CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les recherches sur « l’Europe sociale » ont longtemps eu pour principal objet d’évaluer le contenu de « l’acquis communautaire » et, compte tenu de ses limites, d’analyser les obstacles à l’émergence d’une « dimension sociale [1] » dans le cadre du processus d’intégration européenne, ou, plus rarement, de s’enthousiasmer à la fin des années 1990, pour les innovations liées aux suites du traité d’Amsterdam avec l’introduction d’un chapitre « Emploi ». La crise contemporaine de la zone euro conduit, à maints égards, à reconsidérer ces enjeux. Elle oblige à réévaluer les conséquences de l’intégration économique et monétaire sur la dynamique des systèmes nationaux de protection sociale et sur les systèmes d’emploi. Elle amène à s’intéresser aux réponses politiques et institutionnelles apportées à la crise, notamment dans le cadre du nouveau « gouvernement » de facto[2] de l’Union économique et monétaire (UEM) et à leurs effets. Elle suggère d’examiner la politique mise en œuvre par la Commission européenne. En substance, cette crise de la zone euro et les réponses qui lui ont été apportées invitent à réfléchir aux enseignements à tirer pour le devenir de « l’Europe sociale », qui au terme d’une « longue marche » est dans l’impasse. On conclura sur des pistes de réformes suggérées par les contributions à ce dossier.

L’Europe sociale : de quoi parle-t-on ?

2Commençons par une précision terminologique : qu’entend-on par « Europe sociale » ? Comme le note Dorian Guinard dans l’article présenté ici, cette expression pose un problème d’identification d’un point de vue juridique, puisqu’elle ne figure ni dans les traités ni dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après CJUE), « même si le caractère ‘social’ d’une activité, écrit-il, d’un service ou d’une politique, est reconnu dans le droit de l’Union européenne et produit des effets juridiques ». Mais l’incertitude n’est pas que juridique et on la trouve dans les sciences sociales, dès qu’elles posent des problèmes de catégories et de concepts. Le champ de la notion, commode pour l’usage, peut être plus ou moins large, visant à embrasser les conséquences « en matière sociale » de l’intégration européenne. Au sens strict – s’il faut lui en trouver un – l’Europe sociale recouvre les conséquences directes de l’activité de l’UE dans le champ du droit social (y compris le droit du travail), de la redistribution de ressources publiques ou de certaines politiques publiques dans les champs concernés : législation de l’UE dans les domaines de compétences partagées avec les États membres, jurisprudence de la CJUE, « Méthodes ouvertes de coordination (MOC) » des politiques publiques nationales de protection sociale ou de l’emploi et, enfin, politiques redistributives à travers le – très réduit – budget de l’UE, et notamment les divers fonds structurels (fonds social, fonds de développement régional), visant à la « cohésion économique, sociale et territoriale » et la politique agricole commune, laquelle est une politique sociale de fait. Comme le souligne Bernadette Ségol, Secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES) dans ce dossier, d’un point de vue syndical, les principes de fonctionnement de cette Europe sociale devraient être ceux figurant dans le préambule du traité [3], en matière d’amélioration constante des conditions de vie et d’emploi et de convergence des économies nationales. Très concrètement, elle met en avant trois principes, dont elle détaille le contenu : « un droit social européen au service de la loyauté de la concurrence », « une gouvernance économique au service de la stabilité de l’expansion et de l’équilibre des échanges », « une ‘démocratie sociale’ au service des conditions de vie et de travail ».

3En un sens plus large, on peut inclure dans l’Europe sociale les conséquences sociales indirectes liées à l’intégration européenne via le marché unique ou la « gouvernance » de l’UEM, à la fois pour les États membres et pour la cohésion sociale de l’UE elle-même. De ce point de vue, marquons d’emblée une évolution de la définition courante dans le champ des sciences sociales, laquelle a accompagné la prise de conscience grandissante par les chercheurs de la complexité d’un domaine, qui a toujours été l’objet de puissantes évolutions politique, comme en atteste la crise actuelle des réfugiés. D’abord vue plutôt dans le sens « strict », et réduite à la coordination des régimes de sécurité sociale et aux directives de droit du travail (hygiène et sécurité), la notion a été enrichie dès que des analystes précurseurs (Leibfried et Pierson, 1995) ont insisté sur le rôle croissant du droit européen : les systèmes nationaux de protection sociale (SNPS) étaient affectés par une intrusion encore modeste, mais significative, de la jurisprudence de la CJUE et par les conséquences indirectes de la législation économique de ce qui n’était pas encore l’Union. Ce droit devait prendre une importance croissante, au titre des effets habituellement classés comme de spill-over (contagion) ou d’intégration négative (voir plus loin). Ainsi le droit de l’Union, pour l’essentiel économique, devenait un « second pilier », une composante de l’Europe sociale sans qu’on s’y soit attendu. Plus récemment, avec la rupture introduite par le renforcement puissant des mécanismes de coordination des politiques économiques et budgétaires, une troisième composante, un « troisième pilier », s’est installée : la contrainte économique et budgétaire fait désormais partie intégrante de l’Europe sociale d’après la crise. On mesure ainsi l’évolution majeure à laquelle le présent dossier de la Revue française des affaires sociales est consacré : le lecteur en prendra aisément conscience en comparant le contenu du présent numéro avec celui dont l’un des coordonnateurs fut à l’origine (Barbier et Colomb, 2012).

Europe sociale : quel contenu ?

4Quel est donc le contenu de cet « acquis communautaire » dont la traduction britannique « Social Europe » provoque incompréhension et malentendus de la part des éditeurs et des correcteurs ? Au départ, l’idée directrice du traité de Rome (article 136 du traité de Rome consolidé), marquée par l’influence des idées néolibérales, dont l’ordolibéralisme allemand est une variante originale (Lechevalier, 2015) [4], est que le progrès social et « l’harmonisation des systèmes sociaux » résulteront du « fonctionnement du marché », qui doit être concurrentiel et, accessoirement, d’un « rapprochement des législations ». Cet esprit parcourt également le rapport initial de Bertil Ohlin écrit en 1956 [5]. Dans ce cadre, ce qu’on avait tendance à désigner à l’échelle européenne comme « la politique sociale », un fourre-tout composite [6] se voyait investi d’une double mission : favoriser le bon fonctionnement du marché unique (mise en œuvre des « quatre libertés [7] » grâce notamment à la coordination des régimes de sécurité sociale) et amortir quelque peu les restructurations industrielles (avec le Fonds social européen). Pour éviter les distorsions de concurrence, un principe d’égalité des rémunérations entre hommes et femmes est également posé (article 119 du traité de Rome). Modifié par le traité d’Amsterdam, devenu plus tard article 157 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) (dit « de Lisbonne »), il vise désormais « à assurer l’application du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de rémunération, d’emploi et de travail » ; surtout, il a ouvert la voie à un vaste corpus législatif et jurisprudentiel contre des discriminations sociales variées centré sur les discriminations économiques, mais ayant évolué au-delà de cette stricte origine vers une composante de droits de l’homme.

5Si plusieurs directives dans le champ social sont adoptées dès la fin des années 1970, ce que l’on a pu qualifier « d’âge d’or de l’Europe sociale » (Barbier 2008) est plus tardif : la période va des mesures d’accompagnement de la mise en place du marché unique en 1986 jusqu’à la première commission Barroso, en 2004. Avec l’Acte unique, l’Union européenne se voit dotée pour la première fois de compétences permettant au Conseil d’arrêter, par voie de directives, des prescriptions minimales et d’en décider à la majorité qualifiée, en coopération avec le Parlement, cependant dans le seul domaine de la protection de la santé et de la sécurité dans le milieu de travail. Parallèlement, est introduite une procédure de dialogue social à l’échelle européenne, inscrite dans l’Accord sur la politique sociale annexé au traité de Maastricht (1993), qui fait obligation à la Commission de consulter les organisations représentatives des partenaires sociaux à l’échelle européenne pour tout projet de directive dans le champ social. Ces derniers peuvent se saisir de l’initiative lancée par la Commission pour conduire eux-mêmes une négociation pouvant aboutir à la conclusion d’accords collectifs ayant force de loi avec l’aval du Conseil. Quelques directives-cadre prévoyant des prescriptions minimales dans les domaines concernés ont été élaborées dans ce cadre au cours des années 1990 (congé parental, temps partiels, encadrement des CDD, télétravail). L’Acte unique a promu parallèlement l’augmentation des fonds structurels et la création d’un fonds de cohésion, intervenue en 1994, destinés au développement des régions en retard de développement et à promouvoir le développement durable dans les États membres dont le revenu était inférieur à 90 % de la moyenne communautaire.

6En 1989, avait été proclamée une Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux à laquelle le Royaume-Uni se refusa à être associé. Sans portée juridique, elle ne va pas moins être associée par la commission Delors à un programme politique. Pour faire vivre le contenu de cette Charte sociale, reprenant l’accord sur la politique sociale annexé au traité de Maastricht (désormais avalisé par la Grande-Bretagne), le traité d’Amsterdam de 1997 définit le partage des compétences en matière sociale entre l’UE et les États membres (devenu l’article 294 du TFUE), qui depuis lors n’a pas évolué. Le droit social est divisé en trois blocs suivant les compétences accordées à l’ex-Communauté, implicitement hiérarchisées en fonction de leur importance pour le bon fonctionnement du marché unique ou a contrario pour la souveraineté des États membres (Lechevalier et Wielghos, 2010). Dans les champs de la santé et de la sécurité des travailleurs, des conditions de travail, de l’égalité hommes-femmes ou encore de l’information et la consultation des travailleurs, le Conseil des ministres en codécision avec le Parlement européen peut statuer à la majorité qualifiée. Dans la majorité des cas, le Conseil peut statuer, mais à l’unanimité et après simple consultation du Parlement : il s’agit de la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs, de la résiliation du contrat de travail ou encore de la représentation collective des intérêts des travailleurs et des employeurs et des conditions d’emploi des ressortissants des pays tiers en séjour régulier. Enfin, certaines matières sont explicitement exclues de la compétence de l’Union : les rémunérations, le droit d’association (donc syndical), le droit de grève et de lock-out. Toutefois, même dans ses domaines de compétences, l’Union « soutient et complète l’action des États membres » conformément au principe de subsidiarité. De même, l’encouragement à la coopération des États membres doit se faire « à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions réglementaires des États membres » (article 153 du TFUE).

7Conformément à ces dispositions, des Méthodes ouvertes de coordination (MOC), impulsées par la Commission, censées promouvoir les « bonnes pratiques », à l’origine principalement dans le domaine des politiques de l’emploi (Stratégie européenne de l’emploi inscrite dans le traité d’Amsterdam en 1997) et de l’inclusion sociale, ont vu le jour au tournant du siècle. Progressivement inscrites dans le cadre de la stratégie dite de Lisbonne, formulée en 2000 et visant à « moderniser » le modèle économique et social européen à l’horizon 2010, elles ont principalement contribué à la valorisation d’indicateurs de référence et d’objectifs communs et à la diffusion de cadres cognitifs communs d’appréhension des problèmes sociaux à l’échelle de l’Union, rapidement réappropriés par les logiques nationales. Parce que ces MOC étaient dès l’origine conçues comme subordonnées aux « Grandes orientations de politique économique – (GOPE) » arrêtées à l’échelle de l’UE, elles ont vite servi d’amplificateur sélectif des réformes d’inspiration néolibérale avant qu’elles ne s’étiolent peu à peu avec la commission Barroso et l’élargissement de l’UE à l’Est, comme le rappellent Paolo Graziano et Miriam Hartlapp dans leur texte.

8En effet, à partir de la nomination de la première commission Barroso (2004), l’action de l’UE dans le champ social va progressivement décliner. Symboliquement, la disparition de « l’Agenda social », qui fixait les lignes directrices de l’Union en ces matières, au profit de « l’Europe 2020 », une stratégie pour une croissance qualifiée par la Commission « d’intelligente, durable et inclusive », pourtant formulée en 2010, en pleine crise de la zone euro, marque la réduction des ambitions sociales à une politique, sans moyen autre que rhétorique, de lutte contre la pauvreté.

9Dans le point de vue rédigé pour ce dossier, Thérèse de Liedekerke, directrice générale adjointe de BusinessEurope, organisation représentant les employeurs au niveau européen, se félicite de ce que la dimension sociale de l’UE « existe bel et bien » en mettant en avant « les quelque 70 directives sociales européennes qui protègent les travailleurs en leur donnant des droits dans des domaines comme la santé et la sécurité, la non-discrimination, l’information et la consultation etc. ». Elle salue parallèlement le processus de « coopération et d’apprentissage mutuel » permis par les MOC dans le domaine de la protection sociale et de l’emploi.

10Cependant comme le montrent ici Paolo Graziano et Miriam Hartlapp à partir de données originales, l’activité législative de l’UE dans le champ social a été, à l’exception de quelques textes sectoriels, progressivement paralysée. Parallèlement, la jurisprudence de la Cour de justice, marquée par plusieurs arrêts de grande portée, continue à produire de puissants effets déstructurants sur le droit social des États membres au nom de la mise en œuvre des libertés économiques. Enfin, avant même la crise, la contrainte du Pacte de stabilité budgétaire européen sur les dépenses publiques nationales avait fini par exercer ses effets sur la réduction des déficits publics en moyenne dans la zone euro (-1 % du PIB en 2007). Certains pays, Allemagne en tête, avaient opté pour des politiques de concurrence fiscale et salariale passant notamment par une forte compression du coût indirect du travail et des dépenses sociales (Agenda 2010 et réformes Hartz) (Lechevalier, 2011).

Avant la crise, les explications de la lente marche vers l’Europe sociale

11Depuis le travail pionnier de Leibfried et Pierson (1995), d’importantes recherches ont cherché à comprendre comment l’intégration européenne a modifié la donne en redessinant les frontières territoriales des États sociaux nationaux et en imposant des contraintes directes et indirectes. On sait que le développement de « l’État social » a joué un rôle crucial dans le processus de construction et de délimitation de l’État national (Noiriel, 2001 ; Ferrera, 2005) et qu’il a été une ressource politique majeure utilisée par les gouvernements nationaux pour se légitimer. Les systèmes nationaux de protection sociale (SNPS) sont en effet au cœur de la dimension proprement politique et conflictuelle des sociétés, puisqu’ils cristallisent les enjeux collectifs en matière d’identification des citoyens, de réciprocité et de justice sociale dans la répartition des ressources. Cela explique l’impact multiforme que le processus d’intégration européenne a eu sur eux, quoique de manière contrastée selon la diversité de leurs configurations nationales. Différentes grilles d’explication ont été mises en avant pour expliquer les enjeux de l’intégration sociale à l’échelle européenne. Au sein d’une production immense, il est possible de distinguer quelques approches majeures.

12Dans l’héritage des travaux de Stein Rokkan (1973) portant sur le processus historique de formation et de légitimation de l’État national dans le contexte de sa consolidation territoriale, plusieurs recherches ont exploré l’idée wéberienne d’un lien entre l’établissement des frontières externes de l’État et les processus de différenciation interne. Bartolini (2005), à peu près au même moment que Ferrera (2005), explore les difficiles relations entre le projet « supranational » et l’ancrage historique des sociétés nationales, en particulier du point de vue de la politisation des enjeux. Ces investigations mettent en exergue les relations entre réciprocité, identification politique et clôture des espaces nationaux, donnant lieu à des cultures politiques nationales différenciées de la protection sociale, marquées par « l’empreinte des origines ». Cette diversité des cultures politiques de la protection sociale est à comprendre à l’articulation entre des pratiques collectives, des valeurs et des institutions, qui encadrent les comportements au sein de chaque espace national (Barbier, 2013). A contrario l’absence d’une culture politique partagée à l’échelle de l’UE, d’une langue commune et d’un réel espace public ouvert largement aux citoyens a profondément marqué le devenir et les limites de l’Europe sociale ainsi que les difficultés de sa légitimation. On verra qu’une des conséquences de la crise est de donner une grande actualité à ces approches.

13L’approche comparative des SNPS constitue précisément une deuxième catégorie d’analyses. Partant des problèmes qui naissent de la diversité des arrangements des systèmes de protection sociale, elle se situe dans la tradition d’Esping-Andersen (1990). À l’encontre de la notion de « modèle social européen », essentiellement rhétorique (Jepsen et al., 2005), les travaux qui en relèvent ont montré que les vagues successives d’élargissement ont conduit l’Union européenne à être plus hétérogène que les États-Unis eux-mêmes (Alber, 2006). L’élargissement à l’Est de l’UE a eu à cet égard deux effets : renforcer de manière directe et indirecte la concurrence entre États membres et rendre encore plus problématique toute régulation dans le champ des politiques sociales à l’échelle de l’Union, malgré un besoin pourtant accru. Certains économistes influents auprès de la Commission ont au demeurant voulu voir dans cette hétérogénéité une opportunité conduisant à mettre en concurrence les SNPS au profit des régimes anglo-saxons et nordiques, alors que d’autres auteurs ont cherché à montrer que la logique du marché unique favorisait structurellement les économies de marché libérales et sapait les fondements des économies de marché coordonnées au cœur de l’économe sociale de marché européenne (Scharpf, 2010). D’autres travaux se sont donnés pour finalité d’étudier les tendances communes des réformes suivant les régimes (au sens d’Esping-Andersen) dont les SNPS relèvent, notamment pour ceux inscrits dans la tradition dite « bismarckienne » (Palier, 2010), dans le contexte d’européanisation des politiques publiques.

14Une troisième approche a conceptualisé le déséquilibre institutionnel et l’asymétrie entre, d’une part, les politiques qui font prévaloir les libertés économiques et les règles de la concurrence, et qui relèvent de l’échelon européen (intégration « négative »), et, d’autre part, les droits sociaux fondamentaux, les politiques sociales et redistributives qui demeurent pour l’essentiel de la compétence des États – elles contribueraient à une « intégration « positive » si elles étaient effectivement menées à l’échelon européen, ce qui n’est généralement pas le cas – et le rôle décisif joué à cet égard par la jurisprudence de la CJUE (Scharpf, 1999, 2010). Le principe de subsidiarité inscrit dans les traités, qui, selon une interprétation contestée ici par Dorian Guinard viserait à protéger les compétences nationales dans le champ de la protection sociale, peut être aussi utilisé par le juge communautaire pour promouvoir graduellement la prédominance du droit de la concurrence dans le domaine social (Barbier et Colomb, 2015, 2012), ce dont atteste la jurisprudence de la CJUE au cours de ces dernières années.

15Un quatrième champ de recherches a porté sur la nature des arrangements institutionnels qui ont prévalu dès l’origine dans le cadre de l’UEM et sur leur impact sur les politiques économiques et sociales nationales (Bibow, 2006 ; Creel et al. 2007). En particulier, la configuration institutionnelle dérivée du consensus « Frankfurt-Bruxelles » traduit un nouveau rapport de force politique, dominé par les idées ordo – et néolibérales, et de nouvelles normes de distribution des richesses. Le statut et le mandat de la Banque centrale européenne (BCE), le Pacte de stabilité budgétaire et les réformes « structurelles » visant à promouvoir la croissance par la dérégulation des marchés en sont le produit. Cette architecture rend difficile la prévention des chocs macroéconomiques – en ce qu’elle focalise les enjeux sur les seuls déficits publics et la dette publique. Elle a par ailleurs pour effet que les marchés nationaux du travail ont une fonction d’amortisseur des déséquilibres macroéconomiques par la flexibilisation des salaires et du droit du travail. L’accroissement des inégalités de revenus qui en a découlé a accentué les déséquilibres macroéconomiques (Fitoussi et Saraceno, 2004 ; Fitoussi et al., 2010). Des analyses complémentaires ont mis en évidence la forte contrainte pesant sur les États sociaux nationaux en raison de la concurrence socio-fiscale croissante dans l’UE comme à l’échelle internationale (Laurent, 2007 ; Ganghof et Genschel, 2008).

16Une cinquième catégorie de travaux ont utilisé la problématique fédérale et des enjeux liés au fédéralisme « préservant le marché » (Scharpf, 1988 ; Théret 2002a et 2002b). Les voies auxquelles ont eu recours les États fédéraux nationaux pour construire une communauté de solidarité sont jusqu’à présent, dans le cas de l’UE, restées impraticables (Leibfried et Obinger, 2008). L’UE n’a pas la faculté d’actionner un pouvoir de dépense par des programmes fédéraux ou des transferts aux États membres. Ces derniers ne l’ont jamais dotée des compétences fiscales qui lui permettraient de faire de la politique sociale par d’autres moyens. Elle ne peut résoudre les conflits de compétences entre échelons de gouvernement en externalisant les coûts comme ce fut le cas, par le passé, à l’échelle de certains États fédéraux avec la création des assurances sociales. En des phases contrastées, l’UE a donc pour l’essentiel exercé son pouvoir de régulation par le droit, une institutionnalisation inaboutie du dialogue social à l’échelle européenne, des MOC des politiques nationales, désormais passées aux oubliettes de l’histoire, et des mécanismes limités de redistribution financière centrés sur la lutte contre le retard de développement régional et la prise en charge (de toute façon marginale) de l’accompagnement social des restructurations économiques.

Crise de la zone euro : une situation sociale alarmante

17Sept ans après le déclenchement de la crise financière aux États-Unis, qui s’est transformée en crise existentielle de la zone euro, la situation sociale est alarmante dans l’UE, comme le souligne Bernadette Ségol, Secrétaire générale de la CES dans son point de vue. Dans la seule zone euro, le PIB n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant crise. L’évolution de l’emploi est encore plus préoccupante : hors Allemagne, à la fin de 2014, le niveau de l’emploi se situait six points de pourcentage en dessous de son niveau de fin 2008 et la reprise qui se dessine apparaît en matière d’emploi extrêmement lente. Le chômage, au sens du Bureau international du travail (BIT), a bondi de 12 à 19 millions, alors qu’il a retrouvé son niveau d’avant crise aux États-Unis – au prix, il est vrai, d’une baisse des taux d’activité. Il concerne surtout les jeunes – un cinquième d’entre eux ne sont ni à l’école, ni en formation, ni en emploi dans les pays d’Europe du Sud – soit une hausse de 5 à 10 points au cours des années 2008 à 2013 – et le chômage de longue durée atteint des niveaux inégalés dans la zone euro, de sorte que le potentiel de croissance et d’inclusion sociale à moyen terme est menacé dans plusieurs sociétés européennes. La pauvreté et l’exclusion sociale concernent en moyenne un quart de la population de l’UE et onze États membres sont au-dessus de ce niveau. Deux chômeurs sur trois en Europe ont désormais des revenus inférieurs au seuil de pauvreté, alors que, dans le même temps, la pauvreté laborieuse est la forme de pauvreté qui a progressé le plus vite, notamment pour les jeunes. La privation matérielle sévère – mesurée par le pourcentage de ménages dans l’incapacité de financer au moins trois parmi neuf types de consommation de base (loyer, manger de la viande, facture de portable, etc.) – a augmenté d’1,5 point en moyenne dans la zone euro entre 2008 et 2013 ; elle a en outre connu une progression spectaculaire dans certains pays : de 3,6 à 6,1 % en Espagne, de 5 à 10 % en Irlande, de 7,5 à 12,4 % en Italie 11 à 21 % en Grèce. Cette hausse est encore plus marquée pour les 0 à 18 ans (ONPES, 2014 ; IGAS 2015).

18L’indicateur de pauvreté ancrée dans le temps, qui fut à l’origine introduit dans les indicateurs de la Commission pour afficher des progressions plus modérées que celles de la pauvreté relative, a lui aussi progressé entre 2008 et 2013, principalement dans les pays du sud de l’UE, de 5 à 10 points, et de 20 à 45 % en Grèce. Si la crise financière a d’abord touché les ménages les plus aisés en 2009, depuis, les inégalités de revenu sont reparties à la hausse, notamment dans les pays d’Europe du Sud, où l’accroissement des inégalités est surtout imputable au bas de la distribution de revenus.

19La progression de la pauvreté et des situations de privation matérielle est clairement corrélée à la variation du PIB dans les États membres concernés (IGAS, 2015), donc à la chute de l’activité et du chômage, et aux diverses formes que l’austérité budgétaire – le contrôle et la variation à la baisse des dépenses publiques, notamment de protection sociale – ainsi qu’à des réformes fiscales régressives. Si l’on en croît les « programmes nationaux de stabilité » des États membres dans le cadre du volet préventif révisé du Pacte de stabilité et de croissance la situation devrait encore s’aggraver (Leschke et al., 2015). Dans un premier temps, les systèmes de protection sociale, qui pèsent un quart du PIB en moyenne dans l’UE, ont joué leur rôle de « stabilisateur automatique » pour amortir la récession en 2009 – quoique moins qu’aux États-Unis ou dans les autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (Bontout et Lokajickova, 2013). Depuis cette époque, dans les pays qui ont mis en œuvre des politiques d’austérité pour pouvoir bénéficier des prêts des fonds européens, les dépenses de protection sociale sont bien au cœur des coupes budgétaires. C’est notamment le cas des prestations d’assurance chômage, dont le taux de couverture (réduit à 15 % en Grèce) et le niveau d’indemnisation par chômeur ont baissé – en Europe du Sud comme en Irlande ou dans les pays baltes –, mais aussi des prestations familiales, qui ont été réduites nominalement de 20 % en moyenne en Grèce, en Irlande ou au Portugal (Darvas et Tschekassin, 2015 ; Boisson-Cohen et al., 2015 ; voir aussi la contribution de Tomáš Sirovátka dans le dossier). Comme le rappelle Steffen Lehndorff dans sa contribution, ces coupes ont conduit à la réactivation du « vieux modèle méditerranéen » reportant la charge sur les familles, les femmes au premier chef. Les systèmes d’Assurance-maladie n’ont pas non plus été épargnés par les coupes budgétaires dans les pays concernés et l’accès au système de soins a été rendu plus difficile pour les groupes les plus vulnérables (Eurofound, 2014). Charalampos Economou propose dans le présent numéro un éclairage sur la détérioration de la situation sanitaire en Grèce, notamment du point de vue de la prévalence croissante au sein de la population des maladies chroniques. Dans le même temps, entre 2009 et 2012, les dépenses publiques d’Assurance maladie y ont été réduites d’un quart, en particulier par la réduction de la gamme des soins pris en charge et du niveau de remboursement. Parallèlement, le taux de couverture de l’Assurance maladie a baissé, notamment en raison de la hausse du chômage, laissant un cinquième de la population sans protection. La situation est devenue si dramatique que des corrections, à la marge, étaient en cours, avant que ne soit signé le nouveau « protocole d’accord » avec le gouvernement Tsipras au cours de l’été 2015, conduisant à un troisième plan de prêts à la Grèce. Dans tous les États membres ayant signé des protocoles d’accord (« memorandum of understanding ») avec la troïka, avec la baisse des dépenses d’indemnisation du chômage en dépit du nombre croissant de chômeurs, celle des prestations familiales et d’Assurance maladie, ou bien encore des dépenses d’éducation, déjà réduites de 14 % en moyenne sur la seule période 2009 et 2012 (Darvas et Tschekassin, 2015), c’est bien le cœur de la protection sociale qui a été atteint.

Quels enseignements de la crise sociale dans la zone euro ?

20Comment rendre compte de cette évolution au terme de laquelle l’intégration européenne est maintenant directement associée à la remise en cause des droits sociaux et des protections qui s’y attachent ? En quoi la crise de l’UEM oblige à amender ou réviser les analyses formulées avant son surgissement ? Quels éléments nouveaux sont-ils à prendre en compte ? La mise en perspective des textes rassemblés ici conduit, premièrement, à reconsidérer les mécanismes et les acteurs à l’origine de la production de l’asymétrie entre le marché et « le social » dans le fonctionnement de l’UE ; elle invite, deuxièmement, à réfléchir à la manière dont les institutions de l’UEM et plus encore les réponses données à la crise ont conduit à produire des divergences croissantes entre les États membres, qui sont précisément au cœur de la crise ; elle incite, enfin, à revaloriser substantiellement la place des phénomènes politico-culturels dans les explications de la crise contemporaine.

L’asymétrie entre intégrations « négative » et « positive » revisitée par la crise

21Indéniablement, la thèse portant sur l’asymétrie entre les intégrations négative et positive comme grille d’explication de l’incapacité de l’UE à « devenir une économie sociale de marché » (Scharpf, 2010) a encore gagné en pertinence au cours de la crise. Toutefois, cette dernière conduit à compléter et à réviser partiellement les mécanismes que cette thèse a identifiés. Fritz Scharpf met en effet en avant deux mécanismes producteurs d’asymétrie. Le premier concerne les relations entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif. En raison des principes qu’elle a dégagés, « au terme d’un raisonnement qui lui est propre », de manière non pas arbitraire mais « discrétionnaire » (voir Guinard dans ce numéro) – notamment en édictant les principes d’applicabilité directe et celui de primauté du droit communautaire sur les droits nationaux –, la Cour a fait prévaloir les « quatre libertés » constitutives du marché unique en réinterprétant l’engagement des États membres à le mettre en œuvre comme un droit des individus et des entreprises à faire prévaloir ces libertés contre le droit social national. Mireille Delmas-Marty a, à ce sujet, souligné une autre asymétrie du droit de l’Union, celle de l’absence d’obligations contraignantes des entreprises en matière de droits de l’homme (Delmas-Marty, 2004). En outre, la jurisprudence de la Cour ne peut être amendée ou révisée qu’au terme d’une modification des traités, qui requiert l’unanimité, ou par une autre unanimité technique, l’adoption d’un outil de droit dérivé, une directive du Conseil des ministres (Ferrera, 2005). Le deuxième mécanisme producteur d’asymétrie est lié à la dimension verticale de l’intégration. À la différence d’autres constructions fédérales, où les entités fédérales et fédérées ont un statut normatif équivalent, la prééminence dans l’UE du « droit prétorien (fait par les juges) » permet à la CJUE de faire prévaloir une logique unipolaire, qui favorise la logique d’intégration au détriment des États nationaux. En l’absence d’initiative de la Commission, approuvée par les États membres, la Cour est aussi démunie de bases juridiques : elle se trouve face aux limites dirimantes du droit primaire qui est la seule référence, comme il a été illustré par exemple dans le domaine des services sociaux d’intérêt général. En outre, le principe de subsidiarité a fait l’objet d’un usage qui peut s’interpréter comme un « détournement », dans la mesure où son utilisation vient conforter l’influence indirecte des libertés économiques sur les droits sociaux nationaux (Barbier et Colomb, 2012 ; Barbier et al., 2015 ; voir la contribution de Dorian Guinard dans le dossier).

22Sur cette toile de fond, l’interprétation qui peut être faite de la crise de l’UEM et des réponses qui lui ont été apportées est que le jeu des rapports de force intergouvernementaux, lui aussi, a été une source essentielle de production de l’asymétrie entre intégration négative et intégration positive. Pour sa part, la CJUE s’est contentée d’accompagner le mouvement … en s’abstenant d’en juger, tandis que la Commission s’est abstenue de contrarier cette évolution et y a même participé activement via la réforme du gouvernement économique de la zone euro (voir son rôle dans la procédure dite du « semestre européen ») ou a fortiori son rôle au sein de la troïka. La gestion tâtonnante et conflictuelle de la crise a été en effet dominée, sous le leadership informel du gouvernement allemand, par le Conseil européen – dont le traité de Lisbonne avait déjà consacré le rôle institutionnel avec son président – et par l’Eurogroupe. On retrouve ici le rôle toujours central de ce que van Middelaar (2009) a appelé « la sphère intermédiaire », entre la sphère des institutions européennes et la sphère externe des États dotés de leurs propres intérêts et de leur propre diplomatie. Cette sphère des États membres est régie par trois principes. Le premier, qui a joué un rôle déterminant au cours de la crise, fait prévaloir l’affrontement des intérêts nationaux marqué par l’équilibre ou, plus exactement dans le présent contexte, le déséquilibre des forces. Le deuxième s’explique par le fait politique que constitue l’appartenance à l’Union et l’intérêt collectif que tirent les États membres de son bon fonctionnement. Le troisième principe d’ordonnancement est celui du droit de l’Union.

23Comme le soulignent Miriam Hartlapp et Paolo Graziano dans leur contribution, cette sphère intermédiaire a vu incontestablement son rôle et son champ d’action étendus dans la gestion de la crise en prenant des initiatives inscrites au sein mais aussi en dehors des traités. Comme l’explique Aristea Koukiadaki dans sa contribution, en s’appuyant sur les travaux de Kilpatrick (2014), ce rôle clé des rapports entre États membres est concrètement repérable par la nature des outils juridiques utilisés pour formuler des réponses à la crise : un mélange d’accords et de traités scellés sur une base intergouvernementale (les prêts bilatéraux à la Grèce, complétés par le recours au Fonds monétaire international, le Fonds européen de stabilité financière – FESF – créé en mai 2010 ou encore le « pacte de compétitivité » dit « Euro plus » de mars 2011) et de dispositifs reposant sur les traités de l’UE (l’article 122(2) du TFUE pour le MES, qui a rendu pérenne le FESF), auquel il a été fait recours pour légaliser la conditionnalité des prêts accordés dans le cadre des « protocoles d’accord » (memorandum of understanding) aux États membres concernés. La nouvelle architecture institutionnelle de la zone euro (« semestre européen », « Pacte budgétaire », renforcement préventif et punitif du Pacte de stabilité budgétaire, etc.), a également été façonnée par les chefs d’État et de gouvernement. Le « régime austéritaire » qui en résulte, auquel Steffen Lehndorff fait ici référence, notamment pour les États membres sous surveillance de la troïka, est constitué de coupes budgétaires dans les investissements publics et les prestations sociales, de privatisations et de dérégulation du droit du travail et des accords collectifs. Le détail, précisé dans la contribution d’Aristea Koukiadaki, a rarement rendu aussi tangible l’asymétrie entre intégration négative et intégration positive.

24La CJUE a accompagné cette évolution en renonçant pour l’essentiel à en juger. Pourtant, certaines des conditions attachées aux « protocoles d’accord » jettent le doute sur leur compatibilité avec les traités. C’est le cas au regard de certains des objectifs et principes sociaux édictés par ces derniers, du partage des compétences dans le champ social entre l’UE et les États membres – notamment parce que les conditions associées aux plans d’assistance vont à l’encontre de la lettre des traités, s’agissant des questions de rémunération ou de droit des conventions collectives – ou encore au regard de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Pourtant, comme l’explique Aristea Koukiadaki dans ce dossier, si la CJUE a accepté de juger (arrêt « Pringle ») de la compatibilité du traité établissant le MES avec les traités de l’UE, elle a refusé de se prononcer sur le contenu de la conditionnalité des prêts accordés au motif que les accords concernés ne relèvent pas du droit de l’UE. Dans les cas où les dispositifs visés relevaient du droit de l’UE, la Cour a refusé de juger du contenu des mesures au regard la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Alors que l’article 6 du traité de Lisbonne énonce que « l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », la Cour se montre réticente à l’utilisation de la Charte qui, dans son chapitre social, consiste en une liste de droits le plus souvent non justiciables (Roman, 2010). Pour diverses raisons, les procédures engagées auprès de la Cour européenne des droits de l’homme ou par les comités compétents de l’Organisation internationale du travail n’ont pas abouti. De même, Dorian Guinard, après en avoir analysé le contenu et précisé les critères qu’elle a dégagés, montre que la crise de la zone euro n’a eu aucun impact sur la jurisprudence de la CJUE quant au triple droit des services, de la concurrence et de la commande publique.

25De leur côté, dans leur contribution à ce dossier, Paolo Graziano et Miriam Hartlapp, en s’appuyant sur une approche « input-output » inspirée d’Easton, cherchent à expliquer comment, malgré la forte demande potentielle d’une politique sociale à l’échelle de l’UE dans le contexte de la crise, l’activité de régulation impulsée par la Commission dans le champ social a pu être quasiment réduite à néant. Les auteurs formulent trois hypothèses permettant de comprendre les changements au sein de la boîte noire du système politique des institutions de l’UE. En premier lieu, la composition politico-idéologique de la Commission, investie par le Parlement, importe. En deuxième lieu, l’action (output) de la Commission est le résultat de conflits et de rapports de force internes, entre les directions de la Commission et les différents commissaires, qui eux-mêmes dépendent des demandes (input) qui leur sont adressées. En troisième lieu, les politiques mises en œuvre sont fonction des rapports de force entre la Commission et le Conseil européen. Sur cette base, les auteurs expliquent l’inaction de la Commission dans le champ social, premièrement, par le changement de l’orientation idéologique majoritaire parmi le collège des commissaires ; deuxièmement, par le fait que dans le cours de la crise, la Commission, et plus encore la direction générale de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion en son sein, se sont trouvées marginalisées au profit d’une approche intergouvernementale, dans le cadre de laquelle l’Allemagne a fixé l’agenda.

Des divergences croissantes entre économies nationales sans mécanismes correcteurs

26La crise de la zone euro conduit, en deuxième lieu, à reconsidérer les enjeux attachés à l’hétérogénéité croissante entre les États membres produite par l’architecture institutionnelle, ancienne et plus encore nouvelle, de l’UEM ainsi que ceux qui dérivent de l’absence de dispositif pour y faire face. Les problèmes liés au mandat de la (BCE) et à l’absence de son rôle de prêteur en dernier ressort ont depuis longtemps été mis en évidence. De même de nombreux travaux ont débattu, dès l’origine, du contenu des critères de Maastricht complétés par ceux du Pacte de stabilité (révisé) et de leur caractère plus ou moins contraignant sur les orientations des politiques budgétaires nationales. Si la zone euro n’a, dès sa conception, jamais été considérée comme une « zone monétaire optimale », en revanche l’exploration des facteurs explicatifs des disparités croissantes entre économies nationales et de l’absence de force de rappel n’a pas d’emblée appelé la même attention. Plusieurs facteurs ont été, depuis, identifiés. Un premier est imputable aux différences, faibles mais persistantes, des taux d’inflation nationaux, qui engendrent des taux d’intérêt réels et donc des cycles économiques divergents en présence de taux d’intérêt nominaux uniques fixés par la BCE pour l’ensemble de la zone (Bibow, 2006 ; De Grauwe, 2013). Le second mécanisme a trait à l’évolution des coûts salariaux (Dullien et Fritsch, 2008 ; Flassbeck et Spiecker, 2011). Une zone monétaire unique, pour fonctionner harmonieusement, requiert de ce point de vue une évolution des coûts salariaux indexés en moyenne, au sein de chaque économie nationale, sur les gains de productivité majorés de la cible d’inflation de la BCE. Or, pendant la période courant de l’introduction de la monnaie unique au déclenchement de la crise, les coûts salariaux unitaires (soit le rapport entre les coûts salariaux et la productivité du travail) ont systématiquement divergé par le bas (en Allemagne) ou par le haut (dans les pays d’Europe du sud) par rapport à cette norme. Il en a résulté des écarts conjoncturels et de compétitivité grandissants, nourrissant les déséquilibres des balances courantes extérieures, rendus durablement possibles par le recyclage des excédents d’épargne des économies du cœur de la zone euro vers les économies du sud.

27Il est vrai que l’architecture de l’UEM n’a jamais été conçue ni pour coordonner efficacement les politiques budgétaires nationales et produire l’impulsion budgétaire requise par la situation macroéconomique à l’échelle de la zone euro dans son ensemble, ni pour établir la coordination des autres politiques économiques et sociales (fiscales, salariales et encore moins sociales) d’intérêt commun. Mais elle a pour seul objectif le respect du mandat de la BCE et l’interdiction de tout mécanisme de correction des déséquilibres et redistribution entre États membres. Pourtant, les sources de ces divergences ne manquaient pas : le bénéfice de taux d’intérêt réels faibles pour les économies du sud en rattrapage, les carences du cadre institutionnel lui-même, ou encore la mise en œuvre de politiques nationales non coopératives visant à la recherche de la compétitivité via la « modération salariale » (Mathieu et Sterdyniak, 2007).

28En raison de la perte de l’outil monétaire et compte tenu de marges de main-d’œuvre budgétaires contraintes à l’échelle nationale par le pacte de stabilité (l’impulsion budgétaire a été faible ou nulle à l’échelle de la zone euro), l’ajustement des déséquilibres au sein de la zone était en effet censé emprunter le canal de la compétitivité externe opérant par le coût du travail et les « réformes structurelles ». Des marchés des produits et du travail rendus plus flexibles, grâce à la remise en cause du droit des négociations collectives et du travail ainsi qu’à des systèmes nationaux de protection sociale amaigris, « actifs » et devant avoir pour priorité « l’investissement dans le capital humain » étaient censés jouer un rôle central pour amortir les chocs économiques et favoriser la convergence entre économies.

29De ce point de vue, malgré ses innovations en matière de renforcement à l’échelle européenne de la surveillance et des sanctions éventuelles des politiques budgétaires et de réformes structurelles nationales, la nouvelle architecture de la zone euro (Hacker, 2015) consolide cette économie générale. Conformément à ce qui est devenu, sous le leadership du gouvernement allemand, le « consensus de Berlin », la gestion de la crise et les nouvelles institutions et procédures mises en œuvre au cours des dernières années ont visé précisément à mettre en œuvre dans tous les États membres cette orientation, et avant tout dans les pays soumis aux programmes de la troïka : des dévaluations internes réalisées grâce aux coupes budgétaires et des « réformes structurelles » avec pour finalité de restaurer la compétitivité et la soutenabilité des dettes publiques.

30Dans son essai, Steffen Lehndorff explicite la logique sous-jacente : en s’appuyant sur l’analyse détaillée des effets de la crise menée par un collectif de chercheurs dans dix Etats membres (Lehndorff, 2015), il met en avant le « théorème de la ménagère souabe » – symboliquement réputée dans le débat public en Allemagne pour sa sagesse d’épargnante [8] –, selon lequel l’intérêt collectif de la zone euro est le mieux servi si chaque Etat membre « fait le ménage » chez lui, c’est-à-dire « ne vit pas au-dessus de ses moyens » (couper dans les dépenses publiques et abaisser les coûts salariaux) et mène à cette fin les réformes requises. Cela implique que tous les États membres doivent converger dans la même direction, vers un modèle social compatible avec les ajustements marchands, mais pas pour autant vers des standards économiques et sociaux européens communs. En effet, compte tenu de la diversité initiale des SNPS et des relations professionnelles, et plus encore de l’impact économique de politiques d’austérité d’une ampleur très inégale selon les États membres, cette stratégie a conduit à une hétérogénéité croissante au sein de la zone euro. Mettant fin à un mouvement de convergence des pays d’Europe du Sud depuis leur accession à l’UE vers ceux d’Europe du Nord et interrompant le rattrapage – important quoiqu’inégal – des pays d’Europe centrale et orientale, la crise de la zone euro et la gestion dont elle a été l’objet ont mis à mal l’une des finalités fondamentales du projet d’Europe sociale : celle d’une homogénéité croissante des niveaux et des conditions de vie entre États membres. Selon la synthèse qu’en fait Bernadette Ségol : « La réalité est beaucoup plus complexe qu’un simple face-à-face entre vertueux et profiteurs. Elle peut se résumer de la manière suivante : l’union économique et monétaire, telle qu’elle a été créée et fonctionne aujourd’hui, renforce par divers mécanismes les économies fortes et affaiblit les économies fragiles ». Le fonctionnement de la zone euro avait accentué le mouvement de polarisation des activités économiques et des spécialisations industrielles ; la gestion de la crise l’a approfondi et y a ajouté l’aggravation rapide et substantielle des disparités sociales entre États membres (Dauderstädt, 2014 ; Boisson-Cohen, 2015 ; IGAS, 2015).

La crise, « révélateur » du rôle et de la diversité des cultures politiques nationales

31La crise de la zone euro, en troisième lieu, révèle le problème posé par la diversité des cultures (politiques, économiques et sociales) nationales et des redoutables difficultés qui en résultent pour tout projet d’Europe sociale. Le point n’est pas nouveau, mais il a été constamment sous-estimé à la fois par les dirigeants et par la majorité des chercheurs en sciences sociales, au premier rang desquels la majorité des économistes européens. On peut d’ailleurs observer d’emblée que le caractère central, pour le fonctionnement de l’ordre marchand, de la monnaie en tant que convention sociale et la nécessité de la légitimer par un ordre politique et des valeurs partagées (Orléan, 2011) ont été, dans le cas de l’euro, presque toujours ignorés. Pourtant la crise de la zone euro a rendu à bien des égards cette dimension culturelle manifeste. La dérive continentale évoquée par Steffen Lehndorff a incontestablement une dimension politico-culturelle, que le conflit entre l’Allemagne et la Grèce a crûment manifesté. La mécompréhension entre l’Allemagne et la France, si elle comporte une dimension de rivalité stratégique bien connue, passe aussi par l’ignorance symétrique des problèmes linguistiques, comme l’a bien illustré la longue controverse entre les deux pays sur le fameux « gouvernement économique » (Barbier, 2015). Au-delà, la crise permet de mieux comprendre les problèmes posés dès l’origine par la conception initiale des institutions et le fonctionnement de l’UEM issus, en grande partie (via le rapport Delors-Pöhl sur la marche vers l’UEM), de la tradition ordolibérale allemande. Les réponses données à la crise sous la houlette des gouvernements Merkel ont paradoxalement réactivé cette approche, qui revient à exporter dans l’ensemble de l’UEM des pans entiers d’une culture nationale de la politique économique et monétaire, sans les mécanismes de redistributions et les institutions sociales et démocratiques qui viennent la compléter en Allemagne. En été 2015, les propositions les plus récentes du ministre Wolfgang Schaüble visant à « dépolitiser » le rôle de la Commission ont reçu un accueil glacial de la part des dirigeants de la Commission, et, en particulier de son président Juncker. Cela n’empêche pas qu’elles illustrent parfaitement les conséquences que certains dirigeants allemands voudraient tirer pour l’ensemble de l’Union de leur vision ancrée dans l’ordo-libéralisme.

32Ici, le problème de la diversité culturelle et linguistique, traité par László Marácz, est central pour tenir compte de l’absence d’un authentique espace public unifié à l’échelle européenne – sans lequel le sentiment d’appartenance à une « communauté de destin » peine à voir le jour –, mais aussi pour saisir la diversité nationale des catégories de pensée et des manières d’agir en matière d’emploi et de protection sociale, ou encore les différences d’attitudes et d’opinions des citoyens à l’égard de la construction européenne. C’est en passant par l’analyse fine des cultures politiques et sociales nationales que l’on peut aussi comprendre l’impact de cette dernière sur les transformations des SNPS comme l’illustre le cas danois, dont rend compte ici Silvia Adamo.

33Dominée par le gouvernement allemand, la gestion de la crise a réactivé les principes de l’ordolibéralisme allemand déjà influents dans la construction de l’UEM (Lechevalier 2015). L’originalité de l’ordolibéralisme allemand par rapport à d’autres variantes du néolibéralisme au xxe siècle réside dans l’idée que le marché n’est pas en soi autorégulateur et que, laissé à lui-même, il conduit au contraire à la concentration des pouvoirs. Il revient donc à l’État de promouvoir et surveiller le bon fonctionnement d’un ordre concurrentiel en fixant les règles du jeu au moyen de principes constitutionnels et de régulation (c’est l’Ordnungspolitik, un concept qui ne se laisse pas aisément traduire dans les autres langues de l’Europe). À cet égard, la stabilité monétaire joue un rôle clef pour garantir le bon fonctionnement des signaux-prix. Les marchés où prévaut un ordre concurrentiel conforme aux principes ordo-libéraux sont censés améliorer le bien-être des citoyens et doivent donc être considérés comme générateurs de progrès social, alors que le rôle de « l’État social » ne saurait être autre que minimal. Le « gouvernement par les règles » et la sanction de leur violation pour éviter les comportements irresponsables (en termes de « risque moral ») sont à cet égard centraux. L’activité politique elle-même, dans cette approche, est source de perturbation, comme l’ont illustré tout un pan de commentaires en Allemagne sur le fonctionnement de la démocratie grecque.

34À travers les institutions créées par le traité de Maastricht, puis à nouveau par son approche ordolibérale de la gestion de la crise, l’Allemagne a de facto « exporté » une clé de voûte de sa culture politique et économique nationale, mais sans les institutions et les complémentarités institutionnelles qui la complètent outre-Rhin. Contrairement à l’Allemagne, l’UEM ne dispose en effet ni d’un système fédéral fortement redistributif ni d’une politique budgétaire centralisée et elle peut encore moins reproduire les complémentarités institutionnelles propres au « capitalisme coordonné » rhénan (Lechevalier, 2013). Imposer une politique économique et sociale – au moyen de règles uniformes et rigides, donc inefficaces, et sans mécanismes de redistribution ou de contrôle démocratique à l’échelle de l’UE – à des États membres avec des systèmes économiques et sociaux et des besoins contrastés – conduit en réalité à accroître les divergences entre les économies nationales et aiguiser les conflits politico-culturels entre États membres (Hall, 2014).

35Dans cet ordre des phénomènes politiques et culturels, soulignons l’originalité de la contribution de László Marácz. Linguiste polyglotte, il s’attaque au problème des langues dans la vie politique de l’Union, et, en particulier, de la place de l’ « anglais européen ». Il souligne que la compétence en anglais est très diversement partagée entre les « élites » et les gens ordinaires, mais aussi au sein des élites elles-mêmes, dans un pays donné de l’Union. Pour ce faire, il traite du cas des Pays-Bas et montre que le scepticisme, voire l’hostilité vis-à-vis de l’intégration européenne sont devenus des facteurs clés de la politique nationale. Parallèlement, la langue politique, qui est partagée par les électeurs, est chargée de significations négatives vis-à-vis des étrangers. Le lien de son analyse avec la crise de l’euro tient dans le fait que ces significations xénophobes profondément ancrées dans le néerlandais de la politique ordinaire fleurissent dans le discours des hommes et femmes politiques en période de crise. Il en tire la conclusion que la protection sociale a peu de chances d’être considérée, en période de crise encore plus qu’à l’ordinaire, comme un bien commun entre tous les Européens, et que l’anglais européen ne saurait être en mesure d’être un vecteur crédible pour une solidarité transeuropéenne. Le raisonnement de l’auteur est très original dans la production classique des sciences sociales qui traitent de la protection sociale. Il ouvre la voie à des analyses complémentaires des liens causaux entre langue, participation politique, solidarité, protection sociale et crise politique. C’est une ligne de recherche qui, cependant, émerge progressivement : on commence à peine à s’apercevoir dans cette littérature, elle-même en anglais, que l’idée d’une communauté politique européenne s’exprimant uniquement en anglais est irréaliste (Barbier, 2015).

La crise et les pays qui n’appartiennent pas à la zone euro

36Le fonctionnement habituel des appels à propositions d’articles sur un thème donné aboutit en général à une couverture partielle du sujet : l’appel lancé par la Revue française des affaires sociales pour le présent dossier ne déroge pas à la règle. Il a eu l’avantage, à l’inverse, de provoquer l’écriture de deux articles consacrés à des États membres qui sont hors de la zone euro, ce qui permet de compléter le paysage comparatif. Le premier, de Silvia Adamo, traite du Danemark, dont on sait qu’il a toujours refusé d’entrer dans l’euro. L’auteur revient sur la question de l’évolution récente du système de protection sociale danois, en insistant sur l’évolution « libérale » de la période récente : les auteurs danois, comme Per K. Madsen, par exemple, avaient déjà souligné ce point au moment où le Danemark recueillait les fruits de son « invention » de la « flexicurité ». Mais le trait, déjà connu depuis le gouvernement de centre-droit d’Anders Fogh Rasmussen (modifiant les règles de traitement des réfugiés et des immigrants à partir de 2002), que l’auteur met particulièrement en relief, est la prééminence de la question des droits des « migrants » et des étrangers dans le débat politique danois depuis plusieurs années. L’attention à ce sujet a été captée par les partis politiques, encore plus intensément avec la crise. De ce point de vue, les Danois, qui ont élu en juin des représentants très majoritairement à droite et à l’extrême-droite, peuvent être considérés en quelque sorte comme des « précurseurs » dans l’Union européenne (Silvia Adamo rappelle qu’en raison des protocoles signés par le Danemark, ce pays n’est en particulier pas tenu d’appliquer la loi européenne dans le cadre du « regroupement familial »). La méfiance danoise vis-à-vis du droit de l’Union n’a fait que s’accroître, par opposition à une confiance dans un système national solidaire basé sur la réciprocité et l’origine ethniquement considérée comme homogène [9]. Le conflit du droit de l’Union avec le droit danois apparaît constant depuis plusieurs années et il est mis en exergue dans la vie politique : le conflit sur l’éligibilité aux allocations familiales, en 2010, fait écho à une question qui fut réglée en France, par l’arrêt Pinna en 1989. Par ailleurs, concernant l’application des directives de l’Union, le Danemark est en quelque sorte un modèle pour les États membres qui insistent sur l’obligation de travail des immigrants, comme la Grande-Bretagne et, plus récemment, certaines tendances politiques en Allemagne. Le Danemark a été un précurseur aussi concernant le prétendu « tourisme social ». Avec la crise, les « solutions » danoises pourraient gagner ailleurs de nouveaux partisans. Il est crucial d’observer qu’elles vont dans le sens d’une mise en cause, au moins potentielle, de la liberté de circulation des travailleurs, l’un des piliers du marché unique. Enfin, nous dit Silvia Adamo, ici aussi, la question de « l’intégration linguistique » est un point essentiel pour les immigrants extra-communautaires. À travers la question du traitement des immigrants, le Danemark pose en fait un problème bien plus large, qui est celui des compétences de l’Union et de celles des nations.

37L’article de Tomáš Sirovátka est très différent. L’auteur est familier de l’exercice qui consiste à apprécier l’impact des initiatives de « soft law » de l’Union sur les politiques tchèques. Il a aussi montré combien l’application du « hard law » (le droit impératif) était problématique dans son pays, comme l’avaient montré, de leur côté Falkner et Treib (2008). Dans la première partie, l’auteur montre que les effets de la crise économique sont décisifs pour les politiques sociales dans son pays. Une forme d’austérité a été mise en œuvre, qui n’est pas fondée sur les règles de fonctionnement de l’euro, mais les procédures de coordination budgétaire et économique s’appliquent aussi à la République tchèque, tout particulièrement le principe de la procédure pour « déficit excessif ». Les gouvernements, nous indique-t-il, ont utilisé, comme dans la zone euro, la crise pour introduire des mesures plus néo-libérales, alors même que les orientations s’en inspirant y sont installées depuis les années 1990. Plus généralement, l’article de Tomáš Sirovátka insiste sur un point qui demanderait à être comparé plus systématiquement dans les autres pays d’Europe centrale et orientale, mais aussi dans les plus anciens Etats membres : à savoir le rôle des couleurs politiques des coalitions gouvernementales. Ce qu’il montre, pendant les années de la crise économique, c’est que les réformes introduites peuvent être largement attribuées aux variations politiques nationales en dépit de politiques d’orientations budgétaires proches. Les gouvernements de droite, nous dit-il, n’ont pas tenu compte, de 2009 à 2013 dans l’application concrète, des orientations de la stratégie Europe 2020. D’autre part, en matière d’identification de l’influence européenne, Tomáš Sirovátka réaffirme ses précédentes analyses, à savoir que la pratique tchèque ressortit plutôt à une attitude de « ritual compliance » (conformité apparente dans l’application des règles). Il conclut d’ailleurs, de façon relativement désabusée sur le fait que les gouvernements tchèques sont particulièrement « disciplinés » sur des questions très particulières : la première est l’utilisation du Fonds social européen, dont l’importance est cruciale pour le financement de nombreuses politiques sociales (et des politiques de l’emploi et d’éducation ciblées) ; le second exemple typique tient à la politique d’éducation en faveur des enfants discriminés d’origine rom, en liaison avec la décision de la Cour de Strasbourg de 2007 : en 2013, des mesures sont enfin prises pour la faire respecter.

Conclusion

38Trois types de propositions de sortie de crise sont formulées dans les articles constituant le dossier, au moment où un nouveau défi considérable se présente à l’Europe sociale. Les premières émanent de BusinessEurope et s’inscrivent dans une perspective où les « réformes restent nécessaires » pour renforcer la « croissance à long terme ». Se félicitant de la nouvelle gouvernance de la zone euro et tout particulièrement de la consultation des partenaires sociaux sur les recommandations adressées par la Commission aux États membres dans le cadre du processus dit du « semestre européen », Thérèse de Liedekerke regrette cependant que les recommandations adressées aux États-membres par la Commission ne soient que trop partiellement mises en œuvre. Dans cet esprit, elle rend hommage aux propositions de réforme faites par le rapport des « cinq présidents » [10] (Commission européenne, 2015) « visant à améliorer la mise en œuvre de réformes structurelles par les États membres » en rendant les recommandations adressées par la Commission aux États membres « plus exécutoire ». De la même manière, les marges de flexibilité dans l’interprétation du pacte de stabilité ou encore « d’une fonction stabilisatrice » au sein de la zone devraient être « totalement conditionnées à l’achèvement de réformes structurelles par les Etats membres ». Dans ce cadre, la dimension sociale de l’intégration européenne, qui n’est pas questionnée – les conséquences sociales de la crise ne sont d’ailleurs mentionnées nulle part – est conçue comme devant être au service de la croissance, selon une approche qui fait écho à la stratégie dite « d’investissement social » mise en avant par la Commission européenne (2013) (Laruffa, 2015). En conséquence, les propositions faites visent principalement à améliorer la productivité du travail, par des systèmes d’éducation et de formation « répondant mieux aux besoins du marché » et favorisant l’employabilité, en complément d’une révision du droit du travail nécessaire pour « promouvoir la création d’emplois et répondre aux besoins diversifiés des entreprises et des salariés en matière de formes de contrats de travail ».

39Ces propositions dessinent une stratégie au « fil de l’eau » qui, outre ses impasses politiques, économiques et institutionnelles (Höpner et Schäfer, 2010 ; IGAS, 2015 ; Pisani-Ferry 2015), a toutes les chances de mener à une dégradation accrue de la situation sociale dans l’UE. Les acteurs qui sont en sa faveur sont certes rendus puissants par un effet d’asymétrie : ils sont les plus forts au niveau transnational, mais leur légitimité politique s’est encore réduite comme peau de chagrin, depuis 2008, chez les citoyens : il suffit de consulter les variations de l’enquête Eurobaromètre depuis cette époque pour s’en rendre compte.

40Les propositions formulées par Bernadette Ségol visent, quant-à-elles, à une relance de l’Europe sociale portée par une réorientation de la stratégie macroéconomique et par un « retour du politique ». Compte tenu de la nécessité d’une relance de la demande, l’auteure salue la perspective ouverte par le « Plan Juncker » en matière d’investissement, tout en faisant état de ses limites évidentes. Elle souligne le fait que la relance de la demande dans la zone euro passe également par une réduction des inégalités de revenus – conformément aux travaux récents sur les liens entre croissance et redistribution –, qui favoriserait par ailleurs la convergence économique et sociale. Regrettant que la stratégie de « flexicurité » ait été abandonnée au profit d’une flexibilité « à outrance », la Secrétaire générale de la CES plaide également pour une relance du dialogue social destinée à produire un « socle de normes sociales qui s’appliquent à tous les travailleurs ». Elle regrette que les accords négociés à l’échelle européenne aient vu leur force contraignante affaiblie ces dernières années et en appelle à la Commission.

41L’idée centrale cependant mise en avant, qui est, on l’a vu, l’un des enseignements essentiels à tirer de la crise, est que la viabilité de la zone euro à long terme est conditionnée par la nécessité de mécanismes de mutualisation des coûts et des avantages entre États membres. Bernadette Ségol en appelle à cet égard à un « retour déterminé du politique », qui doit passer par un discours moins « unilatéral » sur les coûts de l’union monétaire et ouvrir la voie à une union prenant à-bras-le-corps cette problématique de la mutualisation. Les propositions formulées par la CES ne vont pas jusqu’à dire comment il serait possible de rassembler des forces politiques pour contraindre les pouvoirs actuels à changer le cours de leurs décisions, dans un contexte où la gestion de la crise a paradoxalement marginalisé l’Europe sociale. À cet égard, la thèse défendue ici par Steffen Lehndorff est intéressante, d’autant plus qu’elle insiste, de manière bienvenue et originale, sur les inégalités de développement entre les pays membres de l’euro et sur les inégales contraintes qui s’imposent à eux. Surtout, fondée sur la dynamique économique de fait, sa thèse a l’avantage de souligner cette dimension essentielle de la résolution de la crise. On voit mal cependant quelles sont et seront les forces qui seraient capables, au double plan national, d’où il propose de repartir, et transnational, de promouvoir la réorientation qu’il estime indispensable.

42Si des institutions plus fortes ont été mises en place avec la contrainte de l’austérité et des politiques structurelles, les risques tels que ceux d’éclatement de la zone euro, d’une sortie de tel ou tel pays, d’une stagnation prolongée, etc., sont toujours bien présents. Les dommages infligés par cette gestion de la crise (qui est loin d’être terminée, comme en témoigne la popularité d’un scénario de la sortie de la Grèce dans plusieurs milieux dirigeants) sont peut-être irrémédiables, il est trop tôt pour le dire.

43Le dilemme général est bien résumé en fait par le dialogue entre Jürgen Habermas et Fritz Scharpf. Tous les deux s’accordent sur le caractère antidémocratique de l’Union, le premier pour le déplorer (Habermas, 2011) et appeler à son dépassement, le second pour faire le constat d’un dépassement impossible (Scharpf, 2014). Habermas et Scharpf parlent expressément de l’Europe sociale pour en dire les difficultés extrêmes, avec des conclusions opposées : le premier, pour dire qu’il faut continuer à la promouvoir, le second, pour penser que le combat est perdu et qu’il faut se replier sur le niveau national.

44Or, après la crise de la zone euro, l’année 2015 aura rendu éclatant un défi latent pour l’Union européenne depuis l’intégration en 1997, dans le traité d’Amsterdam, celui de « l’acquis de Schengen » et des dispositions selon lesquelles « l’Union européenne développe une politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre États membres » (article 67 de l’actuel TFUE, alinéa 2). Cette politique commune a vocation à harmoniser les réglementations nationales sur l’entrée et le séjour des ressortissants des pays tiers. Selon l’article 77 TFUE, elle vise en particulier à « assurer le contrôle des personnes et la surveillance efficace du franchissement des frontières extérieures » et à « mettre en place progressivement un système intégré de gestion des frontières extérieures », qui a donné lieu à la mise en place de l’agence Frontex. D’après l’article 78 TFUE, « l’Union développe une politique commune en matière d’asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire visant à offrir un statut approprié à tout ressortissant d’un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le respect du principe de non-refoulement ». Enfin, les politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration « sont régies par le principe de solidarité et de partage équitable de responsabilités entre les États membres, y compris sur le plan financier » (article 80 TFUE).

45Car la crise des prétendus « migrants » (c’est-à-dire la fuite éperdue vers l’Europe de centaines de milliers de personnes pauvres, opprimées, en danger dans des circonstances de guerre, ou qui cherchent à rejoindre ceux des leurs qui ont pu passer en Europe), crise qui est saisie au bond par les dirigeants allemands, pose en fait la question de l’architecture la plus essentielle, de la colonne vertébrale juridique de l’Union, à savoir la considération du marché sans frontières, et l’équivalence en droit présumée de tous les individus indépendamment de leur inscription nationale. Donc, le fait que le système juridique européen est lié aux droits de l’homme par un lien (la mobilité et la liberté de circulation des travailleurs, et des personnes), qui est en train de se déliter dans une partie croissante de l’UE : Europe centrale, Hongrie en tête, Royaume-Uni, pays scandinaves (à l’exception de la Suède), dans une partie de l’opinion allemande et, surtout, française.

46Quand on sait combien le droit de l’Union, en particulier la CJUE a soutenu, par le passé, l’extension continue des droits de l’homme et, pareillement, l’extension des droits sociaux aux non-citoyens de l’Union (Ferrera, 2005), en parfaite cohérence avec une conception élargie des droits de l’homme qui ne peut faire abstraction du malheur des citoyens européens, mais aussi des « extra-communautaires », comme on les appelle en Italie (Supiot, 2009), il est indéniable que ce cœur de l’Europe sociale est désormais directement menacé.

Notes

  • [1]
    L’expression, métaphorique, est insatisfaisante, mais pratiquée dans le langage politique.
  • [2]
    Nous partageons sur ce point la vue d’Andy Smith, qui relativise radicalement la différence entre « gouvernance » et « gouvernement » (Smith, 2006).
  • [3]
    Le préambule du traité de l’Union (TUE) fait explicitement référence « aux droits sociaux fondamentaux tels qu’ils sont définis dans la charte sociale européenne, signée à Turin le 18 octobre 1961, et dans la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989 ».
  • [4]
    Ludwig Erhard, qui fut ministre de l’Économie de 1949 à 1963, avant de devenir chancelier, et Alfred Müller-Armack, qu’il avait appelé au ministère et qui fut chargé de la négociation du traité de Rome pour l’Allemagne, se revendiquent tous deux, quoique de manière contrastée, de l’ordolibéralisme.
  • [5]
    À la tête d’un groupe d’experts de l’OIT, le Suédois a publié le « rapport Ohlin » qui a constitué la base de l’écriture du traité de Rome, et notamment, de sa conception des rapports entre l’intégration européenne et les droits nationaux du travail.
  • [6]
    Comprenant la « politique de l’emploi ».
  • [7]
    On a coutume de présenter les « quatre libertés de circulation » alors qu’en plus de la liberté de circulation des biens, des hommes, des capitaux et des services, il faut compter, et de façon croissante, avec la liberté d’installation dans les autres États membres pour les agents économiques et avec la libre prestations de services, qui revêt une importance de plus en plus significative, notamment pour le secteur de la santé. Contrairement à l’appellation popularisée par la Cour de justice, ces libertés n’ont jamais été, selon la lettre du droit primaire, des libertés « fondamentales ».
  • [8]
    À l’origine formulé par un journaliste allemand, spécialiste des questions économiques, Thomas Fricke, pour railler le parallèle entre le comportement d’épargne de la « ménagère souabe » et les effets (macroéconomiques) des politiques d’austérité budgétaire à l’échelle des États, ce théorème été repris dans certains travaux académiques sous l’appellation de syndrome OHIO (Onw House in Order) (Pisani-Ferry, 2015).
  • [9]
    Les statistiques de Dansk Statistik distinguent les bénéficiaires de la protection sociale selon qu’ils sont « Danois de souche » (personer med dansk oprindelse : littéralement, personnes d’origine danoise), ou étrangers (indvandrere) ; les descendants d’immigrants, même quand ils ont la nationalité danoise, sont encore comptés dans une catégorie différente de celle des Danois « de souche » ou « efterkommere » c’est-à-dire « descendants » d’étrangers.
  • [10]
    Président de la Commission, président du Conseil européen, président de la BCE, président de l’Eurogroupe et Président du Parlement européen.

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Jean-Claude Barbier
Directeur de recherche CNRS-CES, université Paris I Panthéon-Sorbonne.
Arnaud Lechevalier
Université Paris 1, Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (UMR 3320) CNAM-CNRS.
Mis en ligne sur Cairn.info le 18/12/2015
https://doi.org/10.3917/rfas.153.0005
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