CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Les mondes de l’économie et de la protection sociale apparaissent trop souvent cloisonnés, notamment en France, que ce soit dans les débats publics ou dans le domaine de la recherche. Peu d’économistes néo-classiques – dits parfois « mainstream » – étudient et comprennent le fonctionnement de la protection sociale, si ce n’est pour la concevoir comme un ensemble de rigidités, de coûts et de freins à l’activité. Dans le même temps, les chercheurs en sciences sociales spécialistes des politiques sociales abordent rarement les questions économiques, si ce n’est pour souligner la fonction de redistribution et de soutien au revenu de la protection sociale ou pour dénoncer une pensée unique – souvent qualifiée d’« austéritaire » ou d’« ultra-libérale » – qui ne viserait qu’à démanteler l’État-providence. Dès lors, il est difficile de se départir de raisonnements caricaturaux et de comprendre quelles sont les véritables relations entre l’économique et le social, notamment les fonctions économiques de la protection sociale et sa réelle contribution à la croissance.

2 Ce numéro spécial de la Revue française des affaires sociales vise précisément à faire dialoguer des acteurs de l’économique et du social, afin que les premiers ne soient plus cantonnés aux seuls objectifs de croissance, de politiques industrielles et d’organisation de la production et que les seconds puissent intégrer davantage de considérations de stratégie économique à leurs réflexions sur les problématiques de redistribution et de solidarité. Dépasser cette vision dichotomique et stéréotypée de l’économique et du social doit permettre de penser dans toute leur diversité et leur complexité les interactions entre ces deux sphères. Aussi, ce numéro se propose-t-il d’apporter une pierre à la réflexion sur la façon dont les politiques sociales peuvent être conçues en interaction avec les stratégies économiques d’un pays et sur les implications à en attendre.

L’économique et le social, deux mondes étroitement liés, mais qui trop souvent s’ignorent

3 Si l’on ne peut réduire la protection sociale à sa seule dimension économique – elle vise d’abord à répondre à des besoins sociaux –, de nombreuses analyses ont montré que la protection sociale remplissait aussi des fonctions politiques (comme par exemple quand Robert Castel analyse comment la mise en place des assurances sociales permet aussi de résoudre la question sociale ouvrière [Castel, 1995]) et des fonctions économiques. Celles-ci ont été analysées en France en détail par de nombreux économistes « régulationnistes » (par exemple Théret, 1995) ou autres hétérodoxes (Ramaux, 2012).

4 L’histoire de la protection sociale montre combien il est difficile de comprendre le développement de la protection sociale sans faire référence à ses fonctions micro ou macro-économiques, et combien la croissance économique est étroitement liée à la protection sociale (positivement ou négativement).

5 Par le passé, des acteurs fondateurs de la protection sociale, comme William Beveridge pour le Royaume-Uni ou Pierre Laroque pour la France, ont théorisé et montré combien les politiques sociales qu’ils envisageaient devaient contribuer à la croissance (voir Palier, 2005, chapitre 2). Cependant, il est rare aujourd’hui de voir les décideurs penser le rôle de la protection sociale dans l’économie. Serait-ce alors que la protection sociale, qui a pourtant contribué dans le passé à la croissance des entreprises (cf. les premiers dispositifs d’assurances sociales soutenus par les employeurs) ou encore aux Trente Glorieuses (cf. la capacité des dispositifs de protection sociale de soutenir, voire de relancer la consommation et de créer des emplois), ne serait plus désormais, dans un contexte de capitalisme globalisé et de désindustrialisation, qu’un frein ou une charge pour l’économie ?

6 Les politiques qui vont dans le sens d’un démantèlement de l’État-providence ou d’une privatisation de la protection sociale, voire peut-être même – dans une certaine mesure – celles qui visent à réduire les cotisations sociales semblent donner davantage de crédit à cette thèse (la contribution de la protection sociale à la croissance serait devenue purement négative ; dès lors, retrouver de la croissance et recréer des emplois supposerait de réduire ce que certains nomment les « rigidités » et les « charges sociales »). Mais on peut aussi heureusement constater d’une part qu’aucun pays n’a véritablement démantelé l’État-providence (Pierson, 1994) et qu’en outre, dans nombre de pays, des réformes de la protection sociale semblent avoir été inscrites positivement dans une stratégie économique de croissance et de création d’emplois. La « Flexicurité » à la danoise en est l’exemple le plus connu. On peut aussi souligner le rôle qu’ont pu jouer les accords sociaux sur le Kurzarbeit pendant la crise en Allemagne, ainsi que les bonnes performances économiques, en termes de croissance et de chômage, des pays scandinaves qui continuent pourtant d’avoir des dépenses sociales très élevées.

Pensée économique et réformes de la protection sociale

7 En partant notamment de l’analyse des approches de la protection sociale définies par les grandes organisations internationales – Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Union européenne, Fonds monétaire international (FMI), Banque mondiale, Bureau international du travail (BIT), etc. –, il est possible de cerner le contenu des trois principaux paradigmes de politiques économiques et sociales qui se sont succédé pour orienter les politiques sociales et leurs réformes : approches keynésienne, néolibérale et investissement social (cf. tableau ci-après). Ces idées ont façonné le développement, puis les réformes des systèmes de protection sociale des pays développés (à la façon d’un paradigme ou d’un référentiel de politique publique, [voir Muller et Jobert, 1987]).

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Paradigme keynésien Paradigme néo-classique Stratégie d’investissement social Auteurs de référence Keynes, Beveridge Hayeck, Friedman Amartya Sen, G. Esping-Andersen Diagnostics sur le chômage Chômage et récession sont liés à un déficit de demande. Chômage et inflation sont liés aux coûts et aux rigidités du marché du travail, à la régulation excessive du droit du travail, aux prestations sociales passives qui découragent la recherche d’emploi. Chômage et précarité sont liés au manque de qualification adéquate des individus et au manque d’activité à haute valeur ajoutée dans l’économie. Analyse des relations entre les politiques sociales et l’économie Relations positives, renforcements mutuels. Les assurances sociales permettent de lisser les comportements de consommation (de réduire l’épargne de précaution et de stimuler la consommation de masse), de relancer l’économie en période de récession et de créer des emplois. Impact négatif des dépenses sociales publiques sur l’économie ; l’État-providence apparaît comme une des causes de la crise (stagflation) ; les systèmes sociaux sont trop coûteux (niveaux élevés des prélèvements obligatoires, effets démotivants des prestations, les politiques sociales empêchent certaines activités privées de se développer dans le domaine des assurances et des fonds de pension notamment). Les politiques d’investissement social apparaissent comme pré-condition de la croissance économique et de la création d’emplois de qualité. Rôle économique positif des politiques sociales d’investissement dans le capital humain, des politiques d’égalité, des politiques de conciliation, qui favorisent la hausse des taux d’emploi et l’émergence d’emplois de qualité et accompagnent l’entrée dans l’économie de la connaissance. Objectifs des politiques sociales - Sécurité sociale et maintien du revenu ; - le plein emploi (des hommes) ; - permettre l’indépendance par rapport au marché. - Lutter contre la pauvreté et l’inactivité ; - favoriser la croissance par la réduction des prélèvements obligatoires et des dépenses sociales publiques ; - pousser au retour de tous sur le marché du travail. - Lutter contre les inégalités héritées ; - favoriser la participation de tous au marché du travail/élargir la base fiscale ; - préparer les générations présentes à l’économie de demain.
Source : Morel, Palier et Palme, 2012.

De la révolution industrielle aux politiques actuelles d’activation de l’emploi : deux siècles d’évolutions étroites de l’économie et de la protection sociale

8 Les systèmes d’assurances sociales, figure principale de l’État-providence en Europe continentale, sont l’émanation et le support de la société industrielle. Ils naissent au xix e avec la révolution industrielle et son corrélat social : l’émergence du salariat (Castel, 1999). Destinées à garantir la continuité du revenu des ouvriers qui ont perdu les solidarités familiales et locales de la société agricole, les assurances sociales permettent en même temps aux patrons de s’assurer la fidélité, la stabilité et la qualité de leur main-d’œuvre.

9 Au cours des trente années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, le fordisme et les approches keynésiennes des politiques économiques vont permettre une véritable explosion des dépenses sociales (de 5 à 25 % du produit intérieur brut [PIB] en moyenne en Europe). Pendant cette période, les politiques économiques et sociales semblent se renforcer l’une l’autre. Les dispositifs de protection sociale permettent alors de soutenir et de relancer la croissance économique : ils sont créateurs d’emplois directs (professions sanitaires, sociales et d’administration de la protection sociale) ; ils permettent de soutenir la capacité à consommer de ceux qui ne peuvent plus travailler (pour cause de maladie, chômage, vieillesse, invalidité…) ; dans la mesure où ils garantissent une sécurité du revenu, ils libèrent l’épargne de protection et permettent de consacrer une part croissante des revenus à la consommation ; ils sont aussi des instruments de relance de la consommation. La croissance économique des Trente Glorieuses (1945-1975) repose en grande partie sur les interactions vertueuses entre développement de l’industrie de production de biens standardisés de grande consommation, consommation de masse et généralisation de la protection sociale.

10 Avec la crise qui commence au milieu des années 1970 et l’échec des politiques keynésiennes de relance censées y faire face, l’État-providence entre dans une nouvelle phase au cours des années 1980 et devient le point de mire des critiques des économistes néo-classiques relayés par les leaders politiques néo-libéraux. Ceux-ci soulignent la nécessité de tourner les efforts non plus vers la demande – les consommateurs – mais vers l’offre – les entreprises et les investisseurs – en réduisant les coûts supportés par les entreprises, notamment le coût du travail, censé être alourdi par les cotisations sociales ; les rigidités du marché du travail, supposées empêcher les embauches ; et les prestations sociales, jugées trop généreuses et inconditionnelles, réputées ne pas encourager les gens à chercher du travail. Au cours des années 1980 et 1990, voire 2000, pour certains pays d’Europe continentale, dont la France, de nombreuses réformes vont tenter d’adapter les systèmes de protection sociale à ces nouvelles approches économiques dominantes, notamment par des politiques de réduction du niveau de certaines prestations sociales, de privatisation de certaines assurances sociales (au profit d’assurances maladie privées et de fonds de pension) et de mises sous condition des prestations versées aux personnes sans emploi, afin de les inciter à rechercher un travail. Ce sont les politiques dites d’activation.

11 D’une façon générale, il s’agit d’adapter les systèmes de protection sociale à une politique d’offre et non plus de demande. L’État-providence doit être mis au service de la compétitivité (des entreprises, des États, des individus). Ces réformes doivent rendre les systèmes de protection sociale plus favorables à l’emploi. Cela passe en particulier par une réduction de leur coût (a fortiori lorsque le financement de ces politiques repose avant tout sur le facteur travail) ou par une plus grande modération de leurs dépenses. Autre principe général, congruent avec la nécessité de contrôler les dépenses, il s’agit de cibler davantage l’intervention publique sur les personnes qui en ont le plus besoin et de moins promouvoir des politiques sociales universelles. Il s’agit enfin de faire appel à tous les acteurs de la protection sociale au-delà de l’État : famille et aussi secteur associatif ou encore marché, pour promouvoir une protection sociale qui serait plus proche des individus que celle délivrée par les pouvoirs publics. Les programmes sociaux doivent aussi être plus favorables à l’emploi et offrir des prestations plus incitatives, qui accroissent l’avantage retiré du fait de travailler plutôt que de recevoir une prestation sociale en demeurant inactif.

12 L’activation des politiques d’emploi est devenue un objectif souvent recherché, en particulier en Europe dans la cadre de la stratégie UE 2020, même si des différences de mise en œuvre demeurent entre États. L’augmentation des taux d’emploi – en particulier des femmes et des seniors – est devenue un levier d’action commun pour faire face au chômage et aux difficultés financières des systèmes de retraite. Dans ce domaine, la plupart des pays développent un système à plusieurs piliers qui inclut, dans des proportions très variables, les principes de la répartition et de la capitalisation et met de plus en plus l’accent sur l’importance du caractère contributif (resserrement du lien entre l’importance de cotisations payées et le niveau de la pension servie). Dans le secteur de la santé, la concurrence a été encouragée entre offreurs de soins dans les systèmes nationaux de santé et entre assureurs dans les systèmes d’assurance maladie, tandis que les politiques de maîtrise médicalisée des dépenses ont été promues. Les politiques d’emploi et les politiques sociales se sont alors appuyées sur la modération salariale, la limitation de l’augmentation des dépenses sociales ou encore le remodelage des prestations de façon à les rendre plus favorables à l’emploi.

13 Si l’on en dresse un bilan assez schématique, ces politiques n’ont cependant pas permis de réduire le niveau global des dépenses sociales publiques, mais elles l’ont contenu, alors même que les besoins sociaux exprimés n’ont cessé de croître. Elles n’ont pas non plus permis d’atteindre une croissance économique forte, du moins en Europe continentale. Elles se sont en revanche traduites par une montée, parfois importante, de la pauvreté laborieuse et par un accroissement significatif des inégalités [2], dans la mesure où les emplois créés ou sauvegardés sont trop souvent de « mauvaise qualité » ou atypiques, précaires et mal rémunérés…

14 Alors même que les réformes tentaient de faire évoluer les systèmes de protection sociale, les économies et les sociétés des pays occidentaux évoluaient rapidement. La mondialisation des échanges, la circulation des capitaux ont déplacé les activités économiques, délocalisant vers l’Est de l’Europe et surtout en Asie les activités industrielles de masse, reposant sur une main-d’œuvre ouvrière peu chère et peu qualifiée. Cette évolution amène les pays anciennement industrialisés à se convertir dans de nouvelles activités post-industrielles, fondées à la fois sur l’innovation technologique, les hautes qualifications, le savoir et sur les services (qualifiés ou non), notamment les services à la personne (Cohen, 2006). Les protections sociales fondées sur les assurances sociales, conçues à l’origine pour protéger les salariés en contrat à durée indéterminée, le plus souvent dans les secteurs industriels ou de services classiques, s’avèrent moins bien adaptées pour protéger des parcours professionnels plus mobiles, plus chaotiques, souvent plus précaires, typiques de la nouvelle économie. De plus en plus de personnes – et surtout de nouveaux groupes – se retrouvent en difficulté, en particulier les jeunes et les personnes non qualifiées, tandis que les seniors apparaissent relativement plus épargnés [3]. Ces personnes ne sont pas forcément les mieux protégées par les systèmes existants. Même certains travailleurs salariés se retrouvent dans une situation moins favorable, du fait des évolutions démographiques comme des mutations économiques qui risquent d’affaiblir leurs protections, autrefois bien établies. Enfin, les difficultés économiques et les mutations des formes de travail pèsent parfois également sur les modes traditionnels de financement de la protection sociale et tendent à en questionner certains fondements [4].

15 Si l’économie s’est transformée, les sociétés aussi ont changé ces dernières décennies, certaines mutations sociales ayant un fort impact direct sur les États-providences. Le vieillissement de la population qu’impliquent à la fois l’allongement de la durée de vie et, dans la plupart des pays développés à l’exception notable de la France, la réduction du nombre des naissances est un fait majeur qui pèse sur l’équilibre à venir des systèmes de protection sociale. Les systèmes traditionnels de protection sociale subissent également les conséquences des mutations des structures familiales. Le format familial traditionnel, où le mari occupe un emploi rémunéré et la femme s’occupe du foyer, a largement été remis en cause, avec la diversification des modèles de ménages et, notamment, l’accroissement du nombre de familles monoparentales. En effet, les systèmes de protection sociale ont le plus souvent été conçus pour protéger « les travailleurs et leurs familles » pour reprendre les termes de l’ordonnance de 1945 créant la Sécurité sociale en France. Ils doivent donc continuer de s’adapter afin de fournir une protection adéquate aux femmes/mères seules, aux jeunes sans emploi ou encore aux chômeurs de longue durée.

16 Les systèmes de protection sociale traditionnels, fondés sur les assurances sociales et sur les transferts sociaux, s’avèrent souvent insuffisants pour accompagner le mouvement de fond qui conduit de plus en plus de femmes à vouloir travailler. Pour ce faire, celles-ci devraient se voir reconnaître des droits sociaux en propre et devraient aussi pouvoir bénéficier de services sociaux (crèche, soins à domicile pour les personnes âgées ou handicapées) qui sont encore insuffisamment développés, même si les écarts dans ce domaine sont importants d’un pays à l’autre, la France, les pays nordiques et, plus récemment, l’Allemagne se positionnant bien en la matière. Si les débats se focalisent souvent en Europe et notamment en France sur les nouveaux besoins engendrés par le vieillissement de la population, il ne faut pas oublier que la pauvreté s’est déplacée. En France, la pauvreté a fortement reculé ces dernières décennies chez les personnes âgées, et c’est aujourd’hui avant tout le problème des jeunes, des femmes seules avec enfants, des personnes sans diplôme, sans qualification et des chômeurs de longue durée. Toutes ces personnes bénéficient de bien moins de protection de la part des systèmes traditionnels qui se sont concentrés sur les retraites et la santé, autant de prestations qui bénéficient d’abord aux plus âgés.

17 Toutes ces évolutions appellent moins une disparition de l’État-providence que son renouvellement, afin qu’il puisse accompagner les mutations de l’économie et de la société et préparer l’avenir.

De nouvelles perspectives depuis le début des années 2000, avec les stratégies d’investissement social qui permettent de conceptualiser la protection sociale comme facteur de croissance

18 Depuis le début des années 2000, une nouvelle approche des politiques sociales a émergé, qui prône non plus le démantèlement des États-providences, mais leur « réorientation vers l’avenir » (Esping-Andersen, 2002 ; Esping-Andersen et Palier, 2008). À l’origine destinées à compenser la perte temporaire ou définitive du revenu des travailleurs, les politiques sociales interviennent le plus souvent après coup, une fois le risque advenu. Les aides sociales visent ainsi à soutenir ceux qui sont les plus en difficulté, une fois qu’ils sont devenus pauvres. L’indemnisation du chômage, les politiques d’insertion et de retour sur le marché du travail interviennent en aval, une fois la personne licenciée ou exclue du marché du travail ; les dépenses de santé financent davantage le soin curatif que la prévention. La part la plus importante des dépenses sociales, celle qui est consacrée aux retraites, intervient en fin de vie, une fois les carrières menées, et pénalise ceux qui ont une trajectoire atypique (succession de contrats précaires, interruption de carrière, temps partiel…). Pour faire face aux enjeux présents et à venir, la nouvelle approche de l’État-providence cherche à changer de perspective sur les politiques sociales et à situer leur intervention en amont plutôt qu’en aval. Il s’agit de préparer pour avoir moins à réparer, de prévenir, de soutenir, d’équiper les individus et non pas de laisser jouer le marché, puis d’indemniser les perdants.

19 Cette nouvelle perspective conçoit ces nouvelles dépenses sociales non plus comme un coût pour l’économie, mais comme une série d’investissements, nécessaires à la fois pour garantir une croissance durable, forte et partagée et pour répondre aux nouveaux besoins sociaux ainsi qu’aux enjeux environnementaux. La stratégie d’investissement social définit de nouvelles priorités pour l’État- providence afin d’accompagner les individus tout au long de leur parcours de vie. Il s’agit de mieux aider les femmes, les jeunes et les enfants ou encore de réorganiser le travail et de transformer les parcours professionnels. Il s’agit également de promouvoir un modèle de développement compatible avec la contrainte de ressources naturelles nécessairement limitées et avec les enjeux climatiques actuels.

20 S’il est possible d’identifier des paradigmes généraux qui dominent les politiques publiques et des paradigmes sectoriels qui informent les réformes de la protection sociale, les politiques concrètes mises en place font aussi preuve d’une certaine diversité selon les pays (et les gouvernements) considérés. Par exemple le débat français montre bien combien les réformes allemandes et françaises sont différentes, et l’on peut aussi souligner combien les réformes suédoises diffèrent des réformes britanniques (ou françaises) du marché du travail et de la protection sociale.

21 Comment rendre compte de cette diversité ? Plusieurs hypothèses peuvent être ici mentionnées. La diversité pourrait être liée à la « couleur » politique des gouvernements au pouvoir lors de ces réformes. Mais alors, les politiques de gauche se ressembleraient quels que soient les pays, tout comme les politiques de droite, ce que ne confirment pas les faits. Une deuxième hypothèse expliquerait les différences en partant des régimes de protection sociale dont relève le système qui se trouve réformé. Nous avons ainsi pu montrer par ailleurs que les systèmes bismarckiens de réformes suivent une trajectoire de réforme relativement similaire entre eux et différente par rapport aux trajectoires caractéristiques des pays scandinaves ou bien des pays libéraux (Palier, 2006, 2007 et 2010).

22 On retombe ici sur une hypothèse de dépendance au chemin emprunté (path dependency), qui ne permet cependant pas toujours de comprendre tout le contenu des réformes de la protection sociale, ni surtout leurs possibles bifurcations et ruptures. Ainsi, il reste à comprendre certaines différences fondamentales entre la France et l’Allemagne en matière de réformes du marché du travail et de la protection sociale au cours des années 2000, alors même que ces deux pays sont censés relever des régimes bismarckiens de protection sociale (Palier, 2010). Nous faisons l’hypothèse qu’une partie des différences entre les réformes de la protection sociale mises en œuvre entre les pays correspond aux différences entre ce que nous appelons leurs stratégies de croissance et de stimulation de l’emploi. Cette hypothèse nécessite d’analyser le rôle assigné à la protection sociale (ou à sa réforme) dans le cadre d’une stratégie économique visant croissance et création d’emplois.

Stratégies nationales de croissance et réformes de la protection sociale

23 Afin de mieux comprendre les stratégies de croissance, il est possible de faire appel à certains travaux de sciences sociales, souvent ignorés en France, mais importants en économie politique comparée (Comparative Political Economy), qui cherchent à conceptualiser les relations entre l’économique et le social à partir de notion de régime de production ou de croissance – comme l’école de la régulation française – ou bien aux travaux anglo-saxons de Political Economy. Ces travaux insistent sur les complémentarités institutionnelles qui caractérisent différentes configurations de capitalisme : entre mode de financement de l’économie, type de production, relations industrielles et protection sociale.

24 De nombreux travaux d’économie politique ont montré qu’il est possible de lire des cohérences nationales entre les structures de l’économie, les politiques économiques, les politiques d’emploi, de formation et les systèmes de protection sociale. Il s’agit notamment des approches inspirées par l’école française d’économie de la régulation, ou bien l’approche internationale en termes de Varieties of Capitalism (Hall et Soskice, 2001). Pour comprendre les relations entre protection sociale et modèles nationaux de croissance, ces approches sont à mettre en lien avec l’approche de Gøsta Esping-Andersen qui a insisté sur les cohérences des trois types de régimes de protection sociale présentés dans le tableau de la page 10 (libéral, conservateur et social-démocrate).

25 Il semble difficile de comprendre les évolutions d’un système de protection sociale sans prendre en compte ses interactions avec le système économique particulier d’un pays et son régime de croissance. L’interdépendance entre les différentes stratégies de croissance suivies et la nature des réformes de la protection sociale entreprises doit donc être étudiée.

26 Il est possible de distinguer quatre stratégies de croissance et de création d’emplois, chacune ayant des corollaires différents en matière de réforme de la protection sociale. Deux grands déterminants de la croissance permettent de séparer deux grandes familles de stratégie de croissance : celle qui fait reposer la croissance sur les exportations, et celle qui la fait reposer sur la consommation. Lorsque ce sont les exportations qui tirent la croissance et la création d’emplois, deux cas de figure sont imaginables. Soit les exportations sont principalement des biens manufacturés de grande qualité, soit il s’agit de biens ou de services innovants, à haute teneur en nouvelles technologies (services financiers, numériques, etc.). Dans le premier cas de figure (illustré par l’Allemagne, comme le souligne le texte de Anke Hassel), dans un contexte général de désindustrialisation, il semble nécessaire de concentrer les efforts de productivité et de protection sur les salariés du secteur manufacturier, tandis que les secteur des services peu productifs sont, eux, soumis à la libéralisation et à la baisse de la protection sociale. Dans ce cas de figure, on trouvera des mécanismes de dualisation de la protection sociale parallèle à la dualisation du marché du travail visant à « sauver l’industrie » exportatrice (Emmenegger, Hausermann, Palier et al., 2012). S’il s’agit de favoriser les services à haute teneur en qualification et en nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), la stratégie de croissance suppose alors une formation intensive de la main-d’œuvre tout au long de la vie tout comme un accompagnement des mutations économiques et des transformations de l’emploi. Les réformes de la protection sociale visent alors l’investissement social et la « flexicurité » (cf. le texte de Jon-Erik Dolvik dans ce numéro, pour une illustration de ces politiques de croissance et de protection sociale dans le cas des pays scandinaves).

27 Du côté des stratégies tirées par la consommation, deux cas de figure, là encore, se présentent. Il peut s’agir d’une consommation assise sur l’endettement privé. Le développement de l’accès facile au crédit, notamment immobilier, et plus généralement du capitalisme financier, y compris en matière de retraite ou de santé, joue alors un rôle central à la fois comme moteur de la croissance, mais aussi comme source d’accès à des surcroîts de revenu par l’emprunt et aux revenus indirects (retraites privées, assurances privées de santé). Le texte de Colin Crouch analyse comment cette logique de keynésianisme privé s’est développée dans le monde anglo-saxon notamment. Enfin, de nombreux pays ont longtemps continué de chercher à faire reposer leur croissance sur une consommation tirée par les revenus du travail et de la protection sociale. Depuis la crise de la zone euro, il semble que cette stratégie de croissance ne soit plus viable, et les pays d’Europe du Sud en particulier sont sommés de changer de stratégie pour s’atteler à de multiples coupes dans leur protection sociale afin d’ajuster leur coûts à leur productivité.

Et la France ?

28 De son côté, la France assied moins sa croissance sur l’exportation que sur la consommation interne. Qu’il s’agisse de la part de l’exportation dans le PIB, ou bien du niveau des salaires et du salaire minimum, de nombreux éléments amènent à conclure que la croissance en France repose d’abord sur la consommation des ménages, celles-ci étant entretenues par une politique salariale relativement généreuse, une augmentation continue des salaires (plus élevée que l’augmentation de la productivité, ce qui est rare dans les pays développés au cours des vingt dernières années) et un salaire minimum général, dont le niveau est relativement élevé (par comparaison internationale). Ce niveau relativement soutenu des salaires fait l’objet d’un consensus politique et social fort, les acteurs politiques étant convaincus que la croissance ne peut que faiblir si les revenus des ménages baissent trop et qu’une attaque du salaire minimum serait un casus belli frontal avec les syndicats de salariés.

29 Cependant, de nombreux économistes et les mouvements patronaux se plaignent, depuis la fin des années 1970, de ces niveaux salariaux et poussent les gouvernements à agir pour baisser le coût du travail. Les politiques de baisse indirecte du coût du travail sont ainsi devenues le cœur de la stratégie économique des gouvernements depuis le début des années 1990. Mais comme il ne peut s’agir de diminuer les revenus des ménages (au risque de tuer la croissance), la baisse du coût du travail passe par la baisse du coût indirect du travail, à savoir les cotisations sociales. La France est ainsi le pays qui a mis en œuvre les baisses de cotisations sociales les plus importantes de tous les pays développés, dans l’espoir d’obtenir à la fois un coût du travail modéré pour les entreprises, tout en maintenant le pouvoir d’achat des ménages (Zemmour, 2013).

30 Cette stratégie, menée en continu depuis la fin des années 1980, ne semble pas permettre un retour important de la croissance en France ni surtout créer suffisamment d’emplois. Les textes qui vont suivre montrent qu’il n’existe pas une seule voie pour construire une stratégie de croissance, de création d’emplois et de réforme de la protection sociale. Ce qu’ils montrent aussi, c’est que les pays qui semblent avoir réussi sont ceux qui se sont tenus de façon cohérente à une stratégie et n’ont pas cherché à en mener plusieurs de front ni à en changer trop souvent. Si la stratégie retenue en France ne s’avère pas satisfaisante, il faudra sans doute choisir parmi les trois premières approches présentées, mais de façon consistante, et ne pas essayer de conduire toutes les stratégies à la fois.

31 Est-il possible pour la France de choisir une autre stratégie ? Si l’on regarde ses atouts, la France semble être en position de choisir l’une ou l’autre des trois stratégies indiquées. Le secteur bancaire et financier français semble solide ; il a relativement bien résisté à la crise financière de 2008 et pourrait servir de moteur à la croissance. Mais pour ce faire, il faudrait chambouler le marché immobilier de façon à le rendre beaucoup plus volatil et accessible à une part plus grande (et plus pauvre) de la population, rendre le marché hypothécaire plus fluide et ne pas avoir peur des krachs immobiliers ni des inégalités ! De même, il conviendrait sans doute de réduire la voilure de la protection sociale publique obligatoire, afin de laisser des marges de développement de l’offre privée de protection sociale, ce qui était sans doute au fondement de la stratégie de la refondation sociale proposée par la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), à la fin des années 1990. Au cours des années 2000 cependant, la France a plutôt été tentée par la stratégie de la dualisation, afin de sauver son industrie (compensation des baisses de la protection sociale publique par des dispositifs de protection sociale privée complémentaires, principalement développés dans les grands groupes ; plus grande souplesse sur les statuts d’emplois atypiques, principalement dans les services ; développement des emplois de services non qualifiés, mal rémunérés, mais avec aides publiques…). Il semble cependant difficile de vouloir faire reposer la croissance sur les exportations d’une industrie manufacturière, dont la qualité des produits n’est pas aussi bonne que celle de ses concurrents directs. La France pourrait enfin tabler sur l’innovation, les nouvelles technologies et les services à haute valeur ajoutée. Il faudrait cependant réformer en profondeur son système éducatif (le faire passer d’un système élitiste à un système de la réussite de tous), et développer plus encore les politiques d’investissement social (accueil de tous les jeunes enfants dans des services collectifs de qualité, formation tout au long de la vie, etc.). La France souffre cependant d’un gros handicap, avec un niveau de qualification de nombreux adultes très bas. D’une façon générale, il paraît essentiel de ne pas chercher à tout faire, mais de définir une stratégie explicite et de prendre des décisions en matière de protection sociale et de réformes du marché du travail en cohérence avec celle-ci, de choisir une voie et de s’y tenir.

Vue d’ensemble des articles et points de vue présentés dans ce dossier thématique

32 Comme présenté dans la partie précédente de l’avant-propos, ce numéro spécial de la Revue française des affaires sociales (RFAS) vise à cerner dans quelle mesure les différentes stratégies nationales de croissance présentées plus haut peuvent être illustrées par des cas concrets et quel peut être le rôle de politiques ciblées de protection sociale dans l’implémentation de ces stratégies. Aussi, cette vue d’ensemble se propose-t-elle de dresser un panorama des différents articles de la Revue classés suivant cette approche, en prenant soin de débuter l’analyse par celle d’articles généraux et de contexte et de la conclure par des points de vue d’autres contributeurs et de partenaires sociaux, qui apportent une analyse critique voire un contrepoint des thèses développées dans le corps de la Revue.

33 Les deux articles de la première section du dossier thématique resituent dans une perspective de long terme les évolutions technologiques actuelles et leurs conséquences sociales et apportent des éléments de contexte sur la situation socio-économique de la France au sein des pays de l’OCDE, notamment en matière d’inégalités sociales. Il s’agit des contributions de David Dorn d’une part et de Michael Förster et Céline Thévenot d’autre part.

34 « La Montée en puissance des machines : comment l’ordinateur a changé le travail », de David Dorn, resitue dans une perspective historique pluriséculaire – en dressant un parallèle avec la révolution textile et ses effets initialement redoutés et finalement observés sur la main-d’œuvre – les évolutions technologiques du type de celles prédites par la loi de Gordon E. Moore, co-fondateur de célèbres entreprises de semi-conducteurs, qui annonçait dès 1975 une croissance exponentielle de la puissance de calcul des micro-ordinateurs et, par là-même, un abaissement spectaculaire de leur coût. De ce fait et en raison de l’élargissement de la palette des tâches susceptibles d’être confiées à des ordinateurs, dotés de plus en plus souvent d’intelligence artificielle, il explique que l’on pourrait aboutir à un scénario tel que décrit par Brynjolfsson et McAfee (2011 et 2014), qualifié de « Deuxième âge de la machine », dans lequel les économies des pays développés subiraient des mutations plus profondes encore que lors des révolutions industrielles précédentes.

35 Dans ce scénario, les rémunérations des travailleurs non qualifiés subiraient dans un proche avenir une énorme pression à la baisse et deviendraient inférieures à leur salaire de réserve, entraînant une rapide hausse de leur taux de chômage. Ce « Deuxième âge de la machine » n’aurait en théorie pas que des effets négatifs, puisque l’abaissement drastique des coûts de production qu’il induirait pourrait permettre une forte croissance de la productivité et de la richesse globale produite. Mais cette évolution s’effectuerait vraisemblablement au bénéfice principal des seuls détenteurs du capital informatique et serait donc facteur d’inégalités.

36 Ce scénario serait toutefois « loin d’être certain » de l’aveu même de l’auteur, qui s’appuie sur plusieurs études (notamment de Gordon, 2012), pour rappeler que les évolutions technologiques ont plutôt tendance à ralentir qu’à accélérer sur la période récente. Surtout, il rappelle qu’il ne faudrait pas raisonner à la façon des luddites du xix e siècle, qui détruisaient les machines à tisser de peur qu’elles ne leur prennent leur emploi ! En effet, les faits ont déjà donné tort à plusieurs reprises par le passé à ceux qui prévoyaient une massification du chômage du fait des innovations technologiques.

37 Toutefois, on aurait pour autant tort de croire à une neutralité de l’innovation technologique, qui se traduit généralement par un changement dans la nature des emplois occupés. David Dorn explique ainsi que le progrès technique pourrait être biaisé (Skill-Biased Technological Change –SBTC), au sens où il favoriserait les travailleurs les plus qualifiés. Selon certains chercheurs, comme Goldin et Katz (2008), ce phénomène se serait déjà vérifié tout au long du xx e siècle et expliquerait la hausse continue de la demande de travail qualifié. Pour autant, plus que d’un biais général de qualification, il pourrait en fait s’agir d’un biais dans la nature des tâches accomplies (Task-Biased Technological Change–TBTC), comme postulé par Autor, Levy et Murnane (2003), et ce sont en fait les tâches routinières – par exemple l’assemblage de précision dans l’industrie ou le travail de bureau du type traitement de données – qui seraient les plus à même d’être exécutées par des machines. À l’inverse, les humains conserveraient une supériorité sur les robots pour ce qui est des tâches les plus créatives, qui nécessitent davantage de réflexion et aussi pour ce qui est des tâches supposant des relations interpersonnelles ou des interactions entre personnes. En résumé, la théorie TBTC prédit donc une polarisation croissante de l’économie avec une concentration croissante des emplois aux deux extrêmes de la distribution de revenus, les emplois comportant un grand nombre de tâches routinières susceptibles d’être effectuées par des robots se situant majoritairement au milieu de la distribution de revenus, d’après Goos et Manning (2007).

38 Les évolutions de l’emploi dans les pays les plus industrialisés et des salaires aux États-Unis au cours des vingt-cinq dernières années mettraient déjà en évidence une telle polarisation. Celle-ci serait d’autant plus rapide que, parallèlement à la demande croissante d’emplois fortement qualifiés, on observerait en fait aussi une croissance de la demande d’emplois peu qualifiés (comme les services à la personne, par exemple pour la prise en charge de la perte d’autonomie) situés en bas de l’échelle des revenus. David Dorn conclut son analyse sur la difficulté de distinguer les effets de ces évolutions technologiques de ceux de la mondialisation qui jouerait également dans le même sens et sur le fait que dans ce contexte, l’accent devrait toujours être mis sur l’éducation et plus particulièrement sur le type de compétences pour lesquelles l’humain dispose d’un avantage comparatif sur la machine.

39 Dans « Inégalités et protection sociale : les enseignements de l’analyse internationale de l’OCDE », Michael Förster et Céline Thévenot analysent quant à eux la montée des inégalités au sein des pays industrialisés depuis le milieu des années 1980. Ils montrent que les inégalités de revenus ont augmenté à la fois dans les pays où elles étaient déjà comparativement élevées et aussi dans des pays traditionnellement plus égalitaires. Sur la période plus récente, le découplage entre l’évolution des revenus les plus élevés et les plus faibles est également tangible pendant la deuxième phase de la crise économique, après que stabilisateurs automatiques et politiques fiscales ont atténué dans un premier temps cet effet.

40 Cette hausse tendancielle des inégalités serait, d’après les auteurs, à rattacher à des évolutions majeures dans différents domaines, intervenues lors des dernières décennies, tant sur le plan technologique – nouvelles technologies –, qu’économique – mondialisation accrue des échanges –, institutionnel – politiques de déréglementations et émergence des formes d’emploi non-standard – ou encore sociétal – nouveaux modèles familiaux. Ces différents facteurs auraient cependant joué à des degrés divers et l’effet de certains d’entre eux serait ambigu.

41 Face à ces changements, auxquels s’ajoute la pression accrue de la consolidation budgétaire au cours de la période récente, les systèmes de redistribution socio-fiscaux ont évolué. Alors qu’ils contribuent généralement de façon significative à la réduction des inégalités dans les pays de l’OCDE, leur rôle s’est affaibli au cours des deux dernières décennies. Ceci provient à la fois d’un effet mécanique lié à une progression tendancielle du taux d’emploi et des réformes entreprises dans certains pays.

42 Ces niveaux élevés d’inégalité ne sont pas sans conséquence. De trop lourdes inégalités pèsent sur la confiance des citoyens dans les institutions et entravent les réformes à venir. Elles découragent également l’investissement des ménages plus défavorisés dans le capital humain, ce qui se traduit à long terme par une perte de potentiel, et donc par des conséquences défavorables à la croissance économique.

43 Ces évolutions représentent autant de défis majeurs auxquels non seulement les systèmes de protection sociale, mais aussi plus généralement les politiques publiques doivent faire face. Plusieurs leviers peuvent être mobilisés pour contrer ces niveaux élevés d’inégalités. Outre des systèmes de redistribution équitables et efficaces, les auteurs mettent l’accent sur l’importance de résorber les inégalités dès leur formation, ce qui suppose de rendre les marchés du travail plus inclusifs, en favorisant la participation des femmes au marché du travail, le développement d’une éducation de qualité et accessible à tous et d’emplois de qualité.

44 Faisant suite à ces études cadrant le débat, la deuxième section du dossier s’attache plus particulièrement à présenter de façon fouillée trois des stratégies nationales de croissance à l’aide des contributions de Colin Crouch, illustrant la stratégie de croissance tirée par la dette privée dans sa variante anglo-saxonne de capitalisme financier ; d’Anke Hassel, stratégie de croissance tirée par les exportations, dans sa variante allemande de spécialisation dans l’industrie manufacturière haut de gamme ; enfin de Jon Erik Dølvik, stratégie de croissance tirée par les exportations dans sa variante technologique telle que développée dans plusieurs pays nordiques.

45 Dans « Qu’adviendra-t-il après la disparition du keynésianisme privé ? », Colin Crouch met en avant les deux régimes de politiques qui auraient permis de réconcilier les incertitudes et les instabilités propres aux économies capitalistes avec la démocratie et le capitalisme, dont les corollaires sont des besoins de stabilité au sein du cycle de vie et la confiance sur laquelle repose la consommation de masse.

46 Le premier de ces systèmes est le keynésianisme, au sens traditionnel du terme, fondé sur l’action de soutien public à la demande. En revanche, le second n’est pas, selon Colin Crouch, le néo-libéralisme – marqué par une confiance aveugle dans le marché –, mais bien le keynésianisme privé, ce qui correspond à la troisième des stratégies décrites supra dans l’article ouvrant ce numéro de la RFAS.

47 Colin Crouch estime en particulier qu’à la fin du xx e siècle, deux facteurs ont sauvé le modèle néo-libéral de l’instabilité : la croissance des marchés du crédit pour les personnes à revenus faibles ou intermédiaires et celle des produits dérivés et des marchés à terme (les futures) pour les très riches. Cette combinaison de facteurs a produit ce que l’auteur nomme le keynésianisme privé, dans lequel l’économie n’est pas stimulée par l’endettement public, comme dans le keynésianisme traditionnel, mais par l’endettement privé des ménages, en particulier via les emprunts immobiliers. Parallèlement aux prix de l’immobilier, l’endettement hypothécaire a très fortement augmenté dans les pays anglo-saxons au cours des années 2000 et ce mouvement a été soutenu par les pouvoirs publics (à travers notamment la dérégulation des marchés financiers, qui a induit des comportements irresponsables de la part des acteurs économiques), en particulier au Royaume-Uni, car toute baisse aurait pu amoindrir la confiance dans la capacité à rembourser la dette. Cela a conduit à totalement déconnecter la valorisation de ces actifs de leur valeur réelle, si bien que lorsque les marchés secondaires se sont écroulés au début de la crise financière, il n’était pas possible de chiffrer les dégâts, tant l’information faisait défaut.

48 Aussi, Colin Crouch considère qu’avec l’écroulement du keynésianisme privé, dont l’âge d’or aura duré trente ans comme celui du keynésianisme traditionnel, il a fallu désormais repenser à la fois le lien entre capitalisme et démocratie et gérer l’aléa moral créé par le système et les marchés. Cela a mené à un mouvement de refondation du keynésianisme privé dans lequel les partenariats entre les politiques publiques et d’entreprise sont plus étroits, inspiré du néo-corporatisme, avec notamment un renforcement des codes de bonnes pratiques plutôt que des règlements.

49 Ce modèle est diamétralement opposé à celui de l’Allemagne, décrit par Anke Hassel dans « Le Modèle allemand en transition ». L’auteur y illustre en particulier les inflexions de ses politiques économiques et sociales, qui ont permis à la première puissance européenne de retrouver un bon niveau de croissance et un faible taux de chômage à partir du milieu de la décennie 2000 et de se redresser rapidement suite à la crise de 2008.

50 Anke Hassel dresse tout d’abord un portrait des fondamentaux du modèle allemand, « économie sociale de marché » au sens où, sur la base d’un consensus large, l’État demeure responsable à la fois de la régulation des marchés et des conditions propices au maintien de la cohésion sociale. Se référant à la théorie des variétés de capitalisme développée par Hall et Soskice (2001), elle note que les économies de marché coordonnées (EMC) à l’allemande se distinguent structurellement des économies de marché libérales (EML) anglo-saxonnes par deux des cinq dimensions les caractérisant. D’une part, elles se fondent traditionnellement sur un haut degré de coordination et de centralisation des relations entre patronat et syndicats au sein des entreprises industrielles. D’autre part, les formations professionnelles dispensées par les entreprises d’une EMC mettent plus particulièrement l’accent sur le développement de compétences industrielles de pointe spécifiques à leur domaine, peu transposables d’une firme à l’autre, plutôt que sur des formations de nature générale. L’ensemble de ces caractéristiques crée une sorte de symbiose entre les employeurs et leurs salariés et pousse à la montée en gamme des productions, les filets de sécurité (assurances chômage, retraite…) étant quant à eux solidement garantis par un État-providence bismarckien.

51 Les principales évolutions apportées à ce modèle l’ont été durant la décennie 2000 dans le cadre de l’Agenda 2010 et des réformes Hartz IV ; elles ont traité concomitamment les dimensions économique et sociale. Elles ont notamment consisté en une plus grande décentralisation de la négociation collective, en un resserrement des formations dispensées par les employeurs, en des évolutions de la gouvernance d’entreprise et en une réforme profonde du marché du travail et des politiques sociales associées. En particulier, le rapport au travail a significativement changé en Allemagne, avec un accent accru sur les reconversions et le retour rapide à l’emploi, plutôt que sur la sécurisation de l’emploi tout au long de la vie. L’abaissement du coût du travail en bas de la distribution de revenus – certes désormais interrompu suite à la mise en place d’un salaire minimum – a conduit à une polarisation croissante de l’économie, les travailleurs les plus pauvres voyant désormais leurs salaires complétés par des allocations.

52 En dépit des bonnes performances de l’Allemagne, Anke Hassel conclut que le modèle allemand n’est pas aisément transposable à d’autres pays, car il repose notamment sur des fondamentaux propres au pays. Une partie de la croissance allemande des années 2000 se serait même faite au détriment de ses voisins européens (créant en particulier d’importants déséquilibres en termes de balance des paiements avec les pays du Sud), ce qui interrogerait sur la capacité de la zone euro à développer un modèle de croissance soutenable sans changement majeur du modèle allemand. Celui-ci devra de toute façon continuer de s’adapter pour faire face aux défis à venir, qu’ils soient démographiques ou sociaux, avec le vieillissement rapide de sa population et les questions spécifiques posées dans ce pays par le travail des femmes et des migrants, souligne Anke Hassel.

53 Enfin, « Le modèle nordique en période de crise : est-il toujours capable de s’adapter ? », de Jon Erik Dølvik, explore une autre variante des stratégies de croissance fondée sur l’exportation sans faire l’impasse sur la pluralité du modèle nordique et de son caractère adaptatif depuis les années 1990. À cette période, ces pays connaissent une forte reprise après les ajustements de leur modèle social, rendus nécessaires par la crise des années 1980. Ils ont même enregistré de très bonnes performances économiques au début des années 2000, ce qui leur a permis d’aborder la crise de 2008 dans des conditions favorables.

54 Selon Jon Erik Dølvik, cette crise – comme la précédente – était avant tout d’essence financière et économique, mais n’émanait pas du modèle social de ces pays. En effet, les adaptations du modèle social avaient déjà été entreprises dès les années 1990, en investissant massivement dans l’éducation – qu’il s’agisse de formation initiale ou continue – et en réformant en particulier le système de retraites – par exemple l’innovation suédoise des comptes notionnels est demeurée assez emblématique.

55 En réponse aux niveaux de chômage inhabituellement élevés pour ces pays, atteints au milieu des années 1990, leur modèle social a généralement évolué dans le sens de politiques plus favorables à l’emploi. Cela a notamment consisté en un changement des règles en matière de fixation des salaires et de régulation du marché du travail, désormais de plus en plus négociées à l’amiable entre employeurs et salariés à l’échelon local et favorisant en particulier les industries exportatrices. Cela a également transité par une moindre taxation des salaires et des revenus ou encore par des politiques dites d’activation de l’emploi, qui passent par une conditionnalité des aides ou par une réduction de la durée d’indemnisation du chômage, tout en préservant une indemnisation de bon niveau (« flexisécurité » à la danoise).

56 Ces politiques ont généralement donné de bons résultats et les pays nordiques font souvent partie de ceux dont l’économie a le mieux rebondi sur la période récente. L’un des mérites de l’article de Jon Erik Dølvik est de présenter les pays nordiques dans leur diversité. Aussi montre-t-il que les trajectoires récentes de ces pays, trop souvent considérés uniformément vus de France, ont parfois sensiblement divergé. Ainsi, en tant que pays non membres de la zone euro, la Suède et la Norvège ont bénéficié des effets positif de la dépréciation de leur monnaie nationale. La Finlande et le Danemark en particulier semblent avoir davantage été atteints par la crise – notamment en raison de l’explosion de la bulle des actifs. Enfin, si les pays nordiques sont souvent considérés comme un exemple, la question des ajustements à venir de leur modèle social se pose, au vu notamment du vieillissement de la population, de la montée parfois sensible des inégalités et de la pauvreté et d’un climat de plus grande instabilité politique, par définition moins favorable aux consensus sociaux.

57 Une fois dressé ce panorama des principales stratégies de croissance, la troisième section passe en revue des politiques ciblées mises en œuvre – ou susceptibles de l’être – dans le champ social. Les cinq articles – tous originaux – présentés dans cette section sont ordonnés en fonction des âges de la vie auxquels ils se rapportent. Plus précisément, les trois premiers d’entre eux traitent plus particulièrement de l’investissement social dans la jeunesse, vu à la fois comme source de croissance potentielle et comme facteur de réduction du chômage et des inégalités. Il s’agit des contributions sur les politiques d’accueil de la petite enfance au sein de l’OCDE par Olivier Thévenon, sur l’éducation et la formation professionnelle par Marius Busemeyer et enfin d’une typologie des citoyennetés socio-économiques des jeunes dans quatre pays d’Europe, par Tom Chevalier.

58 Dans « Les politiques d’accueil de la petite enfance en France et dans les pays de l’OCDE : une politique d’investissement social ? », Olivier Thévenon s’interroge sur la position relative de la France vis-à-vis des autres pays développés et sur l’impact des politiques suivies en la matière. Les politiques d’accueil des enfants en bas âge prennent en effet une place croissante dans les politiques familiales et jouent un rôle très important pour accroître en particulier la participation des femmes au marché du travail, composante essentielle des stratégies de croissance fondées sur la demande intérieure.

59 Olivier Thévenon note tout d’abord que la France fait partie des pays où l’enveloppe globale des ressources affectées aux services d’accueil de la petite enfance est parmi les plus élevées (1,3 % du PIB, contre 0,7 % pour la moyenne l’OCDE). Il s’intéresse plus particulièrement aux caractéristiques françaises du point de vue de l’ampleur des investissements réalisés en matière d’accueil, de la couverture globale des services et des principes structurant cette offre. Il note que la très grande diversité des modes d’accueil, soutenue par les politiques publiques, se combine à une importante stratification de l’accès à ces différents modes, selon le niveau de vie des familles et la situation au regard de l’emploi des parents.

60 La politique d’accueil française est aussi comparée selon des dimensions plus qualitatives, comme le personnel en charge de la petite enfance, les normes d’encadrement et, plus généralement, les modes d’organisation et de gestion administrative de cet accueil. Alors que l’effort réalisé dans ce domaine place la France parmi le peloton de tête, la césure existant entre l’accueil des tout petits enfants et l’éducation préscolaire ne favoriserait pas le développement complet et progressif des jeunes enfants, véritable gage « d’investissement social ». Aussi, réduire les inégalités d’accès aux différents modes de garde, accroître la priorité donnée à l’accueil d’enfants issus de familles défavorisées et veiller à une plus grande harmonisation de la formation des personnels de la petite enfance permettrait, selon Olivier Thévenon, d’accroître les bénéfices économiques et sociaux à attendre du développement des services d’accueil de la petite enfance.

61 Dans « Formation du capital humain, croissance et inégalités », le premier propos de Marius Busemeyer vise à battre en brèche la thèse, souvent soutenue par les économistes, selon laquelle l’augmentation récente des inégalités sociales entre pays serait due à une insuffisance de l’offre de travail qualifié. Pour ce faire, l’auteur s’intéresse à l’importance des différences entre les systèmes nationaux d’éducation et de formation professionnelle, directement liées selon lui au degré d’inégalités socio-économiques.

62 En outre, le cœur de son propos consiste à s’interroger sur les liens qu’entretiennent les modes de formation des compétences, la croissance économique et le niveau de chômage. Se fondant sur des études tant théoriques – dans le droit fil des travaux de l’école dite des « variétés de capitalisme » – qu’empiriques, l’auteur s’intéresse à la variété de systèmes de formation professionnelle et d’apprentissage, dont il dresse une typologie. Il montre que s’il est probable que les pays qui mettent l’accent sur ce type de formation n’obtiennent pas les meilleurs résultats en termes de croissance sur le court terme, les effets induits seraient très profitables sur le long terme. En effet, ces systèmes encouragent les employeurs à adopter des perspectives de long terme – que ce soit en termes de gestion du personnel ou du processus de production – ce qui contribue à réduire le taux de chômage et en particulier sur celui des jeunes, en période de crise.

63 À l’instar de Anke Hassel, il note que le modèle allemand qu’il prend pour exemple serait l’archétype de ce système d’économie de marché coordonnée (EMC), par opposition au système de formation américain, qualifié a contrario d’économie de marché libérale (EML). Dans les systèmes de type EML, l’accent serait mis sur la recherche d’innovations radicales, et ces pays se positionneraient prioritairement sur des secteurs économiques à évolution rapide (comme les biotechnologies, l’informatique, les technologies de l’information ou encore l’industrie pharmaceutique), ce qui tendrait à exacerber les inégalités entre les travailleurs les plus et les moins qualifiés. À l’inverse, dans les systèmes de type EMC, l’accent serait davantage mis sur les processus d’innovation incrémentale dans des secteurs plus traditionnels à haute valeur ajoutée (comme les machines haut de gamme, l’industrie automobile ou la chimie). Dans le système à l’allemande, les compétences requises seraient plus spécifiques et pratiques que dans les « économies de la connaissance », et des stratégies coopératives s’établiraient entre syndicats et employeurs à l’échelle des différentes branches de l’industrie.

64 Dès lors, l’article de Marius Busemeyer constitue une bonne illustration des effets bénéfiques sur le long terme de la stratégie de formation à l’allemande, que ce soit en matière de croissance ou d’emploi et de capacité de résistance de cette économie à des épisodes de crise aiguë, comme celle amorcée en 2008.

65 Avec trois autres cas européens, l’exemple germanique est aussi au cœur de l’article de « Citoyennetés socio-économiques des jeunes et stratégies de croissance : Suède, Allemagne, Royaume-Uni, France » de Tom Chevalier [5]. L’auteur note que si la crise a touché les jeunes au premier chef, ceux-ci voient leur sort varier selon les pays : leur taux de chômage est élevé en Europe du Sud et en France, alors qu’il est sensiblement plus bas en Allemagne par exemple.

66 Or ces variations peuvent en partie être comprises en référence aux différentes politiques économiques et sociales nationales à destination des jeunes. Afin de rendre compte des différences entre pays, cet article analyse les modalités de construction de la citoyenneté sociale et économique des jeunes, en fonction des systèmes éducatifs et de protection sociale mis en œuvre.

67 Pour ce faire, il propose une typologie afin de rendre compte des différentes modalités d’intervention mises en œuvre par l’État social pour promouvoir l’indépendance économique et sociale des jeunes. Cette typologie distingue deux types d’accès à la citoyenneté sociale des jeunes (accès par la famille ou accès individuel), selon la façon dont l’État apporte un soutien monétaire aux jeunes. Il note que la nature de l’intervention étatique dépend elle-même de la manière dont les jeunes sont considérés : selon les pays, comme des enfants à la charge de leurs parents ou bien comme des adultes indépendants. La typologie croise cette distinction avec une seconde dimension qui met en évidence deux types d’accès à la citoyenneté économique, selon la façon dont l’État intervient pour faciliter l’accès des jeunes à l’emploi. Cette intervention s’effectue via des politiques d’éducation et de l’emploi, qui peuvent être inclusives ou sélectives, selon que les compétences sont délivrées à tous les jeunes ou seulement à une partie d’entre eux.

68 La comparaison de quatre études de cas (France, Allemagne, Suède et Royaume-Uni) permet à l’auteur d’illustrer les régimes de citoyenneté socio-économique des jeunes ainsi élaborés, en croisant ces deux dimensions. Ces quatre types d’intervention s’inscrivent en congruence avec les différentes stratégies nationales de croissance identifiées dans ce numéro spécial, à la fois du côté de la demande et de celui de l’offre. Ainsi, les modèles de croissance supposent que les politiques nationales suivies mettent un plus ou moins grand accent sur la formation, la qualification et la mobilité des travailleurs, selon qu’ils sont tirés par les exportations ou par la demande intérieure. D’autre part, lorsque, au niveau de l’offre, la croissance est portée par des secteurs où des compétences générales élevées sont requises (industrie de haute technologie, finance…), il est nécessaire de promouvoir l’enseignement supérieur, ce qui s’accompagnerait souvent d’une plus grande individualisation des aides aux étudiants.

69 La troisième section du dossier se conclut par deux articles ayant trait aux politiques socio-économiques concernant les âges avancés de la vie et à leurs répercussions, notamment en termes d’inégalités, principalement entre les générations pour le premier d’entre eux et entre les sexes pour le second. Il s’agit des contributions d’André Masson et de Florence Jany-Catrice, qui sont centrées respectivement sur la retraite et sur la prise en charge de la perte d’autonomie.

70 Dans « Les enjeux de la protection sociale et de l’accumulation patrimoniale : constats, idéologies, voies de réformes », André Masson dresse tout d’abord un état des lieux des déséquilibres auxquels est confrontée la société française, tant en termes de pérennité de son État-providence (même si le vieillissement y est moins prononcé qu’ailleurs en Europe et que des réformes ont été entreprises) que de répartition et de transmission du patrimoine. En accord avec les travaux de Thomas Piketty (2013), il note en premier lieu une « patrimonialisation » croissante de la société, au sens où le rapport agrégé du patrimoine au revenu des ménages n’aurait jamais été aussi élevé depuis un siècle. Surtout, on observerait en France à la fois une plus grande concentration du patrimoine depuis le début des années 1980 et un déséquilibre relatif croissant entre ménages jeunes et âgés, au bénéfice de ces derniers (ce qui placerait la France dans une situation comparable à celle de la moyenne européenne).

71 Cette situation poserait des enjeux majeurs d’inégalités générationnelles, schématiquement entre les pré-baby-boomers, les baby-boomers et les post-baby-boomers, cette dernière génération pouvant apparaître lésée par rapport à la précédente. La résorption de ces inégalités générationnelles supposerait, selon André Masson, d’introduire des réformes, tant en matière d’équilibre des transferts sociaux que de transmission du patrimoine.

72 En matière sociale, l’auteur s’interroge sur la nécessité de renforcer les liens de dépendance entre générations dans le cadre d’une solidarité « bien comprise » entre elles ou bien miser sur d’autres principes telles que la liberté de choix et la responsabilité individuelle des agents ou encore sur l’équité entre citoyens et entre générations. En matière patrimoniale, l’auteur suggère de taxer plus lourdement et de façon plus progressive les héritages familiaux et, corrélativement, de favoriser les donations à la famille ou aux œuvres, la consommation du patrimoine aux âges élevés ou encore l’investissement dans des actifs plus longs et risqués. Ce type de mesures permettrait d’accélérer les transferts de patrimoine vers les jeunes générations tout en réduisant les inégalités intra-générationnelles et, plus généralement, de faire davantage participer les seniors à un financement durable et plus équilibré de l’éducation et de la protection sociale.

73 Dans « Les “services à la personne” en France. L’impasse de stratégies univoques de croissance économique », Florence Jany-Catrice livre une réflexion critique sur la façon dont se sont construites les politiques de développement de ces services en France, souvent présentés dans les débats publics comme devant constituer un moteur de la croissance économique.

74 Ainsi, elle rappelle que le plan de développement des services à la personne de 2005 visait plusieurs objectifs simultanément, parmi lesquels la prise en charge des effets sociaux du vieillissement de la population, la conciliation des temps sociaux – avec le développement de services domestiques visant à libérer les ménages de temps contraint – et la perspective d’importantes créations d’emplois (signifiées par le rapport préparatoire de ce plan). Sur ces différents aspects, ce plan peut être lu comme étant dans la continuité d’un certain nombre de dispositifs publics mis en place en France depuis le début des années 1980, mais il a marqué aussi des ruptures et apparaît en cela, d’après Florence Jany-Catrice, assez paradigmatique de la transformation de nature de certaines actions publiques.

75 À partir de l’analyse critique de ce plan, elle montre dans cet article l’impasse que constituerait une stratégie de croissance économique construite autour d’un objet d’abord social : les services à la personne. Pour ce faire, l’article analyse les fondements qui ont pu largement légitimer ce plan, en particulier les nouveaux besoins liés au vieillissement de la population et à la féminisation de l’emploi, en insistant sur le fait que ces besoins ne sont pour autant pas l’équivalent d’une demande effective. Puis, il présente les ingrédients de la stratégie de développement du secteur du milieu des années 2000, fondée sur une croissance extensive, c’est-à-dire sur un élargissement des frontières du marchand par identification de gisements d’activité ou d’emploi : les services à la personne sont apparus alors comme un candidat décisif de cette stratégie. Ensuite, l’article expose la thèse de l’auteur selon laquelle l’homogénéité des services à la personne tiendrait en fait d’une fiction entretenue par divers dispositifs, qui ne serait pas sans effets, notamment en termes de mesure statistique et de répartition des aides publiques. Il développe enfin les principales conséquences des réorganisations drastiques du champ des services à la personne, notamment sur l’économie du secteur et le statut de ses acteurs.

76 Une quatrième section clôt le dossier de ce numéro spécial. Elle est consacrée à divers points de vue ou encadré originaux qui viennent en réponse ou en complément des articles présentés dans les sections précédentes. Les trois premiers d’entre eux viennent ainsi en contrepoint des stratégies de croissance illustrées dans le dossier, comme dans le cas des contributions de Dominique Méda, de Michel Aglietta ou de Franck von Lennep ; les deux suivants apportent un éclairage particulier sur des politiques plus pointues, qu’il s’agisse de dynamiser la recherche et l’innovation en santé pour Grégoire Postel-Vinay ou encore de favoriser le développement des hautes technologies en santé pour Jean-Yves Boire.

77 Au-delà des stratégies économiques illustrées dans les articles précédents, le point de vue de Dominique Méda, « Stratégies de croissance et environnement : quelle conciliation ? », pose la question du sens de la recherche de la croissance économique par nos sociétés. Elle souligne que l’idée selon laquelle nos systèmes sociaux dépendraient de la croissance pour subsister et que celle-ci générerait, plus généralement, une amélioration des conditions de vie reste largement partagée. Dans ce raisonnement, les dégradations de notre patrimoine naturel et de notre « santé sociale », générées par la croissance – pourtant observées depuis la révolution industrielle –, seraient trop souvent occultées.

78 Surtout, elle rappelle que l’indicateur central retenu pour mesurer cette croissance, le PIB, comporte d’importantes lacunes (absence de valorisation des activités familiales et domestiques, insensibilité au degré d’inégalités, absence de questionnement de l’utilité de la production…). Plus encore, son estimation en comptabilité nationale ne s’intéresse pas aux évolutions des patrimoines physiques ou humains mobilisés. Aussi, le PIB ne tient en particulier pas compte de la dégradation du patrimoine écologique, qui intervient lors du processus de production.

79 Passant en revue les tentatives faites depuis les années 1970 pour compléter cet indicateur et leurs limites, Dominique Méda propose un changement radical d’objectif. Elle suggère de suivre désormais, au lieu du taux de croissance, un objectif de satisfaction des besoins de tous et de production sous contrainte du respect des normes sociales et environnementales, de façon à inscrire nos sociétés dans la durée. Plus généralement, elle appelle à une véritable reconversion écologique plutôt qu’à la révolution numérique, dont les effets sur le travail, l’emploi et la protection « peuvent être lourds et dont les conséquences écologiques sont totalement ignorées », ou qu’à une reconfiguration drastique des États-providence telle que décrite dans plusieurs articles de ce dossier. Pour que ses propositions ne relèvent pas de l’utopie, elle souligne qu’une telle transition ne pourrait toutefois se réaliser qu’à l’échelle internationale, sous le contrôle d’institutions au pouvoir accru.

80 Michel Aglietta développe dans son point de vue « Compétitivité, innovations, inclusion » deux idées principales afin de contribuer aux réflexions rassemblées dans ce numéro sur les relations entre stratégies de croissance et protection sociale.

81 La première d’entre elles est que le diagnostic dominant en France sur la situation du marché du travail serait en fait erroné. Les difficultés rencontrées ne proviendraient pas d’un coût du travail trop élevé des secteurs dits non qualifiés, susceptible d’être résolu par une stratégie de réduction des coûts au voisinage du Smic. Elles seraient en revanche à rapprocher d’une insuffisance d’investissement à la fois dans les capacités d’innovation de l’économie et dans le capital humain. Dès lors, la France se caractérise désormais par une productivité globale des facteurs et par une insertion internationale dégradées. Faute de créations d’emplois suffisantes dans les secteurs à haute qualification, les personnes formées en France se retrouvent déclassées et, par un phénomène de cascade, le chômage se concentre in fine sur les moins qualifiés, indépendamment de l’existence d’un salaire minimum. Cette situation débouche sur une dégradation de l’employabilité de la main-d’œuvre et sur une baisse des incitations à investir dans le capital humain, elle-même à l’origine d’un ralentissement du progrès technique et de l’innovation.

82 La seconde idée tire les conclusions de ce diagnostic alternatif et propose en conséquence une stratégie en matière de protection sociale cohérente avec une stratégie de croissance inclusive et soutenable, condition selon Michel Aglietta d’un progrès social pour tous. Cela suppose en premier lieu de changer l’ordre des priorités économiques suivies dans la zone euro, en relevant la croissance potentielle et l’inflation par une politique industrielle orientée vers le développement durable. Une telle perspective donnerait plus de latitude pour réorienter les dépenses budgétaires vers l’investissement des entreprises et réduire le chômage. En outre, devant la multiplicité des sources d’exclusion, il conviendrait de prendre des mesures visant à attacher les droits sociaux à la personne (droit de formation continue tout au long de la vie, prise en compte des parcours d’emploi atypiques, reprise des politiques de baisse du temps de travail…). Selon Michel Aglietta, ces évolutions des droits sociaux devraient s’accompagner de mesures portant sur la fiscalité (notamment une réforme fiscale systémique abaissant les cotisations sociales sur les plus qualifiés et renforçant le financement de la protection sociale par l’impôt) et sur la gouvernance des entreprises, qui gagnerait à évoluer dans un sens plus partenarial.

83 Le point de vue « Économie, croissance et protection sociale » de Franck von Lennep reprend et prolonge les réflexions des contributeurs de la revue. Il se structure autour de quatre questions. En premier lieu, la question de la recherche de la croissance et sur les moyens d’y parvenir plutôt que sur sa finalité, posée dans le présent dossier de la RFAS, est-elle correcte ? Ne faut-il pas plutôt se questionner sur la recherche d’une croissance soutenable ou, à l’instar de Michael Förster et de Céline Thévenot, centrer la réflexion sur la réduction des inégalités ? Franck von Lennep s’interroge dès lors sur les principales tendances et contraintes à prendre en compte pour établir une stratégie socio-économique. Cela suppose en particulier que soit retenue par les politiques une véritable orientation technologique, à même de construire une société plus solidaire en amont des systèmes de rémunération et de redistribution et de limiter la dualisation du marché du travail. Cela suppose aussi d’adapter les politiques suivies à des contraintes aussi fortes que celles du vieillissement de la population ou de la dégradation de l’environnement.

84 Ces constats et les éléments développés par les contributeurs de la revue amènent Franck von Lennep à dégager de grands axes susceptibles d’orienter le débat politique qui pourrait par exemple s’articuler autour de la transition énergétique, de la promotion de l’innovation, de la réduction des inégalités territoriales et de revenus ou encore d’une nouvelle politique européenne. S’agissant plus particulièrement de la protection sociale et du système de soins, il lance un appel en faveur d’une réflexion collective prospective pour surmonter les obstacles à venir. Les sujets à traiter seraient nombreux et variés, comme la transformation des logements, afin de faire face aux enjeux environnementaux, l’évolution des services d’accompagnement aux différents âges (au titre de la formation, de la prise en charge de la perte d’autonomie ou encore de l’accueil des jeunes enfants) vers des plateformes collaboratives, la promotion de la numérisation et des biotechnologies en santé ou encore l’instauration d’un revenu universel et d’un compte épargne-temps sur le cycle de vie, pour contribuer à réduire les inégalités et à mieux prendre en compte la diversité des parcours professionnels.

85 Dans son point de vue « Santé et innovation », Grégoire Postel-Vinay présente le vivier de croissance que représentent technologies et industries de santé (industrie du médicament, biotechnologies, médecine génétique et cellulaire…) et s’interroge sur la façon de le cultiver au mieux. Resituant, dans une perspective internationale, les enjeux majeurs que représentent, sur les plans économique et humain, les industries et services de santé, il dresse un bilan des évolutions de la recherche et du développement (R&D) publics et privés en santé en France et à l’étranger. Il note en particulier que la situation, jusqu’ici très favorable, de la France en matière de pharmacie tend à se dégrader, mais il identifie des perspectives plus optimistes en matière de dispositifs médicaux et de « e-santé ».

86 Selon l’auteur, l’innovation dans ces secteurs repose sur une alchimie complexe mêlant de nombreux facteurs : outre la R&D, citons par exemple les formations d’excellence ou encore les attractivités territoriales qui doivent être portées par une volonté et une vision stratégique nationale, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes. L’innovation suppose aussi de définir un cadre de régulation efficace qui pourrait, d’après Grégoire Postel-Vinay, encore progresser sur plusieurs plans, comme l’usage des marchés publics ou encore le développement du volet santé de la « nouvelle France industrielle ». En outre, l’auteur note plus particulièrement que le volet de cette régulation, relatif aux prix, doit être dosé non seulement au regard de préoccupations nationales, mais également à l’aune des politiques suivies en la matière par les autres pays.

87 Dans « Quelles politiques publiques pour favoriser le développement de hautes technologies en santé ? », Jean-Yves Boire met en avant quatre types d’intervention qui doivent permettre à la fois de favoriser l’innovation et de faciliter leur implémentation afin de constituer des sources de croissance économique.

88 En premier lieu, il s’agirait de simplifier le paysage institutionnel français de la recherche dans le domaine des technologies de santé, de développer ses financements (notamment par des partenariats public-privé) et de mieux la valoriser, y compris en dehors des schémas académiques. En deuxième lieu, Jean-Yves Boire suggère de s’appuyer sur les points forts de la France en matière de formation (médicale en particulier) et de favoriser les cursus multi-compétences. En troisième lieu, il faudrait repenser le modèle économique des sociétés innovantes de façon à favoriser le passage de l’ingénierie biomédicale à l’industrialisation et à la commercialisation, ces deux étapes étant trop souvent effectuées à l’étranger jusqu’ici. Enfin, il conviendrait, selon l’auteur, de mettre un frein à une certaine tendance à la déshumanisation de l’exercice de la médecine, en impliquant davantage le « citoyen patient ».

89 La section des points de vue se clôt par la vision de représentants des partenaires sociaux [6] sur les articles du dossier. Laurent Berger pour la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et Pierre-Yves Chanu pour la Confédération générale du travail (CGT) donnent tour à tour leur opinion sur les fondements de la protection sociale et sur les inflexions qu’elle devrait prendre pour s’adapter aux défis actuels et à venir.

90 La contribution de Laurent Berger (CFDT), « Pour un modèle de développement porteur pour tous ! », dresse le constat d’un modèle productif en bout de course, insuffisamment orienté vers la qualité des biens et des services, qui fragilise les droits sociaux, le financement du modèle social et ne parvient plus à contenir les inégalités. Dès lors, ce modèle de développement doit être refondé pour faire face aux nouveaux défis du xxi e siècle, qu’il s’agisse par exemple des transitions numérique ou écologique.

91 Aussi, avec la CFDT, Laurent Berger appelle un dialogue social renforcé dans lequel les salariés seraient davantage associés aux décisions de l’entreprise, afin de construire un nouveau modèle fondé sur « la qualité pour tous ». L’idée est d’interroger le contenu et la finalité de la croissance et de mener une stratégie d’investissements massifs au service de la montée en gamme des produits, de l’excellence environnementale et de la digitalisation des modèles d’affaires, en privilégiant les secteurs d’avenir porteurs d’emplois de qualité. Par économie de qualité, il entend un système bâti sur des logiques de coopération tout au long des chaînes de valeur, créateur de synergies entre filières, branches professionnelles et territoires : il faudrait pour ce faire saisir les opportunités créées par les nouvelles formes d’économies circulaire, de l’usage et collaborative.

92 Enfin, Laurent Berger rappelle que lutter contre les inégalités suppose d’agir en amont de leur formation, en donnant à chacun les mêmes chances de se réaliser à chaque étape de sa vie. Cela passe selon lui en particulier par un renouveau de la protection sociale, qui doit créer de nouveaux droits sociaux « sur mesure », dans un cadre d’abondement et de garanties collectifs, mieux sécuriser les parcours professionnels et favoriser les trajectoires ascendantes. Son financement doit également être rénové, « pour être soutenable et mieux accepté, en conservant ses principes de solidarité et de mutualisation ».

93 Le point de vue de Pierre-Yves Chanu (CGT), intitulé « Modernité de la Sécurité sociale », développe quant à lui trois idées principales. Revenant sur les principes fondateurs énoncés par Ambroise Croizat et Pierre Laroque dès l’immédiat après-guerre, il insiste en premier lieu sur la rupture conceptuelle qu’a représentée l’instauration d’une Sécurité sociale reposant sur une logique de solidarité et de redistribution. La logique suivie s’est ainsi émancipée de celle de prévoyance collective qui prévalait avant-guerre, en se fondant sur la cotisation sociale, conçue comme un salaire socialisé, et sur la démocratie sociale.

94 Pour Pierre-Yves Chanu, la Sécurité sociale s’est toutefois éloignée progressivement de ses principes fondateurs, notamment en matière d’unité du système, qui n’a pu être réalisée, et de démocratie sociale, qu’il juge aujourd’hui affaiblie. En outre, la Sécurité sociale a dû faire face à de fortes évolutions socio-économiques depuis 1945, qui mettent à l’épreuve le système : développement du travail féminin, modification des structures familiales, allongement de l’espérance de vie – en particulier aux âges élevés –, montée en charge du chômage et, plus récemment, des nouvelles formes d’emploi.

95 Aussi propose-t-il avec son organisation syndicale de prolonger les grands principes de 1945 dans les conditions du xxi e siècle. Pour ce faire, il pose le diagnostic selon lequel les difficultés actuelles de l’économie française seraient non pas dues au coût du travail – et en particulier au niveau des cotisations sociales assises sur les salaires –, mais à un problème de compétitivité « hors prix », qui se manifesterait notamment par une moindre spécialisation dans le haut de gamme que dans d’autres pays comme l’Allemagne. Pour remédier à ces difficultés, il propose de réformer le financement de la Sécurité sociale en modulant les cotisations patronales et en défendant les projets d’un nouveau statut du travail salarié et d’une Sécurité sociale professionnelle. Cela constituerait, selon Pierre-Yves Chanu, un « dépassement » du modèle de 1945, en en renforçant l’universalité et en mettant davantage l’accent sur la sécurisation des droits et des parcours et sur la prévention des risques sociaux.

Notes

  • [1]
    Ce numéro fait suite à l’organisation de six séminaires en 2013 et en 2014 ainsi que d’un colloque le 14 juin 2014 sur les modèles nationaux de croissance et sur la protection sociale. Ce projet, mené conjointement par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), Sciences Po – Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) et Centre d’étude de l’emploi (CEE) – et le Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP), a fait l’objet d’un co-financement de l’ANR et de l’État au titre du programme d’Investissements d’avenir dans le cadre du labex LIEPP (ANR-11-LABX-0091, ANR-11-IDEX-0005-02).
  • [2]
    Voir le rapport de l’OCDE, 2008, « Croissance et Inégalités : distribution des revenus et pauvreté dans les pays de l’OCDE », OCDE.
  • [3]
    Voir par exemple « L’emploi et les politiques sociales en Europe à l’épreuve de la crise » in La Protection sociale en France et en Europe en 2013, 2015, DREES.
  • [4]
    Voir par exemple à ce propos les réflexions en cours en France sur ce sujet, dans le cadre des travaux du Haut conseil du financement de la protection sociale.
  • [5]
    Bruno Palier étant le directeur de thèse de Tom Chevalier, il n’a pas pris part aux débats du comité de lecture concernant cet article.
  • [6]
    Le Mouvement des entreprises de France (Medef) a également été sollicité mais n’a pas donné suite.

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Bruno Palier
Directeur de recherche du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Sciences Po et co-directeur du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP), il est spécialiste des réformes des systèmes de protection sociale en Europe.
Romain Roussel
Adjoint à la sous-direction Synthèses de la Direction de la recherche, des études de l’évaluation et des statistiques (DREES).
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/06/2016
https://doi.org/10.3917/rfas.161.0007
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