Introduction [1]
1 Cet article porte sur les évolutions des inégalités de revenus dans les pays de l’OCDE depuis trois décennies, en incluant la période de crise récente. Il montre que les inégalités de revenus ont augmenté à la fois dans les pays où elles étaient déjà comparativement élevées et aussi dans des pays considérés plus égalitaires. Le découplage entre l’évolution des revenus les plus élevés et les plus faibles est également tangible pendant la deuxième phase de la crise économique, après que stabilisateurs automatiques et politiques fiscales ont atténué cet effet dans un premier temps.
2 Cette hausse tendancielle des inégalités à long terme est à rattacher à plusieurs évolutions majeures qui ont touché nos économies des dernières décennies, tant sur le plan technologique : nouvelles technologies ; qu’économique : mondialisation accrue des échanges ; institutionnel : politiques de déréglementations et émergence des formes d’emploi non standard ou sociétal : nouveaux modèles familiaux. Ces différents facteurs ont cependant joué à des degrés divers, et l’effet de certains est ambigu.
3 Face à ces changements, auxquels il faut ajouter la pression accrue de la consolidation budgétaire au cours de la période récente, les systèmes de redistribution ont évolué. Alors qu’en moyenne, ils contribuent de façon significative à la réduction des inégalités dans les pays de l’OCDE, force est de constater que leur rôle s’est affaibli au cours des deux dernières décennies. Ceci provient à la fois d’un effet mécanique lié à une progression tendancielle du taux d’emploi, mais également à une succession de réformes, au moins dans certains pays.
4 Ces niveaux élevés d’inégalités ne sont pas sans conséquence. Quand bien même l’on écarterait toute considération idéologique sur le niveau acceptable d’inégalités dans une société, des arguments sociétaux et économiques demeurent. De trop lourdes inégalités pèsent sur la confiance des citoyens dans les institutions et entravent les réformes à venir. Elles découragent également l’investissement des ménages plus défavorisés dans le capital humain, ce qui se traduit à long terme par une perte de potentiel et donc des conséquences défavorables à la croissance économique.
5 Ces évolutions représentent autant de défis auxquels non seulement les systèmes de protection sociale, mais aussi les politiques de façon plus large doivent faire face. Plusieurs types d’outils peuvent être mobilisés pour contrer ces niveaux élevés d’inégalités. Outre des systèmes de redistribution équitables et efficaces, les mesures visant à favoriser la participation des femmes au marché du travail, le développement d’une éducation de qualité et accessible à tous et des emplois de qualité sont autant d’outils à considérer (OCDE, 2015a).
Les inégalités dans les pays de l’OCDE : tendances de long terme et développements récents
Depuis trois décennies, les inégalités progressent, y compris dans les pays traditionnellement égalitaires
6 La distribution des revenus varie considérablement selon les pays. On peut représenter cette répartition au moyen de plusieurs indicateurs, le plus courant d’entre eux étant le coefficient de Gini. Celui-ci vaut 0 si tous les individus disposent du même revenu et 1 si un seul individu détient la totalité du revenu disponible. Le rapport « S90/S10 » entre la moyenne des revenus du décile le plus élevé (c’est-à-dire les 10 % les plus riches dans la population) et du décile le moins élevé (les 10 % les plus pauvres) est également fréquemment utilisé. En moyenne parmi les pays de l’OCDE, l’indice de Gini vaut 0,32 en 2012 et le revenu moyen des 10 % les plus riches de la population est près de dix fois celui des 10 % les plus pauvres (figure 1).
Niveau des inégalités de revenus, 2013 ou année la plus récente

Niveau des inégalités de revenus, 2013 ou année la plus récente
Note : les revenus font référence au revenu disponible, corrigé de la taille du ménage (niveau de vie).7 Les pays les plus inégalitaires au sein de la zone OCDE sont le Mexique, le Chili, et la Turquie, suivis par les États-Unis. Le coefficient de Gini y dépasse 0,40, souvent considéré comme un seuil critique, et dépasse même 0,48 au Chili et au Mexique. Les pays du nord de l’Europe et certains pays d’Europe centrale sont les plus égalitaires. La France est très proche de la moyenne de l’OCDE selon les deux indicateurs d’inégalité. Au Royaume-Uni, les inégalités sont plus élevées. L’Allemagne, enfin, est sensiblement plus égalitaire que la France.
8 Depuis les années 1980, les inégalités ont augmenté dans la plupart des pays de l’OCDE. En moyenne, sur les pays pour lesquels on dispose de données sur longue période, le coefficient de Gini est passé de 0,29 au milieu des années 1980 à 0,32 en 2012. Sur cette période, il se dessine une possible convergence des niveaux d’inégalités vers un niveau moyen commun plus élevé dans l’ensemble de la zone OCDE. Les inégalités ont ainsi nettement progressé aussi dans les pays où elles étaient faibles, comme le Danemark ou la Suède. Dans les pays plus inégalitaires, comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, les inégalités sont restées à un niveau élevé (Royaume-Uni) ou ont progressé (+ 7 points en 30 ans aux États-Unis, figure 2). Ces évolutions n’ont pas eu lieu de façon continue, mais sont souvent survenues par paliers : le début des années 1980 au Royaume-Uni ou la deuxième moitié des années 1990 et la deuxième moitié des années 2000 en Suède.
Évolution des inégalités de revenus, coefficient de Gini

Évolution des inégalités de revenus, coefficient de Gini
Note : les revenus font référence au revenu disponible, corrigé de la taille du ménage (niveau de vie).9 La France fait figure d’exception dans ce paysage, dans la mesure où les inégalités y sont restées stables entre les années 1980 et le début de la crise. Elles ont toutefois augmenté de façon marquée à la fin des années 2000. En Allemagne, les inégalités ont suivi un schéma inverse : stables pendant les années 1990, elles ont augmenté au début des années 1990 et notamment au début des années 2000, puis se sont stabilisées depuis 2006. On arrive ainsi à une situation actuelle où les niveaux d’inégalités en France et en Allemagne sont proches, alors qu’ils étaient bien différents dans les années 1980.
10 L’augmentation des inégalités sur une longue période est due à une évolution différenciée des revenus aux extrémités de la distribution. Dans beaucoup de pays, la hausse des revenus a ainsi été bien plus marquée en haut de la distribution qu’en bas. Les revenus des personnes dans le décile le plus élevé de la distribution ont connu une forte croissance au cours des trois dernières décennies (figure 3). On assiste ainsi à un décrochage entre les revenus les plus bas de la distribution et les plus élevés depuis le milieu des années 1980.
Tendances longues des niveaux de revenus à différents points de la distribution, 1985 = 1

Tendances longues des niveaux de revenus à différents points de la distribution, 1985 = 1
Note : les revenus font référence au revenu disponible, corrigé de la taille du ménage (niveau de vie).11 La moyenne OCDE est calculée comme la moyenne de 17 pays pour lesquels les données sont disponibles (Canada, Allemagne, Danemark, Finlande, France, Grande-Bretagne, Grèce, Israël, Italie, Japon, Luxembourg, Mexique, Pays-Bas, Norvège, Nouvelle-Zélande, Suède et États-Unis).
12 Cette tendance est renforcée si l’on considère non pas les inégalités de revenus mais de patrimoine. Ainsi, les 10 % les plus riches en termes de revenu reçoivent quelques 25 % du revenu global tandis que les 10 % les plus riches en termes de patrimoine détiennent près de la moitié de tout le patrimoine. Ce pourcentage s’élève à 70 % du patrimoine aux États-Unis, et à 60 % en Autriche, en Allemagne et aux Pays-Bas. La France est proche de la moyenne OCDE (OCDE, 2015a).
Les inégalités de revenus marchands ont progressé au cours de la crise économique
13 Il est difficile de prévoir ex ante l’impact d’une crise économique sur les inégalités. D’une part, la hausse du taux de chômage consécutive à la crise entraîne un mouvement vers le bas d’une partie des revenus. D’autre part, les revenus du capital, massivement concentrés en haut de la distribution des revenus, peuvent eux aussi subir un impact. Selon l’ampleur de ces deux mouvements opposés, les inégalités peuvent se résorber ou s’accroître.
14 Dans les faits, la crise économique qui a frappé la plupart des économies de l’OCDE, à compter de 2008, a eu un impact sur les inégalités, en particulier sur les inégalités de revenus marchands [2] (avant redistribution). L’indice de Gini moyen des revenus marchands dans la zone OCDE a progressé de 1,4 point entre 2007 et 2011, ce qui est non négligeable (figure 4).
Évolution de l’indice de Gini pendant la crise. Variation, en points de pourcentage, du coefficient de Gini pour le revenu marchand et le revenu disponible des ménages entre 2007 et 2011, population en âge de travailler

Évolution de l’indice de Gini pendant la crise. Variation, en points de pourcentage, du coefficient de Gini pour le revenu marchand et le revenu disponible des ménages entre 2007 et 2011, population en âge de travailler
15 Les inégalités de revenus marchands ont ainsi progressé entre 2007 et 2011 de 3 points en France ; en Grèce et en Irlande de 5 points et de près de 8 points en Espagne. Si l’on inclut la redistribution, la hausse des inégalités est moins importante, voire négligeable, en moyenne OCDE. Celles-ci ont cependant progressé de 1,4 point en France, 3,8 points en Espagne, de 1,4 point en Suède et de 1,1 point aux États-Unis.
16 Les revenus les plus faibles ont, relativement au reste de la population, pâti de la détérioration des conditions économiques dans la plupart des pays. Ainsi, les 10 % plus bas revenus ont diminué davantage ou progressé moins vite que le revenu des 10 % les plus riches de la population, dans un grand nombre de pays, dont la Grèce, l’Irlande, l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni et aussi la France et les États-Unis (figure 5). En haut de la distribution, les revenus les plus élevés (les top 1 %) ont baissé pendant la crise, mais lorsque cette baisse s’est produite, elle s’est concentrée sur la période 2007-2009, avant une reprise à la hausse (Förster, 2014).
Évolution du revenu disponible à différent points de la distribution. Évolution moyenne annuelle en pourcentage, 2007-2011

Évolution du revenu disponible à différent points de la distribution. Évolution moyenne annuelle en pourcentage, 2007-2011
Note : les revenus font référence au revenu disponible, corrigé de la taille du ménage (niveau de vie).17 Ces évolutions ont naturellement eu des répercussions sur les niveaux de pauvreté. Toutefois, il est important de garder à l’esprit que les évolutions du taux de pauvreté relative sont compliquées par l’évolution du seuil de pauvreté lui-même. Celui-ci est défini en fonction du revenu médian. Il est ainsi établi, selon la définition de l’OCDE, à 50 % du revenu médian dans chaque pays et chaque année [3]. Des évolutions importantes de la distribution des revenus, comme c’est le cas lors d’une crise économique, peuvent conduire à un tassement de certains revenus vers le bas et donc à une baisse du revenu médian (figure 5). Dès lors, les individus dont les revenus subissent moins l’impact de la crise (par exemple les personnes à la retraite), dont le revenu évolue peu, peuvent voir leur revenu franchir le seuil de pauvreté, alors même qu’il est inchangé, ce qui conduit à une baisse du taux de pauvreté bien que les conditions de vie de la population ne se soient pas améliorées.
18 On peut compléter l’analyse de la pauvreté relative par celle de la pauvreté ancrée dans le temps, c’est-à-dire mesurée par rapport au seuil de pauvreté de l’année antérieure en termes réels, ce qui permet de gommer en partie les déformations annuelles de la distribution des revenus (OCDE 2013, 2014b, 2015). La pauvreté ancrée dans le temps a progressé significativement entre 2007 et 2011 dans un certain nombre de pays particulièrement marqués par la crise, notamment la Grèce (+ 15 pp), l’Espagne (+ 8 pp) et l’Irlande (+ 5 pp). En France, la pauvreté ancrée dans le temps a augmenté de 1 pp sur cette période. Elle a baissé de 1 pp en Allemagne et au Royaume-Uni.
19 En plus de l’évolution des niveaux de pauvreté, le profil des populations les plus touchées mérite également d’être souligné. Ainsi, la pauvreté par groupes d’âge a considérablement changé. Dans les années 1980, les plus âgés étaient la population la plus touchée par la pauvreté. Depuis, la pauvreté des personnes âgées a reculé, avec l’arrivée à l’âge de la retraites de générations dont les carrières étaient mieux couvertes par les systèmes de retraites. À l’opposé, la pauvreté des enfants et des jeunes a augmenté (figure 6). Dans les pays de l’OCDE, la pauvreté monétaire concerne un enfant sur sept, un taux supérieur à celui de l’ensemble de la population dans la plupart des pays (OCDE, 2016). Les personnes au chômage ou issues de ménages comprenant des travailleurs non standards (temps partiel, travail indépendant ou contrat temporaire) sont également plus souvent sujettes au risque de pauvreté (OCDE, 2015a).
Risque de pauvreté monétaire par groupe d’âge. Taux de pauvreté relative de la population totale pour chaque année = 100, milieu des années 1980 à 2013 ou année la plus récente disponible

Risque de pauvreté monétaire par groupe d’âge. Taux de pauvreté relative de la population totale pour chaque année = 100, milieu des années 1980 à 2013 ou année la plus récente disponible
Note : moyenne non pondérée des données de 18 pays de l’OCDE pour lesquels les données sont disponibles depuis la moitié des années 1980 : le Canada, le Danemark, la Finlande, la France, l’Allemagne, la Grèce, l’Israël, l’Italie, le Japon, le Luxembourg, le Mexique, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Suède, la Turquie, le Royaume-Uni et les États-Unis.Les facteurs à l’origine de la montée des inégalités
20 Les salaires et revenus du travail représentent les trois quarts des revenus de la population d’âge actif. L’augmentation de leur dispersion dans le temps peut s’expliquer par des évolutions structurelles. Celles-ci concernent à la fois les changements survenus sur les plans technologique (nouvelles technologies), économique (intégration économique), institutionnel (évolutions des réglementations sur les échanges de biens et sur l’emploi) et sociétal (nouvelles structures familiales). Les effets des différentes évolutions sur la distribution des revenus et leur impact parfois ambigu ont été analysés en détail dans Toujours plus d’inégalité (OCDE, 2011a).
Les évolutions technologiques et économiques
21 Ces dernières décennies, les pays de l’OCDE ont subi des évolutions structurelles importantes induites par une intégration plus étroite de l’économie mondiale et par des progrès technologiques rapides. Ces transformations ont souvent procuré aux travailleurs les plus qualifiés des gains plus élevés que ceux engrangés par les travailleurs peu qualifiés, et elles ont ainsi influé sur la distribution des revenus du travail.
22 Au cours des trente dernières années, la part des échanges mondiaux dans le PIB mondial est passée d’un tiers environ à plus de la moitié. Sur cette période, l’intégration commerciale (somme des importations et des exportations en pourcentage du PIB) a doublé dans de nombreux pays de l’OCDE. Mais la mondialisation concerne également l’investissement direct étranger. Les stocks sortants d’investissements directs à l’étranger (IDE) ont fortement progressé dans tous les pays de l’OCDE, passant d’une moyenne inférieure à 5 % du PIB en 1980 à près de 50 % à la fin des années 2000.
23 Toujours plus d’inégalité (OCDE, 2011a) conclut que ni l’intégration commerciale accrue ni l’ouverture financière n’ont eu d’impact significatif direct sur les inégalités salariales ou les tendances de l’emploi de la zone OCDE. L’effet d’amplification des inégalités salariales imputable aux échanges semble neutre, même lorsqu’on prend en compte les répercussions du surcroît de pénétration des importations en provenance des économies émergentes. Ce constat contredit l’idée selon laquelle les flux commerciaux pèseraient à la baisse sur les salaires de la main-d’œuvre du secteur manufacturier ou des services dans les pays de l’OCDE. Ces changements ont toutefois exercé un impact indirect en faisant pression sur les politiques nationales. Le progrès technique, quant à lui, a eu un effet significatif sur l’accroissement des inégalités des rémunérations (OCDE, 2011a).
24 Outre la mondialisation, le progrès technologique est souvent cité comme une explication plausible de la montée des inégalités. Par exemple les avancées des technologies de l’information et des communications (TIC) sont souvent considérées comme favorables aux travailleurs qualifiés et, par conséquent, comme un facteur d’accroissement des inégalités. Certaines études placent la révolution des TIC au tout premier plan de leur explication des inégalités : FMI (2007), par exemple, observe que le progrès technologique a eu un plus fort impact que la mondialisation sur les inégalités nationales, tandis qu’un rapport de l’OCDE (OCDE, 2007) suggère que « le changement technique joue un rôle moteur nettement plus important que l’expansion du commerce dans l’accroissement de la dispersion des salaires ». Dans la pratique, toutefois, il est très difficile de faire la distinction entre les évolutions technologiques et les caractéristiques de la mondialisation qui valorisent aussi les qualifications. Les avancées technologiques par exemple induisent une fragmentation des activités économiques et une délocalisation de la production. Selon les termes de Freeman (2009), « délocalisation et numérisation vont de pair ».
Évolutions institutionnelles
25 Les choix opérés par les pouvoirs publics, les réglementations et les institutions sont également susceptibles d’exercer un impact sur les inégalités. Ils peuvent amplifier l’influence de la mondialisation et du changement technologique sur la distribution des revenus.
26 Entre 1980 et 2008, la plupart des pays de l’OCDE ont mené des réformes réglementaires visant à renforcer la concurrence sur les marchés des biens et des services et la capacité d’adaptation des marchés du travail. À titre d’exemple, tous les pays ont notablement assoupli leur réglementation des marchés de produits faisant obstacle à la concurrence, et nombre d’entre eux ont aussi relâché leur législation de protection de l’emploi, applicable notamment aux titulaires de contrats temporaires. Les salaires minimums ont, de leur côté, reculé relativement aux salaires médians, dans plusieurs pays. Les mécanismes de fixation des salaires ont eux aussi évolué : le taux de syndicalisation a reculé dans la plupart des pays, même si le taux de conventions collectives est, lui, resté plutôt stable au fil du temps. Plusieurs pays ont abaissé les taux de remplacement des prestations de chômage et, soucieux de promouvoir l’emploi parmi les travailleurs peu qualifiés, certains ont aussi diminué les cotisations pesant sur cette catégorie de travailleurs.
27 Les analyses de Toujours plus d’inégalité (OCDE, 2011a) confirment que nombre de dimensions de la réforme des réglementations et du changement institutionnel ont eu un impact sur la hausse des inégalités salariales. L’assouplissement de la réglementation des marchés de produits par exemple a contribué à cette hausse dans la zone OCDE. La diminution des rentes de marché et le surcroît de concurrence ont engendré une demande plus forte de main-d’œuvre qualifiée et une plus grande dispersion de la structure salariale. La baisse des « coins fiscaux » [4] a elle aussi contribué à l’accroissement des dispersions salariales : la part du travail peu qualifié ayant tendance à augmenter, les disparités salariales s’accroissent. La diminution graduelle du taux d’indemnisation des travailleurs à bas salaires se trouvant au chômage (mais pas de ceux qui touchent le salaire moyen) a également renforcé les dispersions salariales, puisqu’un taux de remplacement moindre est synonyme d’un salaire de réserve [5] moindre. En outre, l’assouplissement de la protection de l’emploi pour les emplois temporaires va de pair avec une plus grande dispersion salariale.
28 Dans le même temps, les effets des régulations des marchés de biens et du travail sur les inégalités ont été compensés par une hausse des taux d’emploi. Un certain nombre d’études montraient en particulier que la réduction des rentes et la hausse de l’activité liées à la réglementation de la compétition sur les marchés ont soutenu la demande de travail (Blanchard et Giavazzi, 2006 ; Spector, 2004 ; Messina, 2003 ; Fiori, 2007 ; Bassanini et Duval, 2006). Au final, les analyses réalisées dans Toujours plus d’inégalité concluent à des effets contrastés et dans l’ensemble ambigus des changements institutionnels sur la distribution des revenus des ménages.
Évolution des formes d’emploi et des conditions de travail
29 Les pays de l’OCDE se sont ainsi trouvés, à l’aube de la crise économique (2007-2008), dans une situation inédite de niveaux d’emplois record, associés à des inégalités atteignant des niveaux élevés. Les nouvelles formes d’emplois qui ont émergé (travail à temps partiel, contrats temporaires) ont contribué à accroître la polarisation du marché du travail (OCDE, 2015 ; Emmenegger, 2012 ; Goos et Manning, 2007) et permettent de comprendre la hausse des inégalités.
30 Actuellement, un tiers des personnes en emploi dans l’OCDE sont employés sous une forme dite non standard, c’est-à-dire à temps partiel, temporaire ou en tant que travailleurs indépendants. Près de la moitié des emplois crées, entre le milieu des années 1990 et 2007 dans l’OCDE correspondent à des emplois non standards, et c’est même le cas de 56 % des emplois si l’on étend la période jusqu’en 2013 (OCDE, 2015a). Ces emplois sont majoritairement occupés par des personnes peu qualifiées et jeunes. Leur création a été concentrée dans le bas de la distribution des salaires dans un grand nombre de pays, alors que les emplois standards correspondant au milieu de la distribution des salaires étaient détruits et qu’en haut de la distribution se créaient des emplois soit standards, soit non standards. Au final, il est résulté de ces évolutions une plus grande polarisation du marché du travail (OCDE, 2015a). C’est notamment le cas de la France, de l’Allemagne, du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Belgique et de la Finlande.
31 Les emplois non standards contribuent de façon non négligeable à la formation des inégalités. Toutes choses égales par ailleurs, ils sont généralement moins bien rémunérés que des emplois standards, même au niveau du salaire horaire et en contrôlant des caractéristiques observées et non observées telles que les préférences individuelles. En moyenne sur une année, dans les pays de l’OCDE, un salarié à temps plein en contrat temporaire gagne 40 % de moins qu’un salarié à temps plein en contrat permanent et 30 % de moins si on le ramène à un salaire horaire (OCDE, 2015a).
32 De plus, si généralement le fait d’occuper un emploi temporaire plutôt que d’être au chômage augmente les chances de retrouver un emploi (toutes choses égales par ailleurs), ce n’est pas le cas dans certains pays, dont la France, et pour certains groupes de la population. Les emplois temporaires jouent donc davantage le rôle de trappe que de tremplin, notamment pour les jeunes (OCDE, 2015a). L’une des raisons possibles de cet effet tient à la plus faible probabilité de bénéficier d’une formation financée par l’entreprise pour les travailleurs temporaires : l’évaluation des compétences des adultes, menée par l’OCDE, montre qu’avec un contrat temporaire, les chances de recevoir une formation proposée par l’employeur sont réduites de 14 % (OCDE, 2014c). La France est l’un des pays où cet effet est le plus marqué (effet réduit de plus de 25 %). En Allemagne et au Royaume-Uni, cet effet est en revanche quasiment inexistant.
33 De plus, les personnes vivant au sein d’un ménage dont les rémunérations proviennent principalement des emplois non standards ont un risque de pauvreté plus élevé : 22 % contre10 % pour l’ensemble de la population en âge de travailler.
Des évolutions sociétales
34 Ces dernières décennies, la structure des ménages a profondément changé dans les pays de l’OCDE. On dénombre aujourd’hui plus de personnes célibataires, avec ou sans enfant, que jamais auparavant : leur part parmi les ménages d’âge actif a augmenté dans tous les pays de l’OCDE, passant d’une moyenne de 15 % à la fin des années 1980 à 20 % au milieu des années 2000. Or les ménages plus petits tirent un moindre parti de la mutualisation des ressources et du partage des dépenses. La tendance à la réduction de la taille des ménages est donc susceptible d’accroître les inégalités de revenus du travail et de revenus en général.
35 Dans les ménages en couple, les femmes en couple avec les travailleurs les mieux rémunérés sont celles dont le taux d’emploi a le plus progressé (OCDE, 2011a). On observe également dans tous les pays une hausse du phénomène d’homogamie (Esping-Andersen, 2009). Aujourd’hui, 40 % des couples biactifs appartiennent au même décile de revenu ou à des déciles de revenu adjacents, contre 33 % il y a une vingtaine d’années.
36 Ces tendances ont contribué, au cours de la période étudiée, à une hausse des inégalités de revenus des ménages. Certains observateurs ont même estimé que les évolutions de la constitution des familles étaient la principale raison de cette hausse. Il importe, pour une appréciation globale, de prendre en compte l’effet à la fois de ces évolutions démographiques et des évolutions davantage liées au marché du travail.
37 Les analyses de Toujours plus d’inégalité (OCDE, 2011a) montrent que les évolutions structurelles des ménages ont joué un rôle beaucoup plus modeste dans la hausse des inégalités que les évolutions liées exclusivement au marché du travail. La progression des disparités de revenus masculins est le principal facteur des inégalités des revenus salariaux des ménages. Selon le pays, elle a représenté entre un tiers et la moitié de la hausse globale. Les évolutions structurelles des ménages (homogamie et augmentation du nombre de ménages de célibataires) ont elles aussi creusées les inégalités de revenus salariaux, quoique dans une moindre mesure.
38 L’OCDE (2015a) a élargi l’analyse au-delà des revenus salariaux en regardant l’ensemble des facteurs liés à l’intégration des femmes dans les marchés du travail (effets de participation, effets des salaires et effets de structures) et en les liant à la distribution de revenu disponible total des ménages. Les dernières décennies correspondent à une augmentation générale et marquée de la participation des femmes au marché du travail. En permettant l’apport d’un second revenu au sein du ménage, cette tendance peut contribuer à la réduction des inégalités. De plus, l’accroissement des débouchés professionnels pour les femmes, un moindre écart salarial homme-femme et l’augmentation du nombre de femmes travaillant à plein-temps ont contribué à une distribution plus égale des revenus disponibles des ménages. On estime ainsi, en combinant ces différents effets, que le coefficient de Gini serait plus élevé de deux points si les femmes n’avaient pas massivement renforcé leur participation au marché du travail au cours des vingt dernières années (OCDE, 2015a).
Résumé des principales évolutions
39 Les effets des différentes évolutions et leurs poids respectifs pour expliquer la hausse des inégalités, depuis les années 1980, peuvent être résumés comme suit (tableau 1). Les facteurs ayant joué un rôle significatif sont les changements technologiques privilégiant les qualifications, les évolutions des formes d’emploi et des conditions de travail et l’affaiblissement de la redistribution, qui sera discuté dans la section suivante. La mondialisation a eu un effet indirect sur la hausse des inégalités. Les réformes institutionnelles des marchés des produits et du travail ont eu des conséquences opposées, dont les effets se sont compensés mutuellement. Les évolutions sociétales de la structure des ménages n’ont eu qu’un impact limité. Enfin, la hausse du niveau d’études et l’activité féminine ont partiellement compensé l’accroissement des inégalités.
Effets des différentes évolutions majeures sur la hausse des inégalités

Effets des différentes évolutions majeures sur la hausse des inégalités
Le rôle de la redistribution dans la réduction des inégalités
40 La redistribution générée par les transferts publics en espèces ainsi que l’imposition du revenu et les cotisations sociales jouent un rôle majeur dans la réduction des inégalités de revenus marchands. Il est impossible d’isoler de façon précise l’impact de la redistribution sur les inégalités de revenus marchands, dans la mesure où un raisonnement contrefactuel est difficile à mener (Förster et Toth, 2015, p. 1781-1883 ; Esping-Andersen et Myles, 2009). Néanmoins, faute d’une meilleure information, on mesure l’impact de la redistribution en comparant les revenus marchands au revenu national disponible. On estime que la redistribution diminue les inégalités dans la population d’âge actif d’un quart environ dans la zone OCDE (selon le coefficient de Gini). Cet effet de redistribution est particulièrement marqué dans certains pays nordiques, en Belgique, Slovénie et en Irlande (proche de 40 %). Il est en revanche beaucoup plus faible au Chili, au Mexique et en Corée (en-dessous de 10 %) Avec un taux de réduction de 33 %, la France se situe au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE (figure 7).
Inégalité du revenu marchand et inégalités de revenu disponible (population en âge de travailler)

Inégalité du revenu marchand et inégalités de revenu disponible (population en âge de travailler)
41 Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que ce chiffre sous-estime le rôle de la protection sociale dans la redistribution, car il ne tient pas compte de la redistribution opérée en nature (soins de santé, éducation, accueil de jeunes enfants…). En moyenne, au sein des pays de l’OCDE, les gouvernements dépensent autant (13 % du PIB) en services sociaux publics (éducation, santé, accueil, etc.) qu’en prestations en espèces. Certains pays – pays anglophones et nordiques, Corée, Mexique – dépensent même beaucoup plus pour les premiers que pour les seconds. Dans l’ensemble de la zone OCDE, les transferts en nature ont réduit les inégalités de revenus d’un cinquième en moyenne (coefficient de Gini) [OCDE, 2011a].
L’ampleur de la redistribution s’est affaiblie depuis deux décennies
42 Dans la plupart des pays, la redistribution a globalement progressé depuis le milieu des années 1980 au milieu des années 1990. Les politiques fiscale et sociale ont compensé une partie des fortes hausses des inégalités des revenus marchands, mais elles ont perdu en efficacité depuis le milieu des années 1990. Jusqu’alors en effet, les dispositifs fiscaux et sociaux de nombreux pays de l’OCDE compensaient plus de la moitié de la hausse des inégalités des revenus marchands. En revanche, alors que ces inégalités ont poursuivi leur progression après le milieu des années 1990, l’effet de stabilisation des impôts et des prestations sur les inégalités de revenus des ménages a reculé.
43 Globalement, les évolutions tendancielles de la redistribution ont surtout été tirées par les prestations, plutôt que par les prélèvements et l’imposition. La progressivité accrue des prélèvements n’a pas été suffisante pour compenser l’accroissement des inégalités dans les revenus primaires (OCDE, 2011a). Si l’on considère le cas des prestations de chômage, les fluctuations des effectifs de chômeurs et le niveau des prestations ont contribué à augmenter le rôle stabilisateur des prestations, mais leur structure est telle que des personnes en bas de la distribution des revenus en sont écartées (par exemple les travailleurs jeunes ou les travailleurs plus précaires), ce qui limite leur impact sur la réduction des inégalités. En outre, les dépenses consacrées à des prestations de chômage ont évolué vers des prestations « inactives », ce qui a baissé les taux d’activité et, ainsi, exacerbé la tendance à la hausse des inégalités de revenus marchands (OCDE, 2011).
44 L’imposition du revenu a joué un rôle moins important et plus ambigu sur l’ampleur et les tendances de la redistribution. Les tendances à la baisse de l’imposition du revenu d’un côté et une plus grande progressivité de la taxation et l’élargissement de l’assiette fiscale de l’autre ont eu des effets opposés et se sont en partie annulées. Enfin, en raison de leur structure relativement proportionnelle, les cotisations sociales ont eu un effet de redistribution minime.
Impact de la redistribution sur les inégalités, 1985-2012. Pourcentage de réduction du coefficient de Gini des revenus marchands

Impact de la redistribution sur les inégalités, 1985-2012. Pourcentage de réduction du coefficient de Gini des revenus marchands
La redistribution durant la crise économique a suivi deux phases bien distinctes
45 La période correspondant au début de la crise (2007-2009) a vu la redistribution intervenir pour stabiliser les revenus, avec généralement le renfort d’un certain nombre de mesures fiscales ou de coup de pouces sur les prestations. La période qui a suivi, à l’inverse, a coïncidé avec le développement de mesures de consolidation budgétaire dans un certain nombre de pays et avec une baisse relative de la redistribution.
46 Dans la première partie du choc économique, entre 2007 et 2009, la baisse du revenu moyen, consécutive à la hausse du chômage, a été partiellement compensée par les prestations sociales. Cette stabilisation a été en partie mécanique, due à une indemnisation des chômeurs, et a fait en partie suite à un certain nombre de mesures politiques adoptées en réponse au choc économique. La première partie de la crise économique a ainsi coïncidé avec une hausse sensible des dépenses sociales, qui ont progressé tant en nature qu’en espèces (figure 9).
Évolution des dépenses sociales en nature et en espèces dans quelques pays, 2007-2011

Évolution des dépenses sociales en nature et en espèces dans quelques pays, 2007-2011
47 Cette dynamique de stabilisation des revenus disponibles des ménages s’est interrompue durant la seconde phase de la crise. Là encore, c’est sous la combinaison d’un double effet que ce ralentissement s’est produit. D’une part la proportion de chômeurs de longue durée a augmenté et les durées maximales d’indemnisation ont été atteintes ; d’autre part la mise en place de mesures de consolidation budgétaire dans un certain nombre de pays – alors même que l’activité restait au ralenti – a affaibli la stabilisation des revenus.
48 Des simulations des taxes-prestations réalisées sur un certain nombre de cas-types et pour un certain nombre de pays résument l’impact des mesures sur le revenu des ménages en âge de travailler dans le tableau 2. On y constate que les mesures prises en début de crise se sont ainsi traduites par un impact attendu positif sur le revenu des ménages dans la plupart des pays considérés. Cela a nettement moins été le cas à compter de 2010. Les résultats sont plus nuancés pour 2013 : certains pays (France, Allemagne) ont de nouveaux adopté des mesures visant à soutenir le revenu des ménages quand d’autres (Grèce, Portugal notamment) ont poursuivi certaines mesures ayant un impact attendu négatif sur les revenus. Il reste toutefois à déterminer l’impact global de ces réformes sur la distribution des revenus.
Effet simulé des réformes de la fiscalité et des prestations dans 10 pays de l’OCDE, 2008-2013

Effet simulé des réformes de la fiscalité et des prestations dans 10 pays de l’OCDE, 2008-2013
Note : le « + » indique des mesures ayant un effet positif sur le revenu des ménages (réductions d’impôts, augmentations de prestations sociales par exemple) ; le « - » indique des mesures ayant un effet négatif sur le revenu des ménages (augmentations d’impôts, réductions de prestations sociales par exemple). Les simulations se réfèrent à la population en âge de travailler.Politiques sociales et lutte contre les inégalités : quels enseignements pour les modèles de croissance ?
49 Contenir la progression des inégalités est passé d’un argument de portée normative à une nécessité économique. Au-delà de son impact sur la cohésion sociale, la progression des inégalités est néfaste pour la croissance économique à long terme. Plusieurs pistes politiques peuvent être envisagées pour limiter les inégalités tout en assurant une croissance économique durable. Une première piste d’action réside dans l’architecture du système de prélèvements et de prestations. Mais au-delà des aspects de redistribution, il est important de développer des initiatives qui limiteront les inégalités dès leur formation, en particulier sur le marché du travail. Les efforts pour limiter les inégalités entre femmes et hommes vont également dans ce sens. L’accès à une éducation de qualité, dès le plus jeune âge et tout au long de la vie, est une autre dimension importante. Les institutions du marché du travail en elles-mêmes, enfin, doivent être réformées pour fournir des emplois de qualité et pour limiter la segmentation.
Réduire les inégalités : une nécessité pour renforcer la croissance
50 Le creusement des inégalités de revenus conduit à s’inquiéter de leurs conséquences potentielles pour nos sociétés et pour nos économies. L’impact estimé d’un haut niveau d’inégalités sur la stabilité des gouvernements – et sur la démocratie dans un cadre plus large – est positif (Alesina et Perotti, 1996 ; Milanovic, 2000 ; Stiglitz, 2012). Il est également susceptible de se traduire par un état de santé dégradé de la population (Pickett et Wilkinson, 2006). Au-delà de ces arguments d’ordres social et politique, un haut niveau d’inégalités peut aussi avoir des conséquences économiques (Cingano, 2014 ; Dabla-Norris, 2015). La hausse des inégalités de revenus a une incidence négative sur la croissance à moyen terme. Une aggravation des inégalités de 3 points de Gini – soit la moyenne des pays de l’OCDE pour les 20 dernières années – ferait perdre 0,35 point de croissance par an sur 25 ans, soit une perte cumulée de PIB de 8,5 % à terme (OCDE, 2015a).
51 L’une des raisons de la perte de croissance imputable aux inégalités est que les plus défavorisés se trouvent moins à même d’investir pour s’instruire dans un modèle fortement inégalitaire. Ainsi, on estime qu’une augmentation du coefficient de Gini de 6 points – soit la différence entre l’Allemagne et le Royaume-Uni – entraînerait une perte de 6 mois d’études pour les jeunes dont les parents sont plus défavorisés (OCDE, 2015a).
Le rôle de l’éducation
52 Un haut niveau d’inégalité peut avoir pour conséquence de décourager l’investissement des classes plus défavorisées dans l’éducation. Inversement, l’augmentation de l’éducation a contribué à soutenir la croissance d’emploi dans le long terme et à limiter en partie la hausse des inégalités de revenus marchands.
53 Assurer à tous un accès aux mêmes opportunités implique un effort constant au fil des différents âges de la vie et ce, dès le plus jeune âge. Garantir un large accès à des modes de garde de qualité, adaptés aux besoins, et à un coût accessible est un outil important pour corriger les inégalités dans les chances de développement de l’enfant. Des transferts en espèces pour les enfants en âge de scolarisation peuvent aussi permettre aux familles de répondre aux besoins matériels suscités par l’éducation. Pourvoir à des solutions de garde universelles et tarifées de façon progressive est également un instrument assurant un accès aux familles défavorisées et une marge de man œuvre permettant aux parents de participer pleinement au marché du travail.
54 Il est particulièrement important de veiller à promouvoir l’égalité des chances pour tous les enfants. La figure 10 illustre les performances scolaires des enfants de 15 ans en fonction du statut socio-économique des parents. Alors que la France enregistre la troisième meilleure performance des pays de l’OCDE pour les enfants issus d’un milieu social élevé, elle se classe en vingtième position (sur 34 pays) pour les enfants issus d’un milieu défavorisé.
Score moyen en compréhension de l’écrit à 15 ans, par statut socio-culturel des parents, PISA 2012

Score moyen en compréhension de l’écrit à 15 ans, par statut socio-culturel des parents, PISA 2012
Note : le statut économique et socio-culturel des parents est un score obtenu en combinant les informations : du niveau d’éducation ISCED des parents, des possessions du ménage, du statut professionnel des parents. Les niveaux faibles, moyens et élevés sont obtenus en fonction des terciles de la distribution (tiers inférieur, intermédiaire et supérieur), calculés sur le score des étudiants de 15 ans interrogés.55 En matière de formation professionnelle, un premier objectif à envisager pour contenir la progression des inégalités à venir est de limiter les sorties prématurées et sans diplôme du système scolaire. La nature de la formation est également un paramètre important. Assurer un bon appariement entre l’offre de formation et la demande de compétences nécessite d’investir dans des outils d’anticipation.
Poursuivre les efforts en matière d’égalité femmes-hommes
56 La participation accrue des femmes au marché du travail a permis de contenir partiellement la hausse des inégalités de revenus dans de nombreux pays. Des efforts restent cependant encore à accomplir sur plusieurs plans : accroître la participation des femmes au marché du travail, gommer les inégalités salariales restantes, rééquilibrer les tâches domestiques.
57 Une palette d’outils peut être envisagée pour répondre à ces objectifs, à commencer par une base législative solide visant à prévenir les discriminations, en particulier en lien avec les interruptions de carrière liées aux congés de maternité et parentaux ou avec les responsabilités familiales. Des outils permettant une meilleure conciliation entre vie familiale et vie professionnelle sont également incontournables pour favoriser une bonne participation des femmes au marché du travail (OCDE, 2011b). Les difficultés inhérentes à cette conciliation se traduisent souvent par une participation moindre des femmes au marché du travail ou par du travail à temps partiel, plus largement répandu chez les femmes que chez les hommes dans un grand nombre de pays. La France, comme les pays nordiques, font figure de bons exemples en ce domaine en offrant une palette d’outils permettant aux femmes de maintenir leur participation au marché du travail, même avec des enfants en bas âge – même si beaucoup reste à faire dans ces pays aussi, par exemple en ce qui concerne la structure des professions effectivement occupées par des femmes.
58 Enfin, le travail domestique et le rôle des pères sont des facteurs à prendre en considération pour rééquilibrer le marché du travail. Les congés de paternité existent dans un grand nombre de pays, même si leur durée varie considérablement. Afin d’inciter à leur recours, les dispositifs de type « à prendre ou à laisser » (use it or loose it) connaissent un succès grandissant. Ils sont adoptés par la France, l’Italie ou l’Allemagne, où ils sont remplacés par des mois supplémentaires octroyés aux couples partageant équitablement leur utilisation. Souvent, des obstacles culturels demeurent, et ces dispositifs doivent s’assortir de campagnes d’information invitant à faire évoluer les mentalités.
59 Une fois sur le marché du travail, les femmes sont plus fréquemment représentées parmi les bas salaires. L’introduction de salaires minimums peut, dans ce sens, permettre de limiter les inégalités salariales. Des mesures visant à limiter le recours au travail informel peuvent également permettre de régulariser les conditions d’emploi des travailleurs domestiques et ainsi leur procurer une meilleure couverture sociale, et de meilleures chances d’évolution professionnelle.
Des marchés du travail plus inclusifs
60 Le moyen le plus efficace pour réduire les inégalités à la source est de promouvoir l’emploi et l’accès à des emplois de qualité. Il est important de garder à l’esprit que l’emploi en soi n’est pas forcément synonyme de réduction des inégalités. La période précédant la crise a en effet bien montré que la progression des taux d’emploi peut aller de pair avec une montée des inégalités de revenus, dès lors que les emplois sont ou insuffisamment rémunérés ou disponibles en trop faible volume horaire ou encore sous forme de contrats trop précaires.
61 Des outils politiques tels que des salaires minimums soigneusement calibrés, des mécanismes de négociation salariale bien encadrés peuvent contribuer à une plus grande équité des revenus du travail – mais ces outils seront insuffisants à eux seuls. Il est également important de réformer les marchés du travail pour résorber leur trop grande segmentation. Les mesures visant à harmoniser les régulations de la protection de l’emploi entre celles concernant les emplois temporaires et celles concernant les emplois permanents peuvent y contribuer.
62 Le public des jeunes mérite dans ce cadre une attention particulière. Il est tout d’abord essentiel d’assurer aux jeunes sortant du système éducatif un niveau de compétence compatible avec les exigences de la demande de travail. Il est par ailleurs urgent d’aider dans des délais limités les jeunes exclus du système éducatif ou du monde du travail, afin de limiter les effets-cicatrices à long terme, notamment en développant des programmes d’accompagnement.
63 Les personnes passant par des épisodes de chômage sont également à suivre avec attention car des longues périodes d’inactivité pénalisent le potentiel de rémunération sur la durée d’une vie. Des politiques actives sont nécessaires pour faciliter la réinsertion. Il n’existe cependant pas de combinaison miracle des outils d’activation. Ces outils s’étalent en effet du dispositif de formation à du conseil personnalisé et de la gestion au cas par cas.
Impôts et prestations
64 Les prélèvements et prestations sociales sont l’outil le plus direct pour assurer une redistribution des revenus. Dans le débat public, des voix s’élèvent souvent pour avancer que la redistribution peut nuire à la croissance. De telles positions sont à relativiser. Des résultats récents montrent que la redistribution en elle-même ne nuit pas à la croissance économique à partir du moment où elle est organisée de façon efficace (OCDE, 2015a).
65 La hausse tendancielle des très hauts revenus dégage des marges de man œuvre en ce qui concerne les prélèvements. De plus, des résultats récents montrent que le patrimoine est encore plus concentré que les revenus. Les gouvernements devraient donc reconsidérer leurs systèmes de taxation à la lumière de ces nouvelles données et s’assurer que les contributions à l’effort collectif soient le plus justes possibles. Ceci ne signifie pas systématiquement qu’il faut augmenter le taux marginal d’imposition pour les tranches élevées. Il s’agit d’abord de limiter la fraude fiscale. Il s’agit également de veiller à limiter les exemptions d’impôts, qui généralement bénéficient aux catégories les plus aisées. Enfin, les prélèvements sur les différentes formes de propriété et de richesse sont à considérer, ainsi que leur transmission.
66 Il est également important de veiller à ce que non seulement les citoyens, mais aussi les sociétés multinationales contribuent au système de prélèvement. Augmenter la transparence et limiter l’optimisation fiscale sont autant d’objectifs à poursuivre. Le projet Beps (base erosion and profit shifting : érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices) mené par l’OCDE, s’inscrit dans cette approche en mettant en avant des solutions pour lutter contre la planification fiscale agressive (http://www.oecd.org/fr/ctp/beps.htm).
67 De leur côté, les prestations sont un outil de redistribution important dans la plupart des pays de l’OCDE. Des prestations de chômage efficaces peuvent ainsi protéger contre des fluctuations trop importantes en cas de perte d’emploi. Des travaux récents montrent que bas salaires et risques de chômage vont souvent de pair (OCDE, 2015b) et que les prestations chômage réduisent ainsi les risques en bas de la distribution. Les systèmes doivent également être rendus incitatifs. Dans ce sens, des prestations pour les individus au travail peuvent permettre de maintenir un bon niveau d’incitation.
68 Plus généralement, une protection sociale efficace ne signifie pas nécessairement des budgets plus importants. Il est ainsi important que les outils à disposition soient flexibles et puissent d’adapter aux chocs économiques, comme la crise récente. Ceci implique de considérer la possibilité de budgets contra-cycliques, par exemple celui dédié aux politiques du marché du travail en période de chômage plus élevé.
Conclusion
69 La montée des inégalités, constatée tant en période de croissance économique que durant les années de crise, soulève des interrogations majeures pour nos sociétés. En dehors de considérations normatives sur le niveau admissible d’inégalité, des travaux toujours plus abondants questionnent la viabilité à long terme des économies sujettes à un haut niveau d’inégalités, en particulier en raison du décrochage des classes moyennes et défavorisées.
70 Pour contenir au mieux la montée des inégalités, il est important d’avoir resitué les principaux leviers qui conduisent à cette situation. Ainsi, les évolutions économiques et sociétales majeures survenues au cours des dernières décennies – mondialisation, développement des nouvelles technologies, évolutions institutionnelles et sociétales – ont toutes modifié la structure des inégalités, mais avec des intensités et, parfois, des effets variables. Ainsi, si la mondialisation per se a eu un impact somme toute limité, certaines réformes institutionnelles qui ont résulté de sa progression, ainsi que le progrès technique lié à la mondialisation ont contribué à la montée des inégalités.
71 Il importe donc de résorber les inégalités dès leur formation et de réfléchir pour cela à la façon de rendre les marchés du travail plus inclusifs. Ceci passe en particulier par une plus grande participation des femmes au marché du travail. Ceci passe également par une réflexion sur la qualité des emplois créés. Le niveau de rémunération d’un emploi, sa durée, la protection sociale qui y est rattachée et les perspectives d’évolution qu’il ouvre, tant en termes de formation que d’évolution de carrière, sont autant de paramètres qui peuvent permettre de prévenir un décrochage des revenus des classes défavorisées et moyennes. L’éducation et la formation, enfin, restent des axes majeurs à considérer pour permettre une bonne adéquation entre les compétences et la demande de travail.
72 Dans ce paysage, l’appareil permettant la redistribution est un outil important pour corriger les inégalités. Son affaiblissement du cours des dernières décennies soulève des questions relatives à sa modernisation. Sa réforme s’impose, dans de nombreux pays, pour assurer une fiscalité plus juste et plus efficace et une protection adaptée aux évolutions récentes du marché du travail et de la société. Éviter les niches fiscales, maîtriser les exemptions, taxer équitablement toutes les sources de revenus sont autant de pistes de réformes. En ce qui concerne les prestations sociales, des systèmes adaptés de prestations chômages par exemple peuvent permettre de remédier à la perte transitoire de revenus pour toutes les catégories de travailleurs, tout en suscitant des incitations et peuvent aussi contribuer à éviter un décrochage trop grand des plus bas revenus. L’accès à des services de qualité et abordables est également important. Des services comme les gardes d’enfants, l’éducation, la santé peuvent permettre de réduire les inégalités présentes et futures, de façon directe ou indirecte (travail des femmes par exemple).
Notes
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[1]
Cet article résume les résultats et conclusions majeurs de plusieurs travaux récents sur les inégalités, publiés par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), notamment dans les ouvrages Toujours plus d’inégalité – Pourquoi les écarts de revenus se creusent (2011a), Panorama de la société 2014 (2014a), et Tous concernés – Pourquoi moins d’inégalité profite à tous (2015a). Les points de vue exprimés dans la présente étude sont ceux des auteurs et ne sauraient être attribués à l’OCDE ou à ses pays membres. Il en va de même des éventuelles erreurs. Les auteurs remercient les deux relecteurs anonymes pour leurs commentaires et suggestions.
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[2]
Le revenu marchand comprend les rémunérations brutes, les revenus du capital et les transferts privés, le revenu disponible comprend le revenu marchand, plus les transferts publics, moins les impôts directs et les contributions sociales.
-
[3]
D’autres définitions du seuil de pauvreté relative existent, en particulier celle de la Commission européenne, qui établit un seuil de risque de pauvreté à un niveau plus important (60 %).
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[4]
Le coin fiscal désigne le rapport entre le montant des impôts payés par un travailleur salarié moyen (célibataire dont la rémunération équivaut à 100 % du salaire moyen) sans enfant et les coûts totaux de main-d’œuvre qu’il représente pour son employeur.
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[5]
Le salaire de réserve est défini comme le salaire minimal en dessous duquel une personne n’accepte pas de travailler.