Introduction
1Pour assurer un système de protection sociale efficace, les pays émergents ont été confrontés à la nécessité de mettre en place des réformes de grande ampleur afin de gérer les problèmes générés par les mutations économiques et sociales en cours. L’Algérie à son tour, éprouve des difficultés en matière de protection sociale, en raison d’une faible couverture de la population et d’une forte présence du secteur informel.
2L’objectif de ce travail est de présenter succinctement la situation de la protection sociale en Algérie, avec une référence particulière à son système de retraite [1]. La première section de ce travail est consacrée à l’analyse de l’extension de la protection sociale en Algérie. La deuxième section s’intéresse particulièrement au système de retraite algérien : elle est consacrée à l’étude de l’efficacité du système et l’étendue de la couverture retraite. La dernière section est consacrée à l’étude des disparités des montants des pensions. L’analyse est menée à l’aide de la courbe de Lorenz et certains indicateurs de dispersion sur un échantillon de 349 681 retraités nés entre 1945 et 1950.
L’extension de la protection sociale en Algérie
3On entend par système de protection sociale, dans le sens moderne, les programmes et les projets portés par la législation qui ont pour but d’assurer la sécurité économique et le bien-être social de l’individu et de sa famille. Ce système est financé par les cotisations à la charge des assurés, par celles à la charge de leurs employeurs et dans certains cas par l’État pour des catégories particulières démunies de ressources.
4En général, un système de protection sociale est composé de trois volets. Le premier est celui des assurances sociales, c’est un système dont les droits sociaux sont attachés à l’activité professionnelle. Le second volet est l’assistance sociale qui s’organise sous forme de programmes comme les programmes d’alimentation scolaire, les programmes d’accès au logement de base, à l’eau et à l’assainissement, ou de transferts monétaires conditionnés au travail socialement utile. Le troisième volet correspond aux programmes du marché du travail, qui ont pour objectif la création d’emplois et la réduction du chômage. Ils peuvent être de différents types, tels que les programmes de soutien aux petites et moyennes entreprises et les programmes de soutien à l’insertion professionnelle des nouveaux diplômés.
Empreinte coloniale dans la naissance du système de protection sociale en Algérie
5En Algérie, le système de protection sociale a été introduit pendant la période coloniale. Mais pendant cette période, l’introduction des différents régimes de sécurité sociale a été opérée avec un important décalage dans le temps par rapport au système français.
6La législation sur les accidents de travail n’a été instituée qu’en 1920, alors qu’elle existait depuis 1898 en France. Celle sur les allocations familiales a été introduite en Algérie en 1941, alors qu’en France elle l’a été en 1932, mais les travailleurs du secteur agricole, qui constituaient une main-d’œuvre entièrement algérienne n’avaient pas droit à ces prestations.
7La législation sur la retraite n’a été instituée qu’en 1953. Cependant, les salariés de quelques secteurs privilégiés tels que les fonctionnaires, les cheminots et les employés de l’Électricité et gaz d’Algérie (EGA) en jouissaient déjà auparavant car c’étaient des secteurs d’activités qui employaient majoritairement la population européenne.
8Après l’indépendance, l’Algérie s’est retrouvée avec un système de protection sociale qui comportait un grand nombre de régimes applicables dans les différents secteurs professionnels. Il était caractérisé par une disparité des avantages distribués, des réglementations différenciées selon les régimes et des modalités de mise en œuvre également différentes. Cette diversité de régimes a rendu le système complexe, rendant du même coup son fonctionnement et sa gestion complexe et difficile.
9Dans le but d’améliorer la couverture sociale et de renforcer le système de protection sociale en vigueur, en 1983, a eu lieu une réforme qui avait pour objectif l’unification des structures, l’uniformisation des avantages et surtout la généralisation de la couverture sociale.
Extension de la couverture sociale après la réforme de 1983
10La réforme de 1983 a donné naissance à une série de lois dites sociales, portant essentiellement sur l’unification des régimes de sécurité sociale. Cette unification a permis aux travailleurs algériens et à leurs ayants droit de bénéficier des mêmes droits et obligations en termes de couverture sociale ; elle a également permis à d’autres parties de la population (handicapés, moudjahidines [2] inactifs, détenus, etc.) d’accéder aux prestations de la sécurité sociale. Cette réforme a apporté des améliorations de la couverture sociale. Nous ne citerons et n’analyserons que les éléments qui nous apparaissent les plus importants. On en trouvera l’illustration dans le tableau 1.
Les principaux aménagements apportés par la réforme de 1983*

Les principaux aménagements apportés par la réforme de 1983*
* La pension d’invalidité n’est servie que si l’assuré présente une invalidité réduisant sa capacité de travail d’au moins deux tiers.11La couverture de la population par les assurances sociales s’est nettement améliorée. Le taux de couverture de la population est passé de 61,8 % en 1979 à 87,4 % en 1999. Cette évolution positive est due essentiellement à l’élargissement de la couverture sociale à des catégories inactives de la population (les étudiants, les bénéficiaires de l’allocation forfaitaire de solidarité, les personnes handicapées …). Le nombre d’assurés progresse régulièrement, passant de 10,72 % en 1979 à 32,4 % en 1999 (Benhabib, 2001).
12Au début des années 1980, l’abondance des ressources avait permis d’atteindre une bonne couverture sociale. Mais avec le contre-choc pétrolier de 1986, l’économie algérienne a éprouvé des problèmes de financement, suite à une baisse d’environ 50 % des échanges et des recettes budgétaires provenant du secteur des hydrocarbures. L’économie algérienne a ainsi été confrontée, à la fin de l’année 1993, à un grave problème de financement qui a conduit à des négociations avec le FMI et à l’application de mesures d’ajustement structurel.
Le rôle de la protection sociale après le programme d’ajustement structurel
13L’application du programme d’ajustement structurel (PAS) a permis de rétablir, dans des conditions particulières, les grands équilibres macro-économiques et macro-financiers, mais dans le domaine de l’emploi, la situation s’est dégradée. En dépit de la transition de l’économie algérienne vers l’économie de marché, l’État a mis en place une politique qui privilégie l’aspect social à travers des dispositifs qui exploitent pleinement les trois instruments de la protection sociale.
14Le volet assistance sociale a été renforcé particulièrement après l’application du programme d’ajustement structurel. En effet, dans le but d’atténuer les effets sociaux du PAS, un certain nombre de dispositifs de protection sociale ont été mis en place en faveur des catégories vulnérables sans revenu ou aux revenus insuffisants. Pour les catégories sans revenu, une allocation appelée allocation forfaitaire de solidarité (AFS) d’un montant de 3 000 dinars [3] est versée aux personnes âgées démunies et sans revenu, aux personnes atteintes de maladies chroniques invalidantes et sans revenu, aux femmes divorcées ou veuves ayant à charge des enfants à bas âge, sans revenu et très démunies. Le niveau de l’allocation reste très faible, il ne représente que 25 % du salaire minimum garanti en vigueur en 2009. Le niveau des prestations reste donc dérisoire et ne règle pas pour autant le problème du chômage et de la pauvreté.
15Les compressions massives de personnel, liées aux restructurations et aux dissolutions d’entreprises (plus de 800 entreprises ont cessé leur activité entre 1994 et 1998), ont entraîné la suppression de 212 970 emplois. À ceux-ci, il convient d’ajouter les départs volontaires de 50 700 personnes et la mise en chômage technique de 100 840 travailleurs, ce qui donne une image plus complète de l’ampleur des effets de l’ajustement sur le chômage. Il en résulte ainsi une croissance importante du taux de chômage, lequel est passé de 24 %, en 1994, à plus de 29 % en 1997 (CNES, 1998). On constate que le volume des compressions d’effectifs équivaut à près de 6,38 % de l’ensemble de la population occupée en 1997. Dans le but d’alléger les effets sociaux du programme d’ajustement structurel, deux dispositifs de protection sociale ont été mis en place en 1994. Il s’agit du dispositif de retraite anticipée et de l’assurance chômage en faveur des salariés du secteur économique qui ont perdu leur emploi à la suite soit d’une compression d’effectif, soit d’une cessation d’activité de l’employeur. Pour bénéficier de la mise à la retraite anticipée, le salarié doit être âgé d’au moins 50 ans pour les hommes et 45 ans pour les femmes et avoir travaillé au moins vingt années validées. Les salariés qui n’avaient pas droit à ce dispositif ont été pris en charge par le dispositif de l’assurance chômage géré par la Caisse nationale d’assurance chômage.
16Pour les programmes concernant le marché du travail, des dispositifs d’aide à l’insertion professionnelle des jeunes (DAIP), qui incluentt les contrats de pré-emploi (CPE) et les emplois salariés d’insertion locale (ESIL), ont été mis en place et bénéficient aux jeunes diplômés et non diplômés, ceux ayant une formation professionnelle, ainsi que ceux sans formation ni qualification qui se trouvent au chômage. Mais actuellement, le marché du travail est caractérisé par le chômage des jeunes de 16 à 24 ans, avec un taux de 24 % de chômeurs pour les moins de 25 ans en 2013, contre 32 % en 2004 (ONS, 2014).
17L’accès d’une frange importante de la population en général, et des personnes âgées en particulier, aux programmes du système de protection sociale est indispensable pour une réduction de la pauvreté et des inégalités. La pauvreté des personnes âgées dans les pays du Maghreb est cependant moins marquée que dans le reste de la population, contrairement à ce qui est observé dans d’autres pays en développement (Dupuis et al., 2011). Le système de retraite à un impact très important sur le niveau de vie des personnes âgées. Dans ce qui suit, on s’interroge sur l’efficacité du système de retraite en Algérie.
L’étendue de la couverture retraite en Algérie
18La retraite est l’une des branches les plus importantes du système de protection sociale. Le système assure un revenu aux travailleurs salariés ou non salariés qui quittent la vie active du fait de l’âge.
19En Algérie, il y a un régime des retraites pour les salariés géré par la Caisse nationale des retraites (CNR) et un régime des retraites des non-salariés géré par la Caisse nationale des non-salariés (CASNOS). Dans ce travail, nous ne nous intéresserons qu’au régime des salariés dont les bénéficiaires sont beaucoup plus nombreux que dans le régime des non-salariés.
20Le système algérien de retraite des salariés est un système par répartition, contributif et à prestations définies. Il a suivi l’évolution économique et sociale du pays.
La situation actuelle du système de retraite des salariés algériens
21Les prestations assurées par ce système sont constituées de pensions de retraite et d’allocations de retraite. Les bénéficiaires de ces prestations sont les travailleurs salariés et leurs ayants droit. Comme tout régime à prestations définies, la pension principale de droit direct est exprimée en pourcentage du salaire mensuel soumis à cotisation. Le montant de la pension est égal à 2,5 % du salaire mensuel moyen des cinq dernières années précédant la mise en retraite ou, si c’est plus favorable, à la moyenne des salaires des cinq meilleures années de la carrière professionnelle, multiplié par le nombre d’années validées.
22Le financement du système algérien repose sur une base assurantielle et contributive. Les recettes proviennent des cotisations à la charge des employeurs et des salariés, du budget de l’État et des revenus des fonds de réserve placés.
La situation financière de la CNR de 2005 à 2010 (en milliards de dinars constants)

La situation financière de la CNR de 2005 à 2010 (en milliards de dinars constants)
23Les années 2006 et 2007 ont été marquées par un déséquilibre de la situation financière de la CNR (graphique 1). Le retour à l’équilibre a été permis par un relèvement des taux de cotisations retraite de 16 % à 17,25 %. En général, la viabilité financière du système est assurée grâce à la contribution de l’État au financement du système de retraite qui représente en 2010 19,7 % des recettes de la CNR contre 25,8 % en 2005. En effet, l’État prend en charge certaines prestations non contributives du système de retraite telles que les compléments différentiels, les indemnités complémentaires, les majorations exceptionnelles et les pensions des moudjahidines.
24La situation financière du système de retraite est très sensible à la conjoncture économique. Cette sensibilité est due d’abord à son mode de financement, basé sur des cotisations prélevées sur la masse des salaires. Un fléchissement de l’activité économique se traduit par l’augmentation du taux de chômage et l’extension de l’activité dans le secteur informel. L’augmentation de la part de l’emploi informel dans l’emploi global a aussi des conséquences sur le financement du système de retraite et sur le taux de couverture. Les équilibres du régime ont également été sensibles à l’accroissement du nombre de bénéficiaires [4] des prestations de la CNR qui a presque doublé de 2000 à 2013, passant de 1 254 942 à 2 482 454 individus. Mais le ratio dépenses retraites/PIB reste faible par rapport aux autres pays, il ne dépasse pas 3 % du PIB.
25• L’âge légal de départ en retraite est de 60 ans pour les hommes, avec une réduction de cinq années pour les moudjahidines. Il est de 55 ans pour les femmes, avec une réduction d’un an par enfant pour les femmes qui ont élevé un ou plusieurs enfants pendant au moins neuf ans, dans la limite de trois enfants.
26• La condition d’âge n’est pas exigée si le travailleur a accompli une durée de travail effectif ayant donné lieu à un versement de cotisations égales à trente-deux ans d’activité pour bénéficier d’une retraite à 80 %. Toutefois, une retraite proportionnelle permet également à tout travailleur de cesser sa vie active avant d’atteindre l’âge de 60 ans ou de réunir trente-deux ans d’activité. Pour bénéficier d’une retraite proportionnelle, il faut être âgé d’au moins 50 ans et avoir cotisé vingt années pour les hommes, et quarante-cinq ans pour les femmes.
27• L’allocation de retraite est, elle, servie aux travailleurs ayant validé moins de quinze années de cotisations.
28Le graphique 2 permet de comparer l’âge moyen de départ en 2010, suivant le type de retraite.
L’âge moyen de départ en retraite

L’âge moyen de départ en retraite
29L’âge moyen des bénéficiaires des allocations de retraite est le plus important. Ces travailleurs préfèrent ne pas quitter le marché du travail et liquident leurs pensions plus tardivement pour pouvoir valider davantage d’années d’activités.
30L’âge moyen des bénéficiaires de la retraite sans condition d’âge est plus faible car il s’agit de travailleurs ayant validé trente-deux ans qui bénéficient d’une retraite à taux plein. Ce sont des salariés qui n’ont aucun intérêt à rester sur le marché du travail.
31Compte tenu de ces possibilités de départ précoce et d’autres paramètres servant au calcul des pensions, comme la prise en compte du salaire des cinq meilleures années de la carrière pour le calcul des pensions [5], le système de retraite algérien peut être qualifié de généreux. La générosité interne d’un système s’apprécie par différents critères, par exemple l’âge à partir duquel des personnes peuvent jouir de leur retraite, mais aussi les années prises en compte pour le calcul du salaire de référence, la durée de cotisation requise, le rapport entre montants de la retraite et du salaire, les cas de majoration, les pensions minimales, etc. (Dupuis et al., 2011). Mais selon la littérature économique sur la générosité des systèmes de retraite, celle-ci dépend aussi du critère retenu pour mesurer l’efficacité d’un système de retraite. Dans ce travail, nous avons retenu comme critère le niveau de couverture des personnes âgées et le niveau de vie des retraités.
L’efficacité en termes de couverture des personnes âgées
32L’évaluation du niveau de couverture des personnes âgées peut se faire par un indicateur qui rapporte le nombre de retraités de droits directs de 60 ans et plus à la population de 60 ans et plus.
33D’après le tableau 2, la fraction des personnes âgées de plus de 60 ans non couvertes reste très importante ; elle dépasse les 50 % et ce jusqu’à 2002, avec une légère amélioration à partir de 2006. En 2012, plus de 46,4 % des personnes âgées de 60 ans et plus ne sont pas couvertes par le système de retraite.
La situation des personnes âgées de 60 ans et plus en Algérie (en %)

La situation des personnes âgées de 60 ans et plus en Algérie (en %)
34L’interprétation de cet indicateur nécessite une certaine prudence, car il présente l’inconvénient de ne prendre en compte que les assurés de droit direct, alors que les pensions versées aux ayants droit concernent une proportion importante de veuves et orphelins qui représente 40,7 % du total des effectifs de la CNR. Il faut noter également qu’il ne prend pas en considération la proportion de retraités de moins de 60 ans.
35Dans le tableau 3, nous avons calculé le taux de couverture retraite, en comparant l’ensemble des retraités (droit direct et ayants droit) à la population âgée de plus de 50 ans.
Évolution du taux de couverture retraite de la population âgée de 50 ans et plus (en %)

Évolution du taux de couverture retraite de la population âgée de 50 ans et plus (en %)
36Les causes de ce faible taux de couverture remontent en partie aux années 1970 et 1980, car l’ouverture des droits à une pension de retraite est conditionnée par l’accès préalable à l’emploi formel durant toute une carrière. Le caractère partiel de la couverture est largement dû au déséquilibre du marché du travail et au développement de l’emploi informel en Algérie. Celui-ci s’est développé en fait depuis la période coloniale, car l’emploi était rare dans le secteur moderne de l’économie où les entreprises cotisaient pour la retraite de leurs salariés. Pour de nombreuses personnes, travailler dans l’informel était et est encore le seul moyen d’échapper à la pauvreté. Le faible taux de couverture des personnes âgées est à l’origine de la pauvreté de cette partie de la population.
Extension de l’emploi informel durant les années 1970
37C’est l’ampleur du secteur informel au cours des années 1970 qui explique la faiblesse de la couverture des personnes âgées de ces dernières années. En effet, durant cette période, l’emploi informel s’est nourri en partie de l’incapacité de l’économie nationale à créer suffisamment d’emplois reconnus. Selon des estimations indirectes, l’emploi informel représente une part croissante de l’emploi non agricole : de 21,8 % en 1977 il passe à 25,6 % en 1985, puis à 42,7 % au cours de la décennie des années 1990, et 41,3 % au cours de la décennie 2000 (Adair et Bellache, 2012).
38Afin d’étendre la couverture sociale à une proportion plus importante de la population, il est nécessaire d’avoir un marché du travail solide et équitable. Car l’ouverture des droits à une pension de retraite est conditionnée par l’accès préalable à l’emploi formel. Mais l’accès à l’emploi dépend de l’équilibre du marché du travail qui dépend, à son tour, de la croissance économique.
Le déséquilibre du marché du travail
39L’analyse du marché du travail révèle un déséquilibre flagrant, que nous retraçons dans le graphique 3 par la confrontation des demandes de travail par rapport aux offres de travail.
Évolution du marché du travail de 1990 à 2011

Évolution du marché du travail de 1990 à 2011
40La résorption partielle du déséquilibre du marché du travail entre 1990 et 2000 s’explique par la forte implication de l’État qui introduit plusieurs formules d’emploi en contrats à durée déterminée (CDD), et par l’incitation des salariés du secteur public à partir en retraite anticipée. En effet, depuis la mise en application du dispositif de retraite anticipée, le nombre de bénéficiaires a progressé rapidement, passant de 3 973 en 1995 à 22 368 en 1998. Mais à partir de 2006, le marché du travail en Algérie s’est caractérisé par un déséquilibre important de l’offre et la demande.
41L’un des facteurs importants de l’accroissement de l’offre de travail est l’augmentation de la population jeune. La tranche d’âge des moins de 20 ans, soit la tranche d’âge à partir de laquelle s’alimente et se renforce la population active, représentait plus de 50 % de la population totale jusqu’au début des années 1990. On assiste également à un retour des jeunes retraités sur le marché du travail, qui s’explique, d’une part, par l’érosion de leur pouvoir d’achat dû à la faiblesse du montant de leurs pensions, et d’autre part, à leur état de santé relativement meilleur que dans les périodes précédentes.
42Quant à la demande de travail, les entreprises ne recrutent de nouveaux travailleurs qu’en cas d’extension des capacités de production. La faible demande de travail est due à l’augmentation du coût du travail, les cotisations sociales constituant des charges qui pèsent sur celui-ci. L’augmentation des taux de cotisations engendre un accroissement du coût du salaire, qui sera répercuté sur le coût de revient des biens et services, car l’employeur cherchera à reporter cette perte sur les prix ou la marge de l’entreprise, ce qui aura des conséquences sur la compétitivité de cette dernière.
43La faiblesse de la couverture sociale des personnes âgées en Algérie est à l’origine d’une inégalité qui oppose les personnes couvertes aux personnes non couvertes ce qui remet en cause l’efficacité et la générosité du système.
L’efficacité en termes de niveau de vie des retraités
44L’un des critères d’évaluation des systèmes de retraite est le niveau de vie des retraités couverts par ce système. Il est possible d’apprécier le niveau de vie des retraités soit en termes absolus à partir du montant de la pension qu’ils reçoivent soit en termes relatifs.
45Le graphique 4 donne une estimation du niveau de la pension moyenne des retraités de droit direct par type de retraite par rapport au salaire national minimum garanti (SNMG) en 2011.
Pension moyenne en % du salaire national minimum garanti (SNMG)

Pension moyenne en % du salaire national minimum garanti (SNMG)
46Les retraités relevant de la catégorie « retraite sans condition d’âge » sont des retraités qui ont trente-deux ans de services ou plus. C’est la catégorie largement la plus nombreuse.
47La pension moyenne fournit toutefois une information partielle qui ne peut refléter notamment les fortes disparités de pensions entre les retraités. On peut aussi comparer le niveau de vie des retraités par rapport à leur niveau de vie antérieur à la période de retraite ou bien par rapport au niveau de vie des actifs de la période. Le niveau de vie relatif peut être apprécié à l’aide d’un indicateur, le taux de remplacement instantané (tableau 4), qui rapporte les pensions moyennes versées par les caisses de retraite aux salaires moyens des actifs (taux de remplacement instantané ).
Taux de remplacement instantané selon le type de retraite (en %)

Taux de remplacement instantané selon le type de retraite (en %)
48Le revenu relatif des bénéficiaires d’une « retraite sans condition d’âge » est le plus élevé. Il s’agit généralement des travailleurs de la fonction publique qui disposent de carrières longues et d’un taux plein (80 %). Les bénéficiaires d’une retraite anticipée ont un taux de remplacement faible car ils n’ont pas de droit à la revalorisation de leurs pensions.
49Quel que soit le type de retraite, le revenu moyen des retraités est inférieur à celui des actifs. La revalorisation des pensions et des allocations de retraite a lieu le 1er mai de chaque année. Le taux est fixé par le gouvernement sur proposition du conseil d’administration de la Caisse nationale des retraites ; il est calculé en prenant en compte l’augmentation des prix. En général, en cas d’indexation sur les prix, le pouvoir d’achat des retraités est maintenu mais si le pouvoir d’achat des salariés actifs augmente à la suite d’une augmentation des salaires, les pensions des actifs au moment de la liquidation seront toujours supérieures à celles des retraités après plusieurs années de retraites, ce qui se traduit par une inégalité entre nouveaux et anciens retraités. Le tableau 5 permet de constater que le taux de croissance annuel de l’indice des prix à la consommation est inférieur au taux de revalorisation. Théoriquement, une revalorisation annuelle permet aux retraités de bénéficier d’une augmentation du niveau des pensions et donc de leur pouvoir d’achat supérieur à l’augmentation des prix.
Les coefficients de revalorisation et le taux de croissance annuelle de l’indice des prix à la consommation (IPC) (en %)

Les coefficients de revalorisation et le taux de croissance annuelle de l’indice des prix à la consommation (IPC) (en %)
50Malgré la revalorisation opérée depuis des années, 60 % des pensionnés de droit direct perçoivent une pension inférieure au SNMG.
Fortes disparités dans les montants des retraites
51Les disparités entre les montants des pensions sont à l’origine des inégalités au sein des retraités. Les facteurs qui alimentent ces inégalités sont la durée de carrière et le niveau des salaires des dernières années d’activités. Une analyse détaillée des montants des pensions permet d’évaluer cette inégalité.
52L’étude des disparités des montants des pensions est menée sur la base des montants nets des pensions d’un échantillon de 449 681 retraités nés entre 1945 et 1950, qui sont des générations de transition au regard des réformes engagées à partir de 1983. Il s’agit d’un échantillon réellement observé et extrait fin 2012 des bases de données de la CNR.
53L’inégalité des pensions des retraités est analysée à l’aide de la courbe de Lorenz.
Distributions des montants de pensions

Distributions des montants de pensions
LECTURE • Lorsque la distribution est parfaitement égalitaire, la courbe de Lorenz prend la forme d’une droite. L’inégalité de la distribution croît donc avec le degré de convexité de la courbe.54La moitié des retraités se partagent 28 % du total des pensions versées par la CNR en 2012 et l’autre moitié se partage 72 % des pensions (graphique 5). Ceci traduit une inégalité dans la distribution des retraites.
55L’inégalité de cette distribution peut donc être mesurée par un coefficient de Gini.
56Celui-ci se situe pour cet échantillon à 0,312, c’est-à-dire que la distribution des pensions est légèrement inégalitaire [6].
57Le coefficient de Gini ne nous permet pas d’apprécier de façon plus fine la dispersion de la distribution des pensions. Il peut être complété par l’examen d’autres indicateurs, comme la distribution des pensions par décile. Pour notre échantillon, 10 % des retraités qui ont les plus faibles pensions touchent 2,84 % du montant total des pensions, et la moitié des pensionnés en touche moins de 30 % (tableaux 6 et 7).
Distribution par décile des pensions

Distribution par décile des pensions
58Faute de données, nous ne pouvons pas analyser les disparités des montants des pensions entre les hommes et les femmes. On précise toutefois que la population de retraités de droit direct est caractérisée par une dominance masculine avec 87,5 % d’hommes, ce qui est dû au faible taux d’activité des femmes (notamment dans le secteur formel) plus particulièrement.
Niveau de pension par décile par rapport au SNMG*

Niveau de pension par décile par rapport au SNMG*
* Le SNMG en 2012 est égal à 18 000 dinars.59Les 10 % des retraités qui ont les plus faibles pensions (1er décile) perçoivent une pension inférieure à 9 238,72 dinars (soit la moitié du SNMG) et les 10 % des retraités du 9e décile perçoivent une pension supérieure à 2,42 fois le SNMG.
Conclusion
60L’assurance d’une protection sociale efficace en Algérie passe par l’extension de la couverture sociale aux catégories de la population les plus vulnérables telles que les personnes âgées. L’efficacité du système de retraite algérien a été évaluée dans cet article par rapport à deux critères : le niveau de couverture des personnes âgées et le niveau de pension des retraités.
61• Le niveau de couverture des personnes âgées est faible, le caractère partiel de la couverture est dû essentiellement au déséquilibre du marché du travail et au développement de l’emploi informel en Algérie.
62• Les inégalités de revenus entre les retraités couverts ont pu être documentées. Elles apparaissent réelles, et la comparaison des situations avec les minima salariaux montre qu’elles laissent les retraités les moins bien pourvus dans des situations financières qui peuvent être difficiles.
63On soulignera enfin que pour étendre la couverture retraite à une proportion plus importante de la population et réduire la pauvreté des personnes âgées, il est nécessaire d’avoir un marché du travail solide et équitable, car l’ouverture des droits à une pension de retraite est conditionnée par l’accès préalable à l’emploi formel.
Notes
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[*]
Maître assistante à l’université Abderrahmane MIRA de Bejaia (Algérie), faculté des sciences économiques, des sciences de gestion et des sciences commerciales
-
[1]
Nous ne nous intéresserons dans ce travail qu’au système de retraite des salariés.
-
[2]
Anciens combattants de la guerre de révolution nationale.
-
[3]
Le montant de l’AFS était de 1 000 dinars avant février 2009.
-
[4]
Incluent les retraités de droit direct et les bénéficiaires d’une pension de réversion.
-
[5]
On rappelle qu’en France, le passage d’un dispositif qui était déjà moins favorable sur ce critère que le régime algérien, puisqu’étaient pris en compte les salaires des « dix meilleures années », à un dispositif qui l’est encore moins puisque sont désormais retenues les « vingt-cinq meilleures années », a constitué un enjeu important pour le rééquilibrage des régimes de retraite. Cette réforme a freiné la progression des pensions au fil des générations, pour certaines catégories de retraités. (Voir sur ce sujet les travaux du Conseil d’orientation des retraites (http://www.cor-retraites.fr/).
-
[6]
À titre de comparaison, signalons que les inégalités de revenu et les inégalités de pensions en France sont également de l’ordre de 0,3 (sources : Conseil d’orientation des retraites et INSEE, « Les revenus et le patrimoine des ménages », édition 2013).