CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La principale nouveauté du RSA réside dans son volet « activité » qui vise à apporter un complément de revenu pérenne aux travailleurs pauvres, qui sont généralement dans une situation d’emploi instable, à temps partiel ou à statut atypique. Deux ans après sa mise en œuvre, le dispositif ne parvient pas à atteindre sa cible, on observe un taux de non-recours de 68 % au RSA activité. À partir d’une recherche-action sur le non-recours menée au sein d’une CAF, cet article interroge la prise en charge des travailleurs pauvres par le système de protection sociale et l’adéquation de l’offre avec ce public cible subissant la précarisation du marché du travail. Il cherche à comprendre les raisons du non-recours au RSA par l’analyse croisée de formes de non-recours (« méconnaissance », « non-identification », « complication », « volontaire ») et des facteurs explicatifs du non-recours (« le dispositif », « l’institution », « le destinataire »). Il questionne la pertinence du RSA activité, révèle ses limites pour répondre aux besoins de ces publics, en emploi précaire ou atypique, et permet de mieux comprendre pourquoi ceux-ci sont particulièrement « non-recourants ».

2The aim of the RSA activité is to provide an income supplement for the working poor, penalised by professional instability, part-time work or atypical status. Yet, two years following its implementation, take-up for the RSA activité component is estimated at 68 %, clearly indicating that the scheme is not reaching its target. Drawing on the outcomes of an action research project into non-take up conducted by the CAF, this paper will bring up the following questions : to what extent are the working poor protected by the social welfare system ? Is this system adapted to its target public who are victims of today’s unstable labour market ? Using cross comparisons of the different cases of non take-up, we will try to pinpoint the reasons for this high RSA non-take up rate (insufficient awareness of the scheme, non-identification, complicated procedure, voluntary lack of take-up) as well as the underlying factors for non-take (the measure itself, the institution, the targeted category). This paper questions the relevance of the RSA activité by pointing out its limits when it comes to addressing the needs of its target public (people in unstable or atypical jobs). Finally, it will attempt to understand why this category in particular does not take advantage of the scheme.

Introduction

3Le revenu de solidarité active (RSA), mis en œuvre depuis juin 2009, poursuit un triple objectif : il se veut distributif, luttant contre la pauvreté des travailleurs à bas salaires ; incitatif à la reprise d’emploi, créant un écart entre revenus d’activité et minima sociaux ; et de simplification, rendant plus lisible le système de solidarité. Le RSA « activité » est un complément de revenu conçu pour répondre aux difficultés rencontrées par les « travailleurs pauvres » [1], son public cible. Cette catégorie statistique d’action publique se situe au croisement de questions liées à la dégradation du marché du travail et à la lutte contre la pauvreté. Elle implique une prise en compte du statut d’activité ou d’emploi sur le plan individuel et de la situation de pauvreté au niveau du ménage. Elle est construite sur la base de choix normatifs de mise en forme de la réalité sociale et des problèmes sociaux dont plusieurs travaux ont souligné les limites pour prendre en compte la spécificité des situations d’emploi (Concialdi, 2009 ; Ponthieux, 2004). Pour l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Ponthieux et Raynaud 2008), l’existence de travailleurs pauvres résulte de la faiblesse des salaires dans de très nombreux secteurs et notamment du niveau du salaire minimum, du temps partiel et du fractionnement des emplois : petits boulots, alternances de phases d’emploi et de chômage ou d’inactivité. L’emploi ne protège plus de la misère et ces publics sont donc touchés par les mutations du marché du travail : emploi à temps partiel ou complet, sous contrat stable ou précaire, souvent en emploi ou statut atypique (auto-entrepreneurs, intérimaire, CDD, avec plusieurs employeurs, etc.). Un rapport de la DREES [2] visant à caractériser la situation des personnes en situation de pauvreté précise également qu’au sein des actifs occupés, les travailleurs indépendants sont largement surreprésentés parmi les plus pauvres [3].

4Le RSA activité, destiné aux travailleurs pauvres, est supposé compenser les frais liés à la reprise d’emploi (garde d’enfant, transport, etc.) tout en collant au plus près des fluctuations de revenus puisque le calcul du droit se fait trimestriellement. Il s’inscrit dans la tendance européenne d’activation de la protection sociale (Barbier, 2002 et 2008 ; Okbani, 2013a). La réduction de la pauvreté passe alors par l’incitation financière à la reprise d’emploi, partant du présupposé que le retour à l’emploi résulte d’un arbitrage individuel entre les revenus sociaux et les revenus du travail (Gomel et Serverin, 2009).

5Quelques temps après sa mise en œuvre, on constate un important non-recours au RSA, en particulier sur son volet « activité » [4]. Par non-recours, on entend le fait de ne pas obtenir les prestations ou les services publics auxquels on est éligible (Math et Van Oorschot, 1996). Dans les faits, ce phénomène n’est pas une particularité du RSA, il est structurel et concerne de nombreuses prestations sociales (Odenore, 2012 ; Warin, 2006). Il pourrait paraître normal si l’on prend en compte le temps nécessaire d’installation, propre à la mise en œuvre d’un nouveau dispositif. Le revenu minimum d’insertion (RMI) avait, par exemple, mis trois à quatre ans à se stabiliser. Une enquête de la CNAF menée la première année de la montée en charge avait estimé un taux de 33 % de non-recours au RMI (Chastand, 1991) et une autre l’avait calculé à 53 % (Terracol, 2004). Bien qu’ils y aient droit, 50 % de bénéficiaires potentiels du RSA ne le demande pas, dont 35 % pour le RSA socle et 68 % pour le RSA activité (Comité national d’évaluation du RSA, 2011). Cet important taux de non-recours au RSA activité fait s’interroger sur l’accessibilité effective du dispositif auprès des travailleurs pauvres.

6La notion de non-recours met en lumière le différentiel existant entre une population potentiellement éligible et une population éligible effectivement bénéficiaire. Ce phénomène constitue, en soi, un rapport social à l’offre publique et aux institutions qui la servent. L’analyse du non-recours induit non seulement un enjeu gestionnaire de l’effectivité de l’offre de prestations financières (impacts prévus/ impacts réels), mais également une question politique aussi bien quand il signale un désintérêt ou un désaccord, que lorsqu’il est l’effet d’impossibilités (Warin, 2010a). Cette approche implique donc d’interroger fondamentalement l’offre publique, son effectivité et sa pertinence pour répondre à un problème identifié. Comprendre le non-recours contribue à « rendre audible » les représentations et les opinions qu’a une société de l’offre publique (Mazet, 2010). Il intervient comme un indicateur d’évaluation de la performance et de la pertinence d’un dispositif mais aussi du système administratif qui le déploie. Cette question est d’autant plus importante que les difficultés d’accès aux prestations et aux aides sociales, ainsi que l’accumulation de situations de non-recours, au-delà du seul domaine des prestations sociales, sont analysées comme une des causes de la pauvreté (Fragonard et al., 2012 ; Warin, 2009 et 2010b).

7Cet article propose d’interroger le non-recours au RSA activité en analysant ses causes au regard des publics auquel il s’adresse, à savoir les travailleurs pauvres qui occupent en grande partie des emplois précaires et/ou atypiques et dont les revenus sont instables. Par-là, il questionne l’adéquation du dispositif par rapport aux besoins de ses destinataires et son effective accessibilité. Qu’est-ce qui freine la demande ou le maintien dans le RSA activité pour ces publics ? Les modalités de fonctionnement de ce dispositif sont-elles adaptées aux situations vécues par les travailleurs pauvres ? Est-ce le dispositif lui-même qui n’est pas pertinent ou perçu comme tel par la population auquel il s’adresse ? Dans quelles mesures permet-il effectivement de lutter contre la pauvreté de ces publics ? L’objectif étant de questionner la prise en charge des travailleurs pauvres par le système de protection sociale en analysant en quoi le non-recours au RSA activité peut être révélateur d’une inadaptation du dispositif avec les besoins de ces publics, en emploi précaire ou atypique. Cet article s’inscrit dans la continuité des travaux critiques sur l’élaboration et la mise en œuvre du RSA visant à souligner son inadaptation aux réalités du marché du travail subies par cette catégorie de population en situation de précarité de l’emploi (Angotti, 2010 ; Chosson, 2012 ; Concialdi, 2009 ; Gomel et Meda, 2011 ; Gomel et Serverin, 2009 et 2012 ; Rigaudiat, 2009).

8Les travaux de recherche menés sur le non-recours mettent à jour la difficulté d’élaborer une typologie des différentes formes de non-recours étant donné la multiplicité de causes et de facteurs entrant en jeu dans le phénomène. Les premiers travaux français sur le non-recours abordent cette question par le biais de différentes catégories de non-recours principalement axées sur l’intensité et la durée du nonrecours [5]. Cette typologie s’inscrit dans une perspective descriptive et dynamique du phénomène au regard du processus administratif de gestion du droit qui se déroule en plusieurs étapes : la connaissance de la prestation, les arbitrages entre les facteurs encourageant et inhibant et la demande (Math et Van Oorschot, 1996). Ces travaux proposent une explication du non-recours à plusieurs niveaux, le niveau du dispositif, de l’administratif et de l’usager. Par la suite, la question du non-recours a été fortement investie par l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore) [6] qui appréhende le phénomène par le biais d’une typologie qui s’articule autour de variables explicatives en termes de non-connaissance, non-demande et non-réception [7] (Warin, 2009 et 2010c). Cette approche contribue à analyser le phénomène dans une perspective gestionnaire et politique partant du principe que « l’offre est un élément actif du non-recours ». Elle favorise l’étude de formes de nonrecours volontaire et amène à questionner la pertinence de l’offre publique.

9Dans ce papier, nous chercherons à comprendre le sens des différentes formes de non-recours par le biais d’un cadre d’analyse explicatif (tableau 1) qui s’inscrit dans la lignée des typologies antérieures mais propose un autre regard qui se veut complémentaire. Il s’agit d’analyser différentes formes de non-recours au RSA activité chez les éligibles régulièrement en emploi [8], entretenant un rapport aux droits sociaux spécifiques et relativement moins contraints que pour les personnes sans revenus d’activité. La méthodologie de recherche au sein d’une administration qui gère des droits, la nature des données récoltées ainsi que la complexité des situations observées amènent à proposer un cadre d’analyse du non-recours qui s’intéresse à la fois aux formes de non-recours et aux facteurs explicatifs du nonrecours (Okbani, 2013b). L’idée étant d’être en mesure d’associer des facteurs explicatifs à diverses formes de non-recours pour mettre en exergue les freins à la demande et l’inadéquation de l’offre par rapport au public auquel il s’adresse, notamment en décomposant l’offre en un dispositif (le RSA activité), et une institution opérante (la CAF qui gère le RSA). Pour cela, nous proposons une typologie des formes de non-recours qui nous semble plus adaptée au cas du RSA activité :

  • le non-recours par méconnaissance du dispositif ;
  • le non-recours par non-identification des bénéficiaires potentiels ou public cible, c’est-à-dire les éligibles qui connaissent le RSA et son fonctionnement mais qui ne se sentent pas concernés et ne pensent pas faire partie du public cible. Cette catégorie n’est pas abordée dans ces termes dans les autres travaux sur le non-recours mais elle est particulièrement présente dans le cas du RSA activité ;
  • le non-recours par complication, c’est-à-dire les personnes éligibles qui connaissent le RSA et son fonctionnement, s’identifient comme bénéficiaires potentiels, souhaiteraient pouvoir en bénéficier mais ne le demandent pas du fait de difficultés : complexité du dispositif, de la demande et du maintien dans le droit au regard de leur situation (souvent instable) et du montant du droit attendu ;
  • et le non-recours volontaire, c’est-à-dire les personnes éligibles qui connaissent le RSA et son fonctionnement, s’identifient comme bénéficiaires potentiels mais ne souhaitent pas y avoir recours pour diverses raisons : forme de calcul coût/avantages, freins psychologiques ou politiques, par principe. Nous les observerons par le biais de différents facteurs explicatifs du non-recours interagissant dans une relation triangulaire entre le dispositif, l’institution qui le met en œuvre et son destinataire.

Tableau 1

Grille d’analyse croisée des formes de non-recours et de leurs facteurs explicatifs

Tableau 1
Facteurs Explicatifs Formes de non-recours Le dispositif L’institution Le destinataire Méconnaissance du dispositif Non-identification comme public cible Complication Volontaire

Grille d’analyse croisée des formes de non-recours et de leurs facteurs explicatifs

SOURCES • Grille d’analyse croisée élaborée par l’auteure sur la base des différents travaux réalisés sur le non-recours.

10Malgré les limites inhérentes à toute tentative de typologie visant à caractériser une réalité sociale complexe et bien souvent multicausale, cette grille d’analyse permet de décrypter des freins à la demande et au maintien du RSA activité et de préciser à quel niveau ils se situent. Cette approche du non-recours questionne les formes d’inadaptation de la protection sociale et interroge la pertinence de l’action publique à travers ce qui relève du dispositif et de son mode de fonctionnement, de la manière dont il est mis en œuvre par l’institution CAF et ses partenaires, au regard des situations et des comportements des publics destinataires.

Encadré : Méthodologie de recherche

Cet article est issu d’une recherche-action sur le non-recours au RSA activité menée au sein de la CAF de la Gironde en 2010 (Okbani, 2013b). Elle se compose d’une expérimentation de recherche de bénéficiaires potentiels, d’entretiens téléphoniques directifs auprès de nonrecourants potentiels, d’une analyse comparative de la gouvernance du RSA dans douze CAF. Elle est également nourrie par une trentaine d’entretiens semi-directifs menés auprès de professionnels de CAF et de la CNAF et un travail d’observation participante de plusieurs années au sein de cette CAF et au guichet. Ce travail fait également référence au rapport du Comité national d’évaluation du RSA (CNE) de 2011 [9].
• L’expérimentation de recherche de bénéficiaires potentiels du RSA activité : Une requête identifiant de potentiels éligibles au RSA activité dans les fichiers de la CAF a été élaborée. Elle comporte de nombreuses limites mais, selon la Direction des statistiques, des études et de la recherche (DSER) de la CNAF, elle permet d’identifier environ 77 % des bénéficiaires du RSA (80 % pour le RSA socle et 67 % pour le RSA activité). Des courriers ou mails nominatifs ont été envoyés à un échantillon de 2 500 allocataires (population test), représentatifs de la population identifiée comme potentiellement éligible au RSA activité [10], les 8 700 autres allocataires servant de population témoin. Il a été possible d’observer les réactions des populations test et témoin en termes de prise de contact avec la CAF (téléphone, courrier, visite, connexion sur le site Internet avec identifiant), de demande du RSA et d’ouverture de droits.
• L’enquête téléphonique auprès de potentiels non-recourants au RSA[11]
Suite à l’expérimentation de recherche de bénéficiaires potentiels, un échantillon de 151 foyers ont été interrogés par téléphone sur leur connaissance du RSA, leur perception d’éligibilité, leur représentation et leur opinion du dispositif ainsi que sur les raisons de leur non-recours. Il s’agissait de ceux qui ont reçu une information et qui n’ont pas eu de réactions identifiables par les services de la CAF.
• L’étude comparative sur la gouvernance du RSA dans les CAF
Douze importantes CAF de France ont été interrogées sur la gouvernance du RSA, sur leur qualité de service, leur communication et leur stratégie d’accès au RSA. Ces éléments étaient analysés au regard d’une estimation du taux de non-recours au RSA activité (en fonction du nombre effectif de bénéficiaires au regard des estimations nationales ventilées localement). L’idée était de mieux comprendre en quoi ces institutions peuvent jouer un rôle déterminant dans l’accès au droit. Les directions des CAF ont rempli un questionnaire détaillé qui leur avait été adressé et, dans la plupart des cas, un entretien téléphonique complémentaire a été réalisé.

11Dans une première partie nous développerons en quoi la construction du RSA et son mode de fonctionnement peuvent induire des formes de non-recours et révéler les insuffisances du dispositif pour répondre aux besoins du public auquel il s’adresse. Puis, nous étudierons en quoi les institutions qui mettent en œuvre le RSA contribuent plus ou moins à favoriser le non-recours auprès des travailleurs pauvres en fonction d’arbitrages entre contraintes gestionnaires et mission d’accès au droit. Et, pour finir, nous questionnerons en quoi les situations des destinataires du RSA activité, les représentations qu’ils en ont, leurs opinions et leurs comportements peuvent jouer sur le non-recours au RSA activité.

La complexité du RSA et l’inadaptation au public cible : une logique consubstantielle à l’offre ?

12Commençons tout d’abord par interroger en quoi la construction du RSA, la démarche de demande de droits et le mode de fonctionnement concret du dispositif peuvent générer des formes de non-recours, en particulier pour les travailleurs précaires, à statut ou emploi atypiques.

Le RSA, une prestation syncrétique

13Le RSA est un minimum social quérable [12] (Gomel et Serverin, 2012) qui remplace le RMI pour les personnes sans activité professionnelle (RSA socle) et l’allocation parent isolé (API) pour les monoparents sans activité (RSA majoré). C’est également un complément de revenu remplaçant les anciens dispositifs d’intéressement à la reprise d’emploi (intéressement et prime pour l’emploi [13]) pour les travailleurs pauvres (RSA activité). Le RSA fusionne dans un même dispositif deux minima sociaux, l’un lié à la famille (Helfter, 2010), l’autre à l’inactivité (Lafore, 1989), et deux compléments de revenus liés à l’activité professionnelle. Il vient changer les repères de la société sur les notions de minima sociaux, de norme d’emploi, d’incitation à la reprise d’emploi (Marc et Thibault, 2009) car il fait appel à des valeurs, des « philosophies de prestation » et des images sociales très différentes. Il construit de fait une nouvelle catégorie d’action publique englobant des publics qui se trouvent dans des situations très hétérogènes en termes d’insertion sociale et professionnelle [14]. D’une part, la construction du dispositif et ses différents volets – socle, majoré, socle et activité, activité seul – peuvent générer des difficultés de compréhension du RSA par ses destinataires et induire des formes de non-recours par « méconnaissance ». L’enquête téléphonique réalisée au sein de la CAF de la Gironde révèle que, si 95 % des répondants déclarent connaître le RSA, seulement 64 % ont compris qu’il s’adresse également aux personnes en activité professionnelle. D’autre part, cette structuration peut générer des difficultés d’identification du nouveau public cible et conduire à des amalgames notamment en ce qui concerne la soumission aux « droits et devoirs » [15]. Dans cette perspective, la construction du dispositif, principalement associée à un minimum social, peut générer des confusions et des craintes conduisant à des formes de non-recours par « non-identification ».

La complexité de la demande et du maintien dans le RSA : quelles conséquences pour les travailleurs pauvres en situation d’instabilité professionnelle ?

14La construction du RSA comme droit quérable, la volonté d’assurer rapidement l’augmentation de revenus liés à la reprise ou au maintien dans l’emploi a conduit à élaborer un dispositif complexe faisant entrer un nombre important de paramètres dans le calcul du montant de la prestation [16]. En soi, la constitution d’un dossier de demande du RSA induit de renseigner ces éléments dans le détail et de fournir les pièces justificatives. Elle peut être perçue ou vécue comme complexe, notamment pour les publics qui ont des difficultés à gérer les démarches administratives (Okbani, 2013b).

15On observe d’importantes fluctuations du montant du RSA, un taux considérable de migration d’un volet à l’autre de la prestation et d’entrées/sorties du dispositif. Par exemple, d’une année à l’autre parmi les bénéficiaires du RSA activité [17], seulement 45 % sont restés dans le même dispositif alors que 32 % sont sortis, 11 % ont transité vers un RSA avec composante socle et 12 % sont en attente d’actualisation [18]. Un dossier sur trois se renouvelle en moyenne chaque trimestre. Ces fluctuations de trajectoires révèlent les instabilités de revenus et de montants du RSA propres aux situations des bénéficiaires du RSA activité, qui sont sujets à la précarité de l’emploi. D’une part, cela souligne la difficulté de lisibilité du montant de la prestation pour le bénéficiaire qui ne pourra pas vraiment compter dessus et l’intégrer à son budget global. D’autre part, si celui-ci reprend ou augmente son activité professionnelle, par exemple pour une mission intérimaire, saisonnière ou un CDD, il peut devenir temporairement non éligible. Son dossier restera alors en attente dans les fichiers de la CAF pendant une durée maximale de trois mois, au-delà de laquelle il sera « radié » du RSA. De nouveau éligible, il devra refaire une demande complète du RSA. Il pourra donc être amené à réitérer régulièrement sa demande (jusqu’à deux à trois fois par an) pour être maintenu dans le dispositif. Le CNE constate notamment que le taux de non-recours au RSA est significativement plus fréquent lorsque les personnes ne sont pas éligibles depuis longtemps : fin 2010, pour les non-éligibles au RSA en mai 2009, le taux de nonrecours est de 70 %, tandis qu’il est de 45 % parmi les éligibles au même moment. Il souligne également que 60 % des bénéficiaires potentiels, en emploi au moment de l’enquête, sont non-recourants contre 32 % des éligibles sans emploi.

16Les fluctuations du RSA activité mettent en lumière l’instabilité des trajectoires et des ressources des travailleurs pauvres, qui se trouvent tantôt « ballotés » d’un type du RSA à l’autre, tantôt en attente voire sortis du système. Plus leur situation d’emploi est précaire, plus les démarches à faire auprès des institutions pour bénéficier du RSA sont nombreuses, complexes et peuvent générer des ruptures de droits [19]. Si le RSA activité a été créé pour soutenir la reprise d’activité et lutter contre la pauvreté des travailleurs, son fonctionnement administratif ne semble pas adapté aux situations de précarité de l’emploi dans lesquelles se trouvent une partie de ses destinataires. Comme ont pu également le mettre en évidence d’autres travaux, le dispositif ne semble pas en capacité de s’adapter aux réalités du marché du travail (Gomel et Meda, 2011), notamment parce que « le RSA est en effet caractérisé par une focalisation sur les transitions de l’inactivité vers l’emploi au détriment des transitions dans l’emploi de ses allocataires, et également par la non-prise en compte du contexte prévalant sur le marché du travail local et de son effet sur ce contexte » (Chosson, 2012, p. 1). La construction même du dispositif et son mode de fonctionnement peuvent freiner la demande et le maintien dans le RSA et générer des formes de non-recours par « complication », et de non-recours « volontaire ».

17Pour ses destinataires, le RSA peut être perçu ou vécu comme contraignant alors que de nombreuses incertitudes demeurent : incertitude de pouvoir effectivement bénéficier du RSA (difficulté à identifier son éligibilité), incertitude sur le montant du droit, contrainte de devoir constituer une demande (qui peut notamment nécessiter plusieurs allers-retours pour compléter le dossier avec des pièces justificatives), nécessité d’attendre le traitement du dossier, contrainte de savoir que l’on pourra être amené à réitérer régulièrement cette demande (instabilité de l’éligibilité). Comme le soulignent plusieurs non-recourants lors de l’enquête téléphonique menée dans le cadre de cette recherche-action, « ce qui n’est pas pris en compte, c’est la précarité de l’emploi ». Bien qu’ils puissent souhaiter bénéficier du RSA, les éligibles peuvent être découragés par la complexité des démarches à accomplir au regard des nombreuses incertitudes, et ne pas/ne plus recourir au RSA.

Le cas des non-salariés : travailleurs indépendants et auto-entrepreneurs

18En plus des complexités de fonctionnement déjà énoncées, il convient de préciser quelques spécificités du RSA activité pour les entrepreneurs et travailleurs indépendants (ETI), incluant également les auto-entrepreneurs. En effet, le test d’éligibilité au RSA sur Internet n’est pas adapté aux non-salariés ; il leur est donc impossible de savoir s’ils peuvent en bénéficier. Ceux qui pensent être éligibles au RSA activité doivent directement constituer un dossier de demande et le déposer sans savoir s’ils peuvent effectivement en bénéficier. Du fait de leur statut, les démarches de demande et de calcul des droits ne sont pas exactement les mêmes que pour les salariés. Ils doivent remplir une demande du RSA ainsi qu’une demande complémentaire précisant le montant de leurs revenus d’activité. Pour les auto-entrepreneurs, le montant du RSA se calcule sur la base des revenus d’activité trimestriels. Les travailleurs indépendants doivent, quant à eux, fournir un bilan comptable de leur activité de l’année précédente, ou bien, s’ils n’ont pas réalisé ce bilan comptable, fournir tous les justificatifs de leurs recettes et de leurs dépenses. Le montant de leurs droits sera calculé sur la base des revenus de l’année précédente et ne tiendra pas compte des ressources réelles actuelles. Dans la pratique, cela peut mettre l’allocataire en difficulté financière en cas de baisse d’activité ou générer par la suite d’importants trop-perçus (indus) à rembourser au moment de l’actualisation de la situation, un an après. De plus, la complexité de la demande du RSA, accrue pour les ETI, peut nécessiter plusieurs allers-retours pour fournir les pièces justificatives.

19Parmi les potentiels non-recourants interrogés dans le cadre de l’enquête téléphonique, 13 % sont des ETI et plus de la moitié d’entre eux n’avaient qu’une connaissance partielle du RSA, soit parce qu’ils ignoraient l’existence du volet activité, soit parce qu’ils ne pensaient pas que les ETI pouvaient en bénéficier : « je suis auto-entrepreneur et je pensais que le RSA s’adressait aux salariés avec des revenus fixes ». Après leur avoir expliqué comment procéder pour savoir s’ils étaient éligibles ou non au RSA, ils ont été nombreux à exprimer leur mécontentement face aux démarches administratives qu’ils jugent contraignantes. Pour ces publics, le peu de lisibilité sur l’éligibilité, les incertitudes quant au montant des droits potentiels, les difficultés liées à la constitution du dossier et au fonctionnement du RSA peuvent freiner la demande et susciter des découragements, générant du non-recours « par complication » ou du non-recours « volontaire ». Si leur nombre progresse, on constate qu’ils ne représentent que 5 % des bénéficiaires du RSA (Comité national d’évaluation du RSA, 2011, p. 35) alors qu’ils constituent 16,4 % des personnes les plus pauvres (au seuil de 40 %) (Fragonard et al., 2012, p. 25). Le traitement administratif des dossiers ETI semble particulièrement complexe et inadapté à leur situation fluctuante alors même qu’ils représentent une part importante des travailleurs pauvres.

Le rôle des institutions dans le non-recours au RSA : entre stratégies d’accès aux droits et contraintes de gestion

20Essayons maintenant de comprendre en quoi la gestion de cette prestation et la prise en charge de ces publics par la branche Famille peut jouer sur le non-recours au RSA activité. Les CAF occupent une place centrale dans l’information, l’accessibilité, l’ouverture et le maintien des droits. Elles ont des modes de fonctionnement spécifiques et interviennent sur des territoires différents rendant la comparaison du service rendu délicate. Pour autant, l’étude comparative sur la gouvernance du RSA menée dans le cadre de cette recherche apporte quelques éléments de compréhension sur la marge de manœuvre des CAF et sur l’influence de leurs choix stratégiques sur le non-recours au RSA.

Le lancement du RSA ou l’arbitrage entre la vocation d’accès aux droits et les contraintes de gestion institutionnelles

21Conformément aux engagements formulés dans la Convention d’objectifs et de gestion (COG) [20], les CAF sont tenues d’assurer une qualité de service minimale à l’allocataire dans la gestion de son dossier. Au moment de la généralisation du RSA, plusieurs CAF interrogées se trouvaient dans des situations difficiles en termes de charge de travail et de qualité de service, notamment du fait des retombées de la crise économique. Le lancement du RSA, élargissant leur champ d’intervention et leur public, a suscité des inquiétudes et des appréhensions sur le plan technique et gestionnaire. Pour certaines, le « risque perçu » de « surcharge » a freiné le déploiement d’actions de communication et de recherche de bénéficiaires potentiels. Elles craignaient de générer un accroissement considérable des demandes induisant mécaniquement une dégradation de la qualité de service, dans des contextes locaux de gestion parfois délicats. Les CAF qui se trouvaient dans des situations plutôt favorables en termes de charge de travail, ayant prévu une répartition structurée des instructions de dossiers du RSA avec les partenaires [21], ou encore ayant déjà l’expérience de l’instruction du RMI ou du RSA expérimental, ont appréhendé la mise en œuvre du RSA avec moins de craintes. Elles ont plus souvent entamé des démarches de recherche de bénéficiaires potentiels, dans la mesure où l’allocataire allait être reçu dans des conditions jugées convenables.

22Les effets collatéraux de la crise ne cessent d’affecter les activités des CAF. Celles-ci font face à des surcharges générant d’importants délais de traitement et dégradant la qualité de service. Elles soulignent le manque de moyens dont elles disposent pour répondre à ces demandes accrues comme en témoigne la lettre du président de la CNAF du 4/03/13 adressée à la ministre des Affaires sociales et de la Santé pour alerter sur la situation [22] : « La crise économique que connaît notre pays est l’une des plus graves et des plus durables depuis 1945. Plus que jamais les CAF assurent un rôle d’amortisseur social. Dans ce contexte, la charge de travail des salariés de la branche est devenue insupportable. Le niveau de stock se situe à un niveau jamais atteint et cela perdure sur une durée qui, là aussi, n’a jamais été aussi longue. […] Nous tenons à vous alerter sur la gravité de la situation ». Des arbitrages sont faits en fonction des priorités stratégiques des directions : entre la nécessité d’informer (remplir la vocation d’accès aux droits) et les contraintes de gestion (objectifs de qualité de service). Ceux-ci varient d’une CAF à l’autre et ont donc des répercussions plus ou moins favorables sur l’accès aux droits.

Les stratégies institutionnelles d’accès aux droits

23Lors du lancement du dispositif, la CNAF avait prévu deux campagnes de communication nationales pour informer sur le RSA. La seconde, visant particulièrement à informer les travailleurs à bas revenus sur le RSA activité, n’a jamais été lancée car « les CAF étaient dans le rouge » [23]. Elle risquait de générer encore plus d’afflux, dégradant encore davantage les conditions d’accueil des allocataires. Au niveau local, l’étude comparative conduite révèle que l’investissement pour informer les bénéficiaires potentiels du RSA a été inégal : certaines CAF ont relayé la campagne de communication nationale, d’autres l’ont anticipée ou ont été au-delà en déployant des moyens particuliers. Quelques rares CAF interrogées dans le cadre de l’enquête (2 sur 12) ont lancé une campagne de communication spécifique sur le RSA activité [24].

24Dans un souci d’accès aux droits, la majorité des CAF répondantes (8 sur 12) ont pris l’initiative de lancer des actions de recherche de bénéficiaires potentiels du RSA activité au moment du lancement du RSA pour informer sur le dispositif et favoriser la demande. Elles ont envoyé des courriers, des courriels, des SMS ou encore ont téléphoné aux allocataires qu’elles identifiaient comme potentiellement éligibles au RSA activité de manière plus ou moins ciblée (en fonction de profils) et dans des proportions assez différentes. Pour toucher de nouveaux publics de travailleurs à faibles revenus, non allocataires, plusieurs CAF (7 sur 12) ont développé de nouvelles relations partenariales ciblées. Elles informaient, voire formaient ces partenaires au fonctionnement du RSA pour qu’ils puissent être relais (Pôle emploi, CPAM, URSSAF, agences d’intérim, etc.). En cela, elles ont cherché à s’inscrire dans une logique inter-institutionnelle d’accès aux droits. Lorsque l’on se risque à comparer la proportion de bénéficiaires effectifs du RSA activité au niveau départemental [25] par rapport aux estimations départementales du nombre de bénéficiaires potentiels [26], on constate que la montée en charge du RSA semble en général relativement moins marquée par le non-recours dans les territoires couverts par les CAF qui ont lancé ce type d’initiatives que dans ceux où les CAF n’ont pas eu cette démarche [27]. Le phénomène de non-recours semble donc être marqué par une dimension territoriale liée en partie aux stratégies institutionnelles d’accès aux droits, même si d’autres facteurs entrent également en jeu comme les caractéristiques socio-économiques des territoires [28].

25Dans la recherche-action comme dans le rapport d’évaluation du CNE, la méconnaissance du dispositif ou sa mauvaise compréhension apparaissent comme la première cause du non-recours au RSA. Selon l’enquête du CNE, parmi les nonrecourants n’excluant pas d’être éligibles, 68 % n’ont pas demandé le RSA car ils ne le connaissent pas assez bien, 48 % n’identifient pas le volet activité du RSA et 30 % ne savent pas auprès de qui faire la demande. Cela fait s’interroger plus généralement sur l’insuffisance d’information transmise aux destinataires du RSA. Pour autant, l’expérimentation de recherche de bénéficiaires potentiels menée par la CAF de la Gironde révèle que, suite à l’envoi de courrier, 52 % de l’échantillon test a pris contact avec la CAF probablement pour s’informer sur le RSA [29] (contre 36 % pour la population témoin), 14 % ont déposé une demande du RSA (contre 2 % pour la population témoin) et 10 % ont ouvert un droit au RSA (contre 1 % pour la population témoin).

L’accueil et le traitement des situations ou statuts complexes dans le contexte institutionnel

26Il est important de souligner qu’en dehors des horaires d’ouverture [30] et de la répartition territoriale des accueils, les modalités organisationnelles d’accueil et de prise en charge des bénéficiaires du RSA activité et en particulier des ETI définies par les directions peuvent également jouer sur l’accès au droit. Dans le cadre de la COG, les CAF sont soumises à des indicateurs de performance [31]. Ceux-ci induisent des exigences managériales de productivité en termes de temps de réponse en fonction de la charge : environ 3 minutes pour les réponses téléphoniques qui sont souvent assurées par des professionnels peu qualifiés, et 6-7 minutes à l’accueil. Les techniciens conseils sont managés sur la base de ces critères de productivité et ils doivent respecter ces contraintes de temps, dans la mesure du possible. Pour autant, ces exigences peuvent être en décalage avec le temps nécessaire pour apporter une réponse de qualité sur les dossiers complexes comme ceux des travailleurs en situation d’instabilité professionnelle, en emploi ou statut atypique comme les ETI. Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité lorsqu’aucun dispositif d’accueil spécifique (sur rendez-vous) n’est prévu et que le taux de formation des techniciens conseils sur le traitement de ces dossiers peut être très bas. Dans une CAF, il a été possible d’observer que seulement environ 10 % des techniciens conseils ont été formés au traitement des dossiers ETI et sont en capacité de répondre précisément aux questions sur ces dossiers [32]. Ce qui fait s’interroger plus généralement sur la capacité institutionnelle à prendre en compte les spécificités de traitement de ces dossiers.

27Les choix organisationnels des CAF en termes de formation, la qualité de la réponse téléphonique et de l’accueil, ainsi que la possibilité d’un accueil spécifique pour la gestion de dossiers complexes peuvent jouer sur l’accessibilité du RSA pour les travailleurs pauvres en situation d’instabilité professionnelle ou de statut atypique. Les institutions ont donc un rôle important à jouer dans la prise en charge de ces publics pour que le dispositif puisse effectivement atteindre ses destinataires. Elles disposent de leviers d’action pour réduire le non-recours au RSA activité par « méconnaissance » du dispositif, par « non-identification » au public cible mais aussi par « complication », encore doivent-elles avoir les moyens et la volonté politique de les mettre en œuvre. Cependant, comme le montre le faible taux d’ouverture de droits suite à l’expérimentation, l’information sur le dispositif et l’identification des publics ne sont pas les seuls éléments entrant en jeu dans le recours au RSA activité.

Les bénéficiaires potentiels du RSA activité au cœur du non-recours

28Après avoir analysé la complexité de fonctionnement du dispositif et les stratégies institutionnelles de mise en œuvre, regardons comment les destinataires du RSA activité réagissent face à cette offre et en quoi ils sont plus ou moins enclins à recourir à leurs droits.

Le non-recours par « non-identification » : comment se reconnaître travailleur pauvre ?

29Le RSA activité est méconnu ou mal compris par ses bénéficiaires potentiels générant des formes de non-recours par « méconnaissance ». Ceux qui connaissent le volet activité du RSA ont pour autant du mal à percevoir leur éligibilité et peuvent s’inscrire dans des formes de non-recours par « non-identification ». Le phénomène est d’autant plus marqué quand l’offre publique ne donne pas de lisibilité sur son droit potentiel, comme nous l’avons vu dans le cas des non-salariés (ETI). Cette identification des éligibles dépend de la représentation qu’ils ont de leur situation par rapport à la société (perception du salaire relatif et volonté de s’associer à une identité valorisante de travailleur) et du public cible. Dans l’enquête téléphonique menée au sein de la CAF de la Gironde, si 72 % des répondants estiment que la catégorie de « travailleurs pauvres » décrit une réalité sociale et n’est pas stigmatisante, ils ne s’identifient pas pour autant à cette catégorie. Alors même qu’ils ont reçu une information ciblée, 46 % des répondants ne pensent pas être éligibles au RSA, 44 % ne savent pas s’ils sont éligibles et seulement 10 % pensent pouvoir en bénéficier. On observe des difficultés personnelles à s’identifier comme « travailleur pauvre » liées à la violence symbolique que cela peut représenter (aveu d’échec). Cela se caractérise notamment par des stratégies individuelles de distanciation, de déni ou d’évitement (Paulhan, 1992) pour garder une image acceptable de soi. Ces comportements de non-recours par non-identification s’inscrivent parfois aux limites du non-recours volontaire.

Le non-recours « par complication », une non-acceptation du RSA sur la forme

30Si les destinataires du RSA activité connaissent le dispositif, pensent y être éligibles, jugent le principe d’un complément de revenu intéressant et souhaitent en bénéficier, ils peuvent toutefois être découragés par la complexité des démarches administratives à fournir pour l’obtenir [33]. Comme nous avons pu le mettre en évidence précédemment, la demande et le maintien dans le RSA peuvent se révéler complexes et induire de nombreuses démarches itératives, parfois à l’aveugle pour les bénéficiaires potentiels en situation d’instabilité professionnelle (intérim, CDD) ou ayant un statut atypique (ETI). Cette complexité d’accès aux droits, inhérente aux modalités de fonctionnement du RSA activité, constitue un obstacle qui génère du non-recours par « complication » et indique un refus de la forme du dispositif. Si le RSA activité vise à réduire la pauvreté des travailleurs précaires en leur donnant droit à un complément d’activité, son mode de fonctionnement semble inadapté à l’instabilité dans l’emploi qu’ils subissent. Il les met en situation de devoir reformuler une demande complète de droits après quatre mois de non-éligibilité, alors qu’ils pourraient potentiellement être maintenus plus longtemps dans les fichiers de la CAF. Même s’ils souhaitent en bénéficier, certains se heurtent à la complexité des démarches administratives qui les découragent et les amène à abandonner : « Moi, je travaille en intérim et vous comprenez, faire les démarches pour le RSA, ça me prend une journée pour toucher 100 euros. 100 euros, c’est une journée de travail. Moi, je préfère chercher du boulot pendant ce temps »[34].

31Dans l’expérimentation conduite, on constate que les non-recourants ont droit à des montants du RSA activité moins élevés. Il y a en effet une sous-représentation des montants de moins de 100 euros ou 50 euros [35], ces non-recourants ont moins le sentiment d’en avoir besoin : « si c’est que pour 50 euros, c’est que je peux subvenir à mes besoins » [36]. La demande du RSA fait donc l’objet d’une forme de calcul coût/avantages. Le coût peut être d’ordre physique (effort à fournir pour bénéficier des droits) et/ou d’ordre psychologique (compétences pour faire ces démarches, expériences passées, assignation identitaire comme bénéficiaire d’un minimum social [37]). L’avantage est entendu comme le montant du RSA attendu et sa durabilité potentielle.

Le non-recours « volontaire », un refus du dispositif sur le fond pour ne pas appartenir à la catégorie institutionnelle des « travailleurs pauvres »

32L’enquête téléphonique révèle que seulement 43 % des personnes interrogées pensent que le RSA est un bon dispositif. On observe dans les réponses que 28 % ne demandent pas le RSA activité volontairement et expriment des formes de refus du dispositif sur le fond. Ces non-recourants volontaires en emploi se trouvent dans des perspectives de recherche d’alternatives, de stratégies d’éviction et de refus de principe.

33D’une part, on constate d’importants freins psychologiques liés en partie à la violence symbolique d’identification au groupe social des travailleurs pauvres bénéficiaires d’un dispositif assimilé à un minimum social. En effet, la « catégorie sociale de bénéficiaires du RSA » construite par les institutions publiques peut générer des formes de refus d’assignation identitaire à son public cible et aux images sociales qu’il véhicule (Avanza et Laferté, 2005). Les représentations induites par le référentiel d’activation [38], les nombreux débats sur les assistés comme « cancer de la société française », ainsi que l’importante politique de lutte contre la fraude aux prestations sociales lancée par la branche Famille, ont pu contribuer à véhiculer une image sociale négative du RSA et de ses bénéficiaires, nuisant ainsi à l’accès aux droits (Okbani et Warin, 2012). On observe des formes d’« auto-exclusion » de l’offre par peur de la stigmatisation et du déclassement social, phénomène fortement étudié par la littérature portant sur le welfare stigma (Horan et Austin, 1974 ; Spicker, 1984). Dans les entretiens téléphoniques, on observe l’expression d’un sentiment de culpabilité individuelle ou d’un manque de légitimité à demander le RSA : « Il y a des personnes qui en ont plus besoin que moi ». Cela peut également traduire des réactions alternatives de distanciation visant à se détacher du public cible par volonté de non-identification ou refus d’être considéré comme un « travailleur pauvre » qui induirait une mise à mal de l’estime de soi. Dans une perspective de calcul coût/avantages, ils peuvent alors considérer que le montant du RSA ne suffit pas à compenser le coût psychologique et physique de la démarche.

34D’autre part, des raisons politiques ou un refus du RSA par principe alimentent également ce comportement de non-recours « volontaire » pour s’affranchir de l’aide sociale ou par manque d’intérêt. Certains expriment un sentiment d’injustice : « une aide de solidarité tout en travaillant ce n’est pas gênant mais ça ne devrait même pas exister », « le RSA n’a profité qu’à l’entreprise ». D’autres avancent parfois des propos stigmatisants par rapport aux bénéficiaires du RSA, activant ainsi des stéréotypes (Steele et Aronson, 1995) subis par cette catégorie dont ils cherchent à se différencier : « Ceux qui ne travaillent pas ce sont des fainéants, ils profitent », « c’est bien pour quelqu’un qui en a besoin ou qui ne gagne pas beaucoup, mais il y a des gens qui ne travaillent pas et qui touchent plus que ceux qui travaillent, ce n’est pas normal ! Moi, j’ai toujours travaillé ».

35Les non-recourants « volontaires » expriment une volonté de s’en sortir de manière indépendante, pour ne pas dépendre de l’assistance, malgré les mutations des formes de contrats et la précarité de l’emploi qu’ils peuvent subir. Par ailleurs, le CNE observe que les non-recourants au RSA ont moins le sentiment d’être pauvres (42 % contre 63 % des bénéficiaires). Cela contribue à illustrer que les mécanismes de retour à l’emploi peuvent avoir d’autres logiques que celle de l’incitation financière. Comme le souligne J.-C. Barbier : « Pour les personnes, en effet, qui connaissent, de façon permanente ou plus ou moins temporaire une situation de pauvreté, l’essentiel ne tient pas dans la logique économique ou les fonctionnalités des réformes, mais dans le regard que la société dans laquelle elles vivent, société forcément située nationalement, porte sur elles. » (2008, p.18). Il semble exister un paradoxe structurel entre le référentiel d’activation sur lequel se fonde le RSA (il faut inciter financièrement les pauvres à reprendre un emploi pour réduire la pauvreté) et le non-recours aux droits (les destinataires en emploi ne demandent pas ce complément de ressources et se débrouillent autrement, même si c’est financièrement désavantageux).

Conclusion

36Le RSA activité passe à côté de 68 % de ses destinataires et ne parvient pas à réduire la pauvreté des travailleurs. L’analyse croisée du phénomène par les formes de non-recours et ses facteurs (tableau 2) met en évidence des inadaptations de l’offre pour les travailleurs pauvres. Tout d’abord, la construction syncrétique du RSA et son mode de fonctionnement complexe offrent peu de lisibilité sur la potentielle éligibilité et sur le montant des droits, en particulier pour les entrepreneurs et travailleurs indépendants (ETI). La demande et le maintien effectif du droit induisent de nombreuses démarches administratives (nécessité de réitération de la demande en cas de fluctuation de l’éligibilité). Ces modalités de fonctionnement suscitent des découragements et constituent des freins à l’accès aux droits, générant du non-recours par « complication » ou du non-recours « volontaire », a fortiori pour les travailleurs pauvres en situation d’emploi précaire ou atypique.

37Les CAF, soumises à de fortes charges du fait de la crise économique, sont amenées à effectuer des arbitrages entre leur vocation d’accès aux droits et leurs contraintes de gestion en fonction notamment de leurs moyens, de la priorisation de leurs objectifs et de leurs orientations politiques. Elles peuvent plus ou moins favoriser la connaissance du RSA, l’identification de ses publics cibles et l’accessibilité de la prestation en prévoyant des dispositions spécifiques pour les ETI et les éligibles en situation d’instabilité professionnelle. Ces arbitrages, liés à leurs marges de manœuvre, jouent sur les modalités de fonctionnement organisationnel et managérial ainsi que sur la qualité du service rendu, rendant plus ou moins efficace leur stratégie institutionnelle d’accès au droit.

Tableau 2

Analyse croisée du non-recours au RSA activité chez les travailleurs pauvres en emploi précaire ou atypique

Tableau 2
Facteurs explicatifs Formes de non-recours Le dispositif L’institution Le destinataire Méconnaissance du dispositif – Nouveau dispositif – Syncrétique – Complexe – Nouveaux destinataires – Communication insuffisante sur le RSA activité – Arbitrage gestion/ accès aux droits – Difficulté de compréhension du RSA – Méconnaissance du volet activité Non-identification comme public cible – Syncrétique – Complexe – Nouveaux destinataires – Image sociale négative du RSA et/ou de l’assistance – Arbitrage gestion/ accès aux droits – Insuffisante démarche de recherche ciblée de bénéficiaires potentiels – Campagne sur la fraude – Frein d’assignation identitaire comme bénéficiaire du RSA – En emploi, moins de sentiment de besoin – Illisibilité de l’éligibilité Complication – Droit quérable – Demande complexe à réitérer sous trois mois de non-éligibilité (inadaptée aux situations des travailleurs précaires) – Faible montant – Accessibilité et qualité de l’information et du traitement du dossier pour ces publics spécifiques – Campagne sur la fraude – Illisibilité de l’éligibilité et du montant des droits – Démarches contraignantes et complexes (capacité, temps, instabilité) – Incertitudes sur la durée Volontaire – Droit quérable – Dispositif d’activation et image sociale véhiculée – Fonctionnement inadapté aux situations des travailleurs pauvres – Faible montant – Image de l’institution et de l’assistance – Accessibilité et qualité de l’information et du traitement du dossier pour ces publics spécifiques – Campagne sur la fraude – Volonté d’indépendance – Barrières psychologiques par peur de la stigmatisation – Raisons politiques et refus de principe – Non-intérêt

Analyse croisée du non-recours au RSA activité chez les travailleurs pauvres en emploi précaire ou atypique

SOURCES • Tableau réalisé sur la base de la recherche action conduite au sein de la CAF de la Gironde (Okbani, 2013b).

38Enfin, face à l’offre publique, c’est-à-dire au RSA et aux services mis à disposition par les CAF, le destinataire va ou ne va pas réagir, en fonction d’une multiplicité de facteurs. Sa connaissance du dispositif (« non-recours par méconnaissance »), sa construction identitaire (rapport à la société, capacité d’action, situation), ses représentations de la prestation (plus ou moins stigmatisante, complexe et utile) et de l’institution (plus ou moins accessible et de qualité) en fonction de son expérience passée, vont faire que l’éligible au RSA va plus ou moins se sentir concerné par le dispositif (« non-recours par non-identification »). À partir de là, il pourra, d’une part, envisager de demander le RSA activité notamment en fonction de sa situation professionnelle, plus ou moins précaire ou stable (ETI, CDD, intérim, temps partiel), et de la complexité qu’il perçoit ou connaît des démarches à faire pour l’obtenir, au regard de ce que cela peut lui apporter (montant, durée de perception) (« non-recours par complication »). D’autre part, il pourra choisir de ne pas demander le RSA activité du fait de barrières psychologiques liées à l’image sociale du dispositif et au refus d’assignation identitaire (par peur de la stigmatisation ou du déclassement), par principe ou par manque d’intérêt (« non-recours volontaire »). Il semble exister un paradoxe structurel entre le modèle d’activation du dispositif et le non-recours au RSA activité. Au fond il s’agit presque d’une forme de non-recours à l’activation.

39La connaissance suffisante du RSA, l’identification comme bénéficiaire potentiel, la décision de recours puis la demande et enfin le maintien dans le dispositif permettent de faire face à de nombreux obstacles. La question se pose avec d’autant plus d’acuité pour les travailleurs pauvres en situation d’instabilité professionnelle, en emploi ou statut atypique, pour lesquels ce parcours pour l’obtention de droits est d’autant plus complexe, contraignant et inadapté. Le tableau 2 récapitule et reprend les principaux éléments analysés.

40La grille d’analyse proposée apporte un éclairage sur le phénomène en croisant les différentes formes de non-recours (caractérisés par différents freins à la demande) à leurs facteurs explicatifs. Elle met ainsi en avant ce qui relève à proprement parler de l’offre (dispositif et institution) pour mieux interroger sa pertinence au regard des besoins qu’elle entend combler et de la situation des publics qu’elle vise. Pour autant, certaines situations de non-recours restent délicates à caractériser car elles sont complexes, embrassent une multiplicité de paramètres d’ordres contextuel, structurel, institutionnel et comportemental, et peuvent évoluer dans le temps. Une étude plus approfondie du rapport à l’emploi, au travail et aux aides sociales de différents statuts précaires (intérimaires, indépendants, auto-entrepreneurs) permettrait de prolonger l’analyse du comportement de non-recours en interrogeant notamment la construction identitaire de ses destinataires. Plus généralement, l’analyse du non-recours gagnerait à questionner la construction et le mode de fonctionnement des dispositifs à travers leur mise en œuvre par les pouvoirs publics. L’observation du fonctionnement de la machinerie organisationnelle, la possibilité d’investir les registres administratifs des institutions et d’expérimenter la réaction à des expérimentations de recherche de bénéficiaires potentiels constituent des pistes intéressantes pour l’analyse du non-recours comme pour le questionnement de l’offre publique et ce, dans le cadre d’évaluation de politiques comme dans celui de travaux de recherche.

Notes

  • [*]
    Doctorante en science politique au Centre Émile Durkheim.
  • [1]
    L’expression « travailleur pauvre » désigne une personne en emploi mais dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. Dans le cadre du RSA, sont considérés comme travailleurs pauvres éligibles au RSA les personnes qui se situent au seuil de 60 % du revenu médian sur la base de la définition d’Eurostat (Hirsch, 2005).
  • [2]
    La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques présente ce travail en annexe du rapport du groupe de travail « Accès aux droits et aux biens essentiels, minima sociaux » dans le cadre de la préparation de la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale (Fragonard et al., 2012).
  • [3]
    Le rapport précise que 16,4 % des personnes les plus pauvres (au seuil de 40 %) appartiennent à un ménage dont la personne de référence est travailleur indépendant en emploi. Celles-ci ont été particulièrement affectées par la crise économique de 2009. À noter que ces personnes n’étaient pas éligibles au RMI.
  • [4]
    Des estimations du nombre de bénéficiaires du RSA ont été formulées en 2007 par un groupe de travail composé de la Direction des statistiques, des études et de la recherche (DSER) de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF), de la DREES et de la Direction générale du Trésor.
  • [5]
    Pour expliciter la typologie initiale proposée : le non-recours primaire (personne éligible qui ne demande pas de prestation), le non-recours secondaire (personne éligible qui demande une prestation mais ne la perçoit pas), le non-recours complet (ne perçoit pas du tout la prestation), le non-recours partiel (perception d’une partie de la prestation uniquement), le non-recours permanent (pas de demande de droits effectuée entre le moment où l’on est éligible et le moment où on ne l’est plus), non-recours temporaire (depuis le début de l’éligibilité jusqu’à ce que l’on demande la prestation), le non-recours cumulatif (éligible à plusieurs prestations mais ne les perçoit pas), le non-recours frictionnel (versement incomplet de prestations alors que les droits sont ouverts), le quasinon-recours (personne qui pourrait être éligible mais qui ne remplit pas – sans le savoir – les conditions en termes de comportement attendu) [Math et Van Oorschot, 1996].
  • [6]
    Laboratoire PACTE de Science Po Grenoble.
  • [7]
    Pour détailler la typologie proposée par l’Odenore : la non-connaissance (lorsque l’offre n’est pas connue), la non-demande (lorsque l’offre est connue mais pas demandée), la non-réception (quand l’offre est connue, demandée mais pas obtenue).
  • [8]
    Pour autant, nous n’irons pas jusqu’à analyser le rapport à l’emploi et au travail comme ce qui a pu être fait dans le cas des exploitants agricoles (Deville, à paraître) car nous nous intéressons à un public plus large dont les situations d’emploi sont plus diversifiées.
  • [9]
    Quelques éléments de l’enquête de la DARES sur le non-recours au RSA seront repris (Comité national d’évaluation du RSA, 2011). Celle-ci s’est déroulée en deux étapes : la première, par téléphone, pour interroger 15 000 foyers dont 6 500 dans le groupe des foyers éligibles au RSA socle (comprenant les foyers éligibles au RSA socle+activité), 7 000 dans le groupe des foyers éligibles au RSA activité et 1 500 ayant des revenus un peu supérieurs au seuil d’éligibilité ; la seconde, en face-à-face, auprès de 3 340 répondants provenant de ce même échantillon. On parlera plus généralement ici de l’enquête du CNE.
  • [10]
    La représentativité de l’échantillon a été construite par stratification selon les situations familiales (personne seule sans enfant – personne seule avec enfants – couple sans enfant – couple avec enfants) et les estimations du montant des droits au RSA (ventilation de : 6 à 49 euros - 50 à 99 euros - 100 à 200 euros – +200 euros), mais également dans un souci de répartition géographique souhaitée par la CAF, pour être en mesure de recevoir convenablement les visites des allocataires.
  • [11]
    Lorsque l’on évoquera l’enquête téléphonique, il s’agira de celle conduite au sein de la CAF de la Gironde. Dans le cas contraire on précisera qu’il s’agit de l’enquête du CNE.
  • [12]
    Il faut formuler une demande pour pouvoir en bénéficier, contrairement à la prime pour l’emploi (PPE) où le contribuable doit seulement cocher une case pour solliciter son droit.
  • [13]
    Le montant du RSA activité délivré sur une année est déduit du montant de la PPE.
  • [14]
    Elle regroupe par exemple, des personnes en situation d’extrême précarité voire de difficulté sociale profondes (SDF, personnes souffrant d’addictions ou de problèmes de santé grave), des personnes en recherche d’emploi, des familles monoparentales pour lesquelles la recherche d’emploi est conditionnée par la recherche d’un mode de garde pour les enfants, un public de travailleurs pauvres, en activité professionnelle stable ou atypique. Il y a donc un grand écart entre ces différents publics. Ils sont soumis à des situations et des problématiques diverses et spécifiques.
  • [15]
    En effet, les éligibles au RSA activité ne sont pas soumis aux « droits et devoirs », mais peuvent craindre des formes de contrainte institutionnelle associées à des expériences passées négatives. Cela va dans le sens d’une image sociale négative voire stigmatisante du bénéficiaire de minimum social (vécue ou perçue) duquel les travailleurs modestes peuvent chercher à s’extraire, ou du moins ne pas se reconnaître.
  • [16]
    Le statut professionnel impliquant des modes de fonctionnement et de calcul spécifiques, les revenus trimestriels du foyer à réactualiser par l’envoi d’une déclaration trimestrielle de ressources, la situation familiale, le montant d’autres prestations, …
  • [17]
    Sources : DSER, CNAF (appariement de données nationales consolidées) de juin 2009 à juin 2010.
  • [18]
    Leur dossier est dit « suspendu » dans les fichiers de la CAF pendant trois mois en attendant que l’allocataire actualise sa situation, sans quoi il sera sorti du dispositif.
  • [19]
    Les temporalités de constitution du dossier de demande peuvent générer des ruptures de droits notamment parce que le RSA n’est pas rétroactif et que le paiement se fait à partir du dépôt de la demande et non à partir de l’éligibilité effective.
  • [20]
    Tous les quatre ans, l’État et la CNAF élaborent et signent une COG qui détermine les grandes missions de la branche Famille de la Sécurité sociale, définit des objectifs prioritaires et les engagements à tenir en termes de gestion et de qualité de service rendu à l’allocataire (tableau de bord à l’appui).
  • [21]
    Des répartitions par publics ont parfois été définies entre la CAF, le conseil général, les centres communaux d’action sociale, les associations, etc.
  • [22]
    Une lettre a également été adressée à la ministre des Affaires sociales et de la Santé le 29/04/13 par l’association des directeurs de CAF.
  • [23]
    Propos d’entretien avec un membre de la direction générale de la CNAF (2010).
  • [24]
    Elles s’adressaient notamment aux « travailleurs modestes » ou « travailleurs à faibles revenus » plutôt qu’aux « travailleurs pauvres », comme ils ont pu être nommés par les campagnes de communication du Haut Commissariat aux Solidarités actives pour tenter de réduire l’effet stigmatisant.
  • [25]
    Données trimestrielles consolidées de mars 2010 issues d’un outil de pilotage du RSA (ELISA) et transmises par les CAF dans le cadre de l’étude comparative sur la gouvernance du RSA.
  • [26]
    Peu avant la généralisation du RSA (octobre 2008), des travaux d’estimation du nombre de bénéficiaires potentiels du RSA socle et activité ont été conduits. Le modèle de microsimulation de la CNAF (Myriade) a permis d’élaborer des estimations au niveau national, et une ventilation départementale annuelle du nombre de bénéficiaires potentiels du RSA a été définie par la DSER. Ces estimations, qui visent principalement à donner « des ordres de grandeur » ont été diffusées aux CAF pour qu’elles puissent préparer la mise en œuvre du RSA et mieux appréhender le nombre de bénéficiaires du RSA activité potentiels (Lettre circulaire CNAF no 172, 2008).
  • [27]
    Cette observation reste toutefois à prendre avec précaution car d’autres paramètres entrent également en jeu. Le mode de calcul du niveau de non-recours reste approximatif étant donné les données disponibles et les propres limites du travail d’estimation départemental de la DSER.
  • [28]
    Pour investir plus largement cette question (Okbani, 2013b et 2013c).
  • [29]
    Il s’agit des contacts identifiés par le système d’information de la CAF sur quatorze semaines d’observation. D’une part, il est possible que ces contacts n’aient pas été pris au titre du RSA (sauf pour les contacts identifiés par le test d’éligibilité), mais l’on observe une différence significative entre la population test et la population témoin qui laisse penser qu’une part importante de contact aient été pris à ce titre. D’autre part, il est aussi possible que ces populations aient cherché de l’information sur le RSA sans que la CAF ne puisse l’identifier (soit en dehors de la période d’observation, soit en dehors du système d’information).
  • [30]
    Qui coïncident souvent avec les horaires de travail des destinataires du RSA activité.
  • [31]
    Traiter les dossiers de minima sociaux en moins de dix jours dans au moins 90 % des cas, répondre à au moins 90 % des appels téléphoniques sur une plage horaire d’au moins 32h, recevoir les allocataires aux accueils en moins de 20 minutes dans au moins 85 % des cas, etc. (COG 2009-2012).
  • [32]
    Le temps de formation des techniciens conseils induit mécaniquement une baisse de la productivité. En période de surcharge, les directions des CAF peuvent privilégier la production à la formation.
  • [33]
    20 % des non-recourants ont évoqué cette complexité dans l’enquête du CNE.
  • [34]
    Entretien en face-à-face mené auprès d’un allocataire, non-recourant au RSA, sur un point d’accueil de la CAF de la Gironde.
  • [35]
    Suite à l’expérimentation de recherche de bénéficiaires potentiels, on observe que les montants médians de droits ouverts au RSA activité sont de 129 euros pour la population test (sollicitée par la CAF pour faire valoir ses droits) contre 163 euros pour la population témoin (venue d’elle-même demander le RSA activité).
  • [36]
    Propos recueilli lors de l’enquête téléphonique.
  • [37]
    Dans le cadre d’analyse proposé, la question du frein psychologique d’identification est plus particulièrement associée au non-recours volontaire, voire « non-identification ». Le non-recours par « complication » étant plus marqué par la difficulté des démarches administratives à conduire même si le facteur psychologique peut également peser dans la balance.
  • [38]
    Homo œconomicus pauvre qu’il convient d’inciter financièrement à reprendre un emploi pour le faire sortir de sa condition.

Références bibliographiques

  • Angotti M. (2010), « Revenu de solidarité active : quelle nouvelle donne sociale ? » Esprit, mars-avril, p. 68-76.
  • En ligneAvanza M., Laferté G. (2005), « Dépasser la “construction des identités” ? Identification, image sociale, appartenance », Genèses, (61), p. 134-152.
  • Barbier J.-C. (2002)., « Peut-on parler d’“activation” de la protection sociale en Europe ? », Revue française de science politique, 43-2, p. 307-332.
  • Barbier J.-C. (2008), « Pour un bilan du workfare et de l’activation de la protection sociale », La vie des idées, 20 p.
  • En ligneChastand A. (1991), « Le ciblage des familles bénéficiaires du RMI : retour sur une erreur de mesure », Recherches et Prévisions, n° 22/23.
  • Chosson E. (2012), « Analyse territoriale du devenir des allocataires du revenu de solidarité active. Une illustration de la double incomplétude du dispositif », XXXIIes Journées de l’Association d’économie sociale, Travail, organisations et politiques publiques : quelle « soutenabilité » à l’heure de la mondialisation ? 15 p., Aix-en-Provence, 13-14 septembre.
  • Comité national d’évaluation du RSA (2011), Rapport final, La Documentation française, 150 p.
  • En ligneConcialdi P. (2009), « Qu’importe le travail, pourvu qu’on ait le RSA », Travail, genre et sociétés 2009/2, n° 22, p. 177-182.
  • Deville C. (à paraître), « Le non-recours au RSA des exploitants agricoles : une incursion de sociologie du droit en milieu rural », in A. Pagès (Ed.), L’intervention sociale en milieu rural.
  • DREES (2013), Minima sociaux et prestations sociales. Ménages aux revenus modestes et redistribution. Collection Études et Statistiques, 114 p.
  • Fragonard B., Peltier M., Rivard A. (2012), Rapport du groupe de travail « Accès aux droits et aux biens essentiels, minima sociaux », Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, Paris, 72 p.
  • Gomel B., Méda D. (2011), « Le RSA, innovation ou réforme technocratique ? Premiers enseignements d’une monographie départementale », Document de travail du CEE, 152, 41 p.
  • Gomel B., Serverin E. (2009), « Expérimenter pour décider ? le RSA en débat », Document de travail du CEE, 119, 35 p.
  • Gomel B., Serverin E. (2012), « Le revenu de solidarité active ou l’avènement des droits incitatifs », Document de travail du CEE, 154, 43 p.
  • En ligneHelfter C. (2010), « La création de l’allocation de parent isolé », Informations sociales, 157, p.134-141.
  • Hirsch M. (2005), « Au possible nous sommes tenus », Rapport de la Commission Familles, vulnérabilité, pauvreté, ministère des Solidarités, de la Santé et de la Famille, La Documentation française, 119 p.
  • En ligneHoran P. M., Austin P. L. (1974), « The Social Bases of Welfare Stigma », Social Problems, 21, p. 648-657.
  • Lafore R. (1989), « Les trois défis du RMI », L’actualité juridique de droit administratif, n° 10, octobre, p. 563-585.
  • Marc C., Thibault F. (2009), « Les principes du revenu de solidarité active au regard des expériences étrangères », Politiques sociales et familiales, 98, p.49-66.
  • Math A., Van Oorschot W. (1996), « La question du non-recours aux prestations sociales », Recherches et Prévisions, 43, p.5-18.
  • Mazet P. (2010), « La non-demande de droit : prêtons l’oreille à l’inaudible », La vie des idées.
  • Muller P. (2004), Les politiques publiques, PUF, coll. Que sais-je ?, Paris.
  • Odenore (2012), L’envers de la fraude sociale : le scandale du non-recours aux droits sociaux, La Découverte, Paris, 210 p.
  • Okbani N. (2013a), « L’évaluation des expérimentations du RSA : entre légitimation de l’efficacité et usages politiques », RT6 Working papers n° 2013-1, document accessible sur Hal, http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/81/77/67/PDF/WP2013-1Okbani.pdf
  • Okbani N. (2013b), « Le non-recours au RSA activité : Étude exploratoire en Gironde », Dossier d’Études CNAF, n° 164, 175 p.
  • En ligneOkbani N. (2013c), « L’influence du territoire et le rôle des institutions dans le non-recours au RSA activité », Informations sociales, n° 178, p. 82-85.
  • Okbani N., Warin P. (2012), « Le RSA : où sont les assistés ? », in Odenore (Éd.), L’envers de la fraude sociale : le scandale du non-recours aux droits sociaux, La Découverte, p.44-63, Paris.
  • Paulhan I. (1992), « Le concept de coping », L’Année psychologique, 92 (4), p.545-557.
  • En lignePonthieux S. (2004), « Les travailleurs pauvres : identification d’une catégorie », Travail, genre et sociétés, 11 (1), p. 93-107.
  • Ponthieux S., Raynaud É (2008), « Les travailleurs pauvres », Les Travaux de l’Observatoire, ONPES.
  • Rigaudiat J. (2009), « Le revenu social d’activité : une réforme en faux-semblants ». Esprit, n° 351, p. 110-124.
  • Spicker P. (1984), Stigma and social welfare, Croom Helm Ed., 149 p.
  • En ligneSteele C., Aronson J. (1995), « Stereotype threat and the intellectual test performance of african americans », Journal of Personality and Social Psychology, 69, p. 797-811.
  • Terracol A. (2004), RMI et Offre de travail, Université Paris-I Panthéon-Sorbonne/CNRS.
  • Warin P. (2006), « Exit from and non-take-up of public services. A comparative analysis : France, Greece, Spain, Germany, Netherlands, Hungary », DG Recherche de la Commission européenne, Bruxelles. 146 p.
  • En ligneWarin P. (2009), « Une approche de la pauvreté par le non-recours aux droits sociaux », Lien social et Politiques, 61, p.137-146.
  • En ligneWarin P. (2010a), « Qu’est-ce que le non-recours aux droits sociaux ? », La vie des idées, 12 p.
  • Warin P. (2010b), « Le non-recours s’accroît avec le cumul des précarités » ? Actualités sociales hebdomadaires, 18 juin.
  • Warin P. (2010c), « Le non-recours : définition et typologies », Document de travail, Odenore-MSH, Grenoble, 8 p.
Nadia Okbani [*]
Doctorante en science politique au centre Émile Durkheim. Elle mène une recherche sur l’institutionnalisation de l’évaluation des politiques sociales, ses enjeux, sa pratique et ses usages au sein de la branche Famille et a notamment travaillé sur le RSA.
  • [*]
    Doctorante en science politique au Centre Émile Durkheim.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 20/02/2014
https://doi.org/10.3917/rfas.127.0034
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour La Documentation française © La Documentation française. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...