Introduction
1Si les risques sociaux liés à l’âge, la maladie et le chômage sont depuis longtemps pris en considération par les gouvernements allemands – les premières lois de protection sociale remontent à la fin du xixe siècle, sous le gouvernement du chancelier prussien Bismarck – ceux causés par le handicap ont été reconnus beaucoup plus tardivement. Ce n’est qu’en 1974 qu’a été introduite la première loi sur l’obligation d’emploi de personnes handicapées en Allemagne. Il est vrai que cette question soulève de nombreux problèmes, âprement débattus à l’époque : peut-on demander aux entreprises, dont la vocation première n’est pas la protection contre les risques sociaux, de prendre en charge le surcoût lié à la plus faible productivité des salariés handicapés ainsi que celui de l’adaptation du poste de travail ? Si oui, comment définir le périmètre des entreprises concernées, leur taille, leur statut ? Comment répartir le fardeau des coûts plus équitablement entre les entreprises qui acceptent d’employer des salariés handicapés et celles qui s’y soustraient ? Les pays européens, tous confrontés au problème de l’insertion des personnes en situation de handicap dans le monde du travail, ont tenté d’y trouver des réponses, chacun à leur manière. Dans ce domaine, on peut faire la distinction entre deux groupes de pays, aux solutions plus ou moins libérales. Les uns, dont le Royaume-Uni et le Danemark, misent sur l’élimination des obstacles à l’emploi, alors que l’Allemagne et la France, moins libérales, ont introduit une obligation pour les entreprises d’employer un quota défini de personnes handicapées. Cette obligation peut s’accompagner de mesures d’incitation et de compensation. Les choix opérés par l’Allemagne ont créé une situation complexe, tant sur les plans financier qu’organisationnel.
2Le nombre de personnes handicapées visées par les mesures d’insertion s’élève à environ 2,5 millions sur un total de presque 10 millions de personnes en situation de handicap. On serait tenté de penser que les efforts entrepris par le gouvernement allemand en faveur de cette population visent à accroître la main-d’œuvre dans un contexte démographique difficile. Si cette intention a pu jouer un rôle dans les décisions prises par le gouvernement, elle n’a pas été déterminante. En effet, le nombre d’actifs s’est accru de façon considérable depuis une dizaine d’années, et ce en raison de deux facteurs : l’allongement progressif de l’âge de départ à la retraite de l’ensemble des actifs ainsi que l’arrivée d’un grand nombre d’immigrés en provenance des pays d’Europe de l’Est et du Sud, durement frappés par la crise économique et financière. Le nombre d’actifs, tant celui des valides que des handicapés, s’est accru dans des proportions analogues. Les efforts entrepris par le gouvernement allemand pour améliorer l’insertion des personnes en situation de handicap dans les entreprises procèdent essentiellement de la volonté d’établir autant que faire se peut une situation d’égalité par rapport aux personnes valides, une tendance observée dans la plupart des pays avancés.
3Dans un premier temps, pour cerner la population potentiellement visée par les mesures d’insertion dans le marché du travail, cette contribution donne un aperçu du nombre de personnes en situation de handicap en Allemagne ainsi que de leur profil social et économique. Puis, après avoir défini la notion de handicap, elle s’attache à dessiner l’évolution de la situation légale de l’intégration dans l’emploi des salariés en situation de handicap, les règlements y afférents ayant souvent varié en Allemagne. L’obligation d’emploi ayant été imposée aux entreprises par le législateur, il importe de détailler les charges qui leur incombent, allant du recrutement de salariés handicapés à l’aménagement des postes de travail et au respect des règles de protection qui leur sont appliquées, sans oublier la question épineuse de la définition du périmètre de celles auxquelles la loi s’applique. S’y ajoutent les dispositions portant sur la contribution de substitution que doivent verser les entreprises qui ne se conforment pas à leurs obligations. Dans un troisième temps seront évoquées les aides apportées aux entreprises par les services publics, qu’il s’agisse de soutiens financiers, de la prestation de conseils ou de l’aménagement d’ateliers protégés destinés à compléter l’offre d’emplois fournie par les entreprises. Pour terminer, seront évoqués les problèmes auxquels sont confrontés tant les entreprises, sur les plans légal, organisationnel et financier, que les salariés handicapés, qui doivent s’insérer dans un milieu compétitif où se côtoient deux populations de salariés, la majorité valide et la minorité handicapée, dont chacune peut estimer que l’autre est privilégiée.
La situation sociale et économique des personnes handicapées
4D’après les résultats du micro-recensement de l’Agence de statistique Destatis [1], l’Allemagne compte 10,2 millions de personnes officiellement reconnues comme handicapées en 2013, dont 7,5 millions considérées comme handicapés lourds, c’est-à-dire avec un taux d’incapacité de 50 % et plus. En moyenne, environ un habitant sur huit (13 %) est considéré comme handicapé. Par rapport au dernier micro-recensement de 2009, le nombre de handicapés s’est accru de 673 000 personnes (7 %), probablement en raison du vieillissement de la population, car les incapacités physiques se constatent essentiellement dans la population des personnes âgées. En effet, 73 % des personnes handicapées ont plus de 55 ans, alors que leur proportion dans la population valide n’est que de 32 % (Destatis, 2015). Parmi les personnes de plus de 80 ans, la proportion des handicapés dépasse la moitié. Leur situation dans la vie diffère également de celle des valides. Ainsi, les personnes handicapées ayant de 25 à 44 ans sont plus souvent célibataires (58 % comparés à 45 %) et vivent plus souvent seules (32 % comparés à 21 %) que les valides. La différence est également notable en ce qui concerne le niveau scolaire : 18 % des handicapés n’ont pas acquis de diplôme d’études secondaires comparés à seulement 3 % chez les valides. Ainsi, 13 % des handicapés possèdent le baccalauréat comparés à 31 % des personnes valides, toujours dans le groupe d’âge des 25 à 44 ans [2].
5D’après le micro-recensement de 2009 – celui de 2012 n’a pas encore donné lieu à une analyse détaillée de la situation de la population handicapée – la très grande majorité des handicapés (7 millions sur 9,6 millions au total) ne fait pas partie de la population active, c’est-à-dire de l’ensemble des personnes de plus de 15 ans en emploi ou à la recherche d’un emploi. Ils ne rentrent donc pas dans le cadre de la présente étude. Ceux qui ne sont pas en mesure d’assurer leur subsistance par le travail perçoivent de l’État un revenu de base [3]. Un peu moins de 2,6 millions de personnes handicapées travaillaient ou étaient activement à la recherche d’un travail, dont presque 60 % d’hommes. Le taux d’emploi, c’est-à-dire la proportion d’actifs par rapport à la population concernée, est nettement inférieur à celui de la population active valide (72 % pour les hommes, 62 % pour les femmes ; Deutsches Institut für Wirtschaft, 2015). Ainsi, les actifs handicapés dans le groupe d’âge compris entre 25 et 44 ans atteignent un taux d’emploi de 74 % pour les hommes et de 64 % pour les femmes, comparé à 94,8 % et 81,1 % pour les hommes et les femmes valides respectivement. Le recul du taux d’emploi pour les actifs handicapés âgés de 60 à 64 ans est très net (29 % pour les hommes et 20 % pour les femmes), un phénomène renforcé par la possibilité d’un accès anticipé à la retraite pour les handicapés porteurs de la carte d’invalidité. Globalement, le taux d’emploi s’est accru entre 2005 et 2009, passant de 50,1 % à 52,1 %, d’après les chiffres de Destatis. L’accroissement est particulièrement net pour les salariés handicapés âgés de 60 à 64 ans [4].
6D’après les statistiques établies par Destatis, les travailleurs handicapés se décomposent en 51,2 % d’employés, 35,7 % d’ouvriers, 7,7 % d’indépendants et 5,4 % de fonctionnaires. Les différences par rapport aux valides ne sont pas très grandes, sauf pour la proportion d’ouvriers, moins importante pour les valides (26,1 %) et pour celle des indépendants, où les travailleurs sans handicap ont, avec 11,4 %, un taux presque 50 % plus élevé. Pour les travailleurs handicapés, comme pour les valides, la différenciation entre les sexes se maintient : les femmes sont beaucoup plus nombreuses à détenir une situation d’employée (63,4 %) que les hommes (46,2 %). Les actifs handicapés travaillent de préférence dans le secteur des services, notamment dans ceux de l’éducation et de la santé. Si on y ajoute les services publics, presque la moitié des handicapés y travaillent, notamment les femmes, qui y sont deux fois plus nombreuses que leurs collègues masculins [5]. En 2009, 230 000 personnes handicapées étaient au chômage [6], 62 % d’entre elles étant des hommes. Comparé aux actifs valides, les travailleurs handicapés sont plus souvent au chômage, 9 % comparés à 7,6 %. Toutefois, comparés à 2005, les deux groupes enregistrent un recul considérable du taux de chômage, les valides de 11,1 % à 7,6 % et les actifs handicapés de 14,5 % à 9 %. Si, pour les actifs valides, ce recul est habituellement attribué aux effets des réformes Hartz, celui des actifs handicapés peut trouver une partie de son explication dans les efforts accrus des administrations d’intégration à la suite des réformes du droit du travail des handicapés.
La situation du travailleur handicapé et des entreprises au regard de la loi
7Si la première loi sur l’obligation d’emploi des personnes handicapées date de 1974, ce n’est que vingt ans plus tard, en novembre 1994, que la Loi fondamentale allemande a intégré à son article 3 le principe selon lequel « personne ne doit être désavantagé en raison de son handicap ». Sept ans plus tard, en 2001, le Code social s’y est mis à son tour pour inclure dans ses pages le droit régissant la réhabilitation et les handicapés lourds (Rehabilitations – und Schwerbehindertenrecht) [7]. La loi sur l’égalité des personnes handicapées de 2002 (Behindertengleichstellungsgesetz, BGBl. I, p. 1467), dont l’élément central est l’impératif d’accessibilité [8], doit assurer leur protection contre tout préjudice et veiller à ce qu’elles puissent mener une vie autonome. Cette loi s’inscrit dans la tendance observée dans la plupart des pays européens, dont la France, de considérer les personnes handicapées d’abord comme des êtres humains pour lesquels il convient de créer un environnement leur permettant de mener leur vie de la façon la plus autonome possible, comme le montre la substitution de l’expression « personne en situation de handicap » au terme « handicapé ». C’est dans cet esprit que l’Allemagne a adhéré en 2009 à la Convention internationale sur le droit des handicapés des Nations Unies dont le principe de « participation au lieu d’assistance » est devenu juridiquement contraignant.
8La définition des personnes handicapées que comporte la loi sur la réhabilitation et la participation du Code social IX (2001) porte tant sur la nature du handicap que sur son degré et sa durée. Ainsi, elle précise au paragraphe 2 que sont handicapées les personnes « dont les fonctions physiques, les capacités intellectuelles ou la santé mentale dévient pendant plus de six mois de l’état typique des personnes de l’âge en question, ce qui porte atteinte à leur participation à la vie en société. Elles sont menacées de handicap si une telle atteinte est à prévoir. [9] » Les lois sur le handicap en Allemagne portent en règle générale sur les personnes « lourdement handicapées » (schwerbehindert) dont le degré d’incapacité est d’au moins 50 % et dont le logement, le lieu de séjour habituel ou le lieu de travail se trouvent dans le champ d’application de la loi. Les personnes présentant un taux d’incapacité situé entre 30 et 50 % peuvent toutefois être traitées à égalité avec les handicapés lourds si, en raison de leur handicap, elles ne peuvent trouver ou conserver un poste de travail approprié.
9La loi contraint les employeurs allemands, tant publics que privés, d’assumer une partie de la protection sociale dont bénéficient les personnes handicapées. La forme la plus visible du rôle que l’État a dévolu aux entreprises est l’obligation d’emploi ou, à défaut, la contribution de substitution que doivent verser les employeurs qui n’emploient pas le contingent de salariés handicapés prévu par la loi.
L’obligation d’emploi
10Depuis le 1er juillet 2001, tout employeur qui emploie au moins vingt personnes est tenu de réserver 5 % des postes de travail à des handicapés (Code social IX, 2001, chapitre 2). Pour les entreprises qui comptent plusieurs établissements, c’est l’effectif total de l’entreprise qui détermine le nombre de handicapés à employer. Cette contrainte n’est pas nouvelle. L’obligation d’emploi fut introduite pour la première fois en 1974. Plus sévère à l’époque qu’actuellement, elle prévoyait que toutes les entreprises d’au moins seize salariés devaient employer des handicapés, le contingent étant de 6 % de postes, comme en France aujourd’hui, qui devaient leur être réservés. Devant les protestations répétées du patronat, le législateur a introduit la réglementation actuelle, mais il a décidé en même temps que le pourcentage serait fonction du comportement des employeurs à l’égard des handicapés. Si le nombre de chômeurs parmi les handicapés lourds en octobre 2002 n’était pas inférieur de 25 % à ce qu’il était en octobre 1999, le taux resterait à 6 %. Les employeurs ayant fait des efforts considérables pour faire baisser le chômage des personnes handicapées, le législateur a consenti de maintenir le taux à 5 %, bien que la baisse du chômage requise ne soit pas totalement atteinte [10].
11L’obligation d’emploi pour les entreprises employant vingt salariés et plus a été fixée de façon très précise par l’employeur : entre vingt et trente-neuf salariés, un handicapé ; entre quarante et cinquante-neuf salariés, deux handicapés ; entre soixante-neuf et soixante-dix-neuf salariés, trois handicapés… et ainsi de suite.
12Chaque fois que le nombre de salariés de l’entreprise s’accroît de vingt unités, le nombre de personnes handicapées qu’elle doit employer augmente d’une unité. Le choix de faire débuter le décompte à partir de vingt salariés signifie que l’obligation d’emploi ne touche pas la grande majorité des entreprises allemandes [11]. Le nombre de personnes handicapées à employer ne constitue qu’un taux obligatoire minimum. D’après le Code social IX, l’employeur est tenu d’examiner les possibilités d’emploi susceptibles de convenir à des handicapés au-delà du nombre imposé [12]. Toutefois, l’obligation d’emploi de l’employeur existe vis-à-vis de l’État. Une personne handicapée ne peut en inférer un droit individuel à un poste de travail chez un employeur donné.
La contribution de substitution
13Au cas où le nombre prescrit de salariés handicapés n’est pas atteint, l’entreprise doit payer une contribution mensuelle pour tout poste manquant (Code social IX, 2001, paragraphe 77, alinéa 1). Cette règle s’applique à tous les employeurs publics et privés qui disposent d’au moins vingt postes de travail en moyenne annuelle. La loi ne s’intéresse pas à la faisabilité de l’intégration de salariés handicapés, seulement à la réalité de leur présence ou non [13]. Depuis l’année 2012, le montant de la contribution, par mois et par poste non occupé est de : 115 € pour un taux d’emploi de 3 % à moins de 5 % ; 200 € pour un taux d’emploi de 2 % à moins de 3 % ; et 290 € pour un taux d’emploi de moins de 2 % [14].
14Le montant de la contribution de substitution est à calculer par les employeurs eux-mêmes sur la base de la moyenne annuelle du nombre de leur personnel. La contribution est à verser au 31 mars de l’année n + 1 à l’administration d’intégration compétente. Ils sont également tenus d’indiquer à l’agence pour l’emploi dont ils dépendent pour la même date toutes les données nécessaires au calcul mensuel de leur obligation d’emploi et au contrôle des versements effectués. Les contributions alimentent d’une part les fonds des Länder pour l’emploi des handicapés, à hauteur de 55 %, et d’autre part, à 45 %, le fonds fédéral pour l’emploi destiné à financer des mesures d’insertion au niveau national (Sénat, 2003).
15Les employeurs peuvent réduire le montant de la contribution de substitution s’ils donnent des commandes aux ateliers protégés officiels (Code social IX, 2001, paragraphe 140) [15]. De cette manière, ils peuvent en déduire 50 %, moins les frais de matériel. Au-delà du rappel à leurs devoirs, la contribution versée à l’administration d’intégration par les entreprises qui ne se conforment pas à la loi paraît relativement modeste au regard de ce qu’elle est supposée compenser : surcoûts assumés par celles qui emploient des salariés handicapés, tels que la prolongation du congé légal pour cette population ou bien l’aménagement de postes de travail adaptés, dépenses pour lesquelles les entreprises peuvent obtenir des financements partiels de la part de l’administration d’intégration dont elles dépendent. Le versement de la contribution ne dispense pas les employeurs de leur obligation d’emploi. Si une entreprise refuse sciemment d’employer des salariés handicapés, l’administration peut lui imposer une pénalité dont elle doit s’acquitter en plus de sa contribution. Cette pénalité, d’un montant maximal de 10 000 euros, n’est toutefois pas d’un niveau susceptible de faire changer d’avis les entreprises récalcitrantes.
Autres obligations de l’employeur
16L’obligation d’emploi qui incombe à toutes les entreprises et institutions publiques et privées à partir du seuil de 20 salariés en moyenne sur l’année entraîne, pour celles qui s’y conforment, un certain nombre d’obligations qui entraînent toutes des conséquences sur le plan financier. La première d’entre elles, car indispensable avant même la prise de fonction du ou des salariés handicapés, relève de l’aménagement des locaux. Si la volonté du gouvernement allemand, à l’unisson avec la plupart des pays européens, est de parvenir à la création d’un environnement public assurant aux handicapés, dans la mesure du possible, une vie à égalité avec les personnes valides – aménagement des trottoirs, accessibilité des transports en commun, etc. –, les efforts demandés aux entreprises vont bien au-delà. Les manifestations des handicaps étant très diversifiées – atteinte de la mobilité, de la vision, de l’ouïe, etc. –, l’aménagement des lieux et des postes de travail doit correspondre exactement à la nature du handicap. Qu’il s’agisse de l’installation d’ascenseurs là où ils n’existent pas encore, du déplacement des boutons pour les rendre accessibles aux handicapés, là où ils existent, de la largeur des portes pour permettre le passage de fauteuils roulants, non seulement vers le poste de travail, mais aussi, par exemple, vers les toilettes ou la cantine, tous les éléments doivent être ajustés à leurs besoins. S’y ajoute l’aménagement du poste de travail, pour les meubles comme pour l’équipement spécifique requis pour permettre au salarié de travailler dans des conditions compatibles avec son handicap.
17Mis à part les aménagements matériels nécessaires pour accueillir un salarié handicapé, il existe quelques mesures qui leur sont réservées, soit en raison de leur état de santé, soit pour pallier les difficultés d’insertion dans le marché de l’emploi. La première porte sur l’octroi de cinq journées de congé supplémentaires par an que l’employeur est tenu de leur accorder (Code social IX, 2001, paragraphe 125) [16]. S’y ajoute, pour les salariés handicapés qui le demandent, la dispense de toute heure supplémentaire. La deuxième mesure, particulièrement importante, est la protection spécifique contre le licenciement, dont bénéficient (Code social IX, 2001, paragraphes 85-92) les handicapés lourds ainsi que ceux considérés comme ayant un statut équivalent. L’employeur ne peut les licencier qu’avec l’accord de l’administration d’intégration. Cette mesure est applicable à la condition que le licenciement intervienne plus de six mois après la conclusion du contrat de travail. Le délai de préavis est de quatre semaines minimum, mais la taille de l’entreprise ne joue aucun rôle, contrairement au droit général de protection contre le licenciement.
18La situation au regard des règles de licenciement d’un salarié handicapé est compliquée, dans la mesure où la situation de handicap doit avoir été constatée par l’administration compétente avant le licenciement, ou la demande de reconnaissance du handicap doit avoir été déposée auprès d’elle au moins trois semaines avant la notification de l’avis de résiliation du contrat de travail. En outre, la protection spécifique intervient également si l’employeur n’était pas au courant du statut de handicapé du salarié qu’il souhaite licencier, sous condition que celui-ci l’informe de sa situation ou de la demande formulée auprès de l’administration d’intégration dans un délai de trois semaines après réception de l’avis de résiliation. Toutefois, le licenciement d’un salarié handicapé est valide, s’il n’a pas, dans un délai de trois semaines, intenté une action en protection contre le licenciement auprès du tribunal du travail compétent. Le délai ne court cependant qu’à partir du moment où l’administration d’intégration a donné son accord au licenciement et a notifié sa décision au salarié.
19À côté de l’administration d’intégration existe un autre organe, installé au sein de l’entreprise, qui joue un rôle éminent dans la protection des salariés handicapés. Il s’agit de la représentation des handicapés (Schwerbehindertenvertretung) dont la création est imposée par la loi (Code social IX, 2001, paragraphes 93-97) à toutes les entreprises employant de façon permanente au moins cinq salariés handicapés lourds ou assimilés. L’élection de cet organe, qui ne concerne en principe que les entreprises de plus de 120 salariés, est à mettre en œuvre par le conseil d’entreprise [17]. Le rôle de la représentation des handicapés au sein de l’entreprise est considérable. Si elle ne dispose pas, comme l’administration d’intégration, d’un droit de véto, en cas de licenciement par exemple, elle participe en permanence à toutes les mesures qui touchent de près ou de loin à la vie des salariés handicapés au sein de l’entreprise. L’employeur étant tenu d’examiner si un poste de travail vacant peut être pourvu par une personne handicapée, le représentant des handicapés, tout comme le conseil d’entreprise, doit être consulté. De même, l’employeur doit les informer immédiatement de l’arrivée de candidatures de personnes handicapées non sollicitées ou en provenance de l’agence pour l’emploi. Le représentant a même le droit, si le candidat ne s’y oppose pas, de prendre connaissance du dossier et de participer aux entretiens d’embauche. Le recrutement d’un salarié handicapé effectué, le représentant doit veiller à ce qu’il occupe un poste lui permettant d’exploiter au mieux ses compétences. Pendant toute la durée de présence du ou des handicapés au sein de l’entreprise, le représentant doit être associé à toutes les décisions les concernant, telles que les changements d’affectation, les formations professionnelles, les promotions et les licenciements.
Les incitations à l’emploi
20La protection sociale des handicapés, qui est assurée par l’État en ce qui concerne ceux qui sont inaptes au travail, a été largement dévolue aux entreprises tant privées que publiques pour ceux qui sont capables de travailler. Toutefois, l’obligation d’emploi est assortie d’un certain nombre d’aides et de soutiens proposés et gérés par les administrations d’intégration. Si les aides financières jouent un rôle prépondérant, l’accompagnement des entreprises au moyen de conseils et de participation à la mise en place pratique de l’emploi de personnes handicapés est également très présent. Les administrations d’intégration publient un grand nombre de guides gratuits portant sur tous les aspects de l’emploi de salariés handicapés, qu’il s’agisse des modalités des subventions accordées par l’État, des aspects techniques relatifs à l’environnement des handicapés et à l’aménagement de leurs postes de travail ou des questions juridiques telles que la protection renforcée contre le licenciement ou la constitution de la représentation des handicapés au sein de l’entreprise. Au fil du temps, les tâches dévolues aux administrations d’intégration ont évolué, passant de la gestion de prestations uniques – pour l’aménagement d’un poste de travail ou la subvention accordée pour l’achat d’un véhicule adapté, par exemple – à l’accompagnement à moyen et long terme de programmes d’insertion des salariés handicapés dans le but de pallier les inconvénients liés à leur insertion en milieu ouvert (Bundesarbeitsgemeinschaft der Integrationsämter und Hauptfürsorgestellen [BIH], 2014).
Aides financières
21Les prestations financières accordées aux entreprises, dont les modalités d’attribution sont du ressort des Länder, portent essentiellement sur deux volets, à savoir l’installation et l’aménagement de postes de travail et de formation adaptés aux handicapés ainsi que la participation aux rémunérations des salariés ou des apprentis handicapés. Pour l’aménagement de postes de travail adaptés, les entreprises peuvent obtenir des subventions pouvant aller jusqu’à 100 % des coûts, si les travaux sont considérés comme nécessaires pour un emploi qui s’inscrit dans la durée. Des aides financières, sous forme de subvention ou de prêt, peuvent également couvrir les frais engagés pour procéder à la maintenance et à l’adaptation au progrès technique du matériel utilisé par les salariés handicapés, y compris celui destiné à les former aux nouveaux outils. Dans tous les cas, les subventions sont liées à la nécessité de garantir la durabilité de l’emploi.
22Si les aides financières accordées pour l’installation et l’aménagement matériel des postes de travail sont majoritairement ponctuelles, tel n’est pas le cas du soutien aux dépenses salariales engagées par les entreprises. Les administrations d’intégration accordent en effet des subventions aux rémunérations tant des apprentis que des salariés. Pour un apprenti handicapé, l’entreprise peut toucher, pendant toute la durée de la formation, une participation financière variable, mais pouvant atteindre le niveau de la rémunération d’un apprenti valide en dernière année de formation [18]. En règle générale, le niveau de la subvention est de 60 % de la rémunération de l’apprenti légèrement handicapé (moins de 50 % d’incapacité) et de 80 % de celle des handicapés lourds. Des aides sont également accordées pour participer aux frais engagés pour recruter un formateur spécialisé pour encadrer le jeune handicapé, ainsi que pour les droits à verser aux chambres de commerce et d’industries habilitées à faire passer les examens professionnels requis dans le cadre de la formation. Cette possibilité est également ouverte aux entreprises de moins de vingt salariés, donc non soumises à l’obligation d’emploi, qui recrutent un jeune handicapé de moins de 27 ans à des fins de formation professionnelle. Si un jeune a bénéficié d’une subvention pendant sa formation, l’administration accepte de verser jusqu’à 70 % de son salaire pendant un an, si l’entreprise formatrice accepte de l’embaucher à l’issue de sa formation.
23Les subventions salariales ne sont pas réservées aux jeunes handicapés. La loi prévoit des subventions pouvant aller jusqu’à 70 % de la rémunération d’un salarié handicapé, s’il rencontre des problèmes de placement particuliers. Le versement de ces subventions, qui incluent également la part patronale forfaitaire des cotisations sociales, est en règle générale limité à 24 mois. Il peut toutefois atteindre 96 mois dans le cas de personnes très lourdement handicapées ayant atteint l’âge de 55 ans révolus. L’employeur peut de même demander une participation au financement d’un assistant du salarié handicapé, si son état de santé l’exige. Après douze mois, pour les salariés très lourdement handicapés après vingt-quatre mois, la subvention se réduit d’au moins 10 %. Les aides, qui sont attribuées sous forme de prêts ou de subventions par les administrations d’insertion régionales compétentes, varient d’un Land à l’autre. Leur niveau est fonction du degré de sévérité de l’incapacité, sachant que l’employeur est toujours sollicité pour participer, lui aussi, au financement des projets d’insertion. Au-delà du soutien des salariés à recruter dans le cadre des quotas imposés par la loi, les administrations veillent à subventionner aussi l’embauche et l’emploi en dehors des quotas. D’après l’Agence fédérale de statistique Destatis, environ 834 000 personnes ont bénéficié d’une aide à l’insertion en 2013.
24Une mesure de soutien efficace aux entreprises, notamment en faveur des jeunes handicapés à la recherche d’une place d’apprentissage, est la méthode de calcul appliquée par les agences pour l’emploi. En principe, l’emploi d’un salarié handicapé compte pour un poste obligatoire imposé par la loi. Mais les agences pour l’emploi ont la possibilité de décompter un handicapé pour plusieurs postes obligatoires – jusqu’à un maximum de trois –, au cas où sa participation à la vie active rencontre des difficultés particulières. Un jeune handicapé qui bénéficie d’une formation professionnelle compte toujours pour deux, voire même pour trois, s’il est très lourdement handicapé [19]. L’entreprise qui embauche le jeune handicapé après sa formation professionnelle réussie bénéficie également pendant un an du double décompte. Ces facilités permettent aux entreprises de remplir plus aisément leur obligation d’emploi.
Conseils et informations
25Les administrations d’intégration sont également tenues d’accompagner les entreprises dans leurs efforts d’insertion en leur prodiguant des conseils. Ces informations portent tant sur les tendances du marché de l’emploi des handicapés en général, que sur la formation professionnelle et la conception technique des postes de travail. Les services administratifs en charge des informations portant sur le marché de l’emploi donnent des conseils portant notamment sur les mutations des professions, des formations initiales et continues. Ils renseignent également sur l’organisation concrète du travail au sein de l’entreprise, telles les questions du temps de travail adapté aux salariés handicapés. Les services techniques, quant à eux, s’intéressent essentiellement à l’aménagement des postes de travail existant ou à créer et conseillent les entreprises dans toutes les questions pratiques sur le lieu du travail. Ils sont soutenus par des spécialistes de l’intégration, qui accompagnent les salariés handicapés de façon ponctuelle ou permanente.
26Les collaborateurs des administrations d’intégration peuvent également, si les entreprises le désirent, participer aux négociations en vue de la conclusion d’un accord d’intégration. Il s’agit d’un accord conclu entre l’employeur, le représentant des handicapés et le conseil d’entreprise définissant des règles visant à faciliter la participation des handicapés à la vie de l’entreprise. Ces règles peuvent porter sur la planification du personnel, l’aménagement de l’environnement du travail, l’organisation du temps de travail [20] ainsi que les modalités de la mise en œuvre des objectifs fixés en commun dans l’accord.
Le coût des mesures d’intégration
27L’organisme fédéral en charge de l’ensemble des administrations d’intégration rassemble tous les ans les différents éléments de dépenses engagées en faveur du soutien à l’insertion des handicapés dans les entreprises. Les moyens proviennent de la contribution de compensation versée par les entreprises qui ne se conforment pas à la loi en n’employant pas ou pas assez de salariés handicapés. L’organisme fédéral ainsi que ses branches régionales soulignent toutefois que ces contributions imposées aux entreprises défaillantes servent exclusivement au financement des prestations aux personnes lourdement handicapées, à aider leurs employeurs ainsi qu’au soutien psychosocial des salariés, handicapés ou non, impliqués dans les processus d’insertion. La gestion du système par les administrations d’intégration n’est pas financée par les entreprises. Si la protection sociale des salariés handicapés est entièrement à la charge des entreprises, l’État ne leur impose pas en plus les frais de gestion.
Dépenses totales des administrations d’intégration 2011-2013 (en millions d’euros)

Dépenses totales des administrations d’intégration 2011-2013 (en millions d’euros)
28Les dépenses des administrations d’intégration sont en hausse. Elles se sont accrues de 4 % entre 2012 et 2013 pour atteindre 446,6 millions d’euros, ce qui correspond à un léger ralentissement de l’augmentation par rapport à 2011-2012 (+ 8 %). Toutefois, les dépenses engagées en 2013 ont dépassé de 22 millions d’euros le budget prévu, ce qui a obligé les administrations compétentes à puiser dans leurs réserves (BIH, 2014). Il est à noter que les prestations aux employeurs, c’est-à-dire les subventions aux investissements et aux frais salariaux représentent, avec un total de près de 165 millions d’euros, plus d’un tiers du total, comme le montre le tableau ci-dessus. Si on y ajoute les programmes d’insertion et les projets d’intégration, qui prévoient également des soutiens financiers aux employeurs, on parvient à un total de 58 % de l’ensemble des dépenses destinées à soulager les efforts des entreprises.
29La plupart des dépenses effectuées par les administrations d’insertion s’inscrivent dans la durée, car elles sont liées à des mesures structurelles et à des programmes d’accompagnement de longue durée, les prestations aux employeurs pour compenser les charges spécifiques liées à l’emploi de salariés lourdement handicapés étant récurrentes. L’effort du gouvernement visant l’accroissement de l’intégration des handicapés dans l’entreprise, l’évolution des dépenses est structurellement croissante, ce qui commence à mettre en difficulté certaines administrations d’intégration qui se voient obligées de puiser dans leurs réserves. C’est pourquoi les administrateurs qui gèrent les fonds provenant des contributions de compensation estiment qu’il est indispensable à terme de rechercher des sources de financement supplémentaires. Ils estiment que la réforme de l’aide à l’intégration prévue dans le cadre de la nouvelle loi fédérale sur la participation (Bundesteilhabegesetz) prévue pendant l’actuelle législature est de nature à revoir le financement des projets d’intégration par la seule voie de la contribution de compensation, pour y inclure, éventuellement, des mesures fiscales [21].
Les problèmes rencontrés par les entreprises et les salariés handicapés
30Si les entreprises concernées par l’obligation d’emploi de salariés handicapés sont une petite minorité, 150 000 environ, le nombre de personnes en situation de handicap faisant partie de la population active dépasse les 2,5 millions, les premières étant en position de force et les seconds en position de faiblesse, une situation que le législateur s’est efforcé de corriger au profit des personnes handicapées. Les mesures prises par l’État sont connues, le périmètre des personnes concernées également, mais les résultats concrets de l’application de la loi sur l’intégration des salariés handicapés dans l’entreprise sont peu étudiés et peu diffusés. La presse grand public publie de temps en temps des articles sur quelques cas d’intégration spectaculaires, déplorant dans leur grande majorité le faible nombre d’entreprises respectueuses de la loi et leur peu d’empressement à s’intéresser au sort des personnes en situation de handicap [22], puisqu’elles préfèrent s’acquitter de la contribution de substitution aux efforts que requiert leur intégration. Les quelques études qui existent à ce sujet brossent un tableau plus nuancé de la situation, sans omettre de souligner que de nombreux problèmes subsistent, tant du côté des entreprises que de celui des personnes en situation de handicap.
Les problèmes des entreprises
31Pour ce qui est des entreprises, on peut noter des difficultés à plusieurs niveaux, celui de l’information d’abord, celui des finances ensuite, qui lui est lié, ainsi que la question épineuse de l’acceptabilité des personnes en situation de handicap par leurs collègues valides. L’étude conduite par l’Institut IAB rattaché à l’Agence fédérale du travail de Nuremberg (Diery et al., 1997) constate de grandes lacunes dans la connaissance des employeurs relatives aux dispositifs d’aide et de soutien prévus par les administrations d’intégration. Ils ne sont pas tous au courant des possibilités de subventions, tant pour l’aménagement des postes de travail et de l’environnement de la future recrue handicapée que pour amortir les coûts salariaux, y compris les cotisations patronales, de salariés dont la productivité est souvent inférieure à celle de leurs collègues valides. Si bon nombre d’entre eux semblent peu au courant des apports financiers possibles, ils ignorent également l’offre de conseils que les spécialistes des administrations d’intégration sont susceptibles de leur apporter afin d’aménager au mieux l’espace de travail prévu pour une personne en situation de handicap. Dès lors, il n’est pas étonnant de constater que les entreprises, dans leur ensemble, estiment que le coût de l’intégration d’un salarié handicapé est trop élevé, non seulement lors du recrutement mais aussi dans la durée. En effet, les tâches à effectuer étant souvent très difficiles pour lui, il est plus lent, plus souvent malade et sa productivité, sauf exception, reste inférieure à celle d’un salarié valide comparable [23]. Les auteurs de l’étude de l’IAB remarquent toutefois que le savoir professionnel des salariés handicapés n’est pas en cause, bien qu’ils soulignent un certain manque de flexibilité de leur part.
32Pour les entreprises ayant l’habitude de recruter des salariés handicapés, un autre problème, financier lui aussi, est pointé du doigt par les employeurs. Il s’agit du décompte du nombre de salariés handicapés qu’elles sont obligées par la loi d’employer. De fait, un salarié travaillant dans une entreprise n’est pas obligé de révéler à son employeur qu’il est porteur d’un handicap. Cette absence d’obligation a une double conséquence : l’employeur qui ignore le statut de son salarié sera éventuellement obligé de payer une contribution de substitution s’il n’atteint pas le quota de 5 % imposé par la loi. Par contre, s’il souhaite le licencier, il peut se trouver confronté à la protection spécifique contre le licenciement si le salarié concerné engage une procédure en reconnaissance de handicap pendant la procédure de licenciement (voir ci-dessus). Le législateur a manifestement souhaité renforcer la situation de la partie faible par rapport à l’entreprise. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles l’intégration des salariés en situation de handicap dans l’entreprise est considérée de façon mitigée par les membres valides du personnel. S’il n’y a pas d’opposition à proprement parler aux avantages accordés aux collègues handicapés, notamment pour les facilités matérielles, telles que l’aménagement du poste de travail ou l’accroissement de l’accessibilité des locaux, certains salariés valides se considèrent toutefois comme désavantagés par rapport à eux (Diery et al., 1997). À une époque où la sécurité de l’emploi est battue en brèche de façon croissante, la protection contre le licenciement dont bénéficient les salariés handicapés constitue aux yeux de leurs collègues valides l’avantage le plus prisé de leur statut. C’est pourquoi le traitement différencié des salariés sur ce point est susceptible de créer des tensions. Toujours est-il que les problèmes d’intégration, tant financiers qu’organisationnels, paraissent suffisamment importants aux entreprises pour que certaines d’entre elles préfèrent s’acquitter de la contribution de substitution, dont le montant est considéré comme peu élevé en comparaison des frais nécessaires à l’insertion réussie de salariés en situation de handicap.
Les problèmes des salariés en situation de handicap
33Ce qui est vu comme un des avantages du statut des salariés handicapés au sein de l’entreprise, la protection renforcée contre le licenciement, n’est pas toujours perçue comme telle par les salariés concernés. En effet, elle présente deux revers : premièrement, elle constitue une barrière formidable à l’embauche. Une entreprise recrutant un salarié handicapé qui, une fois embauché, ne correspond pas aux attentes, mettra beaucoup de temps, souvent plusieurs années, pour pouvoir le licencier. Cette course d’obstacles à travers les arcanes administratifs décourage l’embauche. Une fois licenciée, la personne en situation de handicap aura beaucoup plus de mal à retrouver un emploi que, par exemple, un jeune handicapé formé au sein d’une entreprise. Le fait même du licenciement constitue une barrière presque insurmontable à une réembauche. Il faut des moyens financiers et des moyens en personnel nettement au-dessus de la moyenne afin de les placer à nouveau (Diery et al., 1997).
34Toutefois, une fois embauchés et une fois les problèmes matériels – accessibilité, aménagement de poste de travail – résolus, la plupart des salariés handicapés se disent satisfaits de leur travail. Le plus grand taux de satisfaction, tant du côté des entreprises que de celui des handicapés, se constate dans les situations où un salarié déjà en poste devient handicapé à la suite d’un accident ou d’une maladie. Étant déjà intégrés dans l’entreprise, connaissant leur métier et acceptés des collègues, ils ne rencontrent pas de difficultés particulières si l’entreprise, de son côté, fait l’effort d’ajustement que requièrent leurs handicaps. Il n’existe pas d’études à ce sujet, mais on peut estimer qu’une part non négligeable des salariés handicapés intégrés dans les entreprises sont ceux déjà en place avant la survenue de leur incapacité et qui y sont restés, moyennant des efforts d’adaptation de part et d’autre.
35Pour ce qui est de l’acceptation par les collègues valides, les opinions diffèrent selon le degré d’intégration et de participation des membres handicapés du personnel. Les handicaps et le degré d’incapacité par rapport au travail à effectuer étant très variés, l’opinion des collègues valides va de l’appréciation totale au rejet, en passant par une certaine réticence face à une productivité moindre. Certains handicapés estiment que le problème n’est pas leur incapacité physique ou mentale, mais les barrières qui continuent à exister dans la société et, partant, dans les entreprises. S’ils approuvent l’action du gouvernement en faveur de leur intégration dans l’entreprise, ils souhaitent que la contrainte des quotas ne soit plus nécessaire (Ilg, 2010). Pour y parvenir, des organisations telles que le VdK, la plus grande association sociale en Allemagne avec 1,7 million d’adhérents, estiment nécessaire de surmonter les préjugés en faisant se côtoyer valides et handicapés le plus tôt possible [24]. En dépit des problèmes que rencontrent les personnes en situation de handicap pour s’insérer dans le monde du travail, toutes les études confirment que ceux qui y sont parvenus sont dans l’ensemble satisfaits de leur situation et ne souhaitent pas troquer leur situation professionnelle contre l’inactivité subventionnée par l’État.
Conclusion
36Au diapason avec la plupart des pays européens soucieux de respecter les recommandations des Nations Unies en matière d’intégration des personnes en situation de handicap dans l’entreprise, l’Allemagne s’est dotée d’une législation en la matière qui vise, dans la mesure du possible, à établir l’égalité d’accès à l’emploi pour cette population. Ayant choisi la voie de la contrainte légale pour imposer le recrutement d’un taux donné de salariés handicapés aux entreprises tant privées que publiques, l’État l’a assortie d’un catalogue de mesures susceptibles de les accompagner dans leurs efforts d’intégration. Ces aides, qui vont du conseil en matière de recrutement au versement de subventions aux salaires et aux cotisations sociales, en passant par le financement de l’aménagement du poste de travail, sont dispensées par les administrations d’intégration rattachées aux gouvernements des Länder. La loi sur l’égalité des personnes handicapées de 2002, qui est la base légale de la situation actuelle, en attendant la nouvelle loi sur l’égalité en préparation, a montré une certaine efficacité. Il est vrai que les entreprises subissent une double pression, celle de la loi ainsi que celle, très présente, des membres du conseil d’entreprise et des représentations du personnel handicapé qui défendent leurs intérêts. Bien qu’une minorité d’entreprises continue de se soustraire à ces obligations, le taux de salariés handicapés effectivement en poste s’est nettement accru depuis une dizaine d’années, bien que les 5 % visés par la loi ne soient pas encore atteints. Pour les personnes en situation de handicap, qui n’aspirent qu’à une vie en autonomie, des avancées importantes ont été réalisées.
37En dépit de cette amélioration réelle, la situation n’est pas entièrement satisfaisante, et ce pour plusieurs raisons. Le taux de chômage des actifs handicapés, bien qu’en baisse, reste encore supérieur à celui des salariés valides. L’intégration à égalité des handicapés, objectif de la loi, n’est pas atteint. Peut-il l’être ? À entendre les entreprises, auxquelles cette tâche a été confiée, on est en droit de s’interroger. Elles estiment dans l’ensemble qu’elles ne sont pas assez bien informées sur les aides financières et administratives existantes – plus elles sont petites, moins elles le sont – et pour celles qui connaissent les offres de soutien des administrations d’intégration, elles considèrent souvent qu’elles sont insuffisantes. Il est vrai que les entreprises qui emploient des salariés handicapés estiment que cela leur coûte, parce que les subventions sont loin de couvrir l’ensemble des frais. Mais cette volonté des gouvernants s’inscrit dans la tendance observée en Europe qui confie des tâches sociales croissantes aux entreprises. Au-delà du problème du partage des charges entre les entreprises et les collectivités publiques se pose d’évidence la question des moyens et des modes de financement du soutien à l’insertion des travailleurs handicapés, sans doute en forte croissance numérique – en raison du vieillissement de la population et du report de l’âge d’accès à la retraite – mais aussi qualitative, face à l’exigence croissante vers plus d’égalité.
Notes
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[1]
Le micro-recensement est un échantillonnage annuel, le plus grand en Allemagne et en Europe, qui, sur la base de sondages multiples, livre des informations détaillées sur la situation économique et sociale de la population allemande. La réponse aux questions sur le handicap et la santé est facultative, mais en 2009, 81 % des personnes interrogées ont donné des indications concernant leur handicap (Pfaff, 2012).
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[2]
Parmi les jeunes générations, le pourcentage de ceux qui obtiennent le bac est nettement plus important, de l’ordre de 40 à 50 %, un niveau très différent selon les Länder. La part des handicapés parmi eux n’est pas encore connue.
-
[3]
Conformément au Code social XII, les personnes handicapées ont droit au revenu de base (Grundsicherung), si elles ont 18 ans révolus et présentent une incapacité de travail totale et durable. Le taux d’incapacité n’est toutefois pas le critère permettant de juger de l’ampleur de la capacité de travail des personnes en question. Le revenu de base n’est versé que si les ayants droit et leur partenaire sont dans le besoin. Depuis le 1er janvier 2014, le montant du revenu de base est de 391 € pour l’ayant droit et de 353 € pour le partenaire. S’y ajoutent les frais de loyer et de chauffage, ainsi que les cotisations aux assurances maladie et invalidité (pour plus de détails, voir Berechnung der Grundsicherung, [en ligne], http://www.brutto-netto-rechner.info/grundsicherung.php).
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[4]
L’accroissement du taux d’emploi entre 2005 et 2009 est général et concerne tant les handicapés que les valides, tant les hommes que les femmes. Pour les salariés valides, le taux d’emploi est passé de 75,9 % à 78,7 % pendant ce laps de temps.
-
[5]
Pour les chiffres détaillés, voir Statistisches Bundesamt, Wirtschaft und Statistik, mars 2012, [en ligne], https://www.destatis.de/DE/Publikationen/WirtschaftStatistik/Monatsausgaben/WistaMaerz12.pdf?__blob=publicationFile.
-
[6]
Le taux de chômage des actifs handicapés a tendance à baisser avec l’âge : entre 15 et 24 ans, il est de 12,7 %, entre 25 et 44 ans de 10,3 %, entre 45 et 54 ans de 9,2 %, entre 55 et 59 ans 8,4 % et entre 60 et 64 ans de seulement 7,8 %, à peine au-dessus du taux des actifs valides du même groupe d’âge (7,4 %). À tous les âges, les actifs mariés ont un taux de chômage inférieur à celui des personnes vivant seules, célibataires, divorcés, etc. (Destatis).
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[7]
Le Code social IX, qui reprend pour l’essentiel les dispositions de la loi du 26 août 1986 relatives à l’insertion professionnelle et sociale des personnes lourdement handicapées, réunit la quasi-totalité des dispositions législatives qui s’appliquent aux personnes handicapées. Il comporte les mesures destinées à favoriser l’emploi des personnes lourdement handicapées dans les entreprises ainsi qu’en milieu protégé.
-
[8]
D’après le paragraphe 4 de la loi, qui donne une définition de l’« accessibilité », sont accessibles les installations structurelles et autres, les moyens de transport, les ustensiles techniques, les systèmes de traitement d’informations, les sources d’informations et les installations de communication sonores et visuelles, ainsi que d’autres domaines aménagés de la vie, lorsqu’ils sont accessibles ou utilisables par les personnes handicapées d’une manière normale, sans complications particulières et, par principe, sans l’aide d’un tiers. Cette notion d’accessibilité se veut universelle et ne doit pas s’appliquer aux seules personnes handicapées.
-
[9]
Code Social IX, 2001, § 2 Behinderung
-
[10]
D’après les statistiques de l’Agence fédérale du travail, le nombre de personnes lourdement handicapées sans emploi est passé de 189 766 en octobre 1999 à 144 292 en octobre 2002, ce qui équivaut à un recul de 24 %. Bien que cette baisse ait été légèrement inférieure aux 25 % fixés par la loi, le gouvernement a décidé de ne pas modifier les règles relatives aux quotas (Sénat, 2003).
-
[11]
Le décompte du nombre de handicapés à intégrer dans les entreprises montre que n’est concernée qu’une minorité des entreprises allemandes. D’après la définition des PME/PMI de la Commission européenne, qui distingue entre les très petites entreprises (moins de 10 salariés), les petites entreprises (de 10 à 49 salariés) et les entreprises de taille moyenne (de 50 à 249 salariés), 89,5 % de l’ensemble des entreprises appartiennent à la catégorie des TPE qui emploient 14,7 % de tous les salariés assujettis aux assurances sociales. Les petites entreprises fournissent 8,1 % de l’ensemble et emploient 18,7 % des salariés assujettis aux assurances sociales, alors que celles de taille moyenne constituent 1,9 % du total des entreprises avec une part de 20,6 des salariés. Ce sont donc essentiellement les grandes entreprises et celles de taille moyenne qui sont concernées par l’obligation d’emploi ; elles emploient les deux tiers de l’ensemble des salariés.
-
[12]
Cette obligation s’impose particulièrement aux employeurs publics qui sont tenus de convoquer pour un entretien d’embauche toute personne lourdement handicapée qui fait acte de candidature sur un poste à pourvoir.
-
[13]
Cette ignorance volontaire du contexte prive les employeurs de la possibilité de justifier l’absence de salariés handicapés en avançant, par exemple, l’incapacité de l’agence pour l’emploi compétente de leur envoyer un candidat handicapé. Du coup, ils ne peuvent, par ce moyen, faire diminuer le montant de la contribution de substitution ou s’y soustraire.
-
[14]
Concrètement, ces règles conduisent à la situation suivante : un employeur avec un nombre de salariés compris entre 20 et 39, qui n’emploie pas le salarié handicapé imposé par la loi, verse 115 € par mois ; celui qui emploie jusqu’à 59 salariés, qui devrait obligatoirement employer deux handicapés au moins, verse 115 € s’il n’en emploie qu’un et 400 € par mois (2 × 200 €), s’il n’en emploie aucun.
-
[15]
D’après les indications des fondations s’occupant de l’insertion professionnelle des handicapés dans les entreprises, il y a environ 715 ateliers reconnus en Allemagne qui proposent un total de 275 000 places de travail aux handicapés. La fondation la plus connue, la Bethel-Stiftung, la plus grande institution diaconique, donne du travail à 15 000 personnes handicapées, dont 1 200 dans ses ateliers de Bielefeld.
-
[16]
Cette mesure ne s’applique qu’aux handicapés dits lourds ; ceux avec un degré d’incapacité compris entre 30 et 49 %, même s’ils ont obtenu le statut équivalent à handicapé lourd (Gleichgestellte), n’y ont pas droit.
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[17]
Le conseil d’entreprise, dont le rôle dans les entreprises allemandes est beaucoup plus important que celui des comités correspondants en France, organise l’ensemble des représentations de salariés au sein de l’établissement, telles que celles des jeunes, des immigrés, etc. La représentation des salariés handicapés est constituée d’une personne de confiance (Vertrauensperson) élue pour quatre ans par l’ensemble des salariés handicapés de l’entreprise. Sont éligibles tous les salariés majeurs de l’entreprise ayant une ancienneté de plus de six mois dans l’établissement, handicapés ou non. Si ce type de représentation peut également être constitué dans les entreprises dépourvues de conseil d’entreprise, le lien entre les deux organes est patent, car l’élection aux représentations des handicapés intervient tous les quatre ans, comme celle aux conseils d’entreprise, et elle est organisée à la même époque dans toute l’Allemagne. La dernière a eu lieu entre le 1er octobre et le 30 novembre 2014.
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[18]
La rémunération des apprentis allemands de la formation duale est fixée par convention collective. D’après l’Institut fédéral de formation professionnelle (Bundesinstitut für Berufsbildung – BIBB), elle était en moyenne de 767 € bruts à l’ouest et de 708 € à l’est du pays. De niveaux très différents selon les métiers – 999 € pour le maçon et 469 € pour le coiffeur, par exemple, – la rémunération s’accroît au fil des années, la formation duale étant habituellement d’une durée de trois ans. Les apprentis handicapés percevant la même rémunération que les valides, celle de la dernière année peut parfois atteindre les 1200 € par mois.
-
[19]
Cette mesure s’applique également aux jeunes handicapés qui suivent une formation professionnelle dans un établissement de réhabilitation professionnelle (tel que les ateliers protégés reconnus), pendant les périodes qu’ils passent dans une entreprise, dans le cadre du modèle qualifié comme formation coordonnée (verzahnte Ausbildung) (BIH, 2012).
-
[20]
Ainsi, les parties prenantes de l’accord peuvent décider de l’introduction de certaines formes de travail à temps partiel pour les salariés handicapés, notamment pour les femmes, dont la participation à la vie active reste difficile. Les négociations au sein de l’entreprise entre employeur et représentants des salariés font partie de la culture professionnelle en Allemagne. Les décisions issues de ce dialogue passent souvent mieux que celles venues de l’extérieur. C’est pourquoi les services des administrations d’intégration proposent leur participation aux négociations, mais ne l’imposent pas.
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[21]
La nouvelle loi fédérale sur la participation, dont l’élaboration est prévue dans le contrat de gouvernement de l’actuelle grande coalition (entre l’Union démocrate chrétienne et le Parti social-démocrate – CDU/SPD) au pouvoir depuis 2013, a pour objectif d’améliorer la vie en société des personnes handicapées, afin d’inscrire le droit allemand dans le concept de la Convention des Nations Unies sur une société inclusive permettant aux handicapés de réaliser pleinement leur potentiel. Pour ce faire, la nouvelle loi prévoit de mettre la personne handicapée au centre, avec les besoins qui lui sont propres pour qu’elle puisse, mieux qu’aujourd’hui, déterminer elle-même son plan de vie. L’aide à l’intégration sera modifiée afin que la personne handicapée puisse bénéficier de toutes les prestations nécessaires, comme si elles venaient d’un seul organisme et non d’une multitude de prestataires différents. Si le gouvernement envisage de soulager financièrement les communes, il ne prévoit pas d’affecter davantage de moyens financiers à l’intégration des handicapés. Il souhaite plutôt les utiliser de façon plus efficace. (http://www.gemeinsam-einfach-machen.de/BRK/DE/StdS/Bundesteilhabegesetz/bundesteilhabegesetz_node.html).
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[22]
Voir par exemple : Ilg, 2010 ; Theissen, 2013 ; Kopp 2014.
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[23]
Le niveau de productivité dépend du type et de la sévérité du handicap ainsi que de la nature des tâches à accomplir. Depuis peu de temps, les entreprises se sont aperçues que certains déficits, tels que l’autisme, peuvent parfois donner des capacités supérieures dans certains domaines, notamment dans celui de l’informatique. Les autistes, notamment ceux du type Asperger, connus pour leurs qualités de concentration, de mémoire et de méticulosité, commencent à être recherchés par certaines firmes, telles que SAP, qui souhaite recruter 1 % d’autistes dans ses effectifs, à savoir 650 sur 65 000. Elle est aidée pour cela par la firme danoise Specialisterne, qui s’est donné pour objectif de recruter un million d’autistes dans le milieu professionnel. Même si cette reconnaissance n’est pas transposable à l’ensemble des handicapés en raison de leur diversité, elle peut contribuer à entamer les préjugés à leur encontre (Stam, 2014).
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[24]
C’est dans cet esprit que les responsables de la VdK préconisent l’intégration des enfants handicapés dans les écoles pour tous, pour que cette inclusion précoce permette de surmonter les barrières mentales afin de préparer en amont une meilleure insertion dans le monde du travail (VdK, http://www.myhandicap.de/behinderte-kinder-schule-inklusiv.html).