Introduction [1] [2]
1 Dans nos sociétés, au regard de l’histoire, la protection de l’enfance est encore une préoccupation récente. Les États de droit, qui en ont les moyens économiques, sont en mesure de développer des programmes et des structures spécifiques. Néanmoins, les services sociaux et le système de protection de l’enfance sont régulièrement tenus pour responsables d’échecs patents de leur mission dans des affaires dramatiques et souvent très médiatisées, en particulier dans différents pays d’Europe. Ainsi, dans la décennie 2000, l’histoire de Peter Connelly en Angleterre, la série d’infanticides en Allemagne (2007) et les « affaires » Fiona, Typhaine ou Marina en France, dues aux décès d’enfants morts des suites des maltraitances infligées par leurs parents, ont révulsé et fasciné les opinions publiques de ces pays et sans doute catalysé la volonté d’améliorer leurs systèmes de protection de l’enfance. Au cours de l’année 2014, pas moins de quatre rapports d’importance ont été publiés sur ce sujet en France [3].
2 Ces affaires, extrêmes et dramatiques, ne doivent pas masquer le fait que la maltraitance infantile, beaucoup plus répandue et insidieuse que l’on voudrait bien le croire [4] (Tursz, 2013), n’est pas seulement une question sociale, mais représente un enjeu sociétal, sur le plan individuel (égalité des chances) et aussi sur le plan collectif, du fait du nombre d’enfants concernés et de la gravité des conséquences sur leur santé et leur insertion sociale à long terme.
3 Dans cet article sont rassemblés quelques éléments d’appréciation des relations entre maltraitance familiale et placement en établissement de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Tous les enfants placés n’ont pas été maltraités et tous les enfants maltraités ne sont pas placés. Mais les éléments recueillis dans l’enquête présentée dans cet article, conduite dans un établissement public de l’ASE, montrent qu’au moins dans le cas exposé ici, une grande partie des enfants pris en charge sont ou ont été confrontés à de telles souffrances et que ces situations ont un impact sur leur devenir à l’âge adulte. La prudence ne permet pas d’affirmer que l’enquête soit représentative de la situation générale dans ces établissements, mais elle apporte des éléments nouveaux intéressants à l’appui du dossier de la prise en charge d’enfants maltraités.
Éléments de contexte sur la maltraitance infantile
4 Sur la maltraitance infantile, on ne dispose sans doute pas de données d’ensemble claires et fiables, mais des estimations ont été réalisées. Les chiffres de l’Observatoire de l’action sociale décentralisée (ODAS, 2006) situent le nombre d’enfants reconnus maltraités par an à 19 000 et ceux de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP, 2011) à 17 889 les cas de « mauvais traitements et abandons d’enfants de moins de 15 ans ».
5 Quelques éléments de cadrage permettent en revanche de donner la mesure de la population d’enfants et de jeunes concernés par l’ASE et, parmi ceux-ci, plus particulièrement par l’accueil en établissement. La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes réalise une enquête sur l’aide sociale et ses bénéficiaires, comptabilisés au 31 décembre de chaque année [5]. Les données du tableau suivant sont extraites de l’enquête sur les bénéficiaires de l’ASE fin 2013.
Nombre d’enfants bénéficiaires de l’aide sociale à l’enfance au 31 décembre 2013*,**

Nombre d’enfants bénéficiaires de l’aide sociale à l’enfance au 31 décembre 2013*,**
*. Lecture : parmi les 138 333 enfants confiés à l’ASE en France métropolitaine, 70 677, soit 51 %, sont placés en famille d’accueil, 39 % en établissements… ; parmi les 54 125 enfants en établissements, 4 % sont placés en établissement d’éducation spéciale (pour enfants handicapés), 73 % en maison d’enfants à caractère social…**. Par le juge ou une autorité administrative ; l’enfant peut être placé en une structure ASE ou auprès d’une personne de confiance de la famille ; dans ce cas, l’ASE prend en charge l’enfant financièrement, mais les décisions concernant l’enfant ne lui incombent pas.
6 Il est également éclairant de mentionner que les enfants de moins de 6 ans constituent 14 % de la population sous responsabilité de l’ASE fin 2013. Les enfants de cette tranche d’âge, pour leur part, sont – pour plus de 70 % d’entre eux – accueillis en famille d’accueil et pour un quart d’entre eux environ, en établissement. On peut souligner enfin le fait que les situations varient considérablement entre les départements ; par exemple le taux de placement en famille d’accueil varie de 20 % à 92 % selon les départements.
7 Ces données de gestion, relevées un jour donné, ne rendent cependant pas compte du nombre d’enfants d’une même génération suivis et placés à un ou plusieurs moments de leur parcours.
8 Les coûts induits par la protection de l’enfance ont fait l’objet d’évaluations rares et mériteraient une réflexion plus approfondie. Une étude américaine, reprise par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [6], chiffre à 1 % du produit intérieur brut (PIB) le coût des conséquences de la maltraitance infantile aux États-Unis. En France, la Cour des comptes a évalué, en 2008, le coût de la prise en charge de l’ensemble des 300 000 enfants suivis par l’ASE à 6 milliards d’euros, à la charge des conseils départementaux, sans compter les surcoûts induits (santé, éducation spécialisée, justice) à la charge de l’État. Il est possible que l’on dépasse aujourd’hui les 10 milliards d’euros [7], tous postes confondus (prise en charge ASE, éducation spécialisée, soins pédopsychiatriques, suivi judiciaire, suivi de la protection judiciaire de la jeunesse et, le cas échéant, mesures pénales). Ces thèmes de recherche sur les conséquences des maltraitances infantiles à long terme et sur leurs aspects économiques se développent aux États-Unis (Xiangming, 2012 ; Gelles, 2012), mais restent encore confidentiels en Europe (Gudbrandsson, 2006).
9 En France, très peu d’études (Dumaret, 1995 ; Chevillard-Doumert, 1983 ; Mascaro, 2012 ; Ganne, 2013) ont évalué la prise en charge à long terme de jeunes enfants placés. Ce grave manque de connaissances et de données sur l’évolution de ces enfants, déploré dans sa conclusion par la Cour des comptes, alimente les doutes sur l’efficience de la protection de l’enfance. On regrette ainsi que la cohorte Étude longitudinale française depuis l’enfance (ELFE) n’ait pu réussir à inclure la maltraitance infantile dans les éléments de suivi, comme le relève justement Anne Tursz (Tursz, 2013). On ne peut que regretter, plus généralement, le manque des moyens consacrés par la recherche publique à ce problème en France.
10 Le manque d’études n’empêche cependant pas le débat, souvent passionné, entre d’une part les tenants d’un placement le plus précoce possible des bébés et enfants qui risquent d’être maltraités et d’autre part ceux qui prônent un maintien à domicile en vue d’éviter les effets néfastes de l’institutionnalisation, de « l’hospitalisme » et la répétition des ruptures et des vécus d’abandon. Au-delà des préjugés idéologiques, comment apporter des réponses à ces situations complexes ? Est-il possible de repérer des indicateurs cliniques permettant un dépistage plus précoce et une meilleure prise en charge des enfants ?
La recherche Saint-Exupéry (2011-2014)
11 Depuis 50 ans, moins de 10 études ont été conduites en Europe sur le devenir adulte des enfants placés (Frechon, 2008 ; Ganne, 2013). Parmi celles-ci, aucune à date récente et aucune recherche longitudinale en France sur de jeunes enfants placés (Chevillard-Doumert, 1983 ; Duliège-Muet, 1998). Cette insuffisance s’explique sans doute en partie par la difficulté à rassembler sur le long terme des données fines et de qualité concernant des enfants, dont les trajectoires sont complexes et peuvent les conduire dans des lieux de placement successifs divers, géographiquement éparpillés. À la complexité des parcours s’ajoutent les discontinuités des suivis et les difficultés habituelles de réalisation d’études longitudinales sur de longues périodes.
12 L’équipe de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du centre hospitalier universitaire (CHU) d’Angers est l’une des rares en Europe (avec celle de Davies et Ward [8] au Royaume-Uni en 2012) à avoir, au cours de la dernière décennie, conduit une enquête longitudinale sur une population de très jeunes enfants suivis par les services sociaux et dont certains ont été placés. Certains membres de notre équipe interviennent à la maternité pendant que d’autres travaillent à la pouponnière, ce qui nous permet d’avoir une visibilité sur le parcours des enfants. Cette organisation est une chance qui offre un regard et une continuité qui souvent font défaut aux équipes de terrain, parfois clivées et dispersées entre différents services (sociaux, éducatifs, sanitaires…).
Matériels et méthodes
13 Les objectifs de la recherche Saint-Exupéry sont de décrire l’évolution dans le temps d’une population d’enfants admis avant 4 ans, entre 1994 et 2001, à la pouponnière du foyer de l’enfance du Maine-et-Loire (foyer Saint-Exupéry). Cette pouponnière est une structure d’accueil, d’évaluation et d’orientation, qui n’a pas vocation à proposer des placements pérennes. Elle accueille les enfants « tout-venant » et n’effectue donc elle-même aucun tri à l’admission autre que l’adéquation entre l’offre et la demande de places. La disponibilité est évaluée en fonction de 3 critères en particulier : l’âge des enfants, l’accueil d’une fratrie ou encore la domiciliation de la famille. Notre cohorte d’enfants placés au foyer Saint-Exupéry représente 40 % des enfants de moins de 4 ans ayant fait l’objet d’une mesure de placement dans le département du Maine-et-Loire sur la période 1994-2001 ; les autres enfants ont été placés directement en famille d’accueil ou dans d’autres pouponnières. L’orientation des enfants semble aléatoire, en fonction des places disponibles dans des structures surchargées, parfois de façon chronique ; les auteurs de l’étude n’ont pas identifié de biais de sélection à l’admission entre les divers lieux d’accueil, hormis pour les bébés en attente d’adoption, qui, de ce fait, ont été exclus de l’étude.
14 Cette recherche est à la fois catamnestique et longitudinale ; elle comporte plusieurs recueils de données sur une population à des âges successifs, avec mise à jour des données.
15 La période étudiée (1994-2001) a été choisie en raison de la présence, à partir de 1994, d’une équipe médicale stable, composée de pédiatres et de pédopsychiatres, situation rare en France, et d’un encadrement éducatif stable et performant. Cette équipe a établi des dossiers médicaux très complets et des observations initiales de très bonne qualité, très homogènes dans leur recueil, à l’admission à la pouponnière du foyer de l’enfance. C’est sous la responsabilité du pédopsychiatre de la pouponnière, qui exerce aussi dans l’équipe du CHU, qu’ont été établis les diagnostics inclus dans les dossiers d’entrée et de suivi des enfants et qu’a été coordonnée la présente enquête. La qualité des dossiers d’admission était une condition déterminante pour la faisabilité de la recherche.
16 Pendant cette période, 155 enfants de moins de 4 ans ont été admis à la pouponnière. Les dossiers ont été traités par ordre chronologique d’admission sans aucune omission. Ont été exclus 11 dossiers concernant les placements courts de moins de trois mois sans autre prise en charge ultérieure à l’ASE (à notre connaissance) et 2 dossiers d’enfants placés en attente d’une reconduite à la frontière. Les dossiers des 13 adoptions suite à un accouchement sous X n’ont pas été traités, pour éviter le risque d’un biais de recrutement.
17 Les 129 dossiers restants ont été inclus dans l’étude et constituent notre cohorte.
18 Le travail de recherche a d’abord consisté à collecter les informations pour reconstituer les biographies exhaustives de ces enfants, depuis leur naissance jusqu’à leur majorité. Les données initiales (T1) et celles des débuts de parcours ont été recueillies dans les dossiers archivés au foyer de l’enfance et aux services de l’ASE du Maine-et-Loire. Les données de suivi (T2) ont été acquises en temps réel pour les enfants qui étaient encore pris en charge au moment de l’enquête. Les dossiers des plus jeunes sont toujours actifs et le suivi de cohorte est toujours en cours.
19 Les données sociales, éducatives, administratives, économiques, médicales, judiciaires, scolaires et psychologiques de chaque enfant ont été recueillies, année après année, en partie auprès des services de l’ASE du Maine-et-Loire et en partie auprès de multiples sources, dans plus de 12 départements, au gré des trajectoires complexes des enfants dans leurs différents placements, ce qui représente plus de 50 administrations et institutions diverses (santé, justice, services sociaux) et plus de 250 professionnels (assistants familiaux, éducateurs, psychologues, pédopsychiatres, pédiatres, médecins traitants, responsables d’établissement, enquêteurs sociaux, assistants sociaux, tiers digne de confiance, familles, etc.). Certains dossiers atteignent 5 000 feuillets – entre 7 000 et 8 000 pages de documents sociaux, éducatifs, administratifs, médicaux, judiciaires, scolaires et psychologiques – et s’étendent jusqu’à la fin de la prise en charge possible, soit 21 ans révolus. Malgré la richesse des données qualitatives, nous ne présentons ici que les principales données quantitatives et épidémiologiques, afin de ne pas surcharger la présentation. D’autres analyses de cette source de données sont en cours de réalisation.
20 Cette étude a reçu une autorisation de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), qui a délivré une dérogation à l’obligation d’information pour des raisons pratiques, devant la difficulté de retrouver les détenteurs de l’autorité parentale en début du parcours. 2 années de préparation et 3 années d’enquête ont été nécessaires pour traiter l’ensemble des éléments biographiques de ces 129 enfants.
21 Sans méconnaître la multiplicité des approches et des conceptions dans le champ de la protection de l’enfance (philosophiques, sociologiques, anthropologiques, médicales, psychologiques, etc.), nous nous situerons dans un champ médico-psychologique et nous ne présenterons ici que des données relevant de notre travail quotidien.
Résultats descriptifs
À l’admission
Des bébés issus de familles et de fratries connues et suivies…
22 À l’admission (T1), l’âge moyen des 129 enfants (60 filles et 69 garçons) à la date du placement est de 22 mois. Un tiers d’entre eux ont été admis avant l’âge d’1 an, 20 % entre 1 et 2 ans, 20 % entre 2 et 3 ans et 25 % entre 3 ans et 4 ans.
23 Au 30 juin 2014, en fin de parcours (T2), l’âge moyen de la cohorte était de 19,2 ans ; 87 enfants sur 129 étaient majeurs, soit plus des deux tiers. Les enfants du dernier tiers étaient tous âgés de plus de 14 ans.
24 L’immense majorité des fratries (67 sur 73) étaient déjà connues des services sociaux à T1, avec des frères et sœurs placés préalablement ou simultanément, indice d’un placement très fréquemment familial. Globalement, au 30 juin 2014 (T2), 80 % des enfants des fratries (349 enfants sur 439) étaient ou avaient été placés.
25 Parmi les 129 enfants de la cohorte, 72 enfants (56 %) avaient été identifiés par les services médicaux ou sociaux (maternité, protection maternelle et infantile [PMI], services de l’action éducative en milieu ouvert, services sociaux) comme bébés à risque et 105 enfants (80 %) avaient été suivis avec une certaine régularité par ces mêmes services.
26 Sur l’ensemble des fratries des enfants inclus dans la cohorte, on constate une mortalité infantile 6 fois supérieure à celle de la population générale : on comptabilise 8 décès avant l’âge de 1 an parmi les 321 enfants de la fratrie identifiés à la fin de période d’inclusion à T1, soit 25 ‰ enfants, contre 4,5 ‰ en population générale en 2000 [9]. Ces 8 enfants sont décédés avant 6 mois : 1 prématuré présentant des malformations multiples, 4 décès qualifiés en mort subite du nourrisson (MSN), 1 cas de toxémie gravidique et 2 décès de cause inconnue. Aucun de ces décès n’a fait l’objet d’une autopsie. Dans sa thèse de médecine de 1983 sur les enfants placés à la pouponnière d’Angers, Chevillard-Doumert relevait aussi un taux de mortalité infantile très important (48 ‰) avec 7 décès (dont au moins 3 morts suspectes) avant 1 an sur les 143 enfants de la fratrie (Chevillard-Doumert, 1983).
…mais placés tardivement au regard du jeune âge des enfants…
27 Le délai moyen entre la première alerte et le placement est de 12,7 mois, pour un âge moyen à l’admission de 22 mois.
Répartition des délais alerte-placement dans la cohorte étudiée

Répartition des délais alerte-placement dans la cohorte étudiée
28 Si 25 enfants, soit 20 % de la cohorte (28 % dans notre précédente enquête 2002-2004), ont été placés dans le premier mois suivant l’alerte – dont 21 dans les suites immédiates de la naissance – le dernier quart a été placé entre 19 mois et 46 mois après la première alerte sociale. Ce délai paraît très long au regard du jeune âge des enfants et de la gravité des tableaux cliniques observés à l’admission. De tels délais sont loin d’être rares dans les placements de jeunes enfants. Séverac rapporte que parmi les 150 enfants de 0 à 3 ans confiés à l’ASE de Seine-Saint-Denis en 2002, on observe des inadéquations entre l’analyse de la situation et les réponses apportées dans près d’un quart des dossiers (Séverac, 2003). Au Royaume-Uni, Ward fait la même remarque sur ce qu’elle appelle « un attentisme souvent dommageable des professionnels » : « Developmental and behavioural difficulties were more evident amongst children who had experienced some form of maltreatment, often whilst professionals waited fruitlessly for parents to change [10] » (Ward, 2010).
29 Bien sûr, devant des situations problématiques d’enfants, les professionnels ne développent généralement pas un simple attentisme passif qui repousse le placement. Le difficile travail de terrain des professionnels de la PMI, de l’ASE et des associations missionnées dans le champ de l’accompagnement du bébé et de l’enfant dans sa famille est souvent de grande qualité. Cependant, notre étude montre que, parmi les enfants placés, certains le sont tardivement [11] et cela permet de penser qu’un placement plus précoce aurait pu être bénéfique.
30 En effet, de nombreux bébés accueillis présentent des troubles psychiques et affectifs déjà solidement structurés (David, 2004), accompagnés de troubles du développement plus ou moins sévères (de Bellis, 2005 ; Mascaro, 2012). Or il faut ici rappeler que le temps du bébé n’est pas le même que celui de l’adulte et que la durée d’exposition du petit enfant à des situations délétères est plus rapidement dommageable d’un point de vue psychique que celle d’un adulte. Nos pratiques et nos représentations doivent en tenir compte, de même que la formation des professionnels. Constater que de nombreux enfants arrivent, souvent après un long délai, « en mauvais état », comme on le montre ci-après, suggère le fait que ces données ne sont pas suffisamment prises en considération.
… et de la gravité de leurs troubles et des difficultés familiales
31 Le long délai moyen entre alerte et placement est à mettre en perspective avec la gravité de l’état physique et psychique de ces enfants à l’admission. Cet état, malgré un suivi social préexistant dans la grande majorité des situations, va de pair avec un sous-diagnostic des maltraitances physiques et psychologiques ainsi que des carences. Ainsi :
- le taux de déni de grossesse des mères des enfants de la cohorte est de 8,5 %, soit 2,3 fois supérieur à celui de la population générale (Chaulet, 2013) si l’on se réfère strictement à la définition des dénis partiels et des dénis totaux. Il est de 19 % si l’on intègre les dénis affectifs [12] (14 cas dans la cohorte) ;
- le taux de prématurité – de 16 % pour ces enfants – est 2,5 fois supérieur à celui de la population générale (Ancel, 2012), où l’on trouve des taux de l’ordre de 5 à 7 %. Ces résultats sont congruents à ceux de notre précédente enquête 2002-2004 ;
- les cas de maltraitances lourdes sont nombreux : à leur arrivée, 64 enfants (50 % de la cohorte) avaient été exposés à des violences psychologiques, 47 enfants (36 %) à la violence conjugale, 34 enfants (26 %) à des violences physiques, 14 enfants (11 %) à des négligences lourdes et enfin 3 des 129 enfants avaient été exposés à des violences sexuelles. Ce dernier chiffre correspond certainement à une sous-estimation, du fait du jeune âge des enfants (moins de 4 ans) et de la difficulté de recueillir leur témoignage. Nous savons en effet que les violences sexuelles sont majoritairement dévoilées une fois l’enfant protégé et généralement plus âgé (Boujut, 2009). Des données similaires concernant la maltraitance sont trouvées par Frechon qui insiste sur le fait que ces enfants, victimes de violences et de conflits conjugaux graves, sont issus de familles cumulant généralement un grand nombre de difficultés. Beaucoup de ces enfants ont « un parcours long et chaotique » (Frechon, 2011). Dans 4 dossiers de notre échantillon, la gravité du traumatisme ou de l’agression aurait pu entraîner la mort de l’enfant : 1 cas de strangulation avec perte de connaissance, 1 cas avec 13 fractures du squelette dont une fracture du crâne, 1 cas avec hémorragie méningée suite à un syndrome du bébé secoué (SBS) et 1 cas de fracture du crâne ;
- l’état général somatique des enfants est souvent très mauvais : près de la moitié des enfants, à leur arrivée, souffraient de carences multiples ou des stigmates de rupture de la courbe staturo-pondérale, en rapport avec leur situation familiale. Seulement la moitié de ces enfants particulièrement carencés a récupéré ce retard de croissance après placement, dans un délai moyen de 2,5 ans ;
- la morbidité psychiatrique est forte : près de 4 enfants sur 5 (107 sur 129) présentaient des signes de souffrance psychique (selon la classification internationale des maladies, 10e révision [CIM-10]). Seuls 22 enfants avaient un comportement et un abord relationnel ne suscitant pas d’inquiétude. 33 enfants sur 129 présentaient des troubles de la sphère psychotique, des complications psychiques de carences affectives sévères, comme l’avaient décrit Jenny Aubry, dès 1955 [13] (Aubry, 1955) et plus tard Michael Rutter (Rutter, 1999), le fondateur de la pédopsychiatrie anglaise. Des chiffres similaires sont trouvés dans l’étude marseillaise de Bronsard, portant sur la santé mentale des enfants placés (Bronsard, 2011) ;
- la morbidité parentale est lourde, en particulier la morbidité psychiatrique, déficitaire ou addictive, sans prise en charge dans la majorité des cas. 68 enfants (soit 53 % de l’échantillon) avaient un ou deux parents présentant une pathologie psychiatrique dont seulement 12 avaient une prise en charge de soins régulière. Par ailleurs, 16 enfants (13 %) ont été placés à la suite de la mise en examen ou de l’incarcération des parents. Cette lourde morbidité parentale a aussi été relevée par Ward (Ward, 2010) ;
- les parents sont le plus souvent engagés dans des relations pathologiques avec l’enfant. En se référant à l’échelle Parent-Infant Relationship. Global Assessment Scale [14] (PIR-GAS) [encadré], l’évaluation catamnestique réalisée au moment de l’étude à partir des données archivées dans le dossier d’admission à la pouponnière a fait apparaître que dans 82 % des cas où une cotation a pu être faite (103/125), les relations envers l’enfant d’au moins l’un des parents pouvaient être considérées comme pathologiques et que dans 17 % des cas (21/125), l’enfant se trouvait en difficulté ou en souffrance dans ces relations. Seul un enfant n’était pas confronté à une relation pathologique ou en souffrance avec l’un de ses parents.
Distribution du degré de gravité de la relation parent-enfant lors du placement

Distribution du degré de gravité de la relation parent-enfant lors du placement
32 Ces résultats montrent l’importance de prendre en compte les interactions précoces entre l’enfant et ses deux parents et d’évaluer les dysfonctionnements. L’utilisation d’échelles, telle la PIR-GAS, permet de mettre en évidence des aspects pathologiques qui peuvent passer inaperçus. En effet, la nature et l’apparence des troubles présentés par les enfants peuvent paradoxalement amener le professionnel à adopter une attitude contraire à celle dont le bébé aurait besoin (Bourguignon, 1995). Ainsi par exemple en est-il de l’enfant qui, habitué à se protéger des négligences ou des dysfonctionnements interactifs avec son parent par une fuite du regard ou un évitement du contact corps à corps, va induire chez le professionnel une mauvaise compréhension de ses besoins et une mise à distance à son égard : l’enfant évitant n’invite pas à la rencontre. Autrement dit, l’enfant exprime, par son comportement, l’inverse de ses besoins et induit chez l’adulte une réponse qui n’est pas en adéquation avec eux (Mascaro, 2012).
33 Le placement initial à la pouponnière apparaît globalement profitable aux enfants de notre cohorte ; ce qui s’observe tant d’un point de vue somatique (récupération pondérale) qu’au travers des observations cliniques durant leur séjour à la pouponnière (observation qualitative). Il s’agit bien sûr d’une évaluation globale qui serait à nuancer pour rendre compte des singularités et de l’évolution spécifique de chaque enfant.
Durant le placement
Une longue durée des parcours en protection de l’enfance
34 Les enfants restent placés en moyenne 1 an et 5 mois à la pouponnière, avant d’être restitués à leurs parents (30 %) ou orientés en famille d’accueil (54 %) ou en maison d’enfants à caractère social (7 %). Ils ont ensuite des parcours variés, essentiellement en famille d’accueil dans le jeune âge et plutôt en établissement à l’adolescence (foyers, maisons d’enfants à caractère social, etc.). 28 enfants ont été restitués à leur famille avant 15 ans, sans nouveau placement à la date d’actualisation des données.
35 Sur les 108 enfants de la cohorte ayant atteint 17 ans, 76 (70 %) sont encore pris en charge en protection de l’enfance. De plus, 10 jeunes de moins de 17 ans bénéficiaient de leur côté d’une mesure judiciaire jusqu’à l’âge de 17 ans au moins (plus souvent jusqu’à leur majorité). Finalement, à 17 ans, 86 sujets sur 108 (80 %) bénéficient toujours d’une mesure de prise en charge judiciaire ou sociale. Ce chiffre est congruent à celui de l’étude récente de l’INED (Frechon, 2013) portant sur 809 enfants nés une même année de la décennie 1980 et ayant été placés au moins une fois (75 % encore présents à 17 ans à l’ASE).
36 Un quart des enfants n’ont connu qu’un ou deux placements pendant tout leur parcours après la sortie de la pouponnière. Ce sont ceux qui ont été orientés en famille d’accueil et qui y sont restés. 22 d’entre eux (17%) sont d’ailleurs restés dans le même placement pendant toute la durée de leur parcours après leur passage à la pouponnière. Un petit tiers des enfants (37 enfants, soit 29,4 %) ont connu 3 ou 4 placements. Et plus de la moitié (55,2 %) ont connu 5 placements et plus, dont 14 enfants qui ont connu entre 10 et 27 placements. Une analyse qualitative de certains dossiers d’enfants sera effectuée dans une autre publication, en vue d’éclairer les raisons de certaines multiplications de placements.
Une grande fragilité des liens familiaux…
37 À leur majorité, 18 % des jeunes n’ont plus aucun lien juridique avec leurs parents (17 % dans l’étude INED) par décès, abandon ou retrait total d’autorité parentale par jugement pénal. On compte 18 orphelins, soit 14 %, contre 3 % en population nationale pour les moins de 21 ans (Barre, 2004), ce qui atteste une grande fragilité de la population parentale.
38 En fin de parcours à l’ASE, le plus souvent à l’approche de la majorité, 32 enfants sur 129 (25 %) n’ont plus aucun contact avec leur père depuis l’âge de 9,4 ans en moyenne et 23 enfants (18 %) n’ont plus aucun contact avec leur mère depuis l’âge de 12 ans en moyenne. À l’approche de la majorité, seul un quart des enfants bénéficient de visites régulières de leur père au moins 2 fois par an, et la moitié de leur mère, avec la même périodicité. Ces visites sont jugées constructives par les professionnels pour seulement 10 % des enfants et toxiques pour un tiers des enfants. Pour 60 % des enfants, les visites, si elles ne sont pas perçues comme pathogènes par les professionnels, ne sont pas pour autant jugées satisfaisantes et nécessitent une présence soutenue et un soutien majeur à la parentalité. Enfin, 16 enfants ont vu au moins l’un de leurs parents se voir retirer l’autorité parentale. Pour 8 d’entre eux, les 2 parents ont été concernés par cette mesure judiciaire.
…dont témoignent échecs de restitution et nouveaux placements des enfants
39 Au cours de leurs parcours, plus de la moitié des enfants (71) a été restituée à la famille, mais 47 enfants ont été replacés de nouveau, soit un taux d’échec de restitution de 66 %. Pour 25 enfants, il y a eu 2 échecs et pour 4 d’entre eux, 3 échecs. Certains enfants ont fait eux-mêmes la demande d’être placés de nouveau. Ceci est à mettre en perspective avec la longue durée des placements (80 % encore présents à 17 ans) et montre que les enfants ne restent pas placés pour des raisons de volonté administrative ou judiciaire, mais pour des motifs sociaux, médicaux ou psychologiques. L’accompagnement des familles pendant le temps du placement (et au moment du retour de l’enfant) doit probablement être développé.
Peu d’enfants ont une bonne efficience scolaire
40 Parmi les 86 enfants qui ont dépassé 17 ans et qui sont encore pris en charge à cet âge, 27 enfants ont bénéficié d’un accompagnement en établissement médico-social d’éducation spéciale, et pour eux la chance d’obtenir un diplôme est faible. 36 enfants sur 129 ont été déscolarisés à un moment de leur parcours, essentiellement en raison de troubles du comportement ou de troubles psychiques. Pour les autres, 19 ont obtenu le brevet des collèges – soit 15 % contre 85 % en population générale – 24 suivent une filière professionnelle (13 vers un baccalauréat professionnel, 11 vers un CAP/BEP) et 4 une filière générale. Enfin, 3 ont obtenu leur baccalauréat, mais l’un d’eux a échoué au BTS. Il serait intéressant de connaître le niveau d’étude des enfants retournés en famille. Une étude spécifique pourrait nous éclairer sur ce point.
41 Cette faible efficience scolaire et cette forte proportion d’enfants passant par une période de déscolarisation temporaire ou définitive ont déjà été mises en évidence par Mainaud dans son travail sur l’échec et le retard scolaire des enfants hébergés en établissement par l’ASE (Mainaud, 2013).
Évolution à long terme des enfants de la cohorte
42 Pour une partie importante des enfants de la cohorte, la vulnérabilité personnelle et sociale apparaît très forte.
Les trois quarts des enfants ont manifesté des troubles psychiatriques et ont reçu des soins
43 Un recours à des soins pédopsychiatriques a été considéré comme nécessaire pour les trois quarts des enfants. 28 enfants (22 % de la cohorte) ont même été hospitalisés au moins une fois pour des motifs psychiatriques (0,18 % en population générale).
44 En fin de parcours, 30 jeunes ne présentaient pas de troubles repérables ; un diagnostic psychiatrique a été posé pour les 99 autres, soit 77 % des sujets contre une prévalence de 12,5 % en population générale, selon le rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) de 2002 [15].
Plus d’un enfant sur cinq a été orienté vers l’éducation spécialisée
45 Les institutions chargées de l’orientation des enfants handicapés – CDES ou MDPH [16], selon la période considérée – ont dirigé 27 enfants vers une prise en charge en établissement médico-social d’éducation spéciale (soit 20,9 % de la cohorte contre 0,67 % en population générale [17]).
46 De telles données sont à rapprocher des résultats d’une étude transversale du Centre régional d’études, d’actions et d’informations Rhône-Alpes (CRÉAI-RA) [Corbet, 2012] concernant les jeunes en situation sociale difficile : 21 % des jeunes en famille d’accueil et 26 % des jeunes en établissement à caractère social ont un dossier MDPH et 17 % ont bénéficié d’une prise en charge en établissement médico-social d’éducation spéciale.
Un enfant sur six a bénéficié de « mesures complexes partagées »
47 Du fait de difficultés lourdes de prise en charge liées à leur pathologie psychiatrique ou à leurs troubles du comportement, 21 enfants ont bénéficié de « mesures complexes partagées [18] » pendant une durée moyenne de 2,5 ans, le plus souvent à l’adolescence. En effet, ces enfants présentaient de tels troubles qu’ils relevaient à la fois d’une prise en charge en établissement médico-social d’éducation spéciale pour la scolarisation, parfois deux simultanément (pour assurer scolarité et hébergement) et d’une prise en charge en pédopsychiatrie. Cette donnée doit être rapprochée des résultats d’une autre étude du CREAI-RA, portant sur la population des enfants accueillis en établissement médico-social d’éducation spéciale dans le département de la Loire : 41 enfants admis sur 145 y relevaient de mesures complexes partagées.
48 L’ensemble des données précédentes fait apparaître un « angle mort » des politiques publiques qui semblent ignorer la réalité de l’inscription précoce dans le handicap de la population des enfants en situation sociale difficile ou maltraités, ce qui représente pourtant un grand nombre d’enfants. Si l’enquête de la DREES permet de connaître le nombre d’enfants de l’ASE pris en charge en éducation spéciale (tableau 1), on regrette que son enquête [19] sur ces établissements n’apporte pas de connaissances complémentaires sur ces enfants.
Plus de un enfant sur cinq a fait l’objet de poursuites judiciaires
49 En fin de parcours, 28 des 129 enfants de la cohorte ont comparu au pénal ; 26 ont été sanctionnés dont 7 (âgés de 17 à 22 ans) ont été condamnés à une contrainte par corps (prison, établissement pénitentiaire pour enfant [EPE] ou centre éducatif fermé [CEF]).
Distribution des devenirs – Déterminants des évolutions
50 Si tous les enfants grandissent et progressent pendant le placement, on constate un devenir contrasté chez ces enfants placés, du pire au meilleur. Les évolutions les moins favorables sont celles des enfants marqués par la gravité de leur état à l’admission et des délais importants pour la mise en œuvre de la décision de placement.
Deux facteurs observés à l’admission semblent influencer l’évolution des enfants à l’âge adulte
Les enfants qui ont évolué vers un handicap social ou psychique ont connu un délai long entre signalement et placement et ont présenté des indicateurs précoces de gravité de leur situation
51 Parmi les 129 ex-enfants devenus adolescents de la cohorte, on a identifié ceux qui paraissent les plus en difficulté à l’âge adulte. Ce groupe rassemble les jeunes qui, à l’âge adulte, ont à la fois :
- un score inférieur à 51 sur l’échelle d’évaluation globale du fonctionnement (encadré), échelle composite rendant compte de leur fonctionnement dans trois domaines : psychologie, adaptation sociale, activité. Ce score se situe à la limite des soins psychiatriques impératifs ;
- la présence simultanée d’un critère factuel significatif de difficultés reconnues par des professionnels et institutions médicaux ou sociaux : hospitalisation longue en psychiatrie, incarcération de plus de 3 mois, curatelle-tutelle, reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé par la MDPH.
Encadré : Indicateurs utilisés dans cette étude
Pour évaluer le fonctionnement psychologique, relationnel et d’adaptation sociale de l’enfant, nous avons utilisé la version française de l’échelle EGF [20], Échelle d’évaluation globale du fonctionnement (Endicott, 1976). L’EGF est une échelle « composite » avec laquelle le cotateur évalue le fonctionnement du patient sur un continuum hypothétique dans trois domaines : psychologique (de la santé aux symptômes les plus graves), adaptation sociale (de l’adaptation à la désocialisation) et activité (d’une intégration professionnelle ou scolaire à l’absence d’activité). C’est une échelle continue de 1 à 100, ce dernier chiffre étant la valeur maximale correspondant à un comportement hypothétique optimal dans ces trois dimensions.
Délai alerte-placement
Nous avions créé cette variable dans une étude précédente, et elle s’est révélée pertinente à l’usage (Rousseau, 2006). Il s’agit du délai entre la première alerte sociale dont on retrouve trace dans le dossier (signalement de violences conjugales par la police ou manifestations d’inquiétudes dans le milieu scolaire par exemple) et le placement de l’enfant.
L’échelle PIR-GAS
L’échelle PIR-GAS (Parent Infant Relationship Global Assessment) a été utilisée en raison de sa bonne sensibilité à la souffrance psychique de l’enfant dans sa relation à son ou à ses parents (Perret, 2009). Il s’agit d’une échelle d’évaluation globale de la relation parent/bébé, qui distingue les relations selon qu’elles sont : adaptées (score de 81 à 100), en difficulté ou en souffrance (score de 41 à 80) et pathologiques pour un score inférieur ou égal à 40.
52 Dans ce groupe de 27 jeunes adultes vulnérables, 16 cumulent au moins 3 critères de difficultés et 11 en cumulent 2.
53 Les caractéristiques de ces enfants à l’admission ainsi que leurs parcours ont été comparés à ceux des autres enfants de la cohorte :
- la tendance observée est un délai moyen entre la première alerte et le placement plus long chez ces enfants (16,7 mois contre 11,6 mois pour les autres enfants de la cohorte, p = 0,109) ;
- la tendance observée est une évaluation plus négative des relations de ces enfants avec leurs parents avant le placement (PIR-GAS moyen de 26 contre 30 pour les autres enfants de la cohorte, p = 0,089) ;
- durant leur parcours, les enfants sont significativement plus nombreux à avoir été hospitalisés pour des raisons psychiatriques (56 % contre 11 % pour les autres enfants de la cohorte, p < 0,000) ;
- ils sont également significativement plus nombreux à avoir été placés plus de 6 fois (48 % contre 23 % pour les autres enfants de la cohorte, p < 0,000).
54 Par ailleurs, on observe que les parcours de ces enfants ont été marqués par des troubles psychiques, des soins pédopsychiatriques prolongés, une scolarisation spécialisée, la multiplicité des lieux de placement spécialisés dont des placements complexes articulés sur plusieurs structures.
55 Il faut sans doute comprendre ces trajectoires non comme le produit d’une relation de causalité, mais comme un signe d’inscription dans le handicap psychique dès la petite enfance. Le retard au placement et la prise en charge tardive posent donc particulièrement problème pour ces enfants.
À l’opposé, les enfants qui ont évolué le plus favorablement avaient été placés plus rapidement après signalement
56 Un autre quart des enfants de la cohorte (29 sur 129 également) se caractérise par le fait qu’à l’âge adulte, ils sont bien adaptés ; ils ont une EGF supérieure à 70 et ne présentent pas de troubles psychiques nécessitant des soins, même légers. Or on observe que :
- lors de leur admission, ces enfants présentaient des signes de souffrance psychique encore réversibles. Les relations parents-enfant avant le placement étaient un peu moins dégradées (PIR-GAS moyen de 30) ;
- la moyenne du délai entre alerte et placement était de 10,1 mois ;
- aucun enfant de ce groupe n’a fait l’objet d’une hospitalisation pour raison psychiatrique durant son parcours ;
- seuls 5 d’entre eux ont été placés plus de 6 fois au cours du suivi (17 %).
Entre ces deux extrêmes
57 Le groupe intermédiaire entre ces deux extrêmes correspond :
- d’une part, aux jeunes qui ont une EGF inférieure à 51 sans aucun des indicateurs de gravité explicités plus haut (anxiété, dépression, réduction des liens sociaux parfois, mais sans désocialisation) ;
- d’autre part, aux jeunes qui ont une EGF supérieure à 51 mais inférieure à 71.
58 Les résultats suivant sont observés chez ces enfants :
- le délai moyen entre alerte et placement dans ce groupe est de 12,2 mois et l’indicateur PIR-GAS moyen est de 29 ;
- 11 enfants de ce groupe ont fait l’objet d’une hospitalisation pour raison psychiatrique durant le parcours (16 %) ;
- 30 % d’entre eux ont été placés plus de 6 fois au cours du suivi.
59 Ce groupe représente un peu plus de la moitié des enfants de la cohorte et il correspond aux enfants qui ont évolué vers des troubles psychiques et adaptatifs modérés. Si certains ont pu bénéficier d’un passage par l’éducation spécialisée, ils n’ont pas nécessité pour autant de mesures de protection à leur majorité.
Indicateurs comparés concernant les situations des enfants à l’entrée en foyer, leurs parcours et leurs situations à l’âge adulte

Indicateurs comparés concernant les situations des enfants à l’entrée en foyer, leurs parcours et leurs situations à l’âge adulte
D’autres indicateurs confirment également l’importance pour l’avenir des enfants, des facteurs « délai alerte-placement » et « état des relations parents-enfants » à l’entrée en placement
60 Ces facteurs apparaissent en effet déterminants, par exemple si on compare le groupe des 22 sujets ayant eu un seul placement et celui des 28 sujets qui ont subi 8 changements ou plus comme dans le tableau 3.
Relations entre d’une part le délai alerte-placement et les relations parents-enfants à l’arrivée au foyer et d’autre part le parcours de placements des enfants

Relations entre d’une part le délai alerte-placement et les relations parents-enfants à l’arrivée au foyer et d’autre part le parcours de placements des enfants
61 Les troubles de l’attachement précoce, favorisés par une prise en charge chaotique du bébé dans sa famille avant placement, sont à l’origine de troubles de l’adaptation affective et sociale qui expliquent probablement en grande partie l’instabilité des placements, voire leur rotation rapide à l’adolescence. Gauthier (2004) a bien décrit ce mécanisme. En quelque sorte, on voit ici que lorsque la durée alerte-placement moyenne (de 7 à 20 mois) est multipliée par environ 3, l’instabilité des placements est multipliée au moins par 8. Au contraire, les enfants placés avant l’installation irréversible de troubles psychiques et de l’attachement paraissent avoir mieux réussi à s’appuyer sur d’autres adultes de confiance pour grandir et à prendre leur distance avec leur famille d’origine.
62 Sans doute faut-il éviter toute généralisation, chaque parcours d’enfant restant singulier. Néanmoins, la recherche a mis en évidence deux facteurs négatifs repérables à l’admission de l’enfant en placement, qu’on pourrait qualifier comme la gravité du danger auquel l’enfant est exposé (détérioration des liens parents-enfants) et la durée de l’exposition au danger (délai alerte-placement). Ces résultats sont très proches de ceux des enquêtes rétrospectives du Centre de recherche médicale et sanitaire (CERMES) sur la population de jeunes adultes passés par deux villages d’enfants (Dumaret, 1995 et 2008) [21] x [22].
63 L’observation d’une variation des devenirs des enfants selon le niveau de gravité du danger auxquels ils ont été exposés (dont l’indicateur dans notre enquête est mesuré sur l’échelle PIR-GAS, qui exprime la souffrance relationnelle) est cohérente avec les conclusions antérieures de Dumaret, qui soulignaient le poids des maltraitances précoces pour le devenir à long terme. Dumaret relevait déjà l’influence de la pathologie familiale et de la gravité de la maltraitance, comme déterminant du devenir à long terme des enfants.
64 Ainsi pour l’étude rétrospective réalisée en France sur une cohorte de 59 jeunes, anciens enfants placés à l’œuvre Grancher entre 1967 et 1978 (Dumaret, 1996) : « Parmi les facteurs de risques étudiés qui prédisent l’insertion générale à l’âge adulte (analyse de régression multiple « pas à pas »), le poids des pathologies familiales et des mauvais traitements et carences a été montré. Les résultats sont encore plus significatifs quand ils portent sur l’ensemble des 59 adultes. […] La majorité de ceux pour lesquels l’insertion reste fragile ou a échoué (n = 19) ont subi de nombreuses carences et avaient vécu dans des environnements en grande difficulté. […] Les difficultés d’insertion à l’âge adulte sont liées au cumul des pathologies des parents et de la famille constituée et aux antécédents traumatiques de ces enfants. Ces facteurs de risque jouent un rôle significatif dans les différences d’adaptation des sujets. »
65 La mise en évidence dans la présente recherche d’un deuxième déterminant de l’avenir des enfants accueillis, la durée d’exposition au danger, mesurée par le délai qui sépare première alerte sociale et placement, rejoint les conclusions de Davies et Ward qui insistent sur la nécessité d’une intervention rapide dans ces situations dangereuses pour l’enfant : « Both child development research and the evidence from practice analysis demonstrate the importance of taking early action when children are found to be maltreated [23]. » (Davies, 2012). L’analyse qualitative, non développée dans cet article, fait apparaître la principale raison du retard d’intervention : une mauvaise coordination entre diagnostic social ou médical, prise en charge sociale, décision judiciaire. Dès que l’un de ces trois acteurs fait défaut dans le suivi soutenu du cas, les conséquences directes en sont visibles à long terme.
La recherche permet en outre d’identifier un troisième facteur négatif du devenir des enfants : les échecs de restitution
66 Contrairement aux deux premiers, ce troisième facteur prédictif d’une évolution péjorative, apparaît durant le parcours des enfants. La recherche met en effet en évidence un lien statistique significatif entre l’existence d’échecs de restitution de l’enfant à sa famille et le devenir à long terme de l’enfant (100 % d’échec chez les enfants du groupe A pour lesquels une tentative de restitution a eu lieu contre 56 % pour les autres, p = 0,003).
67 Au terme d’un temps de prise en charge par l’ASE, la restitution de l’enfant à sa famille semble être un objectif recherché par les services sociaux et la justice. Cependant, sur 71 occurrences de tentatives de restitution relevées dans notre échantillon, 47 doivent être considérées comme des échecs, au sens où l’enfant n’est pas resté durablement dans sa famille.
68 La recherche montre surtout que :
- la présence de tels échecs dans les parcours est corrélée à une moins bonne efficience personnelle et une moins bonne adaptation sociale (EGF basse à l’âge de jeune adulte) ;
- la corrélation s’accentue avec le nombre d’échecs ;
- enfin, ces échecs ont pour conséquence d’entraîner des discontinuités supplémentaires dans le parcours de l’enfant, car ce sont souvent de nouvelles équipes et de nouveaux professionnels qui prennent en charge l’enfant après ces replacements.
69 Il semble donc que les décisions de retour en famille sont à risque et doivent être mûrement réfléchies. C’est aussi ce que conclut Gauthier (Gauthier, 2004), qui, observant les placements en familles d’accueil, a montré comment pouvait être périlleux le retour dans sa famille d’origine d’un enfant présentant des troubles de l’attachement assez bien équilibrés en famille d’accueil.
70 Le devenir à l’âge de jeune adulte des enfants qui ont fait l’objet de restitutions sans replacement semble statistiquement indifférent à ce facteur. On remarquera toutefois que cela ne signifie pas pour autant que les restitutions soient réussies, c’est-à-dire correspondant à un mieux-être de l’enfant dans sa famille. On sait en effet par ailleurs que dans un certain nombre de cas, des restitutions perdurent par impossibilité de coopérer avec la famille, ce qui traduit plus un aveu d’impuissance de la justice et des services sociaux qu’une réelle réussite du retour.
71 Ce champ des restitutions, peu exploré en protection de l’enfance, mériterait des investigations complémentaires.
L’âge d’admission, en revanche, ne paraît pas avoir d’impact sur l’efficience personnelle et sociale à la majorité
72 Une première lecture rapide des résultats pourrait laisser penser qu’il peut y avoir un effet « âge du placement » sur l’efficience (mesurée par l’EGF) à l’âge adulte, puisqu’un délai alerte-placement plus court pourrait laisser supposer un âge de placement plus précoce.
73 Or (sous réserve que les effectifs soient suffisants) aucun test statistique, courbe ROC (Receiving Operating Characteristic) en particulier, ne paraît mettre en évidence de seuil significatif, quant au critère de l’âge de placement, sur le devenir à long terme dans notre échantillon. Bien que l’expérience clinique montre que plus l’enfant est jeune et plus il est vulnérable, ce serait donc bien la durée d’exposition au danger (le délai alerte-placement) qui serait déterminante et non l’âge de placement en valeur absolue.
Pertinence diagnostique et accompagnement précoce apparaissent comme des facteurs protecteurs
74 Les enfants qui naissent dans une famille à risque (déjà connue) ne sont pas systématiquement identifiés par les services sociaux comme bébés à risque, identification conduisant à les faire bénéficier d’un suivi particulier. La cohorte n’échappe pas à cette réalité ; certains enfants exposés aux mêmes risques, bien avant leur placement, avaient été dépistés bébés à risque et d’autres non.
75 La recherche montre que le fait d’avoir été dépisté avant le placement comme bébé à risque psycho-social est corrélé de manière significative à une meilleure efficience personnelle, à une meilleure adaptation sociale et à un taux d’hospitalisation psychiatrique plus faible que pour le reste de la cohorte. C’est encore plus net pour les bébés prématurés. Pour ces 2 sous-groupes (prématurés, bébés reconnus à risque psycho-social), le délai alerte-placement est aussi plus court que pour les autres enfants de la cohorte.
Corrélation entre dépistage comme bébé à risque psycho-social et délai alerte-placement

Corrélation entre dépistage comme bébé à risque psycho-social et délai alerte-placement
76 Le diagnostic médical d’une vulnérabilité néonatale (prématurés) ou l’évaluation psycho-sociale d’un risque (bébés reconnus à risque psycho-social) ont ainsi constitué des mesures de protection indirectes :
- d’une part le protocole de surveillance médicale ou sociale mis en place dans ce cas a permis des interventions beaucoup plus rapides que dans les situations moins repérées ;
- d’autre part les placements ont été bien plus rapides du fait de la mise en place d’un protocole de suivi social ou médical (en PMI ou en milieu hospitalier) et des contacts réguliers entretenus par des professionnels avec l’enfant et la famille.
77 Cette présence régulière auprès de l’enfant, même épisodique et brève, peut déjà avoir constitué un soutien affectif salvateur pour l’enfant, comme nous l’avions décrit (Rousseau, 2012, 2013, 2014) pour d’autres enfants et bébés de la pouponnière Saint-Exupéry. Avoir été prématuré a donc déclenché pour certains enfants un suivi périnatal et post-natal et a, paradoxalement, constitué pour eux une chance relative.
Réflexions générales et perspectives
78 Cette étude concerne le parcours et le devenir d’enfants placés avant 4 ans dans un foyer de l’ASE d’un département français.
79 Il est difficile d’en étendre l’ensemble des conclusions aux enfants placés plus tard.
80 La question de la représentativité de l’étude se pose. Sur ce point, sans doute faut-il établir une distinction entre la première et la deuxième partie de cet article.
81 Certes, certains indicateurs structurels semblent montrer que la population reçue au foyer Saint-Exupéry présente des similitudes (âges, fratries, sex-ratio…) avec celles d’autres populations de l’ASE étudiées par ailleurs [24]. Toutefois, en l’absence d’une connaissance plus fine des modalités de répartition des enfants, à leur admission à l’ASE du Maine-et-Loire, entre modes d’accueil et entre établissements, on ne peut pas considérer la description de cette population d’enfants comme réellement représentative de la population globale accueillie à l’ASE de ce département, voire même par l’ensemble des établissements de ce département. Bien que l’établissement lui-même ne fasse pas de tri à l’admission et que l’équipe qui a réalisé l’étude n’ait pas relevé de biais de sélection évident, il se peut par exemple que les enfants dont les situations sont moins dramatiques aient préférentiellement été orientés vers d’autres structures d’accueil – les cas les plus difficiles étant plutôt orientés vers Saint-Exupéry, ne serait-ce qu’en raison de la présence au foyer d’une équipe particulièrement solide. A fortiori, la description de la population d’enfants présentée dans la première partie de cet article ne peut-elle pas être considérée comme rendant compte d’une situation nationale, d’autant plus que le système de protection de l’enfance présente de très fortes disparités départementales (ONED, 2014).
82 En revanche, ces éléments ne devraient pas faire obstacle de la même façon à la transférabilité des résultats de l’étude réalisée dans la deuxième partie de cet article – au moins pour des enfants du même âge. Ces résultats ont en effet été obtenus en rapprochant les variables individuelles à l’admission et à l’âge de jeune adulte ainsi que quelques éléments significatifs des parcours des enfants. Ces résultats nous ont conduits d’une part à faire des hypothèses concernant la prédictibilité de l’avenir des enfants, selon leur situation à l’entrée, et d’autre part à attirer l’attention sur certains éléments stratégiques pour les prises en charge. Les auteurs ne peuvent qu’appeler à conforter ces résultats par des études complémentaires.
83 Il conviendrait également de garder en mémoire le fait qu’au moment où la décision de placement est prise, beaucoup d’éléments peuvent être encore incertains, concernant notamment la capacité d’évolution des parents. En regard de ces données rétrospectives sur des enfants qui ont été placés, on aimerait pouvoir réaliser une étude comparative sur le devenir d’enfants situés dans des contextes similaires qui n’auraient finalement pas été placés.
84 Notre étude appelle également de nouvelles explorations concernant les effets des troubles psychiques en lien avec des relations familiales douloureuses ou concernant la scolarité des enfants placés, dont on connaît le manque global de réussite scolaire.
85 Elle appelle enfin des travaux complémentaires sur les échecs fréquents des restitutions aux familles.
Conclusion
86 Cette étude met en évidence certains déterminants qui, dès le très jeune âge de certains enfants, participent à la survenue de troubles graves, déjà bien structurés et fixés. Ces troubles du développement engendrent des impasses et caractérisent ces enfants « incasables ». Ils nécessitent la mise en place de mesures complexes partagées pour faire face à l’inadaptation sociale qui menace ces enfants. Des travaux complémentaires avec une dimension longitudinale seraient utiles face à ce problème, coûteux pour la société et invalidant pour les individus.
87 L’enjeu principal de la recherche était de valider deux hypothèses suggérées par notre expérience quotidienne du travail avec des enfants placés dans un établissement de l’aide sociale à l’enfance.
88 La première hypothèse était que tous les enfants placés n’ont pas le même devenir.
89 La seconde hypothèse était que le devenir de chacun est étroitement lié d’abord à sa situation lors de son arrivée en placement et ensuite à d’autres déterminants de son parcours que l’étude s’est efforcée de repérer.
90 Sous réserve de la discussion de l’article concernant les conditions de constitution de l’échantillon d’enfants étudiés, ces travaux permettraient de conclure sur plusieurs points.
91 Tout d’abord, les carences et négligences précoces ainsi que les maltraitances infantiles constituent un problème de santé publique aigu. Le nombre d’enfants concernés n’est pas négligeable, mais c’est particulièrement la gravité des conséquences à long terme, sur le plan personnel et sur le plan collectif, qui doit être retenue : un quart des enfants inclus dans la cohorte suivie par cette étude conserveront à l’âge adulte un handicap psychique et social.
92 Ensuite, la part d’enfants pris en charge par des actions médico-sociales et qui relèvent aussi d’une mesure de protection de l’enfance est très importante. Mais les relations entre ces deux politiques publiques constituent un angle mort des politiques de santé publique.
93 Par ailleurs, la lourde morbidité des enfants à l’admission amène à penser que leur situation est certainement déjà très dégradée depuis longtemps. Il est donc essentiel d’identifier les facteurs de risque par un programme précoce d’accompagnement prénatal et parental, puis de soins si nécessaire, afin de limiter la durée et l’intensité de l’exposition au risque pour l’enfant. Aussi, la question d’un suivi social, voire d’un placement de l’enfant, ne se pose que dans la mesure où ce programme de suivi et de soins montre ses limites face à des parents trop défaillants, incapables d’y adhérer ou très opposants. Également, pour favoriser ce travail de prévention et de soutien à la parentalité, il importe de s’assurer d’une bonne continuité de suivi des enfants. Les structures de coordination hospitalière – unités médico-psycho-sociales mère-enfant [25] (Tursz, 2014, voir annexes) et unités médico-judiciaires pédiatriques [26] doivent être développées en articulation fine avec les services sociaux, PMI, ASE et les services de pédopsychiatrie du nourrisson. De plus, la formation des professionnels de terrain est bien sûr fondamentale, notamment dans le repérage des signes de souffrance du bébé et du tout petit enfant.
94 Enfin, notre système de protection de l’enfance est capable de protéger les enfants en danger, puis de les éduquer avec succès. Mais cela exige une pertinence du diagnostic social et médical initial, une grande constance et une continuité dans les moyens de suivi mis en place et une réactivité sans faille des différents intervenants (médicaux, sociaux et judiciaires). Dans cette cohorte de jeunes enfants placés, le système de protection de l’enfance a été relativement performant dans un quart des situations, avec des actes professionnels et institutionnels posés suffisamment tôt, avant que la situation de l’enfant ne soit trop dégradée. La marge de progression reste donc considérable.
Notes
-
[1]
Remerciements
Agence régionale de santé des Pays de la Loire, caisse d’allocations familiales du Maine-et-Loire, centre hospitalo-universitaire (CHU) d’Angers, conseil départemental du Maine-et-Loire, Fondation pour la recherche en psychiatrie et en santé mentale, Fondation de France, foyer départemental de l’enfance du Maine-et-Loire, Organisme commun des institutions de rentes et de prévoyances (OCIRP), Observatoire national de l’enfance en danger (ONED). Remerciements également au Dr Elsa Parot-Schinkel, méthodologiste, pour ses conseils. -
[2]
Note de la rédaction
L’évaluation de la situation des enfants à l’âge adulte a été réalisée par l’équipe qui a établi les diagnostics des enfants à leur entrée à l’ASE et a pris en charge le suivi de ces enfants ; par ailleurs, comme il est indiqué dans le contenu de l’article, des biais de sélection de la cohorte étudiée sont possibles en amont de l’accueil des enfants au foyer Saint-Exupéry. Ces écarts à la norme méthodologique pourraient avoir influé sur les conclusions des travaux présentés dans cet article. Toutefois la RFAS a considéré que l’apport de ces observations au débat public concerne une population, celle de l’ASE, sur laquelle nous disposons de très peu de données longitudinales, et a décidé de publier l’article en portant ces interrogations à l’attention du lecteur. -
[3]
Le rapport sénatorial Dini-Meunier, le rapport Gouttenoire, le rapport Grevot sur l’affaire Marina et le rapport Tursz à la suite du colloque du Sénat sur la maltraitance le 13 juin 2013.
-
[4]
« Les chiffres officiels [de la maltraitance infantile] les plus récents ne se recoupent pas entre eux et sont tous sûrement sous-estimés, si on en juge par les taux calculés : de 3 pour 1 000 à 2 pour 100 selon les sources officielles françaises, chiffres peu réalistes si on les compare au taux moyen de 10 % des enfants de la population générale, dans les études publiées par le Lancet. Si la sous-estimation de la maltraitance en général est hautement probable, on a pour la maltraitance mortelle des preuves scientifiques argumentées, particulièrement en ce qui concerne les homicides de nourrissons de moins de 1 an (infanticides), grâce à la recherche menée par l’unité 750 de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), qui a permis de comparer, au niveau national, le nombre moyen par an d’infanticides officiellement recensés pendant la période 1996-2000, soit 17 cas par an et celui identifié par la recherche : 255 cas par an. » (Tursz, 2013).
- [5]
-
[6]
OMS, Guide sur la prévention de la maltraitance des enfants : intervenir et produire des données, p 13 [En ligne] http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/43686/1/9789242594362_fre.pdf
-
[7]
Estimation issue d’un travail de recherche commun en cours avec l’équipe de l’Unité de recherche clinique en économie de la santé (URC-ÉCO).
-
[8]
Cette recherche a servi d’épine dorsale au travail de consensus sur la protection de l’enfance établi à la demande du gouvernement anglais : Davies C., Ward H., Safeguarding Children Across Services, 2012.
-
[9]
Source Institut national d’études démographiques (Ined). En ligne : http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATnon02230.
-
[10]
« Les enfants qui avaient subi certaines formes de mauvais traitements présentaient plus souvent des difficultés dans leur développement et leur comportement lorsque les professionnels avaient attendu en vain un changement de la part de leurs parents » (ndlr).
-
[11]
L’étude ne peut fournir d’information sur le devenir des enfants signalés qui n’ont finalement pas été placés, ce qui constituerait un apport complémentaire appréciable à la réflexion.
-
[12]
Le déni affectif de grossesse est une notion clinique plus opératoire que les définitions basées sur le retard de déclaration administrative de la grossesse. La définition, proposée par Miller, est celle des cas où la femme est consciente de son état gravide à certains moments, mais continue à se comporter et à agir comme si elle n’était pas enceinte, sans anticipation de la naissance et de l’enfant (Miller, 1990).
-
[13]
Aubry J. (1955), La carence de soins maternels, Paris, PUF, p. 124.
-
[14]
Échelle d’évaluation globale de la relation parents-enfants en bas âge. (ndlr)
-
[15]
INSERM (2002), Troubles mentaux : Dépistage et prévention chez l’enfant et l’adolescent. En ligne : http://www.autisme-france.fr/offres/file_inline_src/577/577_P_21092_1.pdf
-
[16]
Commission départementale de l’éducation spécialisée (avant la création des maisons départementales des personnes handicapées – MDPH).
-
[17]
Haut Comité de la santé publique (1997), Santé des enfants, Santé des jeunes. L’état de santé des enfants et des jeunes en France, HSCP, p. 14.
-
[18]
C’est-à-dire associant une mesure de protection de l’enfance, une prise en charge pédopsychiatrique et une scolarisation spécialisée.
-
[19]
Makdessy Y. et Mordier B. (2013), « Établissements et services pour enfants et adolescents handicapés, Résultats de l’enquête ES 2010 » document de travail, Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), collection « Série Statistiques », no 177, mars. En ligne : http://www.drees.sante.gouv.fr/IMG/pdf/seriestat177.pdf.
-
[20]
Voir à ce sujet le diaporama sur le site du ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes. En ligne : http://www.atih.sante.fr/sites/default/files/public/content/1096/egfenf.pdf
L’EGF, créée en 1962 par Luborsky, a été révisée par Spitzer en 1976 et modernisée dans sa version publiée dans le manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (DSM-III-R) sous le nom d’Échelle d’évaluation globale du fonctionnement. -
[21]
Dumaret A.-C., Crost M., « Placement à long terme en villages d’enfants depuis plus de 30 ans », (123 sujets, inclusion sur 3 décennies, 42 % troubles psychiques graves à la sortie, 38 % troubles psychiques légers, 20 % sans troubles). En ligne : https://www.sosve.org/publication/placement-a-long-terme-en-villages-denfants-depuis-plus-de-30-ans/
-
[22]
Dumaret A.-C. et Coppel M. (1995), Que sont-ils devenus ? Les enfants accueillis à l’œuvre Grancher. Analyse d’un placement familial spécialisé, Ramonville, éditions Érès, 183 p.
-
[23]
« Tant la recherche sur le développement de l’enfant que la preuve de l’analyse pratique démontrent l’importance d’agir tôt quand des enfants sont maltraités. » (ndlr)
-
[24]
Ainsi, les données concernant ce foyer présentent des similitudes avec les données nationales par exemple en ce qui concerne la proportion de garçons (53 %, contre 56 % pour l’ensemble des enfants pris en charge par l’ASE (Borderies, 2013), 56 % aussi pour les cohortes étudiées par le CREAI, l’Observatoire régional de santé (ORS) et l’Instance régionale d’éducation et de promotion pour la santé (IREPS) Rhône-Alpes en 2012 en Haute-Savoie ou 55 % dans le Finistère (Madec, 2007). Certaines caractéristiques du contexte familial des enfants placés sont également similaires à celles identifiées dans la littérature française : 3,6 enfants par fratrie en moyenne pour le foyer Saint-Exupéry contre 4 dans une étude menée chez des enfants ayant vécu au moins un placement (Frechon, 2013). Le taux d’orphelins de père ou de mère, 14 % dans la présente cohorte, est de même ordre de grandeur que les 20 % identifiés dans l’étude citée ci-dessus (Frechon, 2013). Enfin, lors de leur entrée dans la cohorte, 91 % des enfants placés l’étaient suite à une mesure judiciaire, chiffre proche de celui publié par l’ONED (87 % des enfants placés en France sur décision judiciaire fin 2011 – ONED, 2014). La comparaison avec les deux études rétrospectives du CERMES (déjà citées) est aussi intéressante à ce titre : les résultats apparaissent superposables, alors que la plage des âges au premier placement est beaucoup plus large que dans notre cohorte.
-
[25]
Lire à ce sujet l’expérience de l’Unité médico-psycho-sociale en périnatalité (UMPSP) de la maternité du CHU d’Angers, dans les annexes du rapport d’A. Tursz (Tursz, 2014).
-
[26]
Ibidem.