Introduction
1Le marché de l’emploi suédois a connu à partir des années 1980 une évolution vers une flexibilité accrue en raison du développement des formes atypiques d’emploi (atypiska anställningsformer). Ces dernières ont été définies en Suède – à l’occasion d’un rapport rendu public en 1999 – comme l’ensemble des formes d’emploi se situant en dehors du contrat à durée indéterminée (CDI) à temps plein (SOU, 1999). La Suède figure en effet au nombre des pays caractérisés par une législation protectrice des salariés et notamment par l’encadrement des formes d’emploi temporaire (OECD, 2004). Elle se distingue en cela de son voisin danois dont la flexibilité de l’emploi a été louée par le Conseil européen dans sa décision du 6 décembre 2007 sur les principes communs de flexicurité. En revanche, les évolutions législatives successives portées tant par des gouvernements sociaux-démocrates que par des coalitions de centre-droit ont fait progresser les formes d’emploi alternatives au CDI à temps plein.
2Cet article s’appuiera principalement sur les données enregistrées par l’office statistique suédois (statistiska centralbyrån) malgré une identification statistique malaisée des différentes formes atypiques d’emploi dans le cadre de l’enquête emploi (Arbetskraftsundersökning, AKU). En effet, les données sur l’intérim n’apparaissent pas dans la mesure où la grande majorité des intérimaires sont titulaires d’un CDI conclu avec une agence de placement (Larsson, 2011). En outre, l’identification des temps partiels est rendue complexe en raison de l’ampleur des dérogations apportées à la durée du travail fixée à quarante heures par la loi sur le temps de travail (Arbetstidslagen 1982 : 673). La détermination du temps de travail étant essentiellement une compétence des partenaires sociaux, elle varie selon les secteurs économiques et les conventions collectives applicables (Anxö, 2009). L’office statistique suédois a ainsi décidé que le travail à temps partiel concernait les personnes qui travaillent au maximum trente-quatre heures par semaine. L’année 1993 sera retenue comme point de départ pour l’étude de l’évolution des formes atypiques d’emploi, dans la mesure où elle correspond à la suppression du délit de marchandage pour les agences de placement. Les données de l’office statistique suédois seront complétées par les données tirées des études conduites par Eurostat ou l’OCDE afin de procéder à des comparaisons avec l’ensemble des pays membres de l’Union européenne, dont la France. L’article s’intéressera particulièrement aux variables de l’âge et du genre afin de comprendre le rôle des formes atypiques d’emploi dans la construction des trajectoires professionnelles.
3La Suède est souvent présentée comme un pays où la protection sociale est majoritairement financée par l’impôt, et les prestations sociales sont universelles puisqu’elles sont liées au statut de résident (Zaidman, 2012). Cette caractérisation du régime suédois de protection sociale ne correspond toutefois qu’au régime légal de base qui offre des prestations moins avantageuses que celles fournies par le régime légal lié au revenu. Il est ainsi difficile de décrire le régime de protection sociale suédois comme un régime beveridgien alors qu’une part importante des droits du régime légal dérive du statut de salarié. Les études consacrées aux composantes de la protection sociale suédoise, comme les retraites ou l’accès aux soins, soulignent également l’incorporation d’éléments des régimes bismarckiens en son sein (Vural, 2011 ; Or et al., 2009). L’article s’attachera ainsi à appréhender les effets de cette évolution du régime de protection sociale sur les personnes occupant un emploi atypique. Il montrera également que l’essor des formes atypiques d’emploi a renforcé l’évolution du système de protection sociale suédois vers un régime bismarckien.
Le développement des formes atypiques d’emploi en Suède : un état des lieux
4L’essor de la flexibilité de l’emploi en Suède concerne l’ensemble des formes d’emploi : les CDD, l’intérim et les contrats à temps partiel ont, à des rythmes différents, tous progressé. Ces formes d’emploi deviennent ainsi des composantes de la trajectoire professionnelle d’une majorité de Suédois. Leur fréquence et leur durée varie néanmoins fortement selon l’âge et le genre des personnes.
Le poids des formes atypiques d’emploi et leur place dans les parcours professionnels
5Le législateur a posé en principe le primat du CDI dans la loi sur la protection de l’emploi de 1974. L’article 5 de la loi sur la protection de l’emploi de 1982 (Lag om anställningsskyd 1982 : 30) a toutefois autorisé la conclusion d’accords collectifs sur les CDD dans les cas suivants : les accroissements conjoncturels de l’activité et les contrats de mission, le remplacement ponctuel d’un salarié, le travail saisonnier ainsi que le travail des personnes âgées de plus de 67 ans. L’enquête sur l’emploi – conduite par l’office des statistiques suédois – permet de retracer l’expansion continue des contrats à durée déterminée (CDD) au détriment de l’emploi en CDI à partir de 1987, alors que la part des travailleurs indépendants reste stable. Les CDD représentaient ainsi 14,4 % de l’emploi total en 2012 contre 10,9 % en 1987. Cette progression est encore plus marquée pour les femmes, puisque 17 % de l’emploi féminin était en CDD en 2012 contre 12 % pour les hommes. Ces statistiques ne reflètent toutefois pas la montée des postes en intérim comptabilisés parmi les emplois en CDI à temps plein, ni la progression des postes à temps partiel chez les hommes.
6Les formes atypiques d’emploi constituent une voie d’accès à l’emploi dans la mesure où un chômeur dispose de cinq fois moins de chance de trouver un CDI à temps plein qu’une forme alternative d’emploi (graphique 1). Elles constituent donc une étape dans la trajectoire d’insertion professionnelle de la plupart des travailleurs. Ces formes d’emploi représentent plus de la moitié de l’emploi salarié masculin et près de 80 % de l’emploi salarié féminin entre 16 et 24 ans. Elles connaissent en revanche un fort recul dès 24 ans pour ne plus représenter que 20 % de l’emploi salarié masculin et 48 % de l’emploi féminin. La prévalence des formes atypiques d’emploi chez les 15-24 ans est à 44 % liée à l’alternance de périodes d’activité professionnelle avec des périodes de poursuite d’études ou de formation professionnelle.
Accès à l’emploi des chômeurs (en %)

Accès à l’emploi des chômeurs (en %)
7La trajectoire d’évolution vers le CDI est toutefois assez longue. Une étude sur le devenir professionnel des personnes employées en CDD fait ressortir que 36,2 % des salariés en CDD étaient employés en CDI au bout de deux ans et 50,4 % disposaient d’une forme d’emploi stable au bout de quatre ans (Håkansson, 2001). Toutefois, 39 % d’entre eux se trouvent soit au chômage soit dans une forme d’emploi précaire au bout de quatre ans. Le graphique 2 indique que les formes atypiques d’emploi perdurent au-delà de 25 ans, puisqu’elles représentent au minimum 11 % de l’emploi salarié masculin et 34 % de l’emploi féminin.
Formes d’emploi selon l’âge et le genre en Suède en 2011 (en %)

Formes d’emploi selon l’âge et le genre en Suède en 2011 (en %)
8L’emploi à temps partiel en CDI ou en CDD (deltidsanställning) constitue la forme d’emploi atypique la plus répandue en Suède. Elle est particulièrement fréquente chez les plus jeunes puisqu’elle représente 35 % de l’emploi masculin et près de 64 % de l’emploi féminin. Certains auteurs récusent l’assimilation de l’ensemble des formes d’emploi à temps partiel à une forme d’emploi précaire (Jonsson et Nyberg, 2009). Les parents disposent en effet de la faculté de réduire leur temps de travail jusqu’à 75 % et de compenser partiellement leur perte de salaire par une allocation parentale jusqu’à ce que l’enfant célèbre son huitième anniversaire ou termine son cours préparatoire (Föräldraledighetslag 1995 : 584). Cette disposition législative explique en partie l’importance du taux d’emploi à temps partiel des femmes par rapport à celui des hommes en Suède (graphique 3). Il se situait ainsi, en 2012, à 14,6 % pour les hommes et à 39,6 % pour les femmes, soit une différence de 25 points. L’emploi féminin à temps partiel tend à se stabiliser autour de 40 % depuis 2006, alors que l’emploi à temps partiel masculin est en progression ; ce qui témoigne d’un certain rééquilibrage des tâches à l’intérieur des couples. Le graphique 4 fait ainsi ressortir que 18,2 % des hommes suédois évoquent des raisons familiales pour justifier le recours au travail à temps partiel ; ce qui est également le cas de 17,8 % des Français mais de seulement 11,2 % des Européens.
Emploi à temps partiel selon le genre (en % de l’emploi total)

Emploi à temps partiel selon le genre (en % de l’emploi total)
Raisons du recours au travail à temps partiel (en %)

Raisons du recours au travail à temps partiel (en %)
9Les études conduites par Eurostat sur l’estimation des formes d’emploi subies favorisent l’identification des différentes causes du recours au travail à temps partiel, puisque les raisons familiales ne permettent pas d’expliquer l’ampleur du travail à temps partiel féminin en Suède. Ces raisons ne sont évoquées que par 34 % des Suédoises alors qu’elles sont mises en avant par 44 % des Européennes et 48 % des Françaises. Une fraction non négligeable de l’emploi à temps partiel est donc imposée par les secteurs économiques dans lesquels les femmes sont majoritaires, comme le secteur social et médico-social. Il est ainsi possible d’évoquer un phénomène d’hystérèse de l’emploi à temps partiel féminin qui concerne au minimum 20 % des postes à temps partiel pourvus.
10Toutefois, les comparaisons avec la France laissent apparaître que le temps partiel est une forme d’emploi moins subie en Suède quels que soient l’âge et le genre. La comparaison avec l’ensemble de l’Union européenne figurant dans le graphique 5 fait ressortir la proportion plus importante de temps partiels subis pour les 15-24 ans quel que soit le genre.
Poste à temps partiel par défaut, par âge et par genre en 2012 (en %)

Poste à temps partiel par défaut, par âge et par genre en 2012 (en %)
NOTE • Pourcentage de personnes déclarant occuper un poste à temps partiel parce qu’elles n’ont pas trouvé un poste à temps plein.11La deuxième forme d’emploi salarié la plus courante en Suède est l’emploi en contrat à durée déterminée (tidsbegränsad anställning), qu’il soit à temps plein ou à temps partiel. Le recours au CDD est fortement corrélé à l’âge puisque cette forme d’emploi représente chez les 16-24 ans plus de 44 % des hommes salariés et plus de 55 % des femmes salariées. L’emploi en CDD concerne encore 15,5 % des hommes et 26 % des femmes âgés de 25 à 34 ans, puis chute en deçà des 10 % à partir de 35 ans. Au-delà de 35 ans, cette forme d’emploi est plus répandue chez les femmes mais dans des proportions limitées, soit 3,5 points d’écart ainsi qu’en atteste le graphique 6.
Poste en CDD par défaut, par âge et par genre en 2012 (en %)

Poste en CDD par défaut, par âge et par genre en 2012 (en %)
NOTE • Pourcentage de personnes déclarant occuper un poste en CDD parce qu’elles n’ont pas trouvé un CDI.12Les études conduites par Eurostat soulignent que l’emploi en CDD est, dans sa grande majorité, un emploi subi. Parmi les Suédois et les Suédoises de plus de 25 ans, 58 % au minimum estiment que le CDD est une forme d’emploi par défaut. Seuls les Suédois âgés de 15 à 24 ans estiment majoritairement que le CDD n’est pas une forme d’emploi par défaut. Ils se distinguent toutefois des Français et des Européens par leur aversion précoce pour cette forme d’emploi salarié. C’est ainsi que près de 45 % des 15-24 ans – hommes et femmes confondus – déclarent occuper ce type d’emploi par défaut. La Suède se démarque également de la France et de l’Europe par une plus grande acceptation du CDD comme forme d’emploi chez les hommes de plus de 25 ans En revanche, le rejet est significativement plus important chez les femmes avec près de 10 points d’écart.
Le cas particulier de l’intérim
13Le recours à l’intérim a été autorisé par la loi sur les agences privées de placement et le prêt de main-d’œuvre en 1991 (Lag om privat arbetsförmedling och uthyrning avarbetskraft 1991 : 746). Les modalités de recours aux intérimaires ont été fortement élargies dans le cadre d’une nouvelle loi adoptée en 1993 (Lag om privat arbetsförmedling och uthyrning av arbetskraft 1993 : 440). On retient donc généralement l’année 1993 comme référence pour étudier l’essor de l’intérim en Suède. Le développement de cette forme d’emploi, illustré par le graphique 7, est assez lent mais reste constant. L’intérim représentait plus de 60 000 salariés, soit 1,3 % de la population active suédoise en 2012, après avoir atteint un pic à 1,4 % en 2011. Cette forme d’emploi se développe principalement chez les publics les plus exposés au chômage : les plus jeunes, les migrants non occidentaux et les Suédois descendants de migrants. L’intérim se traduit en effet par une rémunération inférieure à celle des salariés du secteur privé effectuant le même type de tâche (Andersson Joona et Wadensjö, 2010).
Évolution du nombre de salariés employés dans le secteur de l’intérim

Évolution du nombre de salariés employés dans le secteur de l’intérim
14L’emploi salarié en intérim est toutefois rarement considéré comme une forme atypique d’emploi en Suède contrairement à l’intérim en France. Les intérimaires sont en règle générale des salariés employés en CDI par les agences d’intérim (Andersson et Wadensjö, 2004). En outre, les confédérations syndicales y sont très bien implantées et ont réussi à imposer un revenu garanti entre les missions y compris pour les intérimaires n’ayant pas de CDI. La dernière convention collective conclue dans la branche de l’intérim dispose justement qu’un employé d’une agence d’intérim percevra entre 100 et 108 SEK – respectivement 11,5 et 12,4 euros – pour chaque heure passée à la disposition de l’employeur entre chaque mission. Parmi les salariés de ce secteur, 97 % sont ainsi couverts par les dispositions de leur convention collective (Silva et Hylander, 2012).
15La confédération employeur des entreprises de l’intérim (Bemanningsföretagen) a de surcroît instauré un système de régulation en introduisant une procédure d’autorisation et de contrôle annuel des agences de placement par une autorité composée à parité de représentants employeurs et de délégués syndicaux. Elle vise à assurer la mise en œuvre des dispositions de la convention collective, des dispositions statutaires et des règles éthiques définies par la confédération des entreprises de l’intérim. L’absence de dispositions législatives pour réguler le secteur de l’intérim a toutefois été la cause d’abus de la part d’agences de placement implantées à l’étranger et se livrant à du dumping social en l’absence de salaire minimum.
16Alors que l’emploi se flexibilisait en Suède sous l’effet du développement des formes atypiques d’emploi, la protection sociale connaissait des évolutions profondes. Si le régime de protection sociale suédois a accompagné les évolutions des formes d’emploi pour garantir la couverture des risques, sa fonction de lutte contre les inégalités a perdu de son efficacité.
Une protection sociale recentrée sur la couverture des risques
17La protection sociale suédoise se compose traditionnellement de deux niveaux : un régime légal auquel s’adosse un régime complémentaire régi par les conventions collectives ou les accords d’entreprise (Ståhlberg, 2006). Le premier niveau comporte une allocation universelle donnant droit à une prestation unique et une allocation proportionnelle au revenu. Dans les faits, les deux prestations du premier niveau ne sont pas cumulables mais peuvent se succéder dans le temps. Le deuxième niveau couvre près de 90 % des salariés suédois et joue un rôle important pour compléter la couverture des risques chômage, famille ainsi que les prestations en espèces du risque santé. Or, les personnes employées en CDD sont plus susceptibles de se trouver exclues du champ des conventions collectives ainsi que des accords d’entreprise et, in fine, du bénéfice de ces prestations complémentaires de la protection sociale. Il existe également dans le cadre de l’assurance vieillesse un troisième niveau constitué des cotisations personnelles et volontaires qui témoignent de l’évolution du régime de protection sociale suédois.
Les formes d’emploi atypiques et la couverture du risque maladie
18L’assurance maladie suédoise couvre à la fois les pertes temporaire et permanente de capacité de travail. Elle couvre des risques non couverts par la branche Maladie en France puisqu’elle s’étend aux accidents du travail, aux maladies professionnelles et à l’invalidité. La couverture des prestations de santé est universelle et ne génère pas de situation d’inégalité résultant des coûts de la prise en charge. Le développement de la protection complémentaire du risque santé au travers du régime conventionnel est toutefois une évolution notable. La couverture maladie complémentaire couvrait ainsi 522 000 personnes en 2012, soit près de 11 % de la population active, contre 67 000 personnes en 1999.
19Les dernières études soulignant l’augmentation des inégalités dans le domaine de la santé entre les groupes sociaux en Suède, n’incriminent pas les modalités financières de couverture du risque santé. Les formes d’emploi sont ainsi sans incidence sur l’accès à la couverture des prestations et des actes de santé. Les choses sont différentes en ce qui concerne les prestations financières du risque santé. Les conditions générales d’accès aux indemnités journalières sont définies dans le paragraphe 7 du chapitre 3 de la loi sur la sécurité sociale (AFL) : « Les indemnités journalières sont versées en cas de maladie réduisant la capacité de travail de l’assuré d’au moins un quart. La reconnaissance de la maladie doit être indépendante des considérations marchandes, économiques ou sociales. Il est établi une comparaison entre une situation de capacité de travail réduite – résultant de la maladie pour laquelle les indemnités journalières sont versées – et celle qui prévaut couramment lorsque la maladie a cessé. »
20Les prestations du régime légal de base sont ainsi assises sur un revenu de référence qui est déterminé au regard du plafond de sécurité sociale suédois comme en atteste le tableau 1. Le revenu de référence doit ainsi être au minimum égal à 24 % du plafond et au maximum égal à 7,5 fois le plafond. Les revenus inférieurs au plafond ne donnent ainsi droit à aucune prestation ; ce qui pouvait être un problème pour les salariés à temps partiel. Les modalités d’appréciation de la période retenue pour atteindre le revenu de référence sont suffisamment souples pour garantir aux salariés en CDD arrivés en fin de contrat d’être couverts en cas de problèmes de santé.
La couverture du risque maladie en Suède

La couverture du risque maladie en Suède
21Des dispositions ont également été prises dès 1991 en vue d’atténuer les conséquences de ce mode de calcul pour les salariés employés à temps partiel ou en CDD. Des indemnités journalières – estimées par rapport au salaire – doivent désormais être versées par l’employeur lorsque le salarié remplit des critères d’ancienneté particulièrement peu exigeants. L’introduction de cette nouvelle prestation avait pour objets de renforcer la protection des salariés sous des formes atypiques d’emploi et de responsabiliser les employeurs pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Ainsi, un régime légal de deuxième niveau a été instauré, imposant aux employeurs de prendre en charge les indemnités journalières à hauteur de 80 % du salaire pendant les deux premières semaines, indépendamment du revenu de référence.
22L’accès au régime conventionnel est susceptible d’être problématique pour les salariés en CDD. Le contenu de la protection offerte par ce régime est conditionné par les clauses insérées dans les conventions collectives dans le cadre défini par les pouvoirs publics. En effet, le niveau de compensation complémentaire de la perte de revenu en cas d’arrêt maladie est plafonné par l’État afin de limiter les arrêts maladie abusifs.
Les formes d’emploi atypiques et la couverture du risque famille
23La couverture du risque famille est souvent citée en exemple en Suède avec l’instauration du congé parental dont soixante jours sont réservés à chacun des deux parents afin d’inciter les hommes à s’impliquer dans l’accueil de l’enfant. La pierre angulaire de la couverture du risque famille réside dans l’allocation de congé parental dont le montant varie selon les régimes. À l’instar du risque chômage et du risque maladie, il est possible d’identifier trois composantes dans l’assurance famille en Suède, comme l’illustre le tableau 2. Le régime conventionnel est complémentaire des deux régimes légaux et n’est accessible qu’aux personnes couvertes par une convention collective.
La couverture du risque famille en Suède

La couverture du risque famille en Suède
24Les prestations universelles du premier régime légal de base ne sont pas conditionnées à une durée minimum d’activité préalable, de sorte qu’être salarié avec une forme atypique d’emploi ne constitue pas une entrave à leur accès. La situation est tout autre pour les prestations du régime légal lié au revenu dont les modalités de calcul sont similaires aux prestations universelles du régime légal de base de l’assurance maladie. Les prestations sous condition nécessitent ainsi un revenu de référence compris entre 24 % et 7,5 fois le plafond de sécurité sociale suédois. Les formes d’emploi atypiques, notamment les CDD les plus courts ou les temps partiels inférieurs ou égaux à un mi-temps, peuvent ainsi conduire à l’exclusion de salariés du régime légal lié au revenu et à minorer d’autant leurs prestations pour le congé parental. L’écart entre les prestations universelles du régime légal de base et les prestations du régime légal lié au revenu peut en effet représenter plus de 80 euros par jour sur une période de 390 jours, comme l’indique le tableau 2. En effet, les prestations universelles du régime légal de base sont forfaitaires et correspondent à 225 SEK (25 euros) pendant les 390 premiers jours et 180 SEK (20 euros) pendant les 90 derniers jours.
25Par ailleurs, les salariés en CDD peuvent se retrouver exclus du bénéfice du régime conventionnel qui apporte un complément appréciable de prestation. En effet, le législateur suédois n’a pas souhaité plafonner le montant des allocations parentales complémentaires – contrairement aux prestations complémentaires d’assurance maladie.
Les formes d’emploi atypiques et la couverture du risque vieillesse
26La couverture du risque vieillesse repose sur deux niveaux – à l’instar des autres risques précédemment étudiés –, depuis le 1er janvier 2003. Le régime légal de base est constitué d’une pension universelle assortie à la condition de résidence (tableau 3). Le niveau de cette prestation est ainsi directement corrélé au nombre d’années de résidence sur le territoire suédois, de sorte que la prestation est minorée si les assurés sociaux n’arrivent pas à justifier de quarante années de présence sur le sol suédois entre 16 et 64 ans. Cette prestation universelle couvre environ 12 % des retraités en Suède (PTK, 2013).
27L’accès aux prestations sous condition du régime de base est lié à des cotisations sur un revenu de référence qui est au minimum égal à 42,3 % et au maximum à 7,5 fois le plafond de sécurité sociale. Les prestations du régime légal lié au revenu reposent pour partie sur une retraite professionnelle – qui est une pension de retraite par répartition assise sur une cotisation de 16 points des revenus –, et pour partie sur une retraite par capitalisation – assise sur une cotisation de 2,5 points des revenus. Ces prestations, dont les modalités de calcul sont présentées dans le tableau 3, sont ainsi susceptibles d’être fortement impactées par les différentes formes d’emploi. En effet, les CDD limitent la durée de cotisation alors que les temps partiels réduisent le montant des cotisations versées. Les femmes – plus concernées par les temps partiels que les hommes, notamment dans le cadre de la garde des enfants – enregistrent ainsi une minoration conséquente de leur pension de retraite qui ne représente en moyenne que 70 % de celles des hommes.
28La différence entre le montant moyen de la pension de retraite des femmes et de celle des hommes résultant des temps partiels est encore plus importante pour le régime conventionnel. Les femmes perçoivent en effet une pension qui est inférieure de moitié à celle des hommes.
La couverture du risque vieillesse en Suède

La couverture du risque vieillesse en Suède
Les formes d’emploi atypiques et la couverture du risque chômage
29La couverture du risque chômage en Suède est complexe puisqu’elle s’inscrit dans le prolongement du « système de Gand » qui repose sur une cotisation volontaire des salariés auprès d’une caisse d’assurance chômage privée, subventionnée par les pouvoirs publics. La plupart des caisses d’assurance chômage sont ainsi gérées par les syndicats sous la supervision des pouvoirs publics. En l’absence de cotisation à ces caisses, la couverture universelle du régime légal de base est accessible à toutes les personnes âgées au minimum de 20 ans qui répondent aux conditions d’activité. Par ailleurs, les salariés suédois peuvent disposer d’un deuxième niveau conventionnel dont les modalités varient selon le secteur d’activité. Les modalités de couverture du risque chômage sont présentées dans le tableau 4.
30Dans les faits, les conditions d’activité pour accéder aux prestations du régime légal de base de l’assurance chômage ont été durcies au 1er janvier 2007 avec la suppression des conditions applicables aux étudiants. Les personnes âgées de 20 à 24 ans se sont ainsi retrouvées exclues du bénéfice de l’assurance chômage. Elles peuvent toutefois bénéficier d’aides sociales en participant aux programmes de soutien à l’activité des jeunes qui leur assurent un niveau de prestations quasiment identique (Parlementariska socialförsäkringsutredningen, 2011). De même, le nombre d’heures travaillées a été relevé de 70 à 80 heures minimum par mois pendant six mois sur une période de référence de douze mois ; ce qui diminue l’accès des salariés à temps partiel aux premier et deuxième niveaux de l’assurance chômage. En outre, l’accès des salariés à durée déterminée à l’assurance chômage a également été restreint au 1er janvier 2007 avec le passage du nombre d’heures travaillées pendant six mois en continu de 450 à 480 heures.
31L’accès aux prestations assises sur le revenu du régime optionnel de l’assurance chômage est encore plus complexe en raison de la combinaison d’obligations relatives à l’activité et d’obligations relatives aux cotisations. Les gouvernements suédois successifs se montrèrent restrictifs dans la détermination des montants d’allocation chômage au cours des années 1990 et 2000. Le taux de remplacement de l’allocation chômage fut ainsi réduit de 90 % à 80 % du plafond salarial en 1993 par le gouvernement de centre-droit. Le gouvernement social-démocrate n’a pas remis en question cette orientation et l’amplifia temporairement portant le taux de remplacement à 75 % de 1995 à 1997. Ce taux de remplacement est en apparence plus généreux que les taux français, mais il doit être relativisé dans la mesure où l’allocation chômage n’est pas calculée sur l’intégralité du salaire perçu. La loi impose en effet un plafond pour le revenu de référence dans le cadre du calcul de l’allocation chômage qui s’élève depuis 2002 à 18 700 SEK ; soit 1 685 euros. En outre, la coalition de centre-droit a introduit en 2007 une série de mesures qui ont contribué à durcir les conditions d’octroi de l’allocation chômage ainsi qu’à diminuer l’accès des chômeurs aux formations (Bengtsson, 2012), l’allocation de base – d’un montant de 320 SEK par jour soit 630 euros par mois – ne peut être complétée par une assurance complémentaire basée sur le revenu que dans la mesure où les salariés cotisent personnellement à une caisse d’assurance chômage. Le montant peut alors être porté à 680 SEK par jour soit 1 350 euros par mois pendant 200 jours d’indemnisation soit neuf mois. Au terme de ce délai, l’allocation chômage devient dégressive atteignant alors 70 % du revenu de référence jusqu’au 301e jour soit un montant d’environ 1 180 euros par mois. L’allocation diminue de nouveau pour atteindre 60 % du revenu soit 1 010 euros environ par mois jusqu’au 600e jour d’indemnisation.
32L’augmentation des cotisations personnelles aux caisses d’assurance chômage à partir du 1er janvier 2007 a généré un important mouvement de désaffiliation. Le taux de couverture des salariés par le régime optionnel est ainsi passé de 82 % en 2006 à 70 % en 2008. La diminution a principalement affecté les plus faibles revenus dont les effectifs au sein du régime optionnel ont chuté de 60 % au cours de la même période (Arbetlöshetskassornas samorganisation, 2012a). Ainsi, seuls 39 % des demandeurs d’emploi bénéficiaient de l’allocation chômage assise sur les revenus antérieurs à l’automne 2011. À cette même date, 12 % des demandeurs d’emploi disposaient d’une allocation représentant 80 % de leur salaire initial. Par ailleurs, les conditions d’accès au régime optionnel sont particulièrement exigeantes pour les personnes occupant un emploi atypique en Suède, notamment au regard des critères d’affiliation et d’âge présentés dans le tableau 4.
33L’une des questions centrales concernant l’assurance chômage et les formes atypiques d’emploi est relative à la prise en considération des spécificités de l’emploi dans l’accès aux prestations d’assurance chômage. Ainsi, une personne peut percevoir une allocation complémentaire si elle trouve un emploi à temps partiel au cours de sa période de chômage. Cette allocation complémentaire n’est accessible qu’aux salariés ayant préalablement occupé un emploi à temps plein et couvre 75 jours maximum sur les 300 jours d’indemnisation. À l’issue de ces 75 jours, la personne a le choix entre conserver son emploi à temps partiel sans percevoir l’allocation complémentaire ou abandonner son emploi et poursuivre sa recherche d’un poste à temps plein. Cette faculté n’est toutefois pas ouverte aux intérimaires. Les pouvoirs publics craignent en effet que les agences d’intérim utilisent l’assurance chômage pour rémunérer leurs salariés entre deux missions. Ainsi, un intérimaire ne peut bénéficier d’une prestation de l’assurance chômage que s’il a été mis fin au préalable au contrat qui l’unit à son agence d’intérim.
La couverture du risque chômage en Suède

La couverture du risque chômage en Suède
Les formes atypiques d’emploi et la dynamique de la protection sociale
34Les années 1990 ont vu certaines réformes importantes de la protection sociale suédoise se mettre en place en raison d’une brusque récession économique et de la chute du taux d’emploi de la population âgée de 15 à 64 ans, qui est passé de 86 % en 1991 à 76 % en 1993. L’objectif de la politique économique suédoise devint dès lors de faire remonter ce taux d’emploi sans contrevenir à l’objectif de maîtrise de l’inflation. En parallèle, les gouvernements suédois successifs ont conduit à partir de 1994 une politique de réduction du déficit budgétaire et de la dette publique. Le parlement décida de mettre en œuvre, en 1997, un plafond pour les dépenses des administrations publiques centrales et des administrations de sécurité sociale. Il introduisit également cette même année un objectif d’excédent structurel du budget des administrations publiques centrales de 2 %. Enfin, en 2000, le parlement adoptait une loi contraignant les administrations publiques locales à mettre un terme à leur déficit budgétaire dans les deux ans. La recherche d’un équilibre macro-économique de long terme s’est également reflétée dans la réforme du régime des retraites adoptée en 2001 qui a conduit le système de prestations définies à évoluer vers un système de cotisations définies.
35Le régime social-démocrate de protection sociale fondé sur un degré élevé de démarchandisation et défamilialisation aspirait traditionnellement à atténuer les inégalités (Euzeby et Reysz, 2011). Toutefois, la progression des formes atypiques d’emploi, associée aux réformes de la protection sociale ont généré une montée importante des inégalités. La proportion de personnes vivant sous le seuil de pauvreté après transferts sociaux en Suède est en effet passée de 8 % en 1997 à 14 % en 2011 (graphique 8). Cette évolution est encore plus nette lorsque l’on compare la situation suédoise avec la France où la part des personnes vivant sous le seuil de pauvreté après transferts sociaux est passée de 15 à 14 % ainsi qu’avec l’UE où le taux de pauvreté a progressé de moins de 2 points sur la période pour atteindre 16 % en 2011. La Suède est d’ailleurs le pays de l’OCDE qui a connu la plus forte progression de la pauvreté relative depuis les années 1980.
Personnes sous le seuil de pauvreté après transferts sociaux (en %)

Personnes sous le seuil de pauvreté après transferts sociaux (en %)
36La protection sociale suédoise est en effet concentrée sur la prévention de la pauvreté absolue pour laquelle elle obtient d’excellents résultats, comme en attestent la première place qu’occupe la Suède dans la prévention du dénuement matériel parmi les pays de l’Union européenne. Les personnes qui ne peuvent subvenir à leurs besoins peuvent en effet bénéficier des minima sociaux (ekonomiskt bistånd) qui s’élèvent à 3 880 SEK (440 euros) par mois pour un célibataire et 6 360SEK (725 euros) pour un couple sans enfant. Le nombre de bénéficiaires a diminué depuis le milieu des années 1990 à mesure que l’activité économique redémarrait et se situe désormais à 4,4 % de la population suédoise totale (graphique 9).
Nombre de personnes percevant les minima sociaux en Suède

Nombre de personnes percevant les minima sociaux en Suède
37En 2011, les bénéficiaires de la prestation étaient divisés en trois groupes de même importance : les hommes, les femmes et les mineurs. Les deux tiers des bénéficiaires de cette assistance sont ainsi susceptibles d’être ou d’avoir été salariés sous une forme atypique d’emploi. Le montant moyen mensuel de l’assistance économique était de 7 341SEK (835 euros) et la durée moyenne de versement était de sept mois. Cette somme est faible au regard du salaire médian brut qui oscillait en 2011 entre 25 000 SEK par mois (2 850 euros) pour les employés des communes et 39 000 SEK par mois (4 450 euros) pour les employés du secteur privé.
38Parmi les bénéficiaires de cette allocation, 34 % disposent d’un soutien de longue durée estimé à plus de dix mois au cours d’une même année et 21 % ont un soutien économique de très longue durée supérieur à vingt-sept mois au cours des trois dernières années. En outre, 46,6 % des personnes assistées le sont en raison du chômage, 13,1 % pour des raisons de santé et 10,7 % pour des problèmes sociaux. Les minima sociaux garantissent ainsi un revenu suffisant pour vivre dans des conditions matérielles décentes mais ne permettent pas de contenir la montée des inégalités.
Conclusion
39L’organisation de la protection sociale suédoise autour de prestations différenciées au sein du régime légal ainsi que l’existence d’un régime conventionnel complémentaire assis sur les revenus joue un rôle important dans le niveau de prestations sociales dont peuvent bénéficier les salariés. La représentation d’un système suédois de protection sociale beveridgien organisé autour de prestations sociales universelles financées par l’impôt doit donc être amendée. Par ailleurs, les prestations complémentaires accordées par les conventions collectives diffèrent fortement selon les secteurs, accentuant la différenciation dans la couverture des risques. La logique même de la protection sociale suédoise s’infléchit de manière croissante vers un modèle bismarckien qui lie les prestations sociales au statut dans l’emploi.
40Les réformes apportées au régime de protection sociale n’ont pas remis en cause l’existence d’un régime légal de base qui garantit une protection minimum aux personnes salariées avec une forme atypique d’emploi. Toutefois, la dynamique du régime de protection sociale suédois est désormais altérée par rapport à son objectif initial. Elle n’est ainsi pas en mesure de contrebalancer la segmentation croissante qui semble désormais caractériser la société suédoise (Coulet, 2013). Le développement des formes atypiques d’emploi a ainsi contribué à accélérer l’évolution du régime de protection sociale suédois au cours de ces vingt dernières années.