CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Selon la loi du 31 décembre 1970, cadre fondateur de la politique française de lutte contre les stupéfiants, les consommateurs de drogues illicites sont considérés à la fois comme délinquants et comme malades (Bernat de Célis, 1996). L’usager simple de stupéfiants encourt ainsi une peine qui peut aller jusqu’à un an de prison et 3 750 euros d’amende. En même temps, la loi permet de placer l’usager interpellé « sous la surveillance de l’autorité sanitaire ». S’il accepte des soins (garantis anonymes et gratuits), il peut ainsi éviter des poursuites pénales. L’usager est donc simultanément constitué en victime (de son propre usage) et en auteur de délit encourant une peine d’emprisonnement. Du fait de ce statut légal ambivalent, le consommateur de drogues illicites est confronté à des enjeux situés à l’intersection du soin et de la sanction judiciaire, ce qui questionne la place réservée aux professionnels de la prise en charge médico-sociale des usagers de drogues dans la délivrance de soins sous contrainte judiciaire (Duprez et Kokoreff, 2000 ; Faugeron et Kokoreff, 2002 ; Cesoni, 2004).

2En étendant la palette des réponses pénales à l’usage de drogues à une nouvelle sanction de « stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de stupéfiants », à visée « pédagogique » (tout en étant obligatoire et payante), la loi de prévention de la délinquance du 5 mars 2007 s’inscrit dans une approche articulant éducation, prévention et sanction. Conçu par le législateur en réaction à l’inefficacité présumée du rappel à la loi [1], le stage comporte une double finalité de rappel à la loi et d’éducation aux risques, assortie de la possibilité d’une orientation sanitaire en fin de stage pour les usagers en situation d’usage nocif. La vocation première des stages est donc résolument répressive, comme l’indiquent les textes d’application, qui prônent le recours au stage pour contrecarrer la diffusion du cannabis en systématisant la réponse pénale à ce comportement [2]. Mais il s’agit aussi de cibler un public de consommateurs a priori non informés et non demandeurs de soins, dans une perspective de « redressement » qui peut faire concurrence à l’ambition pédagogique du stage. Dans ce contexte, le rôle des professionnels du soin, sollicités pour mettre en place ce dispositif, peut s’avérer délicat.

3Après avoir suscité de vives critiques de la part des professionnels des soins en addictologie [3], mettant en cause les objectifs du stage et l’injonction qui leur était faite d’encaisser le coût des stages, contraire à leur éthique consistant à offrir des soins volontaires, anonymes et gratuits (Fédération Addiction, 2011), les stages « stupéfiants » ont été mis en place dans l’ensemble des cours d’appel. Pour vérifier la conformité des stages au cahier des charges, le ministère de la Justice et des Libertés a confié à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), groupement d’intérêt public qui documente, depuis vingt ans, les questions épidémiologiques et socio-sanitaires liées aux substances psychoactives et aux dépendances, la mission d’évaluer les conditions de mise en œuvre du dispositif. Selon cette étude représentative, la première du genre, menée en 2010-2011, 1 800 à 1 900 stages collectifs de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants ont été mis en place depuis la loi de 2007, par 101 associations conventionnées réparties entre les 35 cours d’appel en activité en France (métropole + DOM). S’il s’avère globalement conforme à la population-cible, le public accueilli semble capter prioritairement certaines catégories d’usagers, en particulier les fumeurs de cannabis, de condition socio-économique modeste, enclins à développer des conduites à risque ; il comprend également une population a priori non concernée par les stages (environ 20 % du public), qui relèverait davantage d’une prise en charge sanitaire (Obradovic, 2012b).

4Cet article propose une analyse des données de l’enquête centrée sur les conditions de mise en œuvre de ces stages. Il tente de mettre au jour les facteurs de différenciation des stages selon l’orientation médico-sociale ou socio-judiciaire de la structure porteuse. Comment, compte tenu de l’offre proposée, évaluer la satisfaction du public quant au stage et son intention de changement ? Cette contribution se propose d’analyser les conditions d’organisation de ces stages de sensibilisation – que nous désignerons par convention sous le terme de stages « stupéfiants » – par les structures qui ont accepté de les mettre en place, afin d’étayer la réflexion sur l’articulation entre contrainte judiciaire et traitement socio-sanitaire des usagers de drogues.

Encadré 1. Dispositions législatives et réglementaires

• Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance (NOR : INTX0600091L).
• Décret n° 2007-1388 du 26 septembre 2007 pris pour l’application de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et modifiant le code pénal et le code de procédure pénale (NOR : JUSD0755654D).
• Circulaire CRIM 08-11/G4-09.05.2008 du 9 mai 2008 relative à la lutte contre la toxicomanie et les dépendances (NOR : JUSD0811637C).
• Circulaire CRIM 2012-6/G4/16.02.2012 du 16 février 2012 relative à l’amélioration du traitement judiciaire de l’usage de produits stupéfiants (NOR : JUSD1204745C).

Un dispositif innovant visant à systématiser la réponse pénale à l’usage

5Inspirée des stages de sensibilisation à la sécurité routière [4], qui permettent aux conducteurs de récupérer des points de permis tout en bénéficiant d’un enseignement sur les situations et les facteurs générateurs d’accidents de la route, le stage « stupéfiants » constitue une sanction pécuniaire (à la charge du contrevenant) visant les usagers occasionnels de stupéfiants, non dépendants et interpellés pour la première fois, qu’il s’agit de dissuader de récidiver dans leur comportement d’usage en leur faisant prendre conscience des conséquences de leur consommation. Contrairement au stage de sensibilisation à la sécurité routière, qui prétend éduquer aux risques liés à la conduite (alcool, vitesse), le stage de sensibilisation « stupéfiants » vise avant tout à rappeler l’interdit légal de la consommation et à en expliquer les fondements.

6La création de cette sanction pénale ciblée, spécifiquement dédiée aux usagers simples de drogues, s’inscrit dans une tendance plus générale des politiques pénales, observable depuis la fin des années 1990. Celle-ci consiste à systématiser, accélérer et graduer les réponses pénales aux infractions de faible gravité, commises par des délinquants primaires, auparavant classées sans suite et/ou pour lesquelles les peines traditionnelles semblaient inadaptées. Cette réactivité croissante de la justice pénale, mesurable à travers la hausse du taux de réponse pénale [5], s’accompagne d’une diversification des réponses apportées aux infractions les plus courantes. Cette évolution est particulièrement remarquable dans le traitement pénal des consommateurs de drogues illicites (Obradovic, 2012a). Au fil de ce processus, l’autonomie des parquets a été considérablement accrue, si bien que les procureurs de la République disposent aujourd’hui d’une importante capacité d’action stratégique lors de l’orientation procédurale des affaires. De plus en plus, à l’occasion de telles procédures, les parquets recourent à des sanctions pénales revêtant une dimension pédagogique (Danet, 2013).

7Les pouvoirs publics, qui ont multiplié les actions d’accompagnement à la mise en œuvre des stages [6], revendiquent un objectif de responsabilisation à travers la sanction pénale : le stage vise à « forger un comportement responsable », grâce à une approche qui privilégie « une pédagogie collective ». Le stage se distingue toutefois d’une mesure socio-éducative ordinaire par son caractère payant. Un paiement d’un montant maximum fixé par les textes d’application (450 euros) est en effet exigé de l’usager astreint à suivre le stage, pour couvrir les frais liés à son organisation (à la charge des parents si l’usager est mineur). À ce titre, les textes précisent que les stages s’adressent prioritairement à des usagers socialement insérés. En cas d’insolvabilité, les structures prestataires peuvent prévoir un paiement échelonné et assurer un quota d’accueil gratuit.

8En introduisant une dimension de responsabilisation, notamment financière, le stage de sensibilisation se situe dans un cadre inspiré d’une conception « restaurative » (ou réparatrice) de la justice promue depuis les années 1990, qui vise à permettre aux intéressés de s’approprier la loi pénale qui les punit (Cario, 2004 ; Faget, 2005). Dans l’esprit de la loi cependant, le stage répond avant tout à un objectif de politique pénale : réaffirmer l’interdit légal de l’usage grâce à une meilleure application de la loi de 1970 ; développer une pédagogie de la responsabilité auprès des auteurs d’infractions pour lutter contre la récidive ; contenir l’engorgement des tribunaux en mettant à disposition des parquets une procédure rapide et facile à manier (Vicentini et Clément, 2009).

9Pourtant, comme l’injonction thérapeutique ou le classement sans suite avec orientation vers une structure sanitaire, la mise en œuvre de ces stages repose en partie sur les professionnels du secteur médico-social. Le guide méthodologique d’appui à la mise en place des stages diffusé par les pouvoirs publics précise que le choix de l’association relève du procureur de la République ou du directeur départemental de la protection judiciaire de la jeunesse (selon le public visé : majeurs ou mineurs). Pour garantir une offre de stages dans toutes les juridictions, ceux-ci peuvent recourir soit à des « associations éligibles au dispositif », c’est-à-dire les structures associatives œuvrant dans le champ de l’addictologie et de la promotion de la santé : comités départementaux de prévention de l’ANPAA [7] ou Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) [8], qui peuvent être gérés par des associations (ANPAA ou autres) ou par des établissements sanitaires (centres hospitaliers) ; soit à des associations socio-judiciaires, dont la mission générale est de mettre en œuvre les mesures socio-éducatives décidées par les autorités judiciaires [9]. L’association prestataire est chargée d’élaborer le contenu du stage, décliné en trois modules (sanitaire, judiciaire et sociétal), soumis ensuite à la validation de l’autorité judiciaire.

10La possibilité de mettre en place des stages « stupéfiants » a initialement été ouverte aux seuls acteurs médico-sociaux qui, on l’a rappelé, ont fait part de réticences à l’égard de ce dispositif judiciaire. La possibilité d’organiser ces stages a alors été élargie aux associations socio-judiciaires. Amenés depuis de nombreuses années à coopérer dans le cadre des soins pénalement ordonnés, les professionnels de la santé et ceux de la justice sont donc coresponsables de la mise en œuvre des stages, bien que leurs missions, leurs pratiques et leurs contraintes respectives apparaissent éloignées à certains égards, voire parfois contradictoires (Gautron et Raphalen, 2013). Ce travail s’attache à examiner les conditions dans lesquelles ce dispositif, dont l’objectif est à la fois éducatif, sanitaire et répressif, a été mis en œuvre par des opérateurs associatifs aux valeurs, missions et pratiques différentes, issus de deux champs distincts : suivi socio-judiciaire ou prévention et prise en charge médico-sociale. Ces structures bénéficient en outre de financements et de rattachements distincts [10].

Encadré 2. Méthodologie

Les résultats présentés s’appuient sur une exploitation secondaire de l’enquête mise en place par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) pour le compte du ministère de la Justice.
• Pendant six mois (du 1er décembre 2010 au 31 mai 2011), l’Observatoire a conduit une enquête par questionnaire comprenant deux volets d’investigation, sur l’ensemble des sites où étaient mis en place des stages. Le premier volet a interrogé les structures prestataires de stages conventionnées, le second les usagers de drogues accueillis dans les stages. Toutes les structures identifiées comme prestataires à la veille de l’enquête ont été destinataires des deux types de questionnaires, accompagnés d’une note du secrétariat général du ministère de la Justice présentant les objectifs de l’évaluation. Cet envoi a été complété par un lot d’enveloppes vierges, destinées à garantir l’anonymat aux stagiaires répondants. Simultanément, toutes les structures ont été contactées par l’OFDT qui a rappelé le cadre de l’étude et donné des consignes de passation des questionnaires, pour garantir l’homogénéité des conditions d’administration de l’enquête.
• À l’issue de deux vagues de relances téléphoniques, suivies d’une série de contrôles de cohérence et de recodages, l’échantillon comprend 99 structures prestataires sur 101 alors en activité (soit un taux de retour de 98 %), 439 sessions de stages (organisées par 95 structures) et 4 004 stagiaires. Les taux de réponse exploitables s’élèvent à 98 % pour le volet « offre de stages » (il atteint 100 % pour les CSAPA et les associations socio-judiciaires), 94 % pour le volet « sessions de stage » et 93 % pour le volet « stagiaires » (dans les 89 % de structures qui ont fait passer le questionnaire aux stagiaires), ce qui témoigne d’une très bonne représentativité de l’enquête.
• Le taux de réponse des structures varie, selon les questions, entre 94 % et 100 % (sauf exception). De surcroît, à l’issue des contrôles de cohérence et des recodages, moins de 3 % des 4 107 questionnaires « stagiaires » initialement réceptionnés par la sous-direction des études et de la statistique (SDSE) du ministère de la Justice ont été écartés : seuls ceux où toutes les questions socio-démographiques (sexe, âge, situation familiale, situation actuelle) n’étaient pas renseignées et ceux qui comportaient un nombre important de données manquantes ont été exclus de l’analyse. Par ailleurs, la quasi-totalité des stagiaires ont déclaré s’être sentis à l’aise pour répondre au questionnaire (94 %), ce qui laisse envisager un certain degré de sincérité dans les réponses collectées. Néanmoins, la procédure de recueil de données déclaratives dans un contexte judiciaire contraint n’est pas exempte d’effet de biais affectant l’orientation des réponses (dans un sens ou dans l’autre).
• Pour mener à bien cette évaluation, l’OFDT a bénéficié d’un financement du ministère de la Justice et d’une aide logistique de sa SDSE, pour l’impression, l’envoi et la saisie des questionnaires et une partie des relances téléphoniques des structures non répondantes. La convention établie entre le ministère et l’OFDT prévoyait un effectif minimum de 400 bénéficiaires de stages : cet objectif a été largement atteint, l’échantillon des stagiaires étant dix fois supérieur.

Une offre de stages différenciée selon le type de structure

11Structures médico-sociales et socio-judiciaires assurent de concert le fonctionnement du dispositif des stages, même si celui-ci est majoritairement porté par les acteurs médico-sociaux. Les 101 structures porteuses de stages recensées fin 2010 se répartissent en effet entre une majorité d’établissements médico-sociaux (environ 60 %) et près d’un tiers d’associations socio-judiciaires (31 %), loin devant les autres profils (CIRDD [11], CODES [12], associations d’insertion, etc.). Les pratiques de mise en œuvre des stages « stupéfiants » se distinguent fortement selon le type de structure.

Un investissement limité du secteur médico-social dans le dispositif

12Le niveau d’implication des acteurs médico-sociaux dans l’animation des stages est à peine plus élevé que celui des structures socio-judiciaires, auxquelles la mise en œuvre du dispositif a été élargie dans un second temps pour assurer une couverture territoriale suffisante. Les établissements médico-sociaux qui ont mis en place des stages représentent seulement 13 % des CSAPA habilités (480 en 2010 [13]). Parmi les structures socio-judiciaires, qui seraient environ 300 en France [14], la part de celles qui mettent en place des stages peut, elle, être estimée à 10 %.

13Si la plupart des structures organisatrices de stages portent seules le dispositif, assurant à la fois le montage administratif, la mise en place technique et l’animation, 14 % des structures assurent les stages en binôme ou en trinôme (structure médico-sociale + structure socio-judiciaire). Les CSAPA délèguent plus souvent que les autres structures l’organisation administrative des stages à un tiers, pour éviter d’encaisser directement les frais de stage. À l’inverse, les associations socio-judiciaires sollicitent très fréquemment les CSAPA de leur ressort pour assurer le contenu sanitaire. Près de 120 structures concourent ainsi, à des titres divers, à la mise en œuvre du dispositif, incarnant la combinaison entre les objectifs pénal et médico-social des stages.

Une offre peu homogène

14L’offre de stages apparaît géographiquement concentrée. Bien que chaque ressort de cour d’appel soit doté d’au moins une structure proposant des stages, d’importantes disparités se font jour : 50 % des prestataires interviennent dans 25 % des cours d’appel. À l’image de ce facteur d’offre, la moitié des stages organisés pendant la durée de l’enquête ont eu lieu dans un quart des cours d’appel. Le volume d’activité des associations socio-judiciaires semble par ailleurs un peu plus élevé.

15À ces disparités territoriales font écho des disparités dans le public reçu. L’offre se caractérise par la faiblesse de la prise en charge des mineurs. Un quart seulement des prestataires prévoient la possibilité d’accueillir des mineurs et une très faible minorité ont développé des stages réservés aux moins de 18 ans – exclusivement des associations socio-judiciaires. Alors que 13 % des usagers interpellés en population générale sont mineurs (OCRTIS, 2010), près de la moitié des cours d’appel sont dépourvues d’une offre accessible à cette population (16 sur 35).

16Tendanciellement, les CSAPA élargissent plus souvent leur offre aux mineurs : 40 % d’entre eux prévoient des stages accessibles à la fois aux majeurs et aux mineurs (trois fois plus que les associations socio-judiciaires) qui, sauf exception, ne sont pas mélangés. Cette structure déséquilibrée de l’offre n’est pas sans effet sur le profil du public : la population des stagiaires se caractérise par une prépondérance des majeurs (97 %), en particulier des jeunes adultes (18-25 ans), qui forment deux tiers du public.

Des conditions d’exécution disparates

17Les conditions d’exécution du stage se différencient fortement selon les ressorts, ce qui met à mal le principe constitutionnel d’égalité entre les citoyens. Près de la moitié des structures prévoit des stages de deux jours, de façon à couvrir les trois modules thématiques définis par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT). L’autre moitié propose en général des stages plus courts, le plus souvent concentrés sur une seule journée.

18Le coût moyen des stages, qui avoisine 190 euros, se situe bien en deçà du montant maximum prévu par les textes (450 euros). Les frais de stage sont sujets à d’importantes disparités : un tiers des structures facture les stages entre 50 et 150 euros, un tiers entre 160 et 230 euros et un tiers entre 240 et 300 euros. Au sein d’une même cour d’appel, les écarts peuvent varier de 1 à 4. Ces frais varient selon le type de prestataire et la durée du stage.

19Les modalités de paiement autorisées fluctuent également d’une structure à l’autre. La plupart des structures pratiquent un tarif unique, certaines prévoyant des frais réduits pour les mineurs. Les associations socio-judiciaires sont moins enclines à adapter le tarif au public mais elles autorisent plus souvent un paiement en plusieurs fois.

La place mouvante de l’information sanitaire

20Tout se passe comme si chaque structure s’était approprié le dispositif en fonction de sa spécialisation antérieure, en agrégeant des compétences extérieures à son offre habituelle. Le temps d’intervention consacré à chacun des volets thématiques du stage (sanitaire, judiciaire et sociétal) varie ainsi selon le type de structure. Si le module d’information sanitaire occupe le temps le plus important (plus d’un tiers du stage en moyenne), sa place diffère selon les structures. L’information de santé occupe ainsi plus de 40 % du temps de stage lorsque celui-ci est organisé par une structure médicosociale, versus un tiers dans les structures socio-judiciaires. Les CSAPA lui allouent deux fois plus de temps, alors que les associations socio-judiciaires consacrent un temps équivalent aux modules « drogue et loi » et « drogue et santé ».

21Les stages mis en œuvre par les structures médico-sociales privilégient l’approche sanitaire également à travers le choix des intervenants. Animés par quatre intervenants en moyenne, les stages mobilisent au total 1 500 professionnels, répartis entre quatre profils majoritaires : psychologues, médecins, éducateurs et magistrats. D’autres professionnels interviennent également : officiers de police et de gendarmerie, travailleurs sociaux, avocats ou juristes, personnels du SPIP ou de la PJJ [15], animateurs de prévention, formateurs, praticiens hospitaliers, etc. Le module sanitaire fait intervenir prioritairement des médecins (addictologues, alcoologues, psychiatres ou généralistes), des psychologues et des infirmiers. Les soignants prennent aussi une part dans le module sociétal (surtout des psychologues), aux côtés des travailleurs sociaux et des agents de prévention. Selon le type de structure, les stagiaires ne sont donc pas confrontés aux mêmes catégories d’intervenants.

22Toutes les structures ne sont pas également investies dans le repérage des consommations problématiques. Moins de sept stages sur dix intègrent une présentation des outils de repérage de l’usage problématique de drogues (cannabis et alcool). Les chances, pour le stagiaire, d’être initié à ces instruments ne sont pas les mêmes selon la structure où il suit le stage. Les établissements médicosociaux proposent deux fois plus souvent que les associations socio-judiciaires une initiation à l’auto-évaluation de la consommation (81 % versus 46 %, p<0.001). La dimension de prévention sanitaire attendue du stage semble ainsi être davantage prise en compte dans le secteur médico-social, le secteur socio-judiciaire tendant à faire primer le rappel à la loi.

23Le contenu sanitaire du stage apparaît donc fortement différencié selon le prestataire. Cette offre à géométrie variable n’est pas sans effet sur la réception du message délivré dans les stages, contrastée selon les structures d’accueil.

Un public hétérogène

24Le public reçu se répartit inégalement entre structures médico-sociales et socio-judiciaires. Ainsi, les structures médico-sociales accueillent-elles moins de la moitié des stagiaires de l’échantillon, alors qu’elles représentent plus de 60 % de l’offre. Les effectifs moyens de stage y sont en effet moins élevés que dans le secteur socio-judiciaire. Contrairement aux associations socio-judiciaires, les structures médicosociales maintiennent les effectifs en deçà du seuil de dix stagiaires par session, afin de pouvoir développer une dimension interactive.

25La population des stagiaires, majoritairement masculine (93 %), est âgée de 25 ans en moyenne. Elle est différenciée selon la structure organisatrice. Les associations socio-judiciaires reçoivent significativement plus de jeunes majeurs âgés de 18 à 25 ans, qui ont des antécédents d’interpellation pour usage. On relève également une surreprésentation des personnes socialement insérées dans le public des associations socio-judiciaires (environ 80 % d’actifs employés et de personnes en cours d’études).

26En revanche, quel que soit le type de structure porteuse, le public comprend une part prépondérante de personnes interpellées pour usage et/ou détention de cannabis, seulement 11 % ayant été interpellées pour une autre infraction (conduite sous l’influence de stupéfiants, en état d’ivresse ou excès de vitesse). La population de stagiaires est largement dominée par les usagers simples de cannabis, souvent interpellés pour la première fois : près de sept stagiaires sur dix ont été interpellés pour usage de ce produit, à l’exclusion de toute autre infraction et, pour les deux tiers d’entre eux, il s’agit d’une première interpellation. Environ 40 % consomment du cannabis de façon occasionnelle, c’est-à-dire moins de dix fois par mois, habituellement dans un cadre festif ou récréatif (62 %), très souvent à leur domicile personnel ou chez des amis.

27Plus généralement, comparé aux usagers de stupéfiants interpellés en population générale, le public des stages surreprésente certaines catégories d’usagers, en particulier les fumeurs de cannabis (en cause dans 96 % des cas, la part de ce produit au sein des interpellations pour usage étant de 91 %), de condition socio-économique modeste (43 % d’ouvriers versus 21 % parmi les personnes interpellées pour usage) (OCRTIS, 2010). Comme les usagers interpellés, les usagers reçus en stage se caractérisent par une certaine familiarité à l’égard des pratiques de transgression : la prévalence des comportements à risque y est encore supérieure (alcoolisation régulière, conduite routière sous influence, multi-expérimentation de drogues illicites).

28Ce profil majoritaire masque cependant des contrastes importants. Si le dispositif touche bien le public visé (usagers de stupéfiants non dépendants, socialement insérés et non réitérants), il draine également une population a priori non concernée par les stages, orientée par le parquet vers cette mesure alors qu’elle relèverait davantage d’une prise en charge sanitaire. Environ 20 % des stagiaires sont en effet à la fois usagers quotidiens de cannabis, fumeurs depuis plus de cinq ans et se considèrent comme dépendants ; plus d’un tiers des personnes astreintes à suivre un stage ont déjà été interpellées pour usage de stupéfiants (35 %) et 12 % d’entre elles ont déjà été soumises à une injonction thérapeutique par le passé (manifestement mise en échec). L’origine de ce désajustement entre les usagers occasionnels ciblés par le dispositif et les usagers dépendants relevant d’une prise en charge sanitaire est à rechercher au stade de l’orientation pénale : elle n’est pas différenciée selon le type de structure.

Le conflit répression/éducation à l’épreuve du public

29Les disparités observées dans l’offre, le format et le contenu des stages vont de pair avec une réception différenciée des stages, qui traduit la tension entre les objectifs pénal et éducatif de la mesure.

Des niveaux de réceptivité différenciés

30À la fin du stage, la quasi-totalité des stagiaires déclarent avoir apprécié les intervenants. Ce jugement positif est plus appuyé chez les stagiaires reçus dans les structures médico-sociales. Ces appréciations qualitatives sont fortement corrélées au caractère « moralisateur » du stage. Interrogés sur ce point, les stagiaires qui déclarent avoir trouvé le stage « moralisateur » sont plus nombreux à avoir jugé les intervenants « assez bien » ou « très bien », résultat qui peut sembler paradoxal.

31Plus généralement, les contenus du stage recueillent près de 80 % d’opinions favorables. La perception de la qualité des contenus s’avère cependant assez différenciée selon le type de structure : les établissements médico-sociaux recueillent ainsi de meilleurs résultats quant à la qualité perçue de l’information sur les risques pour la santé, pour l’entourage et la société et au volant (p<0.05). Si, plus généralement, la plupart des stagiaires déclarent avoir « appris des choses » au cours du stage (85 %), l’apport perçu semble porter sur des aspects différents selon la structure. Les personnes qui ont exécuté leur stage dans des structures médicosociales sont nettement plus nombreuses à avoir apprécié l’information relative au lien entre cannabis et conduite automobile (55,8 % versus 27,8 %, p<0.005). Il en va de même pour l’information sanitaire sur le lien entre cannabis et mémoire et les techniques pour arrêter le cannabis, voire sur les sanctions encourues. Ce résultat peut être interprété comme une préférence à l’égard d’un message à dominante sanitaire, où l’empathie prime sur le rappel de l’interdit.

32La perception différenciée de la qualité des intervenants, des contenus et de l’apport global du stage se traduit par une évaluation hétérogène du bénéfice personnel du stage. Les stagiaires accueillis dans les structures médico-sociales sont significativement plus nombreux à juger que le stage a été bénéfique pour eux. Deux stagiaires sur trois estiment même que les stages de sensibilisation sont un « bon dispositif », en tant qu’alternative pénale permettant d’échapper à une condamnation. Ils sont plus nombreux parmi les stagiaires reçus dans le secteur médico-social.

33Le niveau de consommation apparaît donc comme un facteur prédictif important du bénéfice perçu à l’issue du stage. Au-delà de l’effet de la structure porteuse, les stagiaires jugeant positivement l’apport de stages (« Pensez-vous que le stage a été bénéfique pour vous ? », « Avez-vous appris des choses pendant ce stage ? », « Pensez-vous que ce stage obligatoire d’information est un bon dispositif ? ») se trouvent surreprésentés parmi les usagers occasionnels de cannabis (par rapport aux usagers réguliers ou quotidiens), fumeurs depuis moins de deux ans et interpellés pour la première fois, qui n’avaient jamais discuté des effets du cannabis avec leur entourage, car ils « ne savaient pas comment aborder le sujet ». Dans cette frange particulièrement réceptive du public, qui s’interrogeait déjà sur son usage de cannabis avant le stage, la part des stagiaires jugeant le stage « bénéfique » dépasse 80 %, alors qu’elle est deux fois inférieure parmi les usagers quotidiens qui ont déjà été interpellés et qui ne sont pas intéressés par l’idée de discuter des dangers du cannabis.

Une capacité d’appropriation variable

34La capacité à tirer profit du stage est corrélée à l’aptitude à minimiser ses inconvénients et le sentiment d’y être contraint. Les réactions de rejet à l’égard du principe, du contenu et des conditions du stage semblent en effet compromettre les chances d’apprentissage et le bénéfice personnel de l’expérience : ainsi, par exemple, la part des stagiaires qui jugent le stage « bénéfique » décroît à mesure que le nombre d’inconvénients perçus s’élève : éloignement du domicile, coût, perte de salaire ou de congé, etc. À l’inverse, les stagiaires le moins opposés au principe et au contenu du stage sont aussi les plus enclins à lui reconnaître un intérêt, à réfléchir aux conséquences de leur consommation, voire à envisager de modifier leur comportement d’usage. Le bénéfice du stage est d’autant plus souvent perçu que des effets négatifs de la consommation étaient déjà ressentis et qu’une réflexion personnelle était amorcée.

35Cependant, même si l’apport pédagogique du stage et la satisfaction des stagiaires sont différenciés, l’effet du stage sur les comportements n’est pas significativement différent dans les structures médico-sociales ou socio-judiciaires : la majorité des stagiaires déclarent en effet qu’ils auraient consommé exactement de la même façon s’ils avaient su ce que leur a appris le stage. Même parmi les stagiaires les plus « adhérents », la part de ceux qui jugent que leur comportement aurait été différent « en connaissance de cause » atteint seulement 40 %. Ce résultat amène à relativiser la portée du stage comme outil de régulation du comportement.

Une incidence limitée sur le comportement d’usage

36Jugé utile et « intéressant » par le public, le stage de sensibilisation ne déclenche pas systématiquement la volonté de modifier le comportement d’usage. La moitié des stagiaires envisagent de modifier substantiellement leur comportement de consommation. Ils sont plus nombreux parmi les stagiaires qui ont positivement apprécié le contenu du stage : dans ce sous-groupe, deux personnes sur trois déclarent envisager d’arrêter ou de diminuer leur consommation après le stage. Ils sont particulièrement peu représentés parmi les consommateurs qui déclarent fumer du cannabis par plaisir, dans un contexte de convivialité et de partage entre amis (17 %).

37Cette incidence limitée du stage mérite pourtant d’être nuancée pour un quart environ du public, qui n’avait jamais discuté des dangers du cannabis avec son entourage avant l’interpellation mais qui déclare l’avoir fait après et avoir jugé bénéfique le contenu du stage. Auprès du public demandeur d’informations quant aux dommages du cannabis et aux possibilités de réguler la consommation, cette mesure s’avère donc bien acceptée et utile. Par ailleurs, la majorité des stagiaires qui déclarent vouloir arrêter toute consommation à la fin du stage indiquent avoir ressenti, déjà avant le stage, au moins un effet négatif lié à leur consommation de cannabis. Ils sont également plus nombreux à avoir discuté des effets du cannabis avec leur entourage, depuis leur interpellation (environ 60 %). Pour ce segment du public déjà sensibilisé aux effets négatifs de la consommation, le stage semble donc jouer un rôle d’incitation au changement.

38Les usagers qui envisagent de modifier leur comportement semblent cependant peu convaincus de leur « capacité » à le faire à court terme. Ainsi, plus de 40 % des stagiaires qui pensent « arrêter complètement de consommer » après le stage avouent qu’il s’agira plutôt de réduire progressivement leur consommation et de faire plus attention à ne pas être repérés en situation d’infraction. Parallèlement, plus d’un quart de ceux qui envisagent de « diminuer » leur consommation prévoient avant tout de « faire plus attention si jamais ils consomment à nouveau ». Moins de 10 % des stagiaires qui envisagent de diminuer ou d’arrêter leur consommation de cannabis prévoient de consulter un professionnel de santé pour les accompagner dans leur démarche.

Discussion

39Ce travail pose la question de l’influence d’une sanction pénale à visée pédagogique sur les comportements effectifs de consommateurs de drogues. Les résultats présentés montrent que l’effet de la structure (médico-sociale ou socio-judiciaire) pèse de façon notable sur les conditions d’exécution du stage et sa nature même. Lorsqu’il s’agit de mesurer la faculté de la sanction pénale à dissuader et modifier un comportement nocif ou dangereux, l’effet du profil de la structure porteuse de stages s’efface cependant devant les caractéristiques individuelles des stagiaires : motivations de consommation du cannabis, volonté personnelle d’ouvrir un questionnement sur les habitudes de consommation, adhésion au principe d’une réduction de cet usage.

40L’analyse des facteurs de réussite du stage et de leurs conditions de réception par le public contraint d’y participer par suite d’une décision judiciaire conduit à réaffirmer le rôle décisif de l’adhésion volontaire aux processus de changement du comportement. Elle offre en effet des pistes d’approfondissement de la réflexion sur la prise de conscience des risques sanitaires attachés à un comportement et le principe d’alliance thérapeutique. Que peut-on attendre d’une « sensibilisation » et d’une démarche de prévention sanitaire ayant lieu dans un cadre pénalement contraint ? Comment mettre à profit le levier de la sanction pénale pour déclencher chez le consommateur de drogues une réflexion sur les risques qu’il encourt et l’orienter vers une prise en charge sanitaire ? Comment concilier le rappel de l’interdit légal pesant sur un comportement par ailleurs relativement courant dans la population générale et une approche de réduction des risques et des dommages ?

41Ce travail corrobore les conclusions des recherches menées sur l’efficacité relative des démarches de prévention, à plus forte raison lorsqu’elles sont ordonnées par les autorités judiciaires, et les conditions d’adhésion volontaire au processus de changement de la consommation de drogues (Obradovic, 2009).

42La littérature a en effet démontré que les programmes de prévention ciblant le contrôle des comportements de consommation des jeunes ont souvent eu des effets pervers (Craplet, 2006 ; Paglia et Room, 1999). Offerts à un public autre que celui pour lequel il a été conçu, certains programmes peuvent être non seulement inappropriés mais également contre-productifs (Werch et Owen, 2002). Cette conclusion invite à prendre au sérieux certains résultats de l’étude sur les stages de sensibilisation, qui montrent qu’une partie non négligeable du public reçu dans les stages ne correspond pas au public-cible.

43Par ailleurs, en matière de stratégies pédagogiques, la littérature montre que les programmes visant à augmenter les connaissances seraient largement inefficaces pour modifier les habitudes de consommation chez les jeunes (Paglia et Room, 1999 ; Springer et al., 2004 ; Werch et Owen, 2002). Bien qu’ils augmentent les connaissances relatives aux produits, les programmes d’information développés au titre de la prévention ne seraient donc pas suffisants pour induire un quelconque changement de comportement d’usage. En revanche, les programmes interactifs seraient plus efficaces que les autres (Springer et al., 2004), en particulier lorsqu’ils s’attachent à délivrer un message crédible : les inexactitudes, les messages simplistes, de même que les messages moralisateurs ou fatalistes seraient à proscrire, tout comme ceux visant à effrayer les consommateurs (Dryfoos, 1990 ; Paglia et Room, 1999). De nombreux auteurs soulignent en outre que, face à des problématiques multifactorielles et complexes, l’incitation au changement de comportement ne peut être efficace qu’à la condition d’une adhésion volontaire du patient (Calvez et al., 1994 ; Katz et al., 1992 ; McDonald et al., 2002).

44Les résultats de ce travail rejoignent donc largement les recommandations de la littérature qui arguent qu’il est plus efficace d’offrir des programmes de prévention axés sur la réduction des risques plutôt que sur l’objectif d’arrêter la consommation ; que ces programmes gagnent à développer une dimension interactive ; qu’ils doivent, enfin, être bien différenciés en fonction des sous-groupes de consommateurs : simples expérimentateurs, usagers occasionnels et récréatifs de drogues, usagers à risque ou en situation d’abus (Santé Canada, 2001). Les préconisations internationales invitent également à construire des programmes reposant sur un contenu crédible, non dramatisant et non moralisateur. Aucune stratégie pédagogique ni aucun message préventif ne serait à lui seul capable d’entraîner des changements positifs sur la consommation de drogues chez les jeunes : les objectifs de régulation des comportements d’usage à risque doivent être adaptés à l’âge et aux caractéristiques du public, qui doit en outre être demandeur. Cette adhésion s’avère pourtant particulièrement délicate dans un contexte pénal.

45Par ailleurs, à la lumière de la littérature, les programmes visant à dissuader la consommation ou à prévenir les dommages liés à la consommation devraient être coanimés par des professionnels psychosociaux, témoignant de bonnes compétences relationnelles, et des pairs plus âgés (Laventure et al., 2010).

46Les conditions de mise en œuvre des stages de sensibilisation dérogent donc à certains critères d’efficacité documentés dans la littérature. Ils apparaissent avant tout comme une sanction pénale, inapte à peser sur les comportements de consommation. Ce constat rejoint celui des évaluations des stages de sensibilisation à la sécurité routière. Les résultats de ces travaux montrent que si la plupart des personnes jugent le stage bénéfique (86 %) une part relativement faible envisage un changement de comportement : seuls 27 % des stagiaires déclarent avoir l’intention de modérer leur consommation d’alcool et 22 % estiment que ces changements seront temporaires. Par ailleurs, 48 % des personnes interrogées sur ce qui serait susceptible de changer leur conduite en dehors du stage ne fournissent pas de réponse et, parmi les répondantes, la réponse la plus fréquente est « l’accident grave personnel ou d’un proche » (14,4 %) (Billard, 2002). Ces données témoignent de l’efficacité limitée des approches de prévention basées sur la contrainte qui revendiquent en même temps un objectif pédagogique, décliné sous la forme de séances de responsabilisation collective. Elles interrogent également sur la pérennité des changements déclarés de comportements.

Conclusion

47Le stage « stupéfiants » demeure un choix de sanction minoritaire dans l’éventail des réponses pénales (4 500 stagiaires par an, pour près de 136 000 interpellations d’usagers en 2010). Son utilisation semble toutefois en expansion, à la faveur de l’essor des procédures de traitement rapide et simplifié des délits. Aujourd’hui, toutes les cours d’appel sont couvertes par l’intervention d’une structure prestataire de stages, mais celles-ci se sont approprié les objectifs du dispositif en fonction de leurs problématiques et de leurs besoins locaux, au prix de grandes disparités dans les conditions d’exécution des stages (durée, tarifs, formats). Ainsi, selon le type de structure porteuse (médico-sociale ou socio-judiciaire), le contenu du stage et ses conditions d’exécution varient de façon substantielle. Dans ce contexte, la diversité des formats de stages ainsi que leur portée « pédagogique » revendiquée posent un certain nombre de questions.

48En dépit d’une appréciation globalement positive du déroulement et du contenu du stage, la moitié du public reçu estime que le stage aura une incidence limitée sur son comportement d’usage, notamment parce qu’il n’est « pas assez personnalisé », quelle que soit la structure porteuse. Une partie des résultats présentés conduit à s’interroger sur l’efficacité du stage de sensibilisation comme levier de motivation au changement des comportements de consommation, dès lors que le message sanitaire semble surclassé par la perception de la contrainte pénale. Du point de vue des stagiaires, il reste avant tout une sanction pénale, dont l’efficacité est limitée pour impulser un processus de transformation d’attitudes et de comportements chez les usagers de cannabis qui n’étaient pas déjà motivés pour infléchir leur consommation.

Remerciements

À toutes les structures répondantes et aux personnes accueillies en stage qui ont accepté de remplir les questionnaires.
À Maël Theulière, Micheline Brochet-Durand et les équipes des sections « enquêtes » et « collecte » de la sous-direction de la statistique et des études (SDSE) du ministère de la Justice (Nantes).
À Elisabeth Fellinger (CIRDD Alsace), Jean-Michel Delile (directeur du CEID de Bordeaux), Laurence Garcia (Caan’abus Bordeaux), Richard Irazusta (comité départemental de l’ANPAA 64) et Sylvie Philbert (ASSOEDY 78), qui ont accepté de tester le questionnaire dans leurs structures respectives.
À Denis L’Hour (Fédération Citoyens et Justice) et à Delphine Jarraud (ANPAA) pour le rôle de relais d’information qu’ils ont joué, respectivement auprès des associations socio-judiciaires et des comités départementaux de l’ANPAA, et leur relecture.
Aux relecteurs : Julie-Émilie Adès et Maud Pousset (OFDT), Solène Belaouar (Direction des affaires criminelles et des grâces, ministère de la Justice), Delphine Jarraud (ANPAA), Jean-Pierre Couteron (Fédération Addiction).

Notes

  • [*]
    Chargée d’études à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et chercheure associée au CURAPP (UMR CNRS 7319).
  • [1]
    La circulaire du ministère de la Justice du 16 février 2012 précise que « dans l’hypothèse d’un usage simple, il convient désormais d’exclure le recours au classement avec rappel à la loi par officier de police judiciaire. Cette modalité de notification du rappel à la loi ne favorise pas suffisamment la prise de conscience de la prohibition légale de l’usage et des conséquences sanitaires et sociales résultant de la violation de l’interdit. Elle peut conduire l’usager à banaliser l’acte de consommation ».
  • [2]
    En France métropolitaine, 13,4 millions de personnes âgées de 11 à 75 ans déclaraient avoir déjà expérimenté le cannabis, dont 3,8 millions au cours de l’année précédente (Beck et al., 2011).
  • [3]
    Voir les réactions des professionnels des addictions sur ce sujet, relayées par les communiqués de presse diffusés par la Fédération Addiction lors de la mise en place du dispositif, puis après la circulaire du 16 février 2012, pour dénoncer « les risques de l’hyper-pénalisation » et la focalisation des réponses publiques à l’usage de drogues sur « la peur et la sanction ». Voir aussi les commentaires sur le dispositif publiés dans la revue Addictions de l’ANPAA en mars 2010 : « Ce dispositif a suscité interrogations, réticences, voire oppositions d’équipes craignant d’être considérées comme des auxiliaires de justice alors qu’elles ont une mission de soin. » (ANPAA, 2010)
  • [4]
    Loi n° 2003-495 du 12 juin 2003.
  • [5]
    Le taux de réponse pénale indique la proportion des infractions auxquelles la justice a donné une suite parmi celles dont elle a été saisie. La « réponse pénale » comprend l’ensemble des affaires traitées par les parquets qui se sont conclues par des poursuites pénales ou une mesure alternative aux poursuites, par opposition à celles qui ont été classées sans suite.
  • [6]
    Outre les réunions et les journées de formation à destination des magistrats, le ministère de la Justice et des Libertés et la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) ont, en mai 2009, diffusé dans l’ensemble des juridictions un « guide méthodologique » précisant les différentes étapes de mise en place des stages.
  • [7]
    Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie, créée en 1872, reconnue d’utilité publique, historiquement constituée autour des problématiques liées à l’alcool. Elle s’est statutairement élargie à l’addictologie depuis 2002.
  • [8]
    Les CSAPA ont été créés par le décret du 28 février 2008, se substituant aux anciens centres spécialisés de soins aux toxicomanes (CSST) et centres de cure ambulatoire en alcoologie (CCAA). La possibilité d’une spécialisation du CSAPA a toutefois été maintenue.
  • [9]
    Les associations socio-judiciaires réalisent des enquêtes de personnalités, gèrent le contrôle judiciaire et le suivi des personnes sous main de justice. Elles sont aussi amenées à travailler dans des domaines connexes, en partenariat avec le secteur social (programmes de responsabilisation, chantiers d’insertion, hébergement, etc.).
  • [10]
    Les associations de prévention et d’insertion sociale fonctionnent grâce à des financements non pérennes, issus par exemple des programmes régionaux communs (PRC) des Unions régionales des caisses d’Assurance maladie ; les CSAPA bénéficient de financements pérennes de l’Assurance maladie ; enfin, les associations socio-judiciaires sont financées par le ministère de la Justice.
  • [11]
    Centre d’information régional sur les drogues et les dépendances.
  • [12]
    Comité départemental d’éducation pour la santé.
  • [13]
    Ce chiffre est indicatif, le nombre de CSAPA variant selon les années, en fonction des fusions et des regroupements de structures justifiés par la mutualisation des moyens.
  • [14]
    Ce chiffre prend en compte les associations d’aide aux victimes, celles chargées du suivi des mesures alternatives aux poursuites et celles qui mettent en œuvre les mesures de contrôle judiciaire, les enquêtes de personnalité et les enquêtes sociales rapides (Poutet, 2005).
  • [15]
    SPIP : service pénitentiaire d’insertion et de probation. PJJ : protection judiciaire de la jeunesse.
Français

À partir des données d’une enquête menée en 2010-2011, cet article propose une analyse des stages « de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants », centrée sur les conditions de mise en œuvre de cette mesure. Créés par la loi de 2007, ces stages constituent une nouvelle modalité de réponse pénale, visant à faire prendre conscience, particulièrement aux usagers occasionnels de cannabis, non dépendants et socialement insérés, des risques sanitaires et sociaux qu’ils courent. L’article montre une offre et des conditions d’exécution du stage différenciées selon le type de structure porteuse (médico-sociale ou socio-judiciaire) et met en perspective la place des professionnels du soin dans ce dispositif. Cependant, quelle que soit la structure, une proportion importante du public concerné estime que le stage aura une incidence limitée sur son comportement d’usage. Ce résultat interroge l’efficacité de la sanction comme levier de motivation au changement. Le stage de « sensibilisation » reste avant tout une sanction pénale, peu individualisée et insuffisante pour impulser un processus de transformation chez les personnes qui n’envisageaient pas, déjà avant le stage, de modifier leur consommation de cannabis.

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Ivana Obradovic [*]
Chargée d’études à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et chercheure associée au Centre universitaire de recherches sur l’action publique et le politique (CURAPP) UMR CNRS 7319, université de Picardie-Jules Verne.
  • [*]
    Chargée d’études à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et chercheure associée au CURAPP (UMR CNRS 7319).
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/12/2013
https://doi.org/10.3917/rfas.126.0005
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