de la maison des adolescents (MDA33). Cette dernière structure est financée par les autorités locales et propose aux jeunes une offre de soins complète, mettant à leur disposition des soignants et des acteurs sociaux. Elle s’adresse directement aux jeunes âgés de 11 à 25 ans ; elle est située en centre-ville et son objectif est de faciliter l’accès à une évaluation et à une orientation par un accueil gratuit et anonyme. Comme les structures qui reçoivent uniquement des étudiants, elle doit se penser en complémentarité des structures de soins (médecin référent, médecins spécialistes et structures hospitalières privées ou publiques) et des structures qui s’adressent à des populations spécifiques comme les consommateurs de substances, quel que soit leur âge.
34 Les autres structures décrites ont uniquement les étudiants pour public et le plus souvent un rayon d’action plus limité : les soins pour l’ESE, l’aménagement des études aux particularités de l’étudiant pour PHASE, l’orientation pour les BVE, la vie quotidienne pour le CROUS. Leurs rôles clairement définis permettent leur complémentarité.
Le rôle de l’université dans le parcours de soins de l’étudiant en détresse psychologique
35 Les besoins et les attentes des étudiants étant importants en matière de santé mentale, l’université est amenée à s’impliquer dans une offre de services proportionnée. Les institutions d’enseignement supérieur sont censées mettre à disposition de leurs étudiants des programmes et des initiatives de prévention et de soins en santé mentale, tout en leur permettant de bien réussir dans leurs études et dans leur vie quotidienne (American College Health Association – ACHA, 2012). Elles devraient être en capacité de soutenir les étudiants atteints de troubles mentaux qui accèdent à l’université, ainsi que les étudiants qui développent de tels troubles au cours de leur formation. En faisant référence au plan psychiatrie et santé mentale (PPSM) 2011-2015, nous nous sommes concentrés sur la dimension de « détresse psychologique » réactionnelle, qui correspond aux situations éprouvantes et aux facteurs de stress typiques des périodes de transition, et nous avons abordé certains déterminants de la santé mentale des étudiants en nous intéressant à l’âge, à l’éloignement géographique, au niveau socioculturel et au niveau économique en tant que déterminants de santé mentale conduisant à améliorer l’épanouissement personnel. La troisième et dernière dimension identifiée par le PPSM, les « troubles psychiatriques sévères », n’a intentionnellement pas été développée dans ce manuscrit car leur prise en charge repose davantage sur le système sanitaire que sur le système éducatif, même si leur coopération se révèle alors nécessaire.
36 Afin de favoriser l’accès et la continuité des aides et des soins fournis aux étudiants souffrant de troubles psychiques (Grant, 2002), l’université pourrait offrir des services médicaux, des programmes de promotion de la santé mentale, des services de soutien psychologique et des conseils en orientation professionnelle. Certaines universités proposent des soins psychiatriques, comme celle de Bordeaux via le service de santé étudiant ; dans d’autres universités, un conseiller spécialisé en santé mentale prodigue des informations aux étudiants et au personnel et permet une action rapide et, si nécessaire, l’aiguillage vers des services spécialisés (Royal College of Psychiatrists, 2003). Certains services de santé universitaires, comme à Bordeaux, proposent des consultations gratuites avec un psychologue, ce qui est d’une importance considérable pour l’étudiant, étant donné le coût de la consultation en ville non remboursée par la sécurité sociale en France. Cependant, et comme cela a été dit plus haut, le nombre d’étudiants qui pourraient bénéficier d’une assistance psychologique est probablement très supérieur au nombre d’étudiants pris en charge par les services de santé universitaires. Un élargissement de la demande pourrait mettre sous très forte tension les services concernés.
37 Parmi les treize priorités pour la jeunesse établies par le Comité interministériel de la jeunesse (CIJ) en février 2013 figurait comme troisième chantier « Améliorer la santé des jeunes et favoriser l’accès à la prévention et aux soins des actions de prévention et de prises en charge pour les problèmes de santé mentale, notamment pour les pathologies rencontrées dans ces âges ». En conséquence de ces dispositions, le nombre de centres de santé universitaires est passé de 14 à 30 en 2015. Les centres peuvent maintenant prescrire des actes médicaux, ce qui constitue une nouveauté importante.
L’intégration des services de l’université de Bordeaux dans l’offre de soins en ville ou à l’hôpital
38 L’intégration des services de soins en santé mentale au sein du système éducatif universitaire pourrait avoir des retombées positives sur l’accès aux soins, la qualité de vie, le fonctionnement social et la réussite académique des étudiants. Une coordination de tous les systèmes actuels de dépistage, d’orientation et de soins en santé mentale semble donc indispensable. À l’heure actuelle, en dehors des services dont nous avons parlé et qui sont accessibles aux étudiants bordelais, les seuls services gratuits en santé mentale sont les services psychiatriques hospitaliers qui prennent en charge des personnes atteintes de troubles psychiatriques généralement sévères. Or, dans leur grande majorité, les étudiants souffrent de troubles d’intensité modérée, de difficultés d’adaptation et de gestion de facteurs de stress, parfois de véritables troubles anxieux ou dépressifs, mais d’intensité légère à modérée (OECD, 2012). Il s’agit de la demande la plus importante en terme quantitatif, même s’il ne faut pas négliger les besoins des jeunes qui présentent des troubles psychiatriques plus sévères. S’ils accèdent peut-être moins souvent aux études supérieures, un accompagnement resserré et un dépistage précoce peuvent leur apporter une aide essentielle et favoriser une bonne insertion socioprofessionnelle future.
L’Espace santé étudiants de l’université de Bordeaux : un exemple de coordination
39 L’Espace santé étudiants de l’université de Bordeaux représente un exemple de coordination entre les services offerts par l’université et l’offre de soins de ville et hospitalière. En effet, les trois psychologues de l’ESE travaillent en articulation avec les centres de consultation hospitaliers de psychiatrie adulte (centres médico-psychologiques) et les praticiens libéraux. Il en est de même pour les autres professionnels de ce service, qui ont dans leur grande majorité une autre activité, que ce soit dans le privé ou dans le secteur public.
40 Les étudiants accèdent aux services de santé mentale de l’ESE par deux portes d’entrée :
- l’orientation par des services psychiatriques extérieurs (par exemple, le service d’évaluation de crise et d’orientation psychiatrique du centre hospitalier Charles-Perrens) pour les étudiants dont les troubles psychiatriques se sont déjà manifestés ;
- l’accès direct par l’étudiant lui-même qui se plaint d’anxiété, de stress, de difficultés d’adaptation dans le cursus universitaire, etc.
41 Dans le premier cas, l’ESE peut prendre le relais d’une autre structure de soins ou se charger de la stabilisation du parcours de soins de l’étudiant concerné. Des orientations sont parfois réalisées par les services de psychiatrie, suite à l’hospitalisation d’un étudiant, vers l’ESE pour un suivi par un infirmier psychiatrique, un psychologue ou un psychiatre. Ces étudiants peuvent intégrer des groupes de parole et de soutien psychothérapeutique animés par des psychologues, pour un étayage supplémentaire. Ce réseau et ce maillage interne permettent d’éviter les hospitalisations en accompagnant le patient au plus près et en dépistant précocement les récidives ou les aggravations de leur pathologie. Ils permettent également des orientations rapides et facilitées vers les cliniques et hôpitaux pour des hospitalisations ou vers des hôpitaux de jour. Dans le deuxième cas, les étudiants s’adressent directement à l’ESE pour des questions d’anxiété, de stress ou d’adaptation dans leur cursus universitaire. Ils sont évalués dans un premier temps par l’infirmier psychiatrique qui les oriente, si nécessaire, vers l’un des deux psychiatres ou vers les psychologues.
42 On voit donc que l’ESE a une offre de soins rationalisée. Cependant, la demande de ce type de soins est forte et en augmentation ces dernières années et cela pose des questions importantes sur le choix de la population à prendre en charge prioritairement. Il serait légitime que l’offre soit concentrée sur les étudiants ayant les troubles plus sévères, mais cela se ferait au détriment de ceux, très nombreux, ayant des troubles modérés pour lesquels une prise en charge légère permettrait d’éviter une forme plus sévère de pathologie mentale. C’est donc la question de la prévention qui est posée. Prévenir est d’abord agir sur les populations jeunes afin de réduire l’incidence des troubles, modérés ou sévères. C’est ensuite permettre le repérage des troubles et faciliter l’accès aux soins pour des prises en charge précoces et adaptées afin de préserver au mieux le devenir des jeunes adultes. Une autre question importante concerne l’articulation entre l’ESE et les autres structures dédiées aux étudiants que nous avons décrites ou avec les structures de soins en addictologie, comme le Comité étude information drogue et addictions (CEID), situées en centre-ville et orientées vers les jeunes grâce à des structures comme la Consultation avancée d’addictologie nouveaux usages (CAAN’abus). Pour être véritablement opérationnelle, l’articulation entre l’ESE et les autres structures supposerait une cohérence des actions entreprises et une stratégie forte de coordination des acteurs concernés, ce qui reste encore complexe à mettre en place, sans réel chef d’orchestre et avec une offre multiple et souvent difficile à lire. Cette coordination est donc une perspective importante concernant les soins en santé mentale pour les étudiants.
Conclusion : de l’exemple de Bordeaux aux services de santé universitaires français
43 Cette présentation de l’organisation de l’université de Bordeaux est une tentative d’identifier les services proposés pour la santé mentale des étudiants et leur articulation. La description des fonctions des différentes structures aide à comprendre leur rôle dans le parcours de soins de l’étudiant en situation de détresse psychique à Bordeaux. Aux États-Unis (Prince, 2015) et au Canada (Canadian Association of College & University Student Services – CACUSS et Canadian Mental Health Association – CMHA, 2013), les universités suivent des modèles et des règles de santé publique qui permettent à l’étudiant d’avoir un parcours de soins bien défini. Les universités françaises et, plus généralement, les universités européennes tendent à se rapprocher de ce modèle et à fournir aux étudiants des services de consultation, de dépistage et de traitement. En revanche, il n’existe pas de normes communes à toutes les universités de France, et l’offre de soins en santé mentale mise à disposition par les universités est hétérogène.
44 Une voie d’amélioration serait que les services de santé universitaires soient insérés dans l’offre de soins. Comme évoqué dans les Conclusions de la concertation en vue d’élaborer un Plan national de vie étudiante (juillet 2015), l’évaluation et le développement des réseaux de soins université-ville pourraient aider à l’intégration des services universitaires dans le système de santé global. Une meilleure coordination et une meilleure collaboration entre les services offerts par l’université et les services offerts en ville et, à plus large échelle, dans la région semblent un objectif prioritaire pour améliorer la prise en charge des questions de santé mentale chez les étudiants.
Notes
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[1]
Remerciements
Les auteurs remercient France Dupuy, Sylvie Maurice, Anne-Cécile Rahis et Dominique Testud pour avoir participé à cette étude en fournissant informations et conseils pendant leurs entretiens. Un remerciement spécial à Élie Guichard, statisticien, pour les chiffres issus du projet i-Share.
Financement
Le deuxième auteur, IM, est financé par une bourse de l’État français gérée par l’Agence nationale de la recherche (ANR), sous les « Investissements d’avenir » dans le cadre du programme IdEx Université de Bordeaux program (HEADS program), numéro du financement [ANR-10-IDEX-03-02]. Le projet i-Share est un projet « Investissements d’avenir » financé via l’ANR, numéro du contrat [ANR-10-COHO-05]. - [2]
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Aujourd’hui le conseil départemental.