1Publié avant la présentation en Conseil des ministres, le 15 octobre 2014, du projet de loi de santé, dont l’ambition annoncée est de « refonder notre système de santé pour lui permettre de relever les défis auquel il est confronté » (p. 7), l’ouvrage de Dominique Polton, économiste et, à la parution de ce dernier, conseillère auprès du directeur général de la Caisse nationale d’Assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) [1], entend alimenter, sous la forme d’une synthèse de moins de 200 pages largement accessible, la réflexion autour des perspectives d’évolution du système de santé français.
2D’emblée, il convient de reconnaître que l’ouvrage aborde un très large ensemble de questions. Il parvient ainsi à contextualiser les débats, tant en mobilisant des comparaisons internationales qu’en adoptant une approche tournée vers des enjeux à moyen et long terme. L’équilibre entre un propos bien articulé et d’utiles éclairages statistiques contribue tout autant à la qualité de cette synthèse.
3Le propos s’attache tout d’abord à présenter et à interroger les concepts clés du débat (système de santé et accès aux soins par exemple), puis à dresser un état du système actuel, relativement à son financement et à ses performances sanitaires. Enfin, il évoque les défis attendus et discute les pistes de réformes les plus couramment entendues. Dans cette entreprise, les positions les plus tranchées sont toujours rapportées à leurs présupposés et à leurs limites : le propos ne cède ainsi ni à la tentation du triomphalisme, ni à celle du catastrophisme, ni à celle de la recherche simpliste d’une solution miracle.
4Dans un premier chapitre, « En bonne santé car bien soignés ? », l’ouvrage, s’appuyant sur des exemples historiques et sur des enjeux actuels, revient sur les rôles relatifs de la prévention et des soins dans l’amélioration de l’état de santé. Cette entrée en matière souligne utilement que les débats, et donc les politiques menées, sont sensibles à la façon dont ces rôles sont perçus. Mais l’apparente modicité des dépenses de prévention ne doit pas, souligne l’auteure, conduire à orienter les dépenses exclusivement dans cette direction. Dans une approche qui définit un système de santé comme organisé autour de la « production d’une offre de soins » (p. 39), Dominique Polton revient dans un second chapitre sur les spécificités de l’architecture du système français. D’inspiration bismarckienne, universalisé ensuite, le système est désormais marqué par un double niveau de protection. Il comprend d’abord une couverture large par une Assurance maladie obligatoire, qui laisse néanmoins les assurés prendre en charge une partie des dépenses, y compris les plus courantes. À celle-ci s’ajoutent des assurances complémentaires (pour près de 95 % de la population) qui diminuent substantiellement le niveau de dépenses – hors cotisations – des assurés. La description est d’autant plus efficace que cette esquisse se fait sans fidélité excessive à des typologies qui méconnaissent les évolutions des systèmes de santé. Elle applique au contraire un soin méticuleux dans le choix d’exemples internationaux contrastés, afin de rendre les choix sous-jacents à cette organisation plus visibles.
5Un chapitre décrit ensuite les tendances relatives à la pérennité financière du système. Il rappelle que si l’on considère la santé comme un bien supérieur, alors la croissance de la part des dépenses de santé dans le produit intérieur brut (PIB) est une conséquence attendue. Cela ne doit pas forcément conduire au report de son financement sur les générations suivantes, report qui est souvent le paramètre implicite d’un système en déficit durable. Il souligne également les spécificités comptables françaises qui individualisent les comptes des régimes d’Assurance maladie dont les déficits sont désormais régulés de manière relativement efficace par l’Objectif national des dépenses d’Assurance maladie (ONDAM). Le quatrième chapitre propose des éléments d’appréciation des résultats sanitaires du système de santé français. Si la France fait bonne figure pour l’espérance de vie et la mortalité évitable par le système de soins, les décès prématurés, les inégalités sociales et l’augmentation de la proportion de fumeurs parmi les chômeurs nuancent ce bilan positif. Ainsi, l’auteure souligne la sensibilité de tout classement à ses critères et attire l’attention sur les généralisations fondées sur l’extrapolation de palmarès internationaux par essence incomplets.
6Après ces éléments descriptifs, les pistes de réflexion sont explorées sur trois chapitres. En premier lieu, Dominique Polton critique les solutions simplistes et met en évidence les éléments qu’elles occultent comme les présupposés qui les sous-tendent. Ainsi les expressions « soigner mieux avec beaucoup moins d’argent » (p. 115) et « plus de prévention » (p. 121) sont-elles épinglées comme des mots d’ordre vagues, sauf à développer une réelle stratégie d’évaluation coût-efficacité des dépenses de prévention et à interroger les disparités sociales dans les réponses des individus aux campagnes de prévention, par exemple dans le cas du tabagisme. Ensuite, l’auteure revient sur quelques-unes des réformes menées à l’étranger, qui permettent de mettre en perspective des questions qui se posent également pour la France. Sont ainsi observées avec intérêt la mise en concurrence des assurances et la recherche d’une meilleure gouvernance, non seulement au sens des acteurs (avec la présentation des réformes récentes du système de santé du Royaume-Uni, qui font émerger un rôle d’acheteur de soins pour les groupements de médecins généralistes), mais aussi au sens de la gouvernance territoriale par exemple. Enfin, l’auteure évoque de manière plus directe quelques pistes : politiques de prévention mieux ciblées, accent sur la réduction des inégalités, poursuite du développement des systèmes d’information et des évaluations économiques, interrogation des disparités spatiales. La discussion ne se limite pas à une présentation de principes, puisque des évolutions récentes (accord national interprofessionnel [ANI] de 2013) et des propositions fréquentes (bouclier sanitaire) sont discutées ; cependant, l’articulation entre les deux niveaux reste un peu délicate à la lecture, sans présentation d’orientations à moyenne portée hiérarchisées. Il faut toutefois reconnaître que cette discussion est d’autant plus complexe que, comme le souligne la conclusion de l’ouvrage, les orientations du débat sont sensibles, à court et moyen terme, aux perspectives budgétaires donc, en particulier, à la croissance économique.
7Au-delà de l’ambition de présenter l’ensemble des enjeux en adoptant un point de vue nuancé, les quelques prises de position plus tranchées qui apparaissent dans l’ouvrage ne sont guère étonnantes au vu du positionnement institutionnel de l’auteure à la CNAMTS. Ainsi, celle-ci observe avec réserves des évolutions qui pourraient découler des suites de l’ANI : le renforcement du rôle des assurances complémentaires d’entreprise à côté de la CNAMTS pourrait avoir des conséquences inflationnistes, du fait du renforcement de la couverture, ou pourrait porter en germe une volonté politique de désengagement de la couverture obligatoire. C’est l’intérêt constant pour un raisonnement attaché au critère de l’efficacité-coût des dépenses qui transparaît, à nouveau, dans cette prise de position.
8En dépit de la richesse du propos, plusieurs éléments non négligeables peuvent sembler passer au second plan, alors qu’ils mériteraient sans doute d’être plus mobilisés. C’est, par exemple, le cas de la question de la qualité de vie des personnes. Certes, c’est un des enjeux du premier chapitre que de définir la « bonne santé » et celle-ci n’est pas limitée à une approche exclusivement curative, mais les évocations brèves des tentatives de prises en compte de cet enjeu dans la quantification statistique, à travers l’approche par quality adjusted life year (QALY), peuvent apparaître insuffisantes dans la suite du propos (p. 169).
9De plus, si l’enjeu prospectif est bien ciblé sur certaines questions (rôle de la croissance économique, aspects intergénérationnels liés au financement par l’emprunt), il l’est moins sur l’évolution attendue des enjeux de santé publique. Maladies cardiovasculaires et cancer sont mobilisés à juste titre dans la mesure où ils constituent les premières causes de mortalité ; mais les enjeux autour de la dépendance, qu’il s’agisse des conditions de prise en charge des personnes ou des implications financières, mériteraient peut-être une place plus importante alors que la croissance de l’espérance de vie est un fait stylisé utilisé dès l’introduction.
10À ce titre et de manière plus anecdotique, on peut regretter que certains des enjeux situés au cœur du projet de loi de santé ne soient que peu éclairés, à l’image de la santé mentale ou de la santé sexuelle, pour lesquels peu d’exemples sont fournis. Le discours de Marisol Touraine du 19 juin 2014 sur les grandes orientations de la loi de santé, mis en exergue dans le préambule de l’ouvrage, les évoquait plus largement.
11Il faut cependant, pour conclure, mesurer toute la difficulté de l’exercice auquel s’est prêtée Dominique Polton et souligner que si la présentation est nécessairement le résultat de choix, ceux-ci sont, dans leur ensemble, justifiés. Qui cherche un exposé concis de concepts essentiels au débat et une synthèse efficace des enjeux, ou souhaite s’interroger sur la façon d’exposer de telles questions, y trouvera une lecture utile. La bibliographie limitée ne permettra en revanche pas d’explorer aisément et en détail les éléments les plus spécifiques du propos.
Notes
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[1]
Elle a été nommée, le 22 septembre 2014, présidente de la Commission des comptes de la santé.