CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 La santé est, en France comme ailleurs, une priorité stratégique. En tant que demande sociétale, d’abord, où elle figure de façon stable dans le temps en seconde position dans les aspirations de la population (59 % de réponses positives), juste après la réduction du chômage [1]. La santé est également un élément majeur de l’économie : les dépenses courantes de santé [2] représentent 256,9 milliards d’euros en 2014, soit 12,0 % du produit intérieur brut (PIB), ou environ 3 900 euros par habitant, en croissance régulière avec le vieillissement de la population [3]. Le niveau d’exigence [4], s’élève et s’accompagne d’un renchérissement du coût des traitements, de la progression de maladies chroniques, soit un niveau de deux points supérieur à la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le premier rang mondial étant à cet égard occupé par les États-Unis, suivis de très près par les Pays-Bas, la Suisse, la Suède, l’Allemagne et la France [5]. Pour sa partie marchande, il s’agit d’une filière d’environ 70 milliards d’euros de chiffre d’affaires [6], hors mutuelles et assurances. En troisième lieu, la santé figurait aussi parmi les trois grandes priorités de la stratégie nationale de recherche et d’innovation et parmi les grands défis de la stratégie nationale de recherche [7] ainsi que l’évoquait Marisol Touraine lorsqu’elle présenta le projet de loi de santé en mars 2015. En quatrième lieu, elle est une priorité à la fois industrielle et de services dans les orientations données au titre de « la nouvelle France industrielle » et de ses neuf priorités, qu’on la considère sous l’angle de la médecine du futur ou sous des angles connexes que sont l’alimentation, les villes durables et des transports de demain peu polluants, ou encore les différents outils numériques qui permettent à la fois des actions de prévention, de soins, de maintien à domicile et de réduction des durées d’hospitalisation, d’actions en situations de crise. La santé constitue aussi l’une des 14 grandes filières, pilotée par le comité stratégique de filière des industries et technologies de santé. Elle est également une priorité stratégique au regard d’exigences d’indépendance et de sécurité sanitaire. Enfin, la santé est une priorité stratégique pour le commerce extérieur, à la fois pour le secteur pharmaceutique, qui a longtemps été une source majeure d’excédents commerciaux et pour les matériels médicaux, en croissance, mais aussi pour la capacité d’accueil du pays à soigner de façon payante une population solvable attirée par l’excellence reconnue du système de soins français.

2 Ces différentes priorités forment système, et chacune est de nature à renforcer l’autre : une population en mauvaise santé ne serait pas performante pour l’économie et pèserait de façon croissante au-delà du supportable sur les charges des ménages et des entreprises, obérant la capacité même de ces dernières à permettre, par une création de valeur suffisante, la pérennité du système de protection sociale [8]. Sans recherche et développement (R & D), qui sont des paramètres majeurs, non exclusifs, de l’innovation en santé, dans un domaine où ils sont fortement intensifs, l’industrie et les services à valeur ajoutée seraient vite dépassés. Sans ces industries et ces services, la R & D représenterait un coût net pour la nation, rapidement insolvable, et le commerce extérieur plongerait, induisant in fine une paupérisation de la population. Au cœur de cet ensemble, l’innovation est clé, alors que l’évolution technologique modifie profondément les rôles et les hiérarchies entre les acteurs. Pour en percevoir les enjeux, on esquissera sommairement un état des lieux des industries et services de santé [9] ; les forces, faiblesses, menaces et chances qui les caractérisent ou auxquelles elles sont confrontées ; les principales problématiques des entreprises de la filière ; les leviers de l’action publique.

L’industrie et les services de santé : une évolution de plus en plus dépendante d’investissements liés à l’innovation et à la R & D, tant publique que privée

3 L’état des lieux, début 2015, est le suivant : l’industrie et les services de santé forment un secteur qui emploie quelques 200 000 salariés, soit 4,6 % des effectifs industriels français, outre 100 000 emplois indirects [10]. Il est hautement qualifié, équilibré en termes de genre – avec une légère prédominance féminine – et exporte, pour les seuls médicaments, 25 milliards d’euros, dont les deux tiers vers l’Europe. Le comprendre requiert un peu d’historique, qui montre également les évolutions des jeux d’acteurs dans les innovations.

4 D’Hippocrate à peu avant la Seconde Guerre mondiale, le médecin et le soignant sont dans une relation humaniste forte, mais avec une efficacité limitée par des découvertes scientifiques encore de faible portée et à un rythme lent : la pénicilline commence tout juste à ouvrir la voie des antibiotiques, les vaccins sont encore réduits.

5 S’ouvre ensuite une période scientifique triomphante, avec des progrès techniques nombreux, où le médecin est en prise avec un objet scientifique : la maladie, et le patient joue un rôle davantage passif.

6 Le développement de maladies d’immunodéficience, comme le virus de l’immuno-déficience humaine (VIH), va recréer, à partir des années 1980, un dialogue plus actif entre le médecin et le patient, rendant nécessaires des formes de coopération où le patient joue un rôle plus dynamique (rôle qui va encore s’accroître avec l’innovation participative actuelle).

7 À partir du moment où Internet devient accessible à tous, et avec lui une capacité présumée d’autodiagnostic, le dialogue médecin-patient devient plus complexe, et cette innovation technique a de nombreuses conséquences : développement de l’importance relative des médecins spécialisés ; recherche par la puissance publique d’outils de régulation pour limiter l’impact de charlatans virtuels ; possibilité d’évaluer plus rapidement le développement de pandémies via Internet et, le cas échéant, de freiner leur progression ; développement de recommandations en faveur de l’éducation thérapeutique des patients ; surtout, on voit alors une explosion des parutions scientifiques à un rythme jamais connu auparavant.

8 Ce rythme va encore s’accélérer à partir d’une initiative stratégique forte venue des États-Unis, concernant le National Institute for Health (NIH) : en effet, les États-Unis, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ont fait successivement de grands choix stratégiques dans leurs priorités scientifiques, vagues successives qui s’empilent les unes sur les autres, mais où, à un moment donné, l’une prédomine : nucléaire juste après-guerre ; conquête spatiale ensuite ; développement des technologies de l’information plus tard et, de 1998 à 2003, doublement des moyens du NIH, donnant des moyens colossaux à la R & D traitant de la santé ; puis vague sécuritaire et, enfin, initiatives sur l’énergie et la lutte contre l’effet de serre. Ces vagues seront accompagnées peu ou prou par les Européens et quelques pays asiatiques, mais avec des intensités différentes.

9 Enfin, dans la période la plus récente, d’autres innovations apparaissent : les associations de patients se développent dans le cadre du dialogue médecin/patient, et permettent dans divers domaines des progrès (par exemple en oncologie). Les données massives (big data) prennent une importance croissante, permettant de disposer de données statistiques d’une richesse jusqu’alors inconnue pour établir des diagnostics, améliorer la médecine prédictive et préventive. Les biotechnologies et les big data permettent conjointement des développements de la médecine personnalisée. Et la thérapie cellulaire autorise des progrès dans de nombreux champs : en hématologie pour le traitement de cancers du sang, pour la régénération de tissus après un infarctus du myocarde, pour réduire la dégénérescence maculaire. Elle vise aussi à des améliorations dans les traitements du diabète, de la maladie d’Alzheimer ou de la maladie de Parkinson.

10 Ainsi, l’innovation naît désormais davantage par le développement simultané des biotechnologiques et d’approches liées aux micro- et nanotechnologies, ouvrant la voie à une médecine génétique et cellulaire, plus personnalisée, mieux ciblée. Ce que la chimie du médicament ne procurait pas, c’était de pouvoir produire des médicaments biosourcés (hormones, anticorps, facteurs de croissance…), qui sont désormais à portée. Une des conséquences est l’explosion d’entreprises biotechnologiques innovantes, qui oriente des masses accrues de capital-risque à échelle mondiale (avec des effets de bulle possibles, quoique plus étalés dans le temps que ce ne fut le cas pour Internet).

11 Il est bien sûr indispensable que le territoire national soit rendu attrayant pour ces investissements et les emplois à forte valeur ajoutée qui y sont liés, en s’appuyant sur nos savoir-faire et nos richesses (représentées en particulier par la recherche clinique ou les données de santé).

Les évolutions en France s’agissant de la R & D publique…

12 Côté public, si la France crée et développe le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), le Centre national d’études spatiales (CNES) et l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA), l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) et le Centre national d’études des télécommunications (CNET), qui accompagnent ces premières vagues, et dispose avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et d’autres labos du CEA et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ainsi que de centres hospitaliers universitaires (CHU) d’une forte capacité de recherche pour la santé, celle-ci ne suivra pas cependant l’inflexion outre-Atlantique de la fin des années 1990, l’attention de la puissance publique étant alors surtout focalisée sur le numérique : tout au plus déplacera-t-on 2 % du budget du CNES vers l’INSERM. La création de l’Agence nationale de la recherche (ANR) en 2005, dont une part très notable des ressources est initialement dédiée aux problématiques de santé, va partiellement mais tardivement combler cette lacune [11]. Elle sera suivie par d’autres initiatives, dont le programme d’investissement d’avenir, qui contribuera pour 850 millions d’euros aux instituts hospitalo-universitaires et, dans sa seconde phase, aux projets industriels d’avenir, parmi lesquels figurent des objectifs de santé. D’autre part, c’est le moment où la rentabilité marginale de la R & D pour la pharmacie issue de la chimie décroît et où, à côté des dispositifs massifs de recherche de blockbusters, coûtant environ 1 milliard d’euros par molécule, surgissent des solutions issues de la thérapie génique, portant sur des populations plus restreintes. Cette ultime mutation modifie encore une fois les jeux d’acteurs, tout en posant des problèmes éthiques complexes, à savoir jusqu’à quel niveau de coût la collectivité est-elle disposée à financer des remèdes efficaces, mais extrêmement coûteux et portant sur une faible fraction de la population [12], et comment tenir compte des solutions adoptées par des pays voisins, qui ont un impact potentiel massif sur les comptes sociaux, si ces solutions sont divergentes.

…et de la R & D privée : une situation forte dans la pharmacie, mais qui se dégrade ; des perspectives favorables dans les dispositifs médicaux et très favorables dans la e-santé, avec l’émergence de living labs[13] et de l’innovation participative

13 Côté privé, les secousses majeures créées par la fusion de Rhône-Poulenc avec Hoechst Marion Roussel d’abord, puis la reprise par Sanofi, acteurs structurants du paysage national, ne s’accompagneront que tardivement d’évolutions vers la génomique et l’achat d’entreprises relevant de ces techniques. Ceci contribue à expliquer que les exportations de médicaments, qui avaient crû de 1,4 milliards d’euros de 1985 à 26 milliards d’euros en 2013 [14], ont baissé pour la première fois en 2014 (- 1,4 milliards d’euros) sous le quintuple effet du passage dans le domaine public de plusieurs médicaments, du faible taux de nouvelles molécules fabriquées en France (8 sur 130 autorisées dans la zone euro entre 2012 et 2014, contre 32 en Allemagne, 28 au Royaume-Uni, 13 en Italie), de mesures de maîtrise des dépenses de santé dans divers pays vers lesquels les industriels français exportent, de la pression régulatrice et fiscale s’exerçant sur les industriels avec des effets sur la capacité d’investissement et l’attractivité du territoire pour les investissements internationalement mobiles concernant des produits nouveaux et, enfin, d’importations de très coûteux vaccins contre l’hépatite C. Il en résulte un solde de la balance commerciale de médicaments de 6 milliards d’euros, en repli de 31 % par rapport à 2013, ce qui est un signal d’alarme. Pour autant, la France conserve des atouts certains : la politique conventionnelle État-industrie pharmaceutique, initiée il y a 20 ans, a visé à fournir une lisibilité aux grands groupes pour leurs investissements ; de fait, la production en Europe s’est surtout organisée sur trois pays, deux à prix libres (Allemagne, Suisse) et un à prix administrés, la France. Pour que cette situation favorable perdure, dans un marché mondial qui croît de 4,5 % par an et même, pour le segment des maladies rares, de 11 % par an jusqu’en 2020 (pour atteindre alors 160 milliards d’euros à échelle mondiale), il faut accroître la part des investissements sur les médicaments issus des biotechnologies et répondre aux nouvelles concurrences qui apparaissent sur les génériques, en provenance d’Irlande (du fait de sa fiscalité très faible) ou de Belgique.

14 Concomitamment aux enjeux de la pharmacie, les dispositifs médicaux et l’e-santé représentent des marchés également en croissance, et le vieillissement de la population leur laisse prévoir un brillant avenir. Pour fixer les idées, le marché mondial de la santé était évalué, en 2011, par l’IMS Health à 609 milliards d’euros pour la pharmacie (en croissance de 4,5 % par an), dont 160 pour les biotechnologies, 206 pour les dispositifs médicaux, 96 pour l’e-santé, et 45 pour les compléments alimentaires. En France, le marché des dispositifs médicaux était évalué, à la même date, selon la classification mondiale du Global Harmonization Task Force on Medical Devices (GHTF) à 19 milliards d’euros [15], et Bpifrance estimait leur croissance à 5 % par an en 2014. Des choix stratégiques contestables ont été faits en 1987, concernant la cession de la Compagnie générale de radiologie par Thomson-CSF à General Electric en échange de RCA pour donner naissance à Thomson Consumer Electronics (le premier domaine n’ayant cessé de croître avec les besoins de l’électronique médicale et le second de perdre de la valeur avec la gratuité de facto de la musique en ligne), Cependant une remontée de l’effort de R & D à partir des nombreuses entreprises, structurées pour une large part par le Syndicat national de l’industrie des technologies médicales (SNITEM), et le couplage de ces efforts avec l’Institut hopitalo-universitaire (IHU) et via des pôles de compétitivité des entreprises, en bénéficiant de l’excellence des compétences médicales en France, permet d’espérer des progrès de la position industrielle française. Cela suppose de tenir compte de la position de départ fortement dominante de l’industrie américaine, qui comprend 60 des 100 leaders mondiaux en l’espèce, alors que les marchés se répartissent quant à eux pour 46 % aux États-Unis et au Canada, 42 % en Europe, 12 % pour le reste du monde (essentiellement Japon et Chine). Il y a là une pente à remonter, avec désormais des outils pour cela [16] et des points forts (par exemple l’imagerie médicale).

15 S’agissant de l’e-santé, elle se développe à très grande vitesse, conjointement avec les applications mobiles : en 2014, on compte 3,4 milliards d’humains disposant d’un abonnement mobile, et en France on recensait 74,3 millions d’abonnements actifs à un réseau mobile (supérieur à la population du fait d’abonnements professionnels et privés). Les applications sont nombreuses : informations relatives à la santé, que la Haute Autorité de santé recommande, moyennant une certification pour en réduire les aléas [17]. Environ 100 000 applications mobiles sont disponibles dans le monde sur la santé, dont 30 % ciblent les professionnels de santé (imagerie, accès aux données, surveillance du patient…) et 70 % le bien-être et la forme. S’y ajoutent les objets connectés destinés à la santé, Graal des assureurs, de Google et aussi des utilisateurs soucieux de leur forme. Ces dispositifs sont d’ailleurs porteurs d’enjeux considérables, à la fois éthiques et économiques. Pour le volet économique, il suffit de songer que les coûts liés aux affections de longue durée représentent 60 % des dépenses de santé [18] et qu’elles touchent 9,5 millions de Français, en proportion croissante, tandis que le vieillissement conduit à un chiffre – également croissant – de 15 millions de malades chroniques [19] : la prévention que permet l’e-santé est probablement de nature à réduire dans des proportions considérables de tels coûts. Également, les objets connectés sont de nature à améliorer la maintenance et le fonctionnement en général des hôpitaux, qui figurent parmi les systèmes les plus complexes qui soient. Leur croissance sur 2016-2020 est estimée autour de 17 % par an à l’échelle mondiale.

16 À titre d’illustration, au moins trois éléments stratégiques majeurs doivent être mentionnés concernant ces liens entre le numérique et la santé :

17Les outils dont bénéficient les médecins et les patients sont améliorés par le numérique : c’est vrai de la fabrication additive, qui permet de disposer de formes très élaborées et complexes pour de la chirurgie, fabriquées très rapidement et sur mesure, grâce à des logiciels appropriés. C’est vrai du développement de techniques beaucoup moins invasives, qui à la fois réduisent les durées d’hospitalisation et la pénibilité pour le patient, avec le secours de robots médicaux. C’est vrai aussi pour les outils d’imagerie médicale ou d’observation, d’assistance à l’intervention ou de suivi post-opératoire, qui permettent une réduction des risques, comme de minimiser les déplacements ou de permettre par exemple pour le diabète une automédication sous contrôle (le récent accord entre Sanofi et Google illustrant l’importance du sujet). C’est vrai pour les opérations complexes qui requièrent d’optimiser la coopération et la coordination d’équipes. C’est enfin vrai pour des outils de micro- et nanofluidique, développés ab initio pour le numérique, mais dont les applications dans le domaine du vivant s’avèrent prometteuses.

18L’innovation participative[20] est de plus en plus la règle : ainsi l’institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) promeut-il un partage permanent entre chercheurs, médecins et patients très fructueux pour les progrès thérapeutiques. Au niveau européen s’est constitué un réseau européen de living labs (European Network of Living Labs – Enoll) qui « regroupent des acteurs publics, privés, des entreprises, des associations, des acteurs individuels, dans l’objectif de tester dans des conditions réelles et écologiques, des services, des outils ou des usages nouveaux dont la valeur soit reconnue par le marché. L’innovation alors ne passe plus par une approche classique (recherche en laboratoires, R & D, puis développement industriel), mais de plus en plus par les usages. Tout cela se passe en coopération entre des collectivités locales, des entreprises, des laboratoires de recherche, ainsi que des utilisateurs potentiels. Il s’agit de favoriser la culture ouverte, de partager les réseaux et d’obtenir l’engagement des utilisateurs dès le début de la conception ». Leur fédération sous forme de forum est également porteuse d’avenir [21].

19Une offre foisonnante émerge sur le thème d’une meilleure santé grâce au numérique. Elle porte, selon Robert Picard, sur les principales catégories suivantes : compenser, suppléer ou pallier des insuffisances ; maintenir en bonne santé, prévenir les problèmes de santé ; soulager les problèmes de santé, encourager les comportements vertueux ; faciliter la vie, créer du lien ; connaître et développer ses capacités individuelles. Sont mobilisés à cet effet des soutiens à la pratique de sports, aux régimes alimentaires ; le soutien psychologique à distance des jeunes, des familles, des seniors ; les jeux à vocation éducative ou comportementale ; l’observation de soi (montres connectées, etc.). Les applications de téléphonie mobile mentionnées précédemment en sont un support très dynamique, faisant émerger un nouveau secteur d’activités, sous le vocable, aux États-Unis, de M-Health ou santé par le mobile.

Figure 1

Le réseau ENoLL

Figure 1

Le réseau ENoLL

La régulation par les prix

20 Enfin, pour le médicament en France, s’agissant des interactions entre la puissance publique et le privé, non plus incitatrices via la R & D, mais régulatrices, la pression pour le contrôle des dépenses s’est constamment accrue au cours des 11 dernières années, avec, à partir de 2004, des plans annuels de baisses de prix. Ainsi, le taux annuel de croissance moyen du marché était de 6,1% sur 2000-2005, divisé par 4, à 1,5 % pour 2006-2011, pour tomber à - 2,5% sur 2012-2014. Ont été mis en place ou développés des outils de régulation (Haute Autorité de santé [HAS], Comité économique des produits de santé [CEPS], Union nationale des caisses d’assurance maladie [UNCAM]), des référentiels de bon usage, des rémunérations sur objectifs de santé publique, un encadrement des dépenses hospitalières, qui, concomitamment avec l’accroissement des génériques, conduisent à cette réduction des chiffres d’affaires. Ainsi par exemple les génériques en 2014 représentent-ils 27 % du marché remboursable en France, et la généralisation, à partir de 2012, du dispositif de tiers payant contre générique a-t-elle permis d’économiser 448 millions d’euros à la Sécurité sociale en 2013. Plus généralement, le développement des génériques a permis d’économiser environ 2 milliards d’euros en 2014, et un cumul de 17,5 milliards d’euros de 2000 à 2014. Sur cette même période, les génériques sont passés en valeur du marché remboursable de 12,6 à 26,8 % et en volume de 18,4 à 40,9 %. Plus généralement, la part des génériques s’accroît au niveau mondial, faisant suite à la baisse de rendement de la R & D hors biotechnologies : entre 2011 et 2015, le volume des ventes mondiales de médicaments perdant leur protection par un brevet avoisine 135 milliards d’euros.

21 Ce phénomène de régulation n’est pas propre à la France, les principaux pays industrialisés ayant mis en place des mécanismes de maîtrise de la dépense publique, mais leur intensité varie selon les pays. Il en résulte des évolutions de chiffres d’affaires dans les principaux marchés mondiaux très différents au cours des 3 dernières années : les États-Unis passent de - 3 % en 2012 à 4 % en 2013 et 13 % en 2014, en très forte progression, tirée par des innovations nombreuses rémunérées par un marché porteur. L’Allemagne croît, également du fait d’investissements dans l’innovation importants, qui sont liés à ses taux de marge en moyenne plus élevés de 8 points que ceux de la France (post crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi [CICE]), évoluant ainsi de 1 % en 2012 à 5 % en 2013 et 8 % en 2014. Le Royaume-Uni suit une trajectoire semblable, mais à un rythme moindre : - 2 %, 2 %, 4 % ; le Japon stagne autour de 1 %. La France régresse à - 2 % durant ces trois années. L’Italie, après un effondrement à - 5 % en 2012, avoisine 0, situation comparable à celle de l’Espagne.

Des technologies clés pour les innovations en santé

22 Toute politique d’innovation a besoin de priorités, de feuilles de route technologiques. En matière de santé, les exercices récurrents quinquennaux sur les technologies-clés font apparaître sur une cinquantaine de technologies 16 d’entre elles (souvent regroupant plusieurs aspects pour des raisons de granulométrie), qui sont particulièrement pertinentes pour la France, en ce sens qu’elles recouvrent à la fois des enjeux d’avenir et un potentiel de recherche et d’entreprises industrielles ou de services compétitives à l’échelle mondiale. 5 de ces technologies sont spécifiques à la santé – dispositifs bio-embarqués, exploitation numérique des données de santé, imagerie pour la santé, ingénierie cellulaire et tissulaire, nouvelles modalités d’immunothérapie – et 12 sont transversales, mais avec des applications particulièrement intéressantes pour la santé : capteurs, cobotique et humain augmenté, fabrication additive, infrastructure de cinquième génération, ingénierie génomique, Internet des objets, matériaux avancés et actifs, méta-omique, micro-fluidique, modélisation, simulation et ingénierie numérique, valorisation et intelligence des données massives [22].

23 Sans qu’il soit possible d’en détailler ici toutes les applications, on peut à titre d’exemple mentionner celles de la simulation-modélisation numérique pour la santé. Des modèles peuvent servir la médecine régénérative comme la médecine préventive et prédictive en modélisant l’évolution des pathologies (maladies neuro dégénératives et chroniques, oncologie, accident vasculaire cérébral [AVC]). Ces technologies permettent également de déceler des biomarqueurs. L’ingénierie numérique est ainsi placée au cœur de la médecine in silico, qui est fondée sur la modélisation virtuelle de processus biologiques réels (avec cependant quelques limites éthiques : par exemple lorsqu’on peut dire avec une très faible marge d’erreur la date de décès dans 10 ans d’un adolescent affecté d’une pathologie rare et qui est apparemment en excellente santé). Enfin, les technologies de modélisation et de simulation numérique permettent de faire avancer l’épidémiologie et la gestion des pandémies.

24 Autre exemple, l’immunothérapie fait appel à différentes modalités du système immunitaire des individus, avec des thérapies plus ciblées et spécifiques aux individus :

  • anticorps monoclonaux spécifiques (mAbs) ;
  • siRNA (petits ARN interférents) et l’ARNm (ARN messager) ;
  • médiateurs immunitaires ;
  • vaccination thérapeutique ;
  • thérapies cellulaires et les agents immuno-modulateurs.

25 Ceci concerne par exemple l’oncologie, les maladies infectieuses (VIH et hépatites B et C), les maladies inflammatoires, des maladies de la peau et des os, des maladies du système nerveux central, les allergies, les transplantations, les maladies chroniques ou les maladies auto-immunes…

Des innovations exogènes à la santé, mais qui peuvent l’impacter fortement

26 Parallèlement politiques d’innovation ciblant les industries de santé proprement dites figurent d’autres politiques, également importantes, qui ont un impact sur celles-ci. Sans être exhaustif, citons :

27 – Les accidents de la route tuent 1,2 million de personnes dans le monde chaque année et en blessent 40 fois plus. Face à ces chiffres, l’industrie automobile et les puissances publiques ont investi considérablement dans la sécurité routière, dans la sécurité passive et active des véhicules, dans les normes, dans la réglementation routière et des permis de conduire, dans les dispositifs d’intervention d’urgence, et ceci au travers de programmes d’innovation structurés. Les résultats sont probants : une division par 4 du nombre de morts en France en 40 ans, et davantage pour les accidents et leur gravité. En Europe, en 2013, on décomptait 1,05 million d’accidents, en réduction de 27 % par rapport à 1991, 1,4 million de blessés (- 27 %) et 26 000 morts (- 66 %). En France, ces chiffres sont respectivement de 56 812 (- 62 %), 70 607 (- 66 %) et 3 268 (- 69 %) sur ces 22 années.

28 – De la même façon les innovations dans la traçabilité ou la qualité des denrées alimentaires contribuent de façon évidente à la santé publique.

29 – Il en va de même des innovations relatives à la qualité de l’eau et de l’air, dans le cadre du développement d’éco-industries [23]. Le développement des véhicules électriques par exemple est une source de réduction radicale de particules polluantes, dès lors que l’électricité elle-même est produite à partir de sources qui n’en émettent pas ou très peu, ce qui est le cas en France et devrait le demeurer à horizon prévisible. Les innovations visant à des véhicules consommant 2 l aux 100 km également. Cela concerne aussi les développements de la chimie verte.

30 – Parmi les risques sanitaires évolutifs figurent également les transports internationaux et la concentration urbaine, qui traduisent certes des effets de la montée en moyenne des niveaux de vie, mais simultanément facilitent la propagation de maladies infectieuses ou de virus. Si l’on se borne au transport aérien, il a sextuplé en France en 40 ans et plus que décuplé dans le monde. S’agissant de l’urbanisme, environ 750 millions de personnes vivaient en zones urbaines en 1950, elles sont 6 fois plus aujourd’hui, soit environ 55 % de la population mondiale, et seront environ 6,3 milliards dans une prospective médiane en 2050, soit 70 % du total. Les dispositifs de prévention ou de précautions prophylactiques mis en œuvre par les compagnies aériennes, les aéroports et aussi par l’OMS dans le cas de pandémies, contribuent à la réduction des risques. Là aussi, l’extension de dispositifs d’e-santé, via des carnets de santé à jour et facilement accessibles, sont de nature à réduire de tels risques.

Une panoplie d’outils pour l’innovation

31 Outre le rôle pivot de l’INSERM, la recherche en santé en France s’appuie sur de nombreux outils : des laboratoires de référence et alliances, comme l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN), une trentaine de CHU et deux centres hospitaliers régionaux, des pôles de compétitivité mondiaux ou à vocation mondiale (Lyon Biopôle, Médicen, Alsace Biovalley) ou plus spécialisés, et une centaine de structures soutenues par le programme d’investissements d’avenir, à hauteur d’environ 2,5 G-euros : six IHU (Ican, Imagine, A-ICM, Mix-Surg, Polmit, Lyric), 45 laboratoires d’excellence (Labex) sur 86 sites et 24 équipements d’excellence (Équipex) en biologie et santé, 3 démonstrateurs en biotechnologies et santé (MGP, Cimtech, PGT).

32 À ces dispositifs nationaux s’ajoutent les moyens européens, le défi « santé démographie bien-être [24] » du programme Horizon 2020 (H2020) comportant environ 7,5 milliards d’euros sur 7 ans consacrés à la santé, sur lesquels la France a un taux de retour, améliorable, d’un peu plus de 10 % (part du programme H2020 à laquelle les labos publics et privés français émargent [25]). Un des enjeux d’avenir est du reste d’améliorer les effets de levier des dispositifs nationaux (qui restent incontournables, tels les pôles de compétitivité mondiaux, l’ANR) avec des dispositifs européens, voire mondiaux, tout en conservant un couplage fort avec le territoire national.

33 Par ailleurs, pour le privé s’ajoutent les éléments fiscaux génériques qui ont des effets plus ou moins importants par secteur : le crédit d’impôt recherche est favorable aux industries de santé, dont les taux de R & D sont élevés. Le statut de jeune entreprise innovante a été, ab initio, proposé par certains de leurs représentants. Le crédit d’impôt innovation, de moindre ampleur, pourrait s’avérer favorable pour des activités de services dans la santé. Le CICE quant à lui leur est moins utile à ces activités, compte tenu du niveau élevé des rémunérations moyennes dans ces métiers [26]. Le financement des start-ups de biotechnologie souffre, s’agissant des business angels pour la phase amont, d’un niveau plus faible que celui qu’on trouve, par exemple au Royaume-Uni et aux États-Unis. Cela n’a pas empêché le développement d’un très fort engouement du capital-risque pour les biotechnologies, mais l’épicentre reste pour le moment favorable aux États-Unis.

34 Ces outils sont mis en œuvre grâce à une stratégie, via le comité stratégique de filière d’une part et le comité stratégique des industries de santé, sur des objectifs de plus long terme, d’autre part. Le premier a une feuille de route en quatre axes, signée en juillet 2013 : accroître l’attractivité de la France en R & D (ce qui passe à la fois par les moyens, mais aussi, comme on l’a vu, par une vision équilibrée sur les prix, la fiscalité, l’attrait des carrières d’excellence) ; simplifier l’accès au marché des innovations (ce qui implique notamment une plus grande rapidité), maintenir puis renforcer les capacités de production et développer trois nouvelles filières innovantes ; enfin renforcer notre capacité d’exportation et combattre la contrefaçon.

35 Concomitamment, une logique de projets a été mise en œuvre dans le cadre de la nouvelle France industrielle, dont la médecine du futur figure parmi les 9 axes principaux, détaillés en mai 2015, et dont le calendrier de mise en œuvre a été arrêté [27].

36 Un premier bilan de l’action du comité stratégique de filière, deux ans après son lancement, montre des résultats contrastés avec des avancées notables sur l’axe R & D et export, moindres dans les autres axes.

37 Sur la R & D, un groupe de travail sur la recherche préclinique avait pour but d’améliorer les transferts de la recherche académique vers l’industrie. Il a obtenu des simplifications pour les partenariats privé-publics (mandataire unique), le renforcement du transfert vers les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) par la création de Labcom, de centres d’innovation, la cartographie de l’écosystème de R & D, et une participation accrue des PME au programme H2020. Par ailleurs, un contrat unique pour les essais cliniques industriels dans les établissements publics de santé a fait l’objet d’une instruction ministérielle en juin 2014, fortement suivi d’effets (plus de 250 contrats signés en mai 2015).

38 Également, le rapport de Jean-Lou Blachier « Faire de la commande publique un vrai moteur de croissance des achats hospitaliers innovants » marque une volonté de progrès. Si dans de nombreux domaines où l’État intervient de façon structurelle (énergie, télécommunications, défense et sécurité, eau et déchets, transports…) le couplage entre des compétences d’ingénierie au sein de l’administration et des entreprises ont permis, sur la longue période, l’émergence d’industries importantes, portées par des visions de long terme, il n’en a pas été de même dans le cas des achats hospitaliers, longtemps gérés sans préoccupation forte concernant le développement du tissu industriel et de services des fournisseurs, à quelques exceptions vertueuses près. La prise en compte de cette préoccupation, dans le respect des règles de concurrence européennes, peut être porteuse d’un avenir meilleur, et, in fine, budgétairement plus rentable que des achats conduits selon une logique essentiellement annuelle. Pour autant, le levier de l’achat public doit être encore davantage actionné. Des évolutions dans le code des marchés publics du 23 juillet 2015 doivent permettre un meilleur accès aux PME innovantes [28].

39 Sur l’exportation, la création de 5 clubs Santé, permettant de mieux cibler les marchés émergents ou insuffisamment couverts et d’accroître la visibilité de l’offre française innovante, a marqué depuis 2013 un progrès ; ils concernent la Chine, la Russie, le Brésil, l’Algérie, l’Italie. Huit nouveaux clubs devraient bientôt voir le jour pour cibler autant de pays. Il est en effet clair qu’une stratégie d’innovation ne peut s’amortir sur les seuls marchés nationaux, alors même que d’autres grands opérateurs la conçoivent à une échelle plus vaste. Il faut donc chercher des synergies entre ce qui est fait aux niveaux national et mondial.

40 S’agissant du forfait innovation, si des avancées législatives ont eu lieu dans la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) 2015, sur le principe du bénéfice clinique ou médico-économique, l’élargissement du périmètre à la ville, la définition du caractère innovant, en revanche, des questions de délais restent améliorables.

41 Concernant les nouvelles filières, des engagements ont été aussi pris aux fins de lever les freins non financiers de la télémédecine. Simultanément, la gouvernance de l’e-santé se met en place, tant du côté privé que public. S’agissant de la thérapie cellulaire, un plan d’action a été défini en février 2014, qui attend des réalisations concrètes [29].

42 Enfin, s’agissant d’augmenter la production française des produits de santé, la bio-production a bénéficié de la création de MabDesign, avec l’identification et la mise en valeur de nombreuses capacités de bioproduction, ainsi que de la loi sur l’activité, la croissance et l’égalité des chances économiques.

Conclusion

43 Les technologies et les industries de santé sont à l’origine d’un des plus grands bouleversements de l’humanité : au xx e siècle, l’espérance de vie a doublé, la population mondiale triplé, et ces technologies et industries y sont pour l’essentiel. Elles représentent un enjeu majeur pour la nation et, au-delà, pour le monde. Elles sont portées principalement par l’innovation, qui repose en l’espèce sur un ensemble complexe d’une demande évolutive, d’un système de régulation élaboré, mais qui peut encore progresser sur plusieurs plans (dont l’usage des marchés publics, le développement du volet « santé » comme l’une des priorités de la nouvelle France industrielle), de formations d’excellence, de technologies-clés, d’attractivités territoriales, d’effets de levier avec les dispositifs de R & D et d’innovation au niveau européen, l’ensemble porté par une volonté et d’une vision stratégique nationale, en concertation avec toutes les parties prenantes. Elles supposent aussi une régulation, dont le volet relatif aux prix doit être dosé, non seulement au regard de préoccupations nationales, mais aussi à l’aune de ce que font les principaux autres pays acteurs en ce domaine.

44 Les développer nécessite science, patience, courage et un peu de chance, qui, comme le disait Pasteur, ne sourit qu’aux esprits bien préparés. Cette tâche, est devant nous.

Notes

Grégoire Postel-Vinay
Chef de la mission Stratégie de la Direction générale des entreprises.
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/06/2016
https://doi.org/10.3917/rfas.161.0309
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