CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Ces quinze dernières années ont été marquées au Brésil par l’émergence de programmes de transferts monétaires d’assistance avec la mise en œuvre d’une version particulièrement développée de programmes internationalement répertoriés en général sous le terme de Conditional cash transfers programs (CCT). Ce processus a été amorcé en 1995.

2Ces programmes se caractérisent par une aide financière et régulière destinée aux familles pauvres et extrêmement pauvres. En retour, les familles doivent s’engager à respecter un certain nombre de conditions (contreparties) dans les domaines de l’éducation, de la santé et de la nutrition. L’objectif est de briser le cercle intergénérationnel de la pauvreté par l’accès à des ressources financières et aux services publics. La gestion du programme est concentrée au niveau fédéral, toutefois il est volontairement décliné avec une certaine autonomie au niveau local, ce qui se traduit par la possibilité de mettre en place des prestations complémentaires. Ce type de dispositif peut notamment permettre d’offrir aux bénéficiaires des « portes de sortie » hors de la pauvreté, modulées selon les contextes locaux, et d’éviter les effets d’exclusion hors du dispositif d’assistance sociale. Ce type de programme a commencé à être expérimenté au Brésil et au Mexique (Freitas, 2004). Le premier programme brésilien est né en 1995 à l’initiative de quelques municipalités. La Bolsa Escola, qui vise une population plutôt urbaine, s’inscrit dans une politique d’éducation. Le programme mexicain d’ampleur nationale, Progresa, destiné aux zones rurales, a été mis en place en 1997.

3À la suite d’évaluations très positives, en particulier de la communauté internationale (Evans et Lana, 2004), ces programmes ont été théorisés, matérialisés et sont devenus des « modèles » de lutte contre la pauvreté, exportés notamment en Amérique latine (Ceballos et Lautier, 2013) mais aussi plus largement dans le monde [1]. Le modèle CCT, dont l’efficience est validée par plusieurs rapports et rencontres entre « faiseurs de politiques », bénéficie du soutien de la Banque mondiale (moteur par excellence du produit CCT [2]), de l’ONU, des organisations bilatérales et des ONG (Lopes Wohnlich et al., 2011).

4À son tour, le gouvernement fédéral s’est lancé dans la mise en place d’un programme d’ampleur nationale. En 2002, la Bolsa Escola est devenue nationale sous l’impulsion du gouvernement de M. Cardoso. L’arrivée de Lula da Silva au pouvoir marque une transition. À la suite de la fusion de quatre programmes antérieurs, en 2003-2004 naît la Bolsa Família, favorisant la scolarité mais aussi l’assistance sociale aux plus pauvres ; ce programme développe sur grande échelle la philosophie qui marquait la Bolsa Escola ; il peut toucher un large éventail de personnes auparavant exclues de toute couverture sociale. Il est désormais accessible aux jeunes, aux personnes handicapées et aux familles pauvres et extrêmement pauvres.

5Dans la pratique, le programme a connu plusieurs évolutions (des publics cibles, des modalités de participation, des contreparties, etc.), mais depuis sa genèse, l’une de ses caractéristiques principales est restée permanente : les enfants sont la cible privilégiée du programme et le rôle de la femme (plus particulièrement de la mère) y est central. C’est à elle que sont versées les prestations monétaires ; mais c’est aussi à elle qu’incombe le respect des contreparties. Par exemple, c’est elle qui doit attester de la fréquentation scolaire et de la participation des enfants aux programmes de santé.

6La centralité de la mère dans le dispositif met aussi en évidence la place des femmes dans les phénomènes de pauvreté et dans le programme Bolsa Família :

  • en tant que destinataires de cette politique : il n’est pas anodin que la féminisation de la pauvreté soit ainsi reconnue, et justifie que l’on confie aux femmes le contrôle de l’accès aux ressources ;
  • en tant que moyen ou vecteur de cette politique : la représentation du rôle féminin inclut en effet largement la fonction de maternage [3] ; or dans l’approche développée dans le programme qui met les enfants au centre du dispositif en position d’objet d’« investissement social », s’adresser aux mères est alors considéré comme le moyen permettant de toucher ces enfants.

7Dans la pratique et dans le discours sur les femmes bénéficiaires, la perspective est de développer un « empowerment » [4] des femmes pauvres (Jenson, 2011). Cependant, ce type de programme peut avoir des effets inattendus sur les femmes et renforcer l’image et les fonctions maternalistes qui leur sont attribuées (Chant, 2008 ; Molyneux, 2006 ; Bradshaw, 2008 ; Mariano et Carloto, 2009).

8Nous allons examiner l’expérience de la Bolsa Família au niveau du terrain en prenant en compte cette place centrale de la femme bénéficiaire et sa représentation genrée. Nous allons restreindre notre observation à l’expérience du programme à Fortaleza et à Florianópolis, deux municipalités situées respectivement au nord-est et au sud du Brésil et contrastées sur le plan socioéconomique. Les deux expériences respectent la logique générale du programme : ciblage, transferts monétaires, conditionnalité de l’accès à la prestation. Au-delà, la pratique dans les deux villes laisse apparaître des nombreuses différences. Par exemple, d’un côté, de multiples programmes complémentaires sont destinés spécifiquement aux femmes bénéficiaires, alors que de l’autre il y a une totale absence d’orientation féministe ; d’un côté, la prestation versée constitue le premier accès à un revenu régulier et sûr ; de l’autre, elle apparaît comme un complément au revenu régulier des femmes bénéficiaires.

9Les exemples de Fortaleza et de Florianópolis s’inscrivent dans un continuum qui va d’une pratique féministe à la marge du modèle maternaliste (Mariano et Carloto, 2009 ; Molyneux, 2006). Comment comprendre la pratique de la Bolsa Família au niveau local à partir d’une telle perspective ?

10Ne pouvant exploiter ici la totalité du matériel recueilli au cours des entretiens conduits avec des bénéficiaires, des gestionnaires et des techniciens du programme dans les deux municipalités, on se limitera à l’analyse des éléments qui concernent l’autonomie (empowerment) des femmes et les conditionnalités de l’aide en tant que pratiques inscrites dans les relations de genre. Les points essentiels du programme seront d’abord identifiés à partir d’un point de vue féministe. Nous présenterons ensuite brièvement les contextes du nord-est et du sud du Brésil afin de rendre compte des situations contrastées dans lesquelles les programmes ont été mis en place. Nous passerons enfin à un exposé plus détaillé de nos études de cas afin d’en faire ressortir les convergences et les différences.

Présentation de l’étude

L’étude conduite de 2009 à 2012 a utilisé une démarche d’ensemble mobilisant des méthodes qualitatives, participatives et ethnographiques.
• À Fortaleza, ont été réalisés :
  • huit entretiens avec des responsables de la gestion du programme et des politiques pour les femmes au niveau de la municipalité ;
  • deux entretiens avec des membres de deux associations féministes/féminines ;
  • un échange avec un groupe comprenant six femmes bénéficiaires ne participant pas à des programmes complémentaires ;
  • un échange avec un groupe comprenant vingt-deux femmes participant à des programmes complémentaires ;
  • un échange avec un groupe comprenant quinze assistants sociaux et agents du programme ;
  • un échange avec un groupe comprenant cinq fonctionnaires d’une école municipale ;
  • trois observations dans des Centro de Referência de Assistência Social (CRAS).
• À Florianópolis, ont été réalisés :
  • vingt-sept entretiens avec des femmes bénéficiaires de la Bolsa Família ;
  • trois entretiens avec des hommes (un seul bénéficiaire) ;
  • quatre entretiens avec le personnel du programme, à savoir :
    1. deux entretiens avec les coordinatrices au niveau de l’État et au niveau municipal ;
    2. deux entretiens avec trois assistantes sociales et deux agents de santé.
Les recherches ont été menées à Fortaleza par l’équipe de l’université de Lausanne et à Florianópolis par l’équipe de l’universidade Federal de Santa Catarina.
Ces travaux ont été conduits dans le cadre d’une recherche comparative plus large financée par le Swiss Network for International Studies (SNIS) et l’Instituto de Pesquisa Econômica Aplicada (IPEA)

L’originalité de la Bolsa Família : mobiliser les femmes bénéficiaires au service de la lutte contre la pauvreté [5]

11Porté par des communautés épistémiques (Haas, 1992) toujours plus larges, le paradigme du genre s’est imposé de manière indiscutable dans la seconde moitié des années 1990. Il fait désormais partie du noyau dur des croyances (Sabatier et Jenkins-Smith, 1993) concernant la lutte contre la pauvreté. L’élaboration des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) a scellé définitivement le consensus sur la nécessité de faire du genre une clé incontournable des nouvelles stratégies de lutte contre la pauvreté (Prévost, 2011). Au cours des dix dernières années, une représentation de la femme comme agent principal de la lutte contre la pauvreté s’est progressivement imposée (Chant, 2008 ; Kabeer, 2005 ; Molyneux, 2006 et 2008). L’hégémonie progressive de ce modèle s’est incarnée dans une série de projets spécifiques, de programmes soutenus par les grandes organisations internationales, les leaders d’opinion et internalisés par les pays dépendants de l’aide internationale (Merrien, 2013).

12C’est dans ce contexte d’internationalisation des enjeux de la lutte contre la pauvreté s’appuyant sur les femmes qu’ont émergé des programmes de transferts (CCT), où le versement de revenus mensuels aux familles pauvres et extrêmement pauvres est conditionné par la fréquentation scolaire des enfants, des visites régulières aux centres de santé et un suivi prénatal des femmes enceintes. L’accès ainsi organisé à des revenus réguliers permet à la fois de soulager dans l’immédiat la pauvreté et de connecter les familles bénéficiaires aux services publics. L’unité familiale étant devenue le référent central du programme, tous les membres de la famille deviennent potentiellement le public cible ; mais la loi brésilienne spécifie bien que la responsabilité vis-à-vis de l’ensemble revient aux femmes, ce qui représente une évolution importante. En effet, depuis les années 1980, les féministes attiraient l’attention sur la féminisation de la pauvreté, conséquence des inégalités structurelles de genre. La non-reconnaissance du travail domestique et l’importance de la précarité dans des secteurs d’activités où exercent majoritairement des femmes (secteur informel, travail domestique, notamment) en constituaient les principales manifestations. De ce point de vue, on peut donc dire que la nouvelle donne impulsée globalement par la Bolsa Família (re)positionne l’État vis-à-vis de la femme. Non seulement l’attention portée dans le programme à l’exécution des tâches domestiques et aux soins apportés aux enfants revalorise son rôle dans la société, mais c’est aussi à la femme elle-même que revient la prise en charge de son sort ou, comme on l’a dit, c’est sur elle que se concentrent les possibilités de trouver une porte de sortie de la pauvreté. La question de leur autonomie (ou pour reprendre un terme devenu classique, de leur empowerment[6]) favorisée par leur engagement dans des programmes d’insertion ou de mobilité [7] devient tout aussi centrale que le rôle domestique des femmes. D’où la critique portée par les principaux courants féministes qui préconisent le « gender awareness » (Molyneux, 2006). Ce type de programme tendrait, en effet, à rendre invisible l’asymétrie de pouvoir entre hommes et femmes (notamment pour l’accès à un marché du travail très compétitif) et à créer un cycle de nouvelles dépendances, l’unité familiale, avec les enfants et les femmes qui la composent, devenant bénéficiaire dépendante de l’aide de l’État via les transferts versés aux femmes.

13Cette analyse peut être confrontée aux observations de terrain, mais il convient préalablement de présenter les contextes dans lesquels le programme Bolsa Família a été décliné dans les deux municipalités qui nous occupent.

Les situations locales : deux contextes socioéconomiques et politiques bien différents

14À Fortaleza et à Florianópolis, la mise en place de la Bolsa Família est intervenue dans des contextes locaux que tout oppose, aussi bien sur le plan démographique et économique que sur le plan des politiques municipales.

Les contextes socioéconomiques locaux

15En 2009, selon le Retrato das Desigualdades de IPEA (2011), l’estimation de la population vivant dans une extrême pauvreté au Brésil était de 5,2 % de la population totale. Ces « très pauvres » se répartissaient inégalement sur le territoire : environ 2 % d’entre eux résidaient dans la région sud/sud-est et 11 % dans la région nord-est.

16Ces inégalités régionales sont issues d’une histoire longue et différenciée de l’esclavage et de la colonisation qui ont laissé une marque profonde aussi bien en termes de « composition raciale » et de classe, que de genre [8]. Le développement a notamment été marqué par une dominante agricole au nord-est et industrielle au sud ; une population d’origine migratoire issue des métissages entre Indiens et Noirs domine dans la région nord-est, et une population blanche européenne dans la région sud.

17Les États du Ceará (au nord-est) et de Santa Catarina (au sud) ont pour capitales administratives respectives Fortaleza et Florianópolis. Occupant une superficie deux fois plus grande, Fortaleza accueille cinq fois plus d’habitants que Florianópolis ; la densité démographique y est forte et la population, essentiellement urbaine. Fortaleza concentre 2 452 185 personnes parmi lesquelles 123 884 sont touchées par l’extrême pauvreté (5,1 %). Florianópolis compte 421 240 personnes, parmi lesquelles 2 986 se trouvent dans l’extrême pauvreté (0,8 %) [9].

18L’indice de développement humain (IDH) des deux villes nous donne également des indications sur les inégalités sociales, qui les opposent.

Tableau

Indice de développement humain (IDH) dans les deux villes - 2000-2010

Tableau
Localité Fortaleza Florianópolis Année IDH Position dans la liste des localités brésiliennes par ordre d’IDH décroissant IDH Position dans la liste des localités brésiliennes par ordre d’IDH décroissant 2000 0,622 612ème 0,766 6ème 2010 0,754 467ème 0,847 3ème

Indice de développement humain (IDH) dans les deux villes - 2000-2010

19C’est donc dans des situations profondément différentes en termes quantitatifs et en termes de conditions de développement que se sont mises en place les actions qui déclinent localement la Bolsa Família, modèle national commun de lutte contre la pauvreté et d’assistance sociale. Les situations diffèrent également du point de vue du positionnement politique des deux municipalités.

Les contextes politiques municipaux

20La mise en place du programme a coïncidé dans les deux villes avec les élections municipales dont l’issue a donné une victoire au Parti des travailleurs (parti politique de Lula) à Fortaleza, alors qu’à Florianópolis c’est un parti d’opposition qui a pris le pouvoir et la gestion de l’assistance sociale au niveau local. Ce contexte politique a pu avoir une influence sur la mise en pratique du programme, d’une part, en raison du fort ancrage de ce dernier dans la politique du parti gouvernemental et, d’autre part, en raison de réajustements de personnels qui se sont effectués différemment selon les sensibilités.

21Des programmes de transferts ont été mis en place à Fortaleza à partir de septembre 2002 dans le cadre de l’extension du programme Bolsa Escola sur un plan national. Cette première expérience a eu un faible impact puisqu’elle n’a bénéficié qu’à 75 210 familles [10]. Le manque ou l’éloignement des structures d’accueil des bénéficiaires (par exemple, le Centro de Referência de Assistência Social – CRAS [11]) a sans doute constitué un frein à l’augmentation du nombre de bénéficiaires ; l’approche d’élections municipales pourrait être également à l’origine de ce démarrage timide.

22C’est à partir du passage de la Bolsa Escola à la Bolsa Família[12] que le programme va occuper une place majeure dans la gestion de la pauvreté (et des pauvres). En 2005, en application d’un plan de réforme fédéral réorganisant les administrations au niveau local (Lindert et al., 2007), la municipalité a crée un département d’assistance sociale (SEMAS) qui réunit l’ensemble des programmes d’assistance. Afin de réduire les distances entre les bénéficiaires et le programme, la municipalité a mis progressivement en place vingt-neuf CRAS, répartis dans six circonscriptions administratives (SER), chaque SER comprenant entre quinze et vingt-sept quartiers suivant les caractéristiques socioéconomiques de ses résidents [13]. La mise en place d’un service informatisé accompagnant le nouveau découpage territorial, le « CadUnico », (mis en place avec la collaboration et l’assistance de la Banque mondiale), a conduit à faire basculer la gestion des anciens bénéficiaires de Fortaleza dans un nouveau système et à étendre l’accès au programme à 157 739 familles (en 2010).

23À Florianópolis, c’est en 2005 que le programme et son outil de gestion territoriale, CadUnico, ont commencé à se mettre en place dans le cadre d’une politique plus large d’assistance sociale. Une pléthore de programmes s’y combinait déjà pour proposer une variété d’aides minimales aux familles inscrites : Auxilio Gás, Bolsa Escola, Bolsa Alimentação, Cartão Alimentação, entre autres. En 2011 par exemple, 7 668 familles étaient inscrites au CadUnico, mais seulement 4 732 ont pu avoir accès au bénéfice de la Bolsa Família. Seuls cinq CRAS fonctionnaient, avec une équipe réduite de trois agents et quelques stagiaires pour chacun.

24Les critères de sélection pour bénéficier du programme sont les mêmes pour les deux municipalités. Concrètement, ils sont basés essentiellement sur le revenu familial [14] par personne et sur le nombre et l’âge des enfants. Ensuite en termes d’allocation, toutes les familles ont accès à un subside de base remontant à 22 euros par mois. En plus de ceux-là, en fonction de la composition familiale (nombre d’enfants et âge), les familles peuvent bénéficier d’autres versements qui peuvent porter le total jusqu’à 98 euros. Un versement de 10 euros durant neuf mois peut être accordé en cas de grossesse de la bénéficiaire, et prolongé de six mois si la mère allaite son enfant.

25Ces différences politiques, organisationnelles, de moyens et de contextes se sont traduites par des pratiques différentiées dans les deux municipalités. Fortaleza, pauvre, a considérablement investi les programmes d’assistance sociale et de transferts en tant que moyen de lutter contre la pauvreté. La mise en place des SER a permis de décentraliser davantage et de mieux combiner l’ensemble des programmes ; alors qu’à Florianópolis, la gestion municipale pour accueillir la Bolsa Família a mis en place une réforme reposant sur des CRAS et des unités d’accueil centrées sur la santé et l’éducation. Cette façon de fonctionner au niveau administratif n’est pas sans conséquences sur la situation des femmes bénéficiaires.

La Bolsa Família à Fortaleza

« Nos femmes sont la priorité de la gestion municipale » [15]

26Sans s’écarter de la logique interne du programme et de ses finalités, à partir de 2005, la municipalité a investi l’assistance sociale et les dispositifs de lutte contre la pauvreté en s’appuyant sur une rhétorique féministe. À l’arrivée de la nouvelle maire, l’administration locale a été le théâtre d’un renouvellement du personnel. Progressivement, un ensemble d’acteurs, actifs dans le mouvement féministe, dans les associations féminines [16], et au sein du parti des travailleurs, ont contribué à mettre en place une « gestion féministe » [17]. La nouvelle équipe municipale a choisi de s’appuyer sur les prérogatives accordées aux femmes bénéficiaires de la Bolsa Família pour conforter un projet « pour et par des femmes », allant au-delà d’une logique « maternaliste ». Pour ce faire, en partenariat avec le Département des politiques pour les femmes (DPF), elle a intégré dans son action une démarche d’insertion sociale et professionnelle pour quelques femmes du programme Bolsa família. Pour réaliser ce projet, un groupe de travail de femmes (« GT-mulher ») a été constitué afin d’établir les objectifs de l’action. Trois axes principaux ont été dégagés (Rogrigues Alves et Viana, 2008) :

  • la santé des femmes ;
  • la diminution de la violence envers les femmes ;
  • et la participation des femmes (au sens large) [18].

27La nouveauté a consisté à introduire une démarche « féministe » en sensibilisant les bénéficiaires du programme aux questions de genre ; en encourageant ces femmes à s’engager dans des métiers jugés masculins (comme la construction publique) et en les sensibilisant aux discriminations masculines qu’elles peuvent avoir à subir dans leur quotidien [19].

28Sans bousculer les objectifs du programme Bolsa Família, la gestion féministe a chargé la SEMAS de mettre en place une prestation complémentaire définie dans le programme Inclusão Produtiva Para as Mulheres de la Bolsa Família (IPM-BF). Ce programme permet d’offrir aux femmes qui le souhaitent une qualification professionnelle à choisir entre les domaines de la restauration, de la construction civile, de la technologie et de la confection. Afin d’assurer la qualification mais aussi la reconnaissance de la formation, un partenariat a été noué avec les secteurs publics et privés (le ministère du travail, le Service national d’apprentissage industriel (SENAI), les syndicats des textiles de l’État du Ceara, de la construction civile et des boulangers, par exemple).

29Le programme IPM-BF a été mis en place à Fortaleza en 2008. Au total, 1 500 femmes ont été invitées à participer à ce programme destiné exclusivement aux femmes bénéficiaires du programme et/ou à celles inscrite au CadUnico. La seule exigence pour être admise à cette prestation complémentaire était d’être parvenue à un niveau scolaire équivalent au CM1 en France ; en d’autres termes pour participer à la prestation complémentaire les femmes devaient attester de leur capacité à lire et à écrire.

30Nous avons eu l’occasion de réaliser des entretiens et des observations participatives avec les femmes bénéficiaires de cette prestation complémentaire, ainsi qu’avec les gestionnaires (encadré). Deux points principaux sont à mentionner parmi les nombreuses questions qui ont été soulevées dans ces entretiens : d’une part l’exclusion des hommes du programme semble faire des objectifs du projet un enjeu exclusivement féminin ; d’autre part [20], en ne s’écartant guère des stéréotypes féminins, on a renforcé un empowerment dans la vie domestique mais on n’a guère renforcé un empowerment dans le cadre d’une participation plus large à la vie sociale, qui pourrait conduire à plus d’égalité entre hommes et femmes.

Des femmes au service d’un féminisme institutionnalisé : un problème exclusivement féminin ?

31La question mérite d’être posée : ne faut-il compter que sur des femmes pour mettre en œuvre un projet « féministe », comme ce fut le cas à Fortaleza ?

32Malgré les intentions affichées – renforcer les outils dont disposent les femmes pour “lutter” pour de meilleures conditions de vie –, ce programme a eu des effets ambigus. Toute participation des hommes aux bénéfices du programme a en effet été exclue. Or dans une culture dite “machiste” [21], les femmes sont désavantagées par une relation de type hiérarchique avec les hommes, et la démarche féministe se trouve réduite à l’engagement d’une confrontation dans la seule sphère domestique. Dans ce contexte, renforcer les outils dont seules les femmes disposent comporte des risques (notamment de favoriser la violence domestique) et se heurte à des limites (la démarche féministe ne pouvant se développer que dans la seule sphère domestique).

33Alors que la femme bénéficiaire est déjà présentée en tant qu’« actrice » de la lutte contre la pauvreté, dans le cadre d’une gestion féministe elle est également seule chargée de faire reconnaître ses droits et apte à mettre en œuvre des projets professionnels et familiaux. Comme l’affirme une interlocutrice dans un entretien, la « femme fragile n’existe pas » [22]. Par contraste, l’homme (bénéficiaire du programme parce qu’il intègre l’unité familiale) incarne l’absence de qualités morales. Uniformément décrit comme « violent et alcoolique » [23], il ne lui est rien demandé. Tout repose sur les épaules des femmes qui sont supposées tout à la fois cesser d’être soumises dans la vie domestique, prendre en charge l’ensemble des responsabilités familiales et développer un projet « féministe ».

34L’ambition est grande, mais en pratique, elle rencontre des limites.

35Dans les faits, l’accès à un revenu régulier par les femmes bénéficiaires de la Bolsa Família a été interprété, notamment par les assistantes sociales, comme une possibilité d’avoir des « pouvoirs » plus importants au sein de la sphère domestique, par exemple en matière de consommation domestique. Les enquêtes montrent qu’elles peuvent désormais décider seules de certains achats (Mariano et Carloto, 2009). Ce résultat a été présenté comme un signe d’empowerment. Ainsi, l’achat d’un réfrigérateur a-t-il cessé d’être interprété par les travailleurs sociaux comme une dépense de consommation illégitime pour des foyers pauvres. Dans le langage de l’empowerment, ce comportement participe désormais de l’« amélioration des conditions de vie de la famille », et d’une conquête du « pouvoir féminin dans les dépenses au sein du ménage » [24]. Quelquefois même les travailleurs sociaux avancent que l’empowerment économique des femmes s’est accru puisqu’avec cet équipement, les femmes peuvent aussi produire plus facilement de la glace et développer un petit commerce.

36Cependant, la recherche montre la difficulté à obtenir des résultats plus fondamentaux. À Fortaleza, la prestation complémentaire associée au programme visait à renforcer « l’autonomie économique des femmes dans la perspective de rompre la division sexuelle du travail » [25]. L’objectif était de former les femmes à un métier et de les encourager à s’engager dans les domaines jugés masculins. Mais les femmes interviewées ont fait part de leur difficulté à trouver un travail. Leur profil social, notamment, n’est pas très favorable. Ces femmes ont en moyenne 35 ans et très peu d’expérience du marché du travail, elles sont donc peu concurrentielles sur ce marché. Afin de les motiver à développer leurs acquis, la SEMAS a mis en place dans les différents CRAS des groupes de travail, plus ou moins informels (rencontres hebdomadaires leur permettant de maintenir le contact entre elles et d’envisager de participer à des foires pour vendre leur création) ou même formels (projet « Mulheres Pedreiras » – femmes ouvrières du bâtiment) au sein desquels quelques femmes bénéficiant de la prestation complémentaire ont pu obtenir des contrats à durée déterminée, notamment dans le domaine de la construction civile (secteur en constante demande de main-d’œuvre).

37La Bolsa Família à Fortaleza peut contribuer à un relatif empowerment au niveau de la sphère domestique mais elle ne constitue pas un outil pour atteindre l’égalité, comme l’ont pensé les mouvements féministes.

La Bolsa Família à Florianópolis

38À Florianópolis, comme à Fortaleza, le mandat de maire a été reconduit, donnant ainsi pendant une période de plusieurs années une continuité au programme. Dario Elias Berger est affilié au parti d’opposition, le PSDB. Par ailleurs, l’épouse du préfet, Rosemere B. Berger, s’est vue accorder la fonction de directrice de la Politique d’assistance sociale, alors qu’elle ne disposait d’aucune formation spécifique dans ce domaine, selon une pratique répandue de « damismo » [26]. Par ailleurs, le poste de direction de l’assistance sociale a été le plus souvent occupé par des femmes assistantes sociales qui attribuent une compétence typiquement féminine (écoute, accueil, soins) dans les domaines sociaux.

39Alors qu’à Fortaleza, la mise en œuvre de la Bolsa Família s’est faite en dialogue avec le département des politiques pour les femmes (DPF), il n’en a pas été de même à Florianópolis. Ce département administratif, rattaché au bureau du maire, est pourtant destiné à conseiller, soutenir et coordonner l’ensemble des projets destinés à la population féminine et à créer des espaces de dialogue avec le mouvement féministe. Contrairement à Fortaleza, le DPF exerce ses fonctions dans les structures de la SEMAS et n’a pourtant aucune connexion avec la Bolsa Família ou avec les revendications provenant du mouvement féministe. Les assistantes sociales du programme ont aussi signalé que durant la période où a eu lieu la présente recherche, il n’existait aucune connexion avec les conseils municipaux d’assistance sociale (CMAS) ni avec le Conseil municipal des droits de la femme (CONDIM), également créé en 2008 et ayant des actions au sein de la Bolsa Família. Ce qui laisse présager un manque de coordination entre les différents services.

40Les entretiens avec des gestionnaires du programme tendent à confirmer que contrairement à Fortaleza, Florianópolis n’avait pas de stratégie féministe. Sans dialogue avec le mouvement féministe et sans lien avec le DPF, la mise en œuvre de la Bolsa Família a été réduite à une application stricte du programme (versement d’allocations aux familles pauvres dont les enfants vont à l’école, etc.), sans s’intéresser aux revendications féministes ni à des objectifs égalitaristes.

41Presque naturellement, s’est imposée ainsi une logique de relation d’assistance suivant un modèle très traditionnel. L’inscription dans les CRAS ne permet guère d’échapper aux pratiques du travail social instituées depuis des décennies : cette inscription relève d’assistantes sociales, qui sont majoritairement des femmes, blanches, de la classe moyenne, qui instaurent bien souvent une relation individuelle, moralisatrice, et paternaliste avec leurs « clients » (Donzelot, 1977 ; Verdès Leroux, 1978).

42Les professionnelles du secteur social de Florianópolis ont parfois opté pour une posture progressiste permettant d’aller au-delà des normes minimales du programme (exemples : aide à des familles de couples homosexuels et/ou à des familles dont le revenu est supérieur à celui exigé par le programme – 140 reais) mais elles exigent également l’application et le respect stricts des contreparties et n’ont pas recherché l’extension de ces dernières.

43À Florianópolis, il n’a été possible de mettre en œuvre une stratégie de réponse ni aux demandes féministes ni à des besoins adaptés au quotidien des bénéficiaires, par exemple des politiques prenant en compte la violence envers les femmes, les difficultés d’accès au travail dans le secteur formel, la mise en place de crèches ou le partage des contreparties entre les membres responsables de la famille (père compris).

44Le programme se situe dans une perspective régressive vis-à-vis du genre puisqu’il privilégie la « fonction maternelle » des femmes. Assistants sociaux et femmes bénéficiaires s’accordent sur l’idée que les mères sont les seules à connaître les besoins des enfants et de la famille et à savoir s’en occuper. « Elas estão por dentro » [27] (« elles sont dans le coup »), telle était la justification donnée même par quelques hommes bénéficiaires pour ne prendre aucune responsabilité. Ainsi les obligations (et par conséquent les droits) des femmes, assimilées à celles des mères, en sortent-elles renforcées.

45L’allocation apporte certes une certaine autonomie (définie en termes de revenu régulier et sûr) aux femmes bénéficiaires. Comme le dit l’une des femmes interviewée : « Avec la prestation versée par Bolsa família, c’est moi qui décide ce que j’achète » [28]. Selon ses gestionnaires, les revenus du programme ont notamment apporté aux femmes une « autonomisation » vis-à-vis du marché en permettant l’achat de services privés dans un contexte marqué notamment par la privatisation et la concurrence avec les services publics (éducation et santé par exemple ; quelques familles ont en effet accédé à ce type de service).

46Ces dernières observations doivent être cependant nuancées : ce revenu de transfert n’apporte pas une autonomie totalement nouvelle à la plupart de ses bénéficiaires car beaucoup avaient déjà accès à d’autres revenus par leur travail (Pinzani et Rego, 2013 ; Pires et Rego, 2013). Il est surtout difficile d’y voir l’origine d’une transformation des relations de pouvoir des femmes bénéficiaires avec leur environnement.

Conclusion

47Les deux expériences que nous avons suivies au niveau local montrent que la mise en œuvre du dispositif national Bolsa Família est étroitement liée à des configurations dynamiques d’enjeux et d’acteurs locaux. Le programme, en effet, laisse une certaine liberté aux collectivités locales pour interpréter et formuler les enjeux en toute autonomie et en fonction de dynamiques internes.

48Si la logique et la représentation essentialiste de la femme pourvoyeuse des soins, indéniablement présente dans le programme, n’ont pas été remises en cause à Fortaleza, la place qu’y a prise un féminisme soucieux de sensibiliser les bénéficiaires aux inégalités de genre a aussi permis de faire de la Bolsa Família le point de départ d’une reconnaissance de la situation des femmes (des femmes pauvres, entendons-nous) et d’actions visant leur autonomie économique en partenariat avec des ONG.

49À Florianópolis, la mise en œuvre de la Bolsa Família a été détachée de toute revendication féministe. Elle reste marquée par le maternalisme naturalisant du rôle de la mère présent dans le programme. Il est vrai que Florianópolis se caractérise par de meilleurs indicateurs sociaux. L’incidence de la pauvreté n’y est toutefois pas négligeable. Malgré le contexte, les familles concernées perçoivent l’accès aux prestations du programme comme un droit qui doit être étendu à toutes celles et tous ceux qui en ont besoin.

50Bien que le cycle intergénérationnel de la pauvreté continue d’affecter les familles, l’évaluation globale du programme montre que les prestations versées dans ce cadre ont favorisé une forme de mobilité sociale en confortant l’accès à des biens et surtout à certains services. Mais il ne faudrait pas s’en tenir à ces seuls indicateurs pour apprécier les avancées que le programme a permis. On a tenté de montrer ce que peut apporter une analyse de la mise en œuvre locale du programme et de son articulation en s’appuyant sur un questionnement « féministe ». Sans doute l’analyse des acteurs et des réseaux qui se positionnent autour du programme pourrait-elle éclairer d’autres aspects encore peu approfondis du programme.

Notes

  • [*]
    Mara Coelho de Souza Lago, professeure à l’université fédérale de Santa Catarina (Brésil).
    Rosana de Carvalho Martinelli Freitas, professeure de l’école de service social de l’université fédérale de Rio de Janeiro (Brésil).
    Elizabeth Farias da Silva, professeure en sciences sociales et en sciences politiques et sociologie à l’université fédérale de Santa Catarina (Brésil).
    Daniele Lopes Wohnlich, doctorante au Centre de recherche interdisciplinaire sur l’international (CRII) de l’université de Lausanne (Suisse).
  • [1]
    Ils ont été testés en Asie et en Afrique (Banque mondiale, 2001). Voir notamment dans ce numéro l’article de P. Diaz concernant les Philippines.
  • [2]
    L’étude de Debonneville et Diaz (2013) montre comment la Banque mondiale est devenue le promoteur des CCT à travers le monde, et dans leur étude en particulier aux Philippines.
  • [3]
    M. Molyneux (2006) dans sont étude sur le Progresa souligne la représentation « essentialiste » véhiculée par ce type de programme mettant en avant l’image altruiste, soigneuse et dévouée à la famille. En tant que telle, la femme serait la plus apte à dépenser en fonction des besoins du foyer et la mieux à même d’en faire bénéficier la famille (les enfants).
  • [4]
    L’empowerment réel des femmes a été envisagé par des organisations féministes du Sud comme une politique alternative pour améliorer l’égalité hommes-femmes (Verschuur, 2009).
  • [5]
    Allusion à la question posée par Maxine Molyneux (2007), « Mothers at the Service of the State ? ».
  • [6]
    Jules Falquet (2003a) propose une analyse critique du terme « empowerment ». Dans la réflexion sur le développement, ce terme finit par perdre son sens au regard de la demande initiale des mouvements féministes : l’empowerment en tant que moyen pour atteindre l’égalité y devient une fin en soi.
  • [7]
    http://www.mds.gov.br/bolsafamilia, consulté le 10 juin 2014.
  • [8]
    Nous nous attarderons surtout sur le genre et la région.
  • [9]
    Sources : IBGE selon le recensement réalisé en 2010.
  • [10]
    Sources : Prefeitura de Fortaleza, 2010.
  • [11]
    Le CRAS est une unité publique décentralisée et appartenant au cadre plus général de la Politique nationale de l’assistance sociale (PNAS), cette dernière découle de la Loi d’assistance sociale (LOAS) adoptée en 1993 à la suite de la réforme survenue dans le cadre de l’Assistance sociale de politique sociale dans le but d’élargir, de généraliser et assurer l’assistance sociale aux populations exclues du marché du travail, ce qui représente pour les plus démunis un gain en termes d’assurance sociale.
  • [12]
    Lorsque la Bolsa Família a été créée les municipalités de Fortaleza et de Florianópolis disposaient déjà du premier programme national la Bolsa Escola et de plusieurs autres programmes, comme la Bolsa Alimentação, Cartão Alimentação entre autres, fonctionnant de manière fragmentée pour certains. Pour basculer dans la Bolsa Família et combiner l’ensemble des programmes, les municipalités ont dû signer un Termo de Adesao ao Programa Bolsa Família. À Fortaleza et à Florianópolis, la signature a eu lieu en 2005.
  • [13]
    Prefeitura de Fortaleza, 2010.
  • [14]
    Le revenu familial est calculé sur la base des revenus entrants divisés par le nombre de personnes résidant dans le foyer. Sur la base du revenu moyen, les familles sont classées en « extrêmement pauvres » si le revenu mensuel net ne dépasse pas l’équivalent de 22 euros par personne ; en « pauvres » si le revenu moyen ne dépasse pas 44 euros. Ensuite, les familles sont sélectionnées en fonction des informations fournies (autodéclaration) aux municipalités. Ces dernières les inscrivent dans le CadUnico. La sélection de la famille se fait au niveau fédéral par un moyen automatisé. L’inscription au CadUnico n’entraîne pas l’inscription automatique à la Bolsa Família. Toutefois, une fois inscrite la famille a accès à l’ensemble des services de l’assistance sociale (notamment à des prestations complémentaires).
  • [15]
    Objectif affiché par la mairie de Fortaleza durant les années de gestion de la nouvelle élue du Parti des travailleurs, Luizianne Lins, élue deux fois entre 2004 et 2012.
  • [16]
    Il est nécessaire ici d’opérer une mise en garde : le mouvement féministe, mouvement qui questionne la situation des femmes et tente d’apporter un changement significatif dans leurs conditions de vie, doit être distingué des mouvements féminins, qui ont souvent un discours plus modéré. Ces mouvements peuvent s’inscrire dans l’agenda d’État en s’engageant dans des projets spécifiques, et subir les victoires et des désillusions que cette coopération engendre (nous empruntons la réflexion à Jules Falquet, 2003b).
  • [17]
    Par exemple, la coordinatrice de la SEMAS (département administratif responsable de la gestion de la politique d’assistance sociale et de la Bolsa Família), Elaene Rodrigues Alvez, est issue du mouvement féministe ; elle est assistante sociale et affiliée au parti gouvernemental. Raquel Viana, avec le même profil, a pris en charge la direction du département des politiques pour les femmes (DPF).
  • [18]
    La municipalité y a inclus la question de la violence faite aux femmes et a mis en place deux nouvelles structures à cette fin : un lieu d’accueil (Casa de Abrigo) et un hôpital destiné exclusivement aux femmes. Toutefois, elle se limite à une approche strictement maternelle en évacuant la question de la santé reproductive de la femme ou encore le droit à l’avortement.
  • [19]
    Comme le souligne la coordinatrice de l’agenda, « des pratiques comme celle-ci [sensibilisation au genre] doivent être réalisées afin qu’elles [les femmes bénéficiaires] n’aient plus peur et arrivent à briser le monopole masculin » (traduction de l’auteur).
  • [20]
    La Bolsa Família, en référence au World Development Report de 2000-2001, définit la pauvreté dans sa dimension multidimensionnelle, qui se manifeste par la privation de « sa capacité », c’est-à-dire, selon la conception d’Amartya Sen (1999), de par un frein au développement en tant que processus d’expansion des libertés humaines. Dans ce cadre, pour lutter efficacement contre la pauvreté, il s’agirait d’accroître ces libertés grâce à l’expansion des « capacités » humaines.
  • [21]
    Faute de terme plus adéquat, nous avons retenu celui-ci. Toutefois, sans entrer dans une conception stéréotypée de l’homme du Nordeste, il est important de rappeler que l’action se déroule dans des contextes patriarcaux où certains hommes exercent sur les femmes un important pouvoir relationnel qui s’exprime de façons très diverses.
  • [22]
    Entretiens, Fortaleza, 2010.
  • [23]
    Entretiens, Fortaleza, 2010.
  • [24]
    Entretiens, Fortaleza, 2010.
  • [25]
    Prefeitura Fortaleza, 2010.
  • [26]
    Le terme « damismo » (vocable découlant de « Première dame ») désigne le fait d’attribuer des responsabilités administratives à l’épouse du candidat élu, alors que cette dernière ne dispose ni des compétences ni des fonctions dans le cadre administratif qui lui permettraient de les exercer.
  • [27]
    Entretien réalisé en 2010.
  • [28]
    Entretien avec une bénéficiaire en 2011.
Français

L’objectif de cet article est de présenter les résultats d’enquêtes qualitatives menées au Brésil, dans deux villes contrastées, Fortaleza (nord-est) et Florianópolis (sud), entre 2009 et 2012 sur la mise en œuvre du programme Bolsa Família. De nombreux entretiens y ont été conduits avec les gestionnaires de ce programme et avec ses bénéficiaires. Ces enquêtes débouchent sur une réflexion concernant la mise en œuvre pratique de la Bolsa Família au niveau local. Adoptant une perspective féministe, nous montrons comment les modalités de mise en œuvre d’un même programme national présentent de nombreuses différences selon les contextes et les politiques municipales. Dans l’une des deux villes, celle qui a une orientation « féministe », on observe la multiplication d’actions destinées aux femmes qui bénéficient de la prestation financière, et dans l’autre ville, l’absence d’une orientation de ce type. Si les politiques municipales des deux villes étudiées ne s’éloignent ni l’une ni l’autre de la logique générale, c’est-à-dire ciblage des bénéficiaires, transferts monétaires vers les plus pauvres et conditionnalité des aides, les réalisations à mettre à l’actif du programme Bolsa Família apparaissent au niveau local sensiblement différentes.

Références bibliographiques

  • Banque mondiale. (1990), « La pauvreté », rapport sur le développement dans le monde, Washington DC.
  • Banque mondiale (2001), « Combattre la pauvreté », rapport sur le développement 2000/2001, Washington DC.
  • En ligneBradshaw S. (2008), « From structural adjustment to social adjustment. A gendered analysis of conditional cash transfer programmes in Mexico and Nicaragua », Global Social Policy, Vol. 8, N° 2, p. 188-207.
  • Ceballos M., Lautier B. (2013), « Les CCTP en Amérique Latine », in Destremau B. et Jamard E. (eds.), « Bruno Lautier, un sociologue engagé », dossier de la Revue Tiers Monde, n° 214, 219-245.
  • En ligneChant S. (2008), « The ‘Feminization of poverty’ and the ‘Feminization of anti-poverty’ : room for revision ? », Journal of Development Studies, Vol. 44, N° 2, p. 165-197.
  • En ligneDebonneville J., Diaz P. (2013), « Les processus de transfert de politiques publiques et les nouvelles techniques de gouvernance. Le rôle de la Banque mondiale dans l’adoption des programmes de conditional cash transfers aux Philippines », Revue Tiers Monde, 216, 161-178.
  • Donzelot J. (1977), La Police des Familles, Paris : Ed. de Minuit, Collection « Critique ».
  • Evans M., Lana X. (2004), « Policy transfer between developing countries : the case of the Bolsa Escola programme to Ecuador », in Evans M. (ed.), Policy transfer in global perspective, Ashgate : Aldershot, pp. 190 –210.
  • En ligneFalquet J. (2003a), « “Genre et développement” : une analyse critique des politiques des institutions internationales depuis la Conférence de Pékin », in Reysoo F., Verschuur C., « On m’appelle à régner. Mondialisation, pouvoirs et rapports de genre », Les colloques Genre de l’IUED, Genève : Direction du développement et de la coopération, Commission Suisse pour l’UNESCO, Institut universitaire d’études du développement, pp 59-90.
  • Falquet J. (2003b), « Femmes, féminisme et « développement » : une analyse critique des politiques des institutions internationales », in Bisilliat J. (dir.), Regards de femmes sur la globalisation. Approches critiques, Paris : Karthala, pp 75-112.
  • Freitas R.C.M. (2004), « A política de combate à pobreza : um estudo comparativo entre o Brasil e o México nas décadas de 1980 e 1990 », Thèse pour le Programa de Pós-Graduação em Sociologia Política, Universidade Federal de Santa Catarina, Florianópolis.
  • En ligneHaas P. (1992), « Introduction : epistemic communities and international Policy coordination », International Organization, Vol. 46, N° 1.
  • IBGE (Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística) (2010), Censo 2010, Brasília : IBGE, 2010.
  • IBGE (2013), Síntese des Indicadores Sociais. Uma análise das condições de vida da população brasileira, Rio de Janeiro, 2013. www://http.ibge.gov.br/Indicadores_Sociais/Sintese_de_Indicadores_Sociais_2013/SIS_2013.pdf, consulté le 12 janvier 2014.
  • IPEA (2011), Retrato das desigualdades de Gênero e Raça, 4a ediçao, Brasilia.
  • Jenson J. (2011), « Politiques Publiques et investissement social : quelles conséquences pour la citoyenneté sociale des femmes », Cahiers du Genre, hors-série n° 2, p. 23-43.
  • Kabeer N. (2005), Intégration de la dimension de genre à la lutte contre la pauvreté et Objectifs du millénaire pour le développement. Manuel à l’intention des instances de décision et d’intervention, Paris : L’Harmattan.
  • Lindert K., Linder A., Hobbs J., De la Brière B. (2007), « The Nuts and Bolts of Brazil’s Bolsa Família Program : Implementing Conditional Cash Transfers in a Decentralized Context », Social Protection Discussion paper n° 0709, Washington : World Bank.
  • Lopes Wohnlich D., Debonneville J., Merrien F.-X. (2011), « De Brasilia à Manille : la mise en œuvre de politiques sociales axées sur la dimension genre au Brésil et aux Philippines. Le cas de la Bolsa Família et du Pantawid Pamilyang Pilipino Program », 13th EADI General Conference Rethinking Development in an Age of Scarcity and Uncertainty : New Values, Voices and Alliances for Increased Resilience, 19-22 September 2011, York, UK.
  • En ligneMariano S.A., Carloto C.M. (2009), « Gênero e Combate à Pobreza : Programa Bolsa Família », Revistas Estudos Feministas, 17(3), 901-908.
  • Merrien F.-X. (2001), « Les nouvelles politiques de la Banque mondiale. Le cas des pensions » Revue internationale des sciences sociales, n ° 170, p.589-603.
  • Merrien F.-X. (2013), « Social Protection as Development Policy : A New International Agenda for Action », International development Policy, 5(1), 69-88.
  • En ligneMolyneux M. (2006), « Mothers at the Service of the New Poverty Agenda : Progresa/Oportunidades, Mexico’s Conditional Transfer Programme », Social Policy & Administration, Vol. 40, n° 4.
  • Molyneux M. (2007), Change and Continuity in Social Protection in Latin America : Mothers at the Service of the State ? UNRISD, Programme Paper n°1 on Gender and Development
  • Molyneux M. (2008). « Conditional cash transfers : A pathways to women’s empowerment ? », Pathway working paper 5, IDS.
  • Pinzani A., Rego W. (2013), Vozes do Bolsa Família : autonomia, dinheiro e cidadania, São Paulo : Ed. da UNESP.
  • Pires F.F., Rego W.L. (Orgs.) (2013), « 10 Anos de Programa Bolsa Família », Política e Trabalho, UFPB n.38 (abril 2013), p.21-42.
  • Prévost B. (2011), « Le genre dans les nouvelles stratégies de lutte contre la pauvreté : de Sen à la Banque mondiale », in Guérin I., Hersent M., Fraisse A (dir.) Femmes, économie et développement. De la résistance à la justice sociale, IRD/Érès, p.31-62.
  • Rogrigues Alves M.E., Viana R. (2008), « Políticas para as Mulheres em Fortaleza. Desafios para a igualdade », Coordenadoria Especial de Políticas Para as Mulheres, Secretaria Municipal de Assistência social-SEMAS, Prefeitura de Fortaleza.
  • Sabatier A. P., Jenkins-Smith H.C. (1993), Policy change and learning : an advocacy coalition approach, Boulder (Colo.), Westview Press.
  • Sen A. (2000), Desenvolvimento como liberdade, São Paulo : Companhia das Letras (éd. originale : Development as Freedom, Oxford university press).
  • Verdès-Leroux J. (1978), Le travail social, Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun ».
  • En ligneVerschuur C. (2009), « Quel genre ? Résistances et mésententes autour du mot genre dans le développement », Revue Tiers Monde n° 200, oct-déc., p.785-803.
Mara Coelho de Souza Lago [*]
Docteure de l’université Estadual de Campinas-SP, elle est professeure à l’université fédérale de Santa Catarina (Brésil) où elle enseigne en psychologie et en sciences humaines. Ses domaines de recherche sont le genre, les générations, les subjectivités.
  • [*]
    Mara Coelho de Souza Lago, professeure à l’université fédérale de Santa Catarina (Brésil).
    Rosana de Carvalho Martinelli Freitas, professeure de l’école de service social de l’université fédérale de Rio de Janeiro (Brésil).
    Elizabeth Farias da Silva, professeure en sciences sociales et en sciences politiques et sociologie à l’université fédérale de Santa Catarina (Brésil).
    Daniele Lopes Wohnlich, doctorante au Centre de recherche interdisciplinaire sur l’international (CRII) de l’université de Lausanne (Suisse).
Rosana de Carvalho Martinelli Freitas [*]
Docteure en sociologie politique de l’université fédérale de Santa Catarina (Brésil), elle est professeure retraitée de l’école de service social de l’université fédérale de Rio de Janeiro. Ses domaines de recherche sont : les inégalités, la pauvreté, l’environnement.
  • [*]
    Mara Coelho de Souza Lago, professeure à l’université fédérale de Santa Catarina (Brésil).
    Rosana de Carvalho Martinelli Freitas, professeure de l’école de service social de l’université fédérale de Rio de Janeiro (Brésil).
    Elizabeth Farias da Silva, professeure en sciences sociales et en sciences politiques et sociologie à l’université fédérale de Santa Catarina (Brésil).
    Daniele Lopes Wohnlich, doctorante au Centre de recherche interdisciplinaire sur l’international (CRII) de l’université de Lausanne (Suisse).
Elizabeth Farias da Silva [*]
Docteure en éducation de l’université de São Paulo, elle est professeure à l’université fédérale de Santa Catarina (Brésil) où elle enseigne en sciences sociales et en sciences politiques et sociologie. Ses recherches portent sur la sociologie politique et ses rapports avec la sociologie de l’éducation.
  • [*]
    Mara Coelho de Souza Lago, professeure à l’université fédérale de Santa Catarina (Brésil).
    Rosana de Carvalho Martinelli Freitas, professeure de l’école de service social de l’université fédérale de Rio de Janeiro (Brésil).
    Elizabeth Farias da Silva, professeure en sciences sociales et en sciences politiques et sociologie à l’université fédérale de Santa Catarina (Brésil).
    Daniele Lopes Wohnlich, doctorante au Centre de recherche interdisciplinaire sur l’international (CRII) de l’université de Lausanne (Suisse).
Daniele Lopes Wohnlich [*]
Doctorante au Centre de recherche interdisciplinaire sur l’international (CRII) de l’université de Lausanne (Suisse). Ses travaux portent sur la mise en place des politiques de transversalité de genre au Brésil.
  • [*]
    Mara Coelho de Souza Lago, professeure à l’université fédérale de Santa Catarina (Brésil).
    Rosana de Carvalho Martinelli Freitas, professeure de l’école de service social de l’université fédérale de Rio de Janeiro (Brésil).
    Elizabeth Farias da Silva, professeure en sciences sociales et en sciences politiques et sociologie à l’université fédérale de Santa Catarina (Brésil).
    Daniele Lopes Wohnlich, doctorante au Centre de recherche interdisciplinaire sur l’international (CRII) de l’université de Lausanne (Suisse).
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 22/10/2014
https://doi.org/10.3917/rfas.143.0030
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour La Documentation française © La Documentation française. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...