CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer  [2]

1Dès votre thèse[3], vous avez travaillé sur la crise environnementale. Pourquoi vous êtes-vous intéressé à cette question ?

2Contrairement à ce que l’on pourrait penser, je ne m’intéresse pas à l’écologie depuis toujours. J’ai fait une école d’ingénieurs pour travailler dans le sport automobile, le génie mécanique. Mais je faisais beaucoup de moto et me sentais en décalage avec le côté élitiste de l’école. Je me posais des questions sur la société contemporaine et comme j’ai été exempté de l’armée, j’ai pris un an pour voyager. J’ai choisi le vélo comme mode de transport de manière totalement rationnelle et je suis allé jusqu’en Inde. En revenant, je me suis dit que le monde occidental avait de gros problèmes, que j’avais envie d’y travailler et que la mécanique n’était pas le meilleur moyen pour les résoudre. Toujours de manière rationnelle, je me suis demandé quel était le meilleur outil pour réfléchir au monde contemporain et, par déduction, je suis arrivé à la philosophie. J’avais travaillé, entre-temps, mais cela ne me satisfaisait pas sur le plan du sens. J’ai donc repris des études de philosophie en licence et fait ma thèse sur les changements climatiques. Le changement climatique, c’est de la physique, de la mécanique des fluides, comme les moteurs, donc c’était facile à comprendre pour moi, beaucoup plus que la biodiversité, qui nécessite des connaissances en biologie. Comme il s’agissait de sciences humaines, j’ai dû écrire dans ma thèse que le changement climatique était une hypothèse. Mais pour moi, avec mes connaissances en physique, ce relativisme de principe était problématique.

3Le relativisme porte davantage sur les causes du changement climatique, pas sur le phénomène lui-même ?

4Lorsque j’ai soutenu ma thèse en 2002, le changement climatique même suscitait des doutes. Aujourd’hui, on ne le dirait plus ainsi mais il faut comprendre pourquoi les sciences humaines ont tant de mal à s’emparer des questions écologiques. La cause générale est leur absence de formation en sciences « dures » : pour elles, tout ce qui est réalité est une construction sociale. Par conséquent, tout ce qui est présenté comme n’étant pas construit est forcément une imposture. Cela aboutit à un relativisme généralisé, assez irrationnel en réalité.

5Cela explique pourquoi je me suis intéressé au changement climatique : j’avais des connaissances et il me semblait que c’était la clé qui me donnerait accès à la crise écologique en général. C’est ce que beaucoup de gens pensent, mais en partie pour de mauvaises raisons. Le climat n’est qu’en partie soluble dans l’ingénierie, même si nous avons l’impression que nous pouvons nous saisir du climat d’une façon technique. Même le GIEC fonctionne sur ce postulat. Les politiques pensent donc que l’on va résoudre le problème en mettant en place des taxes, des permis. Mais la réalité, le CO2 a très peu d’existence pour la population. Les politiques n’ont donc aucune lisibilité.

6Mais les catastrophes, elles, se perçoivent et inquiètent beaucoup les citoyens ?

7Les grands phénomènes climatiques inquiètent mais pour que la population se saisisse d’un problème, il faut qu’il y ait des causes et des conséquences. Or, dans le changement climatique, il n’y a pas de lisibilité des causes, même si l’on commence à voir les conséquences. La problématique est proche de celle de la Sécurité sociale pourtant : certes, on ne le voit pas mais on a l’impression d’avoir une prise. Il y a des actes, des visites chez le médecin, à la pharmacie, etc. Cela renvoie à un vécu. Ce vécu peut s’agréger avec d’autres vécus dans l’espace public et avec des conséquences globales. En matière de climat, le Français moyen n’a pas de lisibilité de la chaîne de conséquences. Elle est « invisibilisée », car de puissants intérêts souhaitent éviter de perdre le contrôle. La population ne sait pas où est le carbone, et même quand elle fait le lien entre l’utilisation de sa voiture ou son chauffage et l’émission de gaz à effet de serre, elle n’a pas de marges de man œuvre.

8Or, penser une politique sans voitures, par exemple, cela ne dépend pas seulement des individus ni même des politiques. Nous avons une difficulté d’élaboration collective du débat. Quels sont les grands choix à faire ? Les grands clivages ? Les grands leviers ? C’est sur ce point que les militants écologistes n’ont pas assez de prise avec les milieux populaires. Manger bio ne coûte pas forcément plus cher mais demande un capital culturel, une organisation, des réseaux. Actuellement, les enjeux sont encore périphériques pour une partie de la population, ce n’est pas pour eux l’urgence immédiate, même si l’urgence existe. De plus, au-delà de la compréhension, il manque aussi une dynamique collective. C’est ce qu’écrivait Serge Moscovici dans Les minorités actives : ce n’est pas parce qu’une personne a compris que toutes les autres suivent. C’est une logique de groupe à construire. Cela peut se faire assez rapidement, lorsque le seuil de l’inacceptable est franchi.

9Votre expérience en Inde[4] vous a-t-elle aidé à penser ce type de prise de conscience collective ?

10Oui, car cela m’a permis de penser la grande différence entre le monde occidental et les pays qui ont été colonisés : eux n’ont pas reçu le projet de mission civilisatrice comme un cadeau de Dieu ou comme ce qu’ils attendaient depuis toujours. Il y a donc toujours eu en Inde des courants progressistes, mais critiques vis-à-vis du progrès. L’écologie fait partie de ces dimensions critiques. La destruction de la nature a fait partie dès le départ des facteurs d’interrogation. Gandhi disait par exemple que l’indépendance, ce n’était pas faire comme les Anglais à la place des Anglais. Il fallait que l’Inde invente sa propre voie de civilisation, indépendamment du machinisme, du capitalisme, puisque tout cela avait mené au colonialisme.

11Ce courant existe encore. Il est minoritaire mais important, y compris dans la sphère politique. La difficulté est de le positionner sur l’échiquier politique. Par exemple, Vandana Shiva : les progressistes classiques, socialistes, vont avoir tendance à la classer à droite, voire à l’extrême droite, parce qu’elle défend la culture et l’identité indienne et critique l’Occident alors que pour eux l’Occident signifie la modernisation, le progrès. C’était le même débat en France avec Serge Latouche, dont les textes ont été publiés par un groupuscule d’extrême-droite, ce qui a laissé penser que c’était une pensée réactionnaire.

12À mon sens, la grande ligne de partage, c’est que les écologistes pensent que la science et la technologie sont un phénomène culturel. Alors que pour les progressistes, la science et la technologie sont la raison universelle.

13Si l’on revient au contexte français, comment le mouvement écologiste devrait-il se positionner selon vous ?

14La critique de la croissance et la critique de la technologie existent, en France. Ce n’est pas là qu’est la différence. La différence, c’est que l’Inde représente la mondialisation à elle seule : on y trouve à la fois des classes moyennes supérieures qui vivent pratiquement comme nous et ses peuples premiers, ceux qui sont à l’âge de pierre, technologiquement parlant. Au contraire, en France, tout est industrialisé ou presque. Dans la division internationale du travail, la France est un bureau d’études, avec principalement des professions tertiaires. Cela signifie que l’on consomme du secondaire et du primaire pris ailleurs.

15En Inde, on observe un conflit entre les intérêts de plusieurs « classes » : les « omnivores », ceux qui mangent de tout, partout, sans savoir d’où cela vient et qui vivent en ville et les peuples des écosystèmes, qui vivent là où sont prises les ressources pour ceux qui habitent en ville. Et entre les deux, les réfugiés écologiques, qui vivent dans les bidonvilles et ont été obligés de fuir la dégradation produite par les omnivores. Le maoïsme, qui contrôle entre 1/20 et 1/5 de l’Inde, est lié à ces conflits-là. L’une de ses revendications est le combat contre la dépossession. Les maoïstes sont avec les autochtones, avec les paysans, contre les grandes entreprises indiennes qui viennent pour prendre du minerai et fabriquer India Shining. C’est le slogan des modernistes : l’Inde, pays émergent, bientôt grande puissance mondiale. Avec des villes et des métros comme tout le monde. Mais les classes populaires sont plutôt critiques par rapport à la modernisation, elles ne pensent pas nécessairement que c’est génial. Elles n’ont pas les moyens d’infléchir la tendance à grande échelle. Le problème est qu’elles peuvent infléchir la tendance à l’échelle individuelle ou locale mais ont difficilement prise sur la politique du pays. Il y a quelques Indiens qui relaient cette résistance, quelques intellectuels comme Ashis Nandy [5], comme Vandana Shiva [6].

16Cela signifie-t-il que la croissance n’est pas une solution mais est devenue le problème ?

17Effectivement, penser la transformation sociale par la croissance, c’est une méthode qui a atteint ses limites. Cela ne signifie pas qu’il soit nécessaire de décroître totalement. Cela signifie que nous devons remettre en cause un « mantra » central au profit d’autres manières de penser.

18Autrement dit, les mouvements écologistes doivent s’emparer de la totalité du monde, des politiques publiques ?

19C’est d’ailleurs la définition de l’écologisme : un mouvement qui transforme la société parce qu’il tire les conséquences de la question environnementale, pour une transformation sociale. Alors que les environnementalistes ne traitent que d’environnement.

20La difficulté est de parvenir à intégrer l’écologie dans la situation pratique des classes populaires, dont l’urgence est de s’intégrer au système capitaliste industriel. C’est d’autant moins évident que l’environnement n’a pas été pris au sérieux, l’écologie était vue comme une variable d’ajustement.

21Maintenant, le mouvement commence à prendre. Il y a des moyens pour favoriser des formes populaires d’écologie comme la démocratie participative. On l’observe à l’échelon municipal, par exemple à l’Île-Saint-Denis avec son maire Michel Bourgain. Ce n’est pas directement de l’écologie mais cela montre qu’il y a une articulation possible entre la réappropriation démocratique et l’écologie. C’est le cas également avec les circuits courts : le fait de se réapproprier ce que l’on achète est écologique parce que l’industrialisation nous dépossède. C’est une manière de poser le problème qui est difficile à comprendre pour les socialistes, les marxistes classiques, qui ne fonctionnent pas de cette manière-là. Il faut apprendre à être pragmatiques et laisser de côté les analyses théoriques ou « macro » pour se demander ce que l’on peut faire en pratique. C’est d’ailleurs pour cela qu’une bonne partie des courants qui s’intéressent à l’écologie s’est tournée vers le pragmatisme. Sans penser plus loin car penser trop loin risque de créer des obstacles.

22C’est paradoxal car vous dites en même temps qu’il faut penser au niveau global et proposer aux citoyens une politique publique porteuse de sens.

23Effectivement, c’est l’absence de sens global que je reproche aussi aux pragmatistes, comme Bruno Latour : politiquement, c’est intéressant mais philosophiquement, ce n’est pas suffisant. Nous devons aussi penser l’époque, examiner ce qui entre en crise. C’est tout le travail philosophique classique.

24Mais le pragmatisme a un intérêt par ailleurs : il a permis de débloquer quelque chose au niveau des sciences sociales. Les sciences sociales ne savaient que faire de la nature. À partir du moment où Latour a dit qu’il n’y avait pas de nature, cela a résolu un problème. Cela l’a résolu faussement, à mon avis, ce n’est pas satisfaisant. Mais pragmatiquement, cela a montré aux sciences sociales qu’il y avait des « non humains ». On ne sait pas bien définir le concept, chacun l’interprète comme il en a envie, mais comme ce n’est pas « la nature » surplombante et sur laquelle on ne peut pas agir, cela a été utile quand même.

25Pourquoi écrivez-vous que l’écologisme est un mouvement antidémocratique ?

26Parce qu’il a été perçu comme tel par ses critiques. Pour le libéralisme, la démocratie c’est l’État de droit, la démocratie représentative et la main invisible. Or le mouvement écologiste ne peut se satisfaire de la démocratie représentative et cherche à favoriser la démocratie participative, ce qui a pu sembler antidémocratique. Par ailleurs, la désobéissance civile, vis-à-vis de l’État de droit, est une façon de privilégier la légitimité contre la légalité, ce qui, pour les libéraux, est une menace contre la société tout entière. Cela explique pourquoi des peines très fortes ont pu être demandées contre les faucheurs volontaires, sans toujours beaucoup de succès. Cela explique pourquoi il y a eu autant d’émois autour de quelques pieds de maïs. C’était effectivement grave de les faucher parce qu’il y avait justement l’État de droit derrière et surtout, l’économie. C’est-à-dire, la régulation par l’intérêt économique. Alors que les écologistes disent qu’ils vont réguler par d’autres principes. C’est une critique radicale de l’économie de marché mais elle n’est pas non plus antilibérale. Ce que les libéraux ont du mal à comprendre, c’est qu’il faut une société civile auto-organisée et ne pas tout planifier mais qu’en même temps, cela ne peut pas se faire dans le capitalisme.

27Pour les socialistes et les marxistes, en revanche, la première critique de l’écologisme porte sur la technologie : si vous êtes du côté des malthusiens, vous êtes des libéraux. Or ils estiment que ce qu’il faut critiquer n’est pas la technologie mais les rapports capitalistes de production. Or pour les écologistes, cela ne suffit pas. De plus ; ils sont généralement critiques par rapport à la planification, à la collectivisation, à la socialisation de la production.

28Cela explique l’extrême ambiguïté du courant de l’ecological economics, qui est vu par les libéraux comme étant socialiste et par les socialistes comme étant libéral. Ce n’est pas faux. C’est ce que je voulais faire dans ce livre (Nature et politique, 2014) : éclairer les choses. Il ne résout rien mais l’on comprend un peu mieux le paysage.

29Quelles seraient les solutions politiques pour ces différents courants ?

30Pour les socialistes et les marxistes, il faut prendre le pouvoir. Les écologistes ont une conception de la démocratie qui est assez différente. De plus, socialistes et marxistes comme libéraux pensent que l’écologie impose des modes différents de consommation, tient un discours collectif sur la consommation. En cherchant à favoriser le vélo plutôt que la voiture, par exemple. Pour les libéraux, ce n’est pas acceptable en raison de la souveraineté du consommateur, de l’individualisme. Le libéral fait abstraction des injonctions de la publicité et fait comme si le consommateur était parfaitement libre et librement informé dans des conditions de marché parfaites. Le marxiste se dit qu’il faut de la croissance pour avoir de l’argent et répondre aux besoins. Par exemple, pour construire des logements sociaux.

31Il est extrêmement difficile pour les mouvements progressistes de se demander comment avoir un levier pour produire différemment, d’imaginer non pas quelque chose de plus mais quelque chose de différent. Si on leur dit qu’il y a moins de moyens ou qu’il faut faire différemment avec autant de moyens, ils ont tout de suite l’impression de déserter le front de la répartition, de renoncer à la redistribution. Cette question de la redistribution est un point de tension majeur, pour de bonnes raisons.

32Est-ce que les droits de la nature ne peuvent pas permettre de dépasser cette contradiction ?

33Je ne le pense pas car je ne crois pas qu’il y ait une solution unique. Il y a une diversité de pistes, qui doivent être toutes explorées. Il ne faut pas penser que quelqu’un a la balle en argent qui va tuer le vampire d’un seul coup.

34Ce qu’apportent les droits de la nature, à mon avis, c’est de sortir d’une vision individualiste de l’environnement et de la nature où il faudrait forcément les rattacher à un intérêt humain immédiat. Les grands équilibres de la nature, des milieux, nous profitent mais il est très difficile de dire s’ils profitent à tel individu ou à tel autre parce que c’est très « macro ». Il est difficile de dire s’il y a un droit à la stabilité climatique, par exemple. Mais dire que la stabilité climatique en soi a sa dignité et qu’elle doit être protégée pour elle-même, c’est plus simple et tout le monde le comprend.

35Chacun saisit pourtant bien les effets négatifs de l’absence de protection ?

36Les spécialistes de l’éthique environnementale ont à ce sujet un débat sur la question de savoir qui est premier : est-ce la valeur intrinsèque de l’homme dans la nature ? Est-ce la valeur de la nature au regard de l’intérêt humain ? Ce qui m’intéresse, c’est que toutes ces raisons concourent à un même objectif : que la nature ait une dignité. Qu’il s’agisse d’une dignité par rapport à nous ou en soi, peu importe, et je pense que beaucoup peuvent se retrouver dans cette définition, qui est très basique. À partir de là, le tout est d’articuler les besoins humains immédiats (par exemple, l’isolation des bâtiments) avec la valeur intrinsèque de la nature.

37C’est une grande difficulté parce qu’à court terme, la valeur intrinsèque de la nature et les besoins humains immédiats s’opposent.

38Ils s’opposent car nous sommes dans un système fondé sur la valeur instrumentale de la nature. Cela est dû en partie à la volonté de résoudre les conflits humains et la lutte des classes par un rapport économique. Mais ce rapport économique est une machine à consommer de la nature dans le même temps. Donc nous devons le remettre en cause tout en trouvant des formes de vivre-ensemble nouvelles, qui s’inscrivent dans un référentiel encore inscrit nulle part. Si je reprends l’exemple de l’isolation des bâtiments, l’intérêt général est d’avoir des bâtiments qui consomment très peu, c’est évident sur le papier. Dans le même temps, le propriétaire qui paie son crédit ne peut mettre 20 000 euros de plus dans l’isolation et le locataire n’en a pas le pouvoir … On voit bien toutes les difficultés pratiques pour une action qui a pourtant l’air très simple.

39Il y a beaucoup d’acteurs intéressés par l’écologie, y compris dans les milieux économiques, mais l’on manque de sens, d’un référentiel global.

40C’est ce que l’on avait vu dans notre étude sur les TIC [7] vertes : beaucoup voient que l’on incrimine des objets (la voiture, le téléphone) mais ce n’est pas une problématisation suffisante, qui permette de réfléchir à des politiques publiques.

41Il ne suffit pas de savoir pour agir. Sinon cela ferait longtemps que les choses auraient évolué, que le monde irait différemment. C’est toute la problématique de l’action collective. Comment faire pour passer de quelque chose que l’on sait à un mouvement qui engage une quantité d’individus et non pas seulement quelques individus qui savent, de manière atomisée ? Comment engager une série de conduites nouvelles, qui permettent d’arriver à des régulations collectives ? Il faut prendre en compte les situations vécues, c’est-à-dire pas seulement nos actions mais aussi nos représentations, tout le monde symbolique et matériel dans lequel on évolue. Le mouvement socialiste fonctionne quand il arrive à agréger des situations identiques. La difficulté dans l’écologie est d’arriver à créer ces situations identiques qui vont ensuite permettre la régulation. C’est un mouvement d’accommodement réciproque. Au contraire, l’écotaxe est typiquement un contre-modèle parce qu’elle est issue de deux points de vue abstraits, celui des écologues, qui condamnent le carbone et celui des économistes, avec leurs taxes et leurs permis.

42Lorsque l’on regarde l’évolution des émissions de carbone depuis vingt ou trente ans, on voit que là où elles ont diminué, ce n’est pas grâce à l’écotaxe mais, par exemple, dans le bâtiment, dans l’urbanisme avec la multiplication des pistes cyclables, dans certaines pratiques agricoles. Il faut parvenir à dégager des pistes de progrès pour les acteurs, avec les acteurs, à partir de leur situation non pas individuelle mais de groupe. Il faut faire évoluer leurs pratiques, faire émerger de nouvelles professions, faire évoluer les professions et articuler différemment les professions entre elles. Ce sont des logiques de série.

43Donc il n’y aura pas, selon vous, de « grand soir » de l’écologie ?

44Il peut y avoir un « grand soir » parce que l’on ne peut pas l’interdire. En revanche, on ne peut pas le programmer. Il peut y avoir des événements anodins ou de grande ampleur qui font que tout d’un coup, ce qui était bloqué parce que les séries étaient antagoniques, se débloque par ce que Sartre appelle la fusion. Peut-être que sur l’islam, des choses vont se débloquer avec la journée de dimanche [11 janvier, ndlr]. En tout cas, c’était clairement un moment de fusion. Dans ce cas-là, les séries se réarrangent, cela dégage de la place et permet d’avancer vers la réalisation d’objectifs, qui était contrariée jusque-là par la réalisation d’autres objectifs. Il faut voir cela un peu comme la physique des cristaux.

Notes

  • [1]
    Auteur de Nature et politique. Contribution à une anthropologie de la modernité et de la globalisation, Paris, Amsterdam, 2014.
  • [2]
    Devise de Guillaume d’Orange.
  • [3]
    « En quoi la crise environnementale contribue-t-elle à renouveler la question de la justice ? Le cas des changements climatiques. »
  • [4]
    Où Fabrice Flipo a passé un an pour son habilitation à diriger des recherches (HDR), ndlr.
  • [5]
    The Intimate Enemy, Loss and Recovery of Self Under Colonialism, Delhi, Oxford UP, 1983 ; Science, Hegemony and Violence : A Requiem for Modernity, Tokyo, Ed. Ashis Nandy, 1988 ; The Illegitimacy of Nationalism : Rabindranath Tagore and the Politics of Self, Delhi, Oxford, Oxford University Press, 1994.
  • [6]
    Staying Alive : Women, Ecology and Survival in India, New Delhi, Zed Press, 1988 ; The Violence of the Green Revolution : Ecological degradation and political conflict in Punjab, New Delhi, Zed Press, 1992.
  • [7]
    Technologies de l’information et de la communication.
Fabrice Flipo
Philosophe, il est maître de conférences à Telecom & Management SudParis et chercheur au Centre de sociologie des pratiques et représentations politiques (Paris 7-Diderot).
Mis en ligne sur Cairn.info le 24/04/2015
https://doi.org/10.3917/rfas.151.0213
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