CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Dans la plupart des pays européens, la soutenabilité financière des régimes de protection sociale est posée comme l’une des questions prioritaires de l’agenda politico-économique. La capacité des systèmes sociaux nationaux à offrir un volet de protection couvrant tous les risques se heurte aux fortes restrictions budgétaires alors que progressent le taux de chômage et la précarité professionnelle. Cela est particulièrement visible dans certains pays du Sud de l’Europe où la crise amorcée en 2007 a eu des répercussions majeures.

2Ainsi, si certaines tendances communes peuvent être repérées dans l’espace communautaire, telles que les problèmes posés par les évolutions sociodémographiques, la segmentation du marché du travail ou encore la flexibilisation de l’emploi, leurs effets sur les systèmes de protection sociale ne peuvent pas être mesurés ou analysés de manière identique d’un espace national à l’autre (Théret, 2007). De fait, la configuration des différents régimes de protection sociale relève d’un processus propre à l’histoire et au contexte sociétal dans lesquels ils s’inscrivent. Le caractère universaliste ainsi que le degré de couverture des différents risques, le mode de financement public/mixte ou encore la générosité des prestations dépend étroitement des caractéristiques sociétales qui structurent et font évoluer les différents régimes.

3Cet article se propose dans une première partie de situer l’expérience italienne en matière de protection sociale dans une perspective comparée afin de mesurer sa capacité à promouvoir un processus d’uniformisation en matière de droits sociaux face à un mouvement grandissant de segmentation des statuts d’emploi. La deuxième partie s’attachera à caractériser la spécificité du système de protection sociale italien au prisme de l’évolution des formes d’emploi atypiques. Enfin une troisième partie s’efforcera d’interroger les récentes réformes du marché de l’emploi et de la protection sociale afin d’appréhender les évolutions des éventuels écarts ou inégalités pouvant exister entre salariés standards et travailleurs atypiques.

Les spécificités du système de protection sociale italien

4Dans les recherches comparatives, le système de protection sociale italien est souvent classé dans le modèle « familialiste » (Esping-Andersen, 1999) ou du welfare de l’Europe méditerranéenne (Ferrera, 2006) regroupant les pays du Sud.

5La solidarité familiale et l’inégale répartition du travail entre les sexes sont les éléments les plus fréquemment invoqués pour définir un système de protection sociale réputé résiduel. Sans nier l’importance de ces deux dimensions, celles-ci ne peuvent cependant pas expliquer à elles seules la configuration particulière du régime italien qui paraît articulé à la fois autour d’un régime de protection fragmenté en fonction des situations d’emploi et d’un système universel d’accès à la santé introduit dans les années 1970. La spécificité du welfare italien est alors à rechercher dans des choix politico-historiques permettant d’expliquer d’une part les déséquilibres internes affectant la répartition des dépenses sociales et le poids important des retraites et, d’autre part, la segmentation inter- et intra-catégorielle dans l’accès aux droits à la protection sociale.

6Suivant une perspective comparée et à partir de l’observation statistique des systèmes de protection sociale en Europe réalisée à partir de la base de données SESPROS-Eurostat [1], l’Italie avec 29,8 % de son PIB en 2010 consacré à la protection sociale se situe légèrement au-dessous de la moyenne de l’UE à 15 (30,4 %). Indépendamment du taux de dépense rapporté au PIB, d’autres variables telles que le niveau de prestations sociales par habitant ou la distribution des risques pris en charge par le système de protection peuvent contribuer à mieux situer l’expérience italienne.

7S’agissant de la dépense par habitant, l’Italie transfère environ 7 000 euros en prestations sociales contre près de 8 400 euros en France en 2010. Toutefois, c’est sur la répartition et la composition des prestations pour les différents risques sociaux que le système italien montre ses contradictions et son déséquilibre interne. Si dans la plupart des pays européens la majorité des dépenses de protection sociale est consacrée aux régimes de retraite et de vieillesse (38,2 % dans l’UE à 15 et 38,9 % en France en 2010), en Italie cette part est toutefois bien supérieure (51,4 %) à celle des autres pays.

8Les origines d’une telle configuration remonteraient aux années 1950 pour ensuite s’affirmer davantage au cours des deux décennies suivantes (Ferrera et al., 2012). En effet, la période allant de la fin de la Deuxième Guerre mondiale à la fin des années 1950 sera propice à l’édification d’un système de protection sociale qui, d’une part, élargira le volet de protection à de nouvelles catégories de travailleurs auparavant exclues du régime général de retraite (les travailleurs agricoles indépendants par la loi no 1047/1957, les artisans par la loi no 463/1959) et, d’autre part, renforcera le montant du minimum retraite selon un modèle par répartition [2]. Les deux décennies suivantes ne feront que confirmer ce mouvement d’élargissement des droits en matière de retraite et cela au détriment d’autres domaines de la sécurité sociale. Au cours des années 1960, nous assistons donc à plusieurs interventions législatives visant à étendre le régime de retraite et de vieillesse (1966 pour les commerçants), à définir des critères d’accès moins contraignants ou encore à augmenter le niveau des prestations, notamment en 1969 (Ferrera et al., 2012, p. 153).

9Cet élargissement du système de retraite aux travailleurs indépendants corrélé à l’augmentation progressive de la dépense adossée aux pensions est donc à l’origine du déséquilibre interne du système et indirectement de l’inégale répartition des dépenses de sécurité sociale. De fait, jusqu’à la fin des années 1950 le régime italien ne montrait pas de signe de déséquilibre évident en termes de répartition et de dépenses allouées aux prestations (sauf pour l’assurance chômage).

10La charge de plus en plus lourde supportée par l’assurance vieillesse finira par influer sur la part des dépenses consacrées à d’autres prestations, telles que l’assurance chômage et les allocations familiales.

11Sur ce dernier point, l’Italie se distingue de ses principaux partenaires européens par la faiblesse des dépenses affectées aux prestations familiales. En 2010, elle consacre un niveau de prestations résiduel à la politique familiale, au logement et à la lutte contre l’exclusion sociale : 4,9 % du total des prestations (1,4 % du PIB) contre 13,3 % en France (soit 4,3 % du PIB) et 11,69 % en moyenne dans l’UE à 27 (3,3 % du PIB). Toutefois, la place accordée aux prestations familiales n’a pas toujours eu ce caractère résiduel. Ainsi, dans les années 1950, le poids consacré aux allocations familiales dans le total des dépenses de protection sociale – près de 47 % – était loin d’être négligeable. Elles remplissaient une fonction de compensation salariale en agissant comme un salaire familial, dans un contexte de stagnation des salaires (Ferrera et al., 2012, p. 282).

12Un grand tournant s’est opéré au cours des années 1960 (Ferrera et al., 2012). Dans un contexte économiquement favorable pour le pays, la volonté d’instituer un système d’accès universel aux allocations familiales sur le modèle français, et cela indépendamment des conditions d’emploi fut abandonné au profit d’un régime plus fidèle à leur fonction originaire, à savoir celle d’un soutien au revenu familial. Le poids de la solidarité et des réseaux familiaux explique pour partie cette faiblesse de la politique publique. De fait, la famille au sens élargi du terme se substitue souvent à l’État dans la fourniture de biens et services à la personne (Moreno, 2006). Comme le relève la Commission d’enquête sur l’exclusion sociale (Commissione d’indagine sull’exclusione sociale - CIES, 2012) dans son dernier rapport (Rapporto sulle politiche contro la povertà e l’esclusione sociale), le risque de pauvreté pendant la crise a été amorti socialement et économiquement par la solidarité familiale (p.15) [3].

13Les effets négatifs de la dégradation de la situation de l’emploi n’ont pas non plus été compensés par d’autres dispositifs universels d’assistance sociale. En Europe, parmi ces dispositifs d’inclusion sociale figure le rôle accordé au revenu minimum d’insertion soumis à condition de ressources. En la matière, l’Italie constitue une exception européenne pour son absence, alors même que des expériences équivalentes peuvent exister localement. Cela conduit à une dépense de protection sociale non seulement différenciée selon les communes mais également conditionnée par la capacité économique propre à chaque réalité locale. Cette inégalité se traduit par une dépense sociale plus élevée dans les municipalités les plus riches et non pas dans les plus pauvres (typiquement au Sud du pays), où les besoins sont les plus importants compte tenu également d’un taux d’emploi inférieur à celui des régions septentrionales.

14La spécificité du système italien pourrait ainsi se lire à la lumière des dualismes qui le caractérisent. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous retiendrons pour l’analyse deux principaux clivages permettant d’interroger à la fois la capacité du système à couvrir les différents risques et les dynamiques inhérentes au marché du travail. À l’aune de la progressive participation féminine au marché du travail, du vieillissement démographique, de la distribution inégale entre générations dans l’emploi ou encore de la prolifération des statuts professionnels atypiques observables depuis les années 1980, il s’agira d’une part de rappeler l’importance des disparités territoriales dans le développement socio-économique du pays et d’autre part de caractériser la segmentation entre insiders et outsiders.

15Malgré la progression du taux d’emploi féminin enregistrée depuis les années 1990, de 39 % en 1992 à 47 % en 2012, celui-ci reste non seulement très inférieur à la moyenne européenne (62 % dans l’UE à 27) mais aussi très inégalement distribué à l’échelle infranationale. Ainsi, si le taux d’emploi des femmes dans les régions du nord se situe à 57 %, il en va différemment dans les bassins d’emploi méridionaux, où seules 31,6 % des femmes sont en emploi. Cela s’explique pour partie par une structure de l’emploi fortement polarisée, dont l’origine est à retracer dans le processus historique du développement industriel et productif du pays dès l’après-guerre. Si, dans le Nord (le triangle industriel Turin-Milan-Gênes) et dans le Centre, le modèle de la grande et moyenne entreprise a pu se développer en s’appuyant sur un système de réseaux productifs et de partenariats locaux, le Sud inversement a constitué, sauf pour des cas très limités en nombre, le bassin idéal pour une intervention étatique de développement des régions méridionales (Trigilia, 1992).

16Ce clivage territorial se confirme également au niveau de la distribution du taux de chômage. Le niveau du pays – 10,7 % en 2012 – recouvre un taux plus important au sud du pays – 17,2 % – comparativement aux régions du nord (7,4 %). Le chômage des femmes est symptomatique de cette fracture, avec un taux de 8,6 % au nord et de 19,3 % au sud (Istat, 2013a). Parallèlement, le poids du travail atypique reste plus important dans les régions méridionales (14,6 % contre 11,4 % dans le centre-nord) même si la progression a été plus marquée dans le centre-nord du pays (ISTAT, 2013a).

17Toutefois, « la particularité » propre à ce double dualisme Nord/Sud et insiders/outsiders réside également dans le taux d’inactivité élevé ainsi que dans la présence significative du travail au noir. Si, à l’échelle nationale, le taux d’inactivité est de 36,3 %, il atteint 47 % au sud. Ce phénomène semble étroitement lié non seulement à la structure des marchés du travail locaux, au faible nombre d’emplois disponibles mais également aux effets induits par une succession de crises sectorielles. Ainsi, le recours à l’économie souterraine représente souvent une alternative à l’impossibilité d’une réinsertion dans l’emploi. Pour ces travailleurs du secteur informel, l’accès aux ressources de la protection sociale (chômage, retraite, etc.) est de facto limité en raison de l’absence d’un régime de protection universelle. Cette catégorie constitue ainsi les « véritables » outsiders du système de protection social italien.

18À cet égard, Ferrera (2006) invite à dépasser la dichotomie classique entre insiders et outsiders pour introduire une troisième fraction intermédiaire, les midsiders. Si les premiers en raison de leur statut professionnel (CDI à temps plein) bénéficient à la fois d’une stabilité d’emploi et de prestations importantes, les midsiders, quant à eux, cumulent une stabilité d’emploi et des prestations moindres.

19Dans le contexte italien, cette catégorie agrège tous les travailleurs atypiques et les salariés des PME, les véritables outsiders étant les nombreux travailleurs au noir.

20Les dynamiques caractérisant le marché du travail finissent ainsi par influencer les conditions d’accès à la protection sociale. Par exemple, les prestations d’assurance chômage ne sont pas seulement fonction du taux de chômage enregistré mais également du niveau de couverture. Ainsi, les conditions d’éligibilité, le montant et la durée des prestations chômage renseignent également sur leur rôle dans le cadre des politiques de l’emploi.

21En Italie, seulement 2,9 % du total des prestations est consacré à l’indemnisation du chômage contre une moyenne européenne de 6 % dans l’UE à 27. Toutefois, ce constat doit être nuancé du fait de la place occupé par d’autres dispositifs des politiques d’emploi, non comptabilisés dans les dépenses de protection sociale car ils ne relèvent pas d’une couverture contre le chômage classique. L’Italie se distingue en effet par un régime de chômage partiel, ou Cassa Integrazione Guadagni (CIG), parmi les plus développés d’Europe, et destiné à assurer une protection supplémentaire pour les salariés typiques.

22Un financement socialisé vise à garantir à la fois le maintien dans l’emploi et les besoins de flexibilité des entreprises soumises à des difficultés conjoncturelles ou structurelles (Bisignano, 2013). Le rôle historique de maintien dans l’emploi joué par le système de chômage partiel (CIG) n’est pas exempt de critiques. Outil de stabilisation des postes de travail dans les marchés internes, la CIG est également une mesure de défense et de continuité des droits sociaux associés au statut d’emploi. Ainsi, la mise en œuvre de ce dispositif s’accompagne le plus couramment par l’éloignement de l’entreprise des travailleurs assujettis à une relation contractuelle atypiques (CDD, intérim, stage, etc.).

La place du statut atypique sur le marché de l’emploi en Italie

23En Italie, le régime d’emploi apparaît fortement fragmenté selon le statut et la condition professionnelle. Le régime de protection sociale construit autour du statut socio-professionnel se trouve ainsi confronté à la diffusion progressive de formes d’emploi non standard.

24Comme le constate Bruno Palier (2008), la construction européenne a joué un rôle déterminant dans les réformes du système de protection sociale italien. Dans les années 1990, l’adoption des critères de convergence de Maastricht a provoqué des changements politico-institutionnels majeurs dans l’orientation des politiques publiques italiennes. Selon certains auteurs, ces contraintes externes ont permis de « sauver » l’Italie en la poussant à s’engager dans un cycle de réformes structurelles et inévitables au regard des déséquilibres socio-économiques auxquels étaient confronté le pays (Ferrera et Gualmini, 1999). D’importants programmes de réformes seront ainsi menés tout au long de la décennie notamment sur le régime de retraite et le marché du travail. S’agissant de ce dernier, l’ensemble des acteurs (syndicats, patronat et gouvernement) s’accordera sur la nécessité d’introduire des mesures de dérèglementation et de flexibilité du marché du travail (Ferrera et Gualmini, 1999, p. 95). Ainsi, la succession des pactes sociaux (1993, 1998 et 2001) s’inscrit dans le double objectif d’établir à la fois une modération salariale et une réduction des dépenses sociales.

25Plusieurs dispositions législatives interviendront dès le début des années 1990 avec l’objectif d’instituer de nouvelles formes contractuelles intégrant davantage de flexibilité dans les rapports de travail. La dérégulation progressive du marché du travail conduira à une multiplication de formes atypiques d’emploi. Par emploi atypique nous entendons l’ensemble des emplois dérogeant à la norme du travail standard, à savoir le contrat à durée indéterminée à temps plein (Maruani, 2004).

26Afin d’illustrer l’hétérogénéité caractérisant le panorama italien des emplois atypiques, nous avons fait le choix d’articuler notre réflexion autour de deux principales catégories selon que ces emplois relèvent du salariat ou du travail indépendant.

27• La première inclut les emplois atypiques salariés caractérisés par un degré de flexibilité inscrit tant dans la durée et la stabilité que dans la nature de la prestation de travail. On y retrouve notamment le contrat à durée déterminée (CDD), le contrat à temps partiel, le travail intérimaire (somministrazione di lavoro), le job sharing (contratto ripartito) et le job on call ou travail intermittent (voir encadré).

28• La deuxième catégorie regroupe les typologies de contrats que l’on se propose de qualifier d’hybrides en raison de leur caractère relevant à la fois de la sphère du travail salarié et de celle du travail indépendant. Dans cet ensemble peuvent être inclus notamment le contrat de collaboration « para-subordonnée » (collaborazione a progetto), le contrat d’association (associazione in participazione) et, dans une moindre mesure, diverses autres formes de travail occasionnel.

29Dans notre analyse, le statut des travailleurs para-subordonnés paraît tout à fait emblématique dans le panorama des situations d’emploi atypiques. Il a été créé dans les années 1970, à l’origine pour encadrer les activités de travail des indépendants (loi no 533/1973), mais il a subi de nombreuses modifications législatives depuis lors. Au fil du temps, son recours intensif a contribué à un détournement de son objectif et de sa nature. En effet, sa spécificité réside dans la difficulté à cerner les frontières entre le travail indépendant et le travail salarié. Un critère couramment mobilisé pour dissiper cette difficulté est d’interroger les modalités d’organisation du travail et le lien de subordination (réel ou non) existant. Toutefois, ce critère peut se révéler insuffisant en raison de l’hétérogénéité qui caractérise « l’univers » des para-subordonnés. De fait, au sein de cette catégorie, on peut trouver à la fois des situations dissimulant de l’emploi salarié et d’autres relevant plus couramment du travail indépendant. Or, si le premier cas s’avère majoritaire, le deuxième est loin d’être négligeable. À titre d’exemple, le poids des administrateurs d’entreprise (et figures équivalentes) représente près de 36 % de l’ensemble des collaborateurs en 2012.

30La diffusion progressive du statut de para-subordonné a conduit à de nombreuses modifications législatives visant à distinguer les « situations de salariat dissimulé » de celles réellement « indépendantes ». À ce sujet, nous pouvons mentionner la réforme de 2003 visant à limiter son recours et les effets d’aubaines liés à une pratique de substitution du travail salarié (loi no 30/2003). Parallèlement, des mesures de protection sociale pour le collaborateur « coordonné et continu » seront introduites. Evidemment, ce processus tient aussi aux enjeux que ce statut porte en termes de coût du travail et de protection sociale correspondante, en comparaison des travailleurs salariés (cf. infra). Ainsi, la définition d’un projet spécifique mené de manière indépendante et autonome par le collaborateur (dit « co.co.pro. ») aurait dû permettre de circonscrire cette typologie particulière dans le champ du travail indépendant.

31Afin d’interroger les liens d’interdépendance existants entre les mutations intervenues sur le marché du travail et la configuration du régime de protection sociale pour les travailleurs atypiques, il est primordial de retracer l’histoire de ces évolutions.

32Nous pouvons distinguer trois périodes essentielles.

33• La première période, qui va de 1992 à 1997, coïncide avec la réforme des retraites engagée par Amato (loi 503/1992) et poursuivie par Dini (loi 335/1995) [4], qui introduit un système notionnel à cotisations définies [5]. À cela s’ajoutera l’adoption du « Pacchetto Treu » (loi 196/1997) introduisant les premières formes de flexibilisation de l’emploi. Lors de cette période, seront établis un système public de gestion séparée (gestione separata) de la retraite des travailleurs para-subordonnés et des systèmes de retraite complémentaire visant à introduire un régime par capitalisation privé. Au sein du système de gestion séparée pour les parasubordonnés assuré par l’Institut national de prévoyance sociale (INPS), la distinction entre plusieurs figures professionnelles est faite en fonction du régime contributif dont elles relèvent. Le taux de cotisation varie selon que ces travailleurs sont affiliés ou non à une caisse professionnelle.

34• La deuxième période (2001-2005) sera marquée par de nouveaux aménagements au régime de retraite édifié en 1995 (allongement de la durée de cotisation, augmentation du taux de cotisation pour les titulaires de contrat atypique) et par la réforme du marché du travail (loi Biagi 30/2003) facilitant la flexibilité externe. Concernant les formes d’emploi atypiques et à l’exclusion du CDD, les autres catégories ont été intégrées et en partie modifiées par la loi Biagi. Cette dernière a multiplié les formes de travail flexibles sans pour autant prévoir des mesures de protection sociale équivalentes à celle prévues pour les travailleurs standards.

35• La dernière phase est incarnée sur la période récente par l’action du gouvernement Monti, qui s’inscrit dans la continuité d’une politique de réduction des dépenses publiques et de flexibilisation de l’emploi avec le changement des procédures de licenciement collectif. Parallèlement, d’importantes mesures ont été instaurées pour les travailleurs atypiques, notamment en ce qui concerne l’accès à certaines mesures de la protection sociale.

36La récente réforme du marché du travail (loi 92/2012) clarifie également les conditions de recours au travail para-subordonné et prévoit par ailleurs des restrictions dans leur utilisation parfois abusive. Toutefois, la réforme ne revient que partiellement sur le volet de protection sociale dont relèvent ces salariés. Comme nous le verrons, la progression de l’emploi atypique para-subordonné s’est progressivement accompagnée de l’institutionnalisation d’un régime spécifique de protection sociale.

Encadré : Typologie des principaux contrats atypiques (Loi Fornero-Monti de 2012) [6]

• Les emplois atypiques salariés
– Le contrat à durée déterminée : depuis la loi 92/2012, le premier contrat ne pourra plus excéder une durée de douze mois. Par ailleurs, une limite de trente-six mois (consécutifs ou non) d’activité auprès du même employeur est désormais fixée. Au-delà, le CDD doit faire l’objet d’une requalification en CDI. Un intervalle entre la fin d’un contrat et la conclusion d’un nouveau doit être respecté : un mois si le contrat avait une durée inférieure à six mois (contre dix jours auparavant) et cinquante jours pour un contrat d’une durée supérieure (contre vingt jours auparavant). La part des salariés en CDD ne pourra excéder 6 % du total des salariés d’une même unité productive. De plus, et dans le but d’inciter la requalification du CDD en CDI, une cotisation patronale supplémentaire équivalente à 1,4 % a été introduite pour financer le chômage. Cette cotisation pourra être récupérée (dans une limite maximale de six mois) par l’entreprise si la requalification devient effective.
– Le contrat à temps partiel : le régime du temps partiel a connu un aménagement quant à la possibilité pour le travailleur de modifier l’organisation du temps de travail selon un schéma horizontal (réduction du volume horaire journalier), vertical (réduction du nombre des jours de la semaine travaillés) ou mixte.
– Le Job sharing (contratto ripartito) : ce type de contrat, introduit en 2003, autorise le partage d’un même poste de travail par deux salariés afin de leur permettre de mieux concilier vie professionnelle et vie privée.
– Le Job on call : cette disposition apparue en 2003 permet une mise en disponibilité définie avec l’employeur qui verse une « indemnité de disponibilité » pour les périodes non travaillées. Ce contrat peut être conclu par des personnes âgées de moins de 25 ans et depuis la réforme de 2012, de plus de 55 ans (plus de 45 ans, précédemment).
• Les emplois atypiques hybrides
– Le contrat de collaboration para-subordonnée : la réforme de 2012 réaffirme la nécessité de réserver cette forme d’emploi au travail indépendant et introduit un certain nombre de règles pour limiter son abus.
– Le contrat d’association en participation : cette forme d’emploi prévoit la participation conjointe à une prestation de travail de la part d’associés. La loi 92/2012 stipule la requalification du rapport de travail en CDI en cas de non-respect des principes d’association (partage des gains, visibilité sur les comptes et bilans, etc.).
– Les formes de travail occasionnel de type accessoire : introduites par la réforme Biagi, elles renvoient à des activités de travail de nature occasionnelle ne devant pas dépasser trente jours par an et une rémunération allant de 2 000 à 5 000 euros (loi 92/2012).

37Depuis plus d’une vingtaine d’année, le recours aux formes d’emploi atypiques n’a pas cessé de progresser (tableau 1). En quelques années, de 2004 à 2012, on assiste à une envolée de des formes d’emploi non standards (+1,2 million). L’emploi atypique représentait 20,6 % des actifs occupés (4,6 millions d’individus) en 2004 pour atteindre 25,4 % en 2012 (soit 5,8 millions de personnes). Cette croissance touche principalement les jeunes et les femmes : près de 60 % des femmes occupent un emploi standard contre environ 84 % des hommes. Ce constat fait s’interroger inévitablement sur la condition des femmes au travail, question centrale dans un pays à forte tradition « familialiste ».

Tableau 1

Répartition des actifs par catégories d’emploi entre 2004 et 2012 (en milliers et en % de l’emploi total)*

Tableau 1
2012 2010 2008 2007 2004 Variations 2012/2008 Variations 2012/2004 VA* % VA % VA % VA % VA % % % Emplois standards 17 075 74,6 17 590 76,9 18 026 77 18 023 77,6 17 791 79,4 – 5,3 – 4,0 Salariés à temps plein 12 407 54,2 12 768 55,8 13 086 55,9 12 979 55,9 12 618 56,3 – 5,2 – 1,7 Indépendants à temps plein 4 669 20,4 4 822 21,1 4 940 21,1 5 043 21,7 5 173 23,1 – 5,5 – 9,7 Emplois atypiques (1) 5 824 25,4 5 281 23,1 5 379 23 5 199 22,4 4 613 20,6 8,3 26,3 Salariés à temps partiel 2 432 10,6 2 159 9,4 2 037 8,7 1 919 8,3 1 590 7,1 19,4 53,0 Indépendants à temps partiel 584 2,5 540 2,4 554 2,4 521 2,2 617 2,8 5,4 – 5,3 Salariés en CDD 2 375 10,4 2 182 9,6 2 323 9,9 2 269 9,8 1 909 8,5 2,2 24,4 Collaborateurs (2) 433 1,9 400 1,7 465 2 490 2,1 497 2,2 – 6,9 – 12,9 Ensemble 22 899 100 22 872 100 23 405 100 23 222 100 22 404 100 – 2,2 2,2

Répartition des actifs par catégories d’emploi entre 2004 et 2012 (en milliers et en % de l’emploi total)*

*VA : valeurs absolues.
NOTES • (1) La catégorie « emplois atypiques » agrège les travailleurs comptabilisés par l’ISTAT comme partiellement standards (temps partiel) et atypiques (CDD et collaborateurs).
(2) Cette catégorie exclut les travailleurs para-subordonnés et occasionnels comptabilisés parmi les indépendants.
SOURCES • Istat, Rilevazione sulle forze lavoro, 2004-2012, traitement par l’auteur.

38Le travail atypique augmente au détriment de l’emploi standard. Mais ce constat ne rend pas compte de l’hétérogénéité de l’ensemble des formes d’emploi atypiques. Suivant notre typologie, au sein de la première catégorie (emplois atypiques salariés), les emplois à temps partiel augmentent de 28,3 % entre 2007 et 2012, les contrats à durée déterminée de 4,7 % et le travail intermittent explose (tableau 2). S’agissant de la deuxième catégorie, l’on assiste à un recul du nombre de travailleurs para-subordonnés, notamment des « exclusifs », sur lesquels nous reviendrons, ainsi qu’à une hausse impressionnante du recours au travail occasionnel, c’est-à-dire pour des missions de très courte durée (trente jours ou moins par an).

39De plus, entre un travailleur standard et un travailleur atypique persiste une différence salariale importante qui dépend pour partie de l’âge ou de la qualification du poste puisque l’ancienneté dans l’emploi n’est pas comptabilisée en cas de carrière discontinue. À titre d’exemple, en 2012, le salaire moyen net d’un travailleur en CDD à temps plein est en moyenne de 25 % inférieur à celui d’un salarié en CDI.

Tableau 2

Évolution des différentes formes d’emploi atypiques salarié et hybride entre 2007 et 2012 (en milliers)

Tableau 2
2012 2011 2010 2009 2008 2007 Évolution (1) (%) Emplois atypiques salariés CDD 2 375 2 303 2 182 2 153 2 323 2 269 4,7 Temps partiel 3 107 2 825 2 715 2 585 2 577 2 421 28,3 Intérim nd 514,5 466,3 398,7 5 769 583,2 – 11,8 Job on call nd 201,6 159,8 110,1 59,6 62,3 223,4 Emplois atypiques hybrides Para-subordonnés 1 682,9 1 745,9 1 707,6 1 712,4 1 843,7 1 895,2 – 11,2 Dont Exclusifs 1 102,7 1 157,7 1 135,4 1 142,7 1 265,5 1 342,7 – 17,9 Concurrents 580,1 588,3 572,2 569,7 578,3 552,5 5,0 Travail occasionnel 308,7 214,7 149,3 68,3 24,7 nd 1 149,8

Évolution des différentes formes d’emploi atypiques salarié et hybride entre 2007 et 2012 (en milliers)

NOTES • (1) Évolution entre 2007 et 2012, sauf pour l’intérim et les Jobs on call (2007-2011) et pour le travail occasionnel (2008-2012).
SOURCES • ISTAT pour les contrats à durée déterminée, le temps partiel, le job on call et le travail occasionnel ; EBITEMP pour l’intérim et INPS pour les travailleurs para-subordonnés. Traitement par l’auteur.

40La flexibilité contractuelle à laquelle sont confrontées ces catégories de travailleurs traduit souvent une discontinuité et une précarité dans l’emploi dont les conséquences se mesurent tant au niveau salarial qu’au niveau de la moindre couverture à certains droits sociaux comme le chômage ou la retraite [7].

Quelle protection pour les travailleurs occupant un emploi atypique ?

41Comme nous l’avons montré, le régime de protection sociale italien se caractérise par une composition déséquilibrée des risques couverts, des droits sociaux et des conditions d’accès à ces derniers. L’existence d’un principe de proportionnalité assurantielle sur la base duquel sont établis le droit aux prestations, le montant de celles-ci et leur durée de perception s’explique par le poids de contraintes sociopolitiques qui ont structuré le régime. Autrement dit, si pour certaines prestations (chômage, retraite) le statut professionnel est la condition sine qua non de la reconnaissance d’un droit, pour d’autres en principe plus universelles (maladie, maternité) la relation de travail actuelle ou immédiatement antérieure à l’interruption d’activité peut se révéler particulièrement discriminante.

42La diffusion de formes discontinues d’emploi comme la flexibilisation des parcours associés aux périodes de non-emploi interrogent ainsi la capacité du système italien à offrir un volet de protection universelle et ce, d’autant plus que les taux de cotisation différenciés par type d’emploi opèrent comme un facteur discriminant dans l’accès à certains droits.

43Parallèlement à l’essor des emplois atypiques, plusieurs réformes ont étés engagées afin de réduire l’inégalité d’accès aux droits sociaux des travailleurs concernés. En limitant notre attention aux prestations chômage, retraite et maternité, nous nous efforcerons d’interroger les effets induits par les dernières réformes sur le niveau de protection des travailleurs relevant des deux catégories précédemment identifiées, les salariés atypiques et les travailleurs au statut hybride, en particulier les travailleurs « para-subordonnés »

La protection des salariés en emploi atypique

44Ces formes d’emploi ont des caractéristiques qui sont susceptibles d’engendrer des différences en termes de droits sociaux par rapport à ceux des travailleurs standards. Le critère d’éligibilité fondé sur la durée de cotisation et l’ancienneté dans l’emploi devient déterminant pour définir le réel accès aux droits.

45S’agissant de l’indemnité de chômage, elle est reconnue aux salariés ayant au moins un an de cotisation et deux ans d’ancienneté de travail, indépendamment du type de contrat. Depuis janvier 2013, le montant de l’indemnité correspond à 75 % du salaire mensuel moyen des deux dernières années dans la limite d’un plafond fixé à 1 180 euros [8], pour une durée de huit mois (dix pour les plus de 50 ans) qui sera portée en 2015 à dix mois puis à douze en 2016. Auparavant, à conditions d’éligibilité identiques, le montant était équivalent à 80 % du salaire précédant et versé pour une durée maximale de sept mois. Pour les personnes qui ne remplissent pas ces conditions, tout en ayant travaillé au moins soixante-dix-huit jours au cours de l’année précédente, une indemnité de chômage « réduite » (baptisée Mini-Aspi, assicurazione sociale per l’impiego) est prévue. Ainsi, la réforme de 2012 rend éligible au chômage les travailleurs intérimaires auparavant exclus, qui relevaient d’une caisse professionnelle.

46En ce qui concerne les pensions de retraite, la configuration du régime expose le travailleur non standard au risque d’un droit à la retraite plus faible en raison d’une carrière discontinue mais aussi d’un taux de cotisation moindre : 32,7 % pour les salariés en CDI contre 27,7 % pour les non-standards en 2013. Ainsi, dans des cas comme le travail intermittent ou le travail à temps partiel, on constate d’un côté un allongement de la durée nécessaire à l’acquisition des droits du fait d’un plus faible taux de cotisation et d’un autre côté un montant de la prestation proportionnelle à la quotité de travail effectué.

47En raison de l’existence d’un principe de non-discrimination pour le travail salarié atypique, le droit à l’allocation de maternité s’applique à toutes les figures contractuelles et ce, même si les modalités d’application peuvent être différentes d’un cas à l’autre. Pour obtenir l’allocation de maternité, les femmes doivent justifier d’une affiliation minimale de trois mois sur les douze qui précèdent la date présumée de l’accouchement. Dans tous les cas, la durée de versement ne pourra pas excéder cinq mois et un montant correspondant à 80 % du salaire moyen journalier du mois précédent. Si la durée d’affiliation reste la même, en cas de chômage, la période de référence sera comprise entre dix-huit et neuf mois avant la naissance.

48Par ailleurs, pour les chômeurs ayant été en CDD ou à temps partiel, l’indemnité de maladie ne peut être demandée que dans la limite de deux mois à compter de la fin du contrat et pour une durée maximale de cent quatre-vingt jours.

La protection des travailleurs en emploi hybride : le cas des travailleurs « para-subordonnés »

49La protection sociale des travailleurs « para-subordonnés » est tout à fait emblématique et particulière. Depuis le milieu des années 1990, on assiste à l’affirmation progressive d’un double mouvement : d’une part la reconnaissance d’un système de protection sociale spécifique limité à certaines prestations (par exemple, la retraite) et, d’autre part, un rapprochement juridique vers le régime dont relèvent les salariés (standards et non) pour des droits tels que la maladie, la maternité ou les congés parentaux.

50La constante progression de cette forme d’emploi a conduit à la création, en 1995, d’une caisse publique de retraite dite de « gestion séparée », dont le nom est en soi symptomatique, et dont la fonction est de collecter les cotisations versées selon le statut, « exclusif » ou « concurrent », de ces travailleurs. Il faut entendre par « collaborateurs exclusifs » ceux dont l’affiliation obligatoire à un seul régime de retraite est prévue, et ceci indépendamment du nombre de missions accomplies auprès de différentes entreprises. A contrario, « les collaborateurs concurrents » sont ceux pour lesquels l’activité de collaboration ne constitue qu’une partie du revenu, ils sont affiliés à une autre caisse professionnelle et pour cela bénéficie d’un système d’assurance mixte ou complémentaire.

51Ces deux sous-catégories de para-subordonnés sont assujetties à des niveaux de cotisation différents, fixés respectivement à 27 % et 20 % au titre de l’assurance retraite, vieillesse et invalidité. Pour ceux qui sont soumis à un régime exclusif, une cotisation supplémentaire est fixée à 0,72 % au titre de l’assurance maladie, maternité, congé parental et allocation familiale. Ces taux augmenteront progressivement pour atteindre 33 % en 2018 pour la catégorie des « exclusifs » (soit un taux équivalent à celui des travailleurs en CDI), et 24 % pour les « concurrents ». Ce mouvement traduit une volonté d’assimiler la condition des para-subordonnés exclusifs à celle des travailleurs salariés.

52Comme nous l’avons précédemment évoqué, la catégorie des emplois parasubordonnés rassemble des statuts très divers et par conséquent des situations salariales assez hétérogènes. Le niveau de retraite est à la fois fonction des cotisations versées, de la durée cotisée et du revenu perçu. Or, pour les para-subordonnés, cette question demeure centrale. De fait, au sein de cette catégorie peuvent cohabiter des situations très variées en fonction notamment de la nature de l’activité exercée et du niveau des revenus. L’inégale distribution salariale traduit inévitablement une différence en termes de droits contributifs à faire valoir pour le droit à la retraite. À titre d’exemple, les administrateurs para-subordonnés perçoivent en moyenne 32 000 euros par an contre moins de 10 000 euros pour les collaborateurs sur projet en 2012 (INPS, 2013).

53En ce qui concerne l’indemnisation du chômage, le régime des para-subordonnés est spécifique. Il leur donne droit à une allocation forfaitaire, justifiée par la nature juridique originale de leur situation. Depuis la réforme de 2012, seuls les parasubordonnés « exclusifs » et pouvant justifier d’avoir exercé une activité continue peuvent demander cette allocation chômage, deux mois après la fin du contrat (période de carence). De plus, ils doivent justifier d’un revenu inférieur ou égal à 20 000 euros auprès du même employeur sur l’année précédente et d’au moins quatre mois d’affiliation à la caisse de « gestion séparée ». Pour la détermination du montant, une base de référence correspondant à 7 % d’un revenu annuel moyen de 15 357 euros (calculé par l’INPS et révisé annuellement) est multipliée par le nombre de mois de la période la plus courte entre les mois cotisés et les mois non cotisés. Dans tous les cas, le montant est plafonné à un niveau maximum de 6 449,94 euros par an.

54Concernant l’allocation de maternité, les femmes « para-subordonnées exclusives » peuvent, depuis 2007, la percevoir lorsqu’elles justifient d’une affiliation minimale de trois mois sur les douze qui précèdent la date présumée de l’accouchement. Les conditions d’exercice de ce droit sont rigoureusement identiques à celles évoquées précédemment pour les employées relevant de la première catégorie des salariées en emploi atypique.

55Globalement, si d’importantes mutations législatives sont intervenues ces dernières années pour rapprocher ou uniformiser le degré de couverture sociale des para-subordonnés, leur statut demeure problématique. Ainsi et en raison de sa nature fragmentée, cette catégorie contractuelle déroge non seulement aux garanties des droits attribués aux salariés, en emploi standard ou non, mais aussi aux travailleurs indépendants.

Conclusion

56Les mutations de la structure de l’emploi intervenues depuis une vingtaine d’années se sont accompagnées, d’une part, de réformes importantes du marché du travail et, d’autre part, de réformes structurelles du système de protection sociale, comme celles portant sur la reconfiguration du régime de retraite. En Italie, la prolifération des statuts professionnels atypiques a produit une segmentation de l’emploi qui n’a été que partiellement atténuée en matière de droits sociaux. Si, pour certaines branches de la protection sociale, le principe d’universalité (maladie, maternité) agit afin d’éviter une inégalité de facto à l’accès au droit, pour d’autres branches, telles que le chômage et la retraite, le statut atypique constitue un obstacle majeur en raison des caractéristiques de ces formes particulières d’emploi (bas niveau des revenus, durée de l’activité, discontinuité des carrières).

57Si la réforme des retraites s’est imposée comme une évidence face au déséquilibre des régimes et au poids que celles-ci représentaient dans le total des dépenses, ses effets sont particulièrement négatifs pour les travailleurs atypiques. Un régime de retraite qui prévoit une relation stricte entre le montant des pensions et les cotisations versées expose les travailleurs dont les carrières professionnelles sont fragmentées, les femmes en particulier, à une moindre protection.

58Comme nous l’avons montré, l’accès à un revenu de remplacement à l’occasion de périodes de chômage est particulièrement problématique pour toutes ces catégories de travailleurs qui occupent un emploi atypique. Ceci se révèle particulièrement vrai pour les femmes qui sont, en Italie, surreprésentées par rapport aux hommes dans les parcours de précarité professionnelle et sociale.

59L’absence d’une véritable politique familiale et de dispositifs de soutien à la conciliation vie professionnelle et vie familiale contribue notablement à la marginalisation et au confinement des femmes dans ces emplois atypiques.

60En outre, la dernière réforme du marché du travail de Mario Monti n’intervient que marginalement sur les effets induits par la segmentation de l’emploi. L’une des priorités de cette loi était de limiter « la mauvaise flexibilité », celle des contrats atypiques répétés dans le temps. Or, la possibilité pour les plus jeunes ou pour les travailleurs saisonniers d’accéder à un volet de protection pendant cette période se heurte au critère d’accès à l’assurance chômage qui exige deux ans de cotisation préalable. D’après le premier constat effectué depuis la réforme (ISFOL, 2013), il semble que la réforme n’a fait que déplacer en partie le problème : le recours à des collaborations de para-subordination diminue (-30 % sur une année en novembre 2012) au profit des CDD, dont 44 % ne dépassent pas une durée de trente jours. Ce dernier élément n’est pas sans effet sur les droits sociaux des travailleurs concernés car une telle durée d’activité ne permet d’ouvrir droit ni à l’assurance chômage classique, ni au système de chômage « réduit » qui nécessite un minimum de soixante-dix-huit jours d’activité.

Notes

  • [*]
    Doctorante en sociologie à l’université Paris-Ouest Nanterre et membre du laboratoire Institutions et dynamiques historiques de l’économie (IDHE-UMR 8533). ATER à l’université de Lorraine.
  • [1]
    Le système européen de statistiques intégrées de la protection sociale (SESPROS) est une base de données harmonisée élaborée par Eurostat afin d’offrir un cadre comparatif des données nationales sur la protection sociale.
  • [2]
    Pour plus de détails nous renvoyons à l’analyse minutieuse menée par Ferrera, Fargion et Jessoula (2012).
  • [3]
    ISTAT (2013b) estime à 15,8 % le taux de pauvreté relative (près de 9,5 millions de personnes) et à 8 % le taux de pauvreté absolue (environ 4,8 millions d’individus) en 2012.
  • [4]
    Pour plus de précisions, voir le numéro 1/2006 de la Revue française des affaires sociales consacré aux réformes de la protection sociale en Europe.
  • [5]
    Dans le système notionnel à cotisations définies, les droits sont calculés en fonction des cotisations versées durant la vie active, capitalisées selon la croissance du PIB et multipliées par un coefficient dépendant de l’âge à la liquidation et reflétant l’espérance de vie à la retraite (Marano, 2006).
  • [6]
    Ne sont pas inclus dans cette typologie, les travailleurs en apprentissage et la catégorie des « travailleurs socialement utiles ».
  • [7]
    Pour une analyse empirique de la précarité en Italie, nous renvoyons notamment aux travaux de Berton, Richiardi et Sacchi (2009a, 2009b).
  • [8]
    Pour les salaires supérieurs à ce plafond une indemnité supplémentaire équivalant à 25 % de la différence entre le salaire et le plafond vient s’ajouter. Le montant est réduit de 15 % au terme des six premiers mois (dégressivité).
Français

Alors que l’Italie se trouve dans un contexte de fortes restrictions budgétaires, la segmentation du marché de l’emploi produite par le développement de formes d’emploi atypiques impose une réflexion sur son système de protection sociale. Cet article propose d’abord de situer l’expérience italienne dans une perspective comparée afin de déterminer les spécificités de ce système de protection sociale. Il s’attache ensuite à caractériser les différentes formes d’emploi atypiques qui se sont développées en Italie depuis une vingtaine d’années et qui touchent principalement les jeunes et les femmes. Il interroge enfin les récentes modifications législatives afin d’appréhender quels sont les droits à la protection sociale des différentes catégories de travailleurs exerçant un emploi atypique et de mettre en évidence les différences et les inégalités qui peuvent exister entre eux et les salariés standards.

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Mara Bisignano [*]
Doctorante en sociologie à l’université Paris-Ouest Nanterre, membre du laboratoire Institutions et dynamiques historiques de l’économie (IDHE-UMR 8533). Elle est actuellement assistante temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) à l’université de Lorraine. Ses domaines de recherche portent sur l’analyse des institutions des systèmes d’emploi en Europe, la protection sociale et le système des relations professionnelles.
  • [*]
    Doctorante en sociologie à l’université Paris-Ouest Nanterre et membre du laboratoire Institutions et dynamiques historiques de l’économie (IDHE-UMR 8533). ATER à l’université de Lorraine.
Mis en ligne sur Cairn.info le 20/02/2014
https://doi.org/10.3917/rfas.127.0072
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