Introduction
1Les centres maternels hébergent et accompagnent des femmes accompagnées d’enfants de moins de 3 ans, dans le cadre de l’Aide sociale à l’enfance [1]. La mission de ces établissements est d’apporter aux familles accueillies un soutien matériel (hébergement et accès à un mode de garde), psychologique et éducatif. À l’heure actuelle, il existe en France 143 centres maternels, pouvant accueillir environ 2 500 familles (Mainaut, 2010). Les enfants accueillis sont connus des services de protection de l’enfance dès leur plus jeune âge. Ils sont confrontés à une précarité matérielle symbolisée par le recours à l’hébergement social et à une situation familiale souvent difficile. En effet, les femmes accueillies cumulent un grand nombre de difficultés. Leurs parcours de vie sont marqués par des problèmes de santé, des violences sexuelles ou physiques durant l’enfance, l’adolescence et à l’âge adulte, et une faiblesse du niveau scolaire (Corbillon et Duléry, 1997 ; Wendland, 2011). Ces difficultés personnelles des mères ne sont pas sans conséquences sur le parcours des enfants. Ainsi, dans les années 1990, 8 à 10 % des enfants accueillis en centre maternel en région parisienne faisaient l’objet d’un placement à l’Aide sociale à l’enfance au moment de la sortie de l’établissement (DASES, 1994 ; Donati et al., 1999). Toutefois, on ne disposait d’aucune donnée concernant leur devenir.
2C’est pourquoi, dans le cadre d’une recherche doctorale en sciences de l’éducation, nous avons cherché à connaître les trajectoires et les perceptions de ces mères et de ces enfants, six à sept ans après la sortie d’un centre maternel [2]. Nous nous inscrivons dans la lignée des travaux sur le devenir des usagers de la protection de l’enfance, en articulant une approche quantitative des dimensions objectives des trajectoires et une approche qualitative des perceptions des acteurs. En particulier, nous avons cherché à appréhender la qualité de vie des enfants concernés, plusieurs années après la sortie.
3Nous présenterons dans un premier temps l’état des connaissances sur les trajectoires en protection de l’enfance, puis nous ferons le lien avec la notion de qualité de vie. Après cet éclairage théorique, nous préciserons la méthodologie de la recherche mise en œuvre et exposerons les principaux résultats des entretiens menés auprès de trente-trois enfants, afin d’appréhender l’articulation entre trajectoire et qualité de vie.
L’étude des trajectoires en protection de l’enfance
4L’étude du devenir des anciens placés est une préoccupation ancienne des chercheurs. Dans les années 1950, les premiers travaux cherchaient à appréhender le devenir des ex-placés en observant les « résultats » (outcomes) essentiellement à partir de variables négatives, comme l’alcoolisme ou la délinquance (McCord et al., 1960). Durant les années 1970 et 1980, la question la plus travaillée par les chercheurs, en France comme à l’étranger, est celle de la répétition intergénérationnelle. Ces travaux ont permis de mettre en évidence la faible répétition intergénérationnelle du placement, et la nécessité d’abandonner les méthodes rétrospectives, qui présentaient des biais importants, au profit de démarches prospectives [3] (Quinton et Rutter, 1989) (Corbillon et al., 1990).
5À partir des années 1990, les questionnements et les démarches de recherche vont évoluer. L’utilisation de méthodes prospectives permet ainsi de montrer que l’insertion professionnelle et familiale des ex-placés à l’âge adulte ne diffère pas sensiblement de l’insertion des adultes issus de milieux sociaux similaires, si l’on prend soin d’observer le devenir plusieurs années après la sortie des dispositifs, qui constitue souvent une période de grande instabilité pour ces jeunes adultes (Fréchon et Dumaret, 2008). De plus, les démarches de recherche se centrent de moins en moins exclusivement sur les résultats, mais s’intéressent davantage aux processus, aux dynamiques de construction des parcours et à l’observation des moments de transition : sortie des dispositifs, importance du choix du conjoint par rapport à la dynamique d’insertion (Fréchon, 2003), interactions entre les transitions résidentielles, professionnelles et familiales… Ces travaux mettent en évidence l’interdépendance entre les différentes sphères de la vie pour comprendre les trajectoires et les processus d’insertion. L’insertion résidentielle semble ainsi constituer un préalable à l’insertion scolaire ou professionnelle (Goyette et Royer, 2010).
6En parallèle, à partir des années 2000, certains chercheurs se questionnent sur les perceptions subjectives : si les indicateurs objectifs (emploi, revenu, composition familiale…) se distinguent peu de la population générale, en est-il de même pour le vécu subjectif ? Des mesures liées à la santé et à la qualité de vie liée à la santé sont ainsi intégrées dans les recherches récentes, et l’on constate notamment que la qualité de vie liée à la santé est moindre pour les personnes ayant subi des violences durant l’enfance (Dumaret et al., 2011).
7Au-delà du devenir à l’âge adulte, le vécu des enfants et des jeunes durant leur prise en charge à l’Aide sociale à l’enfance a également été exploré à partir des années 1990. En particulier, la difficulté pour certains enfants de n’appartenir réellement à aucun lieu de vie entraîne une souffrance et une désorientation qui s’accentue au fil de leur parcours (Giraud, 2005). La perception des jeunes sur leur placement évolue en fonction du jeu des acteurs, de l’enchaînement des événements, de la connaissance de soi, des autres et de l’institution. En particulier, les enfants placés très jeunes dans une famille d’accueil stable, ayant peu de contact avec leurs parents, ne cherchent plus à comprendre le motif initial du placement, mais se présentent comme les enfants de la famille d’accueil. À l’inverse, les enfants ayant connu de nombreux placements différents vivent des liens fragilisés tant avec la famille d’origine qu’avec les lieux de placement (Potin, 2009). Sur le plan psychique, les enfants placés dans la petite enfance (avant l’âge de 3 ans) auraient en effet tendance à s’affilier à leur famille d’accueil, contrairement aux enfants placés plus tardivement, qui restent majoritairement affiliés à leur famille d’origine (Wendland et Gaugue-Finot, 2008). Les enfants développant une double appartenance semblent particulièrement en difficulté (Mouhot, 2001) et dans la majorité des cas sont amenés à choisir de maintenir le lien avec l’une ou l’autre famille au moment du passage à l’âge adulte (Dumaret et Coppel-Batsch, 1996 ; Mouhot, 2001).
8La prise en compte du vécu de l’enfant par rapport aux mesures de placement a ainsi permis de pointer les difficultés rencontrées. Toutefois, ces approches doivent être complétées pour appréhender comment l’enfant se sent dans sa vie quotidienne. À ce titre, le cadre théorique de l’étude de la qualité de vie des enfants semble pertinent pour appréhender l’expérience des enfants rencontrés.
La qualité de vie des enfants
9La notion de qualité de vie est de plus en plus présente dans les productions scientifiques, et il est devenu classique de pointer le flou conceptuel qui entoure ce terme. En effet, toutes les sciences humaines et sociales sont amenées à traiter de cette notion, en lui attribuant des définitions parfois fort diverses. Cette situation s’explique par la convergence de trois sources différentes : le mouvement des indicateurs sociaux, à dominante économique et sociologique (Perret, 2002), l’étude du bien-être subjectif en psychologie (Land et al., 2007), et l’étude de la qualité de vie liée à la santé (Leplège, 1999). On assiste aujourd’hui à une convergence des thématiques et des préoccupations des chercheurs issus de ces différents courants. Les recherches sur le bien-être de l’enfant tentent notamment de développer des indicateurs composites, prenant en compte à la fois des indicateurs sociaux objectifs et la perception subjective de la qualité de vie (Ben-Arieh et Frønes, 2007).
10La qualité de vie se définit comme l’évaluation interne par l’individu de la qualité de sa vie dans son ensemble et dans des domaines spécifiques de l’existence. On parle également de satisfaction de vie (Huebner, 2004). Il s’agit d’une composante cognitive du bien-être subjectif, qui comprend toutes les facettes de l’existence, comme les dimensions physiques, sociales, économiques et subjectives (Upton et al., 2008). Chez les enfants, la qualité de vie est également multidimensionnelle, en recouvrant toutefois des domaines de vie spécifiques à l’enfance, notamment la scolarité, le jeu, les relations avec les pairs et le poids des contraintes (Manificat et Dazord, 1997).
11L’utilisation d’instruments de mesure de qualité de vie auprès d’enfants montre que ceux-ci sont aptes à évaluer leur vécu de manière pertinente, et permet d’intégrer leur appréciation sur leur situation, sans la réduire à l’évaluation de l’adulte (Bouffard et Lapierre, 1997). En particulier, la comparaison entre des enfants tout-venant, des enfants présentant des troubles somatiques, des troubles psychologiques et des enfants placés en institution montre que les difficultés psychologiques ou sociales ont plus d’impact sur la qualité de vie des enfants que les troubles somatiques. Les enfants placés en institution investissent davantage les dimensions relationnelles que les autres enfants ; elles sont vécues comme une source de difficulté (notamment la séparation d’avec les parents), mais également comme une source de plaisir plus grande, témoignant d’une capacité de « faire face » (Dazord et al., 2000). Enfin, la présence de troubles du développement n’affecte pas nécessairement la qualité de vie chez l’enfant (Lemétayer et Gueffier, 2006). Plusieurs auteurs plaident aujourd’hui pour le développement des mesures de la qualité de vie dans le champ de l’éducation, notamment dans celui de la protection de l’enfance (Bacro et al., 2011 ; Dumaret et al., 2011).
12En effet, la prise en compte de la qualité de vie pendant une mesure de placement ou lors de l’observation du devenir des sujets permet d’appréhender des dimensions subjectives qui ne portent pas exclusivement sur le vécu de l’intervention mais qui englobent l’ensemble de la vie de l’individu. Ainsi, dans le cadre de l’étude du devenir des enfants, on peut s’interroger sur l’impact de certaines expériences vécues au cours de la trajectoire sur la qualité de vie des sujets, quelques années plus tard.
13La présente recherche avait donc un double objectif. Il s’agissait tout d’abord de comprendre les processus de construction des parcours des familles dans les années suivant un accueil en centre maternel, en explorant plus particulièrement l’interaction entre les trajectoires résidentielles et les mesures de protection de l’enfance (Ganne et Bergonnier-Dupuy, 2012). Dans un second temps, nous avons exploré l’impact que ces trajectoires pouvaient avoir sur la qualité de vie des enfants. Nous formulions l’hypothèse que pour des enfants qui avaient connu des moments de transition importants dans leur environnement résidentiel et familial, le parcours pouvait avoir un impact sur la qualité de vie au moment de l’enquête.
Méthodologie
14Du fait du double objectif énoncé, nous avons fait le choix d’articuler une démarche prospective quantitative reconstituant le maximum de trajectoires avec une démarche qualitative s’intéressant en profondeur à un nombre plus restreint d’enfants.
Population
15La population initiale est constituée de l’ensemble des familles sorties en 2002 ou en 2003 d’un centre maternel, dans deux départements, soit 315 familles au total. Lors de l’enquête, les familles avaient quitté les établissements depuis six à sept ans, et les enfants étaient âgés de 6 à 12 ans. Le choix de ce délai correspond à la volonté de concilier plusieurs temporalités : permettre aux femmes accueillies d’avoir trouvé une stabilité souvent mise à mal dans les deux ou trois années qui suivent la sortie d’un dispositif (Fréchon, 2003), s’assurer que les enfants ont entamé une scolarité élémentaire, moment important dans le dépistage d’éventuelles difficultés dans les apprentissages, et observer le devenir pendant l’enfance des sujets, au moment où la trajectoire se construit.
Procédure de recueil et de traitement des données
Étude quantitative sur dossier
16Au total, 260 dossiers de l’Aide sociale à l’enfance ont été analysés, ce qui représente 83 % de la population initiale, en raison des oppositions (6 %) et des dossiers non retrouvés (11 %). Le dépouillement s’est effectué à l’aide d’un questionnaire portant sur la connaissance de la population accueillie et d’une grille chronologique indiquant les trajectoires résidentielles des mères et des enfants, et les éventuelles mesures de protection de l’enfance depuis la sortie du centre maternel [4].
17Les données recueillies dans les dossiers concernant l’histoire de vie des femmes avant leur accueil en centre maternel ont fait l’objet d’une analyse des correspondances multiples, basée sur l’âge, le lieu de naissance, les suivis médico-sociaux antérieurs, et les expériences de vie les plus fréquemment rapportées dans les dossiers (notamment les violences intrafamiliales, la prise en charge de la mère à l’ASE en tant qu’enfant, les violences conjugales, la migration, le placement des enfants aînés, les troubles psychiatriques, addictions et handicaps.)
Étude par questionnaire auprès des mères
18Une étude par questionnaire biographique mené en face à face auprès de 66 mères (soit 21 % de la population initiale) a permis d’approfondir la connaissance des trajectoires, en particulier pour les dimensions sanitaire, familiale et scolaire insuffisamment renseignées dans les dossiers. Nous avons proposé à l’ensemble des femmes que nous sommes parvenues à contacter de participer à la recherche. La moitié d’entre elles a rempli le questionnaire. Nous avons vérifié que les caractéristiques des familles enquêtées étaient très proches de celles de la population de l’étude sur dossier (Ganne et Bergonnier-Dupuy, 2011).
19Les deux sources d’informations (dossiers et questionnaires) ont été croisées, ce qui a permis de reconstituer 197 trajectoires pour le parcours résidentiel et les mesures de protection de l’enfance, soit 63 % de la population initiale. Ces trajectoires reconstituées ont été analysées grâce à des méthodes d’analyse de séquence, notamment les méthodes d’appariement optimal (Saint Pol et Lesnard, 2006).
Étude par questionnaire et entretien auprès des enfants
20À l’issue de la rencontre avec les mères, nous avons demandé l’autorisation de rencontrer également les enfants, pour leur proposer un questionnaire de qualité de vie et un entretien sur leur parcours et leur situation actuelle. Après l’accord de la mère, nous sollicitions celui des enfants. Trente-trois enfants ont pu être ainsi rencontrés. Les entretiens ont été menés majoritairement au domicile de la famille, en général dans la chambre de l’enfant. Pour les enfants placés à l’Aide sociale à l’enfance, les entretiens se sont déroulés soit au domicile de l’assistante familiale, soit dans les locaux du service de placement.
21Lors de l’entrevue, nous proposions dans un premier temps le renseignement du questionnaire AUQUEI (voir encadré). Le questionnaire servait ensuite de support à un entretien sur leur situation actuelle et sur leur parcours antérieur. Les enfants ont largement abordé leurs conditions de logement, ainsi que leurs relations avec leurs pairs. Du fait des conditions de passation, le discours sur les relations familiales est sans doute celui qui a été le moins libre, les enfants les plus en difficulté mettant en place des stratégies d’évitement lorsque cette thématique était abordée.
Le questionnaire AUQUEI (Auto-Questionnaire Enfant Imagé) [Encadré]
Il se compose d’une question ouverte, puis d’une échelle fermée de 31 items, qui explorent la satisfaction des enfants dans différents domaines de vie : les relations familiales, les relations sociales, les activités (jeux, scolarité, loisirs), la santé, les fonctions (sommeil, alimentation). L’enfant doit répondre à l’aide de quatre paliers (« pas content du tout », « pas content », « content », « très content »), représentés à l’aide de visages qui expriment des états émotionnels différents. Il permet d’obtenir un score global de qualité de vie, autorisant les comparaisons entre groupes d’enfants.
22Les liens entre le score global de qualité de vie et différentes variables (sexe et âge de l’enfant, trajectoire résidentielle, trajectoire en protection de l’enfance, situation familiale, profil de la mère) ont été testés au moyen du test non paramétrique de Kruskall-Wallis du fait de la petite taille de notre population d’enquête. Les entretiens ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique transversale. Dans un second temps, une typologie des parcours des enfants rencontrés a été constituée, afin d’affiner l’analyse thématique en fonction des groupes repérés. Pour constituer ces groupes, nous nous sommes basées sur deux variables classiques dans l’observation des trajectoires, à savoir l’évolution de la composition familiale et la trajectoire résidentielle.
23Les données ainsi obtenues permettent d’appréhender la perception des 33 enfants sur leur situation, mais également de les situer de manière plus globale au regard de l’ensemble des trajectoires reconstituées.
Résultats
24Afin de permettre au lecteur de situer les trajectoires des 33 enfants rencontrés parmi l’ensemble de la population de la recherche, nous présenterons rapidement quelques résultats de la phase quantitative, puis nous nous centrerons sur les résultats du questionnaire AUQUEI et l’analyse des entretiens avec les enfants [5].
Principaux résultats de l’enquête quantitative
25L’analyse des correspondances multiples basée sur les éléments d’histoires de vie a permis de dégager trois grands groupes parmi les femmes accueillies en centre maternel : les mineures ou jeunes majeures âgées de moins de 21 ans, les migrantes adultes, et les femmes adultes issues de familles à problèmes multiples (Ganne et Bergonnier-Dupuy, 2011). Les femmes les plus jeunes (âgées de moins de 21 ans) sont en général accueillies en raison de conflits familiaux, souvent préexistants, qui conduisent à une rupture d’hébergement au moment de la grossesse. Elles peuvent être nées en France ou à l’étranger. En effet, les jeunes femmes migrantes arrivées en France durant leur enfance peuvent rencontrer des difficultés familiales similaires à celles des jeunes femmes nées en France. Elles se distinguent de ce fait des femmes migrantes arrivées adultes, et souvent récemment, sur le territoire, dont les parcours antérieurs sont souvent moins connus des travailleurs sociaux. Ces dernières connaissent des situations de grande précarité et un isolement important, et doivent faire face à la situation d’adaptation au pays d’accueil. Enfin, les femmes adultes issues de familles à problèmes multiples [6] connaissent souvent les services sociaux depuis leur propre enfance. Elles peuvent faire l’objet de nombreux suivis (tutelles, placement des enfants, conduites addictives…). Leur accueil en centre maternel est une étape dans une trajectoire instable depuis longtemps.
26L’étude des 197 trajectoires reconstituées a mis en évidence l’impact déterminant des conditions de sortie (motif de la décision de sortie et nouveau lieu de vie de la famille) sur la trajectoire résidentielle ultérieure (en particulier l’accès au logement HLM). Si un tiers des familles accède directement à un logement autonome, les deux tiers d’entre elles connaissent une période d’instabilité dans les deux ou trois années qui suivent la sortie, indépendamment du profil de la mère. La majorité de ces familles finissent ensuite par accéder à un logement stable (le plus souvent dans le secteur privé). Toutefois, environ une famille sur six connaît une situation d’hébergement (chez des tiers ou en structure sociale) qui perdure six à sept ans après la sortie, sans aucun accès à un logement autonome. Ainsi, le séjour en centre maternel peut permettre d’accéder à une stabilité et un support éducatif, mais peut également constituer une simple parenthèse dans une trajectoire d’instabilité. Les femmes les plus jeunes connaissent souvent des trajectoires chaotiques dans les années qui suivent la sortie, mais finissent pour la plupart par accéder à un logement autonome. Les trajectoires longues d’hébergement concernent majoritairement soit des migrantes adultes, soit des femmes issues de familles à problèmes multiples.
27Les mesures de protection de l’enfance diffèrent nettement dans les deux départements d’observation : près de 40 % des enfants accueillis dans l’un des deux départements feront l’objet d’un placement judiciaire dans la suite de leur parcours, contre 6 % dans l’autre département [7]. Les enfants qui connaissent un placement font pour moitié l’objet d’un placement long, qui débute dans les deux ans suivant la sortie, alors que l’autre moitié vit une trajectoire plus complexe, alternant placement et retour au domicile de la mère, souvent accompagnés de mesures en milieu ouvert [8]. Le profil de la mère a également un impact sur ces situations. En particulier, les enfants des femmes les plus jeunes sont davantage placés au moment de la sortie du centre maternel (jusqu’à 30 % des enfants de mères entrées mineures en centre maternel), mais l’on observe de nombreux retours au domicile après une période de placement, contrairement à ce que l’on peut observer pour les enfants des femmes adultes issues de familles à problèmes multiples.
28On pourrait être tenté de considérer la situation résidentielle et les mesures de protection de l’enfance comme deux conséquences, indépendantes l’une de l’autre, des caractéristiques et des difficultés personnelles de la mère. Cependant, malgré la faible prise en compte apparente des conditions socio-économiques des familles lors de l’évaluation des situations en protection de l’enfance (Sellenet et Tendron, 1999 ; Potin, 2009), l’accès à un logement stable semble bien jouer un rôle protecteur par rapport aux mesures de placement pour l’ensemble des familles, alors qu’en parallèle la situation d’instabilité résidentielle peut conduire certaines femmes à confier leur enfant de manière informelle à leur famille ou leurs amis (Ganne et Bergonnier-Dupuy, 2012).
L’enquête auprès des enfants
29Les trajectoires des trente-trois enfants rencontrés dans le cadre de l’enquête reflètent assez bien l’ensemble des parcours observés lors de l’analyse quantitative des trajectoires [9]. Une grande partie d’entre eux a vécu un contexte particulier mais favorable (l’accueil en centre maternel) puis une période d’instabilité résidentielle et familiale importante, avant de connaître une stabilisation soit dans un logement autonome, soit dans le cadre de structures sociales (hébergement de la famille ou placement de l’enfant).
30Nous analyserons tout d’abord les scores obtenus au questionnaire de qualité de vie et les éléments de la situation des enfants qui ont un impact sur celle-ci. Nous présenterons ensuite une typologie des situations des enfants rencontrés, puis nous illustrerons l’articulation entre trajectoire et qualité de vie pour chacun des cinq groupes constitués, en nous appuyant sur l’analyse des entretiens menés avec les enfants.
Scores de qualité de vie
31Les scores de qualité de vie des enfants rencontrés sont proches des scores obtenus par les enfants testés dans d’autres recherches, notamment des enfants tout-venant scolarisés dans un quartier populaire (Eyraud et al., 2004). Les résultats moyens varient très peu en fonction du sexe ou de l’âge de l’enfant. De même, on n’observe pas de lien statistique significatif entre la trajectoire résidentielle et la qualité de vie, ni la trajectoire scolaire et la qualité de vie.
32Concernant la trajectoire familiale, les situations qui semblent avoir un impact positif sur la qualité de vie des enfants sont le fait de vivre avec deux parents (avec le père biologique est la situation la plus favorable) et d’être placé en famille d’accueil. Sur le plan des mesures de protection de l’enfant, le fait d’être placé est lié à des scores élevés de qualité de vie, alors qu’avoir été suivi en milieu ouvert est relié à des scores faibles.
33Enfin, le fait d’avoir une mère jeune présente un lien significatif avec de bons scores de qualité de vie. En revanche, vivre avec une mère issue d’une famille à problèmes multiples ou, dans une moindre mesure, avec une mère migrante sont des situations ayant un impact négatif sur les scores de qualité de vie. Parmi les enfants de mères issues de familles à problèmes multiples, les enfants accueillis en famille d’accueil présentent des scores très favorables, alors que les enfants vivant avec leur mère mais suivis en milieu ouvert ont à l’inverse des scores faibles.
Typologie des trajectoires des enfants rencontrés
34Cinq groupes ont été constitués, en croisant la trajectoire résidentielle et la trajectoire familiale :
- les enfants vivant en famille d’accueil ;
- les enfants vivant en logement stable avec un couple parental stable depuis la sortie ;
- les enfants vivant aujourd’hui dans un logement stable avec un couple parental stable, après avoir connu plusieurs années d’instabilité familiale et résidentielle ;
- les enfants vivant jusqu’à aujourd’hui avec une mère seule en situation d’hébergement ;
- les enfants vivant dans un logement stable avec une mère seule depuis la sortie du centre maternel.
Score moyen de qualité de vie en fonction de la trajectoire résidentielle et familiale (n = 33)

Score moyen de qualité de vie en fonction de la trajectoire résidentielle et familiale (n = 33)
35Les trois premiers groupes (vivant en famille d’accueil ou avec deux parents) ont des scores supérieurs à la moyenne des enfants sans difficultés sociales rencontrés dans d’autres recherches, alors que les deux derniers groupes (vivant avec leur mère seule, en situation de précarité résidentielle ou bien dans un logement stable) ont des scores plus faibles. Au-delà du score de qualité de vie, ces cinq groupes se distinguent également nettement par le profil de la mère, les contacts avec le père, le déroulement du séjour en centre maternel et la présence ou non de difficultés scolaires et de mesures de protection de l’enfance, comme le synthétise le tableau 2.
Synthèse des principales caractéristiques des trajectoires (n = 33)

Synthèse des principales caractéristiques des trajectoires (n = 33)
36L’impact des différentes dimensions de la trajectoire sur la qualité de vie semble différent selon les groupes. L’analyse de contenu des entretiens menés avec les enfants a permis d’explorer ces processus.
Les enfants du premier groupe : un investissement important des relations avec les pairs
37Le premier groupe est constitué de sept enfants accueillis hors de leur famille (six enfants sont accueillis en famille d’accueil dans le cadre d’un placement judiciaire, et une enfant est accueillie chez ses grands-parents paternels). Ce sont ces enfants qui obtiennent les scores les plus élevés au questionnaire AUQUEI. Leurs mères sont soit des femmes issues de familles à problèmes multiples, soit des femmes accueillies jeunes qui ont poursuivi par la suite une trajectoire d’assistance. Bien que la quasi-totalité de ces enfants soient reconnus, ils n’ont avec leurs pères que des contacts épisodiques, régulés par les services de protection de l’enfance. Ces pères vivent souvent dans la marginalité, cinq d’entre eux ont notamment été incarcérés pour des violences ou des trafics de stupéfiants. Enfin, deux enfants de ce groupe ont été exposés à la violence conjugale.
38La durée de leurs séjours en centre maternel a été variable (de deux mois à deux ans), mais dans six cas sur sept le séjour a pris fin en raison d’un passage à l’acte de la mère (bagarre entre résidentes, maltraitance grave de l’enfant, fuite pour consommer des drogues). Dans quatre cas, le placement de l’enfant a été immédiat ; pour les autres, il est intervenu suite à des difficultés persistantes dans les deux années suivant la sortie. Six enfants font l’objet d’un placement judiciaire long (l’enfant vivant chez ses grands-parents leur est confiée par le juge aux affaires familiales).
39Ces enfants font donc l’objet d’une mesure de protection, après avoir connu des situations d’adversité importante. Sur le plan familial, durant les entretiens, ces enfants ont majoritairement esquivé les questions portant sur la relation avec leur mère. Ils ont cependant évoqué quelques difficultés liées au déroulement des visites. Celles-ci peuvent être dues aux relations mère-enfant, ou au cadre lié à la situation de placement. Ainsi, Stecy [10] semble déçue du climat relationnel qu’elle entretient avec sa mère lors de ses séjours au domicile : « J’aime pas trop. C’est que maman elle arrête pas de m’embêter. Quand je regarde quelque chose ou je fais quelque chose d’autre, elle arrête pas de m’embêter, et ça me gêne. Et puis elle arrête pas avec ses trois téléphones de jouer avec parce qu’elle a un copain et voilà, elle lui téléphone toujours, et moi je m’ennuie beaucoup et voilà ! » Lorsque la mère manifeste de l’attention à Stecy, celle-ci se sent dérangée ; à l’inverse, l’enfant s’ennuie quand sa mère est occupée ailleurs. La mère et la fille semblent en difficulté pour trouver un mode relationnel satisfaisant. Dans le cadre de son placement, Stecy est en grande rivalité avec une autre enfant accueillie auprès de son assistante familiale ; elle semble avoir du mal à trouver sa place dans cet agencement entre deux familles.
40À l’inverse, Djason semble avoir trouvé un équilibre qui lui permet d’investir la vie quotidienne dans son placement, mais l’amène également à contester, à sa façon, les modalités très strictes des rencontres avec sa mère. En effet, celle-ci est sans domicile, et il la rencontre dans les locaux de l’Aide sociale à l’enfance ou lors de sorties extérieures. Il relate l’existence d’un climat de tension entre sa mère et le référent de l’Aide sociale à l’enfance chargé d’encadrer ces visites :
41« J’ai vu ma maman. Et en fait y avait M. Dupond [le référent Aide sociale à l’enfance] qui s’est disputé avec maman, et avec Albert, l’amoureux à ma maman.
42– Qu’est ce qui s’est passé ?
43– Il voulait me prendre. Et après j’ai dit, non je veux rester avec maman ! J’allais de l’autre côté… et je l’ai fait bouger… Mais il s’est parlé entre eux deux, et après M. Dupond il m’a conduit à… le truc là, qui me conduit à la maison ici. »
44Malgré l’opposition de l’enfant, qui oblige le référent à lui « courir après », et l’opposition de la mère et de son compagnon, ceux-ci finissent par accepter que le référent reconduise l’enfant au taxi qui le ramène dans sa famille d’accueil. Si Djason se dit satisfait de sa vie quotidienne en placement, il affirme néanmoins l’importance de sa place auprès de sa mère.
45À l’opposé, Anthony s’affilie clairement à sa famille d’accueil, en appelant ses parents d’accueil maman et papa. Il insiste en particulier sur le partage des activités quotidiennes, qu’il apprécie particulièrement : « J’aime bien aider maman, regarder la télé… aider à ranger les courses avec maman… faire ranger le lave vaisselle. ». C’est par le biais de ce partage quotidien des activités que se construit le sentiment de faire partie de la famille d’accueil. Le placement stable en famille d’accueil, même s’il occasionne parfois des tensions avec la famille d’origine, semble protecteur pour ces enfants.
46Un autre élément positif apparaît fortement dans leur discours : les relations avec les pairs, présentées comme valorisantes et investies. Ces relations ont été fréquemment évoquées par l’ensemble des enfants. Cette dimension semble centrale dans l’appréhension que l’ensemble des enfants rencontrés font de leur situation, et elle a sans aucun doute un impact important sur leur qualité de vie.
47Pour les enfants accueillis hors de leur famille, la grande majorité (5/7) sont scolarisés dans un cursus spécialisé, en institut médico-éducatif ou en classe pour l’inclusion scolaire (CLIS) [11]. Ils semblent particulièrement satisfaits de leur scolarité et de leurs relations avec leurs pairs. Ces enfants étaient très souvent stigmatisés auparavant en raison de leurs difficultés.
48Thomas explique ainsi sa satisfaction d’être scolarisé en IME : « Quand j’étais en classe à l’école ici en CP, j’avais pas de copains, tout le monde me frappait et je saignais. […] Ouais ça me soulage que je suis dans cette école ! » Il précise qu’il a de nombreux amis et raconte longuement les invitations dans la famille d’un copain proche.
49Djason, scolarisé en CLIS, explique quant à lui que le matin, il est pressé d’aller à l’école pour jouer avec les copains. Ainsi, ces enfants, qui ont connu des situations difficiles tant dans leur famille qu’avec leurs pairs, semblent avoir développé des stratégies de « faire face » qui leur permettent d’investir positivement des relations avec leurs camarades. La scolarité et les relations amicales pourraient fonctionner pour eux comme un refuge, leur donnant la possibilité de compenser des relations familiales plus difficiles.
Les enfants des groupes 2 et 3 : l’effet protecteur de la vie avec deux parents
50La proximité des résultats au questionnaire de qualité de vie entre les deux groupes d’enfants qui connaissent une situation similaire aujourd’hui (une vie dans un appartement stable avec deux parents) après une trajectoire différente (stabilité dès la sortie du centre maternel ou période de grande instabilité) est particulièrement intéressante au regard de notre interrogation sur le lien entre trajectoire et qualité de vie. Dans ces deux groupes, les enfants présentent en effet des scores de qualité de vie élevés. Ils rencontrent peu de difficultés scolaires et n’ont pas fait l’objet de mesures de protection de l’enfance.
51Le deuxième groupe est constitué de six enfants vivant avec deux parents (pour trois d’entre eux, il s’agit du père biologique), dans un logement stable, depuis la sortie du centre maternel. Leurs mères sont pour moitié des femmes migrantes, et pour moitié des mères accueillies avant l’âge de 21 ans. Les enfants vivant dans des familles recomposées ont des situations variées à l’égard de leur père biologique : contacts réguliers, épisodiques ou inexistants. Dans un cas, l’adoption de l’enfant par le nouveau compagnon de la mère est envisagée. Ces familles ont effectué des séjours longs en centre maternel, et ont été relogées dès la sortie (avec un système de bail glissant pour deux d’entre elles).
52Le troisième groupe comprend sept enfants qui ont aujourd’hui une vie stable avec deux parents, mais qui ont connu auparavant un parcours chaotique durant quelques années, tant sur le plan familial (ruptures conjugales) que résidentiel (vie en squat, en logement insalubre, en hébergement chez des tiers…). Quasiment toutes les mères des enfants de ce groupe ont été accueillies avant l’âge de 21 ans en centre maternel. L’histoire familiale de ces enfants entraîne des situations contrastées à l’égard de leur père biologique : deux enfants vivent aujourd’hui avec leur mère et leur père biologique, après avoir connu des beaux-pères ; les autres n’ont plus de contact avec leur père biologique depuis de nombreuses années et c’est le beau-père qui est alors investi comme figure paternelle. Les séjours en centre maternel ont été relativement longs, mais se sont souvent terminés par une exclusion suite au non-respect du règlement ou par une fuite de la mère qui ne supportait plus les contraintes de l’établissement. Cela explique en partie la précarité des conditions de sortie.
53La plupart des enfants de ces deux groupes évoquent des affects positifs pour parler de leurs parents, et détaillent avec plaisir les activités quotidiennes qu’ils aiment partager en famille. Ces enfants semblent d’ailleurs connaître une situation familiale suffisamment apaisée pour développer des questionnements ou des désaccords concernant leur éducation, ce qui n’est pas le cas dans les autres groupes. Ainsi, si les relations familiales sont très investies, les enfants peuvent parfois porter un regard critique sur leur vie familiale. Ils regrettent notamment un manque d’ouverture sur l’extérieur, et souhaiteraient plus de sorties, de découvertes en famille. Cette situation est parfois explicitement reliée par les enfants au manque de moyens matériels de la famille.
54D’autre part, les enfants de parents migrants évoquent des difficultés pour parler à leurs parents et contestent l’aspect trop contraignant de leur éducation. Ainsi, Mariama et Morgane, dont les mères sont originaires d’Afrique subsaharienne, mobilisent toutes deux le registre de la gêne pour évoquer leurs contacts avec leurs parents :
55« J’aime pas parler avec mes parents, parce que c’est un peu gênant… », « je suis pas vraiment tous les jours avec mon papa, donc je suis gênée, je sais pas pourquoi en fait, mais je suis gênée. »
56Chez ces jeunes filles, les sanctions et les demandes de participation à la vie domestique font l’objet de davantage de critiques que chez les autres enfants.
57« Ils sont trop derrière moi… C’est vrai que quand je serais grande je les remercierais, mais c’est vrai qu’ils sont trop derrière moi, Morgane, Morgane, Morgane, Morgane, des fois, je me bouche les oreilles parce que ça m’agace. […] Je me dis, c’est comme si j’étais la bonniche de la maison parce que je suis toujours à chercher quelque chose, alors que c’est même pas moi qui l’utilise, et cætera, c’est comme ça… Comme je suis la plus grande, c’est toujours Morgane Morgane Morgane Morgane Morgane, et des fois ça m’énerve, j’ai envie de partir de la maison. »
58Ces enfants se montrent ainsi les plus critiques sur les aspects contraignants de leur éducation, et font parfois le constat d’une sévérité plus grande à la maison qu’à l’école. Toutefois, cela n’empêche pas l’expression d’investissements affectifs forts.
59Enfin, les enfants du troisième groupe, qui ont connu une période d’instabilité résidentielle et familiale, relatent la difficulté à vivre dans des contextes de vie difficiles et peu sécurisants : les souvenirs de logements vétustes, d’expulsion de squat, d’hébergement chez des tiers sont évoqués, en se réjouissant qu’ils appartiennent désormais au passé. Si ces souvenirs ont manifestement marqué les enfants, leur qualité de vie quotidienne n’en paraît cependant pas affectée. La manière d’appréhender la trajectoire est reliée à la situation présente, l’expérience difficile ayant pu être assimilée et relativisée grâce à la situation positive vécue dans le présent.
60Ce n’est manifestement pas le cas des enfants du quatrième groupe, qui connaissent toujours ces conditions de vie, depuis de nombreuses années.
Les enfants du quatrième groupe : le vécu de conditions d’hébergement difficiles et l’impact de l’exposition à la violence conjugale
61Les enfants du quatrième groupe connaissent une très grande mobilité et une très grande précarité (habitats vétustes, centres d’hébergement, hôtels, squats…), depuis la sortie du centre maternel, six ou sept ans auparavant. Ces enfants présentent des scores de qualité de vie inférieurs à la moyenne. Ils vivent avec leur mère seule et dans la quasi-totalité des cas il s’agit d’une femme migrante. Elles se distinguent des femmes migrantes du deuxième groupe notamment par le choix du conjoint : alors que dans le deuxième groupe, les femmes se sont mises en couple avec des conjoints soutenants, les enfants du quatrième groupe ont presque tous été exposés à la violence conjugale de leur père biologique sur leur mère, avant mais aussi fréquemment après le séjour en centre maternel (cinq enfants sur six). Les relations avec le père sont variables (absence de contact ou au contraire contacts toujours très réguliers), et placent ces enfants dans une position difficile. Ces familles ont séjourné en centre maternel souvent jusqu’à la limite maximum de la durée de prise en charge et la sortie s’est effectuée dans des conditions matérielles précaires. Selon l’appréciation des mères, la moitié des enfants rencontre des difficultés scolaires, mais aucun n’a fait l’objet de mesures de protection de l’enfance.
62Deux éléments pèsent sur leur qualité de vie : la précarité des conditions de vie et le vécu des violences conjugales, qui génèrent tous deux un sentiment d’insécurité. Ainsi, Sadashivah a été témoin direct des violences de son père, alors qu’il était hébergé avec sa mère en CHRS : « En fait y a eu une bagarre avec lui et il a cassé le téléphone fixe. Ou sinon ma mère elle a pas voulu lui ouvrir la porte parce qu’il était trop bourré et tout, ben il a pris un caillou et il a cassé la vitre de la porte. Parce que ma mère elle était dans la chambre, après mon papa il est venu, et après y a eu une grosse dispute […] A ce moment-là ben on était un peu triste, comme… parce que ma mère aussi elle était en train de pleurer à cause de papa. » Il n’a plus envie de voir son père : « Il est méchant. Et il a menti. » Le vécu de ces situations de violence entretient un rapport aux adultes peu sécurisant.
63Les conditions d’hébergement difficiles peuvent contribuer à entretenir ce sentiment d’insécurité. Ainsi, dans les squats ou les centres d’hébergement, la cohabitation entre adultes et enfants hébergés peut provoquer des tensions entre les adultes et entre les enfants : « On n’arrêtait pas de frapper mes frères et sœurs, donc moi j’étais pas content, parce que je voulais pas qu’on frappe mes frères et sœurs… »
64L’expérience de Stéphanie synthétise l’ensemble des ressentis des enfants confrontés à ces conditions de vie. Elle a d’abord vécu en squat, où elle a ressenti le manque de confort et l’insécurité matérielle : « le squat était cassé, et ils ont volé toutes nos affaires. Moi j’ai pas beaucoup d’affaires et ma mère aussi, elle avait plein de trucs et moi aussi mais c’est tout perdu. » Par la suite, elle a été hébergée avec sa mère dans un appartement loué par une association pour accueillir deux familles. La cohabitation avec l’autre famille a mal tourné : « Y avait une fille qui avait le même âge que moi, on jouait ensemble, mais presque toujours on se battait ensemble, parce qu’elle m’embêtait, elle voulait mes trucs. Sa mère elle criait sur moi […] Et elle s’est battue avec ma mère, et ce jour ma mère elle avait saigné beaucoup. J’ai crié, j’ai pleuré, je croyais qu’ils allaient se faire mal, se blesser, prendre des couteaux… »
65Le vécu émotionnel des conditions de vie et de cohabitation est donc particulièrement important. Il confronte les enfants à la violence et à l’imprévisibilité des adultes et du monde qui les entoure, ce qui peut également réactiver le vécu de situations de violence.
66Ces conditions de vie difficiles ont également un impact sur la fréquentation scolaire, aux dires des enfants. Stéphanie, lors de sa période de vie en squat, a fréquemment manqué l’école : « Un jour on est parti chez quelqu’un loin, parce que le courant avait sauté, y avait plus de lumière, c’était tout noir dans le squat. On a dormi là-bas, et je suis partie en retard ce jour à l’école. Même on a dormi dehors un jour. »
67De la même façon, Chahinez a vécu dans plusieurs hôtels différents avec sa mère au cours des dernières années. Elles ont notamment été hébergées quelques mois par le 115 dans un hôtel situé dans une zone industrielle mal desservie, ce qui a eu des conséquences sur la scolarité de l’enfant : « Souvent à l’hôtel je vais pas à l’école, parce que y a pas de bus et c’est trop loin. »
68Les enfants qui rapportent ce type d’expérience rencontrent des difficultés scolaires importantes.
69Au-delà des résultats scolaires, ces trajectoires résidentielles instables entraînent des déménagements fréquents, qui fragilisent les liens amicaux noués par les enfants. Les changements d’école et la manière de se faire de nouveaux amis ont été fréquemment abordés dans ce groupe. Pour s’intégrer, les enfants citent spontanément les phénomènes de don et contre-don mis en évidence par Delalande (2001). Ils mettent également en avant l’importance de l’intervention des adultes pour favoriser leur intégration. Le rituel de présentation du nouveau au groupe fait peur, mais il facilite les relations ultérieures. Les enfants les plus habitués aux changements d’école pointent explicitement le rôle des adultes, et notamment des enseignants lors de ces phases de changements.
70Brandon compare ainsi son arrivée et celle de sa petite sœur dans leur nouvelle école, un mois auparavant. Lui a pu se faire facilement des copains dès le premier jour, contrairement à sa sœur : « Parce qu’en fait elle est en CP, donc quand elle arrive à l’école, y a personne qui vient vers elle. Parce que leur maîtresse elle a pas parlé de celle qui arrive, donc les enfants ils croient que c’est quelqu’un qui est déjà là. Que moi ma maîtresse elle avait déjà parlé aux enfants que j’allais arriver. Donc ils étaient tous devant la grille ! Ils étaient tous devant moi ! »
71De la même façon, Stéphanie, qui a connu de nombreux changements d’école et des relations difficiles avec ses pairs, exprime sa satisfaction quant à sa maîtresse et ses amis actuels : « Quand on est venus ici, c’était bien. J’ai eu plein d’amis, quand je suis partie à l’école, la maîtresse elle était gentille. Elle m’a dit “viens” avec des amis. Donc ici j’ai eu plein d’amis. »
72Les relations entre pairs, si importantes dans la qualité de vie quotidienne des enfants, ne sont pas ainsi déconnectées de l’intervention des adultes. Lorsque ceux-ci facilitent l’insertion des nouveaux arrivants auprès de leurs pairs, les enfants font alors l’expérience d’adultes qui leur permettent d’améliorer leur qualité de vie.
73En parallèle, ces enfants évoquent également des affects positifs pour parler de leur mère. Ils se positionnent souvent comme protecteurs de celle-ci, leurs projets d’avenir incluent la possibilité d’offrir à la mère une vie meilleure, sous la protection de l’enfant devenu adulte, mettant ainsi en évidence un phénomène de « parentification » [12] (Fortin et Lachance, 2011).
Les enfants du dernier groupe : vivre seul avec une mère en grande difficulté
74Le cinquième groupe est constitué de sept enfants vivant avec leur mère seule, dans un logement HLM stable depuis la sortie du centre maternel. Ce sont ces enfants qui présentent les scores de qualité de vie les plus faibles. S’ils connaissent une forte stabilité sur le plan résidentiel, ils vivent en général avec une mère issue d’une famille à problèmes multiples rencontrant de grandes difficultés. Ainsi, certaines de ces femmes présentent des problèmes psychiques ou d’addiction. Les enfants ont fréquemment été exposés à la violence conjugale. Une partie d’entre eux n’ont plus aucune relation avec leur père, d’autres entretiennent des contacts épisodiques. Comme les familles du deuxième groupe, le séjour en centre maternel a duré de deux à trois ans, avec l’obtention d’un logement dès la sortie dans la majorité des cas (avec un système de bail glissant pour trois familles). Ces enfants rencontrent des difficultés scolaires (plus de la moitié d’entre eux ont redoublé le cours préparatoire, l’un est scolarisé en milieu spécialisé) et la quasi-totalité d’entre eux a été suivie dans le cadre d’une mesure de milieu ouvert. On peut donc faire le constat que face à une situation familiale difficile, les mesures de protection en milieu ouvert ont eu un faible impact sur la qualité de vie. De la même manière, la stabilité résidentielle et scolaire les protège peu.
75Durant les entretiens, ces enfants ont eu des difficultés à s’exprimer sur leur vie de tous les jours. La plupart d’entre eux ont bien accepté le questionnaire AUQUEI, mais ils ont ensuite eu des réticences à s’engager dans l’entretien [13]. Leurs réponses aux questions ouvertes du questionnaire font état de difficultés dans leurs relations avec leurs pairs, puisque cinq d’entre eux ont rapporté des situations de coups ou de brimades à l’école, ce qui est beaucoup plus important que pour les autres groupes :
- « À l’école on me frappe et on m’étrangle » ;
- « on m’a baissé mon pantalon devant tout le monde au centre » ;
- « mes ennemis me frappent à l’école ».
Discussion
76Les scores de qualité de vie des enfants rencontrés dépendent manifestement davantage de leur situation au moment de l’enquête que de leur trajectoire antérieure. Les enfants qui connaissent une situation stabilisée, que ce soit dans une famille recomposée, avec leurs deux parents ou en famille d’accueil, ont des scores de qualité de vie supérieurs aux scores observés chez des enfants rencontrés dans d’autres recherches. À l’inverse, les enfants connaissant encore aujourd’hui une situation difficile, que ce soit sur le plan de l’hébergement ou en raison des difficultés personnelles de la mère obtiennent des scores nettement inférieurs.
77Il faut souligner que la majorité de ces enfants en difficulté a été exposée à la violence conjugale, qui peut entraîner des conséquences importantes sur le développement de l’enfant (Séverac, 2012). Il semble que ces situations soient insuffisamment repérées et traitées dans le cadre de la protection de l’enfance, l’impact sur les enfants de cette exposition étant souvent minimisé (Fréchon et al., 2011). Ainsi, dans la construction des parcours des familles après un accueil en centre maternel, les problématiques liées au choix du conjoint semblent aussi cruciales pour le devenir et la qualité de vie des enfants que l’accès à une trajectoire résidentielle stable, ces deux dimensions étant elles-mêmes en interaction.
78Finalement, l’impact de la trajectoire sur la qualité de vie pourrait se lire de deux façons complémentaires : si l’enfant est relativement protégé et que la situation difficile est derrière lui, il aura développé, en raison de sa trajectoire chaotique, des capacités de faire face et investi des domaines protecteurs, ce qui pourrait expliquer des scores de qualité de vie plus élevés. À l’inverse, si la situation d’adversité perdure et que l’enfant n’a pas de soutien relationnel suffisant, la qualité de vie présente s’en trouve affectée, l’enfant vivant encore à l’heure actuelle une situation d’insécurité, qu’elle soit matérielle ou relationnelle.
79Le choix que nous avons fait de prendre comme résultat la qualité de vie ne présage bien sûr pas du devenir ultérieur de ces enfants. En particulier, il faut souligner que la mesure de la qualité de vie n’est pas une mesure du développement de l’enfant. D’ailleurs, certains enfants présentant des retards de développement peuvent connaître une bonne qualité de vie (c’est le cas notamment d’enfants scolarisés en milieu spécialisé). À l’opposé, certains groupes d’enfants qui présentent une qualité de vie moindre que les autres pourraient faire l’objet d’attentions spécifiques, d’autant que ce ne sont pas toujours ceux qui sont considérés comme les plus vulnérables.
80Cela semble particulièrement important car si les enfants peuvent sans difficulté décrire finement les domaines de leur vie sources de satisfaction, les sources de difficultés sont par contre plus difficiles à aborder, en particulier lorsqu’il s’agit de difficultés familiales. L’intérêt de la mesure de qualité de vie est de prendre en compte le vécu des enfants qui ont davantage de mal à verbaliser leurs difficultés dans le cadre d’un entretien de recherche. Cette mesure de la qualité de vie est donc un outil qui permet d’attirer l’attention sur certains groupes d’enfants, afin d’imaginer des pistes pour les aider à vivre leur enfance plus sereinement.
81En effet, au moment de la sortie du centre maternel, on constate par exemple que les enfants de mères mineures au moment de l’accueil connaissent fréquemment des situations d’instabilité résidentielle et familiale. Néanmoins, leurs situations se stabilisent généralement quelques années plus tard et ils présentent alors une bonne qualité de vie. La situation de vulnérabilité, maximale dans leur prime enfance, semble s’estomper peu à peu. À l’inverse, les enfants de mères migrantes adultes, souvent moins suivis par les services sociaux, font face à des difficultés matérielles mais aussi à des questionnements éducatifs qui peuvent affecter leur qualité de vie.
82Parmi les enfants suivis en protection de l’enfance, les scores faibles de ceux qui ont été suivis en milieu ouvert sont particulièrement préoccupants. On retrouve ici un phénomène déjà observé par Robin (2010) lors d’entretiens avec des jeunes suivis en protection de l’enfance : les jeunes rencontrés se disent satisfaits de leur placement, qu’ils considèrent comme positif et aidant, à l’inverse des aides en milieu ouvert, qui sont considérées unanimement comme inutiles ou négatives. Peu ou pas de souvenirs subsistent de ces interventions, et ceux qui s’en souviennent pensent qu’elles n’ont pas fait évoluer leur situation. Ces aides en milieu ouvert sont perçues comme s’adressant surtout aux parents, et non aux enfants, contrairement au placement.
83Comment les enfants font-ils face à ces situations difficiles, qu’il s’agisse de placements en protection de l’enfance ou de conditions de vie matérielles peu sécurisantes ? La question de la compensation des dimensions de la qualité de vie semble avoir été peu explorée jusqu’à présent. Cependant, le discours des enfants laisse présager qu’une satisfaction importante dans un domaine pourrait « compenser » une satisfaction moindre sur d’autres axes. Ainsi, des affects positifs dans le milieu familial pourraient permettre de préserver la qualité de vie d’enfants confrontés à des conditions matérielles difficiles. Certains enfants qui ont paru en difficulté sur le plan familial peuvent néanmoins présenter de bons scores de qualité de vie et être épanouis dans leurs relations avec leurs pairs, ce qui pourrait alors agir comme un facteur de protection important.
84Tous les enfants rencontrés mettent en avant l’importance de leurs relations avec leurs pairs dans leur évaluation subjective de leur qualité de vie. Cet aspect est sans doute insuffisamment pris en compte par les adultes, qui de plus estiment souvent ne pas avoir à intervenir dans ces relations entre enfants. Pourtant, le témoignage des enfants confrontés à de nombreuses situations de changements montre que les adultes ont un rôle important à jouer pour favoriser l’intégration de ces enfants auprès de leurs pairs, notamment dans le contexte scolaire. Ils peuvent alors faire l’expérience d’un soutien des adultes, et de relations positives avec autrui.
Conclusion
85Les enfants qui présentent les scores les plus élevés de qualité de vie six à sept années après l’accueil en centre maternel sont finalement les enfants qui ont connu une certaine stabilité de leur contexte de vie soit avec un couple parental stable, soit en famille d’accueil. Il semble exister une forme de compensation entre différents domaines de la qualité de vie, mais si les dimensions relationnelles peuvent être un facteur protecteur face aux conditions matérielles, l’inverse ne se vérifie pas. Une dimension relationnelle pourrait par contre jouer un rôle protecteur lorsqu’une autre dimension est mise à mal. C’est notamment le cas des relations avec les pairs, particulièrement importantes pour la qualité de vie quotidienne des enfants.
86Les pistes de soutien pour les enfants les plus en difficulté devraient se décliner sur plusieurs axes. En premier lieu, favoriser l’insertion de ces enfants auprès de leurs pairs pourrait constituer un facteur de protection important. Il est donc nécessaire de penser davantage l’accueil des enfants confrontés à des situations difficiles afin de favoriser les articulations lors des moments de changements, notamment au sein de l’institution scolaire. En parallèle, il serait intéressant d’intégrer la prise en compte de la qualité de vie des enfants dans les interventions socio-éducatives (notamment pour les interventions en milieu ouvert). Enfin, de manière plus globale, c’est la stabilité et la continuité des parcours de vie des enfants qu’il convient de favoriser.
Notes
-
[*]
Doctorante à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense (CREF, équipe Éducation familiale et interventions sociales auprès des familles).
-
[1]
L’Aide sociale à l’enfance est l’administration chargée de prendre en charge les enfants dont les parents ou les titulaires de l’autorité parentale sont disparus ou défaillants. Depuis 1982, elle constitue une compétence des conseils généraux. L’Aide sociale à l’enfance a cinq missions : apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs, à leurs familles, aux mineurs émancipés et aux majeurs de moins de 21 ans confrontés à des difficultés familiales importantes ; organiser des actions pour prévenir la marginalisation, faciliter l’insertion ou la promotion sociale des jeunes et de leurs familles ; prévenir les mauvais traitements à l’égard des mineurs ; répondre à l’urgence pour la protection des mineurs ; orienter et prendre en charge les mineurs qui lui sont confiés. Elle dispose pour remplir ces missions de quatre moyens d’action : les aides financières, les aides à domicile, l’accueil des enfants placés sur demande des parents ou du juge, et l’accueil temporaire des femmes enceintes et jeunes mères isolées.
-
[2]
Cette recherche a bénéficié du soutien de l’Observatoire national de l’enfance en danger, dans le cadre de son appel d’offres ouvert en 2008.
-
[3]
La méthode rétrospective consiste à observer le passé d’une population vivant un événement commun dans le présent (ex : les parents d’enfants placés ont-ils été eux-mêmes placés ?). À l’inverse, la démarche prospective consiste à observer le devenir de l’ensemble d’une population ayant vécu un événement commun dans le passé (ex : les anciens enfants placés, une fois devenus adultes, auront-ils eux-mêmes des enfants placés ?). Elle peut être mise en place de deux façons : soit en suivant durant plusieurs années la population enquêtée (on parle alors de méthode longitudinale), soit en cherchant à retrouver, plusieurs années après une intervention, la population d’enquête (méthodes biographiques ou catamnestiques, c’est-à-dire recueil de données après l’événement étudié) (Fréchon et Dumaret, 2008).
-
[4]
D’autres dimensions envisagées, à savoir l’insertion professionnelle de la mère, la scolarité de l’enfant, la santé et l’évolution de la situation familiale n’ont pas pu être exploitées du fait de l’hétérogénéité des informations présentes dans les dossiers, constat classiquement fait par l’ensemble des auteurs travaillant sur ce type de sources.
-
[5]
Pour une présentation complète des résultats de la phase quantitative, voir Ganne et Bergonnier-Dupuy, 2011 et 2012.
-
[6]
Le concept de « familles à problèmes multiples » (en anglais multi-problem families) utilisé depuis les années 1950 désigne des familles appartenant à une classe sociale défavorisée et confrontées à des situations associées comme le chômage, les mauvaises conditions de logement, des troubles psychologiques, des maladies physiques ou des handicaps. Ces familles sont, pour la plupart, connues par plusieurs équipes sociales, judiciaires, médico-psychologiques, mais ces suivis se heurtent souvent à des échecs, des crises à répétition, ce qui confronte les familles et les professionnels à un sentiment d’impuissance à faire évoluer la situation. (Stoleru et Morales-Huet, 1989, p. 11-12 ; Cook-Darzens, 2007). D’autres appellations voisines sont parfois employées : familles précaires, familles à multiproblèmes, en grandes difficultés, en détresse… (Durning, à paraître).
-
[7]
Cette variation importante peut s’expliquer par une différence de public (la proportion de femmes issues de familles à problèmes multiples étant notamment plus importante dans un des départements), mais sans doute également par des pratiques départementales qui attachent une importance plus ou moins grande à la stabilité des conditions de vie de l’enfant.
-
[8]
Maintien de l’enfant dans sa famille, avec intervention d’un éducateur à domicile, soit sur décision du juge des enfants (il s’agit alors d’une mesure d’action éducative en milieu ouvert), soit dans un cadre contractuel entre l’ASE et la famille (on parle alors souvent d’aide éducative à domicile). Dans le cadre de notre recherche, il s’agissait majoritairement de mesures ordonnées par le juge des enfants.
-
[9]
Il manque en fait les situations des enfants placés en début de parcours et retournés ensuite au domicile de la mère, ainsi que les enfants connaissant une alternance de mesures de placement et suivis en milieu ouvert. Du fait de cette expérience difficile, ces mères ont manifesté davantage de réticences que les autres pour accepter l’entretien avec l’enfant. Les mères d’enfants connaissant un placement long ont par contre accepté l’entrevue avec l’enfant dans les mêmes proportions que les mères d’enfants non placés.
-
[10]
Les prénoms des enfants ont été modifiés.
-
[11]
Classes implantées dans les écoles élémentaires accueillant les élèves porteurs de handicap et proposant un enseignement adapté et individualisé, en articulation avec la fréquentation d’une classe ordinaire.
-
[12]
C’est-à-dire l’inversion des rôles parents enfants.
-
[13]
Il est vrai que les conditions de passation (au domicile de la famille) ne favorisaient pas l’expression sur les difficultés familiales.