CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1La durée moyenne des études en France a fortement progressé jusqu’au milieu des années 1990, avant de se stabiliser et même de se réduire depuis le début des années 2000. Dans le même temps, malgré d’importantes variations conjoncturelles, le chômage des 15-29 ans est resté très élevé depuis le début des années 1980, dépassant les 15 % au milieu des années 1980, 1990 et 2000. De ce fait, les premières acquisitions de droits à pension sont plus tardives pour les jeunes générations et les rythmes d’accumulation plus lents en début de carrière. Dans un contexte d’allongement de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein (réformes de 1993 et de 2003), ces facteurs conduisent potentiellement à des âges de départ à la retraite plus élevés pour les jeunes générations, même si les écarts entre générations sont susceptibles d’être réduits en raison de la possibilité de valider 4 trimestres de chômage non indemnisé avant toute période indemnisée (la réforme de 2010 prévoit le passage à 6 trimestres), et donc en début de carrière.

2Cet article se propose dans un premier temps de faire le point sur l’évolution au fil des générations de l’acquisition des droits à pension en début de carrière, en insistant en particulier sur les dates de première acquisition, sur les trajectoires avant 30 ans et sur la nature des droits acquis. Il vise en outre, dans un deuxième temps, à apporter un éclairage nouveau sur l’hétérogénéité dans les débuts de carrière, afin d’ajouter une dimension transversale à la dimension longitudinale étudiée en premier lieu. De nombreux travaux ont en effet montré que le déroulement de la carrière ultérieure était largement marqué par les caractéristiques du premier emploi et, plus largement, par les conditions de l’insertion sur le marché du travail. Le Minez et Roux (2002) montrent notamment sur données françaises que certaines différences initiales dans les caractéristiques du premier emploi persistent au fil de la carrière. Ainsi, l’article s’attache à comparer, au sein des différentes générations et entre les générations, les débuts de carrière, les conditions d’insertion et les droits acquis en fonction, en particulier, de la qualification et du diplôme.

3Il s’appuie sur l’échantillon interrégimes de cotisants de 2005 (EIC 2005) de la DREES qui rassemble l’ensemble des informations nécessaires au calcul futur des droits à pension et permet ainsi de retracer le rythme d’acquisition de ces droits, tel qu’il est connu par les caisses de retraite au moment de la collecte. Ces données constituent donc l’outil idéal pour étudier l’évolution des débuts de carrière sous l’angle des droits à pension.

4La nature des données utilisées dans cet article permet en fait d’établir un panorama plus large que ceux de la plupart des études existantes sur la situation en début de carrière des jeunes générations, soit parce que les données précédemment utilisées étaient restreintes à un champ particulier, celui des salariés du privé en emploi, ignorant les états en dehors du champ d’observation (Koubi, 2003 ; Le Minez et Roux, 2002), soit parce que les données retenues ne permettaient qu’une approche non par génération mais par cohorte de sortie du système scolaire (par exemple, Lebeaux, 2004), soit encore parce qu’il s’agissait de données en coupe ou de panels très courts comme les données des enquêtes Emploi de l’INSEE (Magnac, 2000 ; Mainguené et Martinelli, 2010). L’étude de Koubi (2003), qui utilise le panel des DADS (déclarations annuelles de données sociales), est ainsi restreint aux salariés du privé ; en outre, ces données ne permettent pas de qualifier l’état des personnes absentes une année donnée du panel : au chômage, inactives ou employées dans un autre secteur. Le principal intérêt du panel DADS, outre qu’il s’agit de données administratives et donc non sujettes à des biais de mémoire, ce qui est important s’agissant de panels longs, réside dans le fait qu’il autorise la comparaison de nombreuses cohortes, ce qui permet en particulier à Koubi de séparer les effets de cohorte des effets d’âge. Les données de l’enquête Génération 1998 du CÉREQ [1] utilisée par Lebeaux (2004) suivent la cohorte des personnes sorties du système scolaire en 1998. Ces données présentent l’avantage de collecter des informations précises sur la scolarité et la carrière des sortants qui sont interrogés à plusieurs reprises après leur sortie du système scolaire. Il s’agit donc de panels, pour l’instant relativement courts, mais la structure même de l’enquête ne permet pas de comparer les différentes générations. Enfin, les études basées sur l’enquête Emploi reposent de fait sur des panels très courts, surtout depuis la création de l’enquête Emploi en continu (dix-huit mois). Les enquêtes Emploi ne permettent en outre pas une comparaison facile des cohortes sur longue période. En contrepartie, elles sont très riches en informations concernant tout ce qui ne caractérise pas directement la carrière, en particulier l’environnement familial et les revenus.

5Les données de l’EIC utilisées ici pour l’analyse présentent donc des avantages certains par rapport à ces différentes sources, en ce qu’elles permettent une description fine et exhaustive des carrières professionnelles et des occupations des personnes sur une longue période, et à ce titre autorisent la comparaison entre générations. Du point de vue des objectifs de l’article, elles permettent aussi de relier la trajectoire de début de carrière à l’acquisition des droits à pension. L’inconvénient principal est que, comme dans la plupart des sources administratives, les variables sociodémographiques sont peu nombreuses. En ce sens, l’appariement, sur un nombre réduit de variables, avec l’échantillon démographique permanent (EDP) enrichit utilement l’EIC, puisqu’il permet de connaître le diplôme (issu du recensement de 1999) et les différents événements de la vie familiale (unions, naissances) (cf. encadré). Toutefois, les données de l’EIC reposent sur les fichiers de gestion des régimes de retraite. Or, certains droits ne seront connus et intégrés qu’au moment de la liquidation de la retraite, tandis que d’autres, comme les validations des périodes de chômage non indemnisé, en particulier en début de carrière, ne figurent pas encore systématiquement dans les fichiers. Ces éléments conduisent à surestimer l’âge de première validation et à sous-estimer les droits acquis en début de carrière. Dans la mesure où les jeunes générations ont connu plus fréquemment des difficultés d’insertion, elles sont probablement plus souvent concernées par ces biais que leurs aînées.

Encadré. Les échantillons interrégimes de cotisants de la DREES : un outil indispensable pour suivre l’accumulation des droits des futurs retraités

L’article repose sur les données de l’échantillon interrégimes de cotisants (EIC 2005) collectées par la DREES et appariées avec celles des échantillons interrégimes de retraités collectées par la DREES, du panel DADS (déclaration annuelle de données sociales) établi par l’INSEE, du fichier national des ASSEDIC (FNA), ainsi que, pour environ 40 % des individus, avec l’échantillon démographique permanent.
Les données de l’EIC recueillies auprès des différents régimes de retraite regroupent les droits acquis chaque année et les différents éléments nécessaires au calcul de la pension de retraite future, pour les individus d’une génération sur quatre, de la génération 1934 à la génération 1974, nés les dix premiers jours du mois d’octobre. Cette base de données permet donc d’analyser l’évolution des carrières des différentes générations du point de vue du système de retraite. Les personnes sont suivies jusqu’à leur décès. Dès leur départ à la retraite, elles figurent aussi dans les échantillons interrégimes de retraités.
L’EIC 2005 repose sur les fichiers de gestion des régimes de retraite. Certains droits ne seront connus ou totalement connus qu’au moment de la liquidation de la retraite et ne figurent donc pas intégralement dans les données utilisées, il s’agit :
  • des majorations de durée d’assurance accordées aux mères et des validations au titre du service militaire qui ne sont intégrées dans les bases qu’au moment de la liquidation ;
  • des trimestres rachetés (au titre des études, de périodes antérieures à l’obligation d’affiliation ou de périodes d’activité en tant que conjoint collaborateur ou aide familial agricole, notamment). Ces rachats peuvent intervenir à n’importe quel moment de la carrière et ne sont donc connus avec certitude qu’au moment de la liquidation. C’est aussi le cas des périodes d’emploi à l’étranger ;
  • de certaines périodes de chômage non indemnisé. En particulier, l’assuré a la possibilité de valider une période de chômage non indemnisé dans la limite d’un an (la loi de 2010 prévoit le passage à 6 trimestres) – s’il n’a pas obtenu auparavant la validation d’une période de chômage non indemnisé suivant une période de chômage indemnisé – ainsi que d’éventuelles régularisations de carrière (surtout pour les générations les plus anciennes).
Celles-ci peuvent aussi manquer dans les fichiers annuels des caisses de retraite, ainsi que l’a montré la possibilité ouverte par la loi d’août 2003 de partir à la retraite de façon anticipée au titre d’une carrière longue, notamment au régime général (CNAV, 2008) et à la Mutualité sociale agricole (MSA). Parmi ces périodes, on peut mentionner les périodes d’apprentissage non rémunérées, ou encore les périodes d’activité en tant que conjoint collaborateur des indépendants ou aide familial mineur (DSS, 2007). Certaines informations complémentaires sont toutefois apportées par les DADS et le fichier national des ASSEDIC, en particulier une partie des périodes de chômage non indemnisé.
De ce fait, les carrières sont partiellement incomplètes, et ces différents facteurs conduisent à surestimer les âges de première validation d’un trimestre et d’une année complète, et, en contrepartie, à sous-estimer le nombre de trimestres validés avant 30 ans.
Pour cette raison, on se limitera aux générations 1950 à 1974, les générations plus anciennes paraissant plus sujettes aux défauts de collecte en début de carrière, même si, pour ces générations, la connaissance des conditions de départ à la retraite, en particulier le nombre de trimestres validés, permet de les combler en partie. Certaines informations restent toutefois inconnues au moment de la collecte des données, en particulier les trimestres validés au titre du service militaire et les majorations de durée d’assurance.

6Les deux premières parties de l’article sont consacrées à l’évolution au fil des générations, d’une part, de l’âge de première validation d’un trimestre et, d’autre part, des trajectoires de début de carrière. Elles montrent que l’entrée dans la vie active est à la fois plus tardive du fait de l’allongement de la durée des études et plus progressive en raison de la croissance des difficultés d’insertion résultant de la montée du chômage. Ensuite sont présentées les conséquences de ces évolutions en termes de droits acquis à 30 ans qui se réduisent en moyenne au fil des générations. Cette évolution moyenne recouvre cependant des évolutions différenciées entre hommes et femmes et selon les catégories sociales. En conclusion, quelques éléments prospectifs sont présentés, montrant notamment que la situation à 30 ans détermine en partie l’accumulation ultérieure des droits à pension.

L’âge moyen de début d’accumulation de droits à la retraite a constamment reculé au fil des générations

7Du fait des réformes mises en œuvre depuis 1993, les personnes aujourd’hui en activité devront valider un nombre de trimestres plus élevé que leurs aînées afin d’obtenir une retraite complète. L’âge de première validation constitue, en conséquence, plus encore que par le passé, un paramètre très important dans la détermination de l’âge de départ à la retraite. On montre que l’âge de première validation a constamment crû au fil des générations, et ce quels que soient le diplôme ou la catégorie socioprofessionnelle (CSP). Cette augmentation s’est, en outre, accompagnée d’une certaine convergence entre les différentes CSP même si les écarts au sein des différentes générations ne se sont pas intégralement résorbés.

Des âges de première validation en constante augmentation et une concentration croissante entre 18 et 21 ans

8Le taux d’activité des hommes [2] entre 15 et 29 ans a diminué entre 1975 (générations 1946 à 1960) et 1995 (générations 1966 à 1980). Il est ensuite resté quasiment stable entre 1995 et 2007, avec même une légère remontée pour les 15-19 ans. Les évolutions sont identiques pour les femmes de 15 à 24 ans. En revanche, le taux d’activité des femmes de 25-29 ans a augmenté entre 1975 et le début des années 1990, avant de se stabiliser.

9De ce fait, l’âge de début d’accumulation des droits à pension a reculé au fil des générations. Ainsi, entre la génération 1950 et la génération 1974, l’âge de première validation d’un trimestre pour les personnes ayant validé au moins un trimestre à 30 ans [3] ou avant croît de près de trois ans, tant pour les hommes que pour les femmes, passant, pour les hommes, de 18,1 à 21,0 ans et de 18,6 à 21,3 ans pour les femmes (cf. graphique 1). L’écart entre les hommes et les femmes diminue très légèrement, mais reste stable entre 0,3 et 0,4 an à partir de la génération 1954. L’âge de première validation d’une année complète s’accroît quant à lui de 3,6 ans pour les femmes et de 3,9 ans pour les hommes entre les générations 1950 et 1974, les différences entre hommes et femmes devenant négligeables dès la génération 1958.

Graphique 1

Graphique 1

Graphique 1

Âge de première validation et de première validation de 4 trimestres selon la génération
N.B. • Validations enregistrées dans les fichiers de gestion des régimes de retraite.
CHAMP • Distribution : personnes échantillonnées dans l’EIC. Les personnes qui ne sont observées dans aucun des fichiers des différentes caisses de retraite sont regroupées dans la catégorie « Inconnu ».
Moyenne : personnes échantillonnées dans l’EIC ayant validé au moins un trimestre à 31 ans ou avant.
SOURCES • EIC 2005.

10Le graphique 1 met aussi en évidence une césure entre la génération 1950 et les suivantes due aux effets de la loi de 1959 portant à 16 ans l’âge de la scolarité obligatoire et qui concerne toutes les générations à partir de la génération née en 1953. À partir de la génération 1954, les validations avant 16 ans deviennent négligeables et la part des premières validations avant l’âge de 18 ans recule constamment passant d’environ 40 % pour la génération 1950 à 7 % pour la génération 1974, au bénéfice, dans un premier temps, des validations à 18 et 19 ans, puis à 20 ou 21 ans.

11Ces évolutions traduisent en partie les effets de l’accroissement de l’âge moyen de fin d’études. La durée des études a, en effet, continûment augmenté jusqu’au milieu des années 1990, l’espérance de scolarisation s’accroissant de près de deux ans entre le milieu des années 1980 et le milieu des années 1990, avant de reculer légèrement entre 1997 et 2001 puis de se stabiliser (Minni, 2009 ; Bontout et Brun, 2009).

12Le lien entre l’âge de fin d’études et le début d’acquisition des droits à pension est toutefois complexe, puisque, d’une part, l’âge plus tardif de fin d’études semble s’être accompagné d’un développement du cumul entre l’emploi et les études (Coudin et Tavan, 2008), en particulier chez les plus diplômés, et que, d’autre part, de nombreux jeunes, notamment parmi les moins diplômés, ont rencontré des difficultés croissantes à obtenir un emploi après avoir quitté le système scolaire et donc à acquérir des droits.

L’âge de première validation a crû quel que soit le diplôme obtenu

13Malgré son développement récent, le cumul d’un emploi et des études reste relativement peu fréquent. La première cause du recul de l’âge de première validation est donc le recul de l’âge de fin d’études. Mais les données, du moins pour les personnes nées en métropole, mettent en évidence que ce n’est pas la seule raison : l’âge de première validation recule, quel que soit le niveau de diplôme obtenu, tant pour les hommes que pour les femmes [4]. Combiné à l’accroissement moyen du niveau d’études pour toutes les catégories socioprofessionnelles ainsi qu’aux difficultés croissantes d’insertion rencontrées par les sortants du système scolaire, cela conduit à une augmentation de l’âge de première validation pour toutes les CSP.

14L’accroissement de l’âge de première validation est certes dû à un effet de composition, du fait de l’allongement de la durée des études. Par exemple, parmi les personnes nées en métropole et ayant validé au moins un trimestre avant 30 ans, la part de celles ayant obtenu au moins un DEUG est passée de 16,4 % pour les hommes et les femmes nés en 1950 à 27,6 % pour les hommes et 38,9 % pour les femmes pour la génération 1974 (à 25 ans) [5]. Néanmoins, l’âge de première validation augmente en moyenne quel que soit le diplôme obtenu, même si l’accroissement est plus limité pour les diplômes supérieurs (cf. tableau 1). Ainsi, parmi les personnes n’ayant aucun diplôme en 1999, l’âge de première validation s’est accru de 3,1 ans pour les hommes et de 2,5 ans pour les femmes ; il a augmenté de 2,4 ans pour les hommes titulaires d’un CAP (2,0 ans pour les femmes), de 1,9 an pour les hommes titulaires d’un bac général (1,6 an pour les femmes), et 1,5 an pour les hommes titulaires d’un diplôme universitaire supérieur au DEUG (0,7 an pour les femmes). L’accroissement relatif est ainsi d’autant plus faible que le niveau de diplôme est élevé et, à diplôme donné, est pratiquement toujours plus élevé pour les hommes que pour les femmes.

Tableau 1

Âge moyen de première validation selon la génération, le sexe et le dernier diplôme obtenu (en 1999)

Tableau 1
Hommes Femmes 1950 1962 1974 Variation 50/74 1950 1962 1974 Variation 50/74 Aucun 16,4 18,0 19,5 3,1 17,1 18,6 19,6 2,5 CEP 16,4 18,1 19,1 2,8 16,5 18,2 19,8 3,3 BEPC, brevet 18,0 18,6 20,2 2,2 18,3 18,7 19,8 1,5 CAP 16,5 17,9 18,9 2,4 17,4 18,5 19,4 2,0 BEP 17,5 18,7 19,6 2,2 18,1 18,7 20,0 1,8 Bac général 19,5 19,7 21,3 1,9 19,7 19,8 21,3 1,6 Bac technique et pro 18,2 18,7 20,3 2,1 18,8 19 20,7 2,0 DEuG 19,0 19,4 20,8 1,8 19,8 20,1 21,1 1,3 Bac + 3 et plus 20,1 20,5 21,5 1,5 21,0 20,5 21,7 0,7 non renseigné 17,3 18,7 20,4 3,1 17,8 19,3 21,0 3,2 total 17,4 18,7 20,3 2,9 18,0 19,1 20,8 2,8

Âge moyen de première validation selon la génération, le sexe et le dernier diplôme obtenu (en 1999)

N.B. • Validations enregistrées dans les fichiers de gestion des régimes de retraite.
CHAMP • Personnes échantillonnées dans l’EIC et dans l’échantillon démographique permanent (EDP), nées en métropole, et ayant validé un trimestre à 30 ans ou avant.
SOURCES • EIC 2005.

15Pour les diplômes supérieurs au baccalauréat, il y a certes des effets d’insertion, qui peut être plus difficile pour les jeunes générations, mais aussi, potentiellement, l’effet des redoublements (à l’université) et des effets de composition dans la dernière tranche qui comprend tous les diplômes au moins bac + 3. Pour les moins diplômés, l’accroissement de l’âge de première validation est essentiellement dû à des difficultés croissantes d’insertion, puisque l’on raisonne à diplôme donné [6].

Une certaine convergence des âges de première validation entre les différentes catégories socioprofessionnelles…

16L’âge de première validation a donc augmenté quel que soit le diplôme obtenu. De ce fait, il a aussi augmenté au fil des générations, tant pour les hommes que pour les femmes, quelle que soit la situation à 30 ans (occupation ou type d’emploi, cf. Rapoport, 2009). Les âges de première validation selon la situation à 30 ans se sont, en outre, rapprochés. Cette convergence est particulièrement nette pour les personnes cotisant au titre de l’emploi au régime général à l’âge de 30 ans (on exclut donc ici les personnes dont les cotisations à l’âge de 30 ans sont acquises uniquement au titre de l’allocation vieillesse des parents au foyer – AVPF). En effet, pour les hommes, l’écart entre cadres et ouvriers est passé de 2,5 années pour la génération 1950 à 1,1 an pour la génération 1974 (cf. graphique 2a) ; pour les femmes, il est passé de 2,9 ans à 0,1 an entre cadres et ouvrières et de 2,0 ans à 0,5 an entre les cadres et les employées (cf. graphique 2b).

Graphiques 2A et 2B

Graphiques 2A et 2B

Graphiques 2A et 2B

Âge moyen de première validation des salariés du privé et des non-titulaires des fonctions publiques selon la génération et la CSP à 30 ans et le sexe
N.B. • Validations enregistrées dans les fichiers de gestion des régimes de retraite.
CHAMP • Personnes échantillonnées dans l’EIC, nées en métropole, dans les DOM et à l’étranger, ayant validé un trimestre à 30 ans ou avant et cotisant au titre de l’emploi au régime général à 30 ans.
SOURCES • EIC 2005.

… qui ne réduit toutefois pas l’intégralité des écarts au sein d’une même génération

17Lorsque l’on classe les personnes selon leur niveau de salaire à 30 ans, on constate toutefois pour chaque génération des écarts sensibles dans les âges de première validation selon le décile de salaire auquel elles appartiennent, les déciles étant calculés pour l’ensemble de la population concernée, hommes et femmes confondus (Rapoport, 2011, graphiques 3a et 3b). À partir de la génération 1950, tant pour les hommes que pour les femmes, et ce quel que soit le décile, l’âge de première validation croît avec la génération, à décile donné. Au sein des générations, toutes les courbes présentent une forme en U, même si les profils sont plus plats pour les femmes, particulièrement pour les générations les plus jeunes. Elles décroissent pour les cinq premiers déciles avant de se stabiliser et d’augmenter à nouveau entre le huitième et le dernier décile. Cela suggère que l’on trouve parmi les personnes qui valident relativement tardivement pour la première fois des personnes à haut salaire qui ont commencé à valider tardivement, en raison de longues études, et des personnes à faible salaire dont l’insertion a été assez difficile. Les courbes tracées sur l’ensemble des assurés montrent que les courbes en U sont asymétriques : les âges de première validation sont plus élevés pour les bas déciles que pour les plus élevés. Cela est dû au taux plus élevé dans les premiers déciles de personnes nées à l’étranger ou dans les DOM (Rapoport, 2011, tableau 3) qui ont potentiellement des âges de première validation plus tardifs puisque seules les acquisitions de droits en France sont connues, mais aussi souvent des revenus plus faibles étant, en moyenne, moins diplômées et pouvant aussi connaître des difficultés d’insertion plus grandes. Les premiers déciles sont aussi très marqués par la présence féminine, mais de moins en moins au fil des générations. En revanche, la part des cadres a nettement augmenté dans les derniers déciles au détriment des ouvriers.

18Remarquons que, pour les personnes nées en métropole, l’accroissement au fil des générations de l’âge de première validation est plus marqué pour les premiers déciles que pour les derniers. En effet, pour les hommes, il a crû de 3,1 ans pour le premier décile, 3,5 ans pour le cinquième, mais seulement 2,3 ans pour le dernier, ce qui traduit une certaine convergence entre déciles. La convergence est encore plus marquée pour les femmes.

Une entrée dans la vie active de plus en plus progressive

19Au cours de la période étudiée (1965-2005), les difficultés d’insertion croissantes des moins de 30 ans n’ont pas eu pour seule conséquence de faire reculer l’âge de première validation, elles ont aussi transformé les trajectoires de début de carrière et ainsi modifié la nature des trimestres validés. La deuxième partie de l’étude est consacrée à ce sujet. Nous y montrons en particulier que les difficultés d’insertion croissantes des jeunes, notamment des moins qualifiés, ont accru la part des trajectoires avec chômage au détriment des trajectoires avec emploi. Ces évolutions s’accompagnent du développement de formes particulières d’emploi (contrats aidés, intérim, CDD) à l’œuvre depuis le début des années 1980 signalant une instabilité croissante, en particulier chez les moins diplômés (Givord, 2005).

Des âges de premier report et de premières validations qui coïncident de moins en moins

20Une première façon d’appréhender du point de vue de la retraite l’évolution de l’insertion sur le marché du travail consiste à comparer les âges de premier report, de première validation d’un trimestre [7] et de première validation d’une année complète (4 trimestres) au cours d’une même année. Pour la génération 1950, plus de 40 % des premiers reports se sont traduits par une validation de 4 trimestres, et 80 % des premiers reports par la validation d’au moins un trimestre (cf. tableau 2). Ces proportions ne sont plus que de 13 % et 47 % pour la génération 1974. En revanche, 37 % de la génération 1974 connaît un premier report sans validation de trimestre, puis une première validation d’un trimestre et enfin une première validation de 4 trimestres au cours d’une même année. La première validation est une validation de 4 trimestres pour 53 % de la génération 1950 (lignes 1 et 3 du tableau), mais seulement pour 30 % de la génération 1974. On peut estimer que les écarts entre générations seraient potentiellement plus faibles si l’on intégrait les validations de début de carrière au titre du chômage non indemnisé, pour l’instant absentes des fichiers de gestion des régimes.

Tableau 2

Comparaison des âges de premier report, de première validation d’un trimestre et de première validation de 4 trimestres au cours d’une même année

Tableau 2
1950 1954 1958 1962 1966 1970 1974 âge de 1er report = âge de 1re validation = âge de 1re validation 4 trimestres 42 % 38 % 28 % 24 % 19 % 14 % 13 % âge de 1er report = âge de 1re validation < âge de 1re validation 4 trimestres 38 % 40 % 41 % 39 % 38 % 37 % 34 % âge de 1er report < âge de 1re validation = âge de 1re validation 4 trimestres 11 % 11 % 12 % 16 % 16 % 16 % 17 % âge de 1er report < âge de 1re validation < âge de 1re validation 4 trimestres 8 % 11 % 18 % 22 % 28 % 33 % 37 % total 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 %

Comparaison des âges de premier report, de première validation d’un trimestre et de première validation de 4 trimestres au cours d’une même année

N.B. • Validations enregistrées dans les fichiers de gestion des régimes de retraite.
CHAMP • Personnes échantillonnées dans l’EIC ayant au moins un premier report à 30 ans ou avant.
LECTURE • 33 % des personnes nées en 1970 et ayant eu un premier report à 30 ans ou avant ont eu successivement un premier report ne validant pas, puis une première validation de moins de 4 trimestres, puis une validation de 4 trimestres au cours d’une même année, chacun de ces événements ayant lieu à des âges différents.
SOURCES • EIC 2005.

21De ce fait, l’écart moyen entre l’âge à la première validation et l’âge à la première validation d’une année complète s’est nettement accru au fil des générations, passant de 1,1 an pour la génération 1970 à 1,9 an pour la génération 1974 pour les personnes ayant validé avant 31 ans. Ainsi, les débuts de carrière paraissent, en moyenne, de plus en plus progressifs.

Des trajectoires de début de carrière plus heurtées

22Une deuxième façon de mesurer les difficultés croissantes d’insertion au fil des générations est d’examiner l’évolution des trajectoires en début de carrière et de s’intéresser à la survenue de certains événements, comme le chômage.

Un accroissement de la part des trajectoires avec chômage au détriment des trajectoires avec emploi seulement

23Les trajectoires où l’emploi est continûment l’état principal [8] (« trajectoires d’emploi continu » dans la suite) ont très nettement régressé au sein de l’ensemble du champ échantillonné dans l’EIC. De 40,6 % pour la génération 1950, elles sont passées à 19,8 % pour la génération 1966 avant de remonter un peu pour les générations suivantes. Le recul est beaucoup plus net pour les hommes (21 points de pourcentage) que pour les femmes (5 points), en raison, à la fois, de la participation croissante des femmes au marché du travail et parce que les femmes recourent de moins en moins fréquemment à l’AVPF avant l’âge de 31 ans, du fait du recul de l’âge des primo-maternités. La part des femmes ayant au moins une année au cours de laquelle l’AVPF représente l’état principal a en effet reculé de 5 points entre les générations 1950 et 1974, passant de 31 à 26 %. Ces femmes transitent de plus en plus par le chômage, le poids des trajectoires d’AVPF sans chômage ayant reculé de 16 points, tandis que celui des trajectoires d’AVPF avec chômage a progressé de 11 points. Enfin, les trajectoires d’emploi et d’inactivité peuvent paraître peser de façon importante, spécialement pour les hommes : en dehors des véritables périodes d’inactivité postscolaires, ces trajectoires incluent en fait toutes les trajectoires comprenant une période d’emploi au cours des études.

24Ainsi, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes, la part des trajectoires « traditionnelles » avant 30 ans (emploi continu ou alternances d’emploi, d’inactivité et d’AVPF pour les seules femmes) a reculé au bénéfice des trajectoires incluant le chômage comme état principal, qui représentent désormais près de 40 % des trajectoires, contre moins de 10 % pour la génération 1950 (6 % pour les femmes). En outre, les périodes de chômage sont non seulement plus nombreuses, mais aussi plus précoces. Ainsi, le taux de 25 % de personnes ayant validé au moins un trimestre au titre du chômage indemnisé est atteint vers 59 ans pour la génération née en 1934, à 40 ans pour celle née en 1950 et vers seulement 21 ou 22 ans pour les plus jeunes (Rapoport, 2009).

Graphique 3

Graphique 3

Graphique 3

Type de trajectoire entre 14 et 31 ans et selon le sexe et la génération
N.B. • Validations enregistrées dans les fichiers de gestion des régimes de retraite.
CHAMP • Personnes échantillonnées dans l’EIC.
SOURCES • EIC 2005.

25Ces évolutions sont naturellement à relier au développement du chômage à partir du milieu des années 1980 qui a tout spécialement touché les jeunes et qui reste très élevé, même si sa variabilité conjoncturelle est très forte. En particulier, les générations 1966, 1970 et 1974 ont toutes connu en début de carrière un taux de chômage élevé. C’est le cas, plus particulièrement, de la génération 1966, dont l’âge de fin d’études moyen est d’environ 19 ans et qui est entrée dans la vie active au moment du pic de chômage de la période 1984-1988 (cf. graphique 4), et de la génération 1974, dont le début d’activité correspond au pic du milieu des années 1990.

Graphique 4

Graphique 4

Graphique 4

Probabilité de connaître le chômage selon l’âge, l’année et la génération
CHAMP • Personnes échantillonnées dans l’EIC.
SOURCES • EIC 2005 (FNA) et INSEE pour les taux de chômage BIT (moyenne annuelle des taux trimestriels).

Les effets de la modification d’un dispositif : l’exemple de la suppression de l’allocation d’insertion

26En termes de validation des droits à retraite au titre du chômage, les personnes nées en 1966 paraissent néanmoins plus pénalisées que les générations suivantes, notamment la génération 1974 qui pourtant est entrée sur le marché du travail dans un contexte économique plus dégradé. En particulier, leur probabilité de connaître le chômage à 20 ans est nettement plus élevée (cf. graphique 4) et la part des trajectoires incluant le chômage est plus importante tandis que celle des trajectoires d’emploi continu est plus faible (cf. graphique 3). Un tel résultat peut surprendre. On peut avancer deux explications probables : le durcissement des conditions d’accès à l’allocation d’insertion (AI) en 1992 et la disparition des travaux d’utilité collective (TUC) et des stage d’insertion dans la vie professionnelle (SIVP) remplacés par les contrats emploi solidarité (CES) en 1990 et les contrats d’orientation créés en 1991.

27En effet, l’examen détaillé des probabilités annuelles d’être au chômage (indemnisé ou non, mais hors chômage non indemnisé en début de carrière) [9] montre que le taux moyen de personnes nées en 1966, 1970 et 1974 ayant connu une période de chômage entre 22 et 31 ans est à peu près stable autour de 16 %, alors que la part des trajectoires incluant le chômage comme état principal est nettement plus élevée pour la génération 1966. Les différences proviennent en fait principalement des âges de 18 à 21 ans et découlent essentiellement des restrictions d’accès à partir de 1992 à l’AI [10]. En effet, 39,1 % des personnes nées en 1966 ayant connu une période de chômage indemnisé ou non à l’âge de 20 ans ont perçu l’AI, contre 26,0 % pour la génération 1970 et seulement 1,3 % de la génération 1974. Une partie des personnes qui auraient perçu l’AI si les conditions d’accès n’avaient pas été restreintes n’apparaissent maintenant plus comme chômeurs mais sont comptabilisées comme inactives, ce qui contribue à faire diminuer le poids des trajectoires incluant le chômage au bénéfice des trajectoires incluant l’inactivité. La cohorte 1970 bénéficie en outre par rapport à ses voisines de l’amélioration de la situation économique du début des années 1990.

28L’accroissement des trajectoires d’emploi entre les générations 1966 et 1974 peut, quant à lui, être attribué à la création des CES en 1990 et des contrats d’orientation (créés en 1991), et à la disparition des TUC et surtout des SIVP, qui, étant des contrats de stage, ne permettaient pas la validation de droits à pension, à la différence des CES, qui sont des contrats de travail. En outre, la part des contrats aidés a connu un pic en 1986 sous l’effet de la montée en charge des SIVP (Minni, 2009), au détriment de contrats de travail plus classiques. Ce pic concerne au premier chef la génération 1966 (20 ans en 1986).

Un nombre croissant de transitions entre 16 et 31 ans

29En lien avec le développement du chômage, et traduisant une complexification croissante des trajectoires, le nombre moyen de changement d’état principal s’est accru au fil des générations, passant de 1,5 et 2,5 transitions en moyenne pour les hommes et les femmes de la génération 1950 à, respectivement, 3,1 et 3,5 transitions en moyenne pour la génération 1966. L’effet générationnel est sensiblement plus modeste pour les femmes pour lesquelles les transitions vers l’AVPF et/ou les autres formes d’inactivité existaient déjà pour les générations les plus anciennes. L’accroissement du nombre de transitions est en outre minoré du fait de modifications exogènes, en particulier l’évolution des règles de la conscription pour les hommes, qui passe de seize à douze mois en 1970, et le recul de l’âge de primomaternité pour les femmes, désormais de plus en plus nombreuses à avoir leur premier enfant après 31 ans.

30Les débuts de carrière paraissent donc, de ce point de vue, plus chahutés pour les jeunes générations que pour leurs aînés, en cohérence avec la réduction au fil du temps de la part des trajectoires d’emploi « principal » continu.

La durée de l’insertion a plus augmenté pour les ouvriers que pour les cadres

31Toutes les CSP sont touchées par les difficultés croissantes d’insertion et en particulier par le développement du chômage en début de carrière. Mais il est bien connu que ce sont avant tout les moins diplômés et les moins qualifiés qui en sont les victimes (Givord, 2005). Ainsi, si la part des trajectoires d’emploi continu décroît pour toutes les CSP, la chute pour les ouvriers (hommes) et les employées (femmes) est beaucoup plus marquée. Pour les hommes, l’écart de 24 points en faveur des ouvriers est passé à 8 points en faveur des cadres entre les générations 1950 et 1974. Ces évolutions sont en outre sous-estimées dans la mesure où on ne retient ici que les personnes en emploi à 30 ans (afin de les caractériser par leur CSP à cet âge), alors que les ouvriers sont plus souvent au chômage à cet âge. Symétriquement, les trajectoires incluant du chômage ont vu leur part augmenter beaucoup plus pour les ouvriers et les femmes employées que pour les cadres.

32Les données ne permettent pas de mesurer précisément la durée de l’insertion et de faire la part entre ce qui relève de son accroissement au fil des générations et ce qui provient de l’augmentation générale de la durée des études dans l’augmentation de l’âge de première validation. L’âge de fin d’études n’est en effet pas connu dans l’EIC. Le plus haut diplôme obtenu permet néanmoins de calculer un âge théorique moyen de fin d’études, si la personne n’a pas redoublé. Ce calcul omet toutefois les années d’études postérieures à l’obtention du diplôme le plus élevé et revient donc à assimiler ces périodes à des difficultés d’insertion. On peut alors comparer cette mesure de l’âge de fin d’études à l’âge de première validation, ce qui permet d’apprécier l’accroissement des difficultés d’insertion. Il est aussi possible de les comparer selon le décile de salaire à 30 ans ou selon la CSP à 30 ans. L’écart entre l’âge de première validation et l’âge théorique d’obtention du diplôme le plus élevé a ainsi augmenté entre les générations 1950 et 1974 de 1,8 an pour les ouvriers, 1,2 an pour les employés, 0,8 an pour les professions intermédiaires, 0,4 an pour les non-titulaires des fonctions publiques et de 0,9 an pour les cadres. Pour ces derniers, l’accroissement est nettement surestimé, puisqu’on n’observe que le diplôme à 25 ans pour la génération 1974 (diplôme observé en 1999), ce qui écarte une partie des diplômes les plus longs (doctorat en particulier). En corrigeant, à l’aide de l’enquête Emploi de 2005, cette censure, on obtient en fait un accroissement de 0,2 an (et non 0,9) pour les cadres. Selon la mesure retenue, la durée d’insertion semble donc clairement décroître avec le niveau de diplôme. Au total, pour les salariés du privé et les non-titulaires des fonctions publiques, l’accroissement de la durée des études expliquerait environ les trois quarts de l’accroissement de l’âge de première validation entre les générations 1950 et 1974, mais les différences entre CSP sont marquées : 48 % pour les ouvriers, 56 % pour les employés, 66 % pour les professions intermédiaires, 81 % pour les non-titulaires des fonctions publiques et 88 % pour les cadres (en retenant l’écart corrigé à l’aide de l’enquête Emploi).

Moins de droits à pension acquis en début de carrière

33Au-delà de l’âge de première validation, c’est l’ensemble des droits accumulés et, en particulier, le nombre de trimestres acquis qui constituent le paramètre important dans la détermination de la pension de retraite et dans le choix du moment du départ. Cette partie fait le point sur l’évolution au fil des générations du nombre de trimestres acquis à l’âge de 30 ans, qui dépend naturellement de l’âge de début d’accumulation, mais aussi de la trajectoire suivie. On s’intéressera aussi à la nature de ces trimestres dans la mesure où, même si elle a un effet direct relativement faible sur le niveau de la pension, à l’exception notable du minimum contributif, les trimestres non cotisés correspondent généralement à des droits acquis plus faibles, puisqu’ils ne permettent pas de report au compte et génèrent des droits dans les régimes complémentaires souvent plus faibles.

De moins en moins de trimestres validés à 30 ans

34Les différents mécanismes de validation pour les personnes non employées, principalement les validations au titre du chômage, de la maladie ou de l’AVPF, assurent que, dès la période d’insertion passée, la grande majorité des personnes, et ce pour toutes les générations, valident 4 trimestres chaque année, à l’exception de celles qui restent constamment inactives. La période d’observation entre 16 et 31 ans – le « début de carrière » – est en effet trop courte pour que l’on puisse observer un effectif significativement important de personnes en fin de droits et donc au RMI ou dans toute autre situation ne permettant pas aujourd’hui de valider des trimestres. En revanche, le régime de croisière est atteint de plus en plus tardivement. Ainsi, pour les hommes de la génération 1950, les 40 trimestres (dix ans validés) sont atteints à environ 29,5 ans ; ils le sont à 32,4 ans pour la génération 1962 et à 33,5 ans pour la génération 1970 (et probablement vers 33,7-33,8 ans pour la génération 1974, qui n’est pas observée à cet âge). Au total, à l’âge de 30 ans, les hommes de la génération 1950 avaient validé 41,6 trimestres, contre 29,0 seulement pour la génération 1974.

35Pour les femmes, le diagnostic doit cependant être nuancé : les écarts entre générations sont plus importants à 25 ans qu’à 30 ou 35 ans ; l’insertion est certes plus difficile pour les femmes des plus jeunes cohortes, mais leur participation au marché du travail s’est accrue au fil des générations et les retraits du marché du travail étaient plus fréquents pour les générations les plus vieilles, à la naissance des enfants par exemple, compensant en partie les écarts dus au recul de l’âge de début d’activité. Elles ont ainsi, au cours de la période, pratiquement rattrapé les hommes, puisque l’écart, de 2,6 ans pour la génération 1950 (40 trimestres atteints à 32,4 ans pour les femmes de cette génération), est passé à 0,6 an pour la génération 1962 et 0,2 an pour la génération 1970. La réduction des droits acquis en moyenne est donc nettement plus faible pour les femmes, soit 6 trimestres entre les générations 1950 et 1974. Si l’on se restreint aux personnes qui ont validé au moins un trimestre à 30 ans ou avant, on passe de 45,0 à 31,6 trimestres pour les hommes et de 38,5 à 30,9 pour les femmes.

Des situations contrastées selon la trajectoire et la situation à 30 ans

36Si on exclut le cas des personnes inactives à 30 ans dont les durées validées à cet âge sont très faibles, le nombre de trimestres validés à 30 ans s’étend, pour la génération 1950, de 37 trimestres environ pour les cadres du secteur privé et les non-titulaires de la fonction publique à 51 pour les ouvriers, soit 38 % de plus (Rapoport, 2011, tableau 7). Pour la génération 1974, les écarts sont beaucoup plus faibles, puisque la plage s’est réduite à 6 trimestres environ, les cadres de cette génération ayant validé à 30 ans 29,0 trimestres, contre 34,8 pour les ouvriers. Cela est naturellement en lien avec la convergence des âges de première validation, mais reflète aussi les difficultés croissantes d’insertion de certaines catégories. Ainsi, à 30 ans, les ouvriers nés en 1974 ont validé 16 trimestres, soit quatre ans, de moins que ceux nés en 1950, tandis que la réduction n’est que de 8 trimestres pour les cadres.

37Un modèle de régression simple (moindres carrés ordinaires) montre que, toutes choses égales par ailleurs, le nombre de trimestres validés à 30 ans décroît, comme attendu, avec les âges de premier report, de première validation et de première validation d’une année complète (cf. tableau 3) [11]. Ces trois variables ont un effet propre significatif, même si l’effet le plus fort est celui de l’âge de première validation d’une année complète, ce qui concorde avec ce qu’on a montré précédemment : les personnes valident généralement 4 trimestres par an, dès lors qu’elles ont déjà validé une première fois une année complète.

Tableau 3

Analyse toutes choses égales par ailleurs : estimation du nombre de trimestres acquis à 30 ans pour les personnes ayant au moins validé un trimestre

Tableau 3
Variable spécification (1) spécification (2) spécification (3) âge du premier report – 0,49*** – 0,48*** – 0,50*** (0,01) (0,01) (0,02) âge de la première validation – 1,14*** – 1,15*** – 1,11*** (0,01) (0,01) (0,02) âge de la première validation d’une année complète – 1,80*** – 1,80*** – 1,82*** (0,01) (0,01) (0,01) génération 1950 génération 1954 génération 1958 génération 1962 génération 1966 génération 1970 génération 1974 Femme Homme né en 1950 Femme née en 1950 Femme née en 1954 Femme née en 1958 Femme née en 1962 Femme née en 1966 Femme née en 1970 Femme née en 1974 Homme né en 1954 Homme né en 1958 Homme né en 1962 Homme né en 1966 Homme né en 1970 Homme né en 1974 Référence 0,31*** (0,07) – 0,09 (0,07) 0,20*** (0,07) 0,37*** (0,07) 0,24*** (0,07) 0,55*** (0,07) – 0,49*** (0,04) Référence – 2,52*** (0,10) – 1,54*** (0,10) – 1,54*** (0,10) – 1,24*** (0,10) – 0,86*** (0,10) – 0,85*** (0,10) – 0,54*** (0,10) – 0,36*** (0,09) – 1,15*** (0,09) – 0,88*** (0,09) – 0,93*** (0,10) – 1,18*** (0,10) – 0,87*** (0,10) Référence – 2,83*** (0,16) – 1,73*** (0,16) – 1,75*** (0,16) – 1,34*** (0,16) – 0,87*** (0,16) – 0,72*** (0,17) – 0,38** (0,17) – 0,50*** (0,16) – 1,34*** (0,16) – 1,04*** (0,16) – 1,19*** (0,16) – 1,27*** (0,16) – 0,89*** (0,16) Né dans les Dom Né en métropole Né à l’étranger Référence 2,74*** (0,10) 1,50*** (0,11) Référence 2,77*** (0,10) 1,48*** (0,11)
Tableau 3
Variable spécification (1) spécification (2) spécification (3) emploi seulement emploi puis inactivité (ei ou iei) alternance emploi inactivité (ieie + i et e) emploi avec aVPF (e + V) aVPF sans emploi (i + V) aVPF, maladie et emploi (e + V + m) emploi puis chômage (eC ou ieC) emploi puis chômage puis retour emploi (ieCe ou iCe) alternance emploi chômage (autres i + e + C) autres avec chômage emploi avec maladie (e + m) Référence – 18,40*** (0,10) – 8,11*** (0,06) – 8,40*** (0,08) – 6,38*** (0,16) – 5,46*** (0,14) – 1,09*** (0,14) – 1,40*** (0,07) – 7,27*** (0,06) – 4,82*** (0,07) – 3,36*** (0,10) Référence – 18,27*** (0,10) – 8,05*** (0,06) – 8,10*** (0,08) – 6,25*** (0,16) – 5,29*** (0,14) – 1,04*** (0,14) – 1,29*** (0,07) – 7,15*** (0,06) – 4,86*** (0,07) – 3,28*** (0,10) Référence – 18,16*** (0,20) – 7,45*** (0,09) – 8,35*** (0,13) – 7,41*** (0,38) – 5,84*** (0,22) – 0,92*** (0,24) – 1,58*** (0,12) – 7,06*** (0,09) – 5,31*** (0,11) – 3,35*** (0,16) Pas de diplôme CeP BePC, brevet des collèges CaP BeP Bac général Bac pro ou technique Deug Bac + 3 et plus Diplôme non renseigné Constante 108,72*** (0,18) 109,58*** (0,19) Référence 0,40*** (0,15) 0,20 (0,14) 0,82*** (0,11) 0,94*** (0,13) – 0,13 (0,16) 0,60*** (0,13) – 0,49*** (0,13) – 1,65*** (0,14) – 2,23*** (0,12) 112,56*** (0,28) Nombre d’observations r² 165114 0,742 165114 0,743 58535 0,711

Analyse toutes choses égales par ailleurs : estimation du nombre de trimestres acquis à 30 ans pour les personnes ayant au moins validé un trimestre

Écarts types entre parenthèses.
* p < 0,1,** p < 0,05, *** p < 0,01,
Estimation par les moindres carrés ordinaires.
N.B. • Validations enregistrées dans les fichiers de gestion des régimes de retraite.
CHAMP • Personnes échantillonnées dans l’EIC ayant validé un trimestre à 30 ans ou avant (spécifications 1 et 2) ; ayant validé un trimestre à 30 ans ou avant, nées en métropole et présentes dans l’EDP (spécification 3).
SOURCES • EIC 2005.

38Conformément à ce qui a été déjà mentionné, on observe que les femmes ont validé moins de trimestres (colonne 1). En outre, les générations les plus jeunes ont validé plus de trimestres que la génération 1950 et que la génération 1958, ce qui peut paraître surprenant. Il ne faut tout d’abord pas oublier que l’on raisonne ici toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire à âges de premier report, de première validation et de première validation d’une année complète donnés. Il y a, par ailleurs, un effet de composition dû à la participation croissante des femmes au marché du travail. En effet, si on croise le sexe par la génération (colonnes 2 et 3), on observe que les hommes des générations postérieures à la génération 1950 valident moins que cette dernière, l’écart avec la génération 1954 étant le plus faible, et ceux avec les générations 1958 et plus jeunes étant relativement homogènes (même s’ils diffèrent significativement). En outre, si l’écart entre hommes et femmes de la génération 1950 est très fort, il se réduit au fil des générations, si bien que, toutes choses égales par ailleurs, notamment à âges de première validation et de première validation d’une année complète donnés, les femmes des générations 1966 et suivantes ont validé plus que les hommes de ces mêmes générations.

39L’analyse multivariée montre aussi que le nombre de trimestres dépend fortement de la trajectoire ; les personnes ayant suivi une trajectoire d’emploi continu sont celles qui ont le plus grand nombre de trimestres validés. L’écart est naturellement le plus fort avec les personnes qui ont connu l’emploi puis l’inactivité telle que nous l’avons définie, celle-ci ne permettant pas la validation.

40Ce sont pour les trajectoires d’emploi puis chômage et d’emploi puis chômage et retour à l’emploi que les écarts avec les trajectoires d’emploi continu sont les plus faibles, traduisant le fait que ces personnes bénéficient généralement des possibilités de validation des périodes de chômage. L’analyse descriptive montre en outre que ce sont pour les trajectoires d’emploi continu que le nombre de trimestres s’est le plus réduit au fil des générations (de 16,5 trimestres pour les hommes et 14,7 trimestres pour les femmes) tandis que la réduction est beaucoup plus faible pour les trajectoires d’alternance d’emploi et chômage (2,2 trimestres pour les hommes et 4,6 trimestres pour les femmes). En effet, pour les générations les plus anciennes, les trajectoires d’emploi continu entre 16 et 31 ans étaient le fait, à la fois, de personnes ayant quitté le système scolaire relativement tôt et s’étant insérées aussitôt, et qui, à 30 ans, avaient validé un nombre important de trimestres, et de personnes ayant un niveau d’études élevé, et donc un nombre de trimestres plus réduit. Pour les générations les plus jeunes, les difficultés d’insertion qui ont touché avant tout les moins diplômés ont modifié la composition de la population ayant suivi une trajectoire d’emploi continu, au bénéfice des personnes ayant terminé leur scolarité tardivement et donc ayant validé relativement peu de trimestres à 30 ans. À l’inverse, les personnes dont les trajectoires incluaient des périodes de chômage cumulaient déjà moins de trimestres et étaient déjà parmi les moins diplômées ; la réduction du nombre des trimestres cumulés est donc plus limitée.

41L’introduction du diplôme pour le seul champ des personnes nées en métropole (colonne 3) montre que les effets des différentes variables restent les mêmes, en particulier ceux des trois variables d’âge, le diplôme ayant en outre son effet propre. Les diplômés du supérieur ont ainsi validé moins de trimestres à 30 ans, particulièrement ceux qui ont plus qu’un DEUG. Les titulaires du baccalauréat général ont validé autant de trimestres que ceux qui n’ont pas de diplôme (le coefficient n’est pas significatif) ; c’est aussi le cas des titulaires du BEPC. En revanche, les titulaires des autres diplômes inférieurs au bac ou d’un bac professionnel ou technique ont validé plus que les non-diplômés. L’introduction du diplôme accroît aussi les effets de sexe et de génération qui, lorsque cette variable est omise, prennent partiellement en compte l’évolution de la structure des diplômes au fil des générations.

Une baisse du nombre de trimestres acquis au titre de l’emploi partiellement compensée par ceux acquis pour d’autres motifs…

42Avant 30 ans, l’essentiel des trimestres validés est acquis par cotisation soit au titre de l’emploi, soit au titre de l’AVPF (cf. graphique 5). La part des trimestres cotisés a toutefois diminué au fil des générations, passant d’environ 99 % pour la génération 1950 à 93 % pour la génération 1970, même si cette proportion a légèrement augmenté pour la génération 1974, en large partie sous l’effet du durcissement des conditions d’accès à l’AI. La part des trimestres validés au titre de la maladie restant pratiquement stable, ce recul se fait au profit des trimestres validés au titre du chômage. Notons que l’inclusion des validations en début de carrière au titre du chômage non indemnisé accroîtrait encore la part des validations au titre du chômage. Pour les femmes, la période étudiée montre aussi la part importante prise par l’AVPF qui passe de 12 % pour les femmes nées en 1950 à plus de 16 % pour celles nées entre 1958 et 1966, avant de se réduire un peu pour les plus jeunes (14 %), probablement sous l’effet du recul de l’âge moyen de la primo-maternité.

Graphique 5

Graphique 5

Graphique 5

Nombre de trimestres validés selon le motif de validation
N.B. • Validations enregistrées dans les fichiers de gestion des régimes de retraite.
CHAMP • Personnes échantillonnées dans l’EIC ayant validé un trimestre à 30 ans ou avant.
NOTE DE LECTURE • Les hommes de la génération 1950 ayant validé un trimestre à 30 ans ou avant ont validé en moyenne 44,8 trimestres à 30 ans au titre de l’emploi.
SOURCES • EIC 2005.

43Au total, le nombre de trimestres cotisés au titre de l’emploi avant 30 ans a reculé de 15,2 trimestres pour les hommes et de 8,7 trimestres pour les femmes entre les générations 1950 et 1974. Ce recul est compensé, mais seulement très partiellement, par l’accroissement du nombre de trimestres validés au titre du chômage et de l’AVPF (environ 11 à 12 %).

… et des droits acquis à 30 ans dans les régimes complémentaires moins importants

44Les retards dans l’insertion rencontrés par les générations les plus jeunes se traduisent non seulement par un nombre de trimestres cumulés plus faible à l’âge de 30 ans, mais aussi par des salaires au cours des premières années d’activité plus faibles, bien qu’une fois insérées les jeunes générations rattrapent et même dépassent en termes de salaire les plus anciennes (Rapoport, 2009). Pour les salariés du secteur privé ou les non-titulaires de la fonction publique, ces salaires plus faibles se traduisent en retour par des cumuls de points dans les régimes complémentaires plus faibles. En outre, les périodes de chômage indemnisé, même si elles permettent la validation de trimestres, n’assurent, depuis 1997, qu’une fraction des points que le chômeur acquérait dans son emploi précédent, puisque les points acquis sont calculés sur le salaire journalier de référence qui sert de base au calcul de l’indemnisation chômage.

45Pour les cadres, le nombre de points accumulés n’évolue pas de façon régulière au fil des générations. Le nombre de points accumulés à l’AGIRC a toutefois très nettement baissé entre la génération 1950 et la génération 1970, avant de remonter pour la génération 1974. Pour toutes les autres CSP, en revanche, le nombre de points moyen acquis à l’ARRCO et à l’AGIRC diminue nettement et continûment au fil des générations [12].

Graphique 6

Graphique 6

Graphique 6

Nombre de points acquis à l’ARRCO et à l’AGIRC pour les personnes employées dans le secteur privé à 30 ans, selon la génération et la CSP
CHAMP • Personnes échantillonnées dans l’EIC ayant validé un trimestre à 30 ans ou avant, cotisant au régime général à 30 ans (hors AVPF) et employées dans le secteur privé.
NOTE DE LECTURE • Les personnes nées en 1950 et cadres à 30 ans ont cumulé, en moyenne, 1 461 points à l’AGIRC à cet âge.
SOURCES • EIC 2005.

Conclusion

46Les réformes successives du système de retraite français ont, depuis le début des années 1990, considérablement modifié les conditions de départ à la retraite des assurés. En particulier, la durée d’assurance requise pour le taux plein est passée de 150 trimestres pour la génération 1933 à 165 pour la génération 1954, l’opportunité d’accroître cette durée pour les générations suivantes devant désormais être examinée, pour chaque génération, avant la fin de sa cinquante-sixième année. L’âge minimal de départ à la retraite passera quant à lui progressivement de 60 à 62 ans dans la plupart des cas, tandis que l’âge d’annulation de la décote augmentera de 65 à 67 ans. Les actuels assurés seront donc amenés à partir plus tard à la retraite que les générations antérieures.

47Dans le même temps, l’âge de début d’acquisition des droits à pension a constamment augmenté depuis le début des années 1970, sous l’effet, à la fois, de l’allongement de la durée des études, qui bénéficie à l’ensemble des personnes, et des difficultés d’insertion croissantes des jeunes diplômés dont les trajectoires professionnelles sont de plus en plus heurtées. L’échantillon interrégimes de cotisants 2005 de la DREES permet ainsi de montrer que l’âge de première validation d’un trimestre a augmenté de près de trois ans entre la génération 1950 et la génération 1974 et de près de quatre ans pour la validation d’une année complète. Les droits à pension accumulés à 30 ans ont de ce fait diminué au fil des générations, en particulier les droits acquis au titre de l’emploi. Ces évolutions s’observent quelle que soit la situation à 30 ans de la personne, mais ne sont pas homogènes selon les différentes catégories d’individus. L’âge de début d’acquisition des droits a augmenté de façon plus marqué pour les ouvriers que pour les cadres. En outre, pour les cadres, l’allongement des études explique une part beaucoup plus importante de la diminution des droits acquis en début de carrière que pour les ouvriers. Ces derniers connaissent beaucoup plus fréquemment des difficultés d’insertion, même si l’âge de fin d’études a, pour eux aussi, reculé. Il en résulte une convergence en termes de droits acquis entre catégories socioprofessionnelles. Cette convergence s’observe aussi entre hommes et femmes, en raison de la participation croissante de ces dernières au marché du travail, mais aussi du recul de l’âge de primo-maternité.

48La validation de périodes de chômage non indemnisé en début de carrière, non prise en compte dans cette étude, et la validation plus systématique des périodes d’apprentissage et des contrats d’insertion permettent en partie de corriger les difficultés d’insertion des moins diplômés. La durée validable au titre du chômage non indemnisé avant toute autre validation pour ce motif est ainsi passée de 4 à 6 trimestres depuis la réforme de 2010. En revanche, la disparition de certains dispositifs, comme l’allocation d’insertion dont les conditions d’accès excluent désormais la majorité des anciens bénéficiaires, conduit à réduire les droits acquis en début de carrière. En outre, ces mesures agissent généralement sur la durée d’assurance et donc sur l’âge auquel les personnes pourront prétendre à une retraite au taux plein ou une retraite complète, mais assez peu sur d’autres droits acquis, en particulier sur les salaires de référence et les droits dans les régimes complémentaires.

49La trajectoire qui a conduit les personnes à leur situation à 30 ans et cette situation ont un impact direct et marqué sur les droits acquis à cet âge. Mais elles conditionnent aussi en partie les évolutions de carrière ultérieures et le rythme d’acquisition des droits après 30 ans. En effet, la situation professionnelle des personnes à l’âge de 30 ans et, pour les seules personnes employées dans le secteur privé, leur position dans la distribution des revenus à cet âge donnent une idée du déroulement ultérieur de leur carrière. Ainsi, si, pour tous, à l’exception des inactifs (hors bénéficiaires de l’AVPF), la probabilité de valider et le nombre de trimestres validés après 30 ans sont très élevés, ils sont beaucoup plus faibles pour les personnes qui appartiennent aux deux premiers déciles de salaire, quelle que soit la génération. Plus généralement, le nombre moyen de trimestres validés après 30 ans croît avec le décile de revenu à 30 ans (Rapoport, 2011, annexe 1). En outre, pour toutes les générations, la probabilité de valider ultérieurement un trimestre au titre du chômage ou au titre de la maladie décroît nettement avec le décile de salaire à 30 ans à partir du deuxième décile. Les écarts entre déciles diminuent au fil du temps pour une génération donnée, les personnes dans les situations les plus précaires quittant le marché du travail et ne validant dès lors plus au titre du chômage. Pour la maladie, les différences entre déciles sont moins marquées et c’est surtout pour les personnes appartenant au dernier décile que la probabilité est la moins élevée, celles-ci étant certainement en meilleure santé que les autres [13] ou hésitant peut-être plus fréquemment à s’interrompre pour maladie. Au total, ce sont donc les personnes qui, à 30 ans, se trouvent dans les situations les moins favorables qui, par la suite, valident et, surtout, acquièrent, par cotisation, le moins de trimestres.

50Enfin, les échantillons interrégimes de retraités de 2001 et 2004 permettent de montrer que, pour les générations les plus âgées (1934 et 1938), la probabilité de percevoir une pension d’invalidité (fonction publique), d’ex-invalide ou au titre de l’inaptitude (autres régimes) décroît fortement avec le décile de revenu à 30 ans pour les personnes qui cotisaient au régime général à cet âge. Elle passe d’environ 25 % pour le premier décile à 6 à 7 % pour le dernier ; de la même façon, le risque de percevoir une pension d’invalidité est trois fois plus élevé pour les ouvriers et les employés que pour les cadres.

51Ces différents faits suggèrent que, pour les plus jeunes générations, les âges de départ à la retraite pourraient être moins dispersés que pour les générations récemment retraitées, mais que le niveau des pensions serait de plus en plus hétérogène, au bénéfice des plus diplômés, d’autant que certaines évolutions récentes, comme le développement du cumul emploi/études, plus souvent le fait des très diplômés, sont susceptibles de renforcer ces conclusions. Ces observations doivent de plus être mises en relation avec le fait que ce sont aussi les personnes les plus diplômées qui ont l’espérance de vie la plus élevée.

Notes

  • [*]
    Chargé d’études à la DREES au moment de la rédaction de l’article.
  • [1]
    Voir aussi les ouvrages de synthèse Quand l’école est finie… du CÉREQ sur les trois enquêtes Génération 1998, 2001 et 2004 et les différentes études sur les enquêtes Génération 1992, 1998, 2001 et 2004.
  • [2]
    Champ des ménages ordinaires de France métropolitaine, quelle que soit la tranche d’âge quinquennale.
  • [3]
    On exclut dans le calcul de la moyenne toutes les personnes n’ayant pas validé avant 30 ans, qu’elles aient validé après ou qu’elles n’aient jamais validé.
  • [4]
    Il s’agit du diplôme relevé dans le recensement de 1999, si bien que pour les générations les plus jeunes, en particulier la génération née en 1974, les études n’étaient pas achevées au moment de la collecte. Pour ces générations, la part des diplômes supérieurs est donc sous-estimée. La catégorie « Non renseigné » regroupe les personnes qui n’ont pas répondu à la question et celles qui n’étaient pas présentes au moment du recensement de 1999.
  • [5]
    Cela traduit le fait que les femmes sont désormais plus diplômées, en moyenne, que les hommes. Rappelons toutefois qu’il ne s’agit pas du diplôme final, mais du diplôme à 25 ans pour cette génération, ce qui peut biaiser différemment la distribution finale pour les hommes et les femmes. Notons aussi que la part des diplômes non renseignés est plus importante pour les hommes que pour les femmes d’environ 4 points pour la génération 1974.
  • [6]
    Remarquons en outre que les taux de redoublement au collège et au lycée ont diminué depuis 1985 (DEPP, 2009).
  • [7]
    Un report au compte est l’inscription d’un salaire au compte de l’assuré. Il est possible d’avoir un report au régime général sans valider de trimestre si la rémunération est insuffisante (moins de 200 fois le smic horaire). Une personne ne peut valider plus de trimestres au cours d’une même année civile.
  • [8]
    L’état principal est défini en comparant les durées dans les différents états lorsque les durées sont connues ou, à défaut, en comparant les durées validées au cours de l’année. Une trajectoire avec seulement de l’emploi « en principal » peut donc inclure du chômage si la période passée au chômage est relativement courte. Dans tous les cas, l’état d’inactivité est construit en creux, tous les autres états primant sur l’inactivité.
  • [9]
    On se base ici sur les données de l’UNEDIC et non pas sur les trajectoires construites à partir des validations au titre du chômage. Le fichier des allocataires comprend le chômage indemnisé dès 1974 et, à partir de 1984, le chômage non indemnisé. Néanmoins, les éventuelles périodes de chômage non indemnisé en début de carrière (avant toute indemnisation) n’y figurent pas.
  • [10]
    L’AI, d’une durée maximale d’un an, créée en 1984, s’adressait en particulier aux jeunes de 16 à 25 ans à la recherche d’un premier emploi et aux femmes isolées, ainsi qu’à diverses populations susceptibles de rencontrer des difficultés à s’insérer. Elle est, depuis 1992, réservée aux demandeurs d’asile, aux expatriés non affiliés, aux anciens détenus et aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. Elle a été remplacée en 2005, avec quelques modifications du champ d’application, par l’allocation temporaire d’attente.
  • [11]
    Les ajustements sont de bonne qualité, comme l’indiquent les R2, et presque tous les coefficients sont significatifs au seuil de 1 %.
  • [12]
    Le nombre de points acquis à l’IRCANTEC reste anecdotique du fait du champ retenu (on ne retient que les personnes employées dans le secteur privé à 30 ans) et ne figure donc pas dans le graphique.
  • [13]
    Quel que soit le sens de la causalité.
Français

Cet article présente l’évolution au fil des générations des droits à retraite acquis en début de carrière. Il s’appuie sur les données de l’échantillon interrégimes de cotisants 2005 de la DREES. L’auteur montre que l’entrée dans la vie active est à la fois plus tardive du fait de l’allongement de la durée des études et plus progressive en raison de la croissance des difficultés d’insertion en lien avec la montée du chômage. L’âge de première validation d’un trimestre a ainsi augmenté de près de trois ans entre la génération 1950 et la génération 1974. Les trajectoires professionnelles sont, dans le même temps, devenues de plus en plus heurtées. De ce fait, les droits accumulés à 30 ans ont diminué au fil des générations, en particulier les trimestres cotisés au titre de l’emploi et les points acquis dans les régimes complémentaires. L’ampleur de cette réduction n’est pas homogène selon les différentes catégories d’individus. On constate en effet une certaine convergence, d’une part, entre hommes et femmes et, d’autre part, selon la catégorie socioprofessionnelle à 30 ans. Enfin, l’auteur montre que la situation à 30 ans détermine en partie l’accumulation ultérieure des droits à pension.

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Benoît Rapoport [*]
Titulaire de la chaire mixte université de Paris 1-INED en économie démographique, il était chargé d’études à la DREES au moment de la rédaction de cet article. Ses recherches portent sur les retraites, les trajectoires professionnelles, l’offre de travail des ménages et l’utilisation du temps dans les ménages.
  • [*]
    Chargé d’études à la DREES au moment de la rédaction de l’article.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 13/03/2013
https://doi.org/10.3917/rfas.124.0052
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